II. L'AUTRICHE SEUIL DE LA PRIVATISATION

Membre de l'Union européenne depuis le 1 er janvier 1995, l'Autriche ne fait pas partie, à proprement parler, de « l'Europe centrale et orientale ».

État neutre, à la charnière de l'Ouest et de l'Est pendant plus de quarante ans, elle se trouve aujourd'hui directement en contact avec les nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale, dont elle partage un passé historique et culturel.

A. UN AUDIOVISUEL PRÉ-CONCURRENTIEL

L'Autriche est aujourd'hui le seul pays de l'Union européenne disposant d'un paysage audiovisuel monopolistique.

Toutefois, la forte pénétration du câble et du satellite assure un pluralisme incontestable au paysage audiovisuel autrichien.

1. Le système de régulation

L'Autriche n'a traditionnellement pas de ministre chargé de l'information. L'information, de même que le statut de l'ORF - l'établissement public de radiodiffusion - est uniquement régie par des lois constitutionnelles et des textes législatifs ordinaires.

Ainsi, la loi constitutionnelle du 10 juillet 1974 garantit l'indépendance de la radiodiffusion, cependant qu'une loi du 28 septembre 1984, révisée en 1985, 1986 et 1987, régit l'organisation, le fonctionnement et le contrôle de la radio et de la télévision. De simples directives internes de l'ORF précisent la grille horaire, les tarifs de publicité, les conditions de travail des journalistes, les orientations des émissions...

L'Intendant Général est nommé pour une période de quatre ans (renouvelable sans limitation) par le « Kuratorium ».

L'Intendant Général de l'ORF est, depuis 1995. M. Gerhard Zeiler, ancien directeur de la brillante chaîne privée de télévision RT L. 2. Âgé de quarante ans, il est considéré comme proche des socialistes (il a été le secrétaire personnel des chanceliers Sinowatz et Vranitzky). C'est à lui que devrait incomber la transformation de l'ORF la fin du monopole, et l'avènement de la privatisation. Il a procédé à un rajeunissement des cadres, à des économies budgétaires, à une simplification des méthodes et de la gestion, et à la modernisation des programmes, qui ont été la clé de sa réussite en Allemagne. Mais il devra compter avec les structures politico-administratives de l'ORF, qui assurent l'indépendance éditoriale des deux chaînes, ce qui crée aussi un lien très fort avec toutes les forces qui comptent en Autriche. Et l'on ne sait pas encore si ces structures seront ou non transformées avec la fin du monopole.

Son prédécesseur, M. Gerd Bacher, journaliste, un moment conseiller du Chancelier allemand Helmut Kohl, aura occupé ses fonctions vingt-cinq ans, de 1967 à 1974, puis, sans interruption depuis 1978. Très indépendant, sans appartenance politique affirmée, assez volontiers dirigiste, très personnel, excellent professionnel, discuté mais respecté par tous, il a fortement imprimé sa marque et imposé ses conceptions à la télévision autrichienne.

Le Kuratorium est une sorte de conseil d'administration de 35 membres où le Gouvernement et les partis politiques jouent un rôle primordial.

La composition du Kuratorium est la suivante : 9 personnes sont désignées par le Gouvernement, 6 par les partis politiques représentés au Parlement, 9 par les länder, 5 par le personnel de l'ORF et 6 sont désignées par les Églises, les syndicats, les différents usagers de l'office.

Cette instance est assistée d'une commission de 36 membres assurant la représentation des auditeurs et téléspectateurs.

Une « commission de vérification du statut de la radiodiffusion », créée en 1974, est chargée de veiller à la stricte observance, par les chaînes publiques de leur statut. Elle veille, en particulier, au respect de l'objectivité de l'information. Ses décisions sont susceptibles d'être déférées devant la Cour constitutionnelle autrichienne.

Une « commission de contrôle » de 3 membres supervise la gestion financière de l'ORF.

Enfin, le « conseil autrichien de la presse », créé en 1961, peut - malgré sa dénomination officielle - être également saisi des affaires relatives à la déontologie à la télévision.

2. Deux chaînes publiques et un monopole juridique anachronique

La première société de radiodiffusion autrichienne a été fondée en 1924 sous le nom de RAVAG (Radio-Verkehrs-AG). En 1938, après l'Anschluss, elle fut incorporée à la radio allemande.

