EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 5 FÉVRIER 2025

M. Christophe-André Frassa, président. - Nous examinons à présent le rapport d'information de nos collègues Muriel Jourda, Corinne Narassiguin et Olivier Bitz sur les accords internationaux conclus par la France en matière migratoire.

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure. - Après neuf mois de travaux et un changement intervenu dans notre équipe de corapporteurs à la suite de l'élection de Philippe Bonnecarrère à l'Assemblée nationale, il est temps de vous présenter les conclusions de notre mission d'information.

Son origine remonte à une requête de Philippe Bonnecarrère. Au cours de ses travaux en tant que corapporteur sur le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, il avait en effet été frappé de constater que la France était, en matière migratoire, partie à une myriade d'instruments internationaux formant un véritable droit parallèle de l'entrée et du séjour des étrangers en France.

Certains sont tout à fait identifiés et régulièrement évoqués dans le débat public : c'est le cas, notamment, de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 qui a occupé une grande partie de nos travaux et dont la pertinence fait l'objet de débats politiques récurrents. Force est toutefois de constater que la grande majorité de ces instruments ne disposent pas de la même notoriété, tant dans l'opinion publique que chez les parlementaires eux-mêmes, voire dans l'administration.

Ce point est rarement abordé au cours de nos débats, pour la simple et bonne raison qu'il échappe largement à notre compétence. En outre, le recours à des instruments internationaux pour la conduite de la politique migratoire de la France n'a étonnamment jamais fait l'objet d'une évaluation exhaustive. Dans ce contexte, notre commission a entendu donner à ce sujet méconnu l'attention qu'il mérite.

Dans un premier temps, Muriel Jourda et Philippe Bonnecarrère ont procédé à un « débroussaillage » du sujet dans le cadre de leur avis budgétaire sur le projet de loi de finances initiales (PLF) pour 2024. Les délais d'examen contraints des PLF n'offrant toutefois pas les conditions d'un travail exhaustif sur le sujet, nous avons, dans un second temps, décidé de lancer cette mission d'information transpartisane.

Nous nous sommes fixé trois objectifs principaux : fiabiliser le recensement des instruments migratoires internationaux, établir un bilan de leur application et formuler des recommandations visant à renforcer la cohérence et l'efficacité de ce pan de la politique migratoire.

Nous avons par ailleurs souhaité accorder une attention particulière aux accords internationaux conclus avec deux États partenaires : l'Algérie et le Royaume-Uni. Les accords en question sont en effet uniques en leur genre, tant par leur contenu que du fait des débats politiques qu'ils suscitent. Mes collègues reviendront en détail sur le sujet.

Cette mission au long cours nous a conduits à réaliser 30 auditions, pendant lesquelles 70 personnes ont été entendues. Nous nous sommes par ailleurs rendus les 20 et 21 novembre 2024 à Calais, afin de rencontrer les acteurs chargés quotidiennement de la surveillance de la frontière franco-britannique et de l'animation du dispositif de prise en charge humanitaire des candidats au départ.

À l'issue de nos travaux, nous dressons un constat mitigé sur ce versant méconnu de notre politique migratoire.

D'un côté, les instruments internationaux dont nous parlons constituent incontestablement un levier incontournable de la politique migratoire. La formalisation de règles partagées et, parfois, contraignantes assoit la coopération avec les États partenaires sur une base solide, notamment ceux pour lesquels les enjeux migratoires sont substantiels. Au-delà du contenu, l'existence même d'un instrument international offre un cadre de discussion régulier facilitant les échanges dans ce domaine parfois délicat. Ces avantages supposés expliquent l'appétence ancienne et non démentie du pouvoir exécutif pour les instruments internationaux.

De l'autre, force est de constater que cet aspect de notre politique migratoire est caractérisé par un certain « désordre », pour ne pas dire « fouillis ». Le ministre de l'intérieur Bruno Retailleau a d'ailleurs immédiatement repris ce dernier terme à son compte lors de son audition devant notre commission.

