B. LA DÉNONCIATION DE L'ACCORD, UNE HYPOTHÈSE DE DERNIER RESSORT MAIS QUI NE DEVRAIT PLUS ÊTRE ÉCARTÉE

1. La nécessité de mettre un terme au statu quo

Si la commission soutiendrait sans réserve toute initiative visant à relancer les négociations pour la conclusion d'un nouvel amendement, elle considère en revanche que d'autres voies doivent être explorées. Les discussions sur le sujet semblent aujourd'hui gelées et l'hypothèse d'une reprise à moyen terme peu crédible. Alors que la relation bilatérale entre la France et l'Algérie a déjà connu de nombreux soubresauts sur la période récente, la dernière évolution de la position de la France sur le dossier du Sahara occidental semble avoir ouvert une crise durable. Pour rappel, l'Algérie a rappelé son ambassadeur en France en réaction à cette nouvelle position française. Si la conclusion d'un nouvel avenant à l'accord du 27 décembre 1968 serait donc effectivement la méthode la plus appropriée en matière migratoire, elle est donc à ce jour probablement illusoire.

Il semble pourtant impératif de se donner les moyens de mettre un terme au statu quo, et ce pour au moins quatre raisons.

Premièrement, la commission souscrit à la théorie selon laquelle les dérogations très avantageuses octroyées par l'accord du 27 décembre 1968 n'ont plus de justification historique évidente. Les circonstances ayant présidé à la conclusion de cet accord ne sont aujourd'hui plus réunies. Il semblerait dès lors naturel de le faire évoluer, comme cela a pu être fait au demeurant avec l'État tunisien. Si elle semble parfois perçue comme telle en Algérie, la délivrance d'un visa ou l'admission au séjour n'a rien d'un droit et la France est légitime à vouloir faire évoluer un accord dont les stipulations datées lui sont objectivement défavorables.

Deuxièmement, l'accord du 27 décembre 1968 semble effectivement favoriser une immigration d'installation qui ne correspond pas aux priorités établies par la France en matière migratoire. Si la mission d'information admet que la prégnance de l'immigration familiale découle de facteurs historiques, l'écart avec les autres pays du Maghreb laisse néanmoins dubitatif. Pour rappel, l'immigration familiale représente plus de la moitié du total pour l'Algérie (55 %) contre un peu moins d'un tiers pour le Maroc (30 %).

Ce régime de faveur est troisièmement d'autant plus injustifié qu'il ne s'accompagne aucunement d'un surcroît de coopération en matière de lutte contre l'immigration irrégulière. Le constat d'une coopération très largement insuffisante est ainsi très régulièrement réitéré par la commission des lois208(*). Il s'agit pourtant d'un enjeu majeur, dès lors que les Algériens représentent aujourd'hui plus du quart des étrangers interpellés en situation irrégulière et que les taux de délivrance des laissez-passer consulaires dans les délais demeurent très insatisfaisants.

Nombre d'interpellations d'étrangers en situation irrégulière par nationalité

 

2020

2021

2022

2023 (S1)

Total

107 515

120 898

119 386

62 793

Algérienne

16 450

25 056

32 565

17 107

Marocaine

8 712

10 219

10 077

5 534

Tunisienne

7 064

8 219

9 624

6 204

Afghane

4 699

4 497

5 233

2 215

Source : Réponses au questionnaire budgétaire pour le PLF pour 2024

Du reste, le ministre de l'intérieur, Bruno Retailleau, a souligné le même paradoxe au cours de son audition devant la commission : « en 2023, 209 708 visas ont été accordés, soit une hausse de 60 % par rapport à 2022. À titre de comparaison, l'an dernier, moins de 2 000 laissez-passer consulaires ont été accordés [...] Dans les centres de rétention administrative (CRA), 40 % des retenus ont la nationalité algérienne. Il y a donc un problème ».

