Quel avenir pour le Liban ?
Jacques Larché, Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Michel Rufin et Jacques Mahéas
Commission des lois - rapport 111 - 1996 / 1997
Table des matières
- INTRODUCTION
-
TITRE PREMIER
DU PACTE NATIONAL DE 1943
A L'ACCORD DE TAEF (1989) - UN RÉÉQUILIBRAGE DES POUVOIRS ENTRE LES CHRÉTIENS ET LES MUSULMANS AU SEIN D'UN ETAT MULTICONFESSIONNEL
-
L'HISTOIRE INSTITUTIONNELLE ET POLITIQUE DU LIBAN :
QUELQUES REPÈRES CHRONOLOGIQUES- I. LE LIBAN : UNE MOSAÏQUE DE DIX-SEPT COMMUNAUTÉS
- II. LE PACTE NATIONAL DE 1943 : UN ACCORD NON ÉCRIT ENTRE MARONITES ET SUNNITES
- III. LA GUERRE CIVILE (ET INTERNATIONALE) DE QUINZE ANS : LA MISE ENTRE PARENTHÈSES DE L'ETAT
-
IV. L'ACCORD DE TAËF: LA REMISE EN CAUSE DE LA SUPRÉMATIE DES MARONITES DANS
LA DEUXIÈME RÉPUBLIQUE
- A. LES PRINCIPES GÉNÉRAUX DE L'ACCORD : LA RÉAFFIRMATION DE L'IDENTITÉ LIBANAISE
- B. LES RÉFORMES POLITIQUES : LA DEUXIÈME RÉPUBLIQUE1313 Voir sur ce point Issam Sleiman - Equilibre interconfessionnel et équilibre institutionnel au Liban in Le Liban aujourd'hui - Sous la direction de Fadia Kiwa (CERMOC).
- C. LA PERSPECTIVE DE LA DÉCONFESSIONNALISATION DE LA VIE PUBLIQUE
-
TITRE II
LES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
D'AOÛT-SEPTEMBRE 1996
UN SCRUTIN ORGANISÉ DANS UN PAYS OCCUPÉ- I. UNE QUESTION CRUCIALE POUR L'AVENIR DU LIBAN : LE RETRAIT DE L'ARMÉE ISRAÉLIENNE DU LIBAN-SUD
- II. LES VISÉES DE LA SYRIE : L'ANNEXION ? LA FINLANDISATION DU LIBAN ? LA GARANTIE DE SA PROPRE SÉCURITÉ ?
- III. LES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES D'AOÛT-SEPTEMBRE : UN SCRUTIN SOUS INFLUENCE
- IV. LA GRANDE INQUIÉTUDE DES CHRÉTIENS ET NOTAMMENT DES MARONITES : LE RISQUE DE LA MARGINALISATION
-
TITRE III
UNE NATION À LA RECHERCHE
DE SA NOUVELLE IDENTITÉ- I. UNE ÉCONOMIE CENTRÉE SUR LA RECONSTRUCTION DU PAYS
- II. UNE SITUATION SOCIALE FORTEMENT DÉGRADÉE
- III. LA RÉHABILITATION DE L'ÉTAT DE DROIT : D'IMPORTANTES ZONES D'OMBRE
- IV. VERS UN NOUVEAU DIALOGUE ENTRE LES COMMUNAUTÉS CONFESSIONNELLES ?
-
CONCLUSION GÉNÉRALE :
POUR UNE PRÉSENCE ENCORE PLUS IMPORTANTE
DE LA FRANCE AUPRÈS DE L'ENSEMBLE DES LIBANAIS - ANNEXES
INTRODUCTION
Article 9 de la Constitution libanaise
" La liberté de conscience est absolue. En rendant hommage au
Très-Haut, l'Etat respecte toutes les confessions et en garantit et
protège le libre exercice à condition qu'il ne soit pas
porté atteinte à l'ordre public. Il garantit également aux
populations, à quelque rite qu'elles appartiennent, le respect de leur
statut personnel et de leurs intérêts religieux "
Mesdames, Messieurs,
Le Liban peut-il survivre ? La Nation libanaise peut-elle renaître
après une guerre civile et internationale qui a meurtri le pays pendant
plus de quinze ans ? L'exception libanaise fondée sur la
" convivialité " de dix-sept confessions religieuses
peut-elle
perdurer dans un environnement de plus en plus islamisé et en tout cas
marqué par le conflit israélo-arabe ?
Telles sont les principales interrogations qui se sont imposées aux
membres de la délégation de la commission des Lois en
arrière de fond de la mission effectuée au Liban du 7 au
17 octobre dernier.
Ce déplacement correspondait tout d'abord à une tradition
désormais bien établie qui conduit la commission des Lois
à organiser des missions dans des pays confrontés à des
mutations institutionnelles d'une certaine importance.
Après avoir étudié le démantèlement de
l'
Apartheid
en Afrique du Sud ou la montée en puissance de
l'affrontement entre le Président Eltsine et les
" conservateurs " du Parlement de la Maison Blanche, la
commission
des Lois s'était rendue il y a deux ans au Canada pour assister en
direct à la victoire des souverainistes à l'Assemblée
nationale du Québec qui devait ouvrir la voie au
référendum où quelques centaines de voix ont manqué
au " oui " à la souveraineté du Québec.
Cette année, le choix du Liban s'imposait en raison du renouvellement en
août- septembre dernier de la Chambre des Députés. Alors
que le scrutin organisé en 1992 au lendemain de la cessation de la
guerre civile avait été boycotté par les chrétiens,
les dernières élections qui ont donné lieu à un
taux de participation reconnu au Liban comme satisfaisant, 45 %,
étaient présentées comme devant marquer la fin de la
période de l'après-guerre et le retour à une vie politique
apaisée.
Pour de nombreux observateurs et comme pour les Libanais installés en
France
1(
*
)
, il n'en a rien été car
ces élections auraient été entachées de nombreuses
irrégularités. Qui plus est, elles auraient été
organisées pour obtenir une victoire écrasante des
Députés favorables à la Syrie.
La commission des Lois a souhaité se rendre sur place pour
vérifier l'ensemble de ces informations et surtout apprécier la
réalité des institutions libanaises. Car ni l'apparence du
fonctionnement régulier de la démocratie parlementaire libanaise
ni le respect des libertés publiques essentielles ne sauraient faire
oublier "
la tutelle syrienne qui pèse sur tous les secteurs de
la vie libanaise
", pour reprendre les termes mêmes de
l'excellent rapport établi par MM. Serve Vinçon et André
Boyer au nom de la Commission des Affaires étrangères du
Sénat.
La mission de la commission s'inscrivait également dans le cadre de la
politique internationale de la France qui a eu pour souci constant de renforcer
ses liens avec le Pays du Cèdre.
N'oublions pas, en effet, que la France, en vertu du mandat qui lui avait
été confié en 1920 par la Société des
Nations, a délimité les frontières actuelles du
Grand-Liban pour accompagner ensuite ce pays sur la voie de
l'indépendance.
M. Roland Dumas l'a rappelé avec force lorsque, ministre d'Etat, il
était en charge des Affaires étrangères :
"
De longue date, la France est, en quelque sorte, la marraine du
Liban. A travers les vicissitudes de la politique internationale au
Proche-Orient, elle a constamment témoigné de l'identité
libanaise
".
Les entretiens de la commission des Lois l'ont confirmé sans
ambiguïté : la France jouit au Liban d'un prestige certain et d'un
capital de sympathie tout à fait remarquable.
La médiation menée en avril dernier par M. Hervé de
Charette, ministre des Affaires étrangères, pour mettre un terme
à l'opération israélienne "
Raisins de la
colère
" marquée par la tragédie de Cana, a
permis au Liban d'être pris en compte comme partenaire à part
entière. Pour sa part, la France, en dépit des réticences
américaines, a obtenu de siéger au sein du Comité de
surveillance du cessez-le-feu du 26 avril où sont
représentés, outre les Etats-Unis et la France, la Syrie,
Israël et le Liban. Il faut souligner que la présence de la France
a été quasiment imposée par le Liban ... et la Syrie.
De même, les Libanais paraissent extrêmement favorables à ce
que l'Union Européenne, et tout particulièrement la France,
jouent un rôle plus actif dans la relance du processus de paix entre
Israël et les Palestiniens, sous la réserve de s'en tenir aux
accords d'Oslo. En cette matière, comme dans d'autres, la
stratégie du Liban tend à la recherche d'un nouvel
équilibre entre la France et les Etats-Unis, lesquels sont perçus
par les négociateurs arabes comme trop proches d'Israël.
Malgré les progrès de l'anglais et bien que l'usage du
français varie selon les classes sociales, la francophonie est une
réalité très importante au Liban dans la mesure où
notre langue est utilisée officiellement dans 70 % des
établissements scolaires.
Il y a plus encourageant car le français dépasse les
frontières de la communauté maronite pour se répandre chez
les chiites, fussent-ils proches du Hezbollah pro-iranien, et chez les druzes.
Ainsi, lors de la visite du centre culturel de Deir-El-Kamar, il nous a
été indiqué que M. Walid Joumblatt, responsable du Parti
Socialiste Progressiste, qui se trouve à la tête des druzes du
Chouf, a mis une partie du Palais de l'Emir Fakredinne (qu'il a fait restaurer
sur ses propres deniers) à la disposition de la France pour y installer
un centre culturel et linguistique, comme si son souhait était de
maintenir un certain équilibre face à la prédominance de
l'anglais dans le monde arabe.
L'influence de la France est on ne peut plus certaine dans les matières
juridiques, comme l'ont confirmé les trois réunions de travail
avec des professeurs de la Faculté de Droit
2(
*
)
de l'Université libanaise, de
l'université catholique de Saint-Joseph et de l'Université de
Saint-Esprit de Kaslik, fondée en 1965 et dirigée par l'Ordre
libanais maronite (OLM)
3(
*
)
. Il règne
entre les juristes français et libanais un esprit de
compréhension mutuelle, une communauté de vues, une
affinité culturelle
4(
*
)
qui s'expliquent
par l'étroite parenté des systèmes juridiques. Ainsi, la
plupart des grandes lois libanaises sont la traduction des textes
français : tel est le cas, par exemple, du droit des associations ou de
la procédure pénale régie par un code d'instruction
criminelle inspiré du Code Napoléonien. Dans le même ordre
d'idées, le conseil constitutionnel libanais a été
présenté par son Président, M. Wajdi Mallat comme
l' " enfant adoptif " du conseil constitutionnel
institué par la Constitution du 4 octobre 1958, ...ce qui promet un bel
avenir pour le développement de la jurisprudence constitutionnelle au
Liban.
Pour autant, la décision de se rendre au Liban n'a pas été
prise sans une certaine hésitation, car elle pouvait apparaître
comme un cautionnement donné à la présence syrienne sur le
sol libanais.
L'accueil réservé à la délégation de la
commission des Lois, qui a été extrêmement chaleureux,
quelle que soit la communauté d'appartenance de nos interlocuteurs, a
confirmé que nous avions eu raison de surmonter cette hésitation,
car l'ensemble des personnalités libanaises rencontrées ont
souhaité le maximum de présence française comme si elle
pouvait servir de contrepoids à la " présence "
syrienne, faite notamment du " stationnement " de
35 000 militaires sur le sol libanais.
Le pire serait de
" boycotter ", d'oublier le Liban, car ce serait en
définitive
le plus sûr moyen de conforter la situation de fait dans laquelle il se
trouve enfermé.
* *
*
Lors de son séjour à Beyrouth, la
délégation de la Commission a eu le privilège de
rencontrer les plus hautes autorités de l'Etat, en premier lieu le
Président de la République, M. Elias Hraoui, le Président
du conseil des ministres, M. Rafic Hariri, le vice-président de la
Chambre des Députés, M. Elie Ferzli, le Président du
Conseil d'Etat, le Président du Conseil constitutionnel, mais aussi les
principales autorités religieuses, comme le Patriarche maronite
d'Antioche et de tout l'Orient, le Mufti par intérim de la
République ainsi que le Président du Conseil Supérieur
Chiite.
Dans son souci d'avoir une vue d'ensemble de la situation du Liban, la mission
ne pouvait cantonner son étude à la capitale.
Il lui fallait également aller à la rencontre des
autorités locales, notamment dans le Liban Sud
5(
*
)
et dans le Nord du Liban.
Le Liban en quelques chiffres
Superficie
: 10 430 km2
Population
: 3 500 000 habitants
(Beyrouth : 1 500 000 habitants)
Densité
: 336 habitants au km2
Taux d'urbanisation
60 %
Espérance de vie
: 68,1 ans pour les hommes
71,1 ans pour les femmes
Taux d'alphabétisation
80 %
PIB
: 11 milliards de dollars US
Industrie
14 % du PIB
Agriculture
17 % du PIB
Services
69 % du PIB
Revenu annuel par habitant
: 2 800 dollars
Inflation
: 10 % en 1995 (20 % en 1992)
Population active
: 700 000
Chômage
: 20 % (estimation)
Dette interne et externe
: 8 milliards de dollars (en 1995)
Partout, la délégation a reçu le meilleur accueil de la
part d'abord des représentants de l'Etat, ensuite du maire de
Saïda. M. Ahmad Kalash, du Général Sami Menkara, maire de
Tripoli et de M. Misbah Ahdab, député de Tripoli.
L'impression qui frappe le visiteur est celle d'un pays gravement
endommagé par plus de quinze ans de guerre : immeubles
éventrés, urbanisme anarchique, habitat précaire pour les
populations déplacées... Tout confirme que la période de
l'après-guerre n'est pas encore refermée.
Certes, le Gouvernement a engagé une politique volontariste de
reconstruction, notamment du centre de Beyrouth qui constitue un vaste chantier.
Cette politique a eu pour contrepartie un endettement de plus en plus important.
Force est également de souligner que la reconstruction du pays ne suffit
pas, car, par delà la légitime volonté de recouvrer la
prospérité perdue en 1975, l'urgence impose que l'appareil
institutionnel soit remis sur pied et que se reconstitue l'Etat de droit dans
toutes ses composantes.
Certes le système juridique a bien résisté à quinze
ans de guerre. Comme l'a souligné le Ministre de la Justice, le
"
mérite du Liban est d'être sorti d'une guerre aussi
terrible tout en restant démocratique
".
Si les apparences sont en faveur de ce constat, il paraît tout aussi
difficile de nier l'existence ou la possibilité d'une
" friction " entre l'Etat de droit et la présence
tutélaire d'un Etat autoritaire.
De même, à propos de la ligne de démarcation qui a
divisé la capitale en deux camps hostiles, les Musulmans à
Beyrouth Ouest et les Chrétiens à Beyrouth Est, on ne peut
éluder la question de savoir si
cette ligne de démarcation a
complètement disparu des consciences politiques
.
A la vérité, la délégation de la commission des
Lois a pu, tout au long de son déplacement, mesurer
la très
grande complexité de la situation politique du Liban qui apparaît
comme un pays indéchiffrable, impénétrable, voire
énigmatique.
Il y a pour ainsi dire une véritable "
exception
libanaise
" qui peut trouver sa principale explication dans
l'histoire
et la géographie de ce pays.
Comme cela a été maintes fois souligné
6(
*
)
, le
Liban est un lieu de passage, de rencontre entre
l'Orient et l'Occident, un carrefour des religions mais surtout, grâce au
relief montagneux, un lieu de refuge pour des communautés en rupture
avec certaines religions officielles, tels les maronites qui ont dû
abandonné les rives de l'Oronte, les chiites chassés du Kesrouan
ou les druzes réfugiés d'Egypte.
Qui plus est, depuis les Phéniciens, la région du Mont-Liban a
connu une histoire tourmentée, marquée par de nombreuses
invasions qui l'ont confinée dans le statut d'une entité toujours
vassale.
En dépit de son passé très ancien, le Liban est
une
jeune nation
dont l'indépendance n'a été reconnue
qu'en 1943, mais surtout un Etat en butte à la toute puissance de
groupes ethniques ou religieux sensibles aux influences extérieures,
un Etat qui repose sur un fragile équilibre
islamo-chrétien.
Au lendemain de la seconde Guerre mondiale, ce peuple dynamique,
commerçant, ouvert sur l'extérieur, est arrivé à
faire du Liban la " Suisse du Proche-Orient ", c'est-à-dire
une oasis de paix et de prospérité qui s'est tenue à
l'écart du conflit israélo-arabe.
Malheureusement, du fait notamment de la présence de plus de
400 000 réfugiés palestiniens, le Liban a
été rapidement rattrapé par les tensions
régionales, à tel point qu'il est devenu le principal terrain
d'affrontement entre l'Iran, la Syrie, les Palestiniens et Israël.
Le jeune Etat libanais qui devait déjà composer avec la
mosaïque des dix-sept communautés religieuses n'était sans
doute pas de taille à surmonter cette épreuve qui l'a conduit
tout droit à la guerre civile.
Après la longue parenthèse de la guerre civile, et même si
d'aucuns n'hésitent pas à mettre en doute l'existence même
d'une Nation libanaise, l'Etat, à l'instar de l'armée libanaise,
regagne peu à peu du terrain.
Force est aussi de relever que le Liban, à la différence de
l'ex-Yougoslavie, a su préserver son unité ou du moins n'a pas
succombé à la tentation de la partition du pays en quatre
" principautés ", maronite, sunnite, druze et chiite, comme
l'avaient un temps envisagé les Américains.
Mais l'Etat ne retrouvera des bases solides que si les Libanais confirment leur
volonté de vivre ensemble et de constituer une nation à part
entière.
Sur ce point, les Libanais ne pourront plus longtemps repousser la
nécessaire réflexion sur la déconfessionalisation de la
vie publique, car l'
assise multiconfessionnelle de l'Etat est susceptible de
rendre plus difficile l'évolution du Liban vers une démocratie
plus moderne.
Lors de l'entretien qu'il a bien voulu nous consentir, le Président du
Conseil des Ministres, M. Rafic Hariri, nous a confirmé son
volontarisme, sa détermination à moderniser la vie publique et sa
foi dans l'avenir d'un Liban tourné vers l'avenir.
La tâche de son Gouvernement sera d'autant plus difficile que le
financement de la reconstruction a engendré un endettement qui a
inquiété le FMI, sans oublier la forte dégradation de la
situation sociale, proche de l'explosion.
Il est vrai aussi que M. Rafic Hariri ne pourra gagner totalement son pari que
si le processus de paix redémarre selon les termes et conditions
stipulés par les Accords d'Oslo.
Pour l'heure, l'intransigeance du Premier Ministre israélien n'est pas
de bon augure.
Il faut simplement former le voeu que, une fois passée l'élection
présidentielle américaine, les Israéliens soient
amenés à reprendre les discussions avec les Palestiniens, mais
aussi avec la Syrie, car on peut escompter que le retour de la
négociation pour la paix incite les deux puissants voisins du Liban,
Israël d'abord et ensuite la Syrie, à desserrer leur étau
sur le Liban.
Dans l'attente de cette perspective qui,
rebus sic stantibus
, demeure
lointaine, il appartient aux Libanais de démontrer qu'en dépit
des limitations de sa souveraineté, le Liban a la capacité et la
volonté de consolider son identité nationale qui ne peut se
résumer à la simple addition des dix-sept communautés
confessionnelles.
LES ENTRETIENS ET LES RÉUNIONS DE TRAVAIL
DE LA
DÉLÉGATION
(par ordre chronologique)
A Paris
:
- M. Naji Raymond ABI ASSI, Ambassadeur extraordinaire et
plénipotentiaire du Liban en France
- M. Stéphane GOMPERTZ, Sous-Directeur d'Egypte-Levant au
ministère des Affaires étrangères
- M. Julien CHENIVESSE, Rédacteur pour la Syrie et le Liban au
ministère des Affaires étrangères
A Beyrouth
:
- M. Jean-Pierre LAFON, Ambassadeur de France au Liban
- M. Elias HRAOUI, Président de la République
- Sa Béatitude Eminentissime Nasrallah Pierre Cardinal SFEIR,
Patriarche d'Antioche et de tout l'Orient
- Le Père Sélim ABOU, Recteur de l'Université
Saint-Joseph et plusieurs professeurs de cette université : M.
