II. L'ACTION DES OPÉRATEURS PRIVÉS

Pour les opérateurs privés, les pays d'Europe centrale et orientale représentent des marchés potentiels inégaux.

L'objectif des télévisions privées françaises est en effet d'investir, et non de défendre une certaine conception du service public ou la francophonie. Elles souhaitent donc participer au capital d'opérateurs nationaux, éventuellement de concert avec d'autres groupes de communication européens, qui distribueront un programme en langue nationale. Cette participation à la création de chaînes commerciales privées, auxquelles les chaînes commerciales françaises pourront apporter leur savoir-faire, n'exclut cependant pas la diffusion de programmes français doublés en anglais.

Il s'agit cependant de marchés potentiels. Compte tenu de l'ampleur des investissements nécessaires et des impératifs de rentabilité économique qui s'imposent aux opérateurs privés, ces derniers sont très prudents. Le cadre législatif n'est pas encore définitivement fixé, et les règles du jeu sont susceptibles d'évoluer encore profondément. Les économies nationales sont encore relativement faibles, et les marchés publicitaires, étroits.

Ces considérations expliquent la relative discrétion des chaînes privées françaises en Europe centrale et orientale.

A. LA PRUDENCE DE TF1

Pour le moment, TF1 s'intéresse seulement à la Hongrie où elle envisage de créer une filiale. TF1-Hongrie. Elle serait investisseur et non l'opérateur principal d'une chaîne de télévision généraliste et hertzienne, ce qui correspond au « métier » de TF1. Elle estime en effet qu'un opérateur de télévision commerciale doit se consacrer en priorité à son marché national.

Pour TF1, une télévision commerciale est nécessaire dans ces pays afin de soutenir le processus de transition économique et l'instauration d'une économie de marché. Une chaîne commerciale financée par des écrans publicitaires permet en effet de montrer les produits au consommateur ; elle constitue un soutien direct et indirect à la consommation. Par ailleurs, l'espace publicitaire proposé par les autres média (presse, radio, affichage...) est aujourd'hui insuffisant pour absorber une demande en forte progression.

TF1 estime cependant que l'arrivée des chaînes privées en Europe centrale et orientale ne doit pas s'effectuer de manière trop brutale, afin de préserver le secteur public. La compétition doit être saine et non mortelle entre le secteur privé et le secteur public.


• En Pologne. TF1 s'intéresse à TV Visla, chaîne régionale qui émet à partir de Katowice, laquelle pourrait constituer l'embryon d'une fédération de chaînes régionales concurrentes de Polsat.


• La chaîne française est également attentive à l'évolution de l'audiovisuel en République Tchèque. Pour le moment cependant, le succès de Nova TV et la déstabilisation du secteur public et, partant, du paysage audiovisuel tout entier, l'empêchent d'aller plus avant.


• Enfin, TF1 considère les marchés de la Bulgarie et de la Roumanie trop étroits pour investir.

Au total, TF1 préfère se consacrer en priorité à son marché national, au sein duquel elle a pour objectif de conserver sa place de chaîne leader. En matière de développement extérieur, ses préoccupations vont davantage au marché de l'Europe communautaire et à son positionnement dans le futur marché de la télévision numérique.

B. M6 : DES REPRISES PONCTUELLES SUR LES RÉSEAUX CÂBLES

Du fait de l'extension des réseaux de câblodistribution dans les pays d'Europe de l'Est ou d'Europe centrale, M6 est régulièrement sollicitée pour la reprise de son programme par câble dans certains de ces États. Cela concerne notamment la Pologne, la Bulgarie, la Lettonie, la Lituanie et la Roumanie.

Ces autorisations sont délivrées à titre gratuit, et sous réserve de l'obtention par les réseaux de distribution par câble de l'ensemble des autres autorisations de droit public et de droit privé. Cependant, des négociations ont lieu dans certains pays, comme en Pologne, en vue d'établir, à l'instar du système existant en Belgique, des contrats collectifs réunissant l'ensemble des câblodistributeurs et l'ensemble des titulaires de droits, et fixant une rémunération pour cette retransmission.