Une coopération consulaire à géométrie variable

 

Mesures éloignement prononcées

Mesures éloignement exécutées*

Demandes LPC instruites

Taux de reconnaissance de la nationalité

Taux de délivrance dans les délais

 

2023

Algérie

25 737

2 562

3 193

47,1 %

34,9 %

Maroc

10 953

1 104

994

55,1 %

37,1 %

Tunisie

12 006

887

1 214

47,4 %

33,9 %

 

2022

Algérie

27 645

1 876

2 092

66,4 %

46 %

Maroc

10 654

945

656

63,3 %

54,4 %

Tunisie

10 516

785

727

62,2 %

43,9 %

 

2021

Algérie

21 452

754

927

51,7 %

5,8 %

Maroc

9 701

844

775

62,3 %

43,1 %

Tunisie

8 446

621

865

58,4 %

41 %

 

2020

Algérie

16 238

828

1 118

50 %

28,2 %

Maroc

8 596

750

438

49,5 %

37,2 %

Tunisie

6 976

531

616

55 %

39,4 %

 

2019

Algérie

15 828

2 352

2 027

64,1 %

56,3 %

Maroc

9 224

1 561

1 073

63 %

56,7 %

Tunisie

7 271

1 276

1 181

63,2 %

52,8 %

 

2018

Algérie

13 905

1 866

1 918

57,6 %

47,3 %

Maroc

8 458

1 443

909

56,3 %

41,8 %

Tunisie

6 705

974

1 176

53 %

38,9 %

* Hors départs volontaires aidés et départs spontanés

Source : DGEF, rapports remis au Parlement en application de l'article L. 111-10 du Ceseda

Quatrièmement, il apparaît à tout le moins étonnant qu'un tel régime de faveur soit accordé aux ressortissants d'un État qui utilise régulièrement la France comme bouc émissaire dans ses discours, y compris en guise de diversion vis-à-vis de ses propres défaillances. Les auditions conduites par la mission d'information ont ainsi démontré à quel point la France pouvait encore être ouvertement, violemment et régulièrement montrée du doigt dans les prises de parole du pouvoir algérien. S'il est fondamental de distinguer l'État algérien et les Algériens eux-mêmes, il n'en demeure pas moins paradoxal qu'un régime aussi favorable en matière migratoire puisse être maintenu face à des discours aussi vigoureux.

La commission ne peut que constater la nouvelle détérioration dans les relations avec la partie algérienne, avec le rappel de l'ambassadeur Saïd Moussi, le traitement infligé à Boualem Sansal, bi-national franco-algérien, la convocation de l'ambassadeur de France en Algérie, ainsi que les difficultés rencontrées dans l'expulsion vers l'Algérie d'influenceurs auteurs de troubles à l'ordre public.

2. La dénonciation unilatérale : une hypothèse désormais ouvertement évoquée

Partant de ce bilan, il est frappant de constater que l'hypothèse d'une dénonciation unilatérale de l'accord franco-algérien, longtemps évoquée à mots feutrés, est désormais ouvertement envisagée dans le débat public, et ce y compris de la part de personnalités de premier plan.

L'une des prises de position les plus notables en la matière est celle de Xavier Driencourt, qui a exercé à deux reprises les fonctions d'ambassadeur de France en Algérie. Dans une note publiée en mai 2023209(*), celui-ci a appelé à une dénonciation unilatérale de l'accord du 27 décembre 1968 dans les termes suivants : « On peut se demander quel intérêt nous aurions à prolonger un tel régime au bénéfice d'un État qui, de son côté ne respecte pas les obligations qui lui incombent, notamment en ce qui concerne la mise en oeuvre des laissez-passer consulaires, indispensable à l'exécution des OQTF. Plus généralement, on ne voit plus les raisons pour lesquelles nous devrions maintenir un tel dispositif dérogatoire alors que le contexte politique global et les conditions économiques ont si profondément changé [...] La spécificité algérienne, sous la forme de ces droits exorbitants accordés aux Algériens au nom de l'histoire n'a plus de raison d'être au XXIe siècle ».