Dès la fin du second conflit mondial, en 1945, l'ORF ( Oesterreichischer Rund-Funk) a été créé sous la forme d'un monopole étatique (partagé entre le Gouvernement fédéral et les Länder).

Les premières émissions régulières de télévision ont lieu dès 1957.

(1) Un monopole menacé

À la suite d'un référendum qui s'est déroulé en 1967, l'ORF fut doté d'un statut lui conférant une plus grande indépendance politique et une autonomie financière accrue. Cette dernière fut de nouveau augmentée lors d'une réforme décidée en 1974. Le statut actuel résulte de la loi du 28 septembre 1984. Il maintient le monopole pour la télévision publique hertzienne.

Le monopole est cependant condamné à brève échéance.

L'Autriche, en tant que membre de l'Union européenne, doit se plier aux règles de la concurrence en matière audiovisuelle comme en tout autre. Les groupes de communication allemands exercent une pression croissante, dans le sens du démantèlement du monopole, en raison de leur poids toujours plus important sur le marché de la publicité et de la presse écrite autrichiennes. Par ailleurs, la taille réduite et la forme allongée du pays facilitent la réception des transmissions en provenance de nombreux satellites qui diffusent sur l'Europe centrale. Enfin, le monopole a été condamné par la Cour européenne des droits de l'Homme en 1993 13 ( * ) .

Les partis politiques sont cependant assez partagés sur cette question. Le SPOE (socialiste), parti dominant de la coalition au pouvoir, cherche en effet à préserver au maximum un secteur public qu'il perçoit comme « garant de l'intérêt général et de la culture spécifique de l'Autriche ».

L'emprise du pouvoir sur la télévision publique s'est cependant accrue récemment. La quasi-totalité des postes de sous-directeurs sont occupés par des sociaux-démocrates, bien que le Gouvernement soit issu d'une coalition. De plus, en décembre 1994 et en juin 1995, la participation de journalistes (de la presse) à une émission politique a été annulée en raison de l'attitude critique de ces professionnels à l'égard du Gouvernement. Cette évolution n'est pas encourageante au regard des perspectives de sortie du monopole. Paradoxalement l'opposition, comme les conservateurs, alliés aux socio-démocrates, s'accommodent de cette situation.

Les émissions des deux chaînes de l'ORF couvrent la totalité du territoire autrichien (sauf « décrochages » régionaux de la deuxième chaîne) mais ses émissions télévisées peuvent également être captées dans tous les pays alentours, même avant 1989, ce qui augmente sensiblement son influence : Hongrie, Slovaquie, République tchèque, Slovénie, Croatie, Nord de l'Italie (et notamment Trentin-Adige, soit le Tyrol du Sud), Est de la Suisse, Sud de l'Allemagne.

(2) Les projets de réforme du secteur public autrichien

La réforme de l'ORF serait double. Il s'agirait d'une part d'assurer sa réelle indépendance politique et d'autre part de mettre fin à son monopole d'émission, afin d'ouvrir la voie à la privatisation.


• Sur le premier point, une libéralisation de l'ORF ne pourra voir le jour sans une réforme structurelle préalable du Kuratorium, dont le poids politique dans le processus de décision de l'ORF devra diminuer. Les prérogatives de l'Intendant général pourraient également être renforcées.

L'évolution du statut de la télévision, qui sera précédée par celle de la radio, ne semble cependant pas constituer une priorité pour la coalition au pouvoir. Il est vrai qu'elle paraît difficile. La privatisation d'une des deux chaînes publiques est radicalement exclue. Les pouvoirs publics craignent qu'une télévision commerciale n'absorbe une trop grande part des ressources publicitaires. Le lancement d'une télévision privée représente un pari périlleux : elle devra lutter à la fois contre la télévision publique et contre les chaînes commerciales allemandes. De surcroît, ces dernières - RTL Plus notamment - pourraient diffuser des « fenêtres autrichiennes » sur leurs programmes, afin d'attirer la publicité des entreprises autrichiennes, en proposant des tarifs plus avantageux que sur les média autrichiens puisqu'exemptés d'imposition locale.


• Sur le second point, deux préalables devront être levés avant de lancer le processus de privatisation. Tout d'abord, il faudra décider si la presse écrite pourra participer au capital de la chaîne privée, alors qu'elle peut posséder jusqu'à 26 % du capital des radios publiques. La prise de participation dans la télévision par un journal possédant également des intérêts dans la radio fait craindre la constitution d'un groupe multimédia trop puissant. En réalité, un seul quotidien aurait la surface financière nécessaire pour investir dans la télévision privée. Il s'agit du Kronen Zeitung, le plus fort tirage de la presse quotidienne autrichienne.

