III. LA POLOGNE : À LA RECHERCHE DE L'ÉQUILIBRE

A. UN AUDIOVISUEL EN RECOMPOSITION

1. Un système de régulation qui a du mal à s'imposer

a) Une autorité indépendante

La transformation de la télévision d'État en établissement public a entraîné la disparition du Comité d'État pour la radio et la télévision, dissous officiellement le 1 er mars 1993.

Le Conseil national de la radio et de la télévision (CNRT), créé par la loi du 29 décembre 1992, comprend neuf membres :

- 4 membres nommés par la Diète,

- 2 membres nommés par le Sénat,

- 3 membres nommés par le Président de la République qui désigne, parmi ceux-ci, le Président.

Les membres sont choisis parmi des personnalités ayant des connaissances dans le domaine des média et leur mandat, non renouvelable, est d'une durée de six ans.

Leurs fonctions, rémunérées, sont incompatibles avec des responsabilités politiques, syndicales ou confessionnelles, et avec toute activité en rapport direct ou indirect dans le secteur audiovisuel.

Les décisions sont prises à la majorité absolue des membres.

Le Conseil national est, en vertu de la loi, assisté d'un bureau du Conseil qui compte entre 60 et 80 personnes, divisé en départements (technique, programmes, publicité, relations internationales, juridique).

De plus, un bureau des experts, comprenant six personnes, a été créé afin de permettre au CNRT de mieux remplir son rôle.

Le Président de l'instance dirige les travaux, représente le CNRT à l'extérieur et dispose d'un pouvoir individualisé de sanction.

b) Des pouvoirs étendus

Le CNRT veille à la liberté de parole, à l'indépendance des diffuseurs et garantit le pluralisme.

Il prépare, en concertation avec le Gouvernement, les projets de réforme et dispose d'un pouvoir consultatif (avis) sur les projets portant sur l'audiovisuel.

Il fixe par arrêté le montant de la redevance télévision et radio et les catégories de personnes bénéficiant de réduction ou d'exemption.

Il dispose d'un véritable pouvoir réglementaire et définit par arrêté les quotas de production, les règles relatives à la publicité et au parrainage, notamment celles qui portent sur la protection de l'enfance.

Il contrôle l'activité des diffuseurs et coopère avec les étrangers. Il vérifie que les émissions de radio et de télévision respectent « les sentiments religieux des auditeurs » et les « valeurs chrétiennes ». Cette mission lui a été conférée par un amendement au projet initial, adopté par la Diète après de vifs débats, certains accusant ses auteurs de vouloir rétablir une sorte de « censure religieuse ». Le Conseil a fait application de cette disposition à propos d'une émission satirique de la télévision publique tournant en dérision, au moment des fêtes de Pâques, un passage de l'Évangile.

Le CNRT accorde les fréquences nécessaires aux établissements publics, en concertation avec le Ministre de la Communication. Il doit être consulté pour accord en cas de modification de statuts des sociétés publiques. Il fixe la part minimale de production propre émanant des stations locales et la part de redevance qu'elles perçoivent. Il définit les droits d'intervention des partis politiques et des syndicats.

Il dispose du pouvoir d'attribution des concessions aux diffuseurs privés pour la diffusion hertzienne, par satellite et par câble. La procédure conduisant à la délivrance d'une concession est définie par la loi

Le Conseil procède aussi à l'enregistrement par déclaration du titulaire d'une concession de câblodistribution. Il a le pouvoir de refuser cet enregistrement et d'imposer un ordre de diffusion prioritaire de certains programmes.

Le Président du CNRT dispose, aux termes de la loi, de pouvoirs de sanction importants :

- Il peut demander des « explications » au diffuseur et le « sommer de faire cesser » les activités contraires à la loi, aux règles du CNRT ou de la concession ;

- Il peut prononcer une peine d'amende égale à 5 % du montant de la taxe acquittée par le diffuseur en cas de non-respect des dispositions relatives :

- aux quotas de production ;

- aux règles en matière de publicité et de parrainage ;

- aux règles définies par le CNRT en matière de protection de l'enfance.

