C. ADAPTER L'ETAT LOCAL POUR ACCOMPAGNER LE CHOC RÉGALIEN
Le renforcement de l'action des forces de sécurité intérieure et de la justice et le changement de posture appelé de nos voeux sont les deux clefs de la réussite du choc régalien.
Cette stratégie doit néanmoins être accompagnée, d'une part, par la clarification de l'organisation de l'État autour d'un préfet consolidé dans ses missions et sa capacité d'initiative et, d'autre part, une gestion sur-mesure des ressources humaines.
1. Restaurer la centralité de l'État autour du préfet
Si l'image et l'autorité du représentant de l'État dans les outre-mer demeurent plus forte que dans l'Hexagone, pour des raisons historiques, administratives et géographiques, sa capacité réelle d'initiative et de supervision de l'action de l'État s'est érodée.
a) Renforcer l'autorité et l'autonomie d'action du représentant de l'État
(1) Accroître la liberté de déroger et d'adapter du préfet dans les outre-mer
À la suite d'une expérimentation démarrée en 2017, les préfets disposent d'un pouvoir de dérogation, encadré par le décret du 8 avril 202098(*). Les conditions d'exercice sont strictement identiques outre-mer et dans l'Hexagone. Le préfet de région ou de département peut déroger à des normes arrêtées par l'administration de l'État pour prendre des décisions non réglementaires relevant de sa compétence dans un nombre limité de matière. Ce pouvoir ne permet donc que de déroger à des dispositions de nature réglementaire - à l'exclusion donc de la loi et des normes internationales ou européennes - pour les décisions individuelles prises en considération de situations particulières.
Le bilan du recours à cette faculté par les représentants de l'État est timide partout. Le rapport de l'Inspection générale de l'administration (IGA) de mai 2024 dresse un constat très mitigé, le nombre moyen d'arrêtés de dérogation s'établissant à 1,5 arrêté par an et par département, étant précisé que la majorité concerne des dossiers de subventions.
Ce constat est encore plus défavorable outre-mer, alors même que les besoins d'adaptation dans les territoires ultramarins devraient a priori en faire le champ privilégié.
La saisine pour avis des administrations centrales par les préfets sur des projets de dérogation est un premier indicateur. Selon les données transmises par la DGOM, de juin 2020 à décembre 2023, 21 saisines sur 770 comptabilisées ont concerné les outre-mer, soit moins de 3% des saisines, principalement sur des sujets d'aménagement.
Sur les 21 saisines, 6 concernaient Mayotte, 5 La Réunion, 3 la Guadeloupe, 3 la Guyane, 2 la Martinique et 2 Saint-Martin et Saint-Barthélemy. 3 saisines ont donné lieu à un avis défavorable de l'administration centrale du fait qu'elles ne remplissaient pas les critères de la procédure.
9 arrêtés de dérogation signés ont été transmis, soit 2 % de l'ensemble des 429 arrêtés signés.
Ces chiffres, bien qu'incomplets99(*), traduisent le faible usage du droit de déroger en outre-mer.
Parmi les raisons de cet échec qui n'est pas propre aux territoires ultramarins, le rapport précité de l'IGA invoque plusieurs raisons :
- un nombre de matières restreint ;
- des dérogations limitées aux décisions individuelles ;
- un positionnement écartelé entre, d'une part, la recherche de l'intérêt général et l'efficacité de l'action publique et, d'autre part, la charge du strict respect des lois ;
- des services qui ont des difficultés à s'acculturer à cet outil innovant et complexe ;
- la crainte d'une mise en cause de la responsabilité du préfet...
La DGOM avance d'autres raisons. La retenue dont font preuve les préfets dans l'usage de leur pouvoir de dérogation s'expliquerait principalement par le fait que les points juridiques bloquant dans les territoires relèvent le plus souvent de champs non compris dans le périmètre actuel du droit de dérogation, à savoir du droit européen, des normes législatives ou des normes locales édictées par les collectivités ultramarines.
Par ailleurs, aucun contentieux contre une décision préfectorale de dérogation n'ayant été introduite à ce jour, ni contre les décisions de dérogation prises par des directeurs généraux des ARS, la crainte d'une mise en cause de la responsabilité juridique des préfets ne paraît pas être un des facteurs bloquant à ce stade.
Ce bilan mitigé du droit de dérogation des préfets - hexagonaux ou ultramarins - fait l'objet de discussions interministérielles en cours en vue de son élargissement.
Une première simplification de la procédure a d'ores et déjà été mise en oeuvre par la circulaire du Premier ministre du 28 octobre 2024. Les préfets peuvent dorénavant mettre en oeuvre leur pouvoir de dérogation sans information préalable du préfet de région et de l'administration centrale100(*).
Pour donner plus d'effectivité au droit de déroger dans les outre-mer, deux options non exclusives se dessinent.
La première consisterait à aménager le décret actuel, quitte à réserver les novations aux seuls outre-mer. Les représentants de l'État outre-mer se verraient ainsi reconnaître des facultés élargies de dérogation fondées sur l'article 73 de la Constitution qui doit permettre d'aller plus loin.
Tout d'abord, la liste limitative des domaines de politiques publiques auxquelles le préfet peut déroger serait supprimée. Cette liste est actuellement fixée à l'article 1er du décret du 8 avril 2020.
Ensuite, il pourrait être envisagé d'ouvrir les dérogations à certains actes réglementaires, pas seulement à des décisions individuelles. Dans un premier temps, le champ de ces dérogations d'ordre réglementaire pourrait être limité aux aspects procéduraux ou à la définition de certains seuils d'applicabilité. À titre d'exemple, on rappellera que la plupart des arrêtés portant dérogation pris au titre du décret du 8 avril 2020 l'ont été sur des questions intéressant des procédures de demandes de subvention. Afin d'éviter aux représentants de l'État de multiplier les décisions individuelles identiques dérogeant à des dispositions similaires, une mesure d'ordre général suffirait.
Ce pouvoir réglementaire limitée serait soumis à la transmission préalable obligatoire au Premier ministre ou au ministre en charge. En l'absence d'opposition dans un certain délai, l'acte préfectoral de portée réglementaire serait publié.
Une seconde option consisterait à insérer plus régulièrement dans les textes de loi ou réglementaires une disposition permettant au représentant de l'État outre-mer de déroger.
Le rapport de l'IGA-IGF de mai 2024 précité a recensé plusieurs dizaines d'occurrences de tels dispositifs juridiques, qui ne sont pas propres aux outre-mer dans leur grande majorité101(*).
À titre d'exemple, l'article L. 121-5-1 du code de l'urbanisme dispose que dans les zones non interconnectées au réseau électrique métropolitain continental dont la largeur est inférieure à dix kilomètres au maximum, les ouvrages nécessaires à la production d'électricité à partir d'énergies renouvelables peuvent être autorisés par dérogation à la loi Littoral, après accord du représentant de l'État dans la région.
On rappellera aussi que dans certains domaines, les représentants de l'État outre-mer, dans des conditions étroitement encadrées par la loi et les règlements, exercent des compétences spécifiques :
- fixation du tarif des carburants, du gaz domestique, du ciment ;
- fixation du tarif des taxis ;
- fixation du prix des fermages des baux ruraux ;
- action de l'État en mer en l'absence de préfet maritime.
Pour mieux prendre en compte les caractéristiques et contraintes de ces territoires, les dispositions outre-mer des textes législatifs et réglementaires devrait prévoir plus systématiquement des facultés de déroger pour les préfets.
Recommandation n° 31 : En application de l'article 73 de la Constitution, accroître la liberté de déroger des préfets dans les outre-mer :
- en modifiant le décret du 8 avril 2020 pour étendre cette liberté à tous les domaines, à l'exception de ceux intéressant les libertés publiques et la sécurité, et à certains actes de nature réglementaire sous le contrôle du Premier ministre ou du ministre responsable ;
- en prévoyant plus fréquemment dans les textes de loi ou réglementaire une disposition permettant au représentant de l'État outre-mer de déroger à la norme dans certaines conditions.