Ensuite, il faudra définir les critères d'attribution des fréquences. Pour des raisons économiques, une seule fréquence est disponible en Autriche. Elle desservirait Vienne et la plaine danubienne. En effet, la couverture hertzienne de l'ensemble du territoire représenterait un coût trop élevé.

La stabilité de la coalition gouvernementale entre sociaux-démocrates et conservateurs, reconduite après deux mois de négociations consécutives aux élections législatives du 17 décembre 1995, qui ont vu le renforcement du Parti social-démocrate, n'est pas - loin s'en faut - un facteur d'accélération du démantèlement du monopole ; mais, en fonction des engagements européens de l'Autriche, il apparaît inéluctable.

3. Le secteur privé

Il est le fait des programmes diffusés sur le câble ou par le satellite.

a) Des réseaux câblés importants

Nonobstant le monopole de diffusion hertzien, l'Autriche se caractérise par une forte densité de réseaux câblés.

La Cour constitutionnelle autrichienne a, en effet, admis en septembre 1992 que la diffusion par câble d'un programme émis de l'étranger ne violait pas le monopole de l'ORF, même si les émissions étaient exclusivement destinées au public autrichien.

La progression du câble autrichien va de pair avec celle de la réception directe par satellites (470.000 antennes). Ces deux modes de réception se partagent logiquement le marché puisque l'Autriche est un pays au relief tourmenté avec une forte proportion de population rurale : 54 % seulement des foyers autrichiens pourront être raccordés au câble, les 46 % restants devront être équipés d'une antenne parabolique. Le marché de la réception directe sera d'autant plus fort que 20 chaînes de langue allemande sont diffusées sur les satellites Astra.

En conséquence, il existe en Autriche 260 réseaux câblés, qui touchent actuellement 30 % des foyers. Chaque ville importante compte au moins un réseau câblé. Vienne en compte 6 ; d'autres au moins deux (comme Linz). On estime le nombre total d'abonnés collectifs (hôtels) ou individuels reliés aux réseaux câblés à plus de 874.000 en 1992, plus de 900.000 en 1993, et la progression pourrait atteindre au moins 100.000 par an.

Wiener Telekabel compte 313.000 abonnés, mais dessert en plus Graz et Klagenfurt. Liwest (Linz) a 55.000 abonnés, Innsbrück-Wörgl en a 45.000, Burgenland Kabel 30.000, Telesystem Tyrol 25.000. C'est sur le câble de Vienne, qui dispose de 22 canaux (et même 30 pour les téléviseurs les plus récents), que sont notamment diffusées TV5 Europe (depuis décembre 1991) et, depuis 1993, la chaîne culturelle européenne à base franco-allemande ARTE. Le réseau câblé de Vienne appartient à la Wiener Holding dans laquelle la Ville de Vienne avait naguère des intérêt majoritaires, mais qui ont été cédés à la Bank Austria. C'est également sur certains réseaux câblés que sont diffusées des émissions en croate, en slovène, et en hongrois. La législation sur le câble devra également évoluer. À l'heure actuelle, la production de programmes propres par les chaînes câblées est interdite. Les câblo-opérateurs se sont pourvus devant la Cour constitutionnelle autrichienne contre cette interdiction.

b) Le satellite

Les paraboles installées (650.000 actuellement) desservent 20 % des foyers autrichiens. Les programmes français peuvent également être captés par satellite, ainsi que la chaîne culturelle ARTE. Les satellites Astra 1B et Copernicus diffusent essentiellement des programmes en langue allemande, éventuellement en anglais, en italien, en suédois, en hollandais, en japonais, en danois et en norvégien. Les stations les plus populaires et les plus suivies sont RTL. PRO 7, puis les deux chaînes autrichiennes, RTL2, ZDF et ARD.

L'ORF participe depuis 1984, conjointement avec la ZDF allemande et la télévision suisse alémanique, au programme satellite en langue allemande 3 SAT.