Henri AWIT, Secrétaire Général ; Mlle Meline
TOZAKIAN ; M. Richard CHEMALY, Doyen ; M. Michel TABET,
Vice-Doyen ; M. Hassan RIFAAT, M. Antoine KHAIR ; M. Canal
FORQUES ;
- M. Joseph CHAOUL, Président du Conseil d'Etat et plusieurs membres du
Conseil d'Etat ;
- M. Rafic HARIRI, Président du Conseil des Ministres
- Cheik Mohammad Rachid KABBANI, Mufti par intérim de la
République
- L'Imam Mohamad Mehdi CHAMSEDDINE, Président du Conseil
supérieur Chiite
- M. Ibrahim KOBEISSI, Doyen de la Faculté de droit et des
sciences politiques et administratives de l'Université libanaise, avec
plusieurs professeurs et étudiants du Centre d'études et de
recherches en informatique juridique
- M. Bahige TABARRAH, Ministre de la Justice et plusieurs directeurs du
service du ministère de la Justice
- M. Elie FERZLI, Député de la Bekaa, Vice-Président de
la Chambre des Députés
- M. Wajdi Mallat, Président du Conseil constitutionnel et les membres
du Conseil constitutionnel
- Rencontre avec les chercheurs du CERMOC (Centre d'études et de
recherches sur le Moyen-orient contemporain) : MM. Michael YOUNG,
Directeur du Centre, Jihad al ZEIN, Joseph BAHOUT, Emmanuel BONNE, Jean
HANNOYER et Melle Agnès FAVIER
A Saïda
(Sidon)
- M. Fayçal SAYEGH, Administrateur du Mouhafez du Liban Sud
- M. Ahmad KALASH, Maire de Saïda
A Tyr
- Rencontre avec Lieutenant Colonel de Chambord, Commandant par interim des
Forces françaises de la FINUL et plusieurs militaires en présence
du Colonel DURAND, Attaché de défense près l'Ambassade de
France au Liban
A Kaslik
- M. Charles HELOU, Ancien Président de la République,
Président d'Honneur du Conseil de la Francophonie
- Réunion de travail à l'Université de Saint-Esprit de
Kaslik (USEK) avec : P Antoine KHALIFE, Assistant général de
l'Ordre Libanais Maronite, recteur de l'USEK, P. Basile BASILE,
Vice-Recteur, Doyen de la Faculté de Droit, M. Izzat EL-AYOUBI,
Vice-Président du Conseil d'Etat, Membre du Conseil de la Faculté
de Droit, M. Marwan KARKABI, Membre du Conseil Supérieur de la
Magistrature, Membre du Conseil de la Faculté de Droit, M. Ralph
RIACHY, Président de la Chambre Criminelle à la Cour de
Cassation, Professeur à la Faculté de Droit, M. Joseph
JREISSATI, Ancien Magistrat et Directeur général de la
Présidence de la République, Directeur des Etudes à la
Faculté de Droit, Membre du Conseil de la Faculté de Droit de
l'USEK, M. Raymond FARHAT, Membre du Conseil de la Faculté de Droit,
Mlle Philomène NASR, Membre du Conseil de la Faculté de
Droit, M. Jean-Guy SARKIS, Responsable des Relations Internationales
à la Faculté de Droit, M. Antoine DAHER, Magistrat,
Professeur à la Faculté de Droit, M. Khaïrallat GHANEM,
Avocat, Professeur à la Faculté de Droit, M. Raphaël
SFIER, Avocat, Professeur à la Faculté de Droit, Mme Maryvonne
DAHER, Avocat, Professeur à la Faculté de Droit
A Tripoli
- M. Misbah AHDAB, Député de Tripoli, Ancien Consul honoraire de
France à Tripoli
- M. Khalil HINDI, Administrateur du Liban-Nord
- Le Général Sami MENKARA, Maire de Tripoli
- Maître Georges JALLAD, Conseiller municipal
- Mme Rawya Majzoub BARAKÉ, Directrice de l'Institut des Beaux-Arts
à Tripoli (Université libanaise)
TITRE PREMIER
DU PACTE NATIONAL DE 1943
A
L'ACCORD DE TAEF (1989)
UN RÉÉQUILIBRAGE DES POUVOIRS ENTRE LES
CHRÉTIENS ET LES MUSULMANS AU SEIN D'UN ETAT MULTICONFESSIONNEL
L'HISTOIRE INSTITUTIONNELLE ET POLITIQUE DU LIBAN
:
QUELQUES REPÈRES CHRONOLOGIQUES
25 avril 1920 : La conférence de San Remo place le
Liban et la Syrie sous le mandat de la France.
1er septembre 1920 : Le Général Gouraud proclame la constitution
du Grand-Liban, séparé de la Syrie.
24 juillet 1922 : La SDN confirme le mandat français sur le Liban et la
Syrie.
23 mai 1926 : A la suite d'une révolte fomentée par les Druzes,
la France proclame la République libanaise sur le modèle de la
IIIème République.
1927 : Suppression du Sénat.
8 juin 1941 : Au nom du Général de Gaulle, le
Général Catroux proclame l'indépendance du Liban et de la
Syrie.
1943 : Le Parlement libanais met un terme aux prérogatives mandataires
de la France. Le Haut commissaire français fait arrêter les
autorités libanaises et les principaux chefs nationalistes,
libérés sur ordre du général de Gaulle le 22
novembre qui devient la date de la fête nationale. Un accord non
écrit, conclu entre les communautés chrétienne et
musulmane, le "Pacte national libanais " fonde un
confessionnalisme
politique " provisoire ".
1948 : Guerre israélo-arabe.
23 mars 1949 : Le Liban et Israël signent une convention d'armistice.
Afflux massif de réfugiés palestiniens.
1951 : Le Président du Conseil, Riad el Solh, est assassiné.
Camille Chamoun, considéré comme pro-occidental, devient
Président de la République.
1958 : Tensions intercommunautaires : la sixième flotte
américaine débarque en juillet.
Le Général Fouad Chéhab est élu Président
de la République. Le chéhabisme se traduit par un accroissement
du rôle des musulmans.
3 novembre 1969 : L'accord libano-palestinien du Caire consacre le droit
à la résistance palestinienne d'exister au Liban.
2 mai 1973 : Début des affrontements entre l'armée libanaise et
les forces palestiniennes.
13 avril 1975 : Début de la " guerre de deux ans " opposant
les milices chrétiennes à des " islamo-progressistes "
et aux Palestiniens.
8 mai 1976 : 6 000 soldats syriens entrent au Liban.
14 mars/23 juin 1978 : Israël envahit le Sud-Liban.
19 mars 1978 : La Résolution 425 du conseil de sécurité
demande à Israël de retirer " sans délai ses forces du
territoire libanais ". La Force Intérimaire des Nations Unies pour
le Sud-Liban (FINUL) est créée.
21 août/
3 septembre 1982 : Evacuation des Palestiniens de Beyrouth avec l'aide de la
France.
6 juin 1982 : Israël envahit le Liban.
10 juin 1985 : L'armée israélienne se retire du Liban à
l'exception de la partie Sud " la zone de sécurité ".
22 octobre 1989 : Les 62 députés libanais acceptent à
Taëf (Arabie Saoudite) le document " d'entente nationale "
proposé par le comité tripartite (Algérie, Arabie
Saoudite, Maroc).
22 novembre 1989 : Le Président de la République René
Moawad, Maronite, élu le 5 novembre est assassiné.
24 novembre 1989 : Le Parlement élit à la présidence M.
Elias Hraoui. Le Général Michel Aoun rejette les nouvelles
autorités : il est démis par le Premier ministre, M. Selim Hoss.
31 janvier 1990 : De violents combats opposent l'armée du
Général Aoun et la milice des Forces libanaises de M. Samir
Geagea.
2 mars 1990 : Les combats inter-chrétiens s'arrêtent sous la
pression de Monseigneur Nasrallah Sfeir, Patriarche d'Antioche et de tout
l'Orient, de la France et du Vatican.
21 septembre 1990 : Le Président Hraoui signe les amendements
constitutionnels adoptés le 21 août par le Parlement, qui fondent
la " Deuxième République Libanaise " (un
président de la République maronite, un premier ministre,
musulman sunnite et un président de l'Assemblée nationale,
musulman chiite).
13 octobre 1990 : Les armées libanaise et syrienne déclenchent
une offensive contre le réduit chrétien de Beyrouth. Le
Général Aoun se réfugie à l'Ambassade de France. La
France lui accorde l'asile politique.
21 octobre 1990 : Assassinat à Beyrouth de Dany Chamoun, fils de
l'ancien Président Camille Chamoun et responsable du mouvement politique
de soutien au Général Aoun, de sa femme et de ses deux enfants.
30 avril 1991 : Les milices restituent une partie de leurs armes.
26 août 1991 : Le Parlement adopte une amnistie générale
pour les faits commis depuis 1975.
30 août 1991 : Le général Aoun se rend en France pour un
exil de 5 ans.
6 mai 1992 : Des manifestations violentes contre la cherté de la vie
à Beyrouth provoquent la démission du Premier ministre Oskar
Karamé.
23, 30 août
et 3 septembre 1992 : Elections législatives.
16 octobre 1992 : M. Nabib Berry, chef de la milice chiite Amal est élu
Président de l'Assemblée nationale.
22 octobre 1992 : Le Président Elias Hraoui nomme comme Premier Ministre
M. Rafic Hariri.
20 décembre 1993 Attentat à la voiture piégée
contre le siège du Parti Kataëb (catholique) à Beyrouth.
27 février 1994 Attentat à la bombe dans une église de
Zouk Mikaël dans le Kesrouan.
23 mars 1994 Dissolution du parti politique des Forces libanaises.
Avril 1996 Opération israélienne " Raisins de la
colère ".
Août- .
septembre 1996 : Elections législatives
I. LE LIBAN : UNE MOSAÏQUE DE DIX-SEPT COMMUNAUTÉS
A la différence des pays européens, qui ont
évolué vers une plus grande laïcité de l'Etat et de
la société civile, le Liban demeure marqué par la question
spirituelle qui domine l'ensemble des rapports sociaux, y compris les
comportements politiques.
Avant même son appartenance à l'entité libanaise, le
Libanais de définit ou se détermine par référence
à sa confession.
De même, s'il souhaite se marier au Liban, le Libanais doit se rattacher
à un rite, car le droit libanais ignore le mariage civil ; autrement
dit, tout Libanais est tenu d'adhérer à une communauté,
qu'elle soit ou non celle de sa naissance.
Le Libanais est à la fois citoyen libanais et membre d'une
communauté confessionnelle.
A. LES COMMUNAUTÉS LÉGALEMENT RECONNUES
Les communautés légalement reconnues et
organisées par les lois et décrets sont au nombre de
quinze
7(
*
)
:
Les communautés chrétiennes
Les communautés reconnaissant l'autorité de Rome (6) :
- la communauté maronite (qui tire son nom d'un anachorète du
IXè siècle, Maron, vivant dans le Nord de la Syrie)
- la communauté grecque catholique
- la communauté arménienne catholique
- la communauté syrienne catholique
- la communauté chaldéenne
- la communauté latine.
Les communautés non rattachées à Rome (5) :
- la communauté grecque orthodoxe
- la communauté syrienne orthodoxe (jacobite)
- la communauté arménienne géorgienne
- la communauté nestorienne
- la communauté évangélique.
Les communautés musulmanes (3) :
- la communauté sunnite
- la communauté chiite
- la communauté druze.
La communauté israélite.
* *
*
A côté de ces communautés
organisées par des lois et décrets, il existe deux autres
communautés officiellement reconnues mais non organisées en
raison de leur faible importance numérique; :
- les Ismaéliens
- les Alaouites.
B. LA NOTION DE COMMUNAUTÉ
Le texte de référence pour la reconnaissance
officielle des communautés est un arrêté du
13 mars 1936 du Haut-Commissaire de la République
Française pour la Syrie et le Liban.
L'article 2 de cet arrêté dispose clairement que "
la
reconnaissance légale d'une communauté à statut personnel
a pour effet de donner au texte définissant son statut force de loi et
de placer ce statut et son application sous la protection de la loi et le
contrôle de l'autorité publique
".
Les communautés confessionnelles ont été consacrées
par la Constitution dont l'article 9 garantit aux populations, à
quelque rite qu'elles appartiennent, le respect de leur statut personnel et de
leurs intérêts religieux. De même l'article 10 prohibe
toute atteinte "
au droit des communautés d'avoir leurs
écoles, sous réserve des prescriptions générales
sur l'instruction publique édictées par l'Etat. Enfin, les chefs
des communautés confessionnelles peuvent saisir directement le Conseil
constitutionnel sur toute question concernant le statut personnel, la
liberté de croyance, la liberté de culte et la liberté de
l'enseignement religieux.
".
Chaque communauté a son propre statut personnel qui relève des
tribunaux confessionnels. Ainsi, le système judiciaire des maronites
comprend, sans préjudice des compétences propres du Patriarche,
le tribunal diocésain, le tribunal d'appel traditionnel et le synode
permanent.
La cour permanente de justice internationale de La Haye a tenté, dans un
avis en date du 31 juillet 1930, une définition plus
générale de la notion de communauté
8(
*
)
.
"
D'après la tradition qui a une force si particulière
dans les pays d'Orient, la " communauté " apparaît comme
une collectivité de personnes vivant dans un pays ou une localité
donnée, ayant une race, une religion, une langue et des traditions qui
leur sont propres, et unies par l'identité de cette race, de cette
religion, de cette langue et de ces traditions, dans un sentiment de
solidarité, à l'effet de conserver leurs traditions, de maintenir
leur culte, d'assurer l'instruction et l'éducation de leurs enfants,
conformément au génie de leur race et de s'assister
mutuellement
".
Selon Mme Élisabeth Picard
9(
*
)
" Une
communauté ... est plus qu'une adhésion à une foi, c'est
un cadre social, politique, voire économique ".
Sur le plan politique, la structure communautaire apparaît comme la
garantie d'une représentation équitable des minorités
confessionnelles, notamment des minorités chrétiennes qui
évoluent dans un environnement islamisé, avec le risque que
l'expression communautaire puisse entrer en concurrence avec le sentiment
national.
Les rapports sociaux sont en quelque sorte
" médiatisés " par les communautés qui sont
autant d'écrans entre l'Etat et les citoyens.
C. LA RÉPARTITION COMMUNAUTAIRE DE LA POPULATION
Pour apprécier le poids démographique de chaque
communauté, l'outil statistique fait défaut.
Le dernier recensement date de 1932 et donnait une majorité importante
aux chrétiens (+ de 56 %).
En 1986, le Centre Catholique d'Information a publié de nouvelles
statistiques démographiques selon lesquelles le nombre des
chrétiens serait toujours légèrement supérieur
à celui de leurs compatriotes musulmans.
Selon des données plus récentes, les musulmans seraient devenus
nettement majoritaires (63,5 %, dont 29 % de chiites, contre
36,5 % pour l'ensemble des chrétiens).
Sans doute le refus d'organiser un nouveau recensement de l'ensemble de la
population correspond-il à la volonté de ne pas toucher à
l'équilibre institutionnel entre les chrétiens et les musulmans ?
Quoi qu'il en soit, l'accord de Taëf a pris en compte la baisse sensible
de la part relative des chrétiens dans la population libanaise en
instituant la parité entre chrétiens et musulmans pour la
répartition des 108 sièges de la Chambre des
Députés qui comprenait auparavant 66 chrétiens et
33 musulmans.
II. LE PACTE NATIONAL DE 1943 : UN ACCORD NON ÉCRIT ENTRE MARONITES ET SUNNITES
Cet accord non rendu public, qui est décrit traditionnellement comme la charte constitutive du Liban, a été signé entre Bechara-el-Khouri, maronite, chef du Destour qui devient Président de la République et Riad-el-Solh, sunnite, qui devient Premier ministre.
A. LA NATION LIBANAISE COMME RÉSULTANTE D'UN COMPROMIS COMMUNAUTAIRE
Cet accord reconnaissait tout d'abord l'indépendance de
la Nation libanaise à l'égard de tous les Etats d'Occident ... et
d'Orient. Il consacrait ensuite l'appartenance au monde arabe du Liban qui
devait coopérer avec les Etats arabes frères " jusqu'aux
plus extrêmes limites ". Ainsi, le Liban adhère le
7 avril 1945 à la Ligue arabe et s'oppose avec l'ensemble des
pays de la région à la naissance d'Israël en 1948. Cet
accord repose sur un échange en bonne et due forme : les Sunnites
concèdent l'indépendance du Liban en contrepartie de la
reconnaissance par les maronites de l'arabité du Pays du Cèdre.
La Nation repose ainsi sur un " foedus ", un
" pacte ",
comme si elle se limitait à l'expression d'un compromis communautaire,
d'un modus vivendi, d'un " mode de vie collective "
10(
*
)
.
Comme le souligne le Père Basile Basile
11(
*
)
,
" la particularité fondamentale du
Liban qui est la raison d'être de la Nation libanaise est la
" convivialité " concordante entre ses quinze
communautés appartenant aux trois grandes religions monothéistes
de l'humanité : le Christianisme, l'Islam et le Judaïsme
".
B. LA RÉPARTITION CONFESSIONNELLE DES FONCTIONS PUBLIQUES DANS LA PREMIÈRE RÉPUBLIQUE
Pour formaliser l'équilibre confessionnel de
l'entité libanaise, le Pacte a débouché sur une
répartition des plus hautes fonctions de l'Etat :
- aux maronites, la Présidence de la République, clef de
voûte de la Constitution promulguée en 1926, et le commandement de
l'Armée ;
- aux sunnites, la Présidence du Conseil des Ministres ;
- aux chiites, la Présidence du Parlement ;
- aux grecs orthodoxes, la vice-présidence du Parlement.
L'attribution de la Présidence de la République aux
chrétiens marquait l'hégémonie des maronites. La
prépondérance des chrétiens s'exprimait de même au
sein de la Chambre des Députés : 66 députés
sont chrétiens contre 33 musulmans.
La répartition des fonctions au sein du Gouvernement et de
l'administration s'est faite selon le principe de la parité et sur la
base de l'article 95 de la Constitution, abrogé par les accords de
Taëf.
"
A titre transitoire et conformément aux dispositions de
l'article premier de la Charte du Mandat, et dans une intention de justice et
de concorde, les communautés seront équitablement
représentées dans les emplois publics, et dans la composition du
ministère sans que cela puisse cependant nuire au bien de
l'Etat
".
Ainsi, le confessionnalisme a pénétré tous les rouages de
l'Etat, mais aussi l'appareil judiciaire, les collectivités locales, le
secteur bancaire ... C'est l'ensemble de la société libanaise qui
se plie à la logique du partage confessionnel des postes et des
mérites.
Dès les premiers jours de son indépendance, le Liban se
présente
comme une " fédération " de
communautés confessionnelles
.
Certes, au regard des critères du droit constitutionnel classique, le
Liban est un Etat unitaire.
En raison de la reconnaissance
de jure
des communautés
confessionnelles, le Liban est en fait un Etat composé, bigarré,
qui ne devait pas tarder à montrer ses faiblesses face aux
répercussions du conflit israélo-arabe.
III. LA GUERRE CIVILE (ET INTERNATIONALE) DE QUINZE ANS : LA MISE ENTRE PARENTHÈSES DE L'ETAT
Pour reprendre les propos de M. Bahige Tabarrah, Ministre de
la Justice, la guerre qui a débuté en 1975 a été
"
longue, coûteuse et plus grave proportionnellement que la
Seconde Guerre Mondiale pour la France
".
Cette guerre civile a également présenté un
caractère national car le Liban a connu successivement l'arrivée
de l'Armée syrienne sous les couleurs de la Force Arabe de Dissuasion et
l'invasion de l'armée israélienne qui, dans le cadre de
l'opération " Paix pour la Galilée ", a occupé
une partie du Liban de 1982 à 1985.
Aujourd'hui encore, de nombreux Libanais considèrent que ce conflit n'a
pas été vraiment le leur, comme s'il s'agissait d'un complot
ourdi par des puissances étrangères.
A. LA CAUSE PRINCIPALE DU CONFLIT LIBANAIS : LA PRÉSENCE DE QUELQUE 400 000 PALESTINIENS (100 000 EN 1948)
Sans entrer dans le débat nécessairement
complexe sur les multiples causes du conflit libanais, il faut rappeler que les
premiers affrontements trouvent leur origine dans la présence de
Palestiniens.
L'Accord du Caire, signé le 3 novembre 1969 dans des
conditions aujourd'hui encore obscures
12(
*
)
,
confirme la liberté de déplacement des " fedayin " en
armes vers les zones de combat du Sud, sous la réserve, sans doute
formelle, que "
les autorités libanaises continuent à
exercer leurs complètes attributions et responsabilités dans
toutes les régions libanaises en toutes circonstances
".
