CONCLUSION
Le contexte politique, juridique et économique dans lequel s'inscrivent les paysages audiovisuels nationaux en Europe centrale et orientale a profondément évolué.
Le pluralisme est globalement assuré.
Depuis 1989, le système de régulation de l'audiovisuel s'est, dans les pays d'Europe centrale et orientale, progressivement aligné sur celui des pays de l'Union européenne, en privilégiant le modèle français.
Les lois qui ont été votées, plus ou moins rapidement, ont eu un triple objet :
- affirmer le principe de la liberté d'expression et de l'indépendance de la télévision publique par rapport à l'État ;
- instituer une autorité régulatrice indépendante,
- procéder éventuellement à la privatisation d'au moins une chaîne publique.
Les autorités de régulation, nommées par le Parlement en tout ou partie, ont, par rapport à la France, des rapports en général plus étroit avec le pouvoir législatif. Elles disposent, comme en France, de pouvoirs de sanctions étendus ; elles accordent des licences ou autorisations d'émission. On peut donc affirmer qu'il se constitue peu à peu un modèle européen de régulation de l'audiovisuel qui se distingue du modèle américain en ce qu'il exclut les télécommunications de son champ de compétence.
Même s'il paraît prématuré de porter un jugement définitif sur le mode d'exercice de ce pouvoir de régulation, il semble que les systèmes juridiques d'Europe centrale et orientale privilégient, comme la France, un mode d'intervention réglementaire étatique, et non, comme les pays d'Europe anglo-saxons, l'autorégulation des professionnels, il est vrai, encore faibles du point de vue financier.
Le secteur audiovisuel en Europe centrale et orientale est encore constitué d'opérateurs publics puissants, mais en perte de vitesse. La privatisation d'une ou plusieurs chaînes de télévision publique a en effet été réalisée par tous les pays, ou elle est en voie de l'être. Les nouvelles télévisions privées ont parfois réalisé une percée étonnante, comme en République Tchèque. Les marchés audiovisuels sont toutefois étroits. La faiblesse du pouvoir d'achat n'encourage pas les investisseurs privés : seule la Pologne dispose d'une chaîne cryptée payante ; l'étroitesse du marché publicitaire, malgré son dynamisme, ne permet qu'à une seule chaîne privée, au mieux, de subsister.
En outre, les télévisions hertziennes sont fortement concurrencées par le câble et le satellite.
Les risques d'investissement demeurent donc importants. Ceci explique sans doute pourquoi les investisseurs étrangers dans les média d'Europe centrale ou orientale sont soit des groupes de communication de dimension internationale, notamment américains, qui peuvent supporter des pertes parfois importantes les premières années de diffusion de chaînes privées, soit des « aventuriers », dont l'origine des capitaux est peu transparente.
Les paysages audiovisuels nationaux sont en effet loin d'être stabilisés ; de plus, le cadre juridique est inachevé, notamment en ce qui concerne la protection des droits d'auteur ou de la propriété des réseaux câblés. Le câble semble néanmoins constituer le secteur d'investissement privilégié des groupes de communication, notamment américains. Ce mode de diffusion semble plus rémunérateur à court terme, requiert moins d'investissement. De plus, il a une plus grande souplesse de gestion qu'une chaîne hertzienne. Il est souvent le support de télévisions locales, ou de programmes américains.
La réception par satellite, qui privilégie ASTRA, se développe rapidement. Les chaînes publiques nationales sont toutes présentes sur les satellites EUTELSAT. Mais les foyers télévisés en Europe centrale et orientale sont avant tout de forts consommateurs d'images anglo-saxonnes et allemandes.
Encore puissantes il y a peu, les télévisions publiques hertziennes des pays d'Europe centrale et orientale sont en perte de vitesse.
L'Autriche fait cependant figure de pôle de stabilité, avec un paysage audiovisuel encore monopolistique en droit mais pluraliste en fait.