La participation de l'ORF est d'un tiers tant pour le budget (plus de 25 millions de schillings annuellement) que pour la fourniture de programmes. Toutefois, sa part dans les programmes proprement culturels, qui représentent 23 % des émissions de 3 SAT, atteint 45 % du financement. Le coût budgétaire de sa participation à 3 SAT est régulièrement invoqué par les responsables autrichiens pour refuser d'envisager une association avec ARTE., qui paraît pourtant s'imposer pour un pays de langue allemande où la culture joue un grand rôle. De nombreuses productions (opéras et musique notamment) sont cependant déjà réalisées en liaison avec ARTE et ses autres partenaires.

À défaut d'une évolution du paysage audiovisuel autrichien privilégiant une solution nationale, l'intérêt des chaînes étrangères et notamment allemandes pour ce marché pourrait s'accroître.

4. L'économie de l'audiovisuel

a) L'audience : une domination du secteur public

Les Autrichiens sont très fiers de leur télévision, qu'à l'instar de la plupart des citoyens de beaucoup de pays, ils considèrent comme « la meilleure du monde ».

Les statistiques montrent qu'ils lui sont fidèles : les deux chaînes de l'ORF mobilisent 72 % de parts de marché sur le réseau hertzien.

Cette proportion tend à diminuer lorsque la concurrence est plus forte et plus tentante ; elle atteint 40 à 50 % seulement sur les réseaux câblés, où plus de vingt autres programmes, - la plupart en langue allemande -, offrent une grande diversité d'émissions et des heures d'écoute plus larges.

Audience de 18 à 23 heures
Adultes (plus de 12 ans)

Source : ORF-Teletest / lPA-pIus /Janvier-Décembre 1994

b) Le marché publicitaire

Actuellement, seul l'ORF peut percevoir à la fois une redevance et des recettes publicitaires, celles-ci représentant la plus importante source de financement du budget. La publicité représente environ 20 minutes par jour pour la télévision et 120 minutes pour la radio.

Depuis 1995, le temps légal de publicité est passé de 20 à 25 minutes. Cinq minutes supplémentaires seront ensuite accordées en 1997 puis de nouveau en 1999 pour finalement atteindre un total de 42 minutes de publicité quotidienne, soit 5 % du temps global d'émission. Pour la radio, les règles demeurent inchangées jusqu'en l'an 2001. Les 120 minutes de publicité autorisées passeront alors à 172 minutes. Toutefois, l'Autriche devra probablement, le moment venu, adopter les temps autorisés par les directives européennes.

Les stations privées réclament la possibilité de percevoir jusqu'à 3 % des recettes publicitaires totales et une part de la redevance, ce que refuse l'ORF.

La baisse des ressources publicitaires du secteur public est inévitable en raison de la concurrence des chaînes privées allemandes. Ainsi, RTL envisage-t-elle d'émettre des programmes à destination de l'Autriche, retransmis par satellite, financés grâce aux apports publicitaires d'entreprises allemandes, certes, mais également autrichiennes.

Le débat actuel le plus sensible concerne l'impôt régional sur la publicité.

Prélevé par les collectivités locales sur le territoire desquels sont situées les différentes structures d'une entreprise recourant à la publicité, il conduit à des doubles, voire multiples impositions. De plus, son taux est le plus élevé d'Europe, avec la Grèce. Il a rapporté en 1993 1,6 milliard de schillings, dont 69 % à la ville de Vienne. Les inconvénients de cet impôt pourrait inciter les opérateurs économiques à diffuser leurs messages publicitaires sur les média non autrichiens mais reçus dans ce pays. Les principaux journaux autrichiens et l'ORF se sont associés le 3 juillet 1995 afin de réclamer du Gouvernement une loi fédérale unifiant le taux de cet impôt, étendant son assiette à la publicité directe jusque là exemptée et le rendant national, à charge pour le Gouvernement de répartir ensuite son produit entre les différentes collectivités territoriales. Une telle évolution semble inévitable, compte-tenu de la législation européenne qui proscrit l'imposition multiple sur le chiffre d'affaires.

c) Le budget de la télévision publique

Outre l'évolution du paysage juridique et l'entrée dans l'ère de la concurrence, la télévision publique autrichienne doit affronter de sérieuses difficultés financières.

Le budget annuel de l'ORF s'élève à 9,5 milliards de schillings 14 ( * ) pour 3 500 employés. L'argumentation du temps de diffusion de la publicité sur les radios privées pourrait lui faire perdre 350 millions de recettes publicitaires engrangées par la télévision publique, et la création d'une chaîne commerciale entre 500 millions et un milliard de schillings de recettes.