- Il peut imposer la cessation de l'activité du diffuseur lorsque celui-ci refuse de faire droit aux sommations qui lui ont été adressées, ou en cas d'abus de position dominante, de prête-nom, de non-respect des conditions définies par la convention, ou encore lorsque la sécurité, la culture et les « normes morales » sont menacées.

c) Des difficultés pour assurer son indépendance

Le CNRT est doublement responsable, devant le Président de la République et devant le Parlement. Incontestablement, il a rencontré des difficultés pour assurer son indépendance à l'égard du Président de la République. Du reste, M. Markiewicz, premier Président du CNRT, avait été, le 1 er mars 1994, révoqué par Lech Walesa.

« Le Président de la République, pour justifier sa décision, avait invoqué la position dominante que les membres du CNRT était en train de mettre en place dans paysage audiovisuel au seul profit de Polsat », en raison de la nomination à la tête de la télévision publique de l'ancien directeur d'une chaîne privée. Le Tribunal constitutionnel de Varsovie avait néanmoins jugé, le 11 mai 1994, que cette révocation n'était pas conforme à la loi.

En mai 1995, pour la quatrième fois en l'espace de quatorze mois, le chef de l'État changeait le président de l'autorité de régulation.

La possibilité de révocation collective par le Parlement existe également : le rejet du rapport annuel d'activité du CNRT par une résolution conjointe de la Diète et du Sénat peut entraîner l'expiration collective du mandat des membres du CNRT.

2. Un secteur public autonome et concurrencé

La loi du 29 décembre 1992 prévoit que les établissements de radio et télévision sont organisés sous la forme de sociétés par actions appartenant à 100 % au Trésor Public. Elles dépendent du seul Conseil national de la radio et de la télévision et sont autonomes.

Les deux chaînes nationales hertziennes offrent une programmation complémentaire l'une de l'autre :

- TVP1, créée en 1952, émet en moyenne 18 heures par jour. C'est la chaîne populaire, grand public.

- TVP2, créée en 1970, plus culturelle, émet deux heures de moins en moyenne que la première chaîne.

La télévision polonaise possède également onze centres régionaux dont neuf implantés dans les grandes villes, qui émettent de 12 à 24 heures par jour. Ils produisent le plus souvent des émissions régionales et constituent des antennes locales quasi autonomes. Cette politique de régionalisation a commencé dès les années 1959 et s'est poursuivie jusqu'à la période actuelle (TV Rzeszow a été créée en juillet 1993).

Elle emploie 6.600 personnes - y compris le personnel des chaînes régionales -, et compte plus de 12.000 collaborateurs occasionnels.

La redevance, qui représente 34 % des revenus de la télévision publique, s'élève à 7 zlotys en 1996, contre 5,8 en 1995. Elle est partagée entre les sociétés de télévision, qui reçoivent 60 % du total, et dix-neuf sociétés de radio, qui en perçoivent 40 %. Son montant, et la clé de répartition, sont décidés par le CNRT.

TVP Polonia est une chaîne satellitaire lancée en mars 1993 par la télévision publique polonaise. Sa diffusion a commencé en octobre 1993 et la qualité de la programmation en est l'objectif principal, dans un pays où la concurrence avec le secteur privé s'intensifie.

Celle-ci reste pourtant, selon les responsables de TVP « insuffisante », même s'ils sont conscients que la perte d'une partie de l'audience est inévitable compte tenu de la concurrence des chaînes privées, notamment en matière de fiction. Cette sérénité s'explique sans doute par le fait que le téléspectateur polonais demeure, pour le moment, assez conservateur dans le choix de ses programmes.

Le Président de la télévision publique, M. Wieslaw Walendziak a présenté sa démission le 29 février 1996. Journaliste proche des milieux conservateurs, il s'est vu reprocher, de la part de la majorité ex-communiste, d'avoir privilégié la droite catholique dans les émissions de la télévision publique dont il avait pris la direction en novembre 1993.

3. Un secteur privé pluraliste

Le dynamisme de l'audiovisuel est très fort en Pologne puisque ce pays est désormais le troisième marché en Europe pour le câble et la réception directe par satellite.

a) Un réseau hertzien dynamique mais instable

Avec deux chaînes privées nationales, dont l'une cryptée, et plusieurs chaînes régionales, la saturation des fréquences est atteinte. L'Armée devrait toutefois libérer ses fréquences dans un proche avenir.


Polsat, créée en décembre 1992, s'est vu accorder une licence pour émettre par satellite, puis, en mars 1994 l'unique licence nationale qui lui a conféré le droit d'émettre en hertzien à l'échelon national, pour une durée de dix ans ; cette licence était convoitée par plusieurs géants internationaux comme Bertelsmann, Time-Warner, CNN, Reuters et CLT.