Ce « désordre » se matérialise par une profusion d'accords ; nous en avons recensé 197, dont 140 sont bilatéraux. Cette « masse » est particulièrement hétérogène, sur la forme comme sur le fond.

Sur la forme, de grands accords « mixtes » particulièrement touffus côtoient des accords sectoriels ne comprenant parfois qu'une poignée d'articles.

Sur le fond, l'étendue des dérogations au droit commun qu'ils instituent est particulièrement variable. Si certains accords sont essentiellement symboliques, d'autres aménagent des dérogations substantielles au droit commun des étrangers. À titre d'exemple, les ressortissants algériens sont soumis, au titre de l'accord du 27 décembre 1968, à un régime d'admission au séjour entièrement dérogatoire aux règles prévues par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda). À l'inverse, les conventions d'établissement conclues avec les États d'Afrique de l'Ouest dans les années 1990 restent symboliques et renvoient très largement aux conditions du droit commun.

Schématiquement, les accords migratoires peuvent être classés en cinq grandes catégories.

Premièrement, les accords prévoyant des exemptions de visas de court séjour et applicables, selon les cas, aux détenteurs de passeports civils pour les accords européens ou aux détenteurs de passeports diplomatiques pour les accords bilatéraux.

Deuxièmement, les accords relatifs à la lutte contre l'immigration irrégulière, qu'il s'agisse d'accords dits « de réadmission » en bonne et due forme prévoyant des procédures de reprise contraignantes ou d'instruments techniques de coopération non opposables et visant à fluidifier la coopération opérationnelle. D'un point de vue quantitatif, 90 % des réadmissions sont réalisées vers des États tiers concernés par un accord de réadmission. D'un point de vue qualitatif, l'intérêt de ces accords procède en réalité moins de leur lettre que des espaces de discussion bilatéraux qu'ils créent.

Troisièmement, les accords de gestion concertée et de codéveloppement, conclus sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy et qui présentaient l'originalité de traiter dans un même ensemble les questions migratoires et de développement. Ils ont toutefois été progressivement délaissés et seuls ceux qui ont été conclus avec la Tunisie et le Sénégal sont toujours actifs.

Quatrièmement, les accords relatifs aux mobilités professionnelles. Ils visent à faciliter l'admission au séjour de deux catégories de travailleurs présentant un intérêt du point de vue de la stratégie d'attractivité de la France : les jeunes et les travailleurs les plus qualifiés. Les résultats obtenus sont particulièrement disparates selon les catégories d'accords. Le dispositif « Jeunes professionnels » est ainsi particulièrement décevant, tandis que les « programmes vacances-travail » (PVT) connaissent un succès qui ne se dément pas.

Cinquièmement, les accords relatifs aux conditions de circulation, de séjour ou d'emploi, qui constituent une catégorie particulièrement hétérogène. Certains aménagent des régimes dérogatoires substantiels, à l'image des accords conclus avec les États du Maghreb et singulièrement avec l'Algérie. D'autres sont surtout symboliques. Sur ce point, nous émettons de sérieuses réserves quant à l'intérêt juridique d'accords internationaux qui, lorsqu'ils ne se bornent pas à renvoyer au droit commun, établissent des dérogations qui ne sont souvent qu'imparfaitement connues des services de l'État comme de ceux qui sont supposés en bénéficier.

Au vu de ce panorama quelque peu désordonné, nous estimons qu'une rationalisation de l'usage des instruments internationaux est indispensable. Nous formulons douze recommandations en ce sens, qui vous ont été transmises hier soir. Celles-ci s'articulent autour de cinq axes prioritaires.

En premier lieu, consolider et centraliser le niveau d'information disponible sur cet ensemble d'accords aujourd'hui excessivement fragmenté. Pour cela, il nous semble au minimum nécessaire de combler les angles morts de la liste figurant en annexe 1 du Ceseda.