Dans l'hypothèse d'un statu quo, le déficit de l'ORF sera de 7 milliards en l'an 2000, compte tenu de la baisse des ressources publicitaires et de la progression des charges sociales. En moyenne, un employé de l'ORF coûte deux fois plus cher que dans l'industrie en raison d'un accord d'entreprise octroyant au personnel des avantages sociaux très avantageux, notamment en matière de retraites.

Un « plan d'austérité budgétaire », adopté le 16 juin 1995, prévoit des réductions de dépenses de 5,4 milliards de schillings, afin de résorber le déficit d'ici l'an 2000. Ce plan prévoit de geler le coût des programmes pour la radio et la télévision sans remplacer intégralement les départs à la retraite, ce qui entraînerait la réduction de 600 postes. Une augmentation de la redevance et un élargissement des plages horaires publicitaires sont également envisagés.

d) Les programmes

La télévision publique diffuse deux programmes différents, mais complémentaires, et dont certaines émissions (informations générales) sont communes. ORF 1 assure une couverture nationale globale, alors qu'ORF 2 a plusieurs heures hebdomadaires de décrochages régionaux dont les émissions (la plupart du temps des reportages ou des informations locales, mais aussi certains programmes culturels) sont assurées par les stations régionales situées dans les neuf Länder fédérés du pays. En semaine, les programmes d'ORF 1 ne commencent qu'à 9 heures pour se terminer vers 2 heures du matin ; ceux d'ORF 2 commencent à 12 heures 50 et se terminent vers 2 heures du matin. Le dimanche, les plages horaires sont plus étendues.

La programmation de la télévision autrichienne est marquée par son caractère « sérieux ».

Si les fictions (surtout films et séries), divertissements et variétés représentent 37 %, la part des émissions éducatives et culturelles est élevée (plus d e 22 %), celle des informations et magazines ne l'est guère moins (21 %). Les émissions religieuses, humanitaires ou pour la jeunesse se partagent le reste du temps (deux heures quotidiennes d'émissions sont réservées aux jeunes, trois le samedi et le dimanche).

Plus de la moitié des programmes sont d'origine autrichienne, une part importante des autres programmes sont allemands ou américains (les films sont doublés, les Autrichiens, comme les Français, apprécient peu le sous-titrage). De nombreux sujets traitent de la France. Beaucoup sont le fait d'équipes autrichiennes et les programmes français sont essentiellement des films doublés, d'ailleurs fort populaires. Mais pour des raisons de coût, l'ORF participe de plus en plus à des coproductions. Parmi les plus importantes coproductions multinationales de ces dernières années, on peut citer « La Dynastie des Strauss » ou « La Marche de Radetzky », ORF étant chef de file, la France étant présente.

Le nouvel Intendant général met l'accent sur la nécessité, pour la télévision publique, d'avoir de l'audience. « seule mesure du succès ». Une grille, mise en place en mars 1995, privilégie l'information et « l'interactivité ». De nombreux talkshows sont animés par des stars médiatiques. Une soixantaine d'organisations culturelles ont cependant critiqué un « effacement de la culture » à l'ORF, en raison de la suppression de certaines émissions culturelles.

B. LA LIBÉRALISATIONS DE PAYSAGE RADIOPHONIQUE

1. La fin du monopole

En raison de la condamnation de l'Autriche par la Cour Européenne des Droits de l'Homme (double monopole sur la télévision et sur la radio)-la loi du 22 juin 1993 a mis fin au monopole sur la radio.

Cette loi autorise les quotidiens ou les hebdomadaires de la presse écrite à posséder 26 % au maximum du capital d'une première radio et 10 % du capital dans deux autres radios. Il n'y a pas de limitation de détention de capital pour les autres types de sociétés (banques, industriels, individus...).

La responsabilité de l'attribution des fréquences incombe au Ministère des Transports et de l'Économie Publique. Cependant, une « Commission des fréquences » composée de représentants du Parlement, des Gouverneurs des Länder et des partenaires sociaux, a été créée. Chaque Land dispose d'une fréquence destinée à une radio privée régionale. À Vienne deux fréquences seront attribuées. Au total, il y aura donc dix licences accordées pour l'ensemble du pays. Ultérieurement, des licences pourront être attribuées à des radios locales. La différence entre radio régionale et radio locale n'est pas clairement apparue.

