4. Le Council for Nuclear Safety, autorité de sûreté nucléaire
4.1 Le CNS, une institution qui doit encore affirmer son autorité
Formellement créé en 1982, lors d'une modification du Nuclear Installations Licensing and Security Act (1963), le Council for Nuclear Safety fut d'abord un comité réduit de 14 personnes, chargé de donner des avis et des « impulsions » à l'AEC. Cette dernière organisation disposait à l'origine du pouvoir d'instruire les demandes d'autorisation d'installations nucléaires. Au cas où l'AEC n'aurait pas souhaité suivre les recommandations du Conseil, le sujet pouvait être déféré au Ministre des Affaires économiques qui disposait du pouvoir de trancher définitivement.
En juin 1988, la promulgation d'une nouvelle modification du Nuclear Energy act donne au CNS la personnalité juridique. Il assume désormais les pouvoirs réglementaires sur les installations nucléaires et les activités impliquant des risques radiologiques. Il prend sous son autorité les services techniques compétents de l'AEC (division de la sûreté nucléaire).
Le Conseil et le directeur exécutif sont nommés par le Ministre des Affaires énergétiques et minières. Le directeur exécutif est membre de droit du Conseil. Les services comptent actuellement 75 personnes environ, mais l'extension du champ d'intervention du CNS vers le secteur minier va conduire bientôt ce nombre à 85 (10 ( * )) .
Les services administratifs instruisent les procédures d'autorisation, avec le soutien de deux services techniques et d'ingénierie. Le financement du CNS est assuré à 70 % par les redevances des exploitants et à 30 % par une contribution budgétaire. Cette répartition est jugée équilibrée par B. WINKLER, directeur exécutif.
Les compétences du CNS se sont accrues au fil du temps, mais une certaine ambiguïté demeure vis-à-vis des relations avec l'AEC :
- la responsabilité première du CNS est l'autorisation des installations nucléaires sur tout le cycle du combustible ; en revanche l'AEC conserve son statut d'autorité réglementaire pour tout ce qui concerne les radioisotopes, à l'exception de ceux qui sont utilisés dans les installations dépendant du CNS !
- la « tutelle » sur les déchets nucléaires a suscité quelques difficultés : en utilisant le terme de "contrôlé", la loi semble suggérer que l'AEC a la responsabilité des déchets et du combustible irradié ; à cette fin, l'AEC a fondé et exploite le centre de Vaalputs, après une autorisation délivrée par le CNS ; le CNS et l'AEC ont longtemps discuté sur la possibilité légale qu'aurait l'AEC d'être l'autorité réglementaire en matière de déchets et l'opérateur du centre de stockage ; une solution consensuelle semble avoir vu le jour : le CNS est bien l'« autorité » mais l'AEC a des responsabilités opérationnelles, qui justifient le terme de "contrôle" employé par la loi.
D'après les propos tenus par B. WINKLER, directeur exécutif, et J. LEAVER, directeur général du CNS, il semble que l'AEC ait parfois la nostalgie de ses compétences abandonnées.
Dans cette marche difficile vers l'affirmation de soi, l'acquisition et le maintien d'une expertise technique au service de l'autorité sont des pièces essentielles. Les services propres du CNS sont assez restreints et les contrats avec les partenaires extérieurs sont développés. La politique de recrutement se heurte au fait qu'une autorité de sûreté a besoin de compétences plus larges que celles procurées par l'université : B. WINKLER et J. LEAVER estiment qu'il faut au moins 2 à 3 ans pour commencer à devenir réellement opérationnel. Un certain nombre de personnes quittent le CNS après quelques années. Certes l'expertise n'est pas perdue pour la nation puisque ces personnes se dirigent surtout vers ESKOM ou l'AEC, mais ces mouvements représentent une « perte sèche » pour l'autorité de sûreté. Il lui est difficile de garder les gens les plus brillants.
Dans ces conditions le renforcement de la coopération internationale doit être une priorité. Un accord de coopération pour l'échange d'informations techniques et le développement des relations en matière réglementaire a été signé entre le CNS et la DSIN en septembre 1995. Dans un cadre encore informel, deux délégations sud-africaines avaient effectué une visite en France (février et octobre 1995) à l'occasion du processus de réévaluation de sûreté de Koeberg. Deux délégations de la DSIN se sont rendues en République sud-africaine aux mois de février 1995 et 1996.
Peu de besoins sont ressentis en matière de R&D. La centrale de Koeberg est d'un modèle bien connu et éprouvé et l'exploitant a l'obligation de se tenir informé des évolutions techniques. Le CNS estime pouvoir couvrir tout ce qui lui est nécessaires les discussions techniques avec ESKOM. En cas de besoin, l'expérience étrangère apporte l'expertise manquante, car il est fréquent que les problèmes rencontrés sur Koeberg aient déjà été rencontrés ailleurs, en particulier sur les réacteurs d'EDF.