En second lieu, formaliser dès que possible une doctrine d'usage, car aujourd'hui la conclusion d'instruments internationaux découle avant tout de logiques d'opportunité. La cohérence d'ensemble pâtit en outre des priorités parfois divergentes de la place Beauvau et du Quai d'Orsay. Pour surmonter ces rivalités, il nous semble indispensable que le comité stratégique sur les migrations (CSM), en théorie chargé d'assurer la coordination, soit rattaché au Premier ministre.

En troisième lieu, opérer un toilettage des instruments internationaux. L'empilement de régimes dérogatoires plus ou moins obsolètes complexifie l'exercice de leurs missions par les services des étrangers en préfecture et nuit à la lisibilité d'ensemble, au détriment des étrangers eux-mêmes. Sans aller jusqu'à proposer une périlleuse dénonciation des accords obsolètes, il nous semble au moins nécessaire d'engager un travail pour les identifier ainsi qu'une réflexion sur les suites à leur donner.

En quatrième lieu, approfondir le suivi de l'exécution des instruments internationaux.

En cinquième lieu, se doter de dispositifs d'évaluation suffisamment robustes. Nous avons en effet été fréquemment confrontés à l'insuffisance de données disponibles pour évaluer l'efficacité de ces instruments. Nous devons donc nous doter des outils statistiques nécessaires à une décision éclairée.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Je m'attacherai plus spécifiquement à présenter les traités de coopération transfrontalière conclus avec le Royaume-Uni, au regard des nombreux enjeux liés à l'intensification continue dans le Calaisis des flux d'étrangers en situation irrégulière en transit vers le Royaume-Uni. Je vous exposerai la situation de fait puis, en regard, la situation de droit qui lui répond.

La mise en service du tunnel sous la Manche en 1994, si elle n'est pas la cause du phénomène, en a quelque peu changé la donne. De nombreux étrangers clandestins en transit se sont établis dans des conditions de grande précarité sanitaire et de violence dans le Calaisis, 9 000 d'entre eux environ se concentrant dans ce que l'on avait appelé la « jungle » de Calais et qui a fini par être démantelée en 2016.

La sécurisation concomitante de l'accès au tunnel sous la Manche a conduit à ce que ce type d'installation ne se renouvelle pas et a rendu plus difficile un passage irrégulier par ce moyen au Royaume-Uni. Pour autant, les tentatives de passage continuent sous une autre forme, celle de la voie maritime avec des embarcations légères, dites small boats, les passeurs faisant croire que la traversée de la Manche est aisée. Rien n'est pourtant plus faux dans un détroit très fréquenté, surtout avec des embarcations bondées, et ces tentatives font de nombreux morts.

Un important dispositif humanitaire existe, même si l'on peut estimer qu'il reste insuffisant à certains égards. Il permet néanmoins de prendre en charge les étrangers quand ils ne peuvent pas traverser.

Pour autant, la situation est assez dégradée. Les collectivités locales doivent faire face à de nombreux investissements pour protéger certains lieux des dégradations et des intrusions. De plus, elles souffrent d'une faible attractivité économique. En effet, il est compliqué pour les entreprises de s'installer dans un endroit où dégradations et occupations illicites sont nombreuses. Par ailleurs, les rixes entre étrangers existent toujours et les forces de l'ordre sont la cible de violences de plus en plus fréquentes. Enfin, on commence à observer des dégradations matérielles de biens appartenant aux habitants.

J'en viens à la façon dont cette situation est réglée en droit. Les premiers accords passés avec le Royaume-Uni concernaient les passages de frontière et le principe d'une délocalisation des contrôles frontaliers a été acquis dès 1986. Le protocole de Sangatte a été signé en 1992 et, en 2003, le traité du Touquet a achevé le processus d'externalisation réciproque des contrôles aux frontières terrestres et maritimes. Ce cadre de référence est utile et efficace pour l'immigration régulière et le contrôle des passagers. Cependant, il ne permet manifestement pas d'endiguer l'immigration irrégulière.

