N° 379

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SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 23 mai 1996

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur la mission effectuée au Canada du 9 au 18 avril 1996

Par M.André DULAIT,

Mme Danielle BIDARD-REYDET,

MM. Marcel DEBARGE, André BOYER

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet, François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Genton, vice-présidents ; Michel Alloncle, Jean-Luc Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë, secrétaires ; Nicolas About, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Mme Monique ben Guiga, MM. Daniel Bernardet, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre Croze, Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Gérard Gaud, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet , Yves Guéna, Jacques Habert, Marcel Henry, Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, Régis Ploton, Guy Robert, Michel Rocard, André Rouvière, Robert-Paul Vigouroux.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Un territoire immense, un peuplement divers et dispersé : le Canada a su convertir en atouts ces handicaps, et forger sur ces bases une identité nationale. Mais le processus n'est pas achevé ; les pays du Vieux continent le savent : il faut des siècles pour construire une nation.

*

Un territoire immense : 10 millions de km², 5 200 km d'est en ouest, « a mari usque ad mare » comme le dit la devise latine du Canada. Pays d'eau (250 000 km de côtes, un million et demi de lacs), pays de bois, le Canada reste un pays vide.

L'homme, comme impressionné par ces vastes étendues, s'est resserré sur une petite portion du territoire. Le regard peut deviner sur une carte un triple mouvement de concentration démographique : sur les villes (où vivent 70% de la population), sur la frontière américaine, sur la pointe orientale du Canada (entre la ville de Québec et l'extrémité Ouest du lac Ontario se concentrent 60% des Canadiens).

Cette population est diverse ; elle reflète les trois grandes strates de peuplement : les premières nations d'abord (Amérindiens et Inuits) qui ne représentent guère que 512 000 personnes sur une population totale de 29 250 000 habitants ; les "deux peuples fondateurs" d'origine française (6 100 000) et britannique (6 400 000) ; à ces composantes se sont ajoutés au XIXe siècle des immigrés principalement venus d'Europe mais aussi, au cours des dernières décennies, des Antilles, d'Afrique et surtout d'Asie. Le Canada demeure encore aujourd'hui un pays d'immigration : 200 000 étrangers (dont près de la moitié viennent d'Asie) s'y installent chaque année.

Malgré l'enrichissement successif de sa population, le Canada reste fortement marqué par ses deux peuples fondateurs. Leurs apports respectifs fondent son identité. Les anglophones cherchent à cultiver leurs différences vis-à-vis du grand voisin du Sud. Mais dans un continent nord-américain, dominé par la langue anglaise, l'originalité du Canada s'enracine aussi dans la francité d'une partie de ses habitants. Les francophones, représentés dans toutes les provinces de la Fédération, ne sont majoritaires qu'au Québec.

En effet, au Québec, (« là où la rivière se rétrécit » selon la langue amérindienne), sur ce territoire de 1 667 926 km 2 , trois fois grand comme la France, ils représentent 80 % des 7 208 000 habitants, la communauté d'origine britannique d'une part, et les communautés plus récentes d'origine italienne, grecque, asiatique et haïtienne d'autre part, composant respectivement 8 % et 9 % des habitants de la Belle-Province.

Après la défaite des Français consacrée par le Traité de Paris de 1763, le Canada a su unir ses populations et faire de leurs différences le creuset de son système institutionnel fondé sur le fédéralisme et le bilinguisme.

La montée du mouvement national au Québec, dont le référendum sur la souveraineté d'octobre 1995 -malgré la courte défaite du « oui »- porte le témoignage, remet en cause aujourd'hui cet équilibre institutionnel. L'indépendance du Québec altérerait sans aucun doute l'un des fondements majeurs de l'identité canadienne.

*

Les quelques années qui viennent apparaissent dès lors décisives pour l'avenir du Canada. C'est dans ce contexte, afin de mieux comprendre les enjeux des débats actuels, qu'une délégation de votre commission composée de M. André Dulait, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Marcel Debarge et André Boyer, s'est rendue du 9 au 18 avril dernier au Canada.

Au cours d'un séjour qui l'a conduite successivement à Ottawa, Toronto, Québec et Montréal, la mission a pu mieux cerner la portée du débat institutionnel. Elle a également pris la mesure de la situation économique et de l'effort sans précédent d'assainissement des finances publiques entrepris par le gouvernement fédéral mais aussi par les provinces. Enfin, elle s'est intéressée aux orientations de la politique étrangère et de la défense canadienne.

Votre délégation n'a certes pas la présomption, au terme d'une mission brève, et limitée à l'est du Canada, de livrer un pronostic assuré sur l'évolution du Canada, alors même que la complexité de la situation présente se prête mal aux simplifications hâtives.

Il lui a paru cependant que les nombreux et fructueux entretiens avec les personnalités du monde politique et économique soulevaient, en filigrane, une même interrogation portant sur l'identité du Canada. C'est, certes, évident pour la question institutionnelle où s'opposent en fait deux aspirations identitaires, canadienne et québécoise. Cependant le thème paraît également présent dans le débat économique, où le modèle canadien fait l'objet d'une remise en cause, et enfin dans les relations internationales où le Canada tente de faire entendre une voix propre.

Aussi la question de l'identité canadienne restera-t-elle le fil directeur qui nous permettra d'éclairer la situation politique et économique de ce pays ainsi que sa place dans les relations internationales.

Votre délégation ne pouvait enfin manquer de s'interroger sur la relation franco-canadienne soumise à l'exercice, nécessaire mais difficile, de l'équilibre entre les trois pôles qui la constituent : Paris, Ottawa et Québec.

*

Votre délégation exprime sa plus vive reconnaissance aux personnalités et à tous leurs collaborateurs qui ont bien voulu prêter leur concours à l'organisation et au déroulement de cette mission :

- A Paris, M. Alain Rouquié, directeur d'Amérique au ministère des Affaires étrangères ; M. Benoît Bouchard, ambassadeur du Canada en France ; M. Marcel Masse, délégué général du Québec en France.

- Au Canada, M. Alfred Siefer-Gaillardin, ambassadeur de France ; M. Dominique de Combles de Nayves, consul général de France à Québec ; M. Pierre -Jean Vandoorne, consul général de France à Toronto ; M. Gérard Leroux, consul général de France à Montréal.

Votre délégation exprime également sa gratitude au gouvernement fédéral et au autorités québecoises pour l'accueil chaleureux qu'ils ont su lui réserver.

I. L'UNITÉ CANADIENNE, ENJEU DU DÉBAT POLITIQUE

Les enjeux du débat politique canadien se sont dramatisés au cours des dernières années : ils portent en effet sur l'unité du pays. Comment en est-on arrivé là ? Le Canada n'avait-il pas su se doter d'un système politique original qui tienne compte de la diversité de ses populations, tout en garantissant la paix civile -le Canada n'a pas connu dans son histoire un traumatisme comparable à la guerre de Sécession- et la prospérité ? Les changements considérables que le Canada a connus au cours de la deuxième moitié de ce siècle (immigration asiatique, dynamisme économique de la côte Pacifique) ont toutefois remis en cause l'équilibre politique sur lequel reposait cette architecture institutionnelle : un contrat entre deux nations fondatrices. Aujourd'hui le fédéralisme traverse une crise grave dont l'issue apparaît incertaine.

A. LA DIFFICILE RÉFORME DU MODÈLE FÉDÉRAL : UNE SUCCESSION DE RENDEZ-VOUS MANQUÉS

1. Un système institutionnel original

a) A l'origine du fédéralisme canadien : un pacte entre les « deux nations fondatrices »

* Les « deux nations fondatrices »

Ignorer l'histoire du Canada c'est renoncer à prendre la mesure d'une dimension décisive du débat institutionnel contemporain. Le retour au pacte initial passé entre les deux nations française et anglaise n'est-il pas en effet au coeur des préoccupations du Québec ? Aussi convient-il de tracer, même brièvement, les grandes lignes d'une relation, conflictuelle puis apaisée, entre les conquérants.