4.2 Les grands dossiers techniques
Le contrôle exercé sur la centrale de Koeberg vise essentiellement à déterminer à celle-ci est dans de bonnes conditions d'exploitation. Un chef de projet est présent (semble-t-il en permanence) à Koeberg et 7 personnes travaillent pour lui, dont 4 sont disponibles pour des visites et des inspections. Ce chef de projet a la possibilité de demander des audits approfondis sur un point particulier du fonctionnement de la centrale ou sur un événement significatif au regard de la sûreté. Une fois par an, les équipes affectées à Koeberg effectuent une revue détaillée sur un sujet technique spécial. Récemment une réévaluation générale de sûreté a été lancée à l'occasion du dixième anniversaire de la centrale (en liaison avec le projet « durée de vie » engagé par ESKOM).
Le CNS a la responsabilité directe du suivi dosimétrique de tous les travailleurs exposés aux rayonnements. La centrale de Koeberg a, comme c'est le cas également en France, été autorisée à réaliser elle-même cette dosimétrie légale, sous le contrôle du CNS (exactitude, efficacité, qualité). Comme me l'ont dit MM. WINKLER et LEAVER "la surveillance des rejets doit être effectuée par l'exploitant. Pourquoi pas celle des doses reçues ?" Le moyen physique de dosimétrie est le dosimètre thermo-luminescent (TLD) mais le film reste utilisé dans certains cas.
L'exposition professionnelle dans les mines attire de plus en plus l'attention du CNS. Il n'existe pas encore de réel suivi dosimétrique dans les mines (à l'exception d'une dosimétrie d'ambiance, dont j'ai évoqué plus haut les difficultés). Or les meilleures informations disponibles tendent à montrer qu'un nombre non négligeable de personnes dépassent le niveau de 20 mSv par an : "ce sera un problème massif. Dans un premier temps, le CNS est en train de mettre au point et de développer un processus d'autorisation visant entre autres à améliorer les conditions du suivi dosimétrique dans toutes les mines. Facteur défavorable : les mineurs ne connaissent rien aux risques des rayonnements, pas plus que leurs syndicats d'ailleurs. Les inspections dans les mines sont encore très limitées, mais il faudra bien s'assurer que les exploitants respectent la réglementation. Il faudra à cet effet que le CNS articule ses actions avec celles des inspecteurs miniers « classiques » (sécurité minière, eaux, poussières...). Pour la dosimétrie individuelle, MM. WINKLER et LEAVER m'ont indiqué que le dosimètre conçu par ALGADE est à leurs yeux le meilleur, mais qu'il est trop cher pour les mines sud-africaines. De toute façon, le CNS n'exigera vraisemblablement de dosimètre individuel que pour des postes et des personnes « clefs ».
La surveillance de l'environnement et l'établissement de son programme technique sont de la responsabilité de l'exploitant. Le programme doit être approuvé par le CNS ; si celui-ci l'estime insuffisant, il peut le compléter par les prescriptions de son choix. Le CNS dispose d'un petit laboratoire et effectue essentiellement un contrôle de qualité sur les mesures effectuées par l'exploitant. L'autorité de sûreté est ouverte à une certaine souplesse dans la gestion des autorisations de rejet : 1/ l'exploitant peut déposer un dossier pour augmenter ses rejets au delà des limites normales, dans des conditions particulières ; 2/ l'autorité a accepté de rediscuter avec ESKOM des limites appliquées à Koeberg, sur la base de 1'expérience d'exploitation. En définitive, le système d'autorisation de rejet est fondé sur des limites ajustables.
La gestion des déchets TFA pose les mêmes problèmes de part et d'autre de L'Équateur. Il semble que la remise de ferrailles contaminées dans le domaine public ait été une pratique assez courante : MM. WINKLER et LEAVER m'ont cité le chiffre de 10 000 tonnes vendues chaque mois aux fondeurs sans contrôle radiologique, mais je n'ai pas d'idée sur l'origine et la provenance de ces tonnages tout à fait significatifs. L'arrêt des ventes a été demandé par le CNS mais l'évaluation des conséquences de ces pratiques est encore difficile. Il est avéré que certaines pièces métalliques sorties de fonderies ont une radioactivité non négligeable.
La prise de conscience résulte du refus par les autorités britanniques, en 1994, d'une cargaison de ferrailles contaminées en provenance d'Afrique du Sud. Le CNS aurait alors lancé une enquête générale, qui aurait débouché sur la mise en évidence de ces modalités de gestion. Le CNS souhaite d'abord définir une police claire et se donner quelque temps avant d'adopter des dispositions « lourdes ». Cependant la pression sociale est forte et le public ne se préoccupe pas des "concepts abstraits comme le principe ALARA" : il veut une décontamination totale et immédiate.
