III. DANS CES CONDITIONS, UN CHANGEMENT DE MODE DE SCRUTIN EST-IL RÉELLEMENT INDISPENSABLE ?

1. Un éventuel changement du mode de scrutin régional ne saurait être justifié par des considérations purement électoralistes

Le groupe de travail a tout d'abord été unanime à considérer qu'un mode de scrutin, quel qu'il soit, ne saurait être modifié en fonction de préoccupations purement politiciennes.


• On ne doit changer un mode de scrutin qu'en présence d'impérieuses nécessités où les raisons d'intérêt général liées à une meilleure expression du suffrage universel doivent en principe l'emporter sur de simples considérations électoralistes.

L'expérience enseigne d'ailleurs que les changements de mode de scrutin pour des raisons purement circonstancielles produisent rarement les effets attendus, car les résultats d'une élection dépendent avant tout du choix des électeurs, quel que soit le mode de scrutin retenu.


• Par ailleurs, un changement de mode de scrutin ne doit pas répondre uniquement aux préoccupations des élus, mais aussi -et peut-être principalement- à celles des électeurs.

En l'espèce, est-il certain que le corps électoral aspire réellement à une modification du mode de scrutin régional ?

Lors de son audition du 19 décembre 1995, M. Jérôme Jaffré, vice-président de la SOFRES et professeur à l'Institut d études politiques de Paris, a fait observer qu'à l'heure actuelle, aucune demande de changement n'était perceptible dans 1'électorat, celui-ci attendant simplement que les règles soient simples et assurent une proximité satisfaisante entre l'élu et ses électeurs.

Le groupe de travail partage pleinement le souci de ne pas surcharger le mode de scrutin régional de règles complexes dont les électeurs -et même parfois les candidats- auraient du mal à saisir la justification.

Pour être bien accepté, un mode de scrutin doit être simple, transparent et « lisible ».

2. Un changement de mode de scrutin ne saurait intervenir sans la recherche au préalable du plus large consensus possible

Envisager un changement de mode de scrutin impose au préalable de rechercher un consensus aussi large que possible, car il ne faut pas que la modification des « règles du jeu » puisse être présentée comme dirigée contre telle ou telle formation politique.

Dans le cas du scrutin régional, cet impératif est d'autant plus fort que précisément, beaucoup de petites formations ont des élus, même en faible nombre, dans les conseils régionaux. La tentation serait donc très forte de présenter le changement de mode de scrutin comme une manoeuvre délibérément conçue dans la seule intention de les écarter.

La plupart des personnalités auditionnées par le groupe de travail ont d'ailleurs insisté sur cette nécessaire recherche d'un consensus préalable à travers une large concertation, y compris parmi les plus fervents partisans d'une réforme, par exemple M. Michel Giraud.

3. Des arguments forts plaident en faveur du maintien du mode de scrutin actuel, bien adapté à la spécificité de la région

La région est la plus récente des collectivités territoriales françaises, puisqu'elle n'existe, en tant que telle, que depuis les lois de décentralisation.

Les régions sont de surcroît très différentes les unes des autres, en raison d'un découpage initial qui s'est révélé fort délicat. C'est ainsi que certaines régions peuvent se prévaloir d'une identité historique et culturelle bien affirmée (la région de Bretagne, par exemple, ou encore la région d'Alsace), tandis que d'autres sont encore à la recherche de leur identité.

Lors de son audition, M. Jean Puech, Président de l'Association des présidents de conseils généraux. Président du conseil général de l'Aveyron a également souligné la disparité de taille entre les régions, insistant à cet égard sur le fait que les relations entre départements et régions diffèrent beaucoup selon la taille de la région.

De fait, plusieurs départements sont à eux seuls beaucoup plus peuplés que certaines régions. Pour n'en prendre qu'un exemple, la Seine-et-Marne, avec plus d'un million d'habitants, dépasse largement la population totale de la région du Limousin (722.000 habitants).

Ne serait-ce qu'en raison de cette diversité et de leur relative « jeunesse » par rapport aux autres collectivités territoriales, les régions doivent donc affirmer leur identité à travers les compétences nouvelles qui leur ont été reconnues par le législateur, lesquelles doivent demeurer bien distinctes de celles des départements ou des communes.

M. Michel Rufin a partagé ce point de vue en considérant que le véritable impératif n'était pas de modifier le mode de scrutin régional mais de doter l'institution régionale d'une plus grande légitimité.