Deux puissances en quête d'une même terre : les Français d'abord qui ne s'installent vraiment en Nouvelle France qu'en 1608 (création par Samuel Champlain d'un établissement à Québec), les Anglais ensuite, qui s'imposent une première fois au Québec en 1629 et prennent pied au nord-ouest avec la fondation de la Compagnie de la Baie d'Hudson en 1670. On sait que la rivalité entre les deux nations se soldera par la défaite des Français : le traité de Paris (10 février 1763) place l'ensemble du Canada sous l'autorité de Londres.

L'indépendance américaine n'allait pas par la suite rester sans influence sur les relations entre les deux peuples. En premier lieu, la Couronne confrontée à la révolte de sa colonie américaine, cherche à se concilier ses nouveaux sujets français. L'Acte de Québec (1774) reconnaît ainsi la langue, la religion et le droit civil des français du Canada.

Autre conséquence décisive sur l'avenir des rapports entre Français et Anglais : l'afflux, sur le territoire canadien, des loyalistes -les Américains demeurés fidèles à la Couronne britannique- dont le nombre (quelque 50 000 au départ) permettra de faire contrepoids à la population canadienne française.

Par ailleurs par leur refus de souscrire à l'indépendance américaine, les Anglais canadiens se distinguent de leurs cousins américains ; ils auront ainsi le sentiment d'une identité propre et le souci de la protéger ; cette préoccupation les rapprochera en quelque manière des Français. L'histoire du Canada sera marquée par la reconnaissance de cette double spécificité.

La loi du 10 juin 1791 marque à cet égard une étape importante. Elle consacre le dualisme canadien en instituant deux provinces : le Bas-Canada majoritairement francophone et le Haut-Canada majoritairement anglophone. Elle jette aussi les premiers fondements d'un régime représentatif. En effet dans chacune des deux provinces, le gouverneur, certes responsable devant la seule couronne, doit composer avec une assemblée élue pour quatre ans par tous les citoyens âgés de plus de 21 ans.

Tandis que la révolution de 1789 contribue à détacher de la France les habitants du Bas-Canada, l'essor de la jeune démocratie américaine persuade progressivement Anglais et Français du Canada, de l'intérêt de maintenir leur union pour préserver leurs droits et spécificités.

Il était nécessaire toutefois que cette union tînt compte de trois aspirations qui s'étaient renforcées au cours de la première moitié du XIXe siècle : une plus grande autonomie à l'égard de la Couronne britannique, une meilleure reconnaissance des particularités des peuples fondateurs, une démocratisation des institutions enfin 1 ( * ) .

L'Acte de l'Amérique du Nord britannique voté par le Parlement de Westminster en mars 1867 à partir d'une proposition adoptée par la majorité des parlementaires canadiens (Anglais et Français), permet de donner satisfaction à cette triple préoccupation.

* La naissance de la fédération

L'acte de l'Amérique du Nord institue, sous le vocable de « confédération », un véritable système fédéral entre les quatre provinces (la Nouvelle-Ecosse, le Nouveau-Brunswick, l'Ontario, le Québec) et assure de façon plus générale la protection du fait francophone en permettant notamment l'usage du bilinguisme au sein des institutions publiques (article 133). La garantie ainsi donnée à la reconnaissance de sa spécificité engageait le Québec à adhérer à l'Acte constitutionnel 2 ( * ) .

Par ailleurs le texte de 1867 confirmait le parlementarisme institutionnel sur le modèle britannique.

Quant à l'autonomie du Canada à l'égard de la puissance tutélaire, elle s'inscrit dans un processus plus long dont l'Acte de l'Amérique du Nord britannique n'est qu'une étape. Cette évolution se trouvera consacrée par le Statut de Westminster de 1931 3 ( * ) ; elle connaîtra ensuite des développements symboliques : adoption d'un drapeau national en 1964, « rapatriement » de la Constitution le 17 avril 1982.

b) L'Alliance d'un parlementarisme à la britannique et du fédéralisme

L'acte de l'Amérique-du-Nord demeure encore aujourd'hui le fondement de la fédération canadienne.

Les institutions canadiennes empruntent à la fois au système parlementaire britannique et au fédéralisme américain. Cette double inspiration confère au modèle canadien son caractère propre.

* Une démocratie parlementaire de type britannique

. Une monarchie constitutionnelle

L'héritage britannique reste, aujourd'hui encore, déterminant dans l'organisation institutionnelle. Le Canada demeure une monarchie constitutionnelle dont le souverain est la reine Elizabeth II. Le Chef de l'Etat est représenté au Canada par un gouverneur général nommé pour cinq ans sur la proposition du Premier ministre canadien. La désignation du Gouverneur général observe le principe d'une alternance entre francophones et anglophones : ainsi M. Roméo Le Blanc a succédé en 1995 à M. Ramon Hnatyshyn.

Même si toute loi doit être promulguée par le Gouverneur général, la réalité du pouvoir appartient au Premier ministre, chef du parti majoritaire à la Chambre des communes.

En effet, et c'est le second témoignage de l'influence de l'ancienne puissance coloniale, la démocratie canadienne présente les trois traits caractéristiques du parlementarisme britannique.

. Le bicamérisme

En premier lieu le Parlement se compose de deux Chambres : la Chambre des communes et le Sénat. Les 104 sénateurs sont nommés par le gouvernement et exercent en principe leurs fonctions jusqu'à l'âge de 75 ans. Le Sénat bénéficie de pouvoirs comparables à ceux de la Chambre des communes, à trois exceptions près : l'engagement de la responsabilité gouvernementale se fait devant la seule Chambre des communes qui dispose par ailleurs de l'exclusivité de l'initiative en matière financière, enfin le Sénat ne peut opposer de veto suspensif à certaines modifications constitutionnelles qui requièrent le consentement des provinces.

La Chambre des communes se compose de 295 députés élus pour 5 ans au scrutin uninominal à un tour 4 ( * ) . La pratique institutionnelle canadienne , à l'instar des usages britanniques, laisse au Premier ministre fédéral l'initiative d'organiser des élections législatives au moment opportun, le plus souvent dans la quatrième année de la législature.

Les dernières élections ont eu lieu en octobre 1993, les prochaines pourraient se tenir au cours de l'année 1997.

. Le bipartisme

Second trait caractéristique du parlementarisme à la britannique, la vie politique s'est longtemps articulée autour du bipartisme . Le parti conservateur et le parti libéral ont ainsi dominé pendant près d'un siècle la scène politique. Le premier le plus souvent dans l'opposition, le second régulièrement au pouvoir. Le débat politique ne donne pas lieu à des affrontements idéologiques mais confronte plutôt des sensibilités différentes plus centralisatrices pour les conservateurs, plus soucieuses de la diversité ethnique et culturelle pour les libéraux. En définitive l'exercice du pouvoir et la tentation, éprouvée par tous les gouvernements, de conforter les compétences fédérales ont contribué, dans la pratique, à effacer ces distinctions 5 ( * ) .

Le premier parti d'opposition en nombre de sièges forme l' opposition dite officielle .

Le bipartisme reste toutefois soumis aux aléas d'un scrutin uninominal dont les effets peuvent se révéler dévastateurs pour le parti dominant. Ainsi le parti conservateur victorieux en 1984 et en 1988 sous la conduite de M. Brian Mulroney, a connu après la désignation à sa tête de Mme Kim Campbell, éphémère Premier ministre du Canada en 1993, une sévère défaite aux élections d'octobre 1993. Il n'a, en effet, conservé que 2 de ses 155 élus. Le parti libéral obtenait pour sa part 41,6 % des voix et la majorité absolue à Ottawa (177 sièges sur 295).