Hormis ces échanges, auxquels M6 n'est qu'indirectement associée, la chaîne commercialise également certains de ses programmes auprès des télédiffuseurs tchèques, roumains, polonais, bulgares, russes...

M6 ne projette cependant pas d'investissements directs dans un ou plusieurs de ces pays.

C. CANAL + : DES INVESTISSEMENTS MESURÉS

I. Un intérêt relatif

D'une manière générale, Canal + considère que le modèle de chaîne cryptée est « exportable et facilement adaptable aux réalités, sensibilités et cultures nationales ».

Depuis 1990, Canal + suit avec une attention particulière l'évolution des média en Europe centrale et orientale. La chaîne a fait réaliser deux études sur l'évolution du cadre législatif (des lois sur la démonopolisation aux lois sur les média), l'évolution du cadre économique.

La première a permis de vérifier le contexte dans lequel une télévision à péage, s'inspirant du modèle Canal +, peut développer une stratégie nationale :

- conditions générales d'obtention des licences,

- pourcentage de participation étrangère,

- définition des règles spécifiques.

La seconde doit permettre de vérifier si un projet de télévision à péage est économiquement viable. Au-delà des études approfondies de la macro-économie du pays, il s'agit de vérifier le comportement et la disponibilité du public, au travers d'une étude de marché, face au développement d'une télévision à péage.

En effet et compte tenu de l'importance des investissements à réaliser, le groupe Canal + estime vital d'évaluer au mieux les conditions de son développement. C'est la raison pour laquelle chaque pays est étudié de manière approfondie, ce qui permet d'identifier les pays dans lesquels les conditions seraient réunies pour une implantation de la chaîne. Les principaux paramètres intervenant sont le bassin potentiel d'abonnés et la capacité de ceux-ci à payer pour la réception d'une nouvelle chaîne, dont l'avenir est directement placé sous l'influence de l'évolution du pouvoir d'achat, mais aussi de l'offre en matière de loisirs : cinéma, voyages, théâtre...

La disponibilité et/ou l'intérêt est par conséquent fonction de l'ensemble de ces variables.

La plupart des pays cités, à l'exception de la Roumanie, disposent d'un bassin potentiel d'abonnés limité, ce qui rend tout projet de télévision à péage plus difficilement viable. Cependant, si des conditions générales se révélaient plus favorables. Canal + pourrait être en mesure d'appliquer son modèle, conscient de la nécessité d'accroître l'offre télévisuelle aussi dans ces pays.

Pour son développement international, la chaîne cryptée dispose d'un atout considérable car elle peut se permettre de ne pas prendre en compte l'évolution des marchés publicitaires, puisque ceux-ci n'ont qu'une importance marginale pour elle. C'est l'une des raisons pour laquelle la chaîne est souvent amenée à préciser dans ces pays, où le marché publicitaire est encore en pleine effervescence, qu'elle n'intervient pas en concurrente des télévisions publiques ou commerciales existantes, mais bien plus en complément de l'offre pour le public.

Si le cadre législatif peut imposer certaines contraintes ou difficultés indirectes, il n'a jusqu'à présent jamais représenté un obstacle majeur. Cependant, il peut se révéler nécessaire à Canal + de rappeler les conditions de vie d'une télévision à péage aux législateurs, cette forme de télévision et son mode de fonctionnement étant souvent mal connus.

D'autre part, la philosophie du développement de Canal + fait que la chaîne s'oblige à ne pas prendre part aux débats politiques nationaux locaux, souvent animés en matière de média. Il s'agit pour un opérateur étranger, d'une base essentielle de sa stratégie, même si, comme tout autre initiative audiovisuelle, elle fait l'objet « d'enjeux qui peuvent parfois accélérer ou freiner son développement ».