Le nombre peu élevé de fréquences attribuables a été contesté. La justification technique de ce malthusianisme - le relief et la proximité d'autres pays -, ne paraît pas fondée. La radio publique occupe ainsi de nombreux canaux sans réelle justification. L'existence d'une seule fréquence disponible par Land, et de deux à Vienne ne peut, selon les responsables autrichiens eux-mêmes, assurer le pluralisme radiophonique. En revanche, la crainte que la multiplication des radios n'entraîne un fort prélèvement sur les ressources publicitaires de la presse écrite - alors que de nombreux quotidiens connaissent une situation difficile - et de la télévision publique, explique certainement cette situation.

2. Une sortie difficile du monopole

La situation actuelle de l'Autriche rappelle celle de la France avant la libéralisation des radios en 1982.

Un nombre limité de fréquences a déjà été accordé, au cours des années passées, à des stations privées commerciales ; mais il existe encore environ une quarantaine de « radios libres » ou « radios pirates » dans plusieurs villes, dont une trentaine se sont groupées en association. Jusqu'ici, toutes ces stations sont commerciales ou « marginales » (associations de jeunes, d'écologistes, etc.), et aucune ne relève d'une église ou d'un parti politique, bien que la communauté juive de Vienne ait envisagé de patronner une station mais le projet n'a pas eu de suite. Cette situation frise l'anarchie à

Vienne, où 18 stations privées se partagent une seule fréquence.

Le monopole de la radio est par ailleurs menacé par des stations qui utilisent parfois des émetteurs situés à l'étranger : Allemagne, Italie, République tchèque ou République slovaque.

Ce processus a toutefois été remis en question. La Cour constitutionnelle autrichienne a en effet suspendu la loi du 22 juin 1993 par une décision du 21 juin 1995.

La loi, sur la base de laquelle des licences et des fréquences ont été attribuées, n'autorise en effet que la diffusion d'émissions d'informations locales, de reportages ou d'autres productions propres et l'achat de productions de l'ORF. Cette disposition étant, selon la Cour, incompatible avec la Convention européenne des droits de l'homme, la législation a été déclarée inconstitutionnelle.

Cette décision aura paradoxalement pour effet de retarder d'autant le processus de privatisation de la radio, qui ne pourrait pas avoir lieu avant 1998. La situation est rendue plus complexe en Styrie, Land dans lequel une radio privée régionale a finalement obtenu une licence d'émission, les concurrents de la société qui a emporté la licence s'étant joints à celle-ci.

Les opérateurs étrangers qui ont créé des stations privées, dont les licences ont été retirées, se trouvent en situation délicate.

Radio CD : une radio slovaque très écoutée en Autriche

Radio CD a repris ses émissions depuis la mi-juillet 1994. Le Gouvernement slovaque avait en effet révoqué fin 1993 les droits qu'il accordait à la station, la fréquence ayant été privatisée à la date du 1 er janvier 1994. La société est finalement parvenue à conclure un nouvel accord avec la radio publique slovaque.

Radio-CD, très écoutée à Vienne, avait été fondée en 1989 par un transfuge de l'ORF. Ses stations et émetteurs sont installés à Bratislava, à 60 kilomètres de la capitale autrichienne. Elle avait acquis des droits de la radio slovaque, en émettant depuis le 31 mars 1990 à partir de la tour de télévision de Bratislava sur 101,8 Mhz, en direction de Vienne et de la Basse-Autriche. Avec 24 heures d'émissions quotidiennes, elle affirme avoir fidélisé 15 % des auditeurs de la région. Ses tarifs publicitaires sont d'environ un tiers le ceux de l'ORF. Radio-CD possède également des parts dans Rock-FM (Slovaquie), Radio Marburg (Slovénie), et une station en République tchèque (à Budweis), situation qui lui permet d'émettre également pour les zones de Graz et de Linz.

3. La bonne résistance de l'ORF

En 1993, la radio publique retenait encore 84 % de l'audience cumulée.