Ainsi, après les massacres de septembre 1970 en Jordanie, le Liban
devient le premier centre de la résistance palestinienne, si bien
qu'Israël regarde le Liban comme le danger principal.
Peu à peu, les Palestiniens acquièrent un rôle politique et
militaire de première importance. Ils représentent en effet plus
de 15 % de la population et comptent plusieurs dizaines de milliers de
combattants, soit plus que l'armée libanaise composée seulement
de 15 000 hommes.
Comme l'a rappelé l'un de nos interlocuteurs, les Palestiniens
" tiennent " le Liban au début des années 1970.
Ils mettent le pays en coupe réglée, multiplient les
contrôles et se substituent de plus en plus aux autorités
libanaises.
Les camps palestiniens finissent par constituer un Etat dans
l'Etat.
Kamal Joumblatt l'avait souligné dans un entretien au Nouvel Observateur
:
"
Nous avons été gênés par la tutelle
permanente qu'ils exerçaient sur nous. Ils ont toujours pratiqué
une sorte de mandat. Ils contrôlaient les circuits de ravitaillement.
Nous devions passer par eux pour obtenir des armes.
"
De fait, les Palestiniens ont vu dans le Liban le maillon le plus faible de la
chaîne des Etats qui entourent Israël.
Le ressentiment accumulé contre les Palestiniens explique les premiers
affrontements en 1975 entre les milices chrétiennes et les Palestiniens
assistés par des " forces islamo-progressistes ". Un an
après, les Syriens interviennent pour séparer les combattants,
sans doute aussi pour éviter une victoire décisive des
Palestiniens.
Au lendemain de la guerre, les Palestiniens, même s'ils ont
été cantonnés dans des camps disséminés
à travers le pays, continuent à représenter une bombe
à retardement, un véritable brûlot pour le Liban, en
même temps qu'un problème de nature humanitaire géré
par l'ONU.
L'incertitude demeure sur leur importance numérique qui, selon certaines
estimations, varie entre 300 000 et 400 000 personnes, car de
nombreux Palestiniens seraient partis à l'étranger.
Quoi qu'il en soit,
les Palestiniens suscitent une réaction de
rejet
. Les Libanais semblent en particulier hostiles à toute mesure
qui pérenniserait leur situation soit comme citoyens, soit comme
résidents permanents. La naturalisation de
400 000 Palestiniens poserait en outre le problème de
l'équilibre entre les chrétiens et les musulmans et se heurterait
en tout état de cause à l'hostilité des Chiites, dans la
mesure où les Palestiniens sont en très grande majorité de
confession sunnite.
Certes, les mariages mixtes peuvent favoriser l'intégration de quelques
Palestiniens car, si le mari est de nationalité libanaise, les enfants
d'une Palestinienne acquerront cette nationalité.
Mais par principe, comme l'a marqué l'un de nos interlocuteurs, les
Palestiniens doivent rester " un problème temporaire " qui
doit trouver sa solution dans le règlement du conflit
israélo-arabe.
B. LES CONSÉQUENCES TOUJOURS ACTUELLES DU CONFLIT LIBANAIS : PLUS DE 400 000 DÉPLACÉS ET 750 000 ÉMIGRÉS.
Par tradition, le Liban est un pays d'émigration dans
la mesure où la diaspora libanaise a pu être estimée
à quelque 15 millions de personnes.
La guerre civile a entraîné une nouvelle vague
d'émigrés, notamment vers l'Amérique du Nord comme le
montre le tableau suivant :
Émigration libanaise entre 1975 et 1994
Pays |
Émigres |
% |
Etats-Unis |
144 342 |
19,8 |
Australie |
109 350 |
15 |
Canada |
107 892 |
14,8 |
France |
91 854 |
12,6 |
Autres |
275 562
|
37,8
|
Total |
729 000 |
100 |
Pour l'heure, on n'assiste pas à un retour significatif
des Libanais, sauf peut-être des Chiites qui reviennent au Liban
après avoir fait fortune en Afrique.
La question des déplacés est l'une des questions les plus graves
pour le chef du Gouvernement qui a d'ailleurs confié le ministère
des déplacés à M. Walid Joumblatt. A l'heure
actuelle, ce sont moins de 20 % de déplacés qui ont pu
retrouver leur domicile antérieur. L'appel final du Synode pour le Liban
qui s'est tenu à Rome en novembre 1995 a d'ailleurs mis l'accent sur la
nécessité de donner un nouvel élan à la politique
de retour. Il convient par ailleurs de signaler que le nombre total des
personnes occupant illégalement un logement s'élève
à 266 480.
Sans que l'on puisse parler de purification ethnique comme dans
l' " ex-Yougoslavie ", les communautés se sont
regroupées de fait sur des parties du territoire bien
déterminées, à telle enseigne qu'on a pu parler de la
" cantonnisation " du Liban.
Pour prendre un seul exemple, il ne reste après septembre 1983 plus de
chrétiens dans la région montagneuse du Chouf.
Par la nécessité des choses, le déplacement des
populations a provoqué une urbanisation sauvage qui, selon le maire de
Tripoli, a constitué le signe le plus apparent de la mise entre
parenthèses de l'Etat.
A l'instar de l'armée qui a éclaté en fractions
communautaires, l'Etat s'est effondré à partir de 1975.
Aucune autorité constituée n'a pu s'opposer à des
constructions illicites, notamment aux abords de l'aéroport
international de Beyrouth, constructions que le Gouvernement tente aujourd'hui
de faire détruire.
De même, le délitement de l'Etat a permis la multiplication
anarchique des organes de radio et de télévision. Là
encore, le Gouvernement s'efforce de réorganiser l'espace audiovisuel
par la création d'un organe semblable au Conseil Supérieur
Audiovisuel.
Tous ces efforts tendant à la reconstitution de l'Etat s'inscrivent dans
le droit fil de l'accord de Taëf qui, comme pour tourner la page du
conflit libanais, a institué la Deuxième République
libanaise.
IV. L'ACCORD DE TAËF: LA REMISE EN CAUSE DE LA SUPRÉMATIE DES MARONITES DANS LA DEUXIÈME RÉPUBLIQUE
Le " Document d'entente nationale ",
ratifié
dans la ville saoudienne de Taëf par les députés libanais en
novembre 1989 a pour origine un plan en sept points élaboré par
un comité tripartite arabe réunissant l'Algérie, le Maroc
et l'Arabie Saoudite.
L'accord de Taëf qui est défini comme " le pacte de la
coexistence ", préconisait la fin des hostilités, une
nouvelle formule de partage du pouvoir, le retrait des troupes syriennes
jusqu'à la Bekaa et l'élection d'un nouveau président.
Le Député maronite du Nord, M. René Moawad, est élu
Président par les députés libanais le
13 novembre 1989 au cours d'une séance qui se tient à
l'aérodrome de Qoubaiyat (Liban-Nord). Le nouveau Président est
assassiné le 22 novembre 1989, jour de la fête nationale
commémorant l'indépendance du Liban et remplacé le
25 novembre par M. Elias Hraoui.
Le conflit libanais s'achève un mois plus tard avec l'assaut contre le
Palais Présidentiel et le Ministère de la Défense
mené par l'armée syrienne secondée par des unités
de l'armée libanaise fidèles à M. Hraoui.
A. LES PRINCIPES GÉNÉRAUX DE L'ACCORD : LA RÉAFFIRMATION DE L'IDENTITÉ LIBANAISE
L'accord de Taëf réaffirme en premier lieu
l'unité, la liberté et l'indépendance du Liban.
Par delà son caractère multiconfessionnel, l'Etat libanais est
unitaire, ce qui exclut de le transformer en une confédération ou
une fédération de communautés confessionnelles. Sur la
base de l'appartenance à telle ou telle confession, il ne saurait y
avoir ni répartition de population ni partition du pays. C'est le rejet
de la " cantonnisation " du Liban.
Le Liban est un " pays arabe, d'appartenance et d'identité "
dont les frontières sont internationalement reconnues, ce qui devrait
exclure toute annexion de tout ou partie de son territoire par l'un de ses
voisins, la Syrie et a fortiori Israël. Néanmoins, l'accord de
Taëf consacre un paragraphe spécifique aux relations
libano-syriennes : le Liban entretient avec la Syrie "
des
relations
privilégiées qui tirent leur force du voisinage, de l'Histoire et
des intérêts fraternels communs
". Sur la base de cette
déclaration de principe, les deux pays ont signé le
22 mai 1991 un traité de fraternité, de
coopération et de coordination qui est allé jusqu'à la
création d'un Conseil Supérieur composé des plus hautes
autorités constitutionnelles des deux pays.
L'accord de Taëf préconise également le retour à
l'Etat de droit en présentant le Liban comme une
"
République démocratique parlementaire fondée sur
le principe du respect des libertés publiques et en premier lieu de la
liberté d'opinion et de croyance
". Le libéralisme
politique trouve un prolongement dans le domaine économique, puisque
l'accord de Taëf réaffirme avec force que le système
économique est libéral et garantit comme tel l'initiative
individuelle et la propriété privée.
Les autres mesures prévues par l'accord vont dans le sens du
rétablissement de l'Etat de droit : dissolution des milices avec remise
des armes à l'Etat libanais, renforcement des forces de
sécurité intérieure, droit pour chaque Libanais
déplacé de regagner le lieu de sa résidence d'origine.
B. LES RÉFORMES POLITIQUES : LA DEUXIÈME RÉPUBLIQUE13( * )
1. La création d'un Conseil constitutionnel, " enfant adoptif " du Conseil constitutionnel français
La formule du Président du Conseil constitutionnel, M.
Wajdi Mallat, confirme que le législateur libanais s'est inspiré
du modèle français. Toujours selon les propos de M. Mallat,
l'institution du conseil est destinée "
à pacifier et
à réguler la vie politique libanaise
".
Créé par la révision de 1990, le Conseil constitutionnel a
vu son organisation précisée par la loi de 1993.
La composition
:
Le Conseil constitutionnel est un organe formé de juristes
professionnels dans la mesure où ses membres doivent être pris
parmi des magistrats, des avocats ou des professeurs de droit. Cinq sont
choisis par la Chambre des Députés à la majorité
absolue et cinq par le Conseil des Ministres à la majorité des
deux tiers. Le mandat des membres du conseil est de six ans non renouvelables.
Le Président et le Vice-Président sont élus pour trois ans
par leurs pairs.
Pendant son mandat, il est interdit à tout membre de donner un avis ou
une consultation sur une question qui lui est soumise.
La saisine
:
La saisine est réservée au Président de la
République, au Président de la Chambre des Députés,
au Président du Conseil des Ministres, à dix
députés ainsi qu'aux chefs des communautés reconnues
légalement en ce qui concerne exclusivement le statut personnel, la
liberté de conscience, l'exercice des cultes religieux et la
liberté de l'enseignement religieux.
Le contrôle de la constitutionnalité des lois
:
Le Conseil constitutionnel ne peut être saisi que d'une loi
promulguée et publiée au Journal officiel. Les autorités
qui ont le droit de saisine ont un délai de quinze jours pour
déférer la loi. Une fois ce délai passé, la loi est
à l'abri de toute contestation.
Les délibérations sont couvertes par le secret. Les
décisions doivent être approuvées par une majorité
de sept membres et le quorum requis est de huit membres. En règle
générale, c'est l'unanimité du conseil qui est
recherchée. Comme en France, les opinions dissidentes, si tant est
qu'elles soient reconnues, ne font l'objet d'aucune publicité : si la
dissidence existe, a souligné M. Mallat, elle demeure cachée.
Le conseil doit rendre sa décision dans un certain délai. Si le
conseil n'a pas statué avant l'expiration de ce délai, la loi
déférée est réputée constitutionnelle.
Le contrôle de la régularité des élections
:
Le Conseil constitutionnel a pour mission de s'assurer de la validité
des élections présidentielles et parlementaires.
2. Le rééquilibrage au sein de l'exécutif : le déclin de la fonction présidentielle
Le Président de la République perd un grand
nombre de ses prérogatives au profit du Président du Conseil et
du Gouvernement.
Ainsi le pouvoir exécutif n'est plus confié au Président
de la République qui l'exerçait avec l'assistance des ministres,
mais au Conseil des Ministres.
Le Président de la République peut présider le Conseil des
Ministres lorsqu'il le désire, mais sans prendre part au vote. Il nomme
toujours le Chef du Gouvernement mais après consultation du
Président de l'Assemblée et sur la base de consultations
parlementaires impératives. Il ne peut plus révoquer le Premier
ministre ou les Ministres.
Le Premier ministre devient le véritable centre de décision.
Comme chef du Gouvernement, il représente celui-ci et s'exprime en son
nom. Il préside en principe le Conseil des Ministres et assure de droit
la vice-présidence du Conseil Supérieur de la Défense.
3. L'accroissement des attributions de la présidence de la Chambre des Députés
Le Gouvernement, pour exercer ses prérogatives, doit
obtenir la confiance de la Chambre dans un délai de trente jours.
Parallèlement, le Président de la Chambre, M. Nabib Berry, par
ailleurs chef du mouvement Amal, voit son rôle renforcé. Elu pour
quatre ans (au lieu d'un an), il intervient lors de l'élection du
Président de la République et au moment du choix du Premier
ministre. Il a la maîtrise de l'ordre du jour de l'assemblée, ce
qui lui permet de s'opposer à la discussion d'un texte d'origine
gouvernementale.
* *
*
Au total, la révision constitutionnelle issue de
l'accord de Taëf entérine sur le plan juridique
la moindre
influence des chrétiens et la plus grande place des musulmans
,
notamment des sunnites qui détiennent la fonction constitutionnelle la
plus importante, à savoir la présidence du Conseil.
Il reste que les pouvoirs respectifs des trois présidents sont
susceptibles de se neutraliser et de conduire à la paralysie. Le Liban
est en fait dirigé par une "
troïka
" ou un
triumvirat
dont le bon fonctionnement suppose une entente constante
entre les Présidents de la République, du Conseil des Ministres
et de la Chambre des Députés. A défaut, les
désaccords ou les conflits, lorsqu'ils surgissent, nécessitent
l'arbitrage de Damas et entraînent un renforcement de la tutelle syrienne
sur les affaires intérieures du Liban.
Les rapports de force au sein de ce triumvirat reflètent, en tout cas,
la nouvelle répartition des responsabilités entre les
chrétiens, les sunnites et les chiites.
Une fois de plus, les druzes sont écartés du partage des
fonctions essentielles de l'Etat, d'où peut-être l'idée de
confier à un druze la présidence d'un Sénat à
mettre en place après la fin du confessionnalisme politique.
C. LA PERSPECTIVE DE LA DÉCONFESSIONNALISATION DE LA VIE PUBLIQUE
La première Constitution libanaise de 1926 avait retenu
le principe de l'abolition du confessionnalisme politique dans la mesure
où la répartition communautaire des fonctions et emplois publics
présentait un caractère transitoire (article 95 de la
Constitution).
L'Accord de Taëf reprend à son compte ce principe :
"
l'abolition du confessionnalisme politique est un objectif
national
primordial qui sera réalisé, par étapes, selon un
plan
".
L'article 95 de la Constitution a confié l'établissement de
ce plan à la Chambre des Députés élus sur une base
égalitaire entre les musulmans et les chrétiens (64-64) qui
pourrait délibérer à partir des travaux d'un comité
national présidé par le Président de la République
et comprenant en sus du Président de la Chambre des
Députés et du Président du Conseil des Ministres, des
personnalités politiques, intellectuelles et sociales.
Dans l'attente de la réalisation de ce plan, la Constitution a
institué un dispositif transitoire prévoyant :
- la représentation équitable des communautés dans la
formation du Gouvernement. Ainsi le Gouvernement formé par M. Rafic
Hariri le 25 mai 1995 comprenait 15 musulmans (7 sunnites, 5
chiites, 3 druzes) et 15 chrétiens (6 maronites, 4 grecs
orthodoxes, 3 grecs catholiques, 1 arménien,
1 arménien orthodoxe) ;
- la suppression de la représentation confessionnelle, à
l'exception des fonctions de la première catégorie, dans la
fonction publique, la magistrature ou les institutions militaires et son
remplacement "
par la spécialisation et la
compétence
".
A terme, la Chambre des Députés serait élue sur une base
nationale non communautaire.
Afin de maintenir une certaine représentation des familles spirituelles,
il serait institué un Sénat dont les prérogatives seraient
"
restreintes aux questions engageant l'avenir du
pays
".
Depuis 1990, et exception faite de la suppression de la mention de
l'appartenance communautaire sur les documents d'identité, le dossier de
l'abolition du confessionnalisme politique n'a pas progressé.
Ainsi, comme l'a confirmé un entretien particulièrement
intéressant avec M. Elie Ferzli, Vice-Président de la Chambre des
Députés, le fonctionnement et l'organisation internes de
celle-ci
14(
*
)
demeurent marquées par la
logique communautaire.
Tel est le cas en premier lieu pour la répartition des fonctions : la
présidence revient à un chiite, la vice-présidence
à un grec orthodoxe. La présidence de la commission des
Lois
15(
*
)
, la "
mère de toutes
les commissions
" selon M. Ferzli, doit être attribuée
à un maronite.
Le clivage droite-gauche semble moins important que le réflexe de
l'allégeance communautaire. Ce constat doit être
tempéré par le fait que le confessionnalisme perd de son
influence lors des débats techniques. L'expérience montre au
surplus que s'ils sont élus sur une base confessionnelle, les
députés se comportent au cours de leur mandat comme des
représentants de la Nation, d'autant que la Constitution prohibe tout
mandat impératif.
Pour M. Issam Sleimann
16(
*
)
, les groupes
parlementaires ne sont que "
l'expression de la structure
confessionnelle et clanique du pays
".
Ainsi, dans l'Assemblée élue en 1992, on pouvait recenser parmi
les groupes les plus importants le bloc chiite présidé par M.
Nabib Berry, le bloc du Hezbollah, le Parti socialiste Progressiste qui
rassemble les druzes du Chouf, 6 députés du Parti Socialiste
National Syrien, 5 députés du parti arménien Tachnag,
mais aussi deux blocs multiconfessionnels, le " bloc du
Nord "
présidé par M. Karamé et celui dirigé par M. Selim
Hoss.
A la suite des élections d'août-septembre 1996, le
Président du Conseil, M. Rafic Hariri, disposera d'un bloc d'au moins
18 députés.
TITRE II
LES ÉLECTIONS
LÉGISLATIVES
D'AOÛT-SEPTEMBRE 1996
UN SCRUTIN
ORGANISÉ DANS UN PAYS OCCUPÉ
Le Liban présente cette particularité d'avoir
sur son sol quatre armées :
- l'Armée libanaise (60 000 hommes)
- l'Armée syrienne (35 000 hommes)
- l'Armée israélienne
- l'Armée du Liban-Sud (ALS), auxiliaire des forces isréaliennes.
Si le stationnement des troupes syriennes est plus ou moins bien
toléré, les forces armées israéliennes, de
même que l'armée du Liban-Sud, font l'objet d'un rejet de
l'ensemble de la population libanaise, d'autant que les Israéliens
maintiennent le blocus des parts du Liban-Sud comme Saïda en
empêchant les bateaux d'aller au-delà d'une bande de
10 kilomètres.
I. UNE QUESTION CRUCIALE POUR L'AVENIR DU LIBAN : LE RETRAIT DE L'ARMÉE ISRAÉLIENNE DU LIBAN-SUD
Si Israël n'a aucune revendication territoriale à
l'égard du Liban, l'armée israélienne occupe une
zone
de sécurité
de 1 000 km
2
soit le
dixième du territoire libanais.
Les Israéliens sont assistés par l'armée du Liban-Sud
composé de Libanais orginaires de cette zone.
La rencontre avec le lieutenant Colonel de Chambord, commandant par
intérim des Forces Françaises de la FINUL et plusieurs militaires
du contingent français a permis de recueillir des informations sur cette
armée qui s'apparente plutôt à une milice stipendiée
par Israël et forte de 3 000 hommes de toutes confessions.
A l'origine, l'ALS comprenait exclusivement des chrétiens qui ont
enrôlé ensuite de force des musulmans, chaque famille devant
verser le tribut d'un jeune.
Que vont-ils devenir dans l'hypothèse d'un accord de paix avec
Israël ?
Les militaires de l'ALS qui n'ont aucun crime à se reprocher
bénéficieront vraisemblablement d'une amnistie au nom de la
nécessaire réconciliation interlibanaise et seront, le cas
échéant, intégrés dans l'armée libanaise.