• Par nature, les compétences de la région sont plus axées sur la coordination et sur l'impulsion -dans des domaines tels que l'aménagement du territoire, la protection de l'environnement, les grandes infrastructures de transport, la formation professionnelle, etc...- que sur la gestion proprement dite.

Votre rapporteur ne peut à cet égard que s'associer au propos du Président du groupe de travail, M. Lucien Lanier, qui a plusieurs fois regretté une certaine dérive gestionnaire de la région.

Il tient d'ailleurs à rappeler que si le législateur avait entendu confier la gestion des lycées aux régions, c'était dans la perspective de l'attribution aux collectivités locales de responsabilités décisionnelles dans la détermination des filières. Or cette attribution ne s'est finalement pas concrétisée (mis à part les BTS), si bien que la gestion des lycées par les régions n'a pas été assortie des compétences qui auraient pu la justifier.

Comme l'a souligné M. Charles Josselin, Président du conseil général des Côtes-d'Armor, lors de son audition par le groupe de travail, la région doit être conçue avant tout comme une administration de mission.

Dotée d'une vocation à définir des stratégies de développement, la région ne doit pas se substituer aux acteurs économiques et sociaux. Une majorité régionale trop monolithique ne serait pas à l'abri de cette tentation.

De même la décentralisation pose comme un principe fondateur que chaque collectivité territoriale exerce ses compétences sans empiétement sur celles des autres. En d'autres termes, il ne doit s'établir aucun lien de tutelle entre les différents échelons de l'administration territoriale.

En raison de sa taille et de la nature de ses compétences, la région, si elle était systématiquement dotée d'une majorité forte et stable, pourrait être tentée d exercer son influence sur les autres collectivités territoriale, voire de leur imposer ses décisions.

Lors des premières auditions du groupe de travail, M. Jean-Paul Delevoye, a d'ailleurs insisté sur le lien logique entre le choix d'un mode de scrutin et l'accent porté sur telle ou telle mission d'une collectivité territoriale.

Dans cette perspective, la représentation proportionnelle apparaît bien adaptée à la spécificité de la région, car elle permet d'opérer au sein du conseil régional une synthèse satisfaisante entre toutes les composantes de la région.

La diversité de représentation au sein des conseils régionaux incite naturellement à la négociation, ce qui est conforme aux missions d'impulsion et de coordination qui sont celles de la région.


• Elle peut aussi se révéler une source d'enrichissement des débats, ainsi que l'ont souligné Mme Marie-Christine Blandin ou M. Robert Savy, Celle-ci y a même vu un gage de sagesse fiscale et un facteur de limitation des déficits publics, car la représentation proportionnelle impose aux exécutifs une négociation qui prévient le risque de décisions dispendieuses que les collectivités pourraient par la suite être amenées à regretter.

Mme Marie-Christine Blandin a également développé un argument original; à ses yeux, la représentation proportionnelle, en permettant l'expression de certaines opinions extrémistes, présenterait l'avantage de pouvoir également les discréditer, pour peu que leurs représentants campent sur des stratégies non constructives ou de pur refus.

Ce sont toutes ces raisons qui, parmi d'autres, ont conduit le législateur de 1985 à opter pour la représentation proportionnelle.

4. Une modification du mode de scrutin dans un sens majoritaire réduirait beaucoup la diversité de la représentation régionale

La préoccupation d'introduire un correctif majoritaire dans le scrutin régional afin de faciliter l'émergence de majorités stables a motivé le dépôt de différentes propositions de loi à l'Assemblée nationale et au Sénat. Elle a également fait l'objet de suggestions très diverses formulées au cours des auditions du groupe de travail.

a) Une suggestion fréquente : la transposition aux régions du mode de scrutin municipal

Certains suggèrent tout d'abord de transposer à la région le mode de scrutin municipal applicable dans les communes de 3 500 habitants et plus.

Cette proposition, pour séduisante qu'elle puisse paraître sur le plan technique, correspondrait pourtant à une remise en cause fondamentale de la proportionnelle, qui est une des deux caractéristiques du mode de scrutin régional actuel.

En effet, contrairement à une idée assez répandue, le scrutin municipal dans les communes de 3 500 habitants et plus n'est pas un scrutin proportionnel teinté de majoritaire mais, tout au contraire, un scrutin majoritaire tempéré par une certaine dose de proportionnelle.

