SECTION IV : LA REPRISE DES ESSAIS NUCLÉAIRES FRANÇAIS DANS LE PACIFIQUE
La reprise des essais nucléaires français dans le Pacifique, décidée par le Président CHIRAC, a fait l'objet de débats devant l'Assemblée de l'UEO au cours des deux sessions de juin et septembre 1995. Dans les deux cas, aucun texte n'a pu être adopté par l'Assemblée faute de quorum.
1 "Présentant, le 22 juin, le rapport (doc 1476) de la commission de défense, Sir RUSSELL JOHNSTON (Royaume-Uni, libéral) a estimé que "les conséquences politiques de la reprise des essais nucléaires français sont mauvaises, que le message envoyé à d'autres pays est mauvais et qu'on doit déplorer le manque de consultation au sein de l'Alliance." C'est sur cette base que le rapporteur a invité l'Assemblée à soutenir le projet de résolution, condamnant la reprise des essais nucléaires par la France.
Précisant la position française, M. Jean de LIPKOWSKI, député (RPR) a notamment déclaré : "Notre objectif est clair. Nous avons pris un certain nombre d'engagements vis-à-vis de la communauté internationale. Nous nous sommes associés avec les autres puissances nucléaires pour la conclusion d'un accord d'interdiction complète des essais fin 1996. Nous avons accepté au mois de mai une recommandation de la Conférence du TNP de conclure cette négociation d'interdiction. Pour l'instant, et après avoir consulté nos experts, nous sommes obligés de faire ces expérimentations pour tenir notre parole, c'est-à-dire pour passer, fin 1996, quand les essais seront interdits, à la phase de simulation."
"Actuellement, nous ne sommes pas prêts techniquement ; nous le serons après que ces essais nous auront permis de régler notre problème de simulation. En outre, ces essais sont nécessaires pour acquérir les éléments techniques qui garantissent la fiabilité de nos armes nucléaires, pour disposer des éléments qui nous permettent d'éviter le vieillissement de ces armes, dont la durée moyenne est de vingt ans, et pour maintenir notre capacité nucléaire dans un monde qui restera nucléaire pour longtemps."
"Or, notre capacité intéresse la sécurité de l'Europe puisque nos armes nucléaires sont à la disposition de l'Europe. Je suis donc très étonné que certains membres de cette Assemblée veuillent se priver de cette arme de dissuasion en nous interdisant de la mettre au point Le Président de la République française aurait été totalement irresponsable s'il avait refusé de suivre l'avis de nos experts "
M. de LIPKOWSKI a également rappelé, réfutant les arguments du rapporteur, que si la France tenait ses partenaires informés, aucun texte ne l'obligeait à les consulter.
M Jean VALLEIX, député (RPR) Président de la délégation française, a rappelé qu'il convenait de se donner les moyens de promouvoir une défense européenne. Il a notamment déclaré : "Je souhaite qu'il n'y ait pas de rupture dans ce débat II en va de l'intérêt commun de l'Europe que nous soyons dotés d'une force de dissuasion. En tenant compte de l'opinion des Anglais, des Français et de beaucoup d'entre vous, respectons bien les rendez-vous et les engagements que nous avons pris par rapport à 1996 Ce débat, que nous avons voulu traiter au fond, doit déboucher sur une prise de responsabilités très mesurée, donc très positive et réaliste par rapport à l'avenir "
Quant à M Jacques BAUMEL, député (RPR) Président de la commission de défense de l'Assemblée de l'UEO, il a estimé qu'il s'agissait "d'un débat important sur lequel il était normal que chaque parlementaire exprime son opinion." Dans ce débat difficile il convient, a-t-il indiqué "de se garder de tout excès "
"Pour expliquer un peu les quelques essais que la France va réaliser, a indiqué M. BAUMEL, il faut dire à l'Assemblée que l'interruption de la campagne d'essais, il y a trois ans, décidée par le Président de la République de l'époque, était prématurée. Car si cette campagne, il y a trois ans, avait abouti à quelques essais supplémentaires, suivis d'un moratoire, nous aurions été dans la même situation que les États-Unis qui, avant d'adopter un moratoire, avaient terminé leur campagne d'essais. Ce qui leur permettait évidemment, sur les bases de cette expérimentation, de s'engager dans une longue période de moratoire. La France aurait dû faire la même chose. Elle ne l'a pas fait."
