III. DES MEDIA À CONSTRUIRE
A. L'AUDIOVISUEL DANS « L'EUROPE DE L'EST » AVANT 1989
1. Un instrument de propagande au service des partis communistes
En raison du contrôle qu'ils exerçaient sur l'ensemble du système, les services centraux des partis communistes définissaient ce qui devait être rendu public et ce qui ne le devait pas.
La presse et l'audiovisuel étaient au service du parti en étant conçus comme un outil de propagande de l'idéologie officielle du régime.
2. Des éléments sporadiques de liberté
Les courtes périodes de libéralisation politique, en 1956 à Budapest, en 1968 à Prague, notamment, furent caractérisées par un brusque, mais fragile renouveau de la liberté d'expression.
On se souvient, avec émotion, des appels lancés à la radio hongroise par le cardinal Mindszenty, le 3 novembre 1956, et par Imre Nagy, dans la nuit du 4 au 5 novembre, avant l'entrée des troupes soviétiques.
Jusqu'en 1989, les tentatives d'émancipation des pays d'Europe de l'Est se sont manifestées par une brusque libéralisation de la liberté d'expression, aussitôt brutalement réprimée.
La liberté de communication et la liberté d'expression étaient plus formelles que réelles. Dans les faits, elles n'existaient pas, même si la presse clandestine pouvait fleurir, à l'occasion de mouvements sociaux, comme en Pologne, dans les années soixante-dix.
B. L'ÉCLOSION DE LA LIBERTÉ D'EXPRESSION (1989-1994)
1. La liberté de communication dans les constitutions des pays d'Europe centrale et orientale
La fin des régimes communistes s'est traduite par la co nstitutionnalisation de la liberté d'expression.
? En Bulgarie, l'article 39 de la Constitution du 12 juillet 1991, l'un des trente-six articles du chapitre II relatif aux Droits et obligations fondamentaux des citoyens, proclame la liberté de communication en ces termes :
« 1. Chacun a le droit d'exprimer librement ses opinions et de les diffuser par le langage - parlé ou écrit -, par le son, par l'image ou par d'autres moyens.
« 2. Ce droit ne peut être invoqué pour porter atteinte aux droits et à la réputation d'autrui, pour exhorter à modifier de force l'ordre constitutionnel établi, pour commettre des crimes, pour inciter à la haine ou à la violence contre la personne humaine ».
L'article 18 affirme que l'État bulgare :
« exerce des droits souverains sur le spectre des radio-fréquences et les positions sur l'orbite géostationnaire, fixés pour la République de Bulgarie en vertu d'accords internationaux »,
En même temps, ce texte proclame le monopole de l'État sur les réseaux nationaux des télécommunications.
? En Hongrie, la Constitution du 20 août 1949, révisée à plusieurs reprises, notamment entre 1989 et 1994, consacre, dans un chapitre XII intitulé Les droits et obligations fondamentaux, un article 61 à la liberté d'expression.
Celui-ci prévoit une règle de procédure pour l'adoption, au Parlement, des textes relatifs à l'audiovisuel et à la presse sous forme d'une majorité qualifiée.
« I. Dans la République de Hongrie, toute personne a droit à la liberté d'expression et à recevoir et à diffuser les informations d'intérêt public.
« 2. La République de Hongrie reconnaît et protège la liberté de la presse.
« 3. L'adoption de la loi sur la publicité des informations d'intérêt public et de celle sur la liberté de la presse requiert la majorité des deux tiers des voix des députés présents.
« 4. L'adoption de la loi sur la surveillance de la radio, de la télévision et de l'agence de presse ayant un statut de service public, sur la nomination de leur dirigeants, de celle sur l'octroi de licences pour la radio et la télévision commerciales, et sur la suppression des monopoles d'information requiert la majorité des deux tiers des voix des députés présents ».
La révision de la constitution hongroise du 23 octobre 1989 est le premier texte d'un État de l'ancienne Europe communiste à avoir proclamé 1a liberté d'expression, au sens où l'entend l'Europe de l'ouest.