2. Un développement limité à la Pologne

En dépit de cette approche prudente. Canal + a créé une chaîne à péage en Pologne, elle est présente en Autriche par le biais de la rediffusion de la chaîne allemande à péage Première, dont Canal + détient 37,5 % du capital et, enfin, elle étudie les possibilités de développement en Hongrie, République Tchèque, Roumanie et Bulgarie.


• En Pologne.
Canal + Polska a obtenu une promesse de licence en janvier 1994, et la licence définitive en novembre 1994. Les premiers tests ont eu lieu le 1 er décembre 1994 et l'inauguration de la programmation complète, le 1 er avril 1995.

L'autorisation de diffusion est une licence multivilles (14) laquelle, suite à un nouvel appel d'offres lancé au printemps 1994, pourrait être complétée par d'autres villes.

Canal + Polska, tout en s'inspirant de la philosophie de Canal + (exclusivité sport et cinéma), a su développer sa propre identité dans un paysage audiovisuel encore en pleine effervescence, en s'imposant comme une « Télévision Polonaise » :

- par la langue de diffusion, le polonais (le détail n'est pas superflu dans un pays où la forte pénétration du satellite et du câble offre de nombreux programmes en langues étrangères).

- par le style de la programmation : choix des films, spécificités des sports retransmis, productions.

Conformément à la loi, Canal + Polska est détenu à 33 % par Canal + France et à 67 % par des investisseurs japonais. Il faut à ce propos être conscient que si une telle limite à la participation étrangère se justifie pleinement en principe, dans les faits elle peut se révéler fort contraignante en tenant compte de l'importance des investissements à réaliser et de la difficulté à repérer dans ces pays des partenaires à même de débloquer des capitaux sur un investissement dont la perspective est à moyen terme (4 ans).

Enfin, Canal + Polska a pris unilatéralement de sérieux engagements pour soutenir la production cinématographique polonaise.

Dès juin 1995, la chaîne comptait 18 000 abonnés. Compte tenu de la couverture progressive des villes « licenciées », réalisée par une société polonaise directement liée à TDF, la chaîne disposait, début 1996, de 60 000 abonnés.


• En Hongrie
, Canal + s'attend à ce que la loi sur l'audiovisuel « donne lieu à un appel d'offres visant à la privatisation de la seconde chaîne et à la création d'un troisième réseau (pour ce dernier, de lourds investissements sont requis pour la réalisation de la couverture technique du territoire) ». La société accorde donc une attention particulière à ce pays.


• En revanche, la République tchèque, estime Canal +, bien que pionnier en matière d'audiovisuel, comme dans de nombreux autres domaines « semble devoir laisser peu de place à la création d'une télévision à péage style Canal +. En effet, la naissance d'une première chaîne commerciale forte : Nova, bénéficiant du «syndrome TF1» (privatisation de la première chaîne publique) et l'existence de deux chaînes publiques un peu écrasées par la première, ne semblent pas devoir pousser la quatrième chaîne Premiera (régionale devenue nationale) à opter pour la voie «Pay TV» ».

Cette dernière, détenue par une banque tchèque, semble devoir opter pour une concurrence frontale avec Nova, en ouvrant son capital à un partenaire étranger en mesure de la renforcer pour sa programmation et sa politique commerciale. Tout ceci en dépit des efforts déployés pour démontrer l'opportunité d'une télévision payante en collaboration avec Canal + dans un pays où toutes les conditions semblent être réunies.


En Roumanie, malgré une législation moderne et un important bassin potentiel, ce pays ne semble pas, à Canal +, réunir à ce jour toutes les conditions pour la création d'une chaîne à péage. Cependant des études approfondies sont menées afin d'envisager une candidature une fois l'appel d'offres officialisé par le Conseil de l'Audiovisuel.


• En revanche, le bassin potentiel de la Bulgarie semble trop faible pour pouvoir dans les conditions actuelles envisager le développement d'une chaîne cryptée.

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