Lors de son audition devant la commission le 27 novembre 2024, le ministre de l'intérieur Bruno Retailleau, s'exprimant en son nom personnel, a défendu une position tout aussi tranchée : « À titre personnel, je suis favorable à la dénonciation de cet accord, car il est question de droits exorbitants du droit commun et de dérogations que plus rien ne justifie. L'Algérie vole de ses propres ailes depuis de nombreuses années, et c'est tant mieux : peut-être que nos deux pays pourraient se rendre mutuellement service en s'oubliant un peu l'un l'autre, notamment en matière d'accords migratoires ».

L'opportunité de dénoncer cet accord a par ailleurs d'ores et déjà fait l'objet d'un débat parlementaire. En juin 2023, des propositions de résolution appelant à une telle dénonciation ont ainsi été déposées simultanément par les groupes « Les Républicains » de l'Assemblée nationale et du Sénat210(*). Les arguments avancés en appui de cette démarche reprenaient la même tonalité. Cette proposition a été discutée le 7 décembre 2023 à l'Assemblée nationale, dans le cadre d'une niche parlementaire211(*).

3. De nombreuses variables à prendre en considération
a) En matière migratoire, un effet potentiellement ambivalent

La mission d'information ne remet pas en cause les incertitudes qui entourent les conséquences d'une fin de l'application de l'accord du 27 décembre 1968 en matière migratoire. S'agissant de l'immigration régulière, l'alignement sur le régime du droit commun semble juridiquement certain même si ses effets ne seraient pas immédiats. Comme l'a rappelé l'ancienne ministre déléguée chargée du commerce extérieur et des français de l'étranger Sophie Primas au cours de son audition, « les effets de cette dénonciation ne seraient pas immédiats, puisqu'un préavis de douze mois à partir de sa notification
- délai reconnu comme raisonnable par la convention de Vienne sur le droit des traités - devrait être respecté »
. D'éventuels ajustements pour traiter les situations en cours pourraient par ailleurs s'avérer nécessaires. Concrètement, cet alignement pourrait effectivement contribuer à une meilleure maîtrise de l'immigration familiale, même si un tel rééquilibrage doit être envisagé à moyen terme.

L'impact sur l'immigration irrégulière est quant à lui encore plus incertain, ne serait-ce que parce qu'une dénonciation unilatérale se traduirait probablement par un arrêt complet immédiat de la coopération de la part des autorités algériennes. Il est ainsi plus que probable que plus aucun laissez-passer consulaire ne soit temporairement délivré, comme cela a pu être le cas lors de la « crise des visas ».

Ce risque a notamment été souligné par l'ambassadeur chargé des migrations au cours de son audition : « en cas de dénonciation de l'accord franco-algérien, la baisse de l'immigration familiale qui pourrait en être attendue sera difficile à évaluer, de même que ses répercussions sur le moyen et long terme. En revanche, la charge symbolique et éventuellement politique affectant cette dénonciation devra être assumée sans délai ».

b) Le régime juridique applicable en cas de dénonciation : une question a priori tranchée

La mission d'information est ensuite consciente que l'opportunité d'une dénonciation unilatérale de l'accord du 27 décembre 1968 doit être appréciée au regard de multiples variables, qui ne sont pas toutes d'ordre migratoire. Une première question, a priori tranchée, serait celle du régime applicable aux ressortissants Algériens en matière migratoire à la suite de la dénonciation.

Sur ce point, la mission d'information partage sans réserve l'analyse des services de l'État selon laquelle une dénonciation de l'accord entraînerait l'application du droit commun vis-à-vis des ressortissants algériens. L'hypothèse parfois évoquée d'un retour aux accords d'Évian est en tout état de cause juridiquement infondée, quand bien même les autorités algériennes ne manqueraient probablement pas de la défendre pour des raisons politiques.

Le raisonnement juridique permettant d'aboutir à cette conclusion a été exposé avec minutie par le ministre de l'intérieur Bruno Retailleau lors de son audition devant la commission le 27 novembre 2024. Cet exposé, qui ne souffre d'aucune contestation, est reproduit ci-dessous.