(2) Reconcentrer les administrations sous l'autorité du préfet
En juillet 2020, le groupe de travail du Sénat sur la décentralisation a adopté « 50 propositions pour le plein exercice des libertés locales »102(*), en plaidant notamment pour un État plus déconcentré et une autorité renforcée du préfet.
Les propositions n° 33 et 34 notamment préconisaient que, d'une part, en cas de crise, l'État territorial soit placé sous l'autorité du préfet dans toutes ses composantes pour toutes les actions publiques relevant de cette crise et que, d'autre part, de manière pérenne, le département redevienne l'échelon pivot de l'action de l'État au plan local, en transférant notamment au préfet de département les décisions instruites par les agences et les services de l'État au niveau régional.
La proposition n° 33 a reçu une traduction législative à l'article 27 de la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur. Ces dispositions ont été codifiées à l'article L.742-2-1 du code de la sécurité intérieure.
Ce dispositif, tirant notamment les enseignements de la gestion de la crise Covid dans les territoires, est destiné à accélérer et perfectionner la gestion des crises graves : pour une période limitée, l'action de l'ensemble des services et des établissements publics de l'État ayant un champ d'action territorial est placée pour emploi sous l'autorité du représentant de l'État dans le département. Cette disposition ne peut excéder un mois, renouvelable une fois. Elle ne s'étend aux services de la justice.
Applicable en France entière, ce dispositif n'a été déclenché jusqu'à présent que deux fois :
- À Mayotte en 2023, dans le cadre de la gestion de la crise de l'eau après une sécheresse historique. Le préfet avait alors autorité sur les services du rectorat, de l'Agence régionale de Santé et de l'Office français de la biodiversité, pour les besoins de cette crise ;
- Le 17 décembre 2024, toujours à Mayotte, à la suite du passage dévastateur du cyclone Chido.
Bien que de nature différente, l'état de calamité naturelle exceptionnelle prévu par l'article 239 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration (dite loi 3DS) témoigne de la nécessité croissante, pour gérer les situations de crise lesquelles tendent à s'accélérer outre-mer, de sortir des schémas de gouvernance habituels.
L'article 239 de la loi 3 DS a été activé pour la première fois le 19 décembre 2024 à la suite du passage du cyclone Chido.
S'agissant de la proposition n° 34 du groupe de travail sur la décentralisation - faire en sorte que le département redevienne l'échelon pivot de l'action de l'État au plan local, en transférant notamment au préfet de département les décisions instruites par les agences et les services de l'État au niveau régional -, elle ne s'est pas encore traduite dans les faits, ni dans l'Hexagone, ni outre-mer.
Au contraire, l'agencification de l'État s'est renforcée, malgré les critiques des élus et acteurs de la société civile. Elle est particulièrement préjudiciable dans les outre-mer, car elle ajoute de la complexité et disperse les moyens dans des territoires manquant souvent d'ingénierie et en phase de rattrapage des politiques publiques.
Dans cet esprit, vos rapporteurs ne peuvent qu'appeler à la mise en oeuvre urgente et prioritaire d'une reconcentration de l'État outre-mer en plaçant a minima les délégations territoriales des agences et offices pour emploi auprès du préfet103(*). L'isolement des outre-mer et les libertés offertes par l'article 73 de la Constitution le justifient plus encore qu'ailleurs.
À cet égard, il est regrettable que la réforme de l'organisation des services de l'État en Guyane, entrée en vigueur le 1er janvier 2020, n'ait pas encore fait l'objet d'une évaluation réelle. Selon les informations communiquées par la préfecture de Guyane, un bilan d'étape devrait avoir lieu en 2025.
Ce retard est d'autant plus dommageable que cette réorganisation ambitieuse a été précisément conçue pour renforcer l'autorité du préfet et le fonctionnement interministériel des services de l'État sous son autorité et pour mutualiser les fonctions supports, y compris celle relevant des finances publiques et du rectorat.
L'importance de cette réforme en Guyane a d'ailleurs été soulignée en creux par le Premier ministre. En effet, dans sa courte annexe 7 relative au rôle du représentant de l'État, après avoir rappelé en deux brefs alinéas généraux l'autorité du préfet sur les services de l'État outre-mer104(*), la circulaire n° 6456-SG du 10 juillet 2024 relative à la coordination de l'action du Gouvernement dans les outre-mer décrit, sans transition, la réforme de l'organisation des services de l'État en Guyane en vigueur depuis 2020. Toutefois, aucune conséquence ou conclusion n'en est tirée (expérimentation, extension, ajustement, évaluation...). Comme souvent, prédomine le sentiment d'un mouvement de réforme amorcé ou resté au milieu du gué.
La réforme de l'organisation des services de l'État en Guyane
Le décret n° 2019-894 du 28 août 2019 relatif à l'organisation et aux missions des services de l'État en Guyane est entrée en vigueur le 1er janvier 2020.
Cette nouvelle organisation accorde au préfet des pouvoirs élargis et lui donne la main sur les crédits d'intervention ministériels. Cette réorganisation a été conçue pour mieux répondre aux principaux enjeux du territoire, en particulier la sécurité, la lutte contre les fraudes, contre l'immigration clandestine, le développement économique, la mission foncière ou encore la coopération avec le Suriname et le Brésil.
Le décret doit renforcer l'interministérialité au sein des services territoriaux de l'État. Ces services sont désormais regroupés en cinq directions régionales, dont l'une qui mutualise les fonctions support.
La direction générale des sécurités, de la réglementation et des contrôles est chargée des questions de sécurité, de la coordination des contrôles, de la police administrative, de la délivrance des titres et intègre l'état-major « Harpie 2 » (lutte contre l'orpaillage illégal).
La direction générale de la coordination et de l'animation territoriale assure la coordination des politiques publiques et les relations avec les collectivités territoriales.
Deux directions générales « métiers » regroupent les anciens services déconcentrés (la direction générale des territoires et de la mer105(*) et la direction générale des populations106(*)).
Enfin, la direction générale des moyens et ressources de l'État mutualise les fonctions support. Cette mutualisation concerne à la fois les services déconcentrés de l'État placés sous l'autorité du préfet et ceux de la direction des finances publiques, du rectorat et, sur une base conventionnelle, de l'agence de santé de Guyane.
L'article 3 du décret susvisé dispose en effet que « la direction générale de l'administration est un service déconcentré de l'État relevant du ministre de l'intérieur.
II.-Sous l'autorité du préfet et sous réserve des compétences attribuées à d'autres services ou établissements publics de l'État, elle est chargée :
1° D'assurer la gestion des fonctions et moyens mutualisés des services de l'État placés sous l'autorité du préfet dans les domaines de la formation, des ressources humaines, de la médecine de prévention, de l'action sociale interministérielle, de l'immobilier de l'État, des achats publics et des systèmes d'information et de communication ;
« 2° D'assurer la gestion relevant des fonctions budgétaires, des achats publics, de la logistique et de l'immobilier de la direction des finances publiques et du rectorat, et des moyens y afférents ; [...]
« 4° D'apporter un soutien à tout autre service déconcentré de l'État ou établissement public de l'État. [...] »
À terme, l'ensemble des services de l'État doivent être regroupés sur un nombre limité de sites (19 actuellement). Les travaux annoncés ont toutefois pris beaucoup de retard.
Vos rapporteurs ne peuvent donc que plaider pour une rapide évaluation de cette réforme, avant d'envisager son extension aux autres DROM.