En 2018, les autorités françaises et britanniques se sont donc accordées sur le traité de Sandhurst, qui prend en compte l'immigration irrégulière. Il prévoit une coopération opérationnelle entre les deux pays en matière de prévention des départs clandestins, de lutte contre les réseaux de passeurs, de prise en charge des demandeurs d'asile et d'exécution des mesures de retour.

Par ailleurs, ce traité institue un cadre financier, qui fixe le principe d'une contribution britannique au financement du dispositif de prévention des traversées. Pour les premières années, les Britanniques ont versé 222 millions d'euros. Pour la période 2023-2026, la somme s'élève à environ 540 millions d'euros.

Ces différents traités ont-ils permis de faire baisser l'immigration irrégulière ? Nous n'avons plus de « jungle », mais une forte pression continue de s'exercer. En effet, le Royaume-Uni demeure un pays attractif pour les étrangers, que rien ne peut dissuader de tenter la traversée, même au péril de leur vie. Au-delà du facteur linguistique et de l'importance des diasporas présentes dans ce pays, l'accessibilité du marché du travail, la générosité de la politique d'asile et le faible volume de retours forcés jouent un rôle dans cette situation.

Que faire lorsque les accords passés ne parviennent pas à modifier une situation qui n'est bénéfique ni pour les personnes étrangères en situation irrégulière ni pour le pays dans lequel ces dernières stationnent dans des conditions difficiles ?

Une solution a été évoquée à plusieurs reprises : la dénonciation des traités du Touquet et de Sandhurst. Nous n'en voyons pas l'intérêt puisqu'une telle mesure ne règlerait pas le problème de l'immigration irrégulière, détériorerait nos relations avec le Royaume-Uni, supprimerait notre accord en matière de passage régulier et reviendrait à renoncer à l'aide financière et à la coopération de ce pays.

Nous proposons donc plutôt de faire bouger les lignes dans deux domaines. En premier lieu, il s'agit de revoir le périmètre de la contribution financière du Royaume-Uni, qui est indispensable, mais insuffisante. Nous avons entendu des appréciations variables sur ce point. Lors de son audition, le ministre de l'intérieur a indiqué que la contribution actuelle ne couvre que la moitié des coûts supportés par la France pour la gestion de la frontière. En second lieu, il faut discuter de la question d'un accord migratoire global avec le Royaume-Uni.

Un tel accord viserait à réduire durablement la pression migratoire dans la région et à définir des voies de migration légales ainsi que les modalités de coopération en matière de retours et de lutte contre les réseaux de passeurs. Nous souhaiterions que des négociations soient engagées en ce sens, ce qui semble possible au regard des évolutions politiques outre-Manche. La tâche ne sera pas simple, mais il est important de parvenir à redébattre de ce sujet avec le Royaume-Uni.

M. Olivier Bitz, rapporteur. - J'en viens à l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, le plus connu des instruments internationaux que nous avons étudiés et pas le moins polémique. Pour des raisons historiques, juridiques et politiques, il occupe une place à part. Juridiquement, il régit complètement les conditions d'accès au séjour, de circulation et d'exercice d'une activité professionnelle pour les Algériens en France. Il fonde donc un régime totalement dérogatoire et sans équivalent. Le caractère exceptionnel de cet accord tient aussi à sa nature politique. Le maintien de ce statut spécial est à l'origine d'importants et vigoureux débats de part et autre de la Méditerranée, mais également au sein de cette mission entre les rapporteurs.

La bonne compréhension de ce sujet impose un bref retour en arrière. Contrairement à une idée répandue, la philosophie de l'accord de 1968 ne consistait pas à libéraliser les flux migratoires entre la France et l'Algérie, mais, au contraire, à les réguler davantage. Le régime de libre circulation établi par les accords d'Évian s'était en effet traduit par l'établissement d'un volume important et largement inattendu d'Algériens en France. Dans ce contexte, l'accord de 1968 a mis en place un régime spécial de circulation et d'admission au séjour pour les seuls ressortissants algériens. Si l'accord a fait l'objet de trois avenants, en 1985, 1994 et 2001, qui ont eu pour effet de rapprocher ce statut spécial du droit commun, il n'en demeure pas moins une anomalie dans le droit des étrangers. À titre d'exemple, les Algériens se voient toujours délivrer des certificats de résidence au lieu de titres de séjour classiques. Ces certificats sont valables un ou dix ans et restent uniques en leur genre.