. L'exécutif

Enfin l'exécutif, sous la forme du cabinet aujourd'hui dirigé par M. Jean Chrétien, le Premier ministre, apparaît l'émanation directe de la majorité de la Chambre des Communes.

Du reste, ministres et secrétaires d'Etat conservent, le cas échéant, leurs mandats parlementaires.

. L'organisation institutionnelle des provinces

L'emprise du système britannique se retrouve dans l'organisation institutionnelle de chaque province. Le Chef de l'Etat canadien est ainsi représenté dans les dix provinces constituant la fédération canadienne par des Lieutenants Gouverneurs nommés pour cinq ans par le Gouverneur général sur la proposition du Premier ministre canadien. En outre, le système provincial reproduit, à l'exception notable du bicamérisme, l'organisation et le fonctionnement des institutions fédérales : le Premier ministre et les membres du gouvernement provincial appartiennent au parti majoritaire à l'Assemblée. Ils conservent, le cas échéant, leur mandat parlementaire. Le parti politique le mieux représenté après le parti gouvernemental dispose du statut d'opposition officielle.

Les institutions québécoises elles-mêmes ne se démarquent guère de ce dispositif d'inspiration britannique, sinon dans la désignation retenue pour le parlement provincial appelé « assemblée nationale ».

La vie politique du Québec s'inscrit d'ailleurs dans le cadre du bipartisme. Le parti libéral du Québec (PLQ) revenu au pouvoir en 1960, sous la conduite de Jean Lesage, a formé depuis cette date cinq des huit gouvernements québécois. Proche des milieux d'affaires, il défend le maintien du Québec au sein de la fédération même s'il plaide pour la reconnaissance du « caractère distinct » de la Belle-Province.

Le parti québécois créé en 1968 par René Levesque a remporté à trois reprises les élections provinciales (1976, 1981, 1994). De tendance social-démocrate, le parti québécois a repris, sous la direction de Jacques Parizeau (1989-1996) l'objectif de conduire le Québec à la souveraineté.

Le scrutin uninominal dont les effets radicaux ne jouent pas moins au niveau provincial qu'au niveau fédéral, ne laisse guère de place à l'émergence d'un tiers parti. Ainsi aux dernières élections de septembre 1994, le parti québécois, fort de 44,7 % des voix, remportait 77 sièges tandis que le parti libéral du Québec, avec 44,4 % des voix n'en obtenait que 47, le parti d'Action démocratique de Mario Dumont (formé de dissidents du PLQ et de tendance « confédérationniste ») disposant d'un siège (13 % des voix).

Le modèle institutionnel britannique, s'il satisfaisait les aspirations démocratiques des Canadiens, ne pouvait prendre en compte la spécificité d'un Canada unissant une population francophone et anglophone. Aussi les élites politiques canadiennes devaient-elles nécessairement regarder vers l'exemple du fédéralisme américain.

* Le fédéralisme

Le modèle fédéral garantissait en effet que la spécificité des peuples fondateurs fût protégée. Mais au moment où les Canadiens s'interrogeaient sur leur devenir institutionnel, le fédéralisme américain connaissait, avec la guerre civile, la crise majeure de son histoire. Ces événements ne pouvaient être sans retentissement sur les choix institutionnels du Canada.

. La représentation des provinces au sein de la fédération

C'est ainsi que le Canada fut conduit à mettre en place un système fédéral original. Cette originalité se manifeste d'abord par le dispositif institutionnel retenu pour représenter les provinces au niveau fédéral. Alors qu'aux Etats-Unis chaque Etat désigne deux sénateurs, les provinces canadiennes sont représentées par un nombre différent de sénateurs en fonction de leur population. Ce principe souffre cependant d'une exception significative.

Le Québec est en effet représenté par 24 sénateurs, à parité avec l'Ontario pourtant plus peuplé. Cette particularité souligne combien à l'origine la fédération s'inscrit dans le cadre d'un pacte entre deux nations et presque deux provinces : l'Ontario où se concentrait alors la quasi-totalité des anglophones, et le Québec majoritairement francophone 6 ( * ) .

. La répartition des compétences

La spécificité du fédéralisme canadien se manifeste en second lieu dans une répartition des compétences plutôt favorable au pouvoir central. En effet aux termes de l'article 91 de l'acte constitutionnel, le parlement d'Ottawa a pour mission de "faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada ne tombant pas dans la catégorie de sujets par le présent acte exclusivement assignés aux législatures des provinces".

La fédération se trouve ainsi dotée d'une compétence générale ; elle s'étend aux questions concernant l'ensemble du Canada (défense, monnaie, commerce, douane, régime bancaire, communications, transports interprovinciaux ...). Les attributions des provinces relèvent d'une définition certes large mais limitative (article 92) : elles couvrent le droit de propriété, les institutions municipales, l'éducation ...

Il existe cependant des domaines de compétence partagées (santé et bien-être social, voirie, agriculture, environnement, tourisme et immigration). Par ailleurs, la protection des minorités qui incombe à la fédération la conduit à jouer un rôle d'arbitre dans des domaines de compétences provinciales. Ainsi le pouvoir fédéral doit protéger les minorités qui fréquentent les écoles confessionnelles séparées ou dissidentes. De même elle reste compétente pour les questions qui touchent aux Indiens et à leurs terres.

L'arbitrage des différends liés à la répartition des compétences entre les provinces et la fédération relèvent en dernier ressort d'une Cour suprême composée de neuf juges, appelée également à se prononcer dans le domaine des droits et libertés.

L'évolution institutionnelle, à la faveur surtout des transferts financiers d'Ottawa aux provinces, a confirmé la place éminente que le texte constitutionnel lui-même assignait à la fédération.

Ainsi le Canada a su se doter d'un système institutionnel original qui répondait aux besoins propres d'un grand territoire investi par les deux nations francophones et anglophones.

Cependant le fédéralisme canadien connaît aujourd'hui une grave crise qui menace jusqu'à ses fondements.

2. La remise en cause du modèle canadien

Cette crise trouve son origine dans la montée des revendications souverainistes au Québec et dans les difficultés rencontrées par les autorités d'Ottawa pour élaborer des solutions de compromis qui satisfassent les aspirations des Québécois sans remettre en cause la fédération.

a) La montée des aspirations nationales au Québec

* Le réveil québécois

. Une société immobile

Encore une fois, pour mieux comprendre le présent, il faut replonger dans l'histoire, histoire guère lointaine puisqu'elle nous conduit à l'aube des années soixante. La société québécoise demeurait encore à l'écart du courant de modernisation qui emportait l'Amérique du Nord et paraissait figée dans des structures héritées du XIXe siècle. Trois traits la distinguaient particulièrement : le poids d'une population rurale au niveau d'éducation plus faible que dans les autres provinces, une démographie exceptionnelle dont témoignait la fréquence des familles de dix enfants, enfin l'emprise de l'église catholique, notamment sur le système scolaire.

Le gouvernement continu de Maurice Duplessis, fondateur de l'Union nationale, de 1936 à 1959 (avec une brève interruption de 1939 à 1944) a longtemps symbolisé ces années de stagnation. Le dynamisme des anglophones avait su tirer parti du repli québécois pour dominer sans partage la vie économique de la Belle Province.

Le début des années soixante allait toutefois ouvrir la voie de la « révolution tranquille » qui, en moins de dix ans, devait transformer complètement le visage de la société québécoise.