Recommandation n° 32 : Expérimenter une déconcentration renforcée des services de l'État outre-mer, autour du préfet, réduire le nombre d'opérateurs par un redéploiement des ETP dans les services déconcentrés et évaluer prioritairement la réforme de l'organisation des services de l'État en Guyane en vue de sa possible généralisation aux autres territoires ultramarins.
Cette reconcentration de l'État outre-mer devrait s'accompagner d'une plus grande liberté dans la gestion des moyens budgétaires à la disposition des préfets. C'est indispensable pour initier des opérations innovantes adaptées aux réalités territoriales des politiques publiques. A cet égard, la circulaire du 10 juillet 2024 précitée rappelle que dans le cadre de la réforme de l'organisation des services de l'État en Guyane, « les crédits d'intervention des différents ministères mobilisés pour la Guyane dans le cadre du contrat de convergence et de transformation sont réunis dans une enveloppe unique, à l'image de ce qui existe pour le soutien de l'État à la Corse ».
Recommandation n° 33 : Laisser à la main des préfets des moyens budgétaires plus importants pour financer des opérations innovantes et adapter les politiques publiques aux réalités territoriales.
b) Un État local plus proche
Pour lutter contre l'insécurité outre-mer, une implantation territoriale forte des forces de sécurité est une exigence (voir II.A). Il en va de même pour l'ensemble des services publics, en particulier ceux de l'État et des services préfectoraux.
Au cours des dernières années, l'État a adapté ou adapte son implantation :
- création en 2023 d'une sous-préfecture à Saint-Georges-de-l'Oyapock ;
- annonce de la création d'une préfecture de plein exercice pour Saint-Barthélemy et Saint-Martin.
La création d'une préfecture de plein exercice de Saint-Martin et Saint-Barthélemy
À ce jour, les territoires de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy dépendent d'une sous-préfecture, dirigée par un préfet délégué placé sous l'autorité du préfet de Guadeloupe. Le chef-lieu de la sous-préfecture est à Saint-Martin.
Le 24 juillet 2023, lors de la présentation des 72 mesures du Comité Interministériel des Outre-mer (CIOM), la création d'une préfecture de plein exercice compétente pour les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy a été annoncée.
Cette annonce tire les conséquences des enjeux de développement de ces deux territoires ultramarins et de leur nécessité d'autonomisation. En effet, les deux îles se situent à près de 200km de la Guadeloupe. De plus, Saint-Martin et Saint-Barthélemy ont acquis en février 2007 le statut de collectivités d'outre-mer dotées de l'autonomie qui les détache du régime administratif du département de la Guadeloupe. Enfin, l'île de Saint-Martin est un cas particulier puisqu'elle est binationale, une partie française (Saint-Martin) et une autre partie néerlandaise (Sint Maarten), et qui donc nécessite une gestion spécifique.
Ce processus de détachement des services de l'État de la tutelle guadeloupéenne est engagé depuis plusieurs années. La compagnie de gendarmerie de Saint-Martin et Saint-Barthélemy s'est affranchie de la Guadeloupe avec la création d'un commandement de gendarmerie propre aux deux territoires : le colonel Maxime Wintzer a pris ses fonctions de commandant le 13 janvier 2024. Cette émancipation implique que les décisions seront désormais prises sur place - sauf pour les enquêtes judiciaires qui demeurent sous l'autorité d'un juge d'instruction basé en Guadeloupe. Il existe également un tribunal de proximité à Saint-Martin qui dépend de la cour d'appel de Basse-Terre et bénéficie de compétences aménagées pour assurer le lien des locaux avec la justice. Saint-Martin dispose aussi d'un vice-rectorat affilié à l'académie de Guadeloupe, pour tenir compte des spécificités des îles du Nord. Enfin, suite au passage destructeur de l'ouragan Irma, les deux territoires ont connu une réorganisation des services avec notamment la création en 2018 de l'Unité territoriale de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin (UTSBSM) rattachée à la Direction de l'Environnement de l'Aménagement et du Logement (DEAL) Guadeloupe. L'UTSBSM participe ainsi à la mise en oeuvre des politiques publiques, tout en bénéficiant de compétences techniques spécialisées pour suivre localement les différents dossiers.
La création d'une préfecture de plein exercice est une étape supplémentaire. La nomination d'un préfet de plein exercice compétent pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy va considérablement impacter le traitement des procédures. En s'adressant directement à Paris sans se référer à la Guadeloupe, le préfet gagne en autonomie et en autorité : cela permettra une instruction plus rapide et plus efficace des dossiers des deux îles.
Cependant, certaines administrations demeureront rattachées à la Guadeloupe. C'est notamment le cas de l'agence régionale de santé ou de la direction régionale des finances publiques.
En parallèle, le projet de création d'une cité administrative et judiciaire (CITAJ) est en cours. 25% du gros oeuvre a été réalisé et les travaux devraient se terminer fin 2025.
Malgré la contrainte budgétaire, le projet de préfecture de plein exercice a été confirmé. Elle est désormais effective depuis la parution du décret n° 2025-38 du 9 janvier 2025 portant mesures nécessaires à la désignation d'un représentant de l'État dans les collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.
Les maisons France Services ont aussi obtenu de bons résultats outre-mer, à la hauteur de celui rencontré dans l'Hexagone. Ce succès est d'ailleurs dû à la démarche partenariale forte des collectivités, autant que de l'État ou des autres partenaires comme La Poste.
Martine de Boisdeffre, présidente de la section du rapport et des études du Conseil d'État, a indiqué que sur un total de 2 500 labellisations France Services sur le territoire national, 112 l'avaient été dans les DROM et à Saint Martin. 99 % des Français se trouvent ainsi à moins de trente minutes d'une maison France services et 90 % à moins de vingt minutes.
Au 1er janvier 2025, on recense ainsi 32 structures France services en Guadeloupe, 23 en Guyane, 31 à La Réunion, 19 en Martinique, 14 à Mayotte et 3 à Saint-Martin. Plusieurs de ces structures sont itinérantes conformément à la logique du « aller vers » qui prévaut désormais.
Ce mouvement d'adaptations doit se poursuivre. À Mayotte, dans le cadre de la reconstruction, une réflexion devra être engagée sur la répartition géographique des moyens de l'État sur le territoire, compte tenu en particulier des difficultés de transport sur le territoire (route unique saturée sur Grande-Terre, contrainte du transport maritime entre Petite-Terre et Grande-Terre...).
L'enjeu de proximité pour l'État, c'est aussi celui de la langue.
Si le français est la langue de la République, ce principe se heurte à la réalité d'une mauvaise maîtrise de la langue française par une proportion importante, voire croissante, des populations ultramarines.
En outre-mer, la population illettrée est 3 fois plus élevée que dans l'Hexagone. Les chiffres 2020 puis 2023 du test d'illettrisme de la Journée Défense et Citoyenneté (JDC) à laquelle doivent participer tous les jeunes de 16 à 18 ans sont alarmants :
Source : Ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance
Outre l'illettrisme, l'immigration importante, voire massive, dans certains territoires, met à mal la prévalence du français.
Le proviseur du lycée du Mamoudzou a confié à vos rapporteurs que dans la cour de récréation, le français avait pratiquement disparu, ce qui n'était pas le cas il y a encore dix ans. À Mayotte, plus de 50% de la population est étrangère.
Enfin, les langues locales ou régionales ont une forte prévalence outre-mer et sont des langues vivantes, utilisées au quotidien, souvent maternelles, loin du folklore. À Saint-Martin, la population est largement anglophone. En Guyane, les peuples amérindiens préservent leur culture. Philippe Dulbecco, recteur de l'académie de la Guyane, souligne que dans les communes de l'intérieur, 80 % des élèves qui rentrent à l'école n'ont pas le français pour langue maternelle. Le créole, avec ses multiples variations et influences, restent très vivants aux Antilles, en Guyane ou à La Réunion.