La question du caractère favorable de ce régime dérogatoire est âprement débattue. À l'issue d'une analyse minutieuse de l'ensemble des stipulations de l'accord, nous sommes parvenus à une conclusion sans ambiguïté : les Algériens bénéficient majoritairement de règles plus favorables que celles du droit commun, voire beaucoup plus favorables, sur des points essentiels du droit au séjour. À l'inverse, les stipulations pouvant être considérées comme défavorables sont peu nombreuses et concernent principalement des points mineurs de l'accès au séjour. Elles ne sauraient donc remettre en cause le constat général d'un régime très avantageux.

Si la question de la pérennité de l'accord de 1968 semble devoir se poser de façon inéluctable, deux visions s'opposent quant au chemin à emprunter. Nous n'avons pas trouvé de terrain d'entente entre rapporteurs sur ce sujet délicat. Par conséquent, nous présenterons deux recommandations alternatives : la recommandation n° 18, que je soutiens avec Muriel Jourda, et la recommandation n° 18 bis, que Corinne Narassiguin prendra le soin de défendre.

L'approche que Muriel Jourda et moi-même défendons s'appuie sur cette conclusion : les avantages dont bénéficie l'Algérie en matière migratoire n'ont plus de justification historique, politique ou juridique évidente. En outre, ce régime de faveur est d'autant plus infondé qu'il ne s'accompagne pas d'un surcroît de coopération en matière de lutte contre l'immigration irrégulière. Ainsi, les Algériens représentent plus du quart des étrangers interpellés en situation irrégulière, alors même que la police aux frontières éprouve les plus grandes difficultés à obtenir d'Alger les laissez-passer consulaires nécessaires à leur retour.

Cela ne signifie pas que la dénonciation soit le seul horizon possible, mais que, en dernier ressort, nous ne devons plus nous l'interdire. Il n'y a pas, d'un côté, ceux qui voudraient négocier et, de l'autre, ceux qui souhaiteraient dénoncer l'accord. Nous pensons qu'il faut privilégier la négociation, sans exclure la possibilité de dénoncer unilatéralement cet accord.

Nous réfutons la thèse, quelque peu fantaisiste, selon laquelle la dénonciation entraînerait un retour à la libre circulation. Les développements juridiques auxquels s'est livré le Gouvernement devant

notre commission étaient implacables sur ce point. Rien dans le texte de l'accord de 1968 ou dans le droit international des traités ne permet d'aboutir à une telle conclusion, quoiqu'en dise la partie algérienne.

Nous ne nions pas le fait qu'une dénonciation pourrait exposer la France à des mesures de rétorsion, sur les plans migratoire, diplomatique ou économique. Néanmoins, ces arguments, si légitimes soient-ils, ne peuvent servir de prétexte au maintien indéfini du statu quo.

Au niveau diplomatique, force est de constater que la position d'ouverture de la France n'a rien donné. En termes migratoires, nul ne peut se satisfaire du maintien d'un régime dont les avantages historiquement datés sont sans équivalent et dont la France ne tire aucune contrepartie. Le niveau de coopération discutable de l'Algérie en matière de lutte contre l'immigration irrégulière offre un contraste saisissant avec les avantages dont elle bénéficie en matière d'immigration régulière.

La recommandation n° 18 est ainsi rédigée : « Engager un nouveau cycle de négociations avec l'Algérie afin de rééquilibrer le régime dérogatoire d'admission au séjour et de circulation prévu par l'accord du 27 décembre 1968. Tirer les conséquences d'un éventuel échec en mettant fin à son application. Par cohérence, mettre également fin à l'application de l'accord du 16 décembre 2013 sur l'exemption réciproque de visas de court séjour pour les titulaires d'un passeport diplomatique ou de service. »

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure. - La proposition n° 18 me pose problème comme elle pose problème au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Si je suis en accord avec la nécessité de reprendre un cycle de discussions avec l'Algérie, je ne partage pas du tout l'idée de tirer les conséquences d'un éventuel échec en mettant fin à l'application de l'accord.