. La « révolution tranquille » des années 60

L'élection en 1960 du premier ministre libéral, Jean Lesage, marque une rupture décisive avec le régime politique et économique des années passées. La volonté de modernisation se manifeste d'abord dans l'ordre économique. La nationalisation des ressources hydroélectriques en 1962, suivie de la création de la société Hydro-Québec, constitue la première étape de la réappropriation, par le Québec, de ses structures économiques. La puissance des institutions financières telles que la Caisse des dépôts et des placements (chargée du réinvestissement des cotisations de retraite), cinquième groupe d'investissement d'Amérique du Nord, ou encore la Caisse Desjardins, caisse d'épargne coopérative, traduit l'essor des milieux économiques francophones, dont le dynamisme se manifeste par ailleurs à travers le développement des grands groupes industriels comme Bombardier, fabricant de matériel de transports publics.

Si décisive fut-elle, la reconquête économique ne devait pas épuiser le souci de modernisation qui allait affecter tous les aspects de la vie québécoise et notamment l'éducation. La création d'un ministère de l'Education en 1964 et, partant, la fin du monopole de l'Eglise sur l'enseignement ouvrait ainsi la voie à une laïcisation qui deviendrait irréversible.

Enfin, les années soixante se caractérisent par un climat d'effervescence culturelle où s'illustrèrent le cinéma, la littérature et la chanson.

La Révolution tranquille a métamorphosé le visage de la société québécoise : le taux de natalité apparaît aujourd'hui l'un des plus bas du monde, le niveau d'éducation n'a quant à lui rien à envier aux sociétés les plus avancées, la population a abandonné, dans sa majorité, le chemin régulier de l'Eglise. Enfin une tradition politique plutôt autoritaire a laissé place au débat public, familier à toutes les grandes démocraties occidentales.

En un mot, le Québec a su combler en quelques années le retard qui s'était creusé avec la société nord-américaine.

. La naissance du mouvement nationaliste

La modernisation du Québec, dans la mesure où elle avait pu être entreprise et couronnée de succès au sein de la fédération canadienne, n'enlevait-elle pas tout argument à la revendication indépendantiste ?

La question apparaît au coeur du débat politique québécois dans les années 70. Les libéraux au pouvoir à Québec en 1970 défendent, dans le droit fil des positions de Pierre Elliott Trudeau, Premier ministre fédéral pour la première fois en 1968, la poursuite de la modernisation du Canada français au sein de la confédération canadienne. A l'inverse le parti québécois conduit par René Levesque (premier ministre provincial en 1976) conçoit l'indépendance comme l'aboutissement logique de la politique entreprise depuis 1960. Ainsi pour les nationalistes, la cause de l'indépendance s'identifie à la promotion de la modernité et de l'esprit de réforme et non à un repli sur la terre des aïeux.

Si les succès du parti québécois à l'échelle provinciale, et du Bloc québécois à l'échelle fédérale, ne traduisent pas nécessairement une adhésion de la majorité des Québécois à l'indépendance de leur province, ils manifestent cependant la vigueur d'un sentiment national qui n'avait certes jamais disparu mais a paru trouver ces dernières années, un nouvel élan. Le référendum du 30 octobre dernier en a donné le meilleur témoignage.

Ce phénomène ne se laisse pas réduire à des explications simples. Au coeur du réveil national se trouve cependant une inquiétude : le sentiment que l'identité québécoise est menacée.

* Les facteurs de la prise de conscience identitaire

. Les évolutions propres au Québec

Cette préoccupation trouve prise, peut-être d'abord, dans l'évolution propre au Québec : l'alignement du mode de vie sur le modèle nord-américain au terme de la Révolution tranquille suscite en effet de nouvelles interrogations sur les composantes de la spécificité du Canada français.

Cette préoccupation explique l'attention portée à la langue française , trait majeur de cette spécificité menacée.

Depuis 1974, le français constitue la langue officielle du Québec. Mais l'inquiétude récurrente sur la place réservée au français a conduit à adopter en 1977 la charte de la langue française , ou loi 101 ; ce texte généralise l'usage du français dans l'administration, la justice, l'enseignement, le travail et le commerce. Il réserve l'enseignement dispensé en anglais aux seuls anglophones d'origine tandis que les immigrants reçoivent une formation en français.

. La place du Québec dans un Canada qui change

Mais les inquiétudes québécoises ne sont pas seulement liées à la transformation de la Belle Province, elles peuvent également se nourrir des évolutions d'ordre économique ou politique dont le Canada, dans son ensemble, est le théâtre. Au début de l'histoire de la confédération, le Québec avait pu faire valoir sa spécificité parce qu'il occupait de par sa démographie et son économie une place éminente au sein de la Fédération. Aujourd'hui sa démographie décline, tandis que son économie lourdement endettée a tardé à prendre le virage de la rigueur. Première par sa superficie, la province du Québec se classe au 2e rang, derrière l'Ontario, pour sa population (7,3 millions d'habitants, soit 25 % de la population totale du Canada, contre 28,2 % en 1970). Elle représente 22,3 % du PIB canadien (25,4 % en 1970). Le revenu par habitant au Québec est inférieur de 10 % à la moyenne canadienne. Le taux de chômage s'élève à 12,2 % de la population active, soit deux points de plus que dans le Canada dans son ensemble. Encore le Québec pourrait-il se targuer du passé glorieux des premiers colons, mais cette dimension historique échappe résolument aux immigrants, en majorité asiatiques, auxquels les provinces de l'Ouest doivent une bonne part de leur dynamisme économique.

Ainsi le statut du Québec s'est banalisé au sein de la Fédération. Les souverainistes considèrent que le Québec n'est plus en mesure d'assurer la protection de son identité au sein du Canada. Certains vont plus loin : non seulement la fédération ne garantit plus la spécificité québécoise, mais elle en entrave même l'expression par une politique excessivement centralisatrice.

b) L'insuffisante réponse du système fédéral aux revendications exprimées

* Les tentatives de réforme constitutionnelle

Les représentants de la fédération se sont employés à mieux prendre en compte les aspirations québécoises et à leur donner un contenu dans le cadre de la fédération. Force est de constater que ces tentatives se sont soldées à trois reprises par un échec et ont conduit paradoxalement à une radicalisation de l'opposition au sein des instances fédérales.

. Le rapatriement de la constitution : une occasion manquée

La volonté de réformer la Constitution ne s'est réellement concrétisée qu'au lendemain du premier référendum organisé au Québec le 20 mai 1980 portant sur la souveraineté du Québec assorti d'une association économique et monétaire avec le Canada. La consultation se solda par l'échec de l'option souverainiste, rejetée par 59,56 % des suffrages. Or, pendant la campagne référendaire, le Premier ministre fédéral, M. Trudeau, s'était engagé à « renouveler » le fédéralisme canadien dans l'hypothèse où le non l'emporterait.

Cependant, aux termes de l'Acte de l'Amérique du Nord de 1867, la modification de la constitution canadienne relevait du Parlement britannique. Le « rapatriement » de la constitution apparaissait tout à la fois la condition mais aussi l'occasion d'une réforme constitutionnelle.

Ainsi, au cours des négociations engagées avec les provinces, le Québec avait donné son accord au rapatriement de la constitution à condition que deux modifications de la charte fondamentale fussent adoptées : d'une part, un réaménagement des pouvoirs fédéraux et, d'autre part, l'octroi au seul Québec d'un droit de veto à tout amendement constitutionnel affectant le statut particulier de la province.

Les autres provinces ne purent s'accorder sur cette double requête. Elles consentirent pour leur part au rapatriement de la Constitution et à l'inclusion dans le texte fondamental d'une charte des droits et libertés à laquelle elles se réservaient toutefois le droit de déroger sur certains articles. Au terme d'un accord conclu le 5 novembre 1981 entre Ottawa et les neuf provinces anglophones, la Constitution était « rapatriée » malgré l'opposition du Québec. Ainsi, le 17 avril 1982 la Reine pouvait proclamer à Ottawa « la loi constitutionnelle de 1982 » dont le contenu ne diffère guère de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867, sinon que s'y ajoute une « Charte canadienne des Droits et Libertés ».