Mais selon toute vraisemblance, les responsables de l'ALS n'auront d'autre
possibilité que de se replier en Israël. Un problème sans
solution évidente se posera pour certains éléments qui ne
seront accueillis ni par Israël ni par le Liban.
Dans cette zone occupée, les administrations libanaises, la gendarmerie
et la sûreté générale fonctionnent comme dans le
reste du pays. De même, les habitants ont pu participer aux
élections législatives, des urnes ayant été
installées à Beyrouth ou à la périphérie de
la zone de sécurité. A la différence du scrutin de 1992,
les israéliens et l'ALS ont laissé les électeurs de la
zone de sécurité accomplir leur devoir électoral.
Les Israéliens et leurs " supplétifs " doivent faire
face à la Résistance, c'est-à-dire au Hezbollah et dans
une moindre mesure au mouvement Amal qui de temps à autre se livre
à des actions pour tenter de montrer qu'il continue à exister.
A ce sujet, il faut noter que le Hezbollah est la seule milice qui n'ait pas
été désarmée, car il symbolise la résistance
à l'occupant israélien et en tant que tel bénéficie
d'une grande popularité auprès des Libanais. Le Hezbollah
constitue une forme de maquis qui harcèle les positions des
Israéliens et de leurs alliés. Mais la riposte israélienne
équivaut au décuple de l'action de résistance menée
par le Hezbollah.
Quant aux militaires de la FINUL (4 500 hommes dont
250 Français qui assurent la protection et la
sécurité de l'état-major de la FINUL), ils ont pour
principales missions d'assurer le retrait des Israéliens et d'aider le
Gouvernement libanais à restaurer son autorité sur la bande
frontière du Liban-Sud.
En avril dernier,
l'opération " Raisins de la
colère " lancée par Israël au Liban-Sud a
provoqué l'apparition d'un concensus national en donnant une
légitimité renforcée au triumvirat qui préside aux
destinées du Liban
. Les trois présidents (de la
République, du Conseil et du Parlement), par delà leurs
divergences, ont su travailler ensemble à la recherche d'une solution
politique. L'opposition, y compris les milieux maronites, ont respecté
une forme de trêve et les Libanais ont fait preuve d'une très
grande solidarité à l'égard des
250 000 personnes chassées du Liban-Sud par les bombardements
israéliens.
Le Président du Conseil, M. Rafic Hariri, apparaît comme le
grand bénéficiaire de cette " Union sacrée " :
par ses réactions, il a su consolider sa stature de leader charismatique
qui dépasse les frontières communautaires.
Dans le même temps, l'intransigeance d'Israël a eu pour effet
indirect d'améliorer l'image du Hezbollah, à la fois mouvement de
libération et force politique qui s'est parfaitement
insérée dans le paysage politique libanais.
Quoi qu'il en soit, l'opération " Raisins de la
colère " s'est achevée le 26 avril par la conclusion
d'un cessez-le-feu interdisant les opérations de destruction à
partir de zones habitées ; la surveillance de cet accord a
été confiée à un comité comprenant outre le
Liban et Israël, la Syrie, les Etats-Unis et la France. En deux mois
d'activité, ce comité a examiné quatre plaintes dont trois
libanaises.
Comme l'a souligné le Président de la République, M. Elias
Hraoui, le Liban-Sud constitue le problème majeur du Liban, car
l'occupation israélienne sert de prétexte ou de justification
au maintien au Liban de l'armée syrienne
. Le Liban est en quelque
sorte pris entre le marteau israélien et l'enclume syrienne.
II. LES VISÉES DE LA SYRIE : L'ANNEXION ? LA FINLANDISATION DU LIBAN ? LA GARANTIE DE SA PROPRE SÉCURITÉ ?
A. DU " PETIT-LIBAN " AU " GRAND-LIBAN "
La politique de la Syrie au Liban, si tant est qu'on puisse
percer les visées du Président de la République arabe
syrienne, ne peut se comprendre qu'à la lumière des circonstances
qui ont présidé à la fondation du Liban moderne à
la suite de l'effondrement de l'empire ottoman.
C'est en effet le 1er septembre 1920 que le Général
Gouraud, Haut-Commissaire de la République française au Liban et
en Syrie, proclame la naissance du Grand-Liban en présence notamment du
patriarche maronite et du Grand Mufti des musulmans.
" ...
Par devant tous ces témoins de vos espoirs, de vos luttes
et de votre victoire, c'est en partageant votre fierté que je proclame
le Grand-Liban et qu'au nom de la République française, je le
salue dans sa grandeur et dans sa force du Nahr-el-Kébir aux portes de
la Palestine et aux crêtes de l'anti-Liban
".
A la Moutassarifiya du Mont-Liban
17(
*
)
, qui
comprenait presqu'exclusivement des maronites et des druzes, et à la
ville de Beyrouth, s'ajoutent des territoires pris sur la Syrie, soit quatre
cantons de la Bekaa, Tripoli, ainsi que Tyr et Saïda.
La création du Grand-Liban est confirmée par la
Déclaration de Mandat de 1992. L'Etat du Grand-Liban devient la
République du Liban en application de la constitution promulguée
en 1926
18(
*
)
.
Les circonstances qui ont entouré la création de la
République libanaise, et notamment le rôle déterminant
joué par la France, explique sans nul doute les propos
prêtés au Président Hafez El Assad :
"
Le Liban est une erreur du Général Gouraud. Il n'a
jamais existé. C'est une partie de la Syrie
"
19(
*
)
.
De même, le président syrien aurait déclaré le
13 janvier 1986 au Président Gémayel :
"
Vous me parlez du Liban, mais le Liban n'existe qu'en tant que
Mohafazat (département) de la Syrie. Si nous parlons officiellement du
Liban, c'est seulement pour l'opinion mondiale
".
B. LE RÊVE DE LA " GRANDE SYRIE " : MYTHE OU RÉALITÉ ?
L'unionnisme syrien apparaît aux yeux de certains comme
une constante de la diplomatie de Damas. Si le Liban a été admis
comme membre à part entière de la ligue des pays arabes, Damas
n'a jamais ouvert d'Ambassade à Beyrouth.
Ainsi, la délégation de la commission des Lois a pu constater en
plusieurs endroits la présence d'un panneau représentant le
Président Hafez El Assad et reprenant l'un de ses slogans " Le
Liban et la Syrie : un seul peuple, un seul Etat ".
Le rattachement du Liban à la Syrie est même
préconisé par le Parti syrien national social.
Le Parti Syrien National Social
d'après Gérard Figuié (Le point sur le Liban)
"
Ce parti fut formé à
l'Université Américaine de Beyrouth en 1932 par un professeur,
Antoun Saadé.
" La doctrine du parti repose sur l'affirmation qu'il existe une
" nation syrienne " antérieure au Christianisme et à
l'Islam. Le PSNS prétend réanimer cette nation et la faire
revivre. Il se propose de réformer le Liban en abolissant le
confessionnalisme et en instituant la laïcité. Il prône
l'allégeance au nationalisme syrien.
" Ce parti a eu avec l'autorité libanaise une longue histoire
entachée de violence. Reconnu officiellement en 1944, il fut dissous une
première fois en 1949 après la découverte d'un complot
contre la sûreté de l'Etat. Son fondateur arrêté et
fusillé. Reconnu une seconde fois en 1958, il fut dissous de nouveau en
1962 à la suite d'une tentative avortée de prendre le
contrôle de l'Etat. Ce n'est qu'en 1970 qu'il put reprendre une place
importante parmi les partis politiques du Liban, place mise en évidence
depuis l'accord de Taëf et le traité de fraternisation signé
entre le Liban et la Syrie.
" Un de ses leaders actuel Youssef el-Achkar a réunifié le
parti après la cassure qui l'avait scindé en deux branches durant
plusieurs années.
"
Force est de constater que l'Union du Liban avec la Syrie serait tout à
la fois contraire au Pacte National de 1943 et à l'accord de Taëf
qui ont pour point commun de consacrer l'existence d'une République
libanaise souveraine et indépendante
20(
*
)
.
C. LE LIBAN " FINLANDISÉ " ?
C'est en 1976 que les Syriens sont entrés au Liban sous
les couleurs de la Ligue Arabe puisqu'ils constituaient la force arabe de
dissuasion avec plusieurs autres contingents nationaux. Depuis lors, ces
contingents ont quitté le Liban et les Syriens sont les seuls à
être restés.
Aujourd'hui, le gros des forces syriennes s'est concentré dans la
Vallée de la Bekaa qui a pour la Syrie une importance stratégique
capitale, car il s'agit d'un couloir qui ouvrirait la voie à
l'armée israélienne vers des villes comme Damas, Homs et Hama.
Les forces syriennes ont installé un peu partout des barrages filtrants,
même s'il est vrai que l'armée libanaise se substitue
progressivement aux Syriens. Ainsi, M. Rafic Hariri, Président du
Conseil des Ministres, a assuré qu'il n'y avait plus de barrages syriens
dans Beyrouth. A cela, il faut ajouter que les services secrets libanais se
trouvent sous la coupe des Syriens.
Troupe d'occupation ou forces de stationnement ?
Si l'on met à part les Libanais qui souhaitent une collaboration
très poussée avec la Syrie, les Libanais sont partagés
entre l'indifférence, parfois feinte, la résignation et
l'inquiétude la plus vive. En tout cas, les Syriens peuvent justifier
leur " présence " par le fait incontestable que le retour
à la paix civile a permis de préserver l'unité du Liban.
La " pax syriaca " n'aurait donc pas que des inconvénients.
Ainsi, selon M. Abdel-Halim Khaddam, Vice-Président de la
République Arabe de Syrie, le Liban aurait été
" rayé de la carte " sans l'intervention de la Syrie.
Aujourd'hui, il n'est pas certain que la Syrie veuille ou même puisse
annexer purement et simplement le Liban. M. Rafic Hariri l'a marqué dans
un entretien au quotidien " Libération " " Nous
ne sommes
pas à vendre et les Syriens ne sont pas acheteurs ".
On peut en effet estimer que les préoccupations fondamentales du
régime syrien sont d'un autre ordre. Son premier souhait est de
récupérer les territoires perdus par les armes en 1967, soit le
Golan. La Syrie entend ensuite assurer sa sécurité en
évitant l'encerclement par la Turquie, la Jordanie et Israël. A
terme, les Syriens qui n'ont pas oublié le passé prestigieux de
la Dynastie des Omeyades n'auront de cesse de vouloir occuper une place
prépondérante parmi les pays du Proche-Orient.
Traité de fraternité, de coopération et
de coordination entre la République libanaise et la République
arabe syrienne
- 22 mai 1991 -
Préambule et articles premier à 3
La République libanaise et la République arabe
syrienne, eu égard aux relations privilégiées qui les
unissent et qui tirent leur force de leur voisinage, de leur histoire, de leur
appartenatce, de leur destin et de leurs intérêts communs ;
convaincues que la réalisation de la coopération et de la
coordination les plus larges sert leurs intérêts mutuels, garantit
leur progrès et leur développement, assure leur
sécurité nationale, protège leur prospérité
et leur stabilité, leur donne les moyens d'affronter tous les
événements régionaux et internationaux, et répond
aux aspirations des populations des deux pays, conformément au Document
d'Entente nationale approuvé par le Parlement libanais le 5 novebre
1989, conviennent de ce qui suit :
Article 1
- Les deux Etats oeuvrent à la réalisation des
plus hauts degrés de coopération et de coordination dans tous les
domaines : politique, économie, sécurité, culture,
sciences et autres, réalisant ainsi l'intérêt des deux pays
dans le respect de la souveraineté et de l'indépendance de chacun
d'eux. Ceci leur permet d'utiliser leur potentiel politique, économique
et leurs moyens de sécurité afin d`assurer la
prospérité et la stabilité de manière à
garantir leur sécurité nationale, de développer leurs
intérêts communs et de consolider leurs relations fraternelles, ce
qui garantit leur avenir commun.
Article 2
- Les deux Etats oeuvrent pour réaliser la coordination
et la coopération dans tous les secteurs de l'économie, y compris
l'agriculture, l'industrie, le commerce, le transport, les douanes et les
communications, entreprennent des projets et des plans de développement
communs.
Article 3
- L'interdépendance de la sécurité des
deux Etats nécessite que le Liban ne soit, à aucun moment, une
source de menace pour la sécurité de la Syrie, et inversement.
C'est pourquoi, le Liban ne permettra pas que son territoire soit
utilisé comme un point de passage, ou comme un foyer pour toute force,
tout Etat ou toute organisation qui aurait l'intention de mettre en danger sa
sécurité ou celle de la Syrie, tandis que la Syrie sera soucieuse
de préserver la sécurité, l'unité,
l'indépendance du Liban et l'entente entre les Libanais, et ne permettra
aucune action qui constituerait une menace ou un danger pour la
sécurité, l'indépendance et la souveraineté du
Liban.
Dans ces conditions, on ne voit pas quel profit direct ou indirect la Syrie
tirerait d'une annexion en bonne et due forme du Liban, qui, en outre, serait
mal perçue des autres pays arabes comme l'a montré l'exemple du
Koweit.
Mieux vaut sans doute pour la Syrie en rester à la situation actuelle
qui lui permet d'exercer une mainmise moins voyante sur les institutions
libanaises.
Les Syriens ont d'autant plus intérêt au maintien du
statu
quo
qu'il a été consacré juridiquement par l'accord de
Taëf et le traité de fraternité de coopération et de
coordination entre la République libanaise et la République arabe
syrienne.
Cet accord et ce traité aboutissent peu ou prou
à une forme de
finlandisation qui s'apparente à un protectorat, à un mandat de
la Syrie sur le Liban
. L'indépendance et la liberté d'action
du Liban sont préservées, du moins en apparence, mais les
autorités libanaises doivent " coopérer " avec la Syrie
et s'interdisent d'engager une action que Damas estimerait contraire à
sa sécurité ou à ses intérêts fondamentaux.
Il est constant que la navette entre Beyrouth et Damas fait partie du
processus de délibération politique et notamment que la formation
du Gouvernement est précédée de diverses consultations
damascéennes
21(
*
)
. Ainsi, vers la
mi-octobre, M. Nabib Berry, Président sortant de la Chambre des
Députés, s'est rendu à Damas pour conférer pendant
près de trois heures avec le Président syrien sur la formation du
gouvernement libanais.
Il est évident que la présence de 35 000 militaires
syriens ne peut que peser sur les décisions du Gouvernement.
Arbitres du jeu politique libanais, les Syriens n'ont pas pu se
désintéresser du renouvellement de la Chambre des
Députés.
III. LES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES D'AOÛT-SEPTEMBRE : UN SCRUTIN SOUS INFLUENCE
A. LE SYSTÈME ÉLECTORAL - L'ANNULATION DE LA LOI ÉLECTORALE PAR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL
· Un mode de scrutin plurinominal à un tour avec
panachage :
Conformément à la tradition juridique libanaise, le mode de
scrutin est plurinominal, c'est-à-dire majoritaire, à un tour,
avec possibilité de panachage.
Comme la Chambre des Députés est élue sur une base
communautaire (64 chrétiens et 64 musulmans), les listes sont en
principe composées en tenant compte de la répartition des
sièges entre les communautés confessionnelles. Par exemple, le
Chouf est représenté par 2 députés druzes,
3 maronites, 1 catholique et 2 sunnites. En août dernier,
c'est toute la liste qui est passée. En revanche, si les
électeurs usent de leur faculté de panachage, il peut arriver
qu'un candidat ayant obtenu la majorité ne soit pas proclamé
élu, dans le cas où la confession a déjà fait le
plein des sièges qui lui étaient réservés, ce qui
confirme la difficulté de concilier le système communautaire avec
le principe de base : " Un homme, une voix ".
· Le choix de la circonscription
L'histoire électorale du Liban a vu se succéder deux
catégories de circonscriptions électorales : le Caza ou canton et
le Mohafazat (ou gouvernorat) qui peut être assimilé au
département (il y a six gouvernorats : Beyrouth, Liban-Nord, Mont-Liban,
Liban-Sud, Bekaa et Nabatiyé).
Le choix de la circonscription revêt une importance particulière
au Liban
Dans une petite circonscription, l'élection du député aura
une base confessionnelle plus marquée tandis que l'élection dans
une circonscription plus grande comme le mohafazat dépendra moins du
clientélisme communautaire.
D'autres personnalités politiques comme le Président du Conseil
préconisent l'élection dans une circonscription unique qui
favoriserait l'émergence de partis politiques modernes dont les
programmes dépasseraient les frontières communautaires.
Jusqu'à l'accord de Taëf, c'était le Caza qui constituait la
circonscription de base. Ainsi en 1960, on dénombrait
26 circonscriptions élisant chacune 3 à 8
députés.
L'accord de Taëf a retenu le Mohafazat comme circonscription
électorale car l'idée était de renforcer
l'intégration nationale.
En violation de cet accord, ces élections de 1992 ont été
réalisées sur la base d'un découpage de circonstance dans
la mesure où des circonscriptions ont été
découpées sur mesure au Mont-Liban, dans la Bekaa, au Liban-Sud
et à Nabatiyé dans le souci de favoriser les candidats
progouvernementaux.
Pour les élections de 1996, la Chambre des Députés a
retenu le Mohafazat sauf pour le Mont-Liban qui a été
divisé en 6 circonscriptions électorales correspondant aux
cazas de ce gouvenorat
22(
*
)
. Par ailleurs, la
loi électorale " fusionne" les deux gouvernorats du sud du Liban.
Ce texte a suscité la colère des milieux maronites car le
découpage a été réalisé de telle sorte que
chaque communauté puisse en fait désigner ses propres
représentants dans le Mont-Liban ( 35 députés dont
24 chrétiens), alors que dans les autres régions, les
musulmans majoritaires ont pu peser sur le choix des députés
chrétiens.
Le principe d'égalité était ainsi mis
en cause.
C'est d'ailleurs sur la base de ce grief que la loi électorale a
été déférée au Conseil constitutionnel qui
l'a annulée, motif pris de ce que le principe d'égalité
dans la délimitation des circonscriptions ne pouvait être
écarté par le législateur, sauf dans des circonstances
exceptionnelles.
Le Parlement, après les habituelles consultations damascéennes, a
rebondi à partir de ce considérant -qui était un
obiter
dictum-
pour rétablir le découpage à deux dimensions,
mais "
pour une fois et à titre exceptionnel pour des raisons
conjonctuelles liées à l'intérêt supérieur
général
".
La " nouvelle " loi n'a pas été
déférée au Conseil constitutionnel. Rien ne permet
d'assurer que le texte nouveau assorti de sa clause de style eût
été validé, car la notion de " circonstances
exceptionnelles ", si elle peut être appréciée
souverainement par le Parlement, n'échappe pas au contrôle minimum
du juge constitutionnel qui est en droit de vérifier si le
législateur a ou non commis une erreur manifeste d'appréciation.
A cet égard, le Président du Conseil constitutionnel, M. Wajdi
Mallat, a cité les décisions " Evolution de la
Nouvelle-Calédonie "
23(
*
)
, ce qui
confirmait, si besoin en était, sa parfaite connaissance de la
jurisprudence constitutionnelle française.
Faute d'un deuxième recours, la loi électorale est entrée
en vigueur, à quelques jours du premier dimanche électoral, car
le scrutin s'est déroulé sur cinq dimanches, un par région
électorale du 18 août jusqu'au 15 septembre.
B. LES ÉLECTIONS D'AOÛT-SEPTEMBRE : UNE MAJORITÉ DE DÉPUTÉS FAVORABLES À LA SYRIE
Force est de reconnaître en premier lieu que les
élections se sont déroulées dans le calme et sans violence.
Le taux de participation, quoique faible pour des élections
législatives, a été nettement supérieur à
celui de 1992 (45 % contre 30 %). Il est vrai qu'en 1992, les
élections avaient été boycottées par la
communauté chrétienne.
Pour ces élections-ci, la
communauté chrétienne s'est partagée, voire
divisée
.
Si les responsables de l'opposition extérieure, le Général
Aoun, MM. Raymond Eddé ou Dany Chamoun ont tous appelé au
boycott, l'opposition intérieure s'est montrée plutôt
favorable à la participation. Quant au patriarche maronite qui n'avait
pas ménagé ses critiques à l'encontre de la nouvelle loi
électorale, il a refusé de prendre parti, laissant chacun libre
de son choix.