« L'accord du 27 décembre 1968 ne comportant pas de clauses de dénonciation par l'une ou l'autre des parties, c'est le droit international commun qui s'appliquerait, c'est-à-dire, en l'espèce, la convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités. En vertu de ladite convention, la dénonciation unilatérale d'un traité n'est pas autorisée à l'exception de deux considérations : soit, d'une part, s'il est montré qu'il entrait dans l'intention des parties d'admettre la possibilité d'une dénonciation ; soit, d'autre part, si le droit de dénonciation peut être déduit de la nature du traité.

« L'analyse de nos services est ainsi qu'il pourrait être soutenu que l'accord de 1968 fait partie des traités qui n'ont pas vocation à être perpétuels, comme peuvent l'être les traités de paix ou les traités délimitant les frontières. La matière même de l'accord franco-algérien est en effet bien différente de la fixation des frontières, qui sont là pour toujours, et est davantage liée à un moment de la vie économique et sociale des pays : selon notre analyse juridique, l'accord ne fait donc pas partie de la catégorie des traités qui ne pourraient pas être dénoncés.

« Certes, le texte de l'accord de 1968 fait référence, dans son préambule, à la déclaration de principe des accords d'Évian, les autorités algériennes en tirant la conclusion que la dénonciation du texte équivaudrait à mettre fin auxdits accords. Selon elles, cette dénonciation ramènerait au statu quo ante, c'est-à-dire à la libre circulation entre les deux pays telle qu'elle existait de facto avant l'indépendance.

« Cette analyse est erronée et il serait légitime, d'après la direction juridique du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, que la France invoque le droit coutumier tel qu'inscrit dans l'article 59 de la convention de Vienne, en vertu duquel un traité postérieur doit être tenu comme abrogeant un traité antérieur dans l'hypothèse où le traité subséquent réglemente la même matière - en cas d'incompatibilité entre deux traités.

« De toute évidence, le traité de 1968 n'avait pas pour vocation de compléter les accords d'Évian, mais de s'y substituer, car le principe de liberté totale d'installation inscrit dans les accords d'Évian paraissait incompatible avec celui des restrictions et des conditions de séjour. La nature même de l'accord de 1968 bat en brèche l'idée selon laquelle nous pourrions revenir purement et simplement aux accords d'Évian ».

Il ressort de cette analyse, d'une part, qu'aucun obstacle juridique ne s'opposerait à une dénonciation par la France de l'accord du 27 décembre 1968 et, d'autre part, que le droit commun serait alors applicable aux ressortissants algériens. La mission d'information considère ainsi que l'hypothèse d'une application des accords d'Évian n'est pas fondée.

c) Des mesures de rétorsion inévitables dans tous les domaines de coopération

Une seconde question a trait à l'ampleur et à l'effet des mesures de rétorsion que la France pourrait subir de la part des autorités algériennes.

Une telle dénonciation revêtirait probablement l'effet d'une déflagration. Comme cela a été systématiquement exposé au cours des auditions, elle exposerait la France à de multiples mesures de rétorsion de la part de l'État algérien, lequel pourrait probablement arguer du soutien de sa population.

Ces mesures de rétorsion seraient tout d'abord d'ordre diplomatique. Au-delà des manifestations de mécontentement diplomatique usuelles, une mise à l'arrêt de l'ensemble des dispositifs de coopération serait probablement immédiatement actée. Le précédent de la « crise des visas » est particulièrement instructif sur ce point ; il a démontré à quel point l'imposition unilatérale d'une mesure en matière migratoire pouvait affecter l'ensemble de la relation franco-algérienne.

Des conséquences devraient également être attendues sur le plan économique. Il est ainsi probable que l'accès au marché algérien soit réduit pour les exportateurs français. Au niveau stratégique, la coopération sécuritaire franco-algérienne pâtirait sans doute très fortement de cette dégradation des relations diplomatiques, en particulier s'agissant du suivi de la situation au Sahel.

Du reste, le Gouvernement s'est systématiquement appuyé sur ces différents arguments pour défendre son opposition à toute dénonciation unilatérale de l'accord du 27 décembre 1968. L'ancienne secrétaire d'État chargée de l'Europe, Laurence Boone, avait par exemple utilisé les termes suivants en réponse à une question orale à l'Assemblée nationale : « La dénonciation sèche de cet accord n'est pas pertinente, pour des raisons tant juridiques que politiques. Elle ne règlerait absolument pas les difficultés, comme vous le prétendez, mais présenterait au contraire des inconvénients majeurs ; nous serions alors collectivement perdants »212(*).