La Cour constitutionnelle reconnut la validité de la procédure dans un arrêt du 6 décembre 1982 en déniant au Québec le droit de s'opposer, seul, à la nouvelle Constitution qui s'appliquerait désormais à l'ensemble du Canada.

Ainsi non seulement le rapatriement de la Constitution n'avait pas permis de donner satisfaction au Québec mais il remettait en cause l'esprit initial du pacte entre les deux nations fondatrices.

. L'échec de l'accord du lac Meech : une blessure infligée au Québec

Après la victoire des libéraux aux élections provinciales du Québec en 1985 sous la conduite de M. Bourassa, un contexte plus favorable se présentait pour reprendre les négociations constitutionnelles. Le Premier ministre fédéral et les dix Premiers ministres provinciaux acceptent dans le cadre de l'accord du lac Meech (30 avril 1987) les cinq conditions posées par le Québec pour réintégrer l'ordre constitutionnel canadien (reconnaissance du Québec comme « société distincte », pouvoirs accrus dans le domaine de l'immigration, limitation du pouvoir de dépenses de la fédération dans les domaines ressortissant des provinces, droit de veto sur toute modification constitutionnelle affectant le statut particulier du Québec, participation à la nomination des juges à la Cour Suprême). L'accord dont les dispositions avaient été étendues à toutes les provinces (à l'exception du « caractère distinct » réservé au Québec) devait être ratifié par le Parlement d'Ottawa et les dix assemblées provinciales avant le 23 juin 1990.

Toutefois dans ce délai, les débats organisés dans chaque province allaient alimenter la polémique sur la notion de « société distincte » et surtout ouvrir la boîte de Pandore des revendications constitutionnelles.

Les provinces de l'ouest réclamaient une meilleure représentation au sein du Sénat. Les populations autochtones aspiraient au droit à l'autonomie gouvernementale. Ainsi, faute d'une ratification par les assemblées du Nouveau-Brunswick et de Terre-Neuve, l'accord devenait caduc en juin 1990.

- L'entente de Charlottetown : une classe politique discréditée

Le compromis de Charlottetown tente de mieux prendre en compte la diversité des aspirations qui s'étaient exprimées lors des débats sur la ratification de l'accord du lac Meech. Ainsi les peuples autochtones bénéficient d'un « droit inhérent » à l'autonomie gouvernementale, sans nouveaux territoires. De même le nombre de sénateurs est limité : 6 par province ; en contrepartie le Québec obtient la garantie de détenir au moins 25 % des sièges de la Chambre des Communes. Pour le reste l'entente de Charlottetown reprend et précise certains des points contenus dans l'accord du lac Meech : le caractère de « société distincte » reconnu au Québec recouvre la langue et la culture françaises ainsi que le code civil d'inspiration napoléonienne ; le partage des pouvoirs confie de façon exclusive aux provinces, la culture et la formation professionnelle, mais aussi, à condition que les provinces en manifestent le souhait, d'autres secteurs (forêts, mines, tourisme, logement, loisirs, affaires urbaines ou municipales). La fédération peut cependant assigner des « objectifs nationaux dans tous les champs de compétence ».

Le dispositif reçut en août 1992 l'accord de l'ensemble des délégations représentant la fédération, les provinces, les territoires du nord-ouest et du Yukon, et les peuples autochtones.

Le souci de satisfaire des aspirations très diverses, voire contradictoires devait susciter une hostilité générale. Aussi le texte fut-il rejeté lors du référendum du 25 octobre 1992 par plus de 54 % des Canadiens.

Ces échecs répétés ont aiguisé les divergences entre le Québec soucieux, au nom du pacte fondateur, de mettre en place un fédéralisme asymétrique et les provinces anglophones, surtout à l'ouest, qui défendent l'égalité des droits.

* La remise en cause du bipartisme

L'échiquier politique à Ottawa, au lendemain des élections législatives d'octobre 1993, illustre à travers sa configuration paradoxale, cette évolution. La déroute du parti progressiste-conservateur laisse le parti libéral 7 ( * ) face à deux partis protestataires d'inspiration régionaliste : le bloc québécois et le parti réformiste du Canada (Reform party).

. Le Bloc québécois

Le Bloc québécois, créé par M. Lucien Bouchard en 1990, à la suite de l'échec du processus du lac Meech, défend la cause souverainiste, ce « beau risque » comme aime à l'appeler M. Bouchard.

Le Bloc québécois, fort de 54 députés sur les 75 que désigne le Québec après avoir obtenu 49,5 % des suffrages de la province (la seule où il présentait des candidats), constitue l'opposition officielle au gouvernement de M. Chrétien. Institutionnellement ce parti qui prône la sortie du Québec de la fédération, représente les intérêts de toutes les provinces du Canada. M. Bouchard s'était d'ailleurs attaché à prendre position sur des sujets d'intérêt national : soutien à l'Accord du Libre échange nord-américain (ALENA), à la participation canadienne à la Force des Nations-Unies dans l'ex-Yougoslavie, et sur le plan intérieur, à une politique d'austérité budgétaire fondée sur la contraction des dépenses.

A la suite de la désignation de M. Bouchard comme président du parti québécois, et Premier ministre provincial, M. Michel Gauthier est élu à la tête du Bloc.

. Le parti réformiste

Le parti réformiste du Canada fondé par M. Preston Manning pour défendre les intérêts des 4 provinces de l'Ouest, a élargi son audience dans d'autres provinces sur les bases d'un programme dont le radicalisme tranche avec les options plus mesurées de la classe politique fédérale : rejet de l'intervention de l'Etat, remise en cause du régime d'assurance santé, condamnation de l'immigration et du multiculturalisme. Par ailleurs le Reform party défend un fédéralisme égalitaire, hostile aux revendications québécoises. M. Preston Manning a fait son lit du discrédit de la classe politique pour laquelle l'échec du référendum sur l'entente de Charlottetown a constitué un cinglant désaveu.

Aux élections fédérales du 25 octobre 1993, le Reform party a obtenu 52 élus, soit 2 de moins seulement que le Bloc québécois.

L'opposition s'est ainsi radicalisée et le parti libéral, le seul réellement attaché à la fédération, apparaît désormais isolé.

L'impasse constitutionnelle, aggravée encore par ce contexte politique difficile, a persuadé le parti québécois d'engager en priorité le processus d'autodétermination, quitte à reprendre ensuite des négociations pour définir la nature des relations entre le Québec et le Canada.

B. UNE CRISE À L'ISSUE INCERTAINE

1. Le référendum au Québec : un coup de semonce pour les fédéralistes

a) Le contexte particulier de la campagne référendaire

La campagne pour le référendum d'octobre 1995 s'est engagée dans un contexte bien différent de celui qui prévalait en 1990 au moment du premier référendum.

Les échecs répétés des tentatives de réforme du fédéralisme ont pu persuader une partie de l'opinion québécoise au-delà des seuls milieux acquis à la cause souverainiste, que la sauvegarde de l'identité de leur province passait par l'accession à la souveraineté.

Le parcours de M. Lucien Bouchard , aujourd'hui Premier ministre du Québec, symbolise assez bien cette évolution des esprits. Ancien ambassadeur à Paris (1985-1988), membre du Cabinet conservateur (1988-1990) il rompt avec le Premier ministre, M. Brian Mulroney, à la suite de l'échec du lac Meech. Il fonde le Bloc Québécois à l'été 1990 dans la perspective d'assurer à la cause souverainiste une représentation au sein des instances fédérales.