Par ailleurs, la liberté d'opinion et d'expression a été
pleinement respectée si bien que les partisans du boycott ont pu
défendre leur point de vue.
Enfin, notamment à Tripoli, les électeurs n'ont pas
hésité à user de leur droit de panachage, ce qui a permis
d'éliminer des candidats présentés comme favorables au
Gouvernement.
Tel n'a pas été le cas dans le Chouf où M. Walid Joumblatt
a réussi à faire passer toute " sa " liste.
Il demeure que ces élections ont été entachées de
nombreuses et graves irrégularités
. Pour n'en citer
qu'une, il a été très souvent constaté que des
Libanais établis à l'étranger avaient voté alors
qu'ils n'avaient pu être présents au Liban. Le quotidien
l'Orient-le Jour a ironisé sur le manque de place pour dresser la liste
de ces irrégularités. En tout état de cause,
19 recours en invalidation ont été déposés au
Conseil constitutionnel.
Le déroulement de la campagne électorale a été
également marqué par de constantes ingérences syriennes.
Ainsi, la Syrie a obtenu la naturalisation de plus de 100 000 nomades pour
les besoins du scrutin.
A tout cela s'ajoute que
les Libanais de l'étranger ont
été placés dans l'impossibilité de participer au
vote.
Au total, les chrétiens considèrent qu'ils ne sont
véritablement représentés que par une quinzaine de
députés tout au plus, ce qui a conduit la patriarche maronite
à constater " non sans quelque peine " que ce n'étaient
pas des " élections représentatives ".
Nul doute que l'élaboration de la nouvelle loi électorale donnera
lieu à de vives discussions. M. Elie Ferzli a indiqué
à la délégation que la Chambre des Députés
en reviendrait aux cinq circonscriptions " créées par les
Français ".
IV. LA GRANDE INQUIÉTUDE DES CHRÉTIENS ET NOTAMMENT DES MARONITES : LE RISQUE DE LA MARGINALISATION
Face aux résultats des élections qui ont
donné une écrasante majorité aux députés
pro-syriens, les chrétiens éprouvent une très grande
inquiétude. Le patriarche maronite a tenu à le souligner,
lorsqu'il a reçu la délégation de la commission des Lois.
Cette inquiétude est bien entendu alimentée par l'importance de
la présence syrienne au Liban, mais lors de l'entretien qu'il a
accordé à la délégation, M. Rafic Hariri a tenu
à rappeler que c'étaient les chrétiens qui avaient
appelé les Syriens (et non lui-même).
Il reste que la Chambre des Députés pourrait se prononcer en
faveur d'une confédération syro-libanaise dont le premier acte
serait l'union monétaire.
Quoiqu'il en soit,
la campagne pour les élections législatives
a aggravé la division de la communauté chrétienne
, de
même que le conflit libanais s'était achevé par un combat
fratricide entre l'armée du Général Aoun et la Milice de
M. Samir Geagea.
Le résultat des élections législatives consacre d'une
certaine façon la perte d'influence des chrétiens.
Certes les maronites constituent avec les druzes l'élément
fondateur du Liban et conservent la Présidence de la République
qui demeure malgré tout le pivot central de la constitution libanaise.
Mais la prépondérance des chrétiens est menacée par
le nouvel équilibre démographique entre chrétiens et
musulmans.
Les églises chrétiennes du Liban sont également en
première ligne face à la progression des intégrismes
islamistes qui encerclent l'enclave chrétienne du Liban.
Pour toutes ces raisons, les maronites redoutent de ne pas être mis
à même de tenir toute leur place dans la
" reconstitution " du Liban.
TITRE III
UNE NATION À LA RECHERCHE
DE SA
NOUVELLE IDENTITÉ
Dès son entrée en fonction en 1992, le
Gouvernement formé par M. Rafic Hariri a concentré ses
efforts sur la reconstruction d'un pays en ruine. A cet effet, il a mis en
oeuvre un plan décennal pour les années 1993-2002, baptisé
" Horizon 2 000 ".
Ce plan repose sur une intervention massive de l'Etat mais aussi sur
l'initiative privée, car au Liban, le secteur privé produit
environ 85 % du produit intérieur brut.
Ce plan se traduit par des réalisations spectaculaires qui concernent
pour l'essentiel les infrastructures de base. Au propre comme au figuré,
l'ensemble du pays est un véritable chantier.
Il reste que la politique volontariste de reconstruction du pays a un
coût financier important et n'a pas empêché une
dégradation importante de la situation sociale qui est proche de
l'explosion. En février dernier, le Gouvernement a été
amené à décréter l'état d'urgence pour
couper court à une menace de grève générale.
Mais le défi de l'après-guerre n'est pas seulement de nature
économique : la reconstruction du pays manquera son objectif si elle ne
s'accompagne pas de la remise sur pied de l'appareil institutionnel et de la
restauration de l'Etat de droit.
Sous les décombres de la guerre civile, le souvenir de la fracture
qui a divisé le Liban demeure présent.
Inquiets face aux perspectives d'évolution du conflit
israélo-arabe, les Libanais s'interrogent sur le devenir du Liban et sur
la définition de leur identité nationale.
Autrement dit, les urgences économiques ne doivent pas occulter
l'importance du débat sur la réconciliation des Libanais et la
reconstitution de la Nation libanaise, qui passe peut-être
par la
recherche de nouvelles voies vers l'entente entre les communautés
confessionnelles.
I. UNE ÉCONOMIE CENTRÉE SUR LA RECONSTRUCTION DU PAYS
A. LE DISPOSITIF INSTITUTIONNEL DE LA RECONSTRUCTION
1. Le conseil de développement et de reconstruction (CDR)
Le CDR est un organisme public dépendant directement du
Conseil des Ministres, qui a pour vocation de remplir une triple mission :
- établir les plans et les programmes de reconstruction et de
développement
- obtenir les financements nécessaires
- réaliser les objectifs et en superviser l'exécution.
Le CDR est également chargé de recevoir et de gérer l'aide
internationale qui s'élève à plus de 2 milliards de
dollars. Pour l'essentiel, cette aide provient de l'Union Européenne
(20 %), des pays arabes, par l'intermédiaire des fonds saoudien et
koweïtien de développement (13 %), et de la Banque
internationale pour la reconstruction et le développement (14,6 %).
Selon les dernières estimations du CDR, le coût de la
reconstruction sur la période 1995-2007 est estimé à
59,8 milliards de dollars dont 17,8 à la charge de l'Etat.
2. Une institution originale pour la reconstruction de Beyrouth : SOLIDERE (Société libanaise pour le développement et la reconstruction de Beyrouth).
C'est en mai 1994 que la responsabilité de reconstruire
et d'aménager le centre-ville de Beyrouth a été
confiée à cette société privée dont le
capital avoisine les deux milliards de dollars.
Cette société regroupe des investisseurs libanais (y compris le
Président du Conseil) et originaires des autres pays arabes.
Le projet s'étend sur plus de 1,8 million de mètres
carrés (soit environ 8 % de la superficie totale de Beyrouth) qui
comprennent quelque 600 000 m
2
récupérés sur la mer.
Le schéma directeur répond au souci de planification urbaine. La
reconstruction de Beyrouth offre, si l'on peut dire, une occasion unique de
procéder à la restructuration rationnelle du centre-ville, dans
la mesure où le schéma permet la mise en place de tout un
système d'infrastructures modernes. Dans le même temps, ce
schéma se fixe comme objectif de respecter le passé historique de
la ville par la préservation des nombreux bâtiments, la
conservation des vestiges archéologiques et la reconstruction des souks.
Le projet comprend deux phases dont la seconde débutera en l'an 2000.
Mais les travaux doivent être assurés en coordination avec les
fouilles archéologiques qui mettent à jour des vestiges allant
des Canéens jusqu'à l'époque ottomane en passant par les
époques phénicéenne, perse, héllénistique,
romaine, bysantine, omeyade, abbaside et celles des Croisés et des
Mamelouks.
Sur la superficie totale du projet, le domaine public comprendra
876 000 m2, dont 592 000 m
2
de routes et
284 000 m
2
d'espaces publics.
Le schéma d'urbanisme fixe la capacité de construction à
4,69 millions de m
2
de surface de plancher qui pourraient se
répartir comme suit :
Superficie de plancher en m
2
Bureaux 1 582 000
Habitations 1 959 000
Commerces 563 000
Bâtiments culturels et
administratifs 386 000
Hôtels 200 000
_________
Total maximum 4 690 000
Quelles que soient les critiques que peut susciter l'appel à une
société privée pour la reconstruction du centre d'une
capitale, SOLIDERE a fourni une première réponse au
problème de relogement.
L'ampleur de ce problème a d'ailleurs conduit le législateur
à faire preuve d'une " très grande créativité
juridique " pour reprendre l'expression de M. Bahige Tabarrah,
Ministre de
la Justice.
Une loi de 1990 a en effet prévu que les propriétaires et les
locataires apporteraient à la société leurs droits
estimés par la commission supérieure d'évaluation à
1,200 milliard de dollars.
En échange de leurs droits, les propriétaires et les locataires
qui ont souhaité participer à l'opération ont reçu
des actions pour un total de 152.048.500 dollars à l'occasion d'une
souscription ouverte en 1994, certains propriétaires ayant vivement
critiqué le montant peu élevé des indemnités
versées sous forme d'actions.
Au fur et à mesure des opérations de reconstruction, les
propriétaires ou les locataires ont la faculté de reprendre leur
bien ou leur logement en fonction du plan d'occupation des sols.
Les actions sont aisément cessibles, car SOLIDERE qui est devenue l'une
des sociétés les plus importantes du Proche-Orient est
désormais inscrite à la cote officielle de la bourse de Beyrouth.
La réouverture de la bourse libanaise au début de l'année
apparaît d'ailleurs comme le symbole du redressement économique et
financier du pays.
B. LE RETOUR DE LA CROISSANCE MAIS UN DÉFICIT BUDGÉTAIRE ET UN ENDETTEMENT EN FORTE PROGRESSION
Les Libanais constituent un peuple dynamique et industrieux.
Il n'est donc pas étonnant que la
politique volontariste de M.
Hariri
se soit traduite par une forte progression du PIB qui a
quadruplé entre 1990 et 1995, en passant de 2,84 à
11 milliards de dollars. En 1995, le taux de croissance a
été supérieur à 6 %.
Les Libanais ne manquent d'ailleurs jamais de souligner que le PIB libanais a
rattrapé celui de la Syrie, alors qu'il lui était
inférieur de moitié en 1990.
La livre libanaise s'est stabilisée. Avant la guerre, 1 dollar US
valait 3 livres. Au plus fort du conflit, au moment du départ des
Palestiniens, la livre a chuté à un taux d'un dollar contre
3 000 livres. Aujourd'hui, un dollar s'échange contre
1 500 livres.
Le Liban, fidèle à sa tradition libérale, n'a jamais remis
en cause la liberté de circulation des capitaux et a toujours garanti la
sécurité juridique des investissements privés.
La législation sur le
secret bancaire
, l'une des plus strictes
au monde, constitue d'ailleurs un des piliers du système bancaire.
Quelle que soit la nationalité du déposant, le secret bancaire ne
peut être levé qu'avec l'agrément de la personne ou en cas
de faillite. Le ministre de la justice, M. Bahige Tabarrah, a même
cité le cas d'un fonctionnaire soupçonné d'avoir
détourné à son profit le produit de la vente des timbres
fiscaux : le ministère des finances a été dans
l'impossibilité d'obtenir la levée du secret bancaire.
Tout cela explique sans doute les premiers signes du retour des capitaux de la
diaspora. Les avoirs des Libanais à l'étranger, estimés
entre 30 et 40 milliards de dollars ont été pour partie
réinjectés dans l'économie du pays. Selon la Banque
centrale, le montant total des capitaux rapatriés aurait
représenté depuis 1990 entre 8 et 9 milliards de dollars,
à un rythme de 1,5 à 2 milliards par an.
L'essentiel de ces capitaux s'est porté sur le secteur immobilier, ce
qui explique, dans une très large mesure, la croissance importante de ce
secteur d'activité.
Il est vrai que les vicissitudes de la situation internationale ne sont pas de
nature à encourager la venue de capitaux extérieurs.
Ainsi, l'opération israélienne " Raisins de la
colère " a représenté un coût global
estimé à 500 millions de dollars. Les bombardements ont
notamment entraîné une chute sensible des recettes de l'Etat
(blocus des ports, baisse des rentrées des droits de douane de 30 %
et régression de l'activité économique dans tout le pays).
Le Gouvernement a dû venir en aide aux sudistes
" exodés ".
La situation financière du Liban reste très fragile comme en
témoigne le
dérapage budgétaire
. Selon les chiffres
arrêtés fin septembre par le ministère des finances, le
déficit a atteint 50,15 % du budget alors que la loi de finances
adoptée par le Parlement le 31 janvier prévoyait un taux de
37,6 %. Les déficits précédents avaient
également dépassé les prévisions : 60 % au
lieu de 42,75 % en 1994, 48 % au lieu de 44 % en 1995. La
progression du déficit serait notamment due au " gaspillage des
deniers publics " et à des rentrées insuffisantes en raison
d'une collecte insatisfaisante des impôts.
La
dette publique
enregistre également une
dérive
inquiétante
dans la mesure où elle s'élevait fin
septembre à 9,585 milliards de dollars dont plus de
7 milliards pour la dette interne. En décembre 1993, la dette
ne représentait que près de 3 milliards. Aujourd'hui,
la
dette publique dépasse 70 % du PIB
.
Tableau (chiffres clés de l'économie libanaise)
II. UNE SITUATION SOCIALE FORTEMENT DÉGRADÉE
Le Gouvernement de M. Hariri est confronté à une paupérisation de la société libanaise . Le patriarche maronite a même évoqué le risque d'une " implosion sociale ". Pour sa part, M. Walid Joumblatt, Ministre des déplacés et responsable du Parti Socialiste Progressiste a préconisé une révision des priorités du programme de reconstruction en mettant l'accent sur les graves retombées socio-écomiques de la politique conduite par le Gouvernement.
A. UN MILLION DE LIBANAIS EN DESSOUS DU SEUIL DE PAUVRETÉ
L'absence de statistiques empêche de mesurer l'ampleur
des difficultés sociales. Toutefois, dans une étude
réalisée pour l'Économic and Social Committee for West
Asia, M. Antoine Haddad estime que 28 % des familles libanaises vivent
bien au-dessous du seuil de pauvreté, 250 000 personnes
étant " extrêmement pauvres ".
Les salaires n'ont pas été ajustés au niveau de
l'inflation, si bien que depuis 1992, les Libanais ont dû subir une perte
importante de leur pouvoir d'achat. Ainsi, le salaire minimum ne dépasse
pas 200 dollars par mois. La conséquence en est que les Libanais
sont réduits à la nécessité d'avoir plusieurs
activités.
Les étudiants se détournent de la fonction publique en raison de
la faiblesse des rémunérations qui, en outre, sont
libellés en livres libanaises, alors que le reste de la
société s'est " dollarisé ". Cette situation a
acculé le Gouvernement à une augmentation des recettes de l'Etat,
notamment pour faire face à une hausse significative des traitements des
fonctionnaires à compter de novembre 1995.
La classe moyenne n'est pas épargnée par cette crise sociale, car
ses revenus ont subi le contrecoup de la chute de la livre et de l'inflation
galopante (68,8 % en 1990, 10 % en 1995). Malgré les
augmentations concédées par l'Etat, le niveau des loyers, qui a
été pendant longtemps cristallisé, reste dérisoire.
Par exemple, le loyer d'un appartement de 50 millions de livres libanaises
atteint difficilement 500 000 livres, soit 1 % de
rentabilité sur la somme investie. Faute d'une épargne
suffisante, les " petits " propriétaires se trouvent dans
l'incapacité de reconstruire les logements détruits par la guerre.
Le risque est de voir s'élargir le fossé entre les
catégories sociales les plus aisées qui détiennent les
principales responsabilités du pays et le reste de la population. Se
pose également le problème de l'utilisation des nombreux
intellectuels qui sont formés au Liban.
Selon M. Kamal Hamdane, la crise sociale a atteint un seuil critique.
"
Les projets de reconstruction du Liban sont globalement positifs,
mais il s'agit maintenant d'y insérer des priorités sociales,
touchant des secteurs cibles spécifiques pour préserver au moins
les plus démunis, alors que l'ensemble de la population trouve encore
des moyens de compensation à travers les oeuvres de charité, la
corruption, la fraude, les transferts de l'étranger et la
démultiplication des travaux par individus
".
B. UNE IMMIGRATION TRÈS IMPORTANTE : 800 000 PERSONNES
La paupérisation de la société est
aggravée par la présence accrue de travailleurs immigrés
qui acceptent des rémunérations moins importantes que les
Libanais (environ 100 dollars par mois).
La baisse de la fécondité aidant, notamment dans les
communautés chrétiennes, le nombre des travailleurs
immigrés peut être estimé à
800 000 personnes : des Syriens (en particulier pour des travaux
agricoles) ou des Egyptiens, mais aussi des Srilankais ou des Philippins.
La population immigrée, qui ainsi représente près du
cinquième des Libanais, est le produit d'
un nomadisme professionnel,
facilité par la perméabilité de la frontière
syro-libanaise.
Pour l'essentiel, les flux migratoires ne sont pas maîtrisés, car,
si la carte de travail est en principe requise, les contrôles de
l'administration sont quasiment inexistants.
Terre de passage et d'invasion, le Liban est devenu un pays d'immigration
où la présence massive de travailleurs syriens consolide
l'interpénétration, l'osmose entre la Syrie et le Liban. Certains
ont pu même parler de " colonisation " du Liban, dans la
mesure
où ces nouveaux arrivants auront la tentation de s'y installer
définitivement.
III. LA RÉHABILITATION DE L'ÉTAT DE DROIT : D'IMPORTANTES ZONES D'OMBRE
A. LA REMISE SUR PIED DE L'APPAREIL INSTITUTIONNEL
L'Etat, neutralisé pendant la guerre civile, regagne
peu à peu du terrain à l'image de l'armée et des forces de
sécurité intérieure, même si certains secteurs,
comme l'enseignement, ne font pas l'objet d'une attention suffisante de la part
des pouvoirs publics
24(
*
)
.
Pour M. Bahige Tabarrah, Ministre de la justice, la sécurité
publique est rétablie sur l'ensemble du territoire, notamment dans les
villes qui, à ses yeux, sont plus sûres que certaines cités
européennes ou américaines.
A l'urbanisme sauvage succèdent des schémas directeurs comme
à Beyrouth ou à Tripoli où le maire, M. Sami Menkara,
cherche à rénover le centre ville dans le respect du passé
historique de la cité.
Dans le domaine audiovisuel, la guerre civile avait permis la
prolifération anarchique des radios et des organes de
télévision. le Gouvernement a souhaité mettre en place un
dispositif juridique s'inspirant de la loi française sur le Conseil
Supérieur de l'Audiovisuel (CSA). On pouvait dénombrer lors de la
cessation des affrontements quelque 52 télévisions et
160 radios. Selon le nouveau texte, cinq chaînes de
télévision pourront continuer à émettre leurs
programmes, les autres stations disposant d'un certain délai pour cesser
leur activité.
Cette réorganisation de l'espace audiovisuel a suscité les
inquiétudes des instances religieuses, notamment du patriarche maronite.
Au moment où la délégation de la commission des Lois
quittait le Liban, un compromis semblait avoir été trouvé
autour de la création d'une télévision et de deux radios
religieuses qui émettraient sous l'autorité et la supervision des
autorités confessionnelles, la chaîne de télévision
étant commune aux chrétiens et aux musulmans qui se partageront
les heures d'émission. Ainsi, les deux principaux médias
catholiques " Télé lumière " et " La Voix
de la Charité " continueront à émettre mais sur une
nouvelle fréquence relevant de l'Etat. A cette occasion, le patriarche
maronite a mis l'accent sur la nécessité de préserver les
libertés publiques ainsi que la pluralité des moyens
d'information audiovisuels.
B. LE RESPECT DES LIBERTÉS PUBLIQUES : QUELQUES INTERROGATIONS
Pour M. Bahige Tabarrah, Ministre de la Justice,
"
le
mérite du Liban est d'être sorti d'une guerre aussi terrible tout
en restant démocratique... On peut tout dire du Liban, il reste que
c'est un régime de liberté, notamment pour la presse
".
"
D'ailleurs
", a-t-il ajouté "
les
arrestations préventives des journalistes ont été
interrompues
".
