B. UN STATUT SPÉCIAL POUR L'ESSENTIEL FAVORABLE AUX ALGÉRIENS
Si les avenants successifs à l'accord du 27 décembre 1968 ont rapproché le statut spécial dont bénéficient les Algériens du droit commun, cette dynamique s'est interrompue par la suite. La dernière révision de l'accord date d'il y a plus de vingt ans, si bien que les modifications législatives intervenues depuis lors en matière d'admission au séjour ne sont pas applicables aux Algériens. Alors que les deux régimes de regroupement familial étaient identiques en 2001, ce n'est par exemple plus le cas aujourd'hui.
Si la comparaison des deux régimes laisse entrevoir des similarités, de nombreuses divergences subsistent. En particulier, les Algériens ne peuvent toujours bénéficier que de deux catégories de titres de séjour : les certificats de résidence valables un an ou dix ans.
La question du caractère favorable (ou non) du régime dérogatoire dont bénéficient les Algériens est âprement débattue. La comparaison ligne à ligne des stipulations figurant dans l'accord du 27 décembre 1968 avec le droit commun effectuée par la mission d'information laisse pourtant peu de place au doute. D'un côté, les Algériens bénéficient majoritairement de règles plus favorables, voire beaucoup plus favorables que le droit commun. D'un autre côté, il ne peut être nié l'accord est ponctuellement moins-disant que les règles fixées par le Ceseda. La mission d'information relève néanmoins que les stipulations pouvant être considérées comme défavorables aux Algériens sont peu nombreuses et concernent pour l'essentiel des points mineurs de l'accès au séjour. Celles-ci ne sauraient donc remettre en cause le constat général d'un régime très avantageux pour les Algériens. La mission d'information relève par ailleurs que cette conclusion a fait l'objet d'un important consensus au cours de ses auditions.
Concrètement, les avantages tirés des dérogations instituées par l'accord du 27 décembre 1968 sont variables selon le motif d'admission au séjour.
Schématiquement, le régime établi par l'accord est très favorable aux Algériens en matière d'immigration familiale - la DGEF qualifie elle-même ces conditions de « très avantageuses » -, plutôt favorable s'agissant de l'immigration professionnelle et très légèrement défavorable pour ce qui est de l'immigration étudiante. L'évaluation conduite en 2023 par Muriel Jourda et Philippe Bonnecarrère dans le cadre des travaux budgétaires de la commission des lois a permis d'identifier les points les plus saillants de cette comparaison205(*). Il en résulte que les quatre principaux points apparaissant comme plus favorables aux Algériens que le droit commun sont les suivants : l'existence de voies autonomes d'accès au séjour, des conditions de délivrance plus souples pour certains titres, un accès facilité aux titres de séjour de longue durée ainsi qu'un régime de regroupement familial plus souple. A contrario, ces travaux ont mis en relief que la comparaison était plutôt en défaveur des Algériens sur les quatre points suivants : un régime des visas moins diversifié ; une admission au séjour pour motif étudiante moins avantageuse, l'absence de titre pluriannuel intermédiaire et l'inapplicabilité de dispositions permettant la délivrance immédiate d'un titre de longue durée.
Le travail sur les textes et les auditions menées par les rapporteurs dans le cadre de la mission d'information ont permis de conforter pleinement cette appréciation.
En complément de ces éléments transversaux, une comparaison point par point des deux régimes d'admission au séjour figure dans le tableau n°1 présenté en annexe. Si l'énumération de l'ensemble des dérogations qui y sont retranscrites serait fastidieuse, les plus favorables d'entre elles méritent néanmoins d'être citées in extenso, en particulier en matière d'immigration familiale.