L'éducation nationale évolue aussi et promeut de plus en plus l'enseignement bilingue. En Martinique, la rectrice Nathalie Pons a souligné l'évolution des politiques académiques sur ces aspects107(*).
Sans abandonner naturellement le principe que le français est la langue de la République, la communication de l'État doit s'adapter à cette réalité. Cela suppose notamment de bien dimensionner les services de communication des préfectures et services de l'État pour adapter et multiplier les supports à destination des différents publics.
En matière sanitaire, de sensibilisation à la lutte vectorielle, de prévention des violences intrafamiliales, d'accès au droit, l'État doit impérativement communiquer dans les langues locales, maternelles ou étrangères pour toucher l'ensemble des populations. C'est aussi primordial dans les situations d'urgence ou de crise comme l'a révélé le passage du cyclone Chido à Mayotte.
On notera qu'à La Réunion, dans les Antilles et en Guyane, la communication en créole est de plus en plus fréquente, y compris sur les réseaux sociaux.
c) L'État local accompagnateur : l'exemple de la Polynésie française
Compte tenu de son objet, le présent rapport n'aborde pas la question institutionnelle, laquelle a fait l'objet de plusieurs rapports récents du Sénat. La délégation aux outre-mer a eu l'occasion de l'examiner dans ses précédents rapports sur la différenciation territoriale outre-mer (septembre 2020) et sur l'avenir institutionnel des outre-mer (février 2023) auxquels on pourra se reporter.
Au cours de son déplacement en Polynésie française, la délégation a constaté vis-à-vis de l'État une forte demande d'accompagnement de la part des collectivités territoriales (Pays, communes).
Sur ce territoire, l'État donne l'exemple d'un pouvoir circonscrit à son domaine régalien par le statut d'autonomie instauré depuis 1984, mais qui fait preuve de pragmatisme dans l'exercice de ses compétences. En raison des fortes spécificités du territoire, l'action de l'État vient en soutien des compétences du Pays et des communes dans une logique de partenariat.
L'essentiel des services de l'État est concentré sur Tahiti et singulièrement dans la capitale Papeete. Mais comme l'a rappelé le Haut-commissaire, Éric Spitz à la délégation, il n'y a que 16 îles où l'État est physiquement présent, essentiellement via ses postes de gendarmerie. Autrement dit, il n'y a pas de service de l'État implanté dans les trois quarts des îles, « la société civile s'organisant donc autour du maire et de la religion ».
Le Haut-commissaire est secondé par 4 sous-préfets à la tête des subdivisions administratives de la Polynésie française dont deux sont délocalisées (à Raiatea et Nuku Hiva) avec un secrétaire général qui coordonne l'ensemble.
Dans un contexte pouvant conduire à une forme d'attentisme sur certains projets, l'État joue un rôle d'équilibre. Les subdivisions répondent au mieux à « la demande d'État » dans tous ses aspects : conséquences de la crise en Nouvelle-Calédonie avec le retour des Polynésiens installés là-bas, mise en oeuvre du « dernier kilomètre », soutien à certains programmes d'assistance à la maîtrise d'ouvrage dès lors que la subdivision a l'information et la possibilité d'apporter l'assistance technique sollicité, même si certains leviers d'action font défaut et limitent les possibilités d'action (notamment dans le domaine de la ruralité, du renouvellement urbain (pas d'intervention de l'ANRU ou de l'ANAH par exemple).
Les subdivisions sont également très sollicitées pour l'accompagnement des petites communes éloignées et isolées qui disposent de peu de moyens humains, et de compétences réduites en matière juridique et d'ingénierie. Avec l'appui des services du Haut-Commissariat, et en lien avec les services du Pays, elles leur dispensent des conseils juridiques et leur apportent un éclairage dans les domaines réglementaires, techniques et financier du quotidien, ainsi que dans l'élaboration de leurs projets structurants.
Pour soutenir le développement des communes et les services aux populations, les principaux dispositifs d'intervention de l'État pour les communes sont : la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), le contrat de développement et de transformation (CDT), le fonds exceptionnel d'investissement (FEI), le fonds vert et le fonds de transition énergétique (FTE).
La délégation a rencontré les différents responsables de subdivisions administratives qui sont en quelque sorte l'incarnation de l'État au plan local, Alexandra Chamoux, cheffe de la subdivision administrative des îles Tuamotu Gambier, en poste à Papeete, administre un territoire gigantesque avec certaines îles qui ne bénéficient d'aucune visite depuis plusieurs années mais qui comptent néanmoins au total 17 000 habitants, 17 communes et plus de 21 communes associées, d'où « le sentiment d'être des lieux délaissés ». Comme pour beaucoup d'îles, les problèmes majeurs sont la gestion des déchets, le manque de prérogatives des communes déléguées, et le recrutement du personnel qualifié. 50 % du travail de ce poste réside dans l'accompagnement des communes (avec des questions basiques bien souvent comme les modèles de délibération...). Une autre difficulté réside dans le fait que l'administration territoriale du Pays sur place (les « tavana hau ») n'a pas de délégation de signature - le Pays n'a pas opéré de déconcentration, ce qui freine la réalisation des projets.
Anna Nguyen, cheffe de la subdivision administrative des îles du Vent et des îles Sous-le-Vent, en poste à Raiatea, couvre les deux archipels à la suite du regroupement opéré en 2007. Pour les îles Sous-le-Vent situées à 240 km (40 mn de vol) de Tahiti, il y a une importante demande d'ingénierie, d'où l'intérêt de la proximité et des relations étroites avec les communes... Lors des réunions avec les élus et les services de la communauté de communes de Hava'i, la délégation a pu mesurer l'ampleur des investissements nécessaires et la diversité des projets : siège administratif à Uturoa, transport inter-îles (navette maritime), plan de gestion des déchets...
Pour l'actuelle cheffe de la subdivision des îles Marquises Anny Pietri, garantir la sécurité des populations et accompagner les communes sont aussi des missions essentielles. Derrière « l'image de paradis », certaines réalités sont bien présentes : violences intrafamiliales, ivresses publiques, addictions aux stupéfiants, jeux d'argent. Outre le pakalolo (le cannabis local), les maires redoutent l'arrivée de l'Ice dans l'archipel, notamment par les voiliers et à l'occasion des festivals. Compte tenu de la configuration des voieries routières, les risques de mortalité sont aussi élevés en cas de perte de contrôle d'un véhicule longeant un précipice.
Pour le soutien aux communes, le chemin peut s'avérer complexe. Dans le contrat de développement et de transformation 2024, un seul projet a été déclaré recevable pour l'archipel (travaux de potabilisation de l'eau du village principal d'une commune). L'autre projet présenté a été rejeté pour « incomplétude ». Le projet de Musée des arts marquisiens à Atuona notamment reste en suspens faute de bouclage financier108(*) et sachant que la compétence muséale relève du Pays.
Etienne de la Fouchardière, chef de la subdivision administrative des îles Australes, en poste à Papeete, a indiqué que cet archipel est desservi par deux à quatre vols par semaine et pour certaines îles une fois par semaine (Rurutu, Rimatara). Rapa est particulièrement isolée avec une économie de subsistance, n'est accessible que par le bateau. L'archipel a de nombreuses particularités : pas de cadastre, pas de code civil, pas de droit de propriété (un comité des sages pour la gestion communautaire foncière). Des tournées interservices sont organisées deux fois par an (État /pays / forces armées...). La subdivision gère depuis Papeete « un peu de tout » avec 3 personnes et l'appui de l'ingénie technique mutualisée au niveau du Haut-Commissariat : les questions d'aviation civile, les affaires maritimes, les questions de finances publiques et de douanes, l'appui au développement économique, les montages pour les activités culturelles...