Même si elle n'a pu recueillir d'informations directes sur les
internements politiques, la délégation de la commission des Lois
a pu vérifier la réalité de ce constat :
le
Liban est un pays de liberté malgré la présence de la
Syrie qui se caractérise par un régime politique d'une tout autre
inspiration
.
Par delà les apparences, la délégation a pu percevoir
quelques
zones
d'ombre
.
Ainsi, le Conseil constitutionnel, saisi de dix-neuf recours en invalidation
à la suite des élections législatives, a
réprouvé dans un communiqué en date du
10 octobre 1996 le comportement du ministère de
l'intérieur :
"
Le Conseil constitutionnel s'est réuni en présence de
tous ses membres en son siège, sur la convocation de son
président, et a pris connaissance de l'attitude dilatoire adoptée
par le ministère de l'Intérieur vis-à-vis de l'application
des dispositions de l'article 28 de la loi n° 250-93 (instituant la
législation relative au Conseil constitutionnel), et vis-à-vis de
l'objet de la lettre émanant du président du Conseil et
communiquée au ministère de l'Intérieur en date du
26 septembre 1996.
" Après délibéré, le Conseil a pris la
décision suivante :
" Attendu que l'art. 28 de la loi n° 250-93 arrête ce qui suit
: " art. 28.- Il incombe au ministère de l'Intérieur de
fournir au Conseil constitutionnel tous les procès-verbaux, documents,
renseignements, disponibles chez lui, à l'effet de permettre au Conseil
constitutionnel de procéder à toutes les investigations qui
s'imposent ".
" Attendu que le ministère de l'Intérieur a reçu la
lettre du président du Conseil constitutionnel en date du 26-9-1996 et
s'est abstenu jusqu'à ce jour de faire droit à la requête
lui demandant de fournir au Conseil les procès-verbaux et toutes
pièces, mentionnés impérativement dans la loi.
" Attendu que le contrôle de la régularité des
élections législatives a été dévolu au
Conseil constitutionnel en vertu des dispositions des articles 19 et 30
nouveaux de la Constitution...
" Attendu que les lenteurs apportées par le ministère de
l'Intérieur à se conformer aux dispositions des deux articles
nouveaux 19 et 30 de la Constitution, et des législations
subséquentes sont susceptibles -en raison de la
célérité requise dans le jugement des recours en
contestation de la régularité des élections
législatives- de générer une situation non conforme
à la Constitution, dont le ministère supporte les
conséquences, et qu'il appartient aux pouvoirs concernés de
conjurer.
" Par ces motifs :
" Article 1 : La décision présente confirme la teneur de la
demande, objet de la lettre émanant du président du Conseil
constitutionnel communiquée au ministère de l'Intérieur en
date du 26-9-1996.
" Article 2 : La présente décision invite le
ministère de l'Intérieur à se conformer sans retard aux
termes de cette lettre et à faire droit aussitôt à
l'injonction formulée dans l'article 28 de la loi n° 250-93.
" Article 3 : Cette décision sera communiquée à
toutes les instances officielles concernées, en application des termes
de l'article 14 de la loi n° 250-93
"
.
En réponse, le ministre de l'Intérieur, M. Michel Murr, a
répliqué que les documents en cause avaient été
transmis à la Chambre des Députés :
"
La vérité est que les documents demandés par le
Conseil constitutionnel au ministère de l'Intérieur ont
déjà été transférés à
l'Assemblée nationale à laquelle nous avons donc demandé
de nous les renvoyer pour que nous puissions donner suite à la
requête du Conseil. L'affaire demande donc un peu de patience et point
n'est besoin de s'énerver
".
Dans le domaine du droit pénal, Mme Philomène Nasr, Membre du
Conseil de la Faculté de Droit de l'USEK, a souhaité appeler
notre attention sur une loi du 21 mars 1994 qui a étendu la
peine de mort à tous les homicides volontaires, y compris s'il s'agit
d'un crime politique, sans que le juge puisse retenir des circonstances
atténuantes.
Cette atteinte aux principes de l'individualisation des peines et de l'intime
conviction du juge est d'autant plus grave que l'actuel Chef de l'Etat a
rejeté tout recours en grâce.
La délégation a pu enfin étudier une difficulté
d'ordre juridique qui a surgi dans l'application du droit des associations.
Pour l'essentiel, le droit des associations est régi par une loi de 1909
qui a été promulguée pendant la période ottomane.
Comme elle est étroitement inspirée de la loi française de
1901, la loi de 1909 présente un caractère extrêmement
libéral.
Or, depuis plusieurs années, l'exigence d'un
récépissé délivré par l'administration
à la suite du dépôt des statuts a donné au
ministère de l'intérieur la possibilité d'exercer un
contrôle préalable et ainsi de bloquer la constitution de
certaines associations.
Pour prévenir tout risque arbitraire, l'idée a été
donc avancée de revenir à la philosophie originelle de la loi
ottomane, qui, fondée sur le principe de la déclaration pure et
simple des statuts, était plus conforme à la liberté
d'association.
C. LA DÉCENTRALISATION EN PANNE
La relance de la décentralisation a été
préconisée par l'accord de Taëf. Comme l'a souligné
M. Charles Helou, Ancien Président de la République,
Président d'honneur du Haut Conseil de la Francophonie, qui avait
initié un mouvement important de déconcentration, la
décentralisation n'a pas progressé depuis six ans.
La preuve en est que les maires sont toujours nommés par le pouvoir
central. Le Gouvernement a mis à l'étude un projet
d'élection du maire par l'ensemble de la population.
Comme la France, le Liban se caractérise par un grand nombre de petites
municipalités qui ne disposent pas des moyens nécessaires
à l'exercice de leurs compétences, ce qui explique que
l'idée de la coopération intercommunale progresse peu à
peu dans les esprits.
Ainsi, dans la région de Saïda, fortement touchée par les
bombardements israéliens, les communes ont constitué une
communauté de communes pour la reconstruction, qui se charge notamment
de l'assainissement et de l'adduction d'eau.
Les communes sont soumises au contrôle du Mohafez qui représente
la République.
Depuis l'accord de Taëf, il est prévu d'instituer auprès de
chaque préfecture des conseils comprenant pour partie des élus et
pour partie des représentants de l'administration et des forces vives de
la circonscription (avocats, médecins, etc...). En principe, cet organe
purement consultatif ne doit pas empiéter sur les compétences de
la commune.
Il faut enfin noter que le maire n'est pas officier de l'état civil.
Conformément à la tradition ottomane, c'est le Moktar qui tient
les registres de l'état civil. L'acte de mariage est ainsi établi
par l'autorité religieuse, puis signé par le Moktar, et ensuite
transmis à l'administration.
IV. VERS UN NOUVEAU DIALOGUE ENTRE LES COMMUNAUTÉS CONFESSIONNELLES ?
A la suite de l'accord de Taëf, la révision de
1990 a inscrit dans le Préambule de la Constitution le principe selon
lequel "
la suppression du confessionnalisme politique constitue
un but
national essentiel pour la réalisation duquel il est nécessaire
d'oeuvrer suivant un plan par étapes
".
Le principe de l'abolition du confessionnalisme politique et administratif a
suscité et suscite encore l'inquiétude, voire l'hostilité
des communautés chrétiennes, comme en témoigne le
communiqué final du Synode des églises libanaises réuni
à Rome en décembre 1995 : "
Passer à
l'allégeance nationale, par delà notre allégeance
communautaire, exige que s'affirme un régime politique qui associe
pleinement chaque communauté aux décisions nationales afin
qu'aucune n'impose à la nation ce qui ne convient qu'à une
communauté et ne correspond pas aux traditions des autres
communautés
". "
Ce régime s'accommode donc
d'une démocratie consensuelle et ne peut être à la merci
d'une idéologie majoritaire
".
Lors de l'entretien qu'il a accordé à la délégation
de la commission des Lois, le patriarche maronite ne s'est pas
déclaré par principe hostile à la fin du
confessionnalisme, mais il a tenu à faire observer qu'il faudrait au
moins trois générations pour chasser le réflexe
confessionnel des esprits et des pratiques.
Depuis la fin de la guerre civile,
les chrétiens ne tiennent pas
toute leur place dans le jeu des institutions libanaises
. Les
élections de 1992 ont été marquées par le boycott
des communautés chrétiennes ; en 1996, les chrétiens se
sont profondément divisés sur la question de la participation aux
élections, si bien que nombre d'entre eux ne se sentent pas
représentés au sein du nouveau Parlement.
Cette situation nouvelle comporte en germe
le risque d'une marginalisation
de la communauté maronite
, alors que la nation libanaise est
fondée essentiellement sur le dialogue et la
" convivialité " entre l'ensemble des communautés qui
la composent.
Comme le Liban s'efforce d'effacer les séquelles de la guerre civile, le
moment est peut-être venu d'engager plus avant la réflexion sur la
déconfessionnalisation du Liban pour dépasser les clivages
traditionnels entre les dix-sept communautés.
Cette nouvelle réflexion permettrait ainsi d'ouvrir le débat sur
la question du statut personnel des Libanais.
A l'heure actuelle, le droit civil ne régit que le droit patrimonial de
la famille et la succession des biens.
En revanche, pour les rapports personnels issus du mariage, les musulmans sont
soumis à la Charia avec des variantes entre les sunnites, les chiites et
les druzes tandis que les chrétiens relèvent du droit canon qui
notamment prohibe le divorce et n'offre que l'option entre l'annulation et la
séparation de corps laissant intacte le lien matrimonial.
Il n'existe pas de mariage civil ou laïque si bien que les Libanais
désireux de se marier sont tenus de se rattacher à une
communauté existante, faute de quoi ils devront se rendre par exemple
à Chypre pour contracter leur union.
Dans la présentation de son ouvrage " Statut personnel et
compétence judiciaire des communautés confessionnelles au
Liban ", le Doyen de la Faculté de Droit de l'Université
Saint-Esprit de Kaslik (USEK), le Père Basile Basile a
évoqué les " possibilités d'un dialogue
intercommunautaire fructueux et d'explorer les chances d'une éventuelle
unification raisonnée du système de statut personnel
communautaire ". " C'est seulement à travers un dialogue
ouvert d'une unification raisonnée du système de statut personnel
du pays sous l'égide d'un Etat de droit qui tient compte des richesses,
des particularités, des traditions, du sentiment religieux et de la
liberté de conscience de chacune des communautés
confessionnelles, sans inégalité ni discrimination aucune entre
tous les citoyens devant les mêmes lois de l'Etat " que la
" convivialité " entre toutes les communautés
confessionnelles du Liban triomphera et sera fortement et complètement
consolidée. "
L'objectif est ainsi de rechercher le dénominateur commun à cette
mosaïque de législations et de compétences judiciaires.
Certes, les fanatismes musulmans ou chrétiens seront autant d'obstacles
à l'unification des statuts personnels, notamment de la part de ceux
qui, comme les islamistes, rejettent la dualité des pouvoirs temporel et
spirituel.
A terme, ce rapprochement entre les statuts personnels pourrait conduire
à l'élaboration d'un code civil commun à tous les Libanais
et permettre, lorsque les Libanais y seront prêts, d'ouvrir la voie
à une meilleure délimitation de la référence
communautaire dans la vie institutionnelle libanaise.
CONCLUSION GÉNÉRALE :
POUR UNE
PRÉSENCE ENCORE PLUS IMPORTANTE
DE LA FRANCE AUPRÈS DE
L'ENSEMBLE DES LIBANAIS
Au fil de ses entretiens, la délégation de la
commission des Lois a pu constater que "
l'exception
libanaise
"
traduit aussi un paradoxe libanais
: les
Libanais
semblent constituer une société moderne, ouverte sur
l'extérieur, mais dans le même temps, tournée vers le
passé et le respect des traditions communautaires. Le Liban demeure
aujourd'hui encore un ensemble de minorités qui voient dans
l'application pure et simple de la loi de la majorité un danger pour
leur pérennité.
Plus de cinq ans après la fin des affrontements meurtriers, le Liban est
confronté à l'interrogation fondamentale de savoir si cette
guerre a été le produit d'une fracture intercommunautaire
profonde ou si elle n'a constitué que le prolongement des tensions
régionales.
Dans le premier cas, c'est l'avenir de la nation libanaise qui est en question.
Avec l'accord de Taëf, le pacte communautaire a été
réaffirmé sous la réserve de la recherche d'un nouvel
équilibre entre les musulmans et les chrétiens, qui devrait en
principe conduire à la " déconfessionnalisation " de la
vie politique. La voie de la partition a été
écartée, ce qui a permis de préserver, du moins en
apparence, l'unité et l'indépendance du Liban.
Nombreux sont ceux qui y voient la preuve que
la volonté de vivre
ensemble des Libanais s'est révélée en définitive
plus forte que les antagonismes communautaires.
Il demeure que les chrétiens ne se sentent plus
représentés au sein des institutions et craignent d'être
marginalisés.
Qui plus est, aucun mouvement de retour au pays n'est perceptible chez les
800 000 émigrés qui ont fui la guerre entre 1975 et 1990.
Beaucoup de chemin reste donc à faire sur la voie de la
réconciliation nationale.
Pour l'heure, les contraintes externes pèsent sur la vie politique
libanaise d'un poids plus important que les divisions internes.
Occupé au sud par Israël, le Liban doit subir la tutelle politique
et militaire de son puissant voisin oriental.
La présence de la Syrie -dont l'armée est entrée au Liban
il y a plus de vingt ans- est un fait dont on ne peut que prendre acte car rien
au Liban ne pourra désormais se faire sans l'accord exprès ou
tacite du Président Hafez El Assad, ce qui ne doit pas empêcher la
France de plaider inlassablement pour le retour à la souveraineté
pleine et entière du Liban.
En fait, les autorités de Beyrouth n'ont pas en main toutes les cartes
du jeu libanais. Pour une très large part, l'avenir du Liban est
suspendu à la reprise du processus de paix, car on peut escompter que le
retrait des forces israéliennes du Sud-Liban conduira la Syrie à
relâcher son emprise sur le Liban.
Tel est le pari engagé par M. Rafic Hariri : reconstituer la nation et
l'économie libanaise sans sous-estimer les données
internationales.
Dans les circonstances présentes, le Président du Conseil des
Ministres se présente comme l'homme-clé de la situation.
M. Hariri est en effet apparu à la délégation comme un
patriote qui croit à l'avenir du Liban. Par sa politique
d'équilibre, il a su acquérir un certain charisme en provoquant
un sursaut d'abord économique puis national à la suite de
l'opération " Raisins de la colère ".
Cela étant, la politique volontariste de reconstruction qu'il a
engagée dès son arrivée au pouvoir se heurte à des
difficultés financières importantes et à une situation
sociale fortement dégradée. Le Gouvernement actuel pourra-t-il
prendre en compte les problèmes sociaux ? La tradition fortement
libérale du Liban ne va pas dans ce sens, d'autant que les services
publics sont quasiment inexistants.
Pour toutes ces raisons, on ne peut pas dire que la période de
l'après-guerre est définitivement close.
Le Liban est un pays qui continue à se chercher au gré des
incertitudes internationales.
La France est en mesure d'accompagner le Liban sur la voie de la renaissance
nationale.
Depuis plusieurs siècles, la France entretient avec le Liban des
relations d'une nature particulière.
L'amitié franco-libanaise a survécu aux années difficiles
de la guerre pendant lesquelles la France a été l'un des seuls
pays à ne jamais abandonner le Liban.
Aujourd'hui, la France peut jouer un rôle décisif dans la
défense de la souveraineté, de l'indépendance et de
l'intégrité du territoire libanais.
Loin de cautionner la " syrianisation " du Pays du Cèdre, le
renforcement de la coopération franco-libanaise peut lui faire
contrepoids et contribuer à la reconstitution de la nation libanaise.
Au cours de sa mission, la délégation de la commission des Lois a
acquis la certitude que l'accroissement de la présence française
était acceptée et même souhaitée par l'ensemble des
communautés, par contraste avec les États-Unis qui sont ressentis
comme trop proches de l'Etat d'Israël.
L'intérêt de la France est aujourd'hui d'entretenir des relations
équilibrées avec l'ensemble des parties prenantes au conflit
libanais.
De même, le développement de la francophonie doit concerner
l'ensemble des communautés, non seulement les chrétiens, mais
aussi les Musulmans qui semblent beaucoup attendre de la France.
Le développement des échanges avec le Liban doit constituer une
priorité de notre diplomatie proche-orientale.
Pour sa part, la commission des Lois du Sénat a souhaité apporter
sa contribution à la politique d'aide au Liban. En effet, grâce
à l'appui déterminant du Président de la commission des
Finances, nous avons obtenu l'accord du Gouvernement pour inscrire dans le
projet de loi de finances pour 1997 des crédits supplémentaires
destinés à financer une opération de coopération
culturelle avec l'Université Libanaise dans le cadre de la conservation
des monuments historiques de la ville de Tripoli.
La France ne doit manquer aucune occasion pour marquer de plus en plus sa
présence et aider le Liban à recouvrer se pleine liberté
d'action et de décision.
Le Liban peut-il renaître ?
Les Libanais forment un peuple dynamique, persévérant, dont le
courage ne s'est jamais démenti tout au long de son passé
prestigieux.
Il revient aujourd'hui à l'ensemble des Libanais d'apporter la preuve
que les
vicissitudes internationales ne sauraient empêcher la
renaissance de la nation libanaise fondée essentiellement sur le
pluralisme politique et la tolérance religieuse.
ANNEXES
I. ANNEXE N° 1 :
Le mot du R.P. Antoine KHALIFÉ, Recteur de l'USEK lors de la visite de la délégation de la commission des Lois, le samedi 12 octobre
II. ANNEXE N° 2 :
La Constitution du Liban
LA CONSTITUTION DU LIBAN
Promulguée le 26 mai 1926, modifiée par les lois constitutionnelles des 17 octobre 1927, 8 mai 1929, 9 novembre 1943, 7 décembre 1943, 21 janvier 1947, 24 avril 1976, et 21 septembre 1990
A. TITRE I
DISPOSITIONS FONDAMENTALES
PRÉAMBULE DE LA CONSTITUTION
a) Le Liban est une patrie souveraine, libre et
indépendante, une patrie définitive pour tous ses fils et une
patrie une et unique en ce qui concerne son territoire, son peuple et ses
institutions, à l'intérieur de ses frontières
définies dans la présente Constitution et internationalement
reconnues.
b) Le Liban est arabe par son identité et son appartenance. Il est aussi
membre fondateur et actifs de la Ligue des États Arabes dont il respecte
les chartes. Il est aussi membre fondateur et actif de l'Organisation des
Nations Unies dont il respecte la Charte et la Déclaration universelle
des droits de l'homme. L'État incarne ces principes dans tous les
domaines et sur tous les plans sans exception.
c) Le Liban est une république démocratique parlementaire
fondée sur le respect des libertés publiques et en premier lieu,
la liberté d'opinion et de croyance ainsi que sur la justice sociale et
l'égalité des droits et des devoirs entre tous les citoyens sans
discrimination ni préférence.
d) Le peuple est la source des pouvoirs et le titulaire de la
souveraineté qu'il exerce à travers les institutions
constitutionnelles.
e) Le régime est fondé sur le principe de la séparation
des pouvoirs et de l'équilibre et de la collaboration entre eux.
f) Le régime économique est libéral ; il garantit
l'initiative individuelle et la propriété privée.
g) Le développement équilibré des régions sur les
plans culturel, social et économique constitue un des piliers
fondamentaux de l'unité de l'État et de la stabilité du
régime.
h) L'abolition du confessionnalisme politique est un objectif national
essentiel et il convient de travailler à sa réalisation au moyen
d'un plan par étapes.
i) Le territoire du Liban est un territoire un et unique pour tous les
Libanais. Tout Libanais a le droit de résider dans n'importe quelle
partie du territoire et d'en jouir sous la protection de la loi. Le peuple ne
peut être classifié en fonction de quelque appartenance que ce
soit. Pas de division, pas de partition, pas d'implantation.
j) Tout pouvoir qui serait en contradiction avec le pacte du vouloir vivre en
commun n'aurait aucune légalité.