L'ORF diffuse. 24 heures sur 24, trois programmes différents en allemand (Ol culturel, O2 musique, O3 variétés et informations), et 19 heures par jour un programme en allemand, anglais et français (« Blue Danube Radio ») en F.M, en Autriche. L'Autriche est ainsi le seul pays au monde dans lequel une radio publique finance une station émettant en langue étrangère à destination de son territoire. De plus, l'ORF émet aussi sur ondes courtes vers le monde entier grâce à « Radio Autriche International » (programmes semblables à ceux de BDR), pendant 78 heures par jour. À ces programmes s'ajoutent les émissions spécifiques des neufs stations des Länder retransmises par O2, ce qui représente au total 13 programmes différents pour l'ORF.

La radio O2, qui diffuse de la musique, a maintenant un statut de radio commerciale (détenue cependant à 100 % par l'ORF). Ainsi, appelée « RadioWien », à Vienne (mais « Radio Burgenland », dans le Burgenland...), elle se veut une radio « moderne », présentant une programmation de variétés, prenant rigoureusement en compte les demandes instantanées des auditeurs (consultés en permanence par téléphone ou par des mécanismes de type audimat), avec une publicité dynamique.

Depuis septembre 1994, la radio Ol (qui diffuse de la musique classique), a changé d'image afin de rendre ses programmes plus « actuels » et de mieux se défendre lors de l'arrivée des radios privées. Cependant cette radio nationale, de prestige, coûte cher, car elle fonctionne sans publicité.

Les programmes en français de Radio Autriche International sont réalisés sous la responsabilité d'un ancien correspondant de l'AFP à Prague, expulsé de Tchécoslovaquie en 1968, qui possède, malgré sa nationalité française, le statut de fonctionnaire de l'ORF.

L'ORF utilise actuellement, sur le plan technique. 56 fréquences dans la région viennoise qu'il affirme nécessaire en raison de la superficie du Land et du relief. Selon les tenants des radios privées, l'ORF empêche par là même tout développement des stations commerciales, sur le territoire national. L'ORF est doté de plus de 1 060 émetteurs répartis sur toute l'Autriche. Cela lui permet de couvrir la totalité du pays, mais aussi d'être écouté hors de ses frontières : Sud de l'Allemagne, Nord de l'Italie. Est de la Suisse et surtout les anciens pays de l'Est, où, bien qu'ayant perdu de leur importance depuis 1989, les radios autrichiennes restent très suivies.

La radio publique autrichienne dispose toujours de solides atouts. Elle propose tout d'abord une offre qui semble plus adaptée pour le public autrichien que celle des radios commerciales.

Les principaux programmes que proposent les futures radios privées tournées vers les 15/25 ans imitent le format musical de NRJ en France : par tranche horaire, on trouve 85 % de musique et 15 % d'informations et de présence du présentateur à l'antenne. Or, la radio est, en Autriche, un média du matin : elle est principalement écoutée entre 6 heures et 8 heures 30. En conséquence, les radios tournées vers les jeunes visent plutôt la tranche comprise entre 18 heures et 22 heures où le pourcentage d'écoute de la radio publique est beaucoup plus faible, en raison de la concurrence de la télévision, et où, par conséquent, le prix des spots publicitaires est moindre.

Par ailleurs l'ORF, disposant du seul réseau d'émetteurs balayant l'Autriche, ne peut refuser de louer ses émetteurs aux radios privées autorisées. Elle invoque toutefois, pour conserver son monopole, des raisons techniques car la présence de nombreuses ondes différentes l'obligerait à modifier ses émetteurs. De plus, pour mettre son réseau à la disposition des radios qui le désirent, elle demande une rémunération pouvant atteindre 2,8 millions de schillings par an et par société.

Enfin, au niveau stratégique, l'ORF, selon un communiqué de novembre 1993, « n'envisage pas de pouvoir lutter juridiquement ou techniquement contre la création de radios privées ou commerciales. Il Peut conserver le quasi-monopole des émissions culturelles, artistiques, documentaires, mais devra compter sur sa seule qualité pour se maintenir face à la concurrence dans le secteur de l'information, de la variété, des sports et des films. À cette fin, l'ORF utilisera de plus en plus de technologies nouvelles comme la radio digitale et fidélisera ses auditeurs avec une programmation fondée sur leurs demandes ».

La fin du monopole obligera cependant l'ORF à faire preuve de créativité et de dynamisme, face à des radios « commerciales », dont le fonctionnement est bien connu de l'Intendant Général de l'ORF, puisqu'il a été directeur de RTL. 2.