Polsat devrait normalement couvrir 80 % du territoire polonais mais se limite pour l'instant de 55 % (selon les chiffres officiels) à 65 % (selon la chaîné) du pays. Afin d'améliorer son taux de couverture, elle construit des émetteurs hertziens et en loue d'autres à la société publique de télécommunications TP S.A.

Elle émet seize heures par jour environ et dix-huit le week-end. Son audience est de 29 % et ses parts de marché de 13 %. Mais ces chiffres, résultant d'études réalisées par un organisme dépendant de la télévision publique, sont contestés par la chaîne. Un organisme indépendant de mesure de l'audience devrait voir bientôt le jour.

Seules les émissions de plateau et le journal télévisé sont produits par la chaîne, qui dispose d'une station entièrement numérique et digitale.

La chaîne emploie 130 personnes, dont une trentaine de journalistes.

Elle occupe - ce qui constitue un symbole - les locaux de l'ancienne société d'État chargée de la propagande internationale du régime communiste.

Les capitaux de Polsat appartiennent à un homme d'affaires polonais, Zygmunt Solorz, déjà propriétaire du quotidien populaire Kurier Polski.

Le point d'équilibre devrait être atteint entre trois ans et demi et quatre ans à compter du début de l'émission, le 1 er octobre 1994.

Le choix du CNRT, conditionné notamment par l'absence de partenaires étrangers et par le fait que la chaîne avait déjà été autorisée à émettre ses programmes en octobre 1993 par voie satellitaire, a été contesté par ceux qui, doutant de sa solidité financière, ont saisi le juge administratif, qui a néanmoins confirmé la licence de Polsat.

Selon son directeur général. M. Piotr Nurowski, « l'ambition de Polsat et d'atteindre l'audience de la seconde chaîne publique. TVP2, c'est à dire 57 %. Mais la concurrence est difficile car la télévision publique est implantée et conserve la faveur du public. Elle a en effet beaucoup changé, s'est commercialisée. Contrairement à la télévision publique tchèque, elle n'a pas raté le virage de l'arrivée des télévisions privées » .

Cette chaîne nationale est complétée par des chaînes locales.

Une nouvelle politique d'organisation des fréquences est actuellement lancée dans un climat de pénurie auquel le CNRT et le Gouvernement tentent de remédier. Des travaux sont notamment en cours pour permettre techniquement l'existence de nouveaux réseaux de télévision et de radio, notamment en utilisant des fréquences restituées par l'armée.


Canal + Polsjka a, le même jour, reçu l'autorisation d'exploiter des fréquences dans plus d'une dizaine de villes ; c'était en novembre 1994, après quelques mois d'incertitude en raison de la présence de Canal + au capital de la chaîne. En effet, la participation des capitaux étrangers est limitée par la loi à 33 %. La chaîne a lancé ses premières émissions expérimentales en décembre 1994 dans treize grandes villes polonaises. Sa couverture, via 14 émetteurs et le satellite, atteint, à la fin de l'année 1995, 3 millions de foyers et a été étendue en février 1996. La promesse d'obtention de fréquences sur un réseau hertzien multivilles avait été faite par le CNRT à Canal +, dès janvier 1994, au moment de l'attribution d'un réseau national à Polsat.

La chaîne est cryptée et payante (60 FF environ par mois 15 ( * ) ). Elle diffuse 19 heures par jour de programmes comportant, selon la formule classique de Canal +, des films (40 % de films polonais) et du sport.

Canal + Polska espère obtenir 500.000 abonnés dans les cinq années à venir, son point d'équilibre se situant aux environs de 350.000 abonnés. Après six mois d'émission, elle avait reçu 25.000 adhésions. Le taux de pénétration progresse au même rythme que celui de Canal + en Espagne. Elle est associée à des investisseurs polonais réunis au sein de la PKT (Polska Korporacja Telewizyna) qui regroupe notamment les groupes Kodak et L'Oréal Pologne. Le capital s'est ouvert à un magazine, un producteur de film indépendant et aux télécoms polonaises.

Elle compte environ 200 employés.

Canal + Polska a signé, en septembre 1995, un accord avec les câblodistributeurs permettant son entrée sur environ 240 réseaux câbles, représentant 1 200 000 foyers.