CHAPITRE I
De l'État et du territoire
Article 1
: Le Liban est un État
indépendant, unitaire et souverain. Ses frontières sont celles
qui le limitent actuellement. Au nord : de l'embouchure de Nahr
el-Kébir, une ligne suivant le cours de ce fleuve jusqu'à son
point de jonction avec son affluent le Ouadi Khaled à hauteur de Jisr
el-Kamar. A l'est : de la ligne de faîte séparant les
vallées du Ouadi (Nahr el-Assi) et passant par les villages de
Measra-Harbaena-Hait-Ebbech-Faissan à hauteur des villages de Brina et
de Matrabeh, cette ligne suit la limite nord du Caza de Baalbeck en des
côtés nord-ouest et sud-est puis les limites est des Cazas de
Baalbeck, de la Békaa, Rachaya et Hasbaya. Au sud : les limites
actuelles des Cazas de Tyr et de Marjeyoun. A l'ouest : la
Méditerranée.
Article 2
: Aucune partie du territoire libanais ne peut être
aliénée ou cédée.
Article 3
: Les limites des circonscriptions administratives ne peuvent
être modifiées que par une loi.
Article 4
: Le Grand-Liban est une République. Beyrouth est sa
capitale.
Article 5
: le drapeau Libanais est composé de trois bandes
horizontales : deux rouges encadrant une blanche. La hauteur de la bande
blanche est égale au double de chacune des bandes rouges. Au centre de
la bande blanche figure un cèdre vert dont la largeur occupe le tiers de
celle-ci et qui, par son sommet et par sa base, touche chacune des bandes
rouges.
CHAPITRE 2
Des Libanais, de leurs droits et de leurs devoirs
Article 6
: La nationalité libanaise, la
manière dont elle s'acquiert, se conserve et se perd seront
déterminées par la loi.
Article 7
: Tous les Libanais sont égaux devant la loi. Ils
jouissent également des droits civils et politiques et sont
également assujettis aux charges et devoirs publics, sans distinction
aucune.
Article 8
: La liberté individuelle est garantie et
protégée. Nul ne peut être arrêté ou
détenu que suivant les dispositions de la loi. Aucune infraction et
aucune peine ne peuvent être établies que par la loi.
Article 9
: La liberté de conscience est absolue. En rendant
hommage au Très-Haut, l'État respecte toutes les confessions et
en garantit et protège le libre exercice, à condition qu'il ne
soit pas porté atteinte à l'ordre public. Il garantit
également aux populations, à quelque rite qu'elles appartiennent,
le respect de leur statut personnel et de leurs intérêts religieux.
Article 10
: L'enseignement est libre en tant qu'il n'est pas contraire
à l'ordre public et aux bonnes moeurs et qu'il ne touche pas à la
dignité des confessions. Il ne sera porté aucune atteinte au
droit des communautés d'avoir leurs écoles, sous réserve
des prescriptions générales sur l'instruction publique
édictées par l'État.
Article 11
: L'arabe est la langue nationale officielle. Une loi
spéciale déterminera les cas où il sera fait usage de la
langue française.
Article 12
: Tous les citoyens libanais sont également
admissibles à tous les emplois publics sans autre motif de
préférence que leur mérite et leur compétence et
suivant les conditions fixées par la loi. Un statut spécial
régira les fonctionnaires de l'État suivant les administrations
auxquelles ils appartiennent.
Article 13
: La liberté d'exprimer sa pensée par la parole
ou par la plume, la liberté de presse, la liberté de
réunion et la liberté d'association sont également
garanties dans les limites fixées par la loi.
Article 14
: Le domicile est inviolable. nul ne peut y
pénétrer que dans les cas prévues par la loi et selon les
formes prescrites par elle.
Article 15
: La propriété est sous la protection de la
loi. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour
cause d'utilité publique, dans les cas établis par la loi et
moyennant une juste et préalable indemnité.
B. TITRE II
DES POUVOIRS
CHAPITRE I
Dispositions générales
Article 16
: Le pouvoir législatif s'exerce par
une seule assemblée : la Chambre des députés.
Article 17
: Le pouvoir exécutif est confié au Conseil des
ministres qui l'exerce dans les conditions établies par la
présente constitution.
Article 18
: Il appartient à la Chambre des députés
et au Conseil des ministres de faire des propositions de lois. Aucune loi ne
peut être promulguée si elle n'a pas été
votée par la Chambre des députés.
Article 19
: Un Conseil constitutionnel chargé de contrôler
la constitutionnalité des lois et de statuer sur les litiges et les
recours occasionnés par les élections présidentielles et
législative est créé. Le droit de saisir ce Conseil pour
ce qui concerne la constitutionnalité des lois appartient au
Président de la République, au Président de la Chambre des
députés, au Président du Conseil des ministres ou à
dix membres de la Chambre des députés. Le droit de saisir ce
Conseil appartient également aux chefs des communautés reconnues
par la loi pour ce qui concerne exclusivement le statut personnel, la
liberté de croyance, la liberté de culte et la liberté de
l'enseignement religieux.
Les règles d'organisation et de fonctionnement de ce Conseil et les
modalités de sa constitution et de sa saisine seront fixées par
une loi.
Article 20
: Le pouvoir judiciaire fonctionnant dans le cadre d'un
statut établi par la loi et assurant aux juges et aux justiciables les
garanties indispensables, est exercé par les tribunaux des
différents ordres et degrés. La loi fixe les limites et les
conditions de l'inamovibilité des magistrats Les juges sont
indépendants dans l'exercice de leur magistrature. Les arrêts et
jugements de tous les tribunaux sont rendus et exécutés au nom du
peuple libanais.
Article 21
: Est électeur, tout citoyen libanais âgé
de 21 ans révolus qui remplit les conditions prévues par la loi
électorale.
CHAPITRE 2
Du pouvoir législatif
Article 22
: Avec l'avènement de la
première Chambre des députés élue sur une base
nationale et non communautaire, il sera créé un Sénat
où seront représentées toutes les familles spirituelles et
dont les attributions seront restreintes aux questions qui engagent le destin
du pays.
Article 23
: (Abrogé par la loi constitutionnelle du 17 octobre
1927).
Article 24
: La Chambre des députés est composée de
membres élus : leur nombre et les modalités de leur
élection sont déterminés par les lois électorales
en vigueur.
Jusqu'à ce que la Chambre des députés ait
élaboré une loi électorale qui ne tienne pas compte de
l'attache communautaire, les sièges parlementaires seront
répartis conformément aux règles suivantes :
a) à égalité entre chrétiens et musulmans
b) proportionnellement entre les différentes communautés dont se
compose chacune des deux précédentes catégories.
c) proportionnellement entre les régions.
Exceptionnellement et pour une seule fois, les sièges qui étaient
vacants à la date de la promulgation de la présente loi et ceux
nouvellement créés par la loi électorale en application du
principe de l'égalité entre chrétiens et musulmans seront
exceptionnellement pourvus par le Gouvernement d'union nationale, par
désignation, en une seule fois et à la majorité des deux
tiers.
Article 25
: En cas de dissolution de la Chambre des
députés, l'acte de dissolution doit contenir convocation des
électeurs pour des élections nouvelles qui auront lieu
conformément à l'article 24 dans un délai ne
dépassent pas 3 mois.
CHAPITRE 3
Dispositions générales
Article 26
: La Chambre et le Pouvoir exécutif
siègent à Beyrouth.
Article 27
: Le membre de la Chambre représente toute la Nation.
Aucun mandat impératif ne peut lui être donné par ses
électeurs.
Article 28
: Il n'y a aucune incompatibilité entre le mandat de
député et la charge de ministre. Les ministres peuvent être
pris indistinctement tant dans la Chambre qu'en dehors d'elle.
Article 29
: Les cas d'inaptitude à la qualité de
député sont déterminés par la loi.
Article 30 :
La Chambre des députés est seule
compétente pour juger de la validité du mandat de ses membres.
Aucun mandat ne peut être invalide qu'à la majorité des
deux tiers des voix de l'Assemblée entière. Le présent
article sera abrogé d'office dès la création du Conseil
constitutionnel et l'entrée en vigueur de la loi qui s'y rapporte.
Article 31
: Toute réunion de la Chambre, en dehors du temps
légal de session, est illicite et nulle de plein droit.
Article 32
: La Chambre se réunit chaque année en deux
sessions ordinaires. La première s'ouvre le premier mardi qui suit le 15
mars et se termine à la fin du mois de mai. La seconde s'ouvre le
premier mardi qui suit le 15 octobre. Elle est consacrée avant tous les
autres travaux à la discussion et au vote du budget. Elle dure
jusqu'à la fin de l'année.
Article 33
: L'ouverture et la clôture des sessions ordinaires ont
lieu de plein droit aux dates fixées par l'article 32. Le
Président de la République peut, en accord avec le chef du
Gouvernement, convoquer la Chambre des députés à des
sessions extraordinaires dont l'ouverture, la clôture et l'ordre du jour
sont fixés par décret. Le Président de la
République est tenu de convoquer la Chambre des députés
à des sessions extraordinaires, si la majorité absolue de la
totalité des membres la composant le demande.
Article 34
: La Chambre ne peut valablement se constituer que par la
présence de la majorité des membres qui la composent
légalement. Les votes sont acquis à la majorité des voix.
En cas de partage égal, la question mise en délibération
est rejetée.
Article 35
: Les discussions de la Chambre sont publiques. Toutefois, la
Chambre se forme en comité secret sur la demande du Gouvernement ou de
cinq de ses membres. Elle décide ensuite si la discussion doit
être reprise en public sur le même sujet.
Article 36
: Les votes sont émis à haute voix ou par assis
et levé, sauf quand il s'agit d'élection, auquel cas le scrutin
est secret. Sur l'ensemble des lois et sur la question de confiance, on vote
toujours par appel nominal et à haute voix.
Article 37
: Le droit pour tout député, de mettre en cause
la responsabilité des ministres est absolu durant les sessions
ordinaires et extraordinaires. Il ne pourra être
délibéré et voté sur une proposition de cette
nature que cinq jours au moins après sa déposition sur le bureau
de la Chambre des députés et sa communication au ministre
visé.
Article 38
: Toute proposition de loi qui aura été
rejetée par la Chambre, ne pourra être représentée
au cours de la même session.
Article 39
: Aucun membre de la Chambre ne peut être poursuivi ou
recherché à l'occasion des opinions ou votes émis par lui,
pendant la durée de son mandat.
Article 40
: Aucun membre de la Chambre ne peut, pendant la durée
de la session, être poursuivi ni arrêté pour infraction
à la loi pénale qu'avec l'autorisation de la Chambre, sauf le cas
de flagrant délit.
Article 41
: En cas de vacance d'un siège de la Chambre, il sera
pourvu à la vacance dans un délai de deux mois. Le mandat d'un
nouveau membre ne durera que jusqu'à l'expiration du mandat de celui
qu'il remplace. Il ne sera pas pourvu à la vacance, si la Chambre est
à moins de six mois de l'expiration de ses pouvoirs.
Article 42
: Les élections générales pour le
renouvellement de l'Assemblée ont lieu dans les soixante jours qui
précèdent l'expiration de son mandat.
Article 43
: La Chambre fait son règlement intérieur.
Article 44
: Chaque fois que la Chambre des députés est
renouvelée, elle se réunit sous la présidence de son doyen
d'âge, les deux membres les plus jeunes faisant fonction de
secrétaires. La Chambre des députés procède
à l'élection du Président et du Vice-président
séparément pour la durée du mandat de la Chambre des
députés, en scrutin secret et à la majorité absolue
des suffrages exprimés. Au troisième tour du scrutin, la
majorité relative est retenue, et en cas de partage égal des
voix, le plus âgé est déclaré élu.
A chaque fois que la Chambre des députés est renouvelée et
à l'ouverture de la session d'octobre de chaque année, la Chambre
des députés procède à l'élection au scrutin
secret de deux secrétaires, à la majorité
mentionnée à l'alinéa premier du présent article.
La Chambre des députés peut une seule fois, deux ans après
l'élection de son Président et du Vice-Président, et
à la première séance qu'elle tient, retirer la confiance
à son Président et à son Vice-Président à la
majorité des deux tiers de la totalité des membres qui la
composent, à la suite d'une pétition signée par dix
députés au moins. Dans ce cas, la Chambre est tenue de sa
réunir immédiatement pour pourvoir au poste vacant.
Article 45
: Les membres de la Chambre ne votent que s'ils sont
présents à la séance. Le vote par procuration n'est pas
admis.
Article 46
: la Chambre a seule le droit de maintenir l'ordre dans son
sein, par l'intermédiaire de son président.
Article 47
: Toute pétition à la Chambre ne peut
être faite et présentée que par écrit. Il est
interdit d'apporter des pétitions en personne ou à la barre.
Article 48
: L'indemnité des membres de la Chambre est
déterminée par une loi.
Article 48
: L'indemnité des membres de la Chambre est
déterminée par une loi.
CHAPITRE 4
Du pouvoir exécutif
I - Le Président de la République
Article 49
: Le Président de la
République est le chef de l'État et le symbole de l'unité
de la patrie. Il veille au respect de la Constitution, à la sauvegarde
de l'indépendance, de l'unité et de l'intégrité
territoriale du Liban, conformément aux stipulations de la Constitution.
Il président le Conseil supérieur de défense et il est le
Chef suprême des armées qui sont soumises à
l'autorité du Conseil des ministres.
Le Président de la République est élu par la Chambre des
députés au scrutin secret et à la majorité des deux
tiers. Pour les tours de scrutin qui suivent le premier tour, la
majorité absolue suffit. La durée de la magistrature du
Président est de six ans. Il ne peut être réélu que
six ans après la fin de son mandat. Nul n'est éligible à
la présidence de la République, s'il ne remplit pas les
conditions requises pour être éligible à la Chambre des
députés.
De même, les magistrats et les fonctionnaires de première
catégorie ou de catégorie équivalente dans toutes les
administrations publiques et les établissements publics ainsi que toute
autre personne morale de droit public ne sont pas éligibles pendant la
durée d'exercice de leurs fonctions et au cours des deux années
qui suivent la date de leur démission et de la cessation effective de
leurs fonctions ou la date de leur mise à la retraite.
Article 50
: Avant de prendre possession de ses fonctions, le
Président de la République prête serment de
fidélité devant le Parlement à la Nation libanaise et
à la Constitution, dans les termes suivants :
" Je jure par le Dieu Tout-Puissant d'observer la Constitution et les
lois
du Peuple libanais, de maintenir l'indépendance du Liban et
l'intégrité du territoire ".
Article 51
: Le Président de la République promulgue les
lois une fois qu'elles ont été votées par la Chambre, dans
les délais prévus par la Constitution. Il en demande la
publication et ne peut y apporter aucune modification ni dispenser quiconque
d'en respecter les dispositions.
Article 52
: Le Président de la République libanaise
négocie et ratifie les traités en accord avec le président
du Conseil des ministres. Cette ratification n'est définitive qu'avec
l'accord du Conseil des ministres. Celui-ci en donne connaissance à la
Chambre aussitôt que l'intérêt et la sûreté de
l'État le permettent. Les traités qui engagent les finances de
l'État, les traités de commerce et en général les
traités qui ne peuvent être dénoncés à
l'expiration de chaque année, ne sont ratifiés qu'après
avoir été approuvés par la Chambre des
députés.
Article 53
:
1 - Le Président de la République préside le Conseil des
ministres quand il le souhaite sans prendre part au vote.
2 - Le Président de la République nomme, après
consultation du Président de la Chambre des députés, le
Chef désigné du Gouvernement en tenant compte des consultations
parlementaires qui le lient et dont les résultats sont portés
officiellement à sa connaissance.
3 - Il promulgue seul le décret de nomination du Président du
Conseil.
4 - Il promulgue en accord avec le Président du Conseil des ministres le
décret de formation du Gouvernement et les décrets d'acceptation
de la démission des ministres du Gouvernement ou des ministres, ou les
décrets de révocation de ceux-ci.
5 - Il promulgue seul les décrets d'acceptation de la démission
du Gouvernement ou le décret considérant le Gouvernement comme
démissionnaire.
6 - Il transmet à la Chambre des députés les projets de
loi qui lui sont soumis par le Conseil des ministres.
7 - Il accrédite les ambassadeurs et accepte leur accréditation.
8 - Il préside les cérémonies officielles et
décerne par décret les décorations officielles.
9 - Il accorde par décret la grâce. Quant à l'amnistie,
elle ne peut être accordée que par une loi.
10 - Il adresse quant la nécessité l'exige, des messages à
la Chambre des députés.
11 - Il soumet au Conseil des ministres toute question urgente ne figurant pas
à l'ordre du jour.
12 - Il convoque le Conseil des ministres à des réunions
extraordinaires, chaque fois qu'il l'estime nécessaire, en accord avec
le Chef du Gouvernement.
Article 54
: Les décisions du Président de la
République doivent être contresignées par le ou les
ministres concernés, à l'exception du décret de nomination
du Président du Conseil des ministres, du décret d'acceptation de
la démission du Gouvernement et du décret considérant le
Gouvernement comme démissionnaire.
Quant au décret de promulgation des lois, il associe le Président
du Conseil à sa signature.
Article 55
: Le Président de la République peut, dans les
cas prévus aux articles 65 et 77 de la présente Constitution,
demander au Conseil des ministres de dissoudre la Chambre des
députés avant l'expiration de son mandat. Si le Conseil des
ministres décide, suite à cette demande, de dissoudre la Chambre,
le Président de la République promulgue le décret de
dissolution. Dans ce cas, les collèges électoraux se
réunissent conformément aux dispositions de l'article 25 de la
Constitution, et la nouvelle Chambre est convoquée à une
réunion qui doit se tenir dans les quinze jours qui suivent la
proclamation des résultats des élections.
Le bureau de la Chambre continue à expédier les affaires
jusqu'à l'élection d'une nouvelle Chambre.
Article 56 : Le Président de la République promulgue les lois qui
ont été définitivement adoptées dans le mois qui
suit leur transmission au Gouvernement et en demande la publication.
Quant aux lois dont la promulgation aura été
déclarée urgente par un vote de la Chambre, il doit les
promulguer dans les cinq jours et en demander la publication.
Le Président de la République édicte les décrets,
demande leur publication et il a le droit de demander au Conseil des ministres
une nouvelle lecture de n'importe quelle décision que celui-ci aura
prise, et ce dans le délai de quinze jours à dater de son
dépôt à la Présidence de la République. Si le
Conseil des ministres maintient sa décision ou si le délai
prescrit expire sans que le décret ait été
promulgué ou renvoyé, la décision et le décret
seront réputés en vigueur d'office et ils devront être
publiés.
Article 57
: Dans le délai fixé pour la promulgation, le
Président de la République peut, après en avoir
informé le Conseil des ministres, demander une seule fois, que la loi
fasse l'objet d'une nouvelle délibération. cette demande ne peut
être refusée. Lorsque le Président de la République
use de ce droit, il n'est plus tenu de promulguer la loi sauf si cette loi est
adoptée par la Chambre en seconde lecture, par la majorité
absolue de la totalité des membres composant légalement cette
Assemblée.
Au cas où le délai prescrit expire sans que la loi ait
été promulguée ou renvoyée, la loi sera
réputée en vigueur d'office et devra être publiée.
Article 58
: Le Président de la République peut rendre
exécutoire, par décret pris sur l'avis conforme du Conseil des
ministres, tout projet de loi qui aura été déclaré
urgent par le Gouvernement, dont le caractère d'urgence aura
été indiqué dans le décret de transmission et sur
lequel la Chambre n'aura été indiqué dans le décret
de transmission et sur lequel la Chambre n'aura pas statué dans les
quarante jours qui suivent sa soumission à l'Assemblée, son
inscription à l'ordre du jour et sa lecture en séance publique.
Article 59
: Le Président de la République peut ajourner
la Chambre pour une durée n'excédant pas un mois. Il ne peut le
faire deux fois dans la même session.
Article 60
: Le Président de la République n'est
responsable des actes de sa fonction que dans le cas de violation de la
Constitution ou de haute trahison ; sa responsabilité pour les
délits de droit commun est soumise aux lois ordinaires...
Pour ces délits, comme pour la violation de la Constitution et pour la
haute trahison, il ne peut être mis en accusation que par la Chambre des
députés décidant à la majorité des deux
tiers des membres de l'assemblée entière ; il ne peut être
jugé que par la haute Cour prévue à l'article 80. Le
ministère public près la Haute Cour est exercé par un
magistrat nommé par la plus haute juridiction en assemblée
plénière.
Article 61
: Le Président de la République mis en
accusation est suspendu de ses fonctions et la présidence est vacante
jusqu'à ce que la Haute Cour statue.
Article 62
: En cas de vacance de la présidence de la
République pour quelque raison que ce soit, le pouvoir exécutif
est exercé, à titre intérimaire, par le Conseil des
ministres.