C. UNE PRESSE SOUS INFLUENCE ALLEMANDE

L'évolution du paysage audiovisuel autrichien ne peut s'appréhender sans une référence à la situation de la presse écrite, qui est en grande partie sous influence allemande.

Il existe une forte tradition de lecture des quotidiens en Autriche, notamment dans les cafés. La qualité de la presse autrichienne était encore supérieure avant 1938, avant l'exil de nombreux journalistes. Si le taux de lecture reste élevé, la presse quotidienne de qualité se résume à deux titres qui diffusent à 120 000 exemplaires.

Le plus fort tirage de la presse quotidienne autrichienne est le « Neue Kronen Zeitung », qui tire à près de 1 250 000 millions d'exemplaires, ce qui, pour une population de huit millions d'habitants est considérable. Ce quotidien d'informations générales, populaire et indépendant, est possédé par un particulier. M. Hans Dichand, avec cependant une forte présence de capitaux allemands. Il est très influent. On raconte volontiers à Vienne qu'une élection peut se faire sans le « Kronen », mais pas contre lui. Le journal a ainsi réussi à mobiliser 750.000 signatures, pendant l'été 1995, pour protester contre les essais nucléaires français.

La liberté de la presse est garantie, en Autriche, par la Constitution. La loi du 12 juin 1981 régit les relations de travail des journalistes et les délits de presse. L'indépendance des journaux repose également sur des sociétés de rédacteurs propres à chaque entreprise.

La presse écrite est aidée par l'État depuis le milieu des années 80 afin de garantir la diversité des informations ; elle se trouve cependant sous influence allemande croissante.

Depuis 1985, la presse - quotidienne ou hebdomadaire - peut recevoir une aide financière de l'État, proportionnelle au nombre de lecteurs (mais avec une forte dégressivité) ; les Länder et les communes peuvent également aider la presse régionale ou locale. L'objectif de ces diverses aides est de garantir une réelle diversité de l'information. En 1994, l'aide fédérale accordée aux quotidiens s'élevait à 240 millions de schillings. Cette somme considérable se divise en « aide fédérale globale » et en « fonds spéciaux » alloués en fonction de critères assez mal définis et largement contestés par les spécialistes.

Depuis 1988, Les entreprises possédant les journaux autrichiens sont tombées, pour beaucoup d'entre elles, sous la dépendance des capitaux étrangers, en particulier allemands.

Ce phénomène a commencé au milieu des années 80 par la prise de participation à 45 % du trust « Westdeusche Allgemeine Zeitung » dans le quotidien du soir « Neue Kronen Zeitung ». Par la suite, la WAZ a également pris 45 % du capital du quotidien autrichien « Kurier » (le reste du capital appartient à la banque Raiffeisen).

Cette intrusion de la puissance financière allemande (également sensible dans le domaine des maisons d'édition) a contribué à affaiblir, voire à faire disparaître, la presse traditionnelle d'opinion, notamment la presse des partis. Ainsi, l'ancien « Arbeiter Zeitung », organe du parti socialiste, a disparu en novembre 1991.

D'autres organes proches des milieux politiques conservateurs seraient également menacés.

Les principaux groupes de presse à capitaux essentiellement autrichiens sont le groupe Falk et le groupe Radda et Dessler.

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En conclusion, l'Autriche ne semble pas pressée à relever le triple défi que constituent la transformation du statut de l'ORF, l'abolition du monopole et l'avènement de la privatisation, d'autant plus que ces questions ne constituent pas un enjeu politique, notamment pour l'opposition.

La libéralisation du paysage audiovisuel autrichien est néanmoins inscrite dans la logique de son intégration européenne.

Dans cette perspective, le Gouvernement autrichien devra choisir entre trois options de libéralisation :


• maintenir l'ORF dans son statut d'entreprise publique en lui laissant la responsabilité de ses deux chaînes actuelles, en acceptant la création d'une troisième chaîne totalement privée ;


• garder l'ORF avec une seule chaîne publique et privatiser sa seconde chaîne ;


• trouver une solution « à l'autrichienne » en mélangeant les responsabilités et les capitaux publics et privés, panachant les programmes de diverses provenances. L'étroitesse relative du marché autrichien en public et en ressources publicitaires, ainsi que la concurrence déjà très vive des chaînes allemandes, captables par tous, conduisent cependant les spécialistes à s'interroger sur la viabilité de trois chaînes.

* 13 Voir supra.

* 14 schilling 0.48 franc.

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