Ce n'est pas à notre assemblée de présupposer un échec des discussions et de proposer la dénonciation d'un accord aussi lourd de sens historique et politique. D'ailleurs, le débat juridique sur la possibilité d'une dénonciation unilatérale n'a pas été tranché.

De plus, nous considérons que le caractère dérogatoire au droit commun de l'accord de 1968 reste justifié, en raison de la profondeur des liens humains et historiques qui existent entre les deux parties et de l'imbrication de leurs intérêts économiques, sécuritaires et politiques.

Le caractère déséquilibré de l'accord peut nécessiter son évolution, qui doit procéder de la négociation. La conclusion d'un nouvel avenant constitue la seule solution viable. Outre le signal désastreux qu'enverrait une dénonciation unilatérale aux populations concernées et aux binationaux, une telle option se traduirait inéluctablement par des mesures de rétorsion diplomatiques, économiques et géostratégiques, dont la France pâtirait lourdement.

Ce serait aussi le cas en matière migratoire. En effet, une dénonciation aboutirait à désarmer la France dans sa lutte contre l'immigration régulière, puisqu'elle signifierait la fin de la délivrance des laissez-passer consulaires indispensables aux éloignements.

Lors d'une interview qu'il a donnée à Sud Radio le 28 janvier dernier, le ministre des affaires étrangères a dit : « la coopération avec l'Algérie, sur le plan de la maîtrise de l'immigration irrégulière, s'est plutôt améliorée ces dernières années. Dans les trois années qui viennent de s'écouler, nous avons atteint des chiffres de reconduites à la frontière, d'expulsions, que nous n'avions pas connus depuis bien longtemps. » Pourquoi vouloir dénoncer l'accord alors que la coopération en matière migratoire fonctionne, nonobstant un cas récent largement médiatisé ? Pourquoi vouloir le dénoncer malgré des relations diplomatiques déjà plus que tendues ?

Je soumets donc à la commission la recommandation n° 18 bis, qui reprend la position du ministère des affaires étrangères et est ainsi rédigée : « Engager des discussions soutenues afin de réactiver le groupe technique bilatéral de suivi de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, en vue de l'élaboration, le moment venu, d'un quatrième avenant. »

Mme Agnès Canayer. - Je soutiendrai la recommandation n° 18, car il est temps de prévoir des solutions alternatives.

Je souhaiterais surtout attirer votre attention sur le fait que la pression migratoire se décale vers l'Ouest et a augmenté de 2 258 % en Seine-Maritime au cours des neuf derniers mois. La distribution des moyens, notamment des fonds britanniques, est concentrée dans les Hauts-de-France et le Calaisis, où le niveau de pression reste inégalé. Mais il faut garder à l'esprit que cette pression s'étend désormais à d'autres territoires.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutiendra la recommandation n° 18 bis.

J'ai été étonnée d'entendre Olivier Bitz dire que l'accord n'avait plus de raison historique ; il s'agit d'une vision étrange de l'Histoire, qui reste toujours présente !

Ces derniers jours, j'ai écouté avec intérêt les interventions médiatiques du ministre des affaires étrangères et de Patrick Stefanini, représentant spécial du ministre de l'intérieur. À aucun moment ce dernier, dont je ne partage pas les opinions politiques mais ne nie pas les compétences, n'a demandé la dénonciation de l'accord. Le Sénat s'apprête donc à prendre une position qui n'est pas celle de la France, dans un contexte déjà tendu.

Les relations franco-algériennes ne peuvent se réduire à l'accord que nous évoquons et s'inscrivent dans un environnement complexe, notamment économique et commercial. Je pense à nos importations de gaz et à nos exportations agricoles ; toute dégradation des relations franco-algériennes impacterait ces domaines.