"Par ailleurs, je voudrais confirmer, et je crois qu'on ne peut pas mettre en doute la parole de notre pays, que la France est tout à fait décidée à négocier et à signer le Traité d'interdiction des essais nucléaires à partir de 1996 C'est la raison pour laquelle elle cherche à organiser très vite quelques petits essais, de l'ordre de 150 kilotonnes, pour terminer l'expérimentation nécessaire avant de passer aux expériences en laboratoire qui seront poursuivies, comme elles le sont d'ailleurs dans d'autres pays, notamment les États-Unis "
M BAUMEL a également souligné qu'il ne fallait pas exagérer les conséquences de ces essais Des missions scientifiques se sont rendues sur place et d'ailleurs, a-t-il rappelé, les Australiens n'avaient pas réagi lorsque des expériences nucléaires britanniques avaient eu lieu dans l'atmosphère, à proximité de leur territoire II en va de même pour les essais aux États-Unis dans le Nevada
En tant que Président de la commission, M BAUMEL remercie son rapporteur et tous ceux qui ont bien voulu participer a ce débat En sa qualité de représentant français, il sera fidèle à la position de la délégation française
Le quorum n'étant pas atteint, le vote sur la proposition de résolution de Sir Russel JOHNSTON a été reporté
M Charles MILLON, ministre de la défense, avait eu l'occasion, le 20juin 1995, de s'exprimer sur cette question dans ses réponses aux parlementaires II a notamment déclaré :
"Le Président de la République souhaite que la France puisse être signataire, à la fin de 1996, du traité d'interdiction définitive des essais nucléaires, dont les discussions entreront dans leur phase finale a partir de juin-juillet 1996
Pour autant, le Président de la République et le gouvernement français ne veulent pas renoncer au principe de dissuasion, qui est à la base même de notre politique de défense. Or, nous savons qu'il est probable que notre arsenal nucléaire deviendra obsolète, c'est-à-dire sera dépassé en 2010-2015, s'il n'est pas possible d'engager aujourd'hui des essais nucléaires en nombre limité.
Ces essais nucléaires n'ont pas pour objectif de tester de nouvelles armes, ou même de moderniser notre arsenal nucléaire"
Soulignant, par ailleurs, que la décision du Président de la République s'inscrivait "dans une politique de souveraineté et d'indépendance nationales", ou que si elle avait fait l'objet d'information, "nous n'avions pas d'avis préalable à demander", le ministre a indique
"Nous voulons absolument, dans le domaine nucléaire, avoir une approche scientifique et non pas de modernisation, de construction ou de mise au point d'armes nouvelles C'est pourquoi nous avons pu annoncer préalablement qu'il n'y aurait que huit tirs, que la campagne serait terminée le 31 mai 1996 et que nous participerions activement a la mise au point du traite d'interdiction définitive des essais nucléaires C'est une démarche d'indépendance nationale, de validité ou plutôt de renforcement de la fiabilité de notre arsenal nucléaire ; c'est une démarche scientifique et elle n'est pas nouvelle. Je rappelle d'ailleurs que le Président de la République française avait, en 1992, suspendu et non arrêté les essais. Il s'agissait d'un moratoire. Nous irons plus loin puisque, fin 1996, nous ne suspendrons pas les essais, mais les arrêterons définitivement quand nous aurons signé le traité".
2° Le débat sur la reprise des essais nucléaires français dans le Pacifique devait rebondir au cours de la session de décembre de l'Assemblée de l'UEO. Dans sa séance du 5 décembre 1995, celle-ci a en effet débattu du nouveau rapport (doc 1488 et amendement) de Sir Russel JOHNSTON, cependant qu'elle était appelée à se prononcer sur une question préalable déposée à l'initiative de M. Jean VALLEIX. Le rapporteur de la commission de défense a rappelé que le rapport n'était pas à l'origine "destiné à traiter du nucléaire en général, mais des conséquences particulières de la reprises des essais français dans le contexte du mouvement vers pour un traité d'interdiction complète des essais nucléaires...".
Le rapport et la résolution sont un compromis, a souligné le rapporteur. Défendant la question préalable (doc 1501), M Jean VALLEIX s'est étonné qu'une question de cette importance "puisse être débattue dans un climat polémique alors même que le Gouvernement français a proposé une nouvelle réflexion sur le rôle des armes nucléaires dans la défense européenne." Il a d'ailleurs déposé une proposition de directive (n° 1502) sur l'avenir des forces nucléaires, invitant la commission de défense à engager une réflexion au fond
Intervenant dans la discussion, M Jean-Michel BOUCHERON, député (S) ancien Président de la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale, rappela qu'il était à ce poste quand François MITTERRAND, en 1992, a décidé d'arrêter les expérimentations nucléaires.
"L'Europe de la défense se fera, affirma-t-il, pour une raison simple notre proximité géographique. Nous sommes liés politiquement et stratégiquement II est évident que, si un danger mortel venait un jour menacer l'un de nos peuples, les pays voisins se sentiraient concernés et seraient prêts à intervenir. A l'inverse, chacun sait, même s'il ne veut pas se poser la question, que les peuples d'outre-Atlantique ne seraient pas forcément concernés par ce danger.
Nous sommes donc liés. "
"Vous l'avez compris, personne ne peut me soupçonner de vouloir soutenir le gouvernement français, ni globalement, ni principalement, dans cette décision. Mais l'UEO ne peut pas être le lieu d'un acte de défiance vis-à-vis de l'un de ses membres Je vous demande simplement de penser aux opinions publiques Que ceux qui ont l'intention de voter en faveur de ce projet de résolution, même si je comprends leur motivation, sachent que son adoption n'aidera pas du tout l'action que mènent en Belgique ceux qui sont opposés à cette reprise des essais nucléaires. Ce qui est important, ce n'est pas le contenu du texte ou des amendements qui nous sont soumis, mais bien la perception qu'en aura l'opinion publique. Soyez assurés que l'opinion publique française, face à une motion qu'elle considérerait comme un acte de défiance, se resserrerait, dans un réflexe national. »
A l'initiative de M Armand de DECKER (Belgique, PRL) plusieurs amendements ont été présentés en vue de dégager une position acceptable par la délégation française Comme lors du précédent débat, le vote sur l'ensemble du projet de résolution, faute de quorum, n'a pas pu avoir lieu