Cette ambition se trouve pleinement justifiée par le succès remporté lors des élections fédérales du 25 octobre 1993.

L'évolution de l'opinion québécoise dont témoigne ce premier succès devait se confirmer lors des élections provinciales de l'année suivante quand le parti québécois, victorieux, succède à un parti libéral profondément divisé à la suite de l'échec du référendum constitutionnel sur l'entente de Charlottetown.

La dynamique politique paraît ainsi jouer en faveur des souverainistes qui choisissent opportunément d'organiser la consultation référendaire un an après la formation du nouveau gouvernement provincial (le Gouvernement Levesque élu en 1976 avait attendu quatre ans avant de consulter les Québécois).

Si le contexte n'est plus celui de 1980, l'enjeu du référendum lui-même présente aussi un caractère inédit. Il ne s'agit plus en effet de donner mandat au gouvernement québécois pour négocier avec la fédération une « souveraineté-association » mais d'opter directement pour ou contre la souveraineté. Le libellé retenu pour la question posée aux Québécois paraît à cet égard dénué de toute ambiguïté : « Acceptez-vous que le Québec devienne souverain après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique dans le cadre du projet de loi sur l'avenir du Québec et de l'entente signée le 12 juin 1995 ? Oui ou non ». Le choix pour la souveraineté apparaît certes assorti d'une offre de partenariat politique et économique avec le Canada, mais il ne lui est en aucune manière conditionné.

Tandis que le camp du « oui » paraissait marquer le pas, le parti québécois choisissait de confier à M. Lucien Bouchard la responsabilité de conduire, dans les faits, la campagne référendaire. L'extrême popularité dont jouit ce dernier devait lui permettre d'élargir l'audience de la cause souverainiste au-delà de la partie des Québécois (évaluée à 40 % du corps électoral) qui lui était de toute façon acquise. Ce pari allait se révéler judicieux et porter les souverainistes très près de la victoire.

b) Une fracture politique et culturelle

Il n'aura manqué que 52 448 voix aux partisans de la souveraineté pour l'emporter sur les fédéralistes qui, avec 50,56 % des suffrages, obtiennent le maintien du Québec au sein de la fédération canadienne. Les souverainistes progressent ainsi de 10 points par rapport au référendum de 1980.

L'analyse du scrutin qui a mobilisé 93,5 % du corps électoral appelle plusieurs observations.

En premier lieu les résultats du référendum confirment la dimension politique des clivages linguistiques : 60 % des francophones ont voté pour la souveraineté alors que plus de 90 % des anglophones ou des allophones en ont rejeté le principe.

Ces clivages linguistiques ont une traduction directe sur le plan géographique : la région de Montréal dont la population se caractérise par sa relative diversité 8 ( * ) s'oppose à un Québec plus rural, francophone et souverainiste 9 ( * ) .

Cependant il apparaît clairement que les souverainistes n'ont pas fait le plein des voix francophones. A cet égard les résultats de la région de Québec paraissent significatifs : le « oui » ne l'a emporté que par 53,4 % des suffrages alors même que les francophones représentent plus de 97 % de la population. L'engagement du gouvernement québécois à réintégrer les fonctionnaires fédéraux francophones dans l'administration d'un Québec devenu souverain a pu inquiéter les fonctionnaires provinciaux en place -naturellement bien représentés à Québec, où se concentrent les institutions provinciales- sans d'ailleurs rallier les titulaires de postes administratifs à Ottawa.

Par ailleurs, il importe de souligner aussi la variété des sensibilités au sein même des familles francophones : si les jeunes (18-34 ans) et la génération des 35-54 ans, blessés par les échecs des réformes constitutionnelles, appuient dans leur ensemble le « oui » au référendum, les personnes âgées de plus de 55 ans manifestent plus de réticence à l'égard d'une souveraineté qui pourrait, à leurs yeux, menacer les acquis sociaux.

Ainsi, malgré les propos polémiques de M. Jacques Parizeau rejetant sur « l'argent et les votes ethniques » la responsabilité de la défaite du « oui », la réalité apparaît incontestablement plus nuancée.

2. La relance du débat institutionnel

Le référendum dont le résultat s'est révélé si serré, n'a rien réglé ; la question québécoise reste entière. Le parti québécois a ainsi indiqué qu'un nouveau référendum serait organisé avant trois ans. Chaque camp va tenter de mettre à profit ce délai pour rallier à sa cause l'opinion québécoise

a) Les incertitudes fédérales

* Le gouvernement fédéral reprend l'initiative

Le gouvernement fédéral ne s'était pas réellement ému de la victoire du parti québécois aux élections provinciales de septembre 1994 ; il n'avait pas cru aux chances du « oui » de l'emporter au moment du référendum et s'était tenu à la ligne directrice simple fixée par M. Chrétien en 1993 : ne pas ouvrir le débat constitutionnel, mais aménager les relations entre fédéralisme et provinces par de simples accords administratifs. La remontée du camp du « oui » attestée par les sondages, à la suite de l'intervention de M. Bouchard au premier plan de la campagne, devait toutefois conduire M. Chrétien à réagir en promettant aux Québécois une meilleure prise en compte de leurs aspirations.

. Des mesures limitées

Cet engagement devait, au lendemain du référendum, se concrétiser sous une forme assez modeste : reconnaissance, par une résolution du Parlement, sans effet juridique, de la « société distincte » du Québec, dépôt d'un projet de loi accordant un droit de veto en matière constitutionnelle au Québec (et aussi à l'Ontario, à la Colombie-Britannique, ainsi qu'à deux ensembles régionaux, les Provinces atlantiques et celles du Centre-ouest), décentralisation partielle, et d'ailleurs conditionnelle, de la main-d'oeuvre.

. Le remaniement gouvernemental

Le souci de reprendre l'initiative au lendemain du référendum s'est également manifesté par un profond remaniement gouvernemental caractérisé par l'arrivée le 25 janvier 1996 de nouvelles personnalités, notamment M. Stéphane Dion , le ministre des affaires intergouvernementales que votre délégation a eu l'honneur de rencontrer. Ce jeune universitaire pour lequel ce poste ministériel constitue la première expérience politique, se trouve chargé en pratique de la délicate question des relations avec le Québec. Il ne souhaite pas, semble-t-il, s'en tenir au statu quo. D'après lui « la ronde constitutionnelle a mal tourné » en raison d'un malentendu : la « reconnaissance » souhaitée par les uns étant considérée comme un privilège par les autres.

Aussi prône-t-il une décentralisation inspirée par le souci de confier à chaque niveau de gouvernement les responsabilités qu'il paraît le mieux à même d'assumer (la fédération restant ainsi le niveau adapté pour l'unification du marché intérieur).

La position de M. Stéphane Dion reste toutefois en-deçà des attentes de souverainistes : il ne se réfère pas à la notion de « peuples fondateurs » et utilise, pour évoquer les Québécois, les termes de « minorité » ou de « population ».

Cependant, cette volonté d'avancer sur le terrain constitutionnel rompt avec le statu quo observé par le gouvernement fédéral ces dernières années, et cherche ainsi à enlever des arguments aux partisans de la souveraineté.

* L'effervescence du débat au niveau fédéral

Par ailleurs le débat d'idée a retrouvé, au lendemain du 30 octobre, une certaine effervescence au sein des instances fédérales tant au niveau du gouvernement qu'au niveau du parlement. Certaines des formules qui influenceront le destin du Canada se trouvent peut-être en germe dans les différentes positions qui s'expriment. Il n'est donc pas inutile de s'y attarder.