Aux termes de l'accord, chaque opérateur du câble pourra décoder les émissions de Canal + en tête du réseau, puis les recoder avec un autre système, installant ses propres décodeurs chez les abonnés, notamment des « filtres positifs ». Le prix payé par les clients sera le même que celui demandé aux abonnés directs de Canal +. Mais ils ne devront pas verser de caution pour les locations du décodeur, les filtres étant très bon marché. Les opérateurs géreront leurs abonnés. La direction de Canal + Polska et la fédération n'ont pas décidé du partage des bénéfices.

Grâce à cet accord, environ 10 % des foyers pourraient s'abonner à Canal + Polska en un an.

Par ailleurs, la chaîne sportive de télévision Eurosport a lancé en mars 1996 des programmes en polonais, produits en coopération avec la Canal + Polska, branche polonaise de la chaîne cryptée.

Canal + Polska, qui dispose déjà d'une équipe de journalistes sportifs pour ses propres besoins, devra la renforcer pour fournir la version sonore en langue polonaise qui accompagnera le tronc commun paneuropéen d'images d'Eurosport. Eurosport, qui compte investir en Pologne entre 500 000 et 600 000 dollars par an (achat de droits de transmission non compris), voudrait toucher avant la fin de l'année 1 500 000 foyers.

Eurosport est présent dans 37 pays et diffuse ses programmes en huit langues.

Ce genre de coopération avec Canal + (dont la société mère est actionnaire à 33 % de la chaîne sportive) n'existe qu'en France.

450 000 foyers polonais reçoivent actuellement la version d'Eurosport en anglais. Mais la version en polonais sera moins chère pour les câblo-opérateurs. La bande sonore sera cryptée au départ (donc inaccessible aux propriétaires des antennes satellitaires) et décryptée en tête de réseau par les opérateurs.

Outre sa contribution à la production, Canal + aidera également Eurosport dans ses relations avec les câblo-opérateurs polonais.


La société NTP Plus a été autorisée à émettre dans les régions du Centre et du Nord. Quatre chaînes régionales vont être créées, la première commençant à émettre à Varsovie.

L'ancien dissident Miroslaw Chojecki et le journaliste français Gabriel Meretik (ancien correspondant de TF1 à Moscou) sont les animateurs de C e projet. La Sofirad et le groupe américain CEDC sont également entrés dans le capital.

Deux autres sociétés polonaises émettront dans les régions du Sud et de l'ouest.


• Le CNRT a délivré, le 29 avril 1994, des autorisations d'émettre à quatre sociétés de télévision à l'échelon régional. Deux licences régionales avaient en outre été accordées, respectivement à la chaîne cryptée française Canal + (dans 13 villes de Pologne) et à la société polonaise TV-Wisla (dans le sud du pays), ainsi que 11 licences locales. Enfin, la première télévision locale catholique, Telewizja Niepokalanow, présente depuis janvier 1996 un programme de trois heures d'émissions quotidiennes. Cette télévision, éditée par des pères franciscains, comprendra 30 % d'émissions à caractère religieux. Le rayonnement de la chaîne pourrait s'élargir, 19 fréquences ayant été demandées au Conseil national de radiodiffusion et de télévision.

L'implantation des chaînes régionales se heurte cependant à la concurrence de deux télévisions pirates qui diffusent sans licence du CNRT des programmes en polonais à partir de satellites : Polonia 1 du groupe multimédia STEI, qui est la propriété de M. Nicola GRAUSO, de nationalité italienne, et FILMNET.


Polonia 1 fournit des programmes d'une durée de six heures quotidiennes achetées en partie au réseau Reteitalia (Berlusconi) à destination d'une douzaine de stations locales dont une seule bénéficie d'une autorisation provisoire (TV Echo). Publitalia (Berlusconi) est l'agent exclusif de STEI pour la publicité.

Le sort du réseau Polonia pourrait subir des modifications importantes. En effet, dix des douze stations du réseau ont dû (en août et en septembre 1994) démonter leurs antennes, au motif principal qu'elles n'étaient pas autorisées à émettre et que la plupart d'entre elles occupaient des fréquences normalement utilisées par l'Armée. Cependant, Polonia1 a signé, en septembre 1994, un contrat lui permettant de monter sur le satellite Eutelsat à partir d'un signal émis depuis Rome, sur un répéteur appartenant à la Belgique.