Dans ce contexte, quelle doit et quelle peut être la stratégie de la France ?
Faut-il soutenir ces chaînes publiques, avec lesquelles les opérateurs publics français ont pris l'habitude de travailler et partagent les mêmes conceptions ? Faut-il au contraire soutenir des projets concurrents d'opérateurs privés ?
Il apparaît en fait que les chaînes publiques, du fait de leur manque de fonds propres, ne disposent pas des moyens de participer durablement et efficacement au soutien du développement des chaînes publiques des pays d'Europe centrale et orientale.
Les opérateurs privés, TF1 et M6, se montrent d'une prudence extrême. Le développement de Canal + se limite à la Pologne.
Tout au plus les chaînes publiques peuvent-elles espérer développer les partenariats avec les chaînes publiques ou privées de ces pays. Elles pourraient surtout trouver de nouveaux marchés et vendre leurs programmes.
Or, cette politique se heurte à la mise à disposition gratuite d'images et elle est limitée par la diffusion de programmes par satellite. Il est vrai, sur ce point, que le support choisi, EUTELSAT, est moins bien reçu dans cette région que les chaînes diffusant à partir d'ASTRA.
Ce préalable levé, nos exportations de programmes audiovisuels sont handicapées par leur prix élevé et surtout par une inadéquation à la demande locale. Ces pays, qui traversent de très profonds bouleversements économiques et sociaux, trouvent dans le mythe américain le support de leur dynamisme et la frontière de leur espoir. Il n'est donc pas étonnant de constater que la demande de programmes audiovisuels américains soit forte.
Néanmoins, la francophilie avérée de ces pays ne doit pas être déçue. Il existe une véritable attente, une profonde attente de la France.
Il appartient aux pouvoirs publics français de ne pas la décevoir une fois de plus.
Une analyse du rapport du Conseil économique et social consacré aux « relations culturelles entre la France et l'Europe centrale et orientale » datant du 9 décembre 1992 devrait être, à cet égard, méditée.
« Malgré les efforts des ministères concernés et des diplomates l'image de la France, généralement positive, continue d'être assombrie par les logiques médiatiques et par 1'attitude d'une certaine intelligentsia. Parce que les logiques médiatiques privilégient le spectaculaire, parce que quelques intellectuels aiment se donner en spectacle, la France a souvent la réputation d'être un pays léger, charmeur, mais inconstant. On redoute, par conséquent une politique de coups de coeur, suivie d'abandons. On regrette la superficialité médiatique, les longues périodes d'oubli qui succèdent à la surexcitation de quelques journées. Plus grave encore : on risque d'être agacé, à la longue, par l'arrogance de quelques commentaires, voire par leurs impolitesses. L'Europe centrale et orientale n'a pas besoin de donneurs de leçons politiques ou industrielles : elle a trop de tragédies en elle pour servir d'exutoire au parisianisme « engagé », et connaît trop de misères pour supporter, en outre, d'être considérée comme une zone intellectuellement sous-développée.
« Ce sentiment d'humiliation est aggravé par l'utilisation répétée de slogans grossiers et par le recours à des analyses à l'emporte-pièce. Ces slogans (fabriqués par des sociétés de communication ?), et ces prétendues analyses qui font la gloire de quelques vedettes des colloques parisiens, sont reçus comme autant d'insultes en Europe centrale et orientale. Comme souvent, on oublie celles et ceux qui, à l'étranger, lisent les journaux français, écoutent nos radios, regardent nos émissions - et les jugent ».
Il serait souhaitable que cette vue lucide d'une attitude trop souvent répandue ne soit plus qu'un mauvais souvenir de l'attitude parfois légère de ceux qui prétendent s'intéresser à ces pays mais qui en réalité ne semblent que s'adonner à une foucade passagère, ou, au mieux, à une mode.
L'audiovisuel dans les pays d'Europe centrale et orientale mérite davantage.