. Les tenants d'une plus grande ouverture aux aspirations québécoises

Une première tendance témoigne d'une volonté d'ouverture aux attentes québécoises. Elle se manifeste notamment à travers la prise de position de M. Keith Spicer, personnalité influente du monde de l'audiovisuel. Dans un document publié à titre privé, M. Spicer rappelle la nécessité pour la fédération de reprendre l'initiative en définissant des concessions acceptables pour le maintien du Québec dans la fédération (plan A) ou en élaborant un plan de repli -qualifié de plan B- pour définir les conditions d'une séparation du Canada dans l'hypothèse où celle-ci se révélerait inévitable.

Il suggère que des propositions puissent être soumises le plus tôt possible à un double référendum, au Canada anglais d'une part, au Québec d'autre part ; si le plan A l'emporte, la Constitution se trouve amendée en conséquence et cette modification est réputée intangible pour vingt ans ; dans le cas contraire le scénario de la séparation, l'option B est immédiatement mise en oeuvre.

Cette thèse a connu une grande audience. Ses partisans appellent de leurs voeux le succès du plan A. Il s'agit à leurs yeux, de la dernière chance de sauvegarder la fédération canadienne ; un échec leur paraît toutefois préférable au climat d'incertitude auquel un nationalisme québécois non satisfait paraît condamner la vie politique de la fédération.

. Les partisans de la fermeture

Un autre mouvement d'opinion répugne au contraire à toute concession ; il connaît même sous la forme des thèses du parti réformiste une radicalisation certaine. Le parti de M. Manning évoque ainsi un morcellement du territoire québécois afin de permettre aux régions du Québec où se seraient exprimées une majorité de voix en faveur du statu quo de demeurer au sein de la fédération. Un corridor de libre circulation relierait à travers le Québec l'Ontario et les Provinces Atlantiques. Ces thèses ont trouvé elles aussi un écho jusque dans certains propos de représentants du gouvernement fédéral.

Telles étaient les données du débat au début de l'année 1996. On peut parier sans trop de risques que le renouvellement du fédéralisme alimentera encore nombre de propositions et contre-propositions.

Du reste, votre délégation a été, au cours de son séjour pourtant bref, le témoin d'un nouvel avatar du débat institutionnel. A l'occasion d'une session réunie les 13 et 14 avril en présence de M. Jean Chrétien, le parti libéral du Canada (section du Québec) proposait de remplacer dans son programme politique la définition traditionnelle du Québec comme « société distincte » par la notion de « foyer principal de la langue, de la culture et de la tradition juridique française en Amérique ». La promotion du « foyer principal » est considérée comme un net recul par rapport à la « société distincte » alors même que pour beaucoup de Québécois cette dernière notion demeure elle-même insuffisante. L'Assemblée nationale du Québec au cours de sa séance du 16 avril a ainsi rejeté à l'unanimité la notion de foyer principal. Le parti libéral du Québec, attaché au concept de « société distincte », a joint ses voix au parti québécois majoritaire qui retient, pour sa part, la seule notion de « peuple québécois ».

Aussi le thème constitutionnel est-il revenu sur le devant de la scène fédérale alors même que le gouvernement souverainiste paraissait, sous la conduite de M. Lucien Bouchard, vouloir calmer le jeu sur ce terrain.

b) Les priorités du gouvernement québécois

L'effacement de M. Jacques Parizeau de la vie politique québécoise après l'échec du référendum, ouvrait la voie à M. Lucien Bouchard, élu chef du parti québécois le 27 janvier et désigné le surlendemain, Premier ministre de la Belle Province.

M. Lucien Bouchard a réaffirmé son souci de réaliser la souveraineté du Québec ; il n'envisage pas toutefois, dans l'immédiat, de remettre en cause la loi électorale québécoise qui interdit d'organiser un nouveau référendum avant la fin de la législature ; aussi repousse-t-il l'échéance référendaire à de nouvelles élections législatives d'ici deux ans sans doute.

Mais le contexte politique conduira peut-être M. Bouchard à anticiper l'organisation d'élections législatives afin de tirer parti de la lassitude provoquée dans l'opinion québécoise par l'impuissance éventuelle des fédéralistes à avancer de nouvelles propositions. Le Premier ministre a inscrit le redressement économique au premier rang de ses priorités. L'effort de rigueur nécessaire pourrait altérer la popularité, aujourd'hui, à son zénith, de M. Lucien Bouchard. Cette circonstance ne sera sans doute pas étrangère aux choix qui seront, en définitive, arrêtés.

M. Lucien Bouchard a souhaité concentrer ses efforts sur le rééquilibrage des finances publiques. Il ne pourra faire l'impasse toutefois sur deux problèmes dont les développements risquent de compliquer sa tâche à la tête du gouvernement : la question linguistique d'une part, les revendications des nations autochtones d'autre part.

* La question linguistique

La place du français apparaît au coeur de la sauvegarde de l'identité québécoise dont les souverainistes ont fait leur combat. Elle reste également un objet de contentieux avec les minorités anglophones et allophones. Le sujet est donc politiquement explosif. En 1988, le gouvernement québécois avait utilisé la clause dérogatoire lui permettant de se soustraire à la charte des droits et libertés pour imposer l'affichage commercial extérieur exclusivement en français. Ces mesures vivement contestées au Québec -et ailleurs au Canada-, réprouvées par le comité des droits de l'homme de l'ONU, ne furent pas reconduites.

L'équilibre dont a témoigné M. Lucien Bouchard dans le débat linguistique pourra-t-il prévaloir devant les pressions de certaines tendances du parti québécois pour ranimer un conflit jamais éteint ?

Dans un rapport rendu public le 22 mai 1996, un comité interministériel mis en place par Mme Louise Beaudouin dresse un bilan de l'application de la loi 101. Ce texte, on s'en souvient, reconnaissait le français pour seule langue officielle. Le français certes, a progressé, notamment dans l'enseignement, où son apprentissage concerne près de 90 % des élèves (contre 83 % en 1990). Toutefois le français ne s'est pas encore imposé comme « langue publique commune ». Par ailleurs, le rapport relève deux autres sujets d'inquiétude : l'île de Montréal où les francophones sont en passe de devenir minoritaires dans les dix prochaines années, la dégradation du français parlé ensuite.

Bien que certaines des conclusions du rapport pouvaient prêter à polémique, M. Bouchard n'a pas souhaité modifier dans un sens plus restrictif la loi 101 ; il en a seulement réclamé une application plus vigilante.

M. Bouchard s'est donc gardé de rallumer la guerre linguistique. Afin de ne pas prêter prise au soupçon d'immobilisme sur ce sujet, il a lié la défense du français à une réforme du système scolaire. Il propose la création de commissions scolaires sur une base linguistique alors que l'organisation du système éducatif repose jusqu'à présent sur une base exclusivement confessionnelle. Habilement, il ne se place plus dans le cadre d'une confrontation entre communautés mais privilégie un front commun opposant d'un côté les « modernes » et de l'autre les églises.

L'équilibre souhaité pour M. Bouchard apparaît fragile. Il reste à la merci des passions si faciles à s'enflammer pour la défense de la langue.

L'élargissement de la cause souverainiste suppose aussi une plus forte mobilisation de la population francophone et l'incapacité du gouvernement fédéral à répondre aux aspirations des Québécois se révélerait ici décisive 10 ( * ) . Il peut également passer par une plus grande ouverture du nationalisme québécois aux anglophones ainsi qu'aux communautés immigrées qui considèrent la souveraineté aujourd'hui une menace.

* Les revendications des nations autochtones

Le sort des populations autochtones, disséminées sur l'ensemble du territoire canadien n'intéresse pas seulement, bien sûr, le seul Québec ; la responsabilité de la fédération se trouve largement engagée dans ce domaine. Toutefois, les enjeux sociaux et économiques (la réappropriation des terres et de leurs ressources naturelles) que présentent habituellement les revendications des "premières nations" se doublent dans la Belle Province d'enjeux politiques qui intéressent directement la cause souverainiste.