De plus, le groupe commercial polonais PKH est opportunément entré dans le capital de Polonia 1, limitant ainsi les parts de Nicola Grauso à 33 % (afin de respecter le quota légal de participation étrangère pour les télévisions autorisées). Ce dernier a fini par céder la chaîne, pour 12 millions de dollars à FINMEDIA LUXEMBOURG, un groupe d'investisseurs européens.

Nonobstant ces conditions particulières d'émission, le Président Walesa a été interviewé en juillet 1994 sur ce réseau privé non autorisé


• La Pologne compte également une chaîne pirate, FILMNET, qui émettait à partir de la Suède jusqu'à l'entrée de ce pays dans l'Union européenne ; elle diffuse désormais à partir de la Norvège son signal qui est repris par certains câblo-opérateurs.

Bien que chaîne pirate (FILMNET profite d'un vide juridique, émet par satellite des films sous-titrés ou doublés en polonais, et pratique une politique commerciale agressive), ses programmes sont annoncés dans les pages « télévision » des quotidiens. Le Conseil de l'Europe, saisi par la Pologne de cette situation, s'est déclaré incompétent.

Cette diffusion pourrait nuire gravement à Canal + Polska, qui se trouve ainsi concurrencée de manière déloyale. Elle ne constitue malheureusement que le prototype du paysage audiovisuel européen de demain s'il reste fragmenté en espaces audiovisuels nationaux et si un espace audiovisuel européen n'est pas rapidement constitué.

Le Conseil national pour la radiodiffusion et la télévision pourrait prendre prochainement une décision interdisant la présence de FILMNET sur les réseaux câblés, faute d'obtenir une concession.


Vers de nouvelles télévisions privées ?

D'autres télévisions privées non autorisées se sont installées, telle Top Canal à Varsovie (avec le concours du groupe suédois Kennevik) qui a cependant cessé d'émettre en septembre 1993.

La fermeture des stations pirates semble marquer la volonté conjointe du CRNT et des autorités de l'État (notamment judiciaires) de lutter contre les illégalités dans le domaine de la télévision.

Une nouvelle course aux télévisions et radios privées est néanmoins ouverte, une seconde tranche de fréquences récemment cédée par l'armée devant être attribuée par le Conseil national de radiodiffusion et télévision CNRT).

Le principal enjeu concerne deux réseaux régionaux de télévision touchant un public potentiel de 7 à 10 millions de personnes, dans le centre et le nord du pays. Une trentaine de candidats sont en lice, dont le consortium suédois Kinnevik (TV3) et le groupe multinational CME. Ils doivent toutefois être associés à des partenaires polonais car la loi polonaise sur l'audiovisuel limite à 33 % la part du capital étranger. Une vingtaine de sociétés briguent en outre des fréquences locales. Aucun réseau national de télévision n'est plus disponible.

Une radio catholique. Radio Maryja, qui émet sur tout le territoire depuis Torun (nord), est candidate à l'un des deux grands réseaux régionaux de télévision. Des pères franciscains, candidats malheureux à la télévision nationale lors du précédent concours, seraient par ailleurs prêts à hypothéquer leur couvent pour réunir les fonds nécessaires. L'un des favoris du précédent concours, le groupe ITI (distributeur en Pologne de films de Paramount. Columbia et Universal), associé à l'époque à CLT et à Reuters souhaiterait, pour sa part, obtenir 22 émetteurs entre Varsovie et Gdansk (nord). Il est en concurrence avec Antena 1, une société animée par l'ancien DG de la télévision publique Marina Terlecki. Top Canal, une ancienne télévision pirate de Varsovie fermée en 1994, est aussi sur les rangs. En revanche, l'entrepreneur sarde

Nicola Grauso, qui édite le journal « L'unione Sarda », ancien propriétaire du réseau pirate Polonia 1 également fermé par le Parquet, a abandonné la course, mais ses anciens propriétaires polonais sont en lice. Polonia 1 continue à émettre sur la Pologne par satellite.

b) L'anarchie du câble

À l'origine, l'atomisation des micro-réseaux artisanaux et le recours systématique au piratage prédestinaient le câble polonais à une concurrence sauvage en même temps qu'à un désordre chronique.