Article 63
: La dotation du Président de la République est
déterminée par la loi. Elle ne peut, pendant la magistrature du
Président, être diminuée ni augmentée.
Article 64
: Le Président du Conseil des ministres est le Chef du
Gouvernement. Il le représente et parle en son nom et il est
réputé responsable de l'exécution de la politique
générale établie par le Conseil des ministres. Il exerce
les compétences suivantes :
1 - Il préside le Conseil des ministres et il est, de plein droit,
Vice-Président du Conseil supérieur de défense.
2 - Il entreprend les consultations parlementaires en vue de former le
Gouvernement et contresigne avec le Président de la République le
décret de formation de celui-ci. Le Gouvernement est tenu, dans un
délai de trente jours, à dater de la promulgation du
décret de sa formation, de se présenter devant la chambre des
députés muni d'une déclaration ministérielle afin
d'obtenir sa confiance. le Gouvernement ne peut exercer ses attributions avant
l'obtention de la confiance, ni après avoir démissionné ou
avoir été considéré comme démissionnaire,
sauf dans le sens étroit de l'expédition des affaires.
3 - Il expose la politique générale du Gouvernement devant la
Chambre des députés.
4 - Il contresigne avec le Président de la République tous les
décrets à l'exception de celui le nommant Chef du Gouvernement et
celui acceptant la démission du Gouvernement ou le considérant
comme démissionnaire.
5 - Il signe le décret de convocation à l'ouverture d'une session
extraordinaire, et les décrets de promulgation des lois et ceux
demandant une deuxième lecture de ces lois.
6 - Il convoque le Conseil des ministres et en établit l'ordre du jour.
Il informe au préalable le Président de la République des
points qu'il contient et des sujets urgents qui seront examinés.
7 - Il assure le suivi du travail des administrations et des
établissements publics, coordonne l'activité des
différents ministres et donne des directives générales
pour assurer la bonne marche du travail.
8 - Il tient des réunions de travail avec les services concernés
de l'État en présence du ministre compétent.
Article 65
: Le pouvoir exécutif est confié au Conseil des
ministres qui constitue l'autorité à laquelle sont soumises les
forces armées. Parmi les attributions qu'il exerce :
1. Élaborer la politique générale de l'État dans
tous les domaines, préparer les projets de lois et les décrets
réglementaires et prendre les décisions nécessaires
à leur application.
2. Veiller à l'exécution des lois et des règlements et
superviser les travaux de tous les organes de l'État sans exception :
administrations et institutions civiles, militaires et de
sécurité.
3. Nommer les fonctionnaires de l'État, les congédier et accepter
leur décision conformément à la loi.
4. Dissoudre la Chambre des députés à la demande du
Président de la République si la Chambre des
députés s'abstient pour des raisons ne constituant pas une forme
majeure, de se réunir pendant toute la durée d'une session
ordinaire ou pendant la durée de deux sessions extraordinaires
successives dont la durée de chacune ne serait pas inférieure
à un mois, ou au cas où la Chambre des députés
renverrait le budget dans sa totalité en vue de paralyser l'action du
Gouvernement. Ce droit ne peut être exercé une deuxième
fois pour les mêmes raisons qui ont motivé la première fois
la dissolution de la Chambre.
5. Le Conseil des ministres se réunit périodiquement dans un lieu
spécial et c'est le Président de la République qui,
lorsqu'il est présent, préside ses réunions. Le quorum
légal pour qu'il puisse se tenir est constitué par la
majorité des deux tiers de ses membres. Il prend ses décisions
par consensus et en cas d'impossibilité, par vote. Les décisions
sont alors prises à la majorité des membres présents.
Quant aux question fondamentales, elles ont besoin de l'approbation des deux
tiers des membres du Gouvernement tel qu'il a été fixé par
le décret de formation de ce Gouvernement. Sont
considérées comme questions fondamentales les questions suivantes
: la modification de la Constitution, l'instauration et l'abolition de
l'état d'urgence, la guerre et la paix, la mobilisation
générale, les conventions et les traités internationaux,
le budget général de l'État, les plans de
développement globaux et à long terme, la nomination des
fonctionnaires de première catégorie ou de catégorie
équivalente, la révision de la division administrative, la
dissolution de la Chambre des députés, la loi électorale,
la loi sur la nationalité, les lois relatives au statut personnel, la
révocation des ministres.
Article 66
: Seuls peuvent être ministres les Libanais et ne
peuvent être ministres que les personnes remplissant les conditions les
habilitant à être députés.
Les ministres administrent les services de l'État. Ils sont
chargés de faire appliquer les règlements et les lois, chacun
pour ce qui a trait aux affaires se rapportant à son administration et
le concernant.
Les ministres sont collectivement responsables à l'égard de la
Chambre des députés de la politique générale du
Gouvernement, et individuellement responsables de leurs propres actes.
Article 67
: Les ministres ont libre accès à la Chambre et
doivent être entendus quand ils le désirent. Ils peuvent se faire
assister par un ou plusieurs fonctionnaires de leur département.
Article 68
: Lorsque, conformément à l'article 37, la
Chambre déclare n'avoir plus confiance dans un ministre, ce ministre est
tenu de se démettre.
Article 69
:
1. Le Gouvernement est réputé démissionnaire dans les cas
suivants :
a) Si son Président a démissionné.
b) S'il a perdu plus du tiers de ses membres, tels qu'ils ont été
fixés dans le décret de sa formation.
c) En cas de décès de son Président.
d) Au début du mandat du Président de la République.
e) Au début de chaque législature.
f) Lorsque la confiance lui est retirée par la Chambre des
députés, à l'initiative de celle-ci ou à
l'initiative du Gouvernement.
2. Les ministres sont révoqués par un décret signé
par le Président de la République et le Chef du Gouvernement
après accord des deux tiers des membres du Gouvernement.
3. Lorsque le Gouvernement démissionne ou est considéré
comme démissionnaire, la chambre des députés devient de
plus droit réunie en session extraordinaire jusqu'à la formation
d'un nouveau Gouvernement et l'obtention par celui-ci de la confiance.
Article 70
: La Chambre des députés a le droit de mettre
le Président du Conseil des ministres et les ministres en accusation
pour haute trahison ou pour manquement aux devoirs de leur charge. La mise en
accusation ne peut être décidée qu'à la
majorité des deux tiers de la totalité des membres de la chambre.
Une loi spéciale déterminera les conditions de la
responsabilité civile du Président du Conseil des ministres et
des ministres.
Article 71
: Le Président du Conseil des ministres et les
ministres mis en accusation sont jugés par la Haute Cour.
Article 72
: Aussitôt que la décision de mise en accusation
est prise, le Président du Conseil des ministres ou le ministre
abandonne ses fonctions. Sa démission n'empêche pas que des
poursuites soient entamées ou poursuivies contre lui.
C. TITRE III
A) ÉLECTION DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
Article 73
: Un mois au moins et deux au plus avant
l'expiration des pouvoirs du Président de la République, la
Chambre se réunit sur la convocation de son président, pour
l'élection du nouveau président.
A défaut de la convocation, cette réunion aura lieu, de plein
droit, le dixième jour avant le terme de la magistrature
présidentielle.
Article 74
: En cas de vacance de la présidence par
décès, démission ou pour toute autre cause,
l'Assemblée se réunit immédiatement et de plein droit pour
élire un nouveau président. Si au moment où se produit la
vacance, la Chambre se trouve dissoute, les collèges électoraux
sont convoqués sans retard et, aussitôt les élections
faites, la Chambre se réunit de plein droit.
Article 75
: La Chambre, réunie pour élire le
Président de la République, constitue un collège
électoral et non une Assemblée délibérante. Elle
doit procéder uniquement, sans délai ni débat, à
l'élection du chef de l'État.
B) RÉVISION DE LA CONSTITUTION
Article 76
: La Constitution peut être
révisée à l'initiative du Président de la
République.
Dans ce cas, le Gouvernement saisira l'Assemblée d'un projet de loi
constitutionnelle.
Article 77
: La Constitution peut également être
révisée à l'initiative de la Chambre des
députés. Dans ce cas, ce droit s'exerce de la façon
suivante :
La Chambre peut, au cours d'une session ordinaire et sur proposition de dix de
ses membres au moins, émettre, à la majorité des deux
tiers de la totalité des membres qui la composent légalement, le
voeu que la Constitution soit révisée.
Les matières et les questions sur lesquelles porte le voeu doivent
cependant être déterminées et indiquées de
façon précise. Le président de la Chambre transmet le voeu
au Gouvernement en lui demandant de préparer un projet de loi à
ce sujet. Si le Gouvernement approuve le voeu de la Chambre à la
majorité des deux tiers, il doit établir un projet de
révision de la Constitution et le soumettre à la Chambre dans un
délai de quatre mois. Si le Gouvernement n'est pas d'accord, il doit
renvoyer la décision à la Chambre pour seconde lecture. Si
l'Assemblée maintient sa décision à la majorité des
trois quarts de la totalité des membres la composant légalement,
il est loisible au Président de la République, soit de faire
droit au souhait de l'Assemblée, soit de demander au Conseil des
ministres de dissoudre l'Assemblée, et de procéder à de
nouvelles élections dans un délai de trois mois. Si la nouvelle
Assemblée insiste sur la nécessité de procéder
à la révision, le Gouvernement doit s'incliner et
présenter le projet de révision dans un délai de quatre
mois.
C) FONCTIONNEMENT DE L'ASSEMBLÉE
Article 78
: La Chambre saisie d'un projet de loi
constitutionnelle, ne doit, jusqu'au vote définitif, s'occuper que de la
révision.
Elle ne peut délibérer et voter que sur les articles et questions
limitativement énumérées et précisés au
projet qui lui a été transmis.
Article 79
: Lorsqu'un projet concernant la révision de la
Constitution est présenté à la Chambre, celle-ci ne peut
valablement délibérer et voter que si la majorité des deux
tiers des membres qui la composent légalement est réunie. Les
décisions sont prises à celle même majorité.
Le Président de la République est tenu de promulguer la loi
constitutionnelle dans les formes et aux conditions prévues pour la
promulgation et la publication des lois ordinaires. Il peut, dans le
délai fixé pour la promulgation, et après en avoir
informé le Conseil des ministres, demander à la Chambre des
députés de délibérer une nouvelle fois sur le
projet. les délibérations auront lieu également à
la majorité des deux tiers des voix.
D. TITRE IV
DISPOSITIONS DIVERSES
A) HAUTE COUR
Article 80 : La haute Cour dont la fonction est de juger les présidents et les ministres se compose de sept députés élus par la Chambre des députés et de huit magistrats libanais parmi les plus hauts en grade, pris en ordre hiérarchique ou en tenant compte de l'ancienneté, en cas d'égalité de grade. Les membres de la haute Cour se réunissent sous la présidence du magistrat le plus élevé en grade et les arrêts de condamnation sont rendus à la majorité de dix voix. Une loi spéciale déterminera la procédure à suivre devant la Haute Cour.
B) FINANCES
Article 81
: Les impôts sont établis pour
l'utilité commune. On ne pourra lever les impôts dans la
République Libanaise que conformément à une loi uniforme
s'appliquant à tout le territoire sans exception.
Article 82
: Aucun impôt ne peut être modifié ou
supprimé qu'en fonction d'une loi.
Article 83
: Chaque année, au début de la session
d'octobre, le Gouvernement soumet à la Chambre des
députés, pour examen et approbation, le budget
général des recettes et des dépenses de l'État pour
l'année suivante. Le budget est voté article par article.
Article 84
: La Chambre ne peut, au cours de la discussion du budget et
des projets de loi portant ouverture de crédits supplémentaires
ou extraordinaires, relever les crédits proposés dans le projet
de budget ou dans les projets susindiqués, ni par voie d'amendement, ni
par voie de propositions indépendantes. Mais cette discussion
terminée, l'Assemblée peut voter des lois comportant des
dépenses nouvelles.
Article 85
: Aucun crédit extraordinaire ne peut être
ouvert que par une loi spéciale.
Néanmoins, lorsque des circonstances imprévues rendent
nécessaires des dépenses urgentes, le Président de la
République peut, par décret pris sur l'avis conforme du Conseil
des ministres, ouvrir des crédits extraordinaires ou
supplémentaires ou opérer tout virement de crédit à
l'intérieur du budget. Ces crédits ne peuvent cependant
dépasser un plafond qui sera fixé dans la loi du budget. Les
mesures ainsi édictées doivent être soumises à la
ratification de la Chambre des députés à la
première session qui suit.
Article 86
: Si la Chambre des députés n'a pas
définitivement statué sur le projet de budget avant l'expiration
de la session consacrée à l'examen du budget, le Président
de la République convoque aussitôt, en accord avec le Chef du
Gouvernement, l'Assemblée à un session extraordinaire qui durera
jusqu'à la fin du mois de janvier et qui sera consacrée à
la poursuite de l'examen du budget. Si à l'expiration de cette session
extraordinaire, il n'est pas définitivement statué sur le projet
de budget, le Conseil des ministres peut prendre une décision sur la
base de laquelle le Président de la République publiera un
décret qui rend le projet de budget exécutoire dans la forme
où il a été présenté à la Chambre des
députés. Le Conseil des ministres ne peut exercer ce droit que si
le projet de budget a été présenté à la
Chambre quinze jours au moins avant le début de la session.
Au cours de ladite session extraordinaire, les impôts, contributions,
droits et autres recettes continueront à être perçus comme
précédemment et le budget de l'année
précédente sera pris pour base, auquel seront ajoutés les
crédits additionnels et supplémentaires permanents et dont seront
déduits les crédits permanentes supprimés. le Gouvernement
engage les dépenses du mois de janvier de l'année nouvelle sur la
base de la règle du douzième.
Article 87
: Le compte définitif de l'administration des finances
pour l'exercice clos doit être soumis à la Chambre et
approuvé avant la promulgation du budget du deuxième exercice,
après celui auquel le compte se réfère.
Article 88
: Aucun emprunt public, aucun engagement pouvant grever le
Trésor ne pourront être contractés qu'en vertu d'une loi.
Article : 89
: Aucune concession ayant pour objet l'exploitation d'une
richesse naturelle du pays ou un service d'utilité publique, ni aucun
monopole ne peuvent être accordés qu'en vertu d'une loi et pour un
temps limité.
E. TITRE V
DISPOSITIONS RELATIVES AU MANDAT ET
À LA LIGUE
DES NATIONS
Articles 90 à 92
: (abrogés par la loi
constitutionnelle du 9 novembre 1943).
Article 93
: (abrogé par la loi constitutionnelle du 21 janvier
1947).
Article 94
: (abrogé par la loi constitutionnelle du 9 novembre
1943).
F. TITRE VI
DISPOSITIONS FINALES ET TRANSITOIRES
Article 95
: La Chambre des députés
élue sur la base de l'égalité des sièges entre
musulmans et chrétiens doit prendre les dispositions appropriées
en vue d'abolir le confessionnalisme politique suivant un plan par
étapes et former une instance nationale présidée par le
Président de la République comprenant, outre le Président
de la Chambre des députés et le Président du Conseil des
ministres, des personnalités politiques, intellectuelles et sociales.
La mission de cette instance est d'étudier et de proposer les moyens de
nature à mener à l'abolition du confessionnalisme, de les
soumettre à la Chambre des députés et au Conseil des
ministres, et d'assurer le suivi de l'exécution du plan par
étapes.
Au cours de la période transitoire :
a) Les communautés religieuses seront équitablement
représentées dans la composition du Gouvernement.
b) La règle de la représentation confessionnelle dans la fonction
publique, la magistrature, les institutions militaires et de
sécurité ainsi que les établissements publics et mixtes
est supprimée conformément aux impératifs de l'entente
nationale, à l'exception des fonctions de première
catégorie ou de catégorie équivalant à la
première catégorie pour lesquelles sera appliquée la
règle de l'égalité entre chrétiens et musulmans,
sans attribution d'une fonction déterminée à une
confession déterminée, tout en tenant compte de la
compétence et des aptitudes.
Articles 96 à 100
: (abrogés par la loi constitutionnelle
du 21 janvier 1947).
Article 101
: A partir du 1er septembre 1926, l'État du
" Grand Liban " portera le nom de " République
Libanaise " sans autre changement ni modification d'aucune sorte.
Article 102
: Toutes les dispositions législatives contraires
à la présente constitution sont abrogées.
1 " Beyrouth sur scène " comme disent, non sans une certaine ironie, certains Libanais restés au pays.
2
La Faculté de Droit de
l'Université libanaise propose une filière française.
3
L'Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK) s'est
fixé comme objectif d'assumer, " en même temps que la
promotion de valeurs humaines universelles, le maintien et le
développement des traditions et du patrimoine spirituels et culturels
propres au Liban et au Proche-Orient " L'USEK entend surtout être
" un lieu de rencontre, d'osmose et d'enrichissement mutuel des
cultures
occidentale et orientale ".
4
Comme illustration de cet esprit de compréhension
mutuelle, voir en annexe n° 1 le mot du R.P. Antoine Khalifé,
Recteur de l'USEK.
5
La délégation a également estimé que
des représentants du Parlement français ne pouvaient se rendre
dans le Liban Sud sans saluer le contingent français de la FINUL
à Tyr. Ainsi, à l'occasion d'une réunion de travail
à laquelle plusieurs militaires du contingent français ont
participé en présence de l'Attaché de Défense
près l'Ambassade de France, le lieutenant Colonel de Chambord,
commandant par intérim des Forces Françaises de la FINUL nous a
exposé les différents aspects de la mission qui leur était
confiée ainsi que les principales difficultés rencontrées
sur le terrain lors des incidents qui opposent sans cesse les combattants
chiites du Hezbollah ou du mouvement Amal, l'Armée du Liban Sud et
Tsahal.
6
Jean Salem in Préface à
l'Introduction à l'histoire politique du Liban moderne.
7
Voir sur ce sujet l'excellent ouvrage du P. Basile BASILE
" Statut personnel et compétence judiciaire des communautés
confessionnelles au Liban " - Université Saint-Esprit de Kaslik
8
Cité in Fouad L. Boustany : Introduction
à l'histoire politique du Liban moderne.
9
Le Liban, Etat de discorde. Des fondations aux guerres
fratricides (Flammarion).
10
Edmond Rabbath : La formation historique du Liban
politique et constitutionnel - Publication de l'Université libanaise -
Beyrouth (1986).
11
Op. Cité : p. 3
12 Cet accord aurait été imposé au Président de la République, M. Charles Hélou, par le Président du Conseil, M. Rachid Karamé.
13 Voir sur ce point Issam Sleiman - Equilibre interconfessionnel et équilibre institutionnel au Liban in Le Liban aujourd'hui - Sous la direction de Fadia Kiwa (CERMOC).
14
Le Parlement siège selon le rythme de
deux sessions ordinaires de trois mois : octobre à décembre et
mars à mai, mais les sessions extraordinaires sont fréquentes.
15
La Chambre des Députés comprend treize commissions.
16
Op. cit. p. 74.
17
Cette " Moutassarifiya " était un gouvernorat
autonome créé par un règlement organique établi en
1861 entre les puissances européennes et la Sublime Porte à la
suite des graves incidents ayant opposé les maronites aux Druzes.
18
Il faut noter que cette constitution a mis en place une
démocratie parlementaire inspirée du modèle de la
Troisième République, sauf que le Sénat est
supprimé en 1927.
19
In Paul Blanc : " Le Liban entre la guerre et
l'oubli ", p. 79 et 50 - Selon certains historiens, le Liban et la
Syrie
n'ont jamais formé un seul et même Etat. Au contraire, le Liban a
toujours tendu à une certaine autonomie, y compris dans le cadre de
l'empire ottoman.
20
M. Farouk Ach Chara, ministre syrien des affaires
étrangères, déclarait le 31 mars 1989 :
" La Syrie n'a pas de visée régionale au Liban. Elle n'a
jamais essayé d'imposer une solution aux Libanais.
21
Paul Blanc, Op. cit. (p. 209) - " La liste des membres
du
Gouvernement a été arrêtée à Damas au cours
d'une réunion entre les Présidents Hraoui et Hafez-el-Assad. Mais
les formes de la nouvelle démocratie ont été
respectées."
22
Le découpage a notamment répondu au souhait de M.
Walid Joumblatt que les druzes désignent leurs propres
représentants.
23 Décisions n°s 196 et 197 DC des 8 et 23 août 1985.
24 M. Walid Joumblatt a même vivement déploré une politique de privatisation rampante des services publics.