Son caractère essentiellement majoritaire est même plus manifeste que dans d'autres scrutins (les élections cantonales, par exemple) puisqu'il aboutit à conférer une majorité absolue automatique en sièges à la liste la mieux placée, laquelle peut fort bien ne disposer que d'une majorité relative en nombre de suffrages. Le scrutin municipal confère en effet la moitié des sièges a la liste parvenue en tête (à la majorité absolue au premier tour ou à la majorité relative au second tour), l'autre moitié des sièges étant répartie à la proportionnelle entre toutes les listes, y compris la liste ayant déjà obtenu les premiers sièges.

Un mécanisme de majorité automatique, qui peut représenter un atout dans une collectivité comme la commune, aurait beaucoup d'inconvénients pour la région, eu égard à ses missions.

Il étoufferait la représentation des minorités, et ne prendrait pas en compte la diversité de l'électorat.

Lors de son audition. M. Jérôme Jaffré a d'ailleurs estimé que le système, qu'il qualifie de « mixte », appliqué dans les communes de 3 500 habitants et plus comportait une prime majoritaire beaucoup trop élevée pour pouvoir être transposé tel quel aux élections régionales. Plusieurs membres du groupe de travail par exemple M. Philippe de Bourgoing, lors de l'audition de M. Jérôme Jaffré, ou M. Daniel Hoeffel, lors de la réunion d'échanges de vue du 23 mai 1996- ont exprime le même point de vue.

b) Une prime majoritaire, mais de quel ordre ?

Une autre solution, fréquemment évoquée lors des auditions du groupe de travail, consisterait, tout en conservant le principe de la représentation proportionnelle, à introduire une prime majoritaire modérée au profit de la liste arrivée en tête. Celle-ci se verrait attribuer de droit une certaine proportion de l'ensemble des sièges, les autres sièges étant répartis à la représentation proportionnelle entre toutes les listes.

M. Guy Allouche a quant à lui considéré que dans un tel schéma, l'attribution des sièges restant ne devrait pas s'effectuer entre toutes les listes (y compris la liste ayant bénéficié de la prime majoritaire) mais seulement entre les autres listes, de manière à ne pas accentuer exagérément l'effet du correctif majoritaire.

Quant au taux de la prime majoritaire souhaitable, plusieurs hypothèses ont été avancées.

La proposition de loi (n° 2 479) déposée à l'Assemblée nationale en janvier 1996 par cinq présidents de conseils régionaux (MM. Olivier Guichard, Charles Baur, Maurice Dousset, René Garrec et Valéry Giscard d'Estaing) préconise par exemple d'instituer une prime majoritaire égale à 30 % du nombre de sièges à pourvoir.

Le niveau optimal de cette prime apparaît toutefois très difficile à déterminer. Il varie ainsi entre 10 % et 30 % selon la plupart de propositions formulées devant le groupe de travail, M. René Rémond estimant en revanche qu'il devrait se situer seulement entre 5 % et 10 %, sous réserve de simulations préalables.

Rien n'indique d'ailleurs qu'un taux uniforme résoudrait les problèmes de majorité de l'ensemble des régions, compte tenu de la grande disparité des situations locales.

Dans ces conditions, le groupe de travail a estimé qu'il serait probablement très délicat de réunir un consensus suffisant sur le taux de la prime.

Surtout, l'institution d'une prime majoritaire aurait nécessairement pour conséquence de restreindre la diversité de la représentation régionale, au détriment des formations minoritaires qui, en pratique, ne sont représentées qu'au niveau régional.

Or. est-il réellement souhaitable que les formations faiblement représentées sur l'ensemble des régions -ou celles qui ne sont représentées que dans un seul département- n'aient pratiquement plus aucune chance d'obtenir un seul élu ?

c) Le relèvement du seuil de 5 % : une solution qui n'a été préconisée par aucune des personnalités entendues

Le correctif majoritaire pourrait enfin être obtenu par un relèvement du seuil de représentation, actuellement fixé à 5 %, en deçà duquel les listes ne sont pas admises à la répartition des sièges.

Relever ce seuil (à 10 %, par exemple) aurait pour résultat d'éliminer la représentation de sensibilités politiques minoritaires qui, aujourd'hui, ne peuvent s'exprimer que dans le cadre de la région. Le phénomène d'éviction serait proportionnel à l'importance du relèvement.

La formule aurait l'inconvénient de paraître directement tournée contre les formations minoritaires, et poserait le même problème que pour la prime majoritaire en sièges ; celui de la fixation d'un nouveau seuil optimal.

Force est d'ailleurs de constater qu'aucune des personnalités entendues par le groupe de travail ne s'est expressément prononcée en faveur d'un relèvement du seuil actuel.

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