PREMIÈRE
PARTIE :
AUX ORIGINES DE LA LOI DU 11 FÉVRIER 2005
I. UNE NOUVELLE APPROCHE DES POLITIQUES DU HANDICAP
A. UNE LOI PORTANT UN CHANGEMENT DE PARADIGME POUR LES POLITIQUES DU HANDICAP
1. Avant 2005, des ambitions en attente d'une grande loi pour le handicap
La prise en compte du handicap dans la société s'est renforcée graduellement, par le biais de lois marquantes qui ont tour à tour affirmé l'objectif d'intégration des personnes en situation de handicap dans le monde du travail, puis dans l'ensemble des composantes de la vie individuelle et collective.
Au titre de ces grandes lois qui ont façonné la prise en charge du handicap en France, il faut d'abord mentionner la loi du 23 novembre 19571(*) qui a donné une définition du « travailleur handicapé » et ainsi incité au reclassement et au maintien dans l'emploi des personnes en situation de handicap et des mutilés de guerre.
Cependant, c'est la loi du 30 juin 19752(*) qui fixe pour la première fois les contours d'une politique globale au bénéfice des personnes en situation de handicap. Cette politique est alors considérée comme l'expression de la solidarité nationale, comme l'indique son article 1er : « la prévention et le dépistage des handicaps, les soins, l'éducation, la formation et l'orientation professionnelle, l'emploi, la garantie d'un minimum de ressources, l'intégration sociale et l'accès aux sports et aux loisirs du mineur et de l'adulte handicapés physiques, sensoriels ou mentaux constituent une obligation nationale ». C'est également cette loi qui crée l'allocation aux adultes handicapés (AAH), afin de garantir un revenu minimal aux personnes en situation de handicap.
Par la suite, la loi du 10 juillet 19873(*) fait évoluer l'obligation d'emploi issue de la loi de 1957, en tendant à en renforcer l'effectivité : une obligation d'emploi est fixée à 6 % des effectifs pour les entreprises de plus de 20 salariés.
Pour autant, les associations de représentation des personnes en situation de handicap soulignent dès les années 1990 que l'égalité des droits et des chances affirmée par ces lois demeure abstraite. Pour assurer le respect de ces principes, la recherche systématique d'une compensation des conséquences du handicap doit être mise en place. C'est ce que proclame finalement l'article 53 de la loi de modernisation sociale de 20024(*) :
« La personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l'origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie, et à la garantie d'un minimum de ressources lui permettant de couvrir la totalité des besoins essentiels de la vie courante ».
Cette ambition a fait naître de nombreux espoirs, au risque de la déception. En effet, comme le souligne l'exposé des motifs de la loi du 11 février 20055(*) :
« Le droit à la compensation des conséquences du handicap, inscrit dans la loi dite de modernisation sociale, est resté à ce jour sans contenu. Le projet de loi entend donc pallier ce manque en apportant à chaque personne handicapée la réponse appropriée à ses besoins spécifiques, qu'il s'agisse de prestations en nature ou en espèces ou de services d'accompagnement à la vie en milieu ordinaire ou en établissement ».
Cela passe donc par une prise en charge personnalisée des surcoûts de toute nature que les personnes en situation de handicap supportent dans leur vie quotidienne : au travail, dans leurs mobilités, leurs études, leur vie citoyenne, etc.
2. Un renversement de perspective assumé : adapter le droit au handicap et non l'inverse
La conception du handicap dans la société a évolué au cours du XXe siècle d'une vision individuelle et médicale à une vision collective et environnementale.
La conception classique du handicap est donc développée par les médecins. Sous l'égide de l'organisation mondiale de la santé (OMS), les handicaps sont inscrits dans la classification internationale des maladies et causes de décès (CIM) jusqu'à ce que, grâce à l'essor de la médecine de réadaptation, soit développée en 1980 une classification internationale des déficiences, incapacités et handicaps (CIDIH).
Les mouvements militants de personnes handicapées, notamment aux États-Unis6(*), sont particulièrement critiques de cette approche médicale, qui considère le handicap sous l'angle négatif et qui invite à une adaptation de la personne (rééducation, soin, etc.) plutôt que sur la société. C'est donc la naissance d'une approche environnementale, fondée sur l'égalité en droit des personnes en situation de handicap.
La loi du 11 février 2005 se situe en prolongement de cette approche moderne, en invitant à faire évoluer le droit et à adapter la société plutôt que la personne en situation de handicap.
Une illustration des différentes approches du handicap
La diversité des approches du handicap peut sembler théorique, mais elle n'est pas sans conséquence dans les choix de société mis en oeuvre pour répondre à la situation des personnes concernées.
Un exemple typique est de considérer la situation d'une personne en fauteuil roulant qui tente d'accéder à un service public dont le bâtiment est uniquement desservi par un escalier. Pourquoi ne peut-t-elle pas bénéficier de ce service public ? De façon schématique, quatre grandes approches peuvent permettre de répondre à cette question :
- l'approche médicale considèrerait que ladite personne est paraplégique, et qu'il faut donc chercher à prévenir, ou guérir cette maladie ;
- l'approche fonctionnelle considèrerait que la même personne ne peut pas marcher, et qu'il faut donc mettre en place un parcours de rééducation ;
- l'approche environnementale soulignerait que c'est le manque d'accessibilité du bâtiment qui est en cause, et qu'il faut donc aménager ce bâtiment ;
- l'approche des droits humains insisterait sur le fait que c'est la société qui discrimine ladite personne, en ne prenant pas en compte ses besoins, et inviterait donc à modifier les normes afin d'assurer que chaque bâtiment et service public soit systématiquement accessible.
Source : J. F. Ravaud, « Modèle individuel, modèle médical, modèle social : la question du sujet »
* 1 Loi n° 57-1223 du 23 novembre 1957 sur le reclassement des travailleurs handicapés.
* 2 Loi n° 75-534 du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées.
* 3 Loi n° 87-517 du 10 juillet 1987 en faveur de l'emploi des travailleurs handicapés.
* 4 Loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale.
* 5 Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées et liens vers les décrets d'application.
* 6 Voir par exemple l'Independant Living Movement né à l'université de Berkley en Californie.