J'encourage votre sens des responsabilités. Nous ne sommes pas chargés de la discussion des accords. Évoquer la dénonciation et la question des passeports diplomatiques nous semble peu responsable et en désaccord avec la position de la France.

Mme Olivia Richard. - J'ai une pensée émue pour nos diplomates en poste à Alger, qui ont vu, dans l'interview donnée lundi dernier par le président algérien à L'Opinion, un signe d'espoir et d'apaisement des relations. Je pense aussi à nos ressortissants et à nos entrepreneurs français présents en Algérie, ainsi qu'aux échanges bilatéraux qui nous lient à ce pays, avec lequel nous partageons une histoire longue et compliquée. Je partage l'idée qu'il est nécessaire de renégocier. Cependant, l'annonce d'une possible dénonciation me paraît constituer un curieux outil à mettre dans les mains de notre diplomatie.

Mme Sophie Briante Guillemont. - Ce sujet provoque de nombreuses difficultés diplomatiques alors que nous avons besoin d'apaisement. Le fait que notre commission fasse une proposition dure contribue à jeter de l'huile sur le feu, quand nous pourrions parvenir à un compromis dans la rédaction de cette recommandation, en en conservant la première partie sans évoquer un éventuel échec des négociations. Ce n'est pas ainsi que l'on mène des négociations.

M. Guy Benarroche. - Je ne crois pas que le Sénat puisse contribuer à l'ouverture d'une renégociation de l'accord alors qu'il publie un rapport dans lequel sa dénonciation est évoquée. Il faut tenir compte de l'état des négociations diplomatiques et politiques avec l'Algérie, ainsi que des relations historiques, sociales et économiques qui restent les nôtres.

M. Francis Szpiner. - Boualem Sansal serait ravi d'entendre notre discussion ! Certes, nous avons des rapports historiques avec l'Algérie, mais cela fait plus de soixante ans que cette dernière est indépendante. Le régime corrompu et dictatorial de ce pays ne cesse d'utiliser l'accusation de la France coloniale pour souder son pays et masquer son échec.

La politique est un rapport de force. Vous avez mentionné vos techniques de négociation ; de mon côté, je préfère négocier en position de force. Le Sénat est une institution de la République et nous avons le devoir de donner notre opinion sur la politique étrangère de la France. J'en ai assez de voir mon pays se faire régulièrement insulter par ce régime et de le voir baisser chaque fois la tête. En cas de dénonciation de l'accord, nous verrons bien qui sera le plus pénalisé.

M. Hussein Bourgi. - Je voudrais illustrer le caractère passionnel de ce dossier en évoquant les sentiments qui me traversent. Lorsque le Président de la République s'est rendu en Algérie il y a quelques années, j'ai mal vécu certains propos et j'ai pu mesurer l'incompréhension de nos compatriotes pieds noirs et harkis. Lorsque Boualem Sansal a été embastillé, j'ai été en proie à la même indignation. Lorsqu'un influenceur algérien a été expulsé puis renvoyé par les autorités algériennes, j'ai ressenti la même colère.

Cependant, il faut aussi considérer nos relations économiques et commerciales. Lorsque je discute avec des agriculteurs de ma région, qui exportent des ovins et des bovins vers l'Algérie, avec des dockers du port de Sète, par lesquels les produits transitent, ou avec des céréaliers, ils me disent tous qu'il faut faire attention, car la situation est complexe.

Nos relations avec l'Algérie se sont détériorées depuis la reconnaissance par le Président de la République de la marocanité du Sahara occidental. Il ne faudrait pas que notre vote tende davantage ces relations.

M. Louis Vogel. - Si nous souhaitons faire aboutir des négociations, nous ne devons pas nous interdire de mentionner qu'elles peuvent échouer. Ne pas dire que nous tirerons les conséquences d'un échec constituerait une faiblesse. Nous devons affirmer notre position et ne pas avoir peur.