Comme l'ont rappelé d'une même voix la DGEF et l'ambassadeur chargé des migrations au cours de leurs auditions, les dérogations sont particulièrement avantageuses pour les Algériens s'agissant :
- des conjoints de français : ils ne sont pas soumis à l'obligation de présenter un visa long séjour et l'absence de communauté de vie entre les époux ne leur est pas opposable lors de la primo-délivrance d'un certificat de résidence d'un an. Ils obtiennent par ailleurs de droit un certificat de résidence de dix ans après un an de mariage, contre trois ans dans le droit commun ;
- des parents d'enfants français : ils obtiennent un certificat de résidence d'un an s'ils exercent même partiellement l'autorité parentale ou s'ils subviennent effectivement aux besoins de l'enfant, alors que ces conditions sont cumulatives dans le Ceseda. En outre, un certificat de résidence de dix ans est délivré dans les mêmes conditions au bout d'un an, contre cinq ans dans le droit commun ;
- du regroupement familial : la condition de résidence pour le regroupant est d'un an contre 18 mois en droit commun et, surtout, le titre délivré au regroupé est identique à celui du regroupant. Il en résulte qu'un certificat de résidence valable dix ans peut être primo-délivré. Le calcul de la condition de ressources est également plus avantageux en ce que l'exclusion de certaines prestations et allocations ne s'applique pas aux Algériens ;
- du régime d'admission au séjour des Algériens établis en France de longue date : un certificat de résidence valable dix ans peut ainsi être délivré par l'administration au bout de trois ans de séjour régulier contre en général cinq dans le droit commun. La délivrance de droit d'un certificat de résidence d'un an pour les Algériens justifiant de dix ans de présence habituelle en France s'apparente quant à elle à un droit à la régularisation sans équivalent206(*).
En matière professionnelle, la DGEF a également rappelé que les ressortissants algériens souhaitant exercer en France une activité commerciale, artisanale ou industrielle obtiennent un certificat de résidence d'un an portant la mention « commerçant ». Juridiquement, l'administration ne peut toutefois vérifier la viabilité économique du projet et la possibilité d'en retirer des moyens d'existence suffisants. Selon la DGEF « les préfectures relèvent [en conséquence] de nombreux détournements de son objet notamment par les étudiants arrivant en fin de cursus ou n'ayant pas obtenu leur diplôme ».
La DGEF a par ailleurs rappelé que « certaines modalités de délivrance de titre prévues dans le droit commun ne sont pas applicables [aux ressortissants algériens], telles que le respect des conditions d'intégration républicaine lors de la délivrance d'un CRA de dix ans ou la signature du contrat d'intégration républicaine ». Doivent par ailleurs être ajoutés à cette liste les éléments précités s'agissant des marges de manoeuvre limitées de l'administration en matière de refus, retraits et dégradations des certificats de résidence.
À l'inverse, certaines dérogations au droit commun sont en défaveur des ressortissants algériens. En matière de visas, ces derniers ne bénéficient tout d'abord pas des « VLS-TS »207(*) et doivent donc systématiquement solliciter un certificat de résidence au cours de la période de validité de leur visa d'entrée.
Du point de vue de la nature des titres de séjour qui leur sont ensuite accessibles, les Algériens ne peuvent prétendre à aucun titre pluriannuel « intermédiaire » ; seuls des certificats de résidence d'un an ou de dix ans peuvent leur être délivrés. Alors que les ressortissants d'autres États peuvent prétendre à une carte de séjour pluriannuelle valable quatre ans à l'issue de leur première année de séjour, les Algériens doivent en conséquence procéder à des renouvellements annuels jusqu'à ce qu'ils puissent prétendre à un certificat de résidence valable dix ans. Un autre exemple régulièrement cité est celui de l'inéligibilité au dispositif des « cartes talents », dont la DGEF a rappelé qu'il était « particulièrement avantageux pour les publics d'attractivité, puisqu'il permet de déroger à la procédure de regroupement familial et d'obtenir une carte de séjour pluriannuelle dès la première délivrance ».
Si l'on examine ensuite les motifs d'admission au séjour, les étudiants sont ceux qui semblent être le plus objectivement défavorisés par l'accord du 27 décembre 1968. Le certificat de résidence « étudiant » ne vaut en effet pas autorisation de séjour et, le cas échéant, les étudiants ne peuvent travailler que dans la limite de 50 % de leur temps contre 60 % dans le droit commun. Surtout, la carte de séjour pluriannuelle « étudiant » n'a pas d'équivalent dans l'accord de 1968, ce qui contraint les étudiants Algériens à solliciter annuellement un renouvellement de leur certificat de résidence.
La mission d'information considère que ces éléments sont trop ponctuels et limités pour modifier la conclusion selon laquelle le régime établi par l'accord du 27 décembre 1968 est favorable aux Algériens.
* 205 Muriel Jourda et Philippe Bonnecarrère, avis n° 134 (2023-2024) sur le projet de lois de finances, « Immigration, asile et intégration », 23 novembre 2023.
* 206 Sur ce point, il est intéressant de rappeler qu'une disposition analogue figurant dans l'accord franco-tunisien de 1983 a été supprimée à la faveur de la conclusion de l'accord de gestion concertée et de codéveloppement en 2008.
* 207 Pour visas long-séjour valant titre de séjour, qui font office de titre de séjour pendant une durée maximale d'un an.