Aujourd'hui, plus de 2,5 millions de prises raccordées, réparties sur l'ensemble du territoire, ont fait accéder la Pologne au rang de marché référentiel. Si l'on ajoute à ce chiffre, les deux millions d'antennes paraboliques, le marché est devenu, potentiellement, le plus fort de la région. Si les Américains sont d'ores et déjà parties prenantes de quelques uns des plus grands réseaux, comme PTK ou Aster City, la plupart leur échappe encore. L'association des câblo-opérateurs polonais demeure un puissant rempart contre les ambitions étrangères.

Le réseau câblé s'est développé à partir de 1991. Le taux de pénétration atteignait, en octobre 1994, 35 % des foyers à Varsovie, mais 5 % des foyers seulement paieraient un abonnement au plus important réseau câblé de Varsovie.

En Pologne, troisième marché européen du câble et de la réception satellitaire directe, aucun système juridique n'a encore pu être mis en place.

Diffusées au début sans autorisation, les chaînes câblées locales se sont développées dans toutes les villes de moyenne importance. Les programmes diffusés par satellite sont le plus souvent repris sans autorisation. Une loi sur les droits d'auteur devrait cependant normaliser cette situation.

Le marché du câble polonais intéresse fortement les câblo-opérateurs américains.

La plus importante télévision payante des États-Unis et du monde, Home Boxe Office (HBO), a l'intention de diffuser ses programmes sur les réseaux câblés polonais en 1996, selon son directeur commercial à Varsovie, Thomas Powers.

HBO Polska, qui cherche encore un partenaire polonais suffisamment solide (il doit apporter 66 % du capital), viendrait concurrencer ainsi Canal + Pologne, qui a investi plusieurs millions de dollars dans une structure locale qui emploie une centaine de Polonais et lancé d'ambitieux projets de coproduction.

La télévision américaine, déjà présente en Hongrie et en République Tchèque, compte offrir au public polonais des programmes d'une qualité comparable à celle de Canal +, mais pour un prix de 5 ou 6 dollars par mois, soit deux fois moins cher.

HB Polska compte, en effet, démarrer avec la technique de diffusion la moins coûteuse, en distribuant des cassettes préenregistrées aux opérateurs du câble. Si le marché répond bien, la chaîne américaine pourrait songer alors à la diffusion par satellite.

La société compte également lancer en 1996 sa première coproduction avec des partenaires polonais.

c) Le développement du satellite

Outre la chaîne publique TVP Polonia, Polsat diffuse ses programmes via les Pays-Bas sur Eutelsat depuis 1993, ainsi que - comme on l'a vu - Polonia 1, en vertu d'un contrat signé en septembre 1994.

En juillet 1994, la société distributrice FILMNET a annoncé son projet de diffusion à partir du satellite Astra de programmes propres et au moins 300 films par an. Le CNRT s'est cependant opposé, à la fin du mois d'octobre 1994, à la reprise de ses programmes sur le câble. Elle émet actuellement 12 heures par jour environ depuis le mois de novembre 1994, mais doit se contenter de la seule réception directe par satellite.

Le satellite suscite un réel engouement en Pologne avec un million d'antennes individuelles en 1993 et 4,5 millions en 1995, sur 19 millions de foyers polonais.

4. L'économie de l'audiovisuel

a) L'audience : une domination écrasante du secteur public

En 1995, la télévision publique totalisait 88 % de l'audience cumulée, contre 91 % en 1993.

Audience de 17 heures à 23 heures
Adultes (plus de 15 ans)

Source : GKF/OBOP/Janvier 1995

b) Une explosion de la publicité

En 1994, la progression des investissements publicitaires a été de 75 %. La presse a le plus profité de cette croissance en raison de la diversification de l'offre, notamment pour les magazines. Elle occupe cependant l'une des parts de marché les plus faibles des secteurs publicitaires européens, en progression constante toutefois.

Le taux de croissance pour 1995 ne sera que de 30 % environ, en raison du ralentissement des investissements publicitaires dans la télévision

Les deux chaînes publiques sont en effet très contingentées en publicité. Elles n'ont pas le droit d'interrompre leurs émissions par des écrans publicitaires.