? Parmi les dispositions de la Constitution de la République de Pologne du 22 juillet 1952 maintenues en vigueur en vertu de la loi constitutionnelle du 17 octobre 1992, l'article 83, du chapitre VIII intitulé Les droits et obligations fondamentaux des citoyens, proclame que :
« La République de Pologne garantit aux citoyens la liberté d'expression, de publication, de réunion et de meeting, des défilés et des manifestations ».
De même, un Conseil national de la radiodiffusion et de la télévision est consacré par l'article 36b de la Constitution du 22 juillet 1952 :
« 1. Le Conseil national de la radiodiffusion et de la télévision est le garant de la liberté d'expression, de la réalisation du droit des citoyens à l'information ainsi que de l'intérêt public dans le domaine de la radiodiffusion et de la télévision.
« 2. Les membres du Conseil national de la radiodiffusion et de la télévision sont nommés par la Diète, le Sénat et le Président de la République.
« 3. Sur la base de la loi et en vertu de son exécution, le Conseil national de la radiodiffusion et de la télévision adopte des règlements et des résolutions.
« 4. Les règles de nomination des membres du Conseil national de la radiodiffusion et de la télévision ainsi que l'organisation et le mode de fonctionnement de ce Conseil sont fixés par la loi »
? En Roumanie, l'article 31 du chapitre II, intitulé Les droits fondamentaux et libertés fondamentales, de la Constitution du 8 décembre 1991 dispose que :
« 1. Le droit de la personne d'avoir accès à toute information d'intérêt public ne peut être limité.
« 2. Les autorités publiques, conformément aux compétences qui leur incombent, sont tenues d'assurer l'information correcte des citoyens au sujet des affaires publiques et des affaires d'intérêt personnel.
« 3. Le droit à l'information ne doit pas porter préjudice aux mesures de protection des jeunes gens ou à la sécurité nationale.
« 4. Les mass média, publics et privés, sont tenus d'assurer l'information correcte de l'opinion publique.
« 5. Les services publics de la radio ou de la télévision sont autonomes. Ils doivent garantir aux groupes sociaux et politiques importants l'exercice du droit à l'antenne. L'organisation desdits services et le contrôle parlementaire de leur activité sont réglementés par une loi organique » .
? Si la Constitution de la République Tchèque du 16 décembre 1992 ne contient pas de dispositions spécifiques à la liberté de communication, en revanche, la Charte des droits fondamentaux et libertés fondamentales du même jour lui consacre un article 17 ainsi rédigé :
« 1. La liberté d'expression et le droit d'être informé sont garantis.
« 2. Toute personne a le droit d'exprimer ses opinions sous une forme orale, écrite, imprimée, par image ou par tout autre moyen de son choix et de rechercher et de diffuser librement des idées et des informations de toute espèce, sans considération des frontières.
« 3. La censure est prohibée.
« 4. La liberté d'expression et le droit à rechercher et à diffuser l'information ne peuvent faire l'objet que des seules restrictions imposées par la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique pour protéger les droits et les libertés d'autrui, la sécurité nationale, la sûreté publique ou la santé et la moralité publiques ».
2. La fin des monopoles d'État de radiodiffusion
L'avènement de régimes démocratiques et la proclamation, constitutionnelle, de la liberté d'expression ont été rapidement suivis du démantèlement, de jure ou de facto, des monopoles publics.
La période transitoire, pendant laquelle le maintien de lois établissant le monopole de radiodiffusion a coexisté avec un développement plus ou moins anarchique d'opérateurs audiovisuels privés, a duré plus ou moins longtemps. La Hongrie se distingue par un débat long d'environ six ans (automne 1989 - décembre 1995), tandis que la Bulgarie se singularise par le maintien de dispositions transitoires qui n'ont pas empêché l'autorité de régulation provisoire d'octroyer des autorisations à des radiodiffuseurs privés.
Chaque État s'est doté d'un système de régulation de la communication audiovisuelle, alors que des opérateurs nationaux ou internationaux privés apparaissaient sur leurs marchés. Les paysages audiovisuels d'Europe centrale et orientale sont très divers. Chaque pays a suivi une voie propre, compte tenu de ses spécificités économique, politiques, culturelles et sociales. Cette diversité, ce pluralisme, tranchent singulièrement avec le monolithisme et l'uniformité de l'audiovisuel dans la défunte Europe de l'Est.