Au-delà de ces échanges réguliers avec les subdivisions, la délégation a constaté une forte volonté d'« aller vers », de se rendre plus sur le terrain, de la part de tous les services de l'État (justice, gendarmerie, douanes...) mais avec des difficultés logistiques considérables, outre les questions financières, pour se rendre dans les îles (par exemple, Rapa, dans les Australes, n'a pas eu de visite depuis 10 ans). Des « tournées administratives » sont organisées en utilisant tous les transports possibles (vols, navigation inter-îles, catamaran...) associant selon les cas gendarmerie, justice, services de l'état civil et l'administrateur territorial, mais beaucoup trop rarement. Or, de l'avis général, ce type d'initiatives est très attendue par les populations.
Compte tenu de cette géographie et de ces contraintes, les communes polynésiennes restent les instances de proximité de la vie publique et les maires sont en première ligne face à leurs concitoyens pour répondre aux besoins quotidiens de service public de la population. Mais comme cela a été confirmé lors les visites à Raiatea puis aux Marquises, le sujet récurrent est celui des compétences limitées des communes par rapport au Pays qui dispose des leviers mais qui est aussi « trop loin » et fait preuve d'un « certain jacobinisme tahitien ».
En Polynésie, sur un budget de 210,3 milliards de francs pacifique (1,7 milliard d'euros soit un tiers du PIB de la Polynésie) géré par le Haut-Commissariat, les dépenses liées à l'exercice des compétences de l'État représentent 43 %, pour l'appui à l'exercice des compétences de la collectivité 50 % et pour l'appui à l'exercice des compétences des communes 7 %.
L'État et les communes développent en commun des projets qui peuvent être cofinancés par l'État jusqu'à 95 %. L'État s'adapte ainsi aux besoins, comme l'ont montré les échanges avec les chefs des subdivisions administratives.
Parmi les projets majeurs soutenus par l'État (et le Pays) figurent les abris de survie par rapport aux risques cyclonique et de montée des eaux (et que les communes n'ont financé qu'à hauteur de 5 %). L'accompagnement financier de l'État au profit des communes atteint chaque année 120 millions d'euros. En 2023, les dépenses ont notamment porté sur la lutte contre la mortalité routière (63 000 dépistages d'alcool), les opérations de sauvetage et d'assistance en mer (430 opérations, ou encore le resurfacage des pistes d'aviation de Rangiroa et Raiatea...
Contrairement aux autres communes françaises, elles ne disposent pas de la clause de compétence générale, mais de compétences spécifiques, limitativement énumérées, que leur octroie l'article 43 de la loi organique statutaire de 2004. La possibilité d'exercer des compétences complémentaires, demandées par plusieurs communes, à commencer par celles des Marquises, a été circonscrite à des domaines très limités à ce jour.109(*)
Les avancées de l'intercommunalité, présentée comme une mutualisation des moyens, et que les communes ont développé avec beaucoup de volonté (Tereheamanu à Tahiti, Havai dans les Iles sous le Vent, CODIM aux Marquises), sont bridées par l'obstacle institutionnelle et financier, comme en a rendu compte une mission de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat en 2023110(*). Certains projets peinent à se concrétiser.
En novembre 2022, les maires de la CODIM qui après les succès dans le domaine culturel (classement Unesco, festival des Marquises, restauration des sites, soutien à l'Académie de langue marquisienne, etc.) souhaitent développer d'autres projets de développement ( scierie sur le plateau de Toovii par exemple) ont proposé la création d'une Communauté d'archipel (CODAM) dotée de compétences élargies au sein de la collectivité de la Polynésie française dont le contour juridique reste à définir avec le Pays (modification de la loi organique) et dont d'autres archipels (ou intercommunalité) pourraient s'inspirer d'autres archipels.
À quelques exceptions près (Bora Bora qui bénéficie de la manne touristique et fait preuve d'innovations remarquables dans le domaine de l'environnement et des services communaux), les communes étant dépourvues de ressources propres, elles restent dépendantes de financement tiers. Les ressources communales émanent essentiellement du fonds intercommunal de péréquation (FIP) alimenté par un prélèvement sur les ressources fiscales de la collectivité et par une dotation de l'État. La question du potentiel fiscal de ces collectivités reste à expertiser.
d) Un État central davantage en soutien et à l'écoute de l'État local
La politique de l'État dans les outre-mer est de plus en plus marquée par le sentiment d'une absence de vision à long terme et de continuité dans l'action.
La gestion des crises - politique, économique, sécuritaire, climatique, migratoire, social... -, qui se succèdent à un rythme accéléré et inquiétant, est devenue le seul horizon de l'État, qui ne parvient pas à reprendre pied pour arrêter des stratégies de long terme pour chaque territoire et les suivre.
La question des moyens de la direction générale des outre-mer (DGOM) est l'une des explications.
La DGOM : un pilote sans les moyens de ses missions
Pour assumer toutes ses missions, la DGOM dispose de moyens jugés insuffisants de manière constante par différents rapports. La DGOM compte actuellement 140 personnels, un nombre en faible augmentation depuis 2016. Depuis 2007 et la mise en oeuvre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), la faiblesse des effectifs et moyens de l'administration centrale des outre-mer, quelle que soit sa forme, est pointée comme une grave lacune.
Effectifs de l'administration centrale en charge des outre-mer111(*)
En raison de ces effectifs insuffisants, la DGOM ne parvient pas à assumer pleinement l'ensemble de ces missions et à les décliner par territoires. Cette baisse des moyens est par ailleurs concomitante d'une différenciation accrue des statuts des territoires, à la suite de la révision constitutionnelle de 2003. Avec moins de moyens, la DGOM doit gérer des crises à répétition et une complexité institutionnelle, juridique et géopolitique accrue.
En outre, deux référés de la Cour des comptes de 2016 et de 2021 insistent sur l'impact négatif d'un effectif si réduit. Le référé de 2016 recommande notamment de : « réexaminer la distribution des effectifs du ministère des Outre-mer entre le cabinet de la ministre et la direction générale pour renforcer la fonction prospective de celle-ci », recommandation réitérée par le référé de 2021 qui estime que le nombre disproportionné de membres du bureau du cabinet contribue à affaiblir la capacité de la direction.
Bien que déjà soulignée par de nombreux rapports du Sénat et d'autres organismes, vos rapporteurs ne peuvent que plaider eux-aussi pour un renforcement significatif des effectifs de la DGOM pour rétablir une capacité à évaluer les politiques publiques outre-mer, à proposer des stratégies à long terme et à suivre leur exécution.
(1) Développer le réseau outre-mer dans tous les ministères
Comme vu supra (II.A.), la police, la gendarmerie ou la justice ont adapté leur organisation pour traiter spécifiquement les enjeux ultramarins.
Cette stratégie du « réflexe outre-mer » ou « culture outre-mer » plus précisément doit se poursuivre et s'étendre à toutes les administrations centrales.
Selon Karine Delamarche, directrice adjoint de la DGOM, lors de son audition du 18 janvier 2024, chacun des ministères doit avoir le « réflexe outre-mer », c'est-à-dire avoir l'automatisme de toujours envisager le pendant outre-mer de chaque problématique, de permettre la participation des territoires ultramarins à la conception de politiques publiques.
La circulaire du Premier ministre n° 6456-SG du 10 juillet 2024 relative à la coordination de l'action du Gouvernement dans les outre-mer met en exergue ce « réflexe outre-mer » et en précise les modalités.
La circulaire demande en particulier à chaque directeur général d'administration centrale de désigner au sein de ses services un référent outre-mer, qui sera le point de contact privilégié de la DGOM. Il appartient à la direction générale des outre-mer d'animer ce réseau des référents ultramarins.