Les propos de l'ancien ministre délégué au commerce extérieur Olivier Becht lors du débat à l'Assemblée nationale sur la proposition de résolution précitée offrent également un bon résumé de cette approche : « Cette dénonciation nous exposerait à une réaction des autorités algériennes, qui aurait de sérieuses conséquences et pourrait conduire à geler notre dialogue migratoire. Un tel gel mettrait fin à la délivrance des laissez-passer consulaires par les consulats algériens en France... et donc, à la possibilité pour la France de faire réadmettre les ressortissants algériens en séjour irrégulier [...] Nos relations militaires et sécuritaires avec l'Algérie pourraient être affectées par la dénonciation de cet accord, avec des conséquences directes sur la sécurité de la France et des Français, notamment en matière de lutte contre le terrorisme, les réseaux criminels et l'immigration illégale [...] Par ailleurs, en tant que ministre délégué chargé du commerce extérieur, permettez-moi de rappeler que l'Algérie est notre deuxième partenaire commercial en Afrique et que la France est le deuxième partenaire commercial de l'Algérie. Des entreprises et des emplois français seraient indirectement menacés par la dénonciation de cet accord ; celle-ci n'est donc pertinente ni du point de vue juridique ni du point de vue politique [...] Plutôt que de dénoncer l'accord et d'aller ainsi droit vers une crise politique, diplomatique et migratoire, travaillons, au contraire, à l'amender. C'est la voie de la responsabilité ». 

d) Une réflexion qui doit être élargie à d'autres engagements conclus avec l'Algérie

Si les débats actuels se concentrent principalement sur l'avenir de l'accord du 27 décembre 1968, l'accord du 16 décembre 2013 sur l'exemption réciproque de visas de court séjour pour les titulaires d'un passeport diplomatique ou de service suscite également nombre d'interrogations.

La question de l'opportunité d'un tel régime d'exemption a en effet été plusieurs fois portée à l'attention de la mission d'information au cours de ses travaux. Compte tenu du contexte évoqué précédemment, on peut en effet s'étonner qu'un tel régime d'exemption, fusse-t-il réciproque, soit considéré comme acquis. Le nombre de passeports diplomatiques ou de service algériens en circulation n'est en outre pas connu. De fait, l'avenir de cet accord est intrinsèquement lié à celui de l'accord du 27 décembre 1968 et ces deux instruments doivent faire l'objet d'une réflexion commune.

Du reste, l'hypothèse d'une dénonciation de cet accord a été ouvertement évoquée le 12 janvier 2025 par Gérald Darmanin, ministre de la justice. Celui-ci a ainsi plaidé pour « supprimer cette facilité », considérant, d'une part, que « « toucher les dirigeants ou la plupart des dirigeants algériens qui ont la position de décision d'humiliation [...] paraît plus intelligent, plus efficace, et peut se faire très rapidement » et, d'autre part, que ces « mesures de rétorsion [auraient l'avantage de ne pas toucher] les 10 % de nos compatriotes qui ont des liens de sang, de sol, de culture, y compris les pieds-noirs ».

L'accord franco-algérien du 16 décembre 2013 sur l'exemption réciproque de visas de court séjour pour les titulaires d'un passeport diplomatique ou de service

Celui-ci a remplacé un accord en date du 10 juillet 2007 dont le périmètre était limité aux seuls passeports diplomatiques. Relativement brefs, ses huit articles fixent le principe d'une exemption de visa de court-séjour pour les Algériens ou les Français titulaires d'un passeport diplomatique ou de service se déplaçant - en mission ou à titre privé - sur le territoire de l'autre partie (article 1er et 2). Conformément aux règles du code des visas Schengen, le ou les séjours concernés ne doivent pas excéder 90 jours sur une période totale de 180 jours. Au-delà, les intéressés sont soumis à une obligation de visa (article 3). L'accord comprend par ailleurs des dispositions précisant que :

- les intéressés doivent respecter la législation en vigueur dans l'État partie lors de leur séjour (article 4) ;

- les parties s'informent mutuellement des conditions d'attribution et d'emploi de ces passeports (article 5) ;

- les difficultés d'application de l'accord sont réglées par voie diplomatique (article 6).

