DEUXIÈME PARTIE : À SUPPOSER QU'UNE MODIFICATION SOIT SOUHAITABLE, L'ÉLECTION DANS LE CADRE DU DEPARTEMENT DOIT IMPERATIVEMENT ÊTRE MAINTENUE
I. L'ÉLECTION DANS LE CADRE DE LA RÉGION PORTERAIT ATTEINTE À LA NECESSAIRE REPRESENTATION DU TERRITOIRE
Force est de le reconnaître : le passage du cadre départemental au cadre régional compte beaucoup de partisans convaincus. M. Daniel Hoeffel, a sans doute parfaitement résumé leur point de vue en indiquant qu'à ses yeux. « le choix de la circonscription régionale était incontournable » pour peu que l'on souhaite faire de la région « la collectivité de l'avenir » .
Plusieurs des personnalités entendues par le groupe de travail ont à cet égard regretté que l'élection de conseillers régionaux ne soit « que la juxtaposition de scrutins départementaux » , pour reprendre l'expression de M. Hubert Haenel dans l'exposé des motifs de la proposition de loi (n° 202) qu'il a déposée le 6 février 1996 avec MM. Daniel Eckenspieller et Jean-Louis Lorrain.
À l'appui d'une élection des conseillers régionaux dans le cadre de la région, beaucoup avancent un argument a priori simple : il pourrait sembler logique de faire coïncider le cadre de l'élection et le territoire de la collectivité à représenter.
Or, cette idée est étrangère au droit électoral français car elle va à l'encontre de la nécessaire représentation du territoire.
• Un des mécanismes de la
représentation du territoire est en effet l'élection des membres
des différentes assemblées dans un cadre situé
« un cran en dessous » de la collectivité
représentée :
- la circonscription ou le département pour les élections nationales,
- le département pour les élections régionales,
- le canton pour les élections au conseil général,
- l'arrondissement pour les élections municipales dans les trois grandes villes Paris-Lyon-Marseille.
De même, les élections européennes ne sont pas organisées à l'échelon européen, mais au niveau de chaque État membre.
Il n'est fait exception à ce principe que dans le cas du scrutin municipal (sauf le régime spécifique de Paris, Lyon et Marseille), parce que dans une commune, le lien de proximité entre l'électeur et l'élu demeure assez étroit pour ne pas devoir abaisser encore d'un cran le cadre territorial de l'élection.
Organiser l'élection des conseillers régionaux dans le cadre d'une circonscription régionale s'écarterait complètement de cette logique, au détriment de la représentation territoriale, en l'occurrence celle des départements, dont pratiquement toutes les personnalités entendues par le groupe de travail se sont pourtant accordées à admettre la nécessité.
Le problème se poserait notamment dans les régions comportant à la fois de grands et de petits départements, la représentation de ces derniers pouvant être compromise au sein d'un ensemble aussi vaste. M. Christian Bonnet a d'ailleurs bien noté ce risque d'effacement des petits départements.
M. Pierre Mauroy a certes été nuancé à ce sujet. Il a en effet estimé -en réponse à une question de M. Jean-Claude Peyronnet sur le risque qu'une circonscription régionale compromette la représentation des zones rurales au profit des zones urbaines- que les territoires « étaient déjà trop largement représentés en France » .
Mais la plupart des autres auditions ont au contraire montré le fort attachement des élus -régionaux comme départementaux- à une suffisante représentation du département au sein du conseil régional.
Le Président Valéry Giscard d'Estaing, pourtant partisan du passage au cadre régional, a évoqué quelques solutions pour tenter de concilier ce cadre avec la nécessaire représentation des départements : par exemple l'attribution des sièges pourrait s'effectuer en fonction des attaches départementales déclarées par les candidats, ou encore par ordre de présentation sur la liste mais en tenant compte du poids démographique de chaque département au sein de la région. Il est toutefois convenu qu'un tel système imposerait une « grille de lecture » pouvant soulever des difficultés d'ordre constitutionnel, dans la mesure où il méconnaîtrait peut-être le principe d'égalité des suffrages. Le Président Valéry Giscard d'Estaing a d'autre part admis que la répartition des sièges à la plus forte moyenne dans le cadre régional ferait différer la représentativité des élus en fonction du poids démographique de chaque département. En d'autres termes, certains candidats de tel ou tel département bénéficieraient des résultats obtenus par leur parti dans un autre département, ce qui équivaudrait à un mécanisme de report des voix qu'il a lui-même qualifié d'» assez contestable » .
En toute hypothèse, un des inconvénients majeurs de tels systèmes est leur complexité, tant dans leur formulation que dans leurs effets. Ils ne seraient probablement pas bien perçus par les électeurs, auxquels la loi doit au contraire proposer des choix simples et clairs.
• En l'état, le groupe de travail a
constaté que le cadre de l'élection conditionne la
représentation des territoires, laquelle est un principe essentiel dont
le droit électoral français a su tirer les conséquences
Sur ce point, l'élection des conseillers régionaux dans le cadre du département offre toutes les garanties et présente le mérite de la clarté Elle maintient de surcroît une proximité suffisante entre l'électeur et l'élu.
Un cadre régional, au contraire, rendrait beaucoup plus aléatoire une exacte représentation de chaque département et impliquerait en tout état de cause des mécanismes complexes où l'électeur ne se retrouverait probablement pas.