Si la désignation de référents dans chaque direction est une bonne chose, quand elle n'est pas déjà une réalité, elle ne saurait suffire et garantir un réflexe outre-mer.
La création au sein de chaque administration centrale d'un service, délégation ou direction en charge des outre-mer paraît la seule piste véritable de progrès. L'exemple du ministère de la justice, avec la création de Direction des Services Pénitentiaires d'Outre-Mer (DSPOM) et plus récemment du délégué aux outre-mer du secrétariat général du ministère de la justice, est à suivre et dupliquer. Ces structures ad hoc doivent connaître à la fois de la gestion des services de l'État outre-mer (formation, affectations, crédits, immobiliers...) et de la conception/adaptation des politiques publiques dont le ministère a la responsabilité.
(2) La conception de la norme : adaptation a priori ou a posteriori ?
Dans ce domaine, la différenciation normative qui est le cheval de bataille de la délégation serait une avancée importante.
Sans qu'il soit nécessaire de rappeler les nombreux travaux de la délégation sur ce sujet primordial, lequel excède le champ du présent rapport en touchant aux questions institutionnelles, vos rapporteurs ont noté avec intérêt une piste originale de réflexion esquissée par la DGOM.
Karine Delamarche, directrice adjointe de la DGOM, fait le constat que « les consultations outre-mer sont parfois vécues par certaines administrations comme une contrainte calendaire alors que le ministre souhaite que les réformes se réalisent rapidement. Or, consulter en laissant un délai d'un mois aux collectivités d'outre-mer paraît contre-productif. Nous avons réfléchi sur la manière d'améliorer ce fonctionnement ».
Vos rapporteurs ont éprouvé auprès des élus rencontrés dans chaque territoire le sentiment de consultations purement formelles, ne permettant pas d'adapter les politiques publiques aux réalités des territoires, voire de questionner leur pertinence.
Deux pistes sont possibles :
- soit améliorer le système actuel. Par exemple en allongeant à deux mois le délai de consultation. La circulaire n° 6456-SG du 10 juillet 2024 relative à la coordination de l'action du Gouvernement dans les outre-mer insiste également sur l'importance de ne recourir qu'exceptionnellement au délai d'urgence de 15 jours, au lieu d'un mois, laissé aux collectivités pour rendre leur avis sur les projets de loi ou de décret transmis. Cette circulaire rappelle aussi - comme les précédentes - la nécessité de prendre en considération les outre-mer au tout début de la phase d'élaboration et d'associer dès les avant-projets la DGOM ;
- soit inverser la logique, en basculant dans un système d'adaptation a posteriori assumé.
Les consultations préalables seraient abandonnées. En contrepartie, sauf mention expresse, les textes de loi et les règlements n'entreraient en vigueur dans les outre-mer soumis au régime de l'identité législative qu'au terme d'un délai à définir (un an ? dix-huit mois ?). Ce délai serait mis à profit pour adapter, laisser en l'état ou exclure l'application des réformes dans les outre-mer. Cette période, plus longue que celle des consultations préalables, permettrait aux collectivités et à tous les acteurs économiques ou sociaux des territoires de se prononcer utilement et sur la base d'une réforme nationale aboutie, pas un simple avant-projet.
Karine Delamarche a insisté « concernant la proposition disruptive de supprimer les consultations outre-mer, il ne s'agit pas d'une suppression sèche, mais simplement de la suppression d'une modalité au profit d'une autre. Le constat demeure que ces consultations ne sont pas aussi effectives qu'elles devraient l'être. Nous pourrions prévoir un délai après la promulgation d'une loi. L'objectif serait de permettre aux collectivités ultramarines de soumettre au Gouvernement des adaptations leur apparaissant nécessaires. Il faudrait par exemple aménager l'article 74-1 afin de permettre cette habilitation ad hoc aux collectivités qui ne sont pas régies par l'article 74. Cela suppose une révision de la Constitution ».
Cette proposition novatrice comporte des inconvénients importants. S'agissant des textes de loi, le risque est celui d'un contournement complet du Parlement, via le recours aux ordonnances. C'est aussi prendre le risque d'un renoncement au réflexe outre-mer dans les administrations centrales. Il ne faut pas exclure que le temps de l'adaptation a posteriori ne soit pas utilisé, une priorité chassant l'autre. Ce serait le résultat inverse de celui recherché.
On notera aussi que de nombreux textes de loi prévoient désormais dans leurs dispositions finales des habilitations au Gouvernement pour adapter la loi aux outre-mer par la voie des ordonnances de l'article 38 de la Constitution. Ce genre de dispositif se rapproche de celui évoqué par la DGOM.
A minima, vos rapporteurs considèrent en revanche que sur des réformes majeures, portant sur des sujets essentiels pour les territoires (énergie, urbanisme, environnement...), les textes de loi pourraient prévoir plus systématiquement une entrée en vigueur décalée dans les outre-mer. Ce délai serait utilisé soit pour adapter le texte par ordonnances, soit au moyen d'un projet ou d'une proposition de loi spécifique.
Cela supposerait de réserver chaque année un temps parlementaire (une semaine ?) dédié aux outre-mer, au cours duquel ces adaptations importantes seraient inscrites à l'ordre du jour. Le groupe de travail du Sénat sur la décentralisation précitée et les travaux récents de la délégation112(*) (voir encadré infra) appellent de leurs voeux l'examen d'un projet ou d'une proposition de loi annuelle d'adaptation du droit des outre-mer. La sanctuarisation de ce temps parlementaire contraindrait les ministères et administrations concernés à prendre pleinement en compte l'adaptation outre-mer, sans l'évacuer dans des dispositions finales examinées rapidement en fin de séance.
2. Une gestion différenciée des ressource humaines outre-mer
a) Des enjeux très différents selon les territoires et les administrations
Des auditions et des déplacements ressort le tableau d'une très grande variété de situations.
De manière schématique, si la Guyane et Mayotte rencontrent d'importantes difficultés à pourvoir les postes ouverts, la Polynésie française ou La Réunion souffrent plutôt d'une forte attractivité. Depuis les événements de mai 2023, la Nouvelle-Calédonie a rejoint le groupe des territoires les moins attractifs. Les Antilles et Saint-Pierre-et-Miquelon sont dans une situation intermédiaire. Les postes sont pourvus, mais le nombre de candidature ne permet pas un réel choix ou sélection.
Cette catégorisation connaît toutefois de nombreuses nuances, selon les types d'emploi et les administrations.
Ainsi, l'administration pénitentiaire n'a aucun mal à pourvoir les emplois de surveillants, y compris en Guyane et à Mayotte. La forte proportion d'originaires de ces territoires le garantit. Pour Muriel Guégan, directrice des outre-mer, la création annoncée de nouveaux établissements à Saint-Laurent-du Maroni ou à Mayotte permettra au contraire de satisfaire les nombreuses demandes de « retour au pays ». Les syndicats voient d'ailleurs d'un bon oeil la création de ces nouveaux établissements ultramarins.
À l'inverse, la magistrature a été contrainte d'innover pour pourvoir les postes en Guyane et à Mayotte avec la création des brigades de soutien et les contrats de mobilité (voir infra).
Un point est commun à la plupart des administrations : le trop faible nombre de cadres originaires des territoires.
Un autre point saillant émerge : les limites du système des sur-rémunérations pour attirer les personnels nécessaires au bon fonctionnement des services publics de l'État. Les problématiques de logement, de scolarisation des enfants, de sécurité et d'accompagnement à l'installation deviennent primordiales et la réponse pécuniaire imparfaite.
Par ailleurs, la sur-rémunération serait un facteur aggravant le risque de « tropicalisation » de certains fonctionnaires, les agents demandant la prolongation de leurs missions outre-mer pour de mauvaises raisons.