Il s'agit pour le gouvernement québécois de mieux satisfaire les aspirations d'une population opposée, dans sa large majorité -les résultats du dernier référendum l'ont montré-, à la mise en cause de la fédération. Il s'agit aussi de déjouer le piège d'une revendication qui avance en faveur de l'autodétermination des arguments comparables à ceux utilisés par le parti québécois pour défendre l'option de la souveraineté.

Cette dimension symbolique -la coexistence de deux nationalismes- explique l'attention que le gouvernement québécois attache à la question autochtone. En effet, le poids démographique marginal des peuples autochtones (63 000 personnes environ, soit 1 % de toute la population québécoise) ne leur permettrait pas de toute façon de s'opposer à l'accession du Québec à la souveraineté.

Les premières nations se caractérisent par leur grande variété : elles réunissent en effet dix nations amérindiennes 11 ( * ) (plus de 56 000 personnes) et une nation Inuit (plus de 7 000 personnes soit 20 % de l'ensemble de la population Inuit du Canada).

Si diverses soient ces nations, elles connaissent des problèmes communs. Majoritairement attachées à des réserves (où vivent 40 000 Amérindiens), elles se trouvent dans une situation de forte dépendance économique. Par ailleurs, le retard du niveau d'éducation par rapport au reste de la province ne se comble que lentement. Enfin, statistique inquiétante, le taux de suicide est trois fois plus élevé que la moyenne québécoise.

Les relations entre la province et les populations autochtones se sont développées à la faveur du développement économique du territoire québécois. La construction d'ouvrages hydroélectriques a conduit, par exemple, le gouvernement provincial à négocier la convention de la Baie James et du nord Québécois, signée en 1975 avec les Inuits et les Cris. Ces accords concernent aujourd'hui près d'un tiers des autochtones, qui ne relèvent plus dès lors de la loi fédérale sur les Indiens de 1876. Selon ces ententes, les premières nations renoncent à leurs droits ancestraux sur leurs territoires en contrepartie de l'usage exclusif de certaines terres, de pouvoirs d'auto-administration et d'indemnisations financières.

Cependant au cours des deux dernières décennies, les communautés autochtones se sont mieux organisées pour défendre leurs droits, revendiquer l'autonomie gouvernementale et de nouveaux territoires

En 1985, la province reprenait l'initiative et devenait la première, au sein de la Fédération, à reconnaître par une résolution adoptée par l'Assemblée nationale du Québec, les droits des nations autochtones 12 ( * ) .

Toutefois ces droits s'exercent dans le cadre des lois du Québec et ne sauraient remettre en cause l'intégrité territoriale de la province.

Mais ces principes n'ont pas paru suffisants aux nations autochtones. Certaines ont remis en cause les accords existants : les Cris ont ainsi contesté l'application, jugée insuffisante, du volet de l'accord de la Baie James consacré au développement économique et social. D'autres, comme la nation huronne-wendat, ont tiré d'archives oubliées des traités d'amitié avec la France ...

Cette effervescence a conduit le gouvernement québécois à relancer le processus de négociation : protocole d'entente du 23 mai 1995 pour actualiser la convention de la Baie James, proposition globale faite aux Attikameks et aux Montagnais en décembre 1994 reposant sur l'autonomie et le partenariat.

La marge reste étroite toutefois pour satisfaire les aspirations des autochtones sans rien céder sur les principes d'intégrité territoriale du Québec.

Même si la politique linguistique et les négociations ouvertes avec les nations autochtones permettent de tester la capacité d'ouverture du gouvernement québécois, l'action de M. Bouchard se jugera principalement à l'aune de ses résultats économiques.

* 1 L'évolution institutionnelle du Canada au cours de la première moitié du sièle hésite entre centralisation et fédéralisme. Ainsi l'Acte d'Union de 1840 marque un retour à la première tendance (union des deux Canada, reconnaissance de l'anglais comme seule langue officielle). Le fédéralisme devait toutefois l'emporter devant les pressions des Québécois... et aussi des milieux économiques qui considéraient le système fédéral comme « le moyen le plus efficace pour créer un marché économique commun des provinces anglaises d'Amérique du Nord favorisé par un système ferroviaire adéquat » (Gil Remillard, Le fédéralisme canadien, Eléments constitutionnels de formation et d'évolution cité par C. Emeri , Un Etat pas comme les autres in Canada et Canadiens, sous la direction de J-M. Lacroix).

* 2 Au noyau initial des quatre provinces, viendront successivement s'ajouter : le Manitoba en 1870, la Colombie-Britannique en 1871, l'Ile-du-Prince-Edouard en 1873, l'Alberta et le Saskatchewan en 1905, Terre-Neuve en 1949. Le Yukon et les territoires du Nord-ouest -dont sera détaché un troisième territoire d'ici 1999, le Nunavut- sont administrés par un gouvernement territorial.

* 3 Le statut de Westminster prévoit que le Parlement britannique ne peut légiférer pour un dominion ni s'opposer à un texte voté par un dominion.

* 4 Le nombre des députés par province se répartit de la façon suivante : Alberta 26 ; Colombie-Britannique 32 ; Ile-du-Prince-Edouard 4 ; Manitoba 14 ; Nouveau-Brunswick 10 ; Nouvelle-Ecosse 11 ; Ontario 99 ; Québec 75 , Saskatchewan 14 ; Terre-Neuve 7 ; Territoire du nord-ouest 2 ; Yukon 1.

* 5 Les conservateurs, en choisissant de donner à leurs partis le nom de « parti progressiste-conservateur » manifestaient, s'il en était besoin, la faible âpreté du contenu idéologique de la confrontation politique.

* 6 Le nombre des sénateurs pour les autres provinces se répartit de la façon suivante : Alberta 6 ; Colombie-Britannique 6 ; Ile-du-Prince-Edouard 4 ; Manitoba 6 ; Nouveau-Brunswick 10 ; Nouvelle-Ecosse 11 ; Saskatchewan 6 ; Terre-Neuve 6 ; Territoires du nord-ouest et Yukon 1 chacun.

* 7 Le Parti libéral fort de 177 sièges sur 295, a très largement dominé dans les provinces frappées par la récession : les provinces maritimes (31 sièges sur 32), l'Ontario (98 sièges sur 99), les comtés urbains des prairies et même, dans une certaine mesure, le Québec où il obtient 31 % des suffrages, principalement dans la région de Montréal.

* 8 Les anglophones de Montréal ont opté, à une écrasante majorité, pour le statu quo ; les allophones ont également fait, en majorité, ce choix : ainsi, du comté de Jeanne-Mance dans l'est de Montréal, peuplé à 44,6 % d'allophones, principalement des Italiens d'origine.

* 9 Le vote fédéraliste se concentre dans les comtés les plus peuplés, surtout à Montréal, et pèse davantage dans un référendum que dans un scrutin législatif, dans la mesure où la représentation parlementaire tend à avantager les comtés ruraux.

* 10 Au lendemain de l'échec des accords du lac meech, l'audience du parti québécois avait connu ainsi une très nette progression.

* 11 Les Abénaquis, Algonquins, Attikameks, Cris, Hurons-Wendat, Malecites, Micmacs, Mohawks, Montagnais et Naskapis.

* 12 Parmi les quinze principes reconnus aux autochtones citons le droit de posséder et de contrôler les terres qui leur sont attribuées, le droit d'y exercer leurs activités de chassse et de pêche, le droit de participer à la gestion de la faune, de préserver leurs cultures, leur langue et leurs traditions, le droit d'orienter cette identité propre dans le cadre des lois du Québec.

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