Cet accord a été conclu pour une durée indéterminée, avec une possibilité de modification par l'adjonction de protocoles distincts (article 7). Il peut enfin être dénoncé unilatéralement par écrit avec un préavis de 90 jours, ou suspendu totalement ou partiellement par l'une ou l'autre des parties avec une notification par la voie diplomatique (article 8). Le contenu de cet accord est conforme aux standards observés en la matière et n'appelle pas, en tant que tel, d'observation des rapporteurs.

4. La position de la commission : une hypothèse de dernier ressort, mais qui ne peut plus être exclue

Si la commission n'a pas remis en cause la légitimité de ces arguments, elle a néanmoins estimé qu'ils ne pouvaient servir de prétexte à un maintien indéfini du statu quo.

Au niveau diplomatique, force est de constater que la position d'ouverture de la France n'a rien donné et que l'approche coopérative a vécu. En termes migratoires, nul ne peut se satisfaire du maintien d'un régime dont les avantages historiquement datés sont sans équivalent vis-à-vis d'autres États tiers et dont la France ne tire aucune contrepartie. Le niveau de coopération discutable de l'Algérie en matière de lutte contre l'immigration irrégulière offre ainsi un contraste saisissant avec les avantages dont elle bénéfice en matière d'immigration régulière.

La fin de l'application de l'accord du 27 décembre 1968 aurait inévitablement de multiples conséquences, qu'il serait imprudent de ne pas anticiper. La commission considère néanmoins que l'importance des enjeux justifie l'établissement d'un rapport de force pour obtenir une renégociation de cet accord plus conforme aux intérêts des deux parties ou, en cas d'échec, pour définitivement mettre un terme à cette situation profondément insatisfaisante.

En conséquence, la commission recommande d'engager un nouveau cycle de discussions en vue de la conclusion d'un nouvel avenant à l'accord du 27 décembre 1968 et, à défaut, de mettre un terme à son application. Par cohérence, l'accord du 16 décembre 2013 sur l'exemption réciproque de visas de court séjour pour les titulaires d'un passeport diplomatique ou de service devrait alors également être dénoncé.

Proposition n° 18 : Engager un nouveau cycle de négociations avec l'Algérie afin de rééquilibrer le régime dérogatoire d'admission au séjour et de circulation prévu par l'accord du 27 décembre 1968.

Tirer les conséquences d'un éventuel échec en mettant fin à son application. Par cohérence, mettre également fin à l'application de l'accord du 16 décembre 2013 sur l'exemption réciproque de visas de court séjour pour les titulaires d'un passeport diplomatique ou de service.


* 208 Voir notamment : François-Noël Buffet, rapport d'information n° 626 (2021-2022), «  Services de l'État et immigration : retrouver sens et efficacité », 10 mai 2022 ; Muriel Jourda et Philippe Bonnecarrère, Avis n° 134 (2023-2024) sur le projet de loi de finances, «  Immigration, asile et intégration », 23 novembre 2023.

* 209 Xavier Driencourt, « Politique migratoire : que faire de l'accord franco-algérien de 1968 ? », Fondapol, mai 2023.

* 210 Sénat, proposition de résolution n° 772 (2022-2023) de Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues appelant à la dénonciation par les autorités françaises de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, 26 juin 2023 ; Assemblée nationale, proposition de résolution n° 1325, XVIe législature, de Éric Ciotti et plusieurs de ses collègues, 6 juin 2023.

* 211 La proposition a été rejetée à 151 voix contre, 114 voix pour et 2 abstentions (scrutin public n° 3183).

* 212 Assemblée nationale, XVIe législature, Question orale n° 1413, Réponse de Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe.

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