C'est pour répondre à ces problématiques diverses, parfois contradictoires, qu'une nouvelle gestion des ressources humaines outre-mer est esquissée depuis quelques années. Elle doit être approfondie et renforcée.
b) Pour un suivi sur-mesure des affectations outre-mer
Sur l'ensemble du territoire national, la stratégie interministérielle pour l'accompagnement de la mobilité et de l'évolution professionnelle 2022-2024 est au coeur de l'action de la direction générale de l'administration et de la fonction publique. Elle met l'accent mis sur l'accompagnement personnalisé.
Dans les outre-mer, elle est encore plus indispensable et suppose une déclinaison sur-mesure et des pratiques innovantes. Une Charte interministérielle de la mobilité a été adoptée pour les outre-mer les moins attractifs (Guyane, Mayotte, les trois Saints) avec six engagements sur la préparation de l'affectation, l'accompagnement sur place (logement dédié, école), la rémunération, la valorisation dans la carrière, un accompagnement également des agents ultramarins vers l'hexagone pour faire émerger des talents (repérage et accompagnement) et enfin une facilitation du retour des agents vers leurs territoires d'origine.
(1) Sélectionner les bons profils
La question du profilage des postes outre-mer est cruciale pour l'avenir. La gestion des ressources humaines et des affectations outre-mer doit être traitée par un service ad hoc dédié au sein de chaque ministère.
À cet égard, les grands ministères régaliens -intérieur, justice et armées- ont pris la mesure de l'enjeu, même tardivement.
La création en 2021 du délégué aux outre-mer du secrétariat général du ministère de la justice a été principalement motivée par le constat des carences des ressources humaines outre-mer, qui mettent en cause l'effectivité du service public de la justice sur les territoires.
Pour le général Lionel Lavergne, le commandement outre-mer permet précisément de faire du sur-mesure pour des territoires où chaque affectation pèse lourdement.
Une bonne pratique mise en oeuvre au sein de la Justice est la sensibilisation aux cultures des outre-mer et aux spécificités et contraintes propres à ces territoires avant toute décision d'affectation.
Paul Huber, directeur des services judiciaires au ministère de la justice, a indiqué que les auditeurs de justice étaient sensibilisés longtemps à l'avance pour qu'ils puissent se projeter en connaissance de cause sur une première prise de fonction à la sortie de l'École nationale de la magistrature (ENM). L'ENM propose des formations spécifiques « être magistrat en outre-mer » pour mieux accompagner, mieux anticiper et attirer des candidatures.
Paul Huber a aussi souligné la prudence lors de la sélection des magistrats et des fonctionnaires vers les outre-mer : « il y a souvent beaucoup de raisons personnelles qui peuvent jouer, il y a tous ceux qui sont en rapprochement familial, qui ont des intérêts matériels et moraux, mais il y a aussi ceux qui peuvent projeter avec un départ en outre-mer la résolution de difficultés personnelles. Nous devons veiller à ce que les prises de fonction en outre-mer ne conduisent pas à des échecs. Nous en avons connu et nous avons appris de ces difficultés, avec une meilleure sélectivité des profils ».
Recommandation n° 34 : Rendre obligatoires les modules de formation aux spécificités outre-mer pour tous les fonctionnaires d'État affectés dans ces territoires et mieux organiser les transmissions d'expériences.
(2) Un accompagnement personnalisé
Le sur-mesure est aussi exigé pour traiter la question des conjoints fonctionnaires de fonctionnaires mutés.
Bruno André, préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon, a été face au cas de figure de personnes qui ne sont pas originaires, mais qui sont mariés avec des originaires prioritaires et qui n'ont pas obtenu d'affectation.
La direction de l'administration pénitentiaire (DAP) applique un dispositif spécifique dit « jurisprudence Lemaire », qui permet aux conjoints fonctionnaires DAP (mariés, pacsés ou concubins déclarés) d'un directeur des services pénitentiaires, d'un directeur pénitentiaire d'insertion et de probation ou d'un chef ou adjoint d'établissement (corps de commandement) de suivre leur conjoint muté. La mutation sera accordée à titre dérogatoire, en surnombre si nécessaire et même sans CIMM sur l'établissement de mutation du conjoint ou à proximité immédiate.
De manière plus générale, la gestion des conjoints - agent public ou non - lors d'une mutation outre-mer est une clef essentielle pour la réussite des affectations, à moins de se résoudre à affecter uniquement des agents célibataires.
Si certaines règles de mutation, comme celle précitée de l'administration pénitentiaire, doivent être généralisées, elles ne sauraient résoudre entièrement le problème.
Seul un suivi sur-mesure des mutations outre-mer, prenant en compte l'ensemble de l'environnement familial des agents, et non uniquement l'agent muté et les avantages liés à son statut, créera les conditions d'une gestion des ressources humaines efficaces outre-mer.
La question du logement est certainement la plus prégnante.
Pour Bruno André, préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon, le logement est le point d'achoppement pour de nombreuses mutations, en particulier sur le poste de délégué du préfet à Miquelon. La double insularité et ses contraintes font que le logement représente un coût important et est une source d'inquiétudes quand on est à plusieurs milliers de kilomètres.
À Saint-Barthélemy, où le loyer d'un simple studio peut dépasser le traitement d'un fonctionnaire, aucune affectation n'est possible sans offrir des solutions adaptées de logement.
En Guyane, à Mayotte ou en Nouvelle-Calédonie, se surajoute la question de la sécurité. Les agents et en particulier les familles ont besoin d'être logés dans des questions de sécurité normales.
La gendarmerie y répond par le casernement, comme en métropole (le parc immobilier ayant toutefois besoin d'être rénové en de nombreux endroits).
La délégation aux outre-mer du secrétariat général du ministère de la justice a notamment fait de la question du logement une de ses priorités pour accompagner les agents et magistrats mutés dans leur recherche. Lors de la première journée « Justice outre-mer » en mars dernier, Jean-Aimé Derquer, coordonnateur océan Indien de la délégation Outre-mer du secrétariat général du ministère de la justice, a expliqué travailler à offrir de nouvelles solutions de logement sur place, y compris des colocations temporaires pour laisser le temps de trouver le logement qui convient. Parmi les autres pistes : hausse de l'offre de crèche en coopération avec d'autres ministères et développement d'un parc locatif dédié.
Il apparaît donc de plus en plus nécessaire de reconstituer un parc de logements réservé aux fonctionnaires mutés dans tous les territoires en déficit d'attractivité.
c) Innover pour attirer les compétences indispensables
(1) Les contrats de mobilité
Confronté à des difficultés importantes pour pourvoir aux postes de magistrats ouverts à Mayotte et en Guyane, le ministère de la justice a été conduit à innover avec les contrats de mobilité.
En contrepartie d'un engagement du magistrat à exercer pendant au minimum 3 années sur le poste, la direction des services judiciaires prend l'engagement de proposer la nomination ultérieure de ce magistrat sur l'une des cinq affectations sollicitées avant son départ, y compris si le poste n'est pas vacant ou s'il existe des candidatures plus anciennes.
Ce contrat de mobilité est formalisé par la signature d'un document.
À l'origine proposé au bénéfice du seul tribunal judiciaire de Mamoudzou, le dispositif a été élargi aux juridictions de Saint-Martin, Saint-Laurent-du-Maroni, Saint-Pierre-et-Miquelon puis, en 2022 à l'ensemble de la cour d'appel de Cayenne et de Bastia.
Ce dispositif, déployé à titre expérimental depuis 2021, a été entériné par l'article 5 de la loi organique n° 2023-1058 qui créée l'article 27-2 de l'ordonnance statutaire n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Au total, 62 contrats de mobilité ont été conclus entre 2021 et 2023 à destination de l'outre-mer.