À cette occasion l'Afrique du Sud a découvert, comme de nombreux autres pays, les problèmes posés par la contamination des terrains du fait des radionucléides à vie longue. Suite à l'enquête de 1994, évoquée ci-dessus et portant sur 105 sites au total, le CNS a mis en évidence une trentaine de sites (mines, anciennes mines, stockages de résidus miniers) pour lesquels des travaux de décontamination ont été jugés nécessaires. Huit autres sites, implantés dans le nord du pays, avaient déjà fait l'objet d'une réhabilitation en 1994.
Pour la gestion des matières radioactives, le Nuclear Energy Act a défini un seuil de radioactivité massique de 0,2 Bq.g -1 au-dessus duquel toute matière doit être déclarée au CNS ; celui-ci a alors le loisir de prendre une réglementation s'il l'estime nécessaire. La signification à accorder à cette valeur de 0,2 Bq.g -1 rejoint les interrogations que l'on a pu recenser en France sur la problématique des seuils universels d'exemption : le seuil de 0,2 Bq.g -1 est-il applicable aux terrains contaminés ? Jusqu'où faut-il décontaminer ? Comment gérer les cendres des centrales à charbon, dès lors que certains minerais de charbon contiennent jusqu'à 1 % d'uranium ? Faut-il interdire leur utilisation (fréquente) comme matériaux de construction ? Quel genre de restrictions le CNS peut-il appliquer à l'usage des terrains contaminés ? etc.
Lors de ma visite, le CNS m'a indiqué que certains tas de résidus implantés dans le centre de Johannesburg avaient été complètement enlevés, du fait de la valeur importante des terrains (11 ( * )) . En revanche la réflexion devait être poursuivie pour résoudre l'ensemble des questions soulevées.
La nécessité d'aboutir se fait encore plus pressante avec le démarrage de quelques opérations de démantèlement d'ampleur significative qui sont prévues par l'AEC. Sur la stratégie de démantèlement, le CNS n'est pas opposé à ce que les travaux soient effectués assez rapidement ; mais il faut considérer en détail tous les paramètres. Le recyclage éventuel de pièces métalliques contaminées doit être envisagé avec circonspection, tout en ayant présent à l'esprit que la contamination est essentiellement contenue dans les « croûtes » fixées à la surface du métal, et que celui-ci est en général radiologiquement sain. De toute façon, l'examen des demandes et l'octroi d'éventuelles autorisations se feraient au cas par cas, selon une approche pragmatique.
Pour MM. WINKLER et LEAVER, la question des déchets doit être revue de façon globale, afin de parvenir à une démarche cohérente et structurée.
L'information du public était jusqu'à une date récente tout à fait balbutiante. Le statut d'organisme réglementaire dont jouissait le CNS interdisait pratiquement de mettre en place toute politique d'information. Le CNS souhaite profiter du nouveau contexte politique en Afrique du Sud pour promouvoir des actions fortes. L'un de ses premiers objectifs vise à solliciter les commentaires du public sur les principes et aspects actuels de la réglementation.
Les principes les plus fondamentaux sont au nombre de 3 :
- la loi fondatrice repose sur le concept de "dommage nucléaire" : il est possible de mettre en place une réglementation dès lors qu'elle est rapportée à la sauvegarde des personnes (mais pas de l'environnement) contre les risques des rayonnements ionisants (12 ( * )) ;
- la responsabilité de l'exploitant nucléaire est absolue : il n'est pas besoin de devoir prouver une négligence pour mettre en jeu cette responsabilité ; il n'est pas besoin de rechercher le fabricant ou le fournisseur d'un équipement défaillant : il suffit de se tourner vers l'exploitant ; un mécanisme légal permet d'aller devant le Parlement si les sommes impliquées dans la mise en jeu éventuelle de cette responsabilité sont supérieures à la capacité financière de l'exploitant ;
- l'évaluation de sûreté est fondée sur une approche probabiliste.
Ce dernier point a été choisi, de préférence à l'approche déterministe généralement retenue (comme en France), parce qu'il est très tôt apparu qu'il est impossible de garantir qu'un accident ne se développera jamais « au delà » des limites définies a priori. De nombreux travaux avaient eu lieu dans les années passées sur cette question difficile.
Par ailleurs, il est clair que l'on doit raisonner en disant qu'une installation nucléaire ne doit pas abonder de façon significative le risque supporté par la société ; cette perspective est probabiliste par nature.