Or, elles rassemblent une très forte audience. Par ailleurs, l'interdiction d'émission de Polonia 1 pèse beaucoup dans ce tassement des investissements publicitaires. En revanche, et grâce à l'obtention de licences par de nouveaux réseaux nationaux, les ressources publicitaires de la radio devraient connaître un fort taux de croissance.

c) Les programmes

La télévision publique diffuse 30 % de programmes d'information. Elle diffuse par ailleurs 70 % d'émissions polonaises, dont 14 % fournis par des producteurs indépendants. De nombreux programmes sont rediffusés. TVP 2 diffuse davantage de programmes culturels que TVP 1.

La loi fixe un quota d'émissions polonaises qui ne peut être inférieur à 30 % de la diffusion. Les informations, retransmissions sportives, publicité, jeux télévisés et télétexte n'entrent pas dans ce quota. Le CNRT peut définir par arrêté un pourcentage supérieur pour les diffuseurs autorisés.

La loi fixe à 10 % le quota des émissions produites par des producteurs indépendants. Cette part minimale peut être plus élevée dans le cahier des charges élaboré par le CNRT.

La loi prévoit que le CNRT peut imposer un quota minimal « d'émissions élaborées par des producteurs européens ».

De nombreuses émissions, tant sur la télévision publique que sur la télévision pirate Polonia 1 - mais de façon plus importante sur cette dernière -, sont doublées selon une technique encore appréciée en Europe centrale : la bande son originale subsiste, atténuée, tandis qu'une même personne lit les dialogues pour tous les acteurs.

B. LA RADIO EN POLOGNE

1. Un secteur public diversifié

La Radio publique polonaise comprend cinq programmes de radio :

- Programme I : diffusé en ondes longues, 24 heures sur 24, généraliste.

- Programme II : diffusé en FM stéréo, culturel et musical.

- Programme III : diffusé en FM (informations, débats et programmes destinés à un public jeune).

- Programme IV : diffusé en ondes moyennes, éducatif et familial.

- Programme V : service international en 11 langues.

La radio publique dispose de 17 stations régionales en FM.

2. Un secteur privé pluraliste

De nombreuses radios locales privées non autorisées diffusent des programmes sur le territoire polonais.

Parmi celles-ci, trois stations privées indépendantes ont reçu, dès 1990, une autorisation temporaire d'émettre, leur conférant, ainsi, un statut semi-légal.

Par ailleurs, une quarantaine de stations appartenant à l'Église ont pu émettre légalement, conformément à l'accord de 1989 sur les relations entre l'Église et l'État, habilitant la première à être diffuseur de programmes.

Dans le cadre de la loi de décembre 1992, et afin d'assainir une situation anarchique, tous les candidats (y compris l'Église) doivent cependant faire acte de candidature pour obtenir une autorisation d'émettre.

Le 17 février 1994, le CNRT a accordé des licences nationales à trois sociétés privées :


RMFFM (Radio Muzyka FakkuFM), anciennement Radio Malopolska Fun à Cracovie, fondée en 1990 par un ancien militant de Solidarité allié à Fun Radio. Il s'agit d'une société dont le capital est à 100 % polonais (une grande banque de Cracovie et une fondation de la Communication sociale). Elle est aussi la première radio satellitaire de Pologne.


ZetRadio : première radio privée FM à Varsovie, créée en 1991 par un correspondant du journal Libération. Elle émettait irrégulièrement à Poznan et Plock jusqu'à la fin 1992. Station « musique et infos », elle a reçu l'autorisation de s'associer à Europe 1. Sa ressemblance avec le format d'Europe 1 est d'ailleurs frappante. Elle est liée (12 % du capital) à « Gazeta Wyborca », premier quotidien polonais.


Radio Maryja est une radio privée catholique appartenant à l'épiscopat.

*

* *

Dynamique et attractif en raison de l'importance de la demande potentielle, le marché audiovisuel polonais demeure à la recherche de son équilibre.

Sur le plan politique, la victoire d'Alexandre Kwasniewski risque d'amener des changements à la tête des deux chaînes de télévision publiques. De surcroît, il n'est pas sûr que l'autorité de régulation profite de l'alternance pour renforcer son indépendance à l'égard du pouvoir.

Sur le plan économique, la Pologne apparaît comme l'un des marchés audiovisuels les plus prometteurs, ce qu'a su comprendre Canal +.

Il reste toutefois pas assez encadré, comme la diffusion des chaînes satellitaires pirates FILMNET et Polonia 1 le montre, ce qui porte préjudice aux chaînes régulièrement autorisées.

* 15 Pour un salaire moyen mensuel de 1400 francs.

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