M. Olivier Bitz, rapporteur. - Je veux dire à nos deux collègues représentant les Français de l'étranger qui se sont exprimés que nous sommes attentifs à la situation des 30 000 Français présents en Algérie. Cette situation est à mettre au regard des 650 000 personnes de nationalité algérienne qui vivent en France et des 3 millions de binationaux.

Dans la recommandation n° 18, nous exprimons le fait que le statu quo n'est pas tenable. En effet, nous ne pouvons pas prétendre réguler les flux migratoires réguliers sans considérer de près ce qui se passe avec l'Algérie, puisqu'un nouveau titre sur dix délivré en France concerne une personne de nationalité algérienne. Il ne s'agit pas de mettre fin à tout et, dans le cas d'une éventuelle dénonciation, il s'agirait seulement de revenir au droit commun.

M. Christophe-André Frassa, président. - Je mets donc aux voix les deux recommandations alternatives.

La recommandation n° 18 est adoptée. En conséquence, la recommandation n° 18 bis devient sans objet.

Mme Corinne Narassiguin, rapporteure. - Je prends acte du vote de la commission et vous demanderai, en conséquence, de retirer mon nom du rapport parlementaire. Il s'agit d'une décision inhabituelle que je tiens à expliquer.

D'abord, je remercie mes deux corapporteurs pour la qualité du travail que nous avons mené. Lors des auditions, puis de la rédaction du rapport d'information, ils se sont montrés ouverts et attentifs à mes demandes de différenciation de mes analyses divergentes.

Néanmoins, si nos travaux ont bien été transpartisans, les conclusions du rapport d'information ne le sont pas, au moins sur le sujet dont nous venons de discuter et qui constitue une ligne rouge. Le monde politique et médiatique dans lequel nous vivons écrase les visions nuancées, au bénéfice de raccourcis, et il ne sera pas possible de restituer notre travail parlementaire dans sa complexité. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est fermement opposé à la dénonciation de l'accord de 1968 et nous ne pouvons pas être soupçonnés d'y souscrire. Nous ne pouvons donc pas être co-auteurs, au travers de ma signature, d'un rapport contenant cette recommandation.

Cet accord est indissociable de l'histoire singulière et complexe qui lie notre pays et l'Algérie, et dont nombre de nos concitoyens sont les héritiers. Il s'inscrit dans une histoire marquée par 132 ans de colonisation, dont huit années de guerre d'indépendance, et six décennies de relations bilatérales sinueuses. Les auditions n'ont pas mis en évidence de façon claire et unanime la nécessité de dénoncer cet accord, même en dernier ressort.

Toutefois, je tiens à saluer les apports de la mission d'information, surtout en ce qui concerne la coopération transfrontalière avec le Royaume-Uni. Les auditions ont montré que ce qui se passe dans le Calaisis et sur les côtes de la Manche constitue le dysfonctionnement le plus criant en matière migratoire. Je remercie Muriel Jourda et Olivier Bitz d'avoir bien voulu intégrer aux préconisations le cofinancement du dispositif humanitaire par le Royaume-Uni, la mise en place de voies de migration légales et la nécessité de repenser un accord à l'échelle européenne. Ces demandes émanent notamment des maires du littoral.

Pour toutes ces raisons et parce que nous ne voulons pas contribuer à faire des Algériens les victimes des obsessions et lubies migratoires bien trop répandues dans le débat public, les socialistes ne souhaitent pas être co-auteurs de ce rapport.

M. Christophe-André Frassa, président. - Nous prenons acte de cette déclaration et de votre volonté de ne pas faire figurer votre nom dans le rapport d'information.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Je tiens à dire que nous avons aussi apprécié de travailler avec Corinne Narassiguin dans le cadre de cette mission.

Les autres recommandations sont adoptées.

M. Christophe-André Frassa, président. - Le titre suivant est proposé : « Les instruments migratoires internationaux : mettre fin à la cacophonie. Dix-huit recommandations pour une politique migratoire internationale plus cohérente ».

Le titre du rapport d'information est adopté.

La commission adopte le rapport d'information ainsi rédigé et en autorise la publication.

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