Cette démarche innovante à l'époque a suscité beaucoup d'oppositions de la part d'ESKOM et de ses fournisseurs. Elle implique en effet d'estimer le risque généré par l'installation, donc d'évaluer la fiabilité des composants et du système dans son ensemble. Par ailleurs les procédures d'exploitation des réacteurs implantés à Koeberg étaient écrites dans une optique déterministe ; une réflexion a été lancée récemment pour procéder aux adaptations nécessaires.
Avec le recul de l'expérience, cette approche probabiliste s'avère pleine de difficultés. En particulier il faut déterminer un facteur de risque acceptable pour l'exercice des activités nucléaires. Cependant le CNS note que la NRC américaine "commence à parler le même langage". Le CNS a choisi les critères suivants pour les risques supportés par le public : 1/ le risque de mortalité causé à tout personne individuelle du public ne doit pas excéder 5.10 -6 par an ; 2/ le risque moyen de mortalité pour la population résultant de l'exploitation normale comme des situations accidentelles ne doit pas excéder 10 -7 par an ; 3/ la probabilité d'occurrence des accidents graves est également prise en compte, selon une formule précisée dans les textes ; 4/ les variations du risque ne doivent pas excéder un facteur 50 par rapport au risque moyen dans les régions et communautés où une mobilité sociale forte et régulière est observée.
Pour les risques professionnels : 1/ le risque de mortalité individuelle ne doit pas excéder 10 -3 par an ; 2/ le risque moyen de mortalité des personnes exposées pour des raisons professionnelles, résultant de l'exploitation normale et des situations accidentelles, ne doit pas excéder 2.10 -4 par an ; 3/ la probabilité d'occurrence des accidents graves est également prise en compte, selon une formule précisée dans les textes ; 4/ les variations du risque ne doivent pas excéder un facteur 5 par rapport au risque moyen pour les travailleurs d'une installation donnée ou pour toute subdivision de la population exposée qui paraît pertinente dans chaque cas d'espèces.
La politique de gestion du risque, aux yeux du CNS, doit de toute façon reposer sur l'affirmation fondamentale que le concept d'« accident maximum » est faux.
4.3 Quel avenir pour l'autorité de sûreté dans la nouvelle Afrique du Sud ?
Les bouleversements politiques de ces dernières années et la fin de l'apartheid ont amené le CNS à s'interroger sur sa place et son rôle dans le nouveau paysage institutionnel sud-africain. Tout d'abord, au plan strictement matériel, un nouveau Conseil sera bientôt constitué pour refléter les changements fondamentaux vécus par le pays. Au delà, le CNS souhaite s'impliquer plus avant dans le renouvellement des mentalités politiques, dans le cadre de sa mission. Comment prendre en compte de façon plus globale les questions de sécurité du public vis-à-vis des risques de la société industrielle ? Faut-il envisager de s'orienter vers un Health and Safety Executive à la britannique (13 ( * )) ?
Une partie de la réponse à ces questions dépendra aussi de l'évolution du secteur nucléaire en Afrique du Sud. Le moins que l'on puisse dire est que l'horizon est largement ouvert.
* 10 Les mines ne sont pas considérées comme des installations nucléaires mais doivent être réglementées au regard de la radioprotection.
* 11 N'oublions pas que Johannesburg est à l'origine une ville minière, dont l'essor résulte de la mise en valeur des ressources du sous-sol local.
* 12 Ce principe est complété, comme il a été dit plus haut, par l'instauration de seuils d'exemption pour le contrôle des matières et substances radioactives Aux termes de la section 2 (e) du Nuclear Energy Act, le Ministre des Affaires énergétiques et minières doit, par insertion dans la Gazette du Gouvernement, "déterminer les niveaux de radioactivité spécifique, de radioactivité totale et d'équivalent de dose pour lesquels le CNS devra publier une déclaration (écrite) " ; la section 2 (f) dispose que le Ministre doit "déterminer les niveaux de radioactivité spécifique et de radioactivité totale au-dessous desquels les dispositions de la présente loi ne s'appliquent pas : « la section 2 (g) dispose que le Ministre peut "avec le concours du CMS et de l'AEC : exempter toute matière radioactive des dispositions de la présente loi". Si l'utilisation de substances radioactives met en jeu des grandeurs inférieures à celles évoquées au 2 (c), cette utilisation est libre, sous réserve que le CNS ait déclaré par écrit qu'elle n'est pas susceptible d'excéder les limites générales posées par lui pour la protection des personnes Ces niveaux de référence ont été fixes en 1994 a 100 Bq g 1 pour la radioactivité massique, l0 4 Bq pour la radioactivité totale manipulée en une année, 1 mSv pour l'équivalent de dose individuel.
* 13 Voir dans mon rapport pour 1993 le chapitre intitulé « Le Royaume Uni face aux séductions du privé ».