Au début de l'année 2023, ce dispositif a été étendu à 4 juridictions métropolitaines (Beauvais, Montbéliard, Chaumont et Charleville-Mézières).
Pour Yann Le Bris, procureur de la République auprès du tribunal judiciaire de Mamoudzou, le bilan de ces contrats est très positif. Toutefois, son extension à un nombre croissant de territoires, y compris dans l'Hexagone, risque de réduire « l'avantage comparatif » de Mayotte. Cette crainte a été exprimée avant le passage du cyclone Chido qui rend les choses encore plus incertaines.
Les contrats de mobilité du ministère de la justice sont aujourd'hui limités aux magistrats. Il conviendrait de les étendre aux greffiers, comme le suggère Béatrice Bugeon-Almendros, première présidente de la Cour d'appel de Cayenne.
Selon la DGOM, si ce mécanisme n'est pas repris en tant que tel par les autres ministères, plusieurs administrations ont mis en place des pratiques similaires.
Au ministère de l'intérieur, une priorité subsidiaire d'affectation au bénéfice des personnels administratifs, techniques et spécialisés des catégories A, B et C ayant séjourné au moins trois ans à Mayotte, en Guyane, à Saint-Martin-Saint-Barthélemy ou à Saint-Pierre-et-Miquelon est appliquée.
Au ministère de l'éducation nationale, les agents ayant servi pendant 5 ans à Mayotte bénéficient d'une bonification de 1 000 points « mobilité », facilitant leur retour dans le territoire de leur choix dans l'Hexagone.
Au ministère des armées, les lignes directrices de gestion ministérielles intègrent la priorisation d'affectation et l'accompagnement des agents de retour d'une affectation outre-mer. Les agents sont accompagnés en amont de leur retour pour trouver une affectation en Hexagone et ils sont prioritaires dans le choix de poste.
Enfin, ces bonnes pratiques sont rappelées dans la charte interministérielle de la mobilité à Mayotte, en Guyane, à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy et à Saint-Pierre-et-Miquelon qui a déjà été signée par 5 ministères.
Pour Philippe Dulbecco, recteur de l'académie de la Guyane, confronté au manque d'attractivité des postes, « s'agissant des titulaires, toutes les mesures pouvant rendre plus incitatif le travail sur les sites éloignés ou isolés seront bonnes. Une bonification d'ancienneté pourrait être envisagée aussi bien pour les jeunes diplômés que pour le personnel en cours de carrière. La possibilité de bénéficier d'une forme de garantie de retour à l'académie d'origine serait positive. Toute mesure qui pourrait favoriser l'activité en Guyane sera pertinente. Il est également nécessaire de s'intéresser aux conditions de vie liées à l'exercice du métier - logement, transport et fret - afin de rendre plus attractive leur activité sur le fleuve ».
Vos rapporteurs plaident pour la généralisation des « contrats de mobilité » sur tous les postes et/ou territoires ultramarins - hors magistrature - souffrant d'une attractivité très faible. Efficace, cet outil ne doit pas être galvaudé au risque de ne plus l'être. Par ailleurs, pour éviter les contrats de mobilité de pure opportunisme, l'obtention de la mobilité prioritaire à l'issue de l'affectation doit être conditionnée à une évaluation satisfaisante de l'exercice du poste outre-mer.
Recommandation n° 35 : Dans les outre-mer les moins attractifs, proposer des « contrats de mobilité » garantissant l'affectation de leur choix aux agents de l'État après leur mission outre-mer pour attirer les personnels compétents, sur le modèle du ministère de la Justice et sous réserve d'avoir démontré son engagement le temps de son affectation, et proposer des solutions de logement et d'accompagnement à l'installation sur-mesure.
(2) Les brigades de soutien
Outre les contrats de mobilité, la magistrature a développé les brigades de soutien pour combler des besoins permanents dans les territoires peu attractifs et ponctuels en cas de surcharge exceptionnelle d'activités.
À Mayotte et en Guyane, le ministère de la justice a en effet imaginé des brigades de soutien constitués de magistrats nommés pour des missions de six mois et de greffiers pour trois mois.
Ces brigades ont été construites en lien avec le Conseil supérieur de la magistrature puisqu'elles nécessitent des décrets de nomination pour une durée de 6 mois et des retours sur le poste d'origine.
Yann Le Bris, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Mayotte, a vanté le bilan très positif des brigades de soutien, qui ont permis de renforcer les effectifs de deux magistrats au parquet et de quatre au siège depuis 2023.
Un des principaux intérêts de ce dispositif, par rapport aux magistrats dits placés, est que les renforts sont pleinement intégrés à l'organisation et à l'organigramme du tribunal. Les brigades sont aussi constituées de magistrats d'expérience. Pour rappel, un poste de vice-président est non pourvu depuis 5 ans. Les « brigadiers » peuvent donc occuper ces fonctions et structurer le travail du tribunal, au-delà de la simple hausse des moyens. Les brigadiers participent à la formation des plus jeunes collègues, pour certains sortis de l'ENM. Enfin, sur des juridictions ayant à connaître d'activité délinquante et violente aussi intense, les renforts permettent d'absorber les surplus d'activités générés par des opérations exceptionnelles comme l'opération Wuambushu à Mayotte.
Béatrice Bugeon-Almendros, première présidente de la Cour d'appel de Cayenne, a le même regard positif sur les brigades. S'agissant des greffiers, ce dispositif a pallié un absentéisme très important, proche des 50 %. Un greffier brigadiste arrive pour trois mois renouvelables. Cette situation ne résout pas le problème d'instabilité et ne permet pas de se projeter à long terme.
Un autre point positif des brigades : elles permettent à des magistrats de découvrir la réalité d'un territoire, au-delà de l'image très dégradée que l'actualité en donne depuis Paris. Cette affectation temporaire permet de dédramatiser et peut même se transformer en une « pré-affectation test », certains magistrats envoyés en brigade ayant demandé à y être affectés.
La limite des brigades est qu'elles supposent un effort des autres juridictions prélevées pendant 6 mois. Pour Bruno Dalles, procureur général près la cour d'appel de Nouméa, une professionnalisation des brigades de soutien serait une évolution possible, avec des magistrats dédiés offrant notamment le bon profil familial notamment. Cela éviterait de puiser dans les juridictions.
Par ailleurs, il a été noté que les dernières brigades (3ème et 4ème cohortes) avaient reçu moins de candidatures. Cet essoufflement, concomitant à l'élargissement des brigades à d'autres tribunaux, notamment en Corse, est à surveiller et pourrait plaider vers la professionnalisation suggérée des brigades.
On notera enfin que ces brigades ont inspiré la création par la loi organique n° 2023-1058 du 20 novembre 2023 relative à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire d'un dispositif d'intervention immédiate en cas d'événements posant des difficultés de fonctionnement de l'institution judiciaire et de continuité du service public de la justice. L'article LO.125-1 du code de l'organisation judiciaire permet d'envoyer des renforts depuis les cours d'appel de Paris et d'Aix en Provence pour soutenir rapidement les juridictions en difficulté sur de brèves périodes. Ce fut récemment le cas en Martinique à la suite des violences urbaines de septembre 2024. Une décision du CSM n'est pas nécessaire avec ce dispositif, à la différence des brigades de soutien.
Vos rapporteurs plaident pour le maintien et le renforcement des brigades de soutien, en particulier dans les temps de crise que traversent certains outre-mer, et Mayotte en particulier. Le principe des brigades pourrait être étendu à d'autres corps.
En matière d'ingénierie, sur des projets bien identifiés, des brigades d'expert pourraient être constitués afin d'intervenir pour lancer ou débloquer des projets complexes ou bloqués.
Recommandation n° 36 : Renforcer la capacité des préfets à mobiliser des renforts ponctuels depuis l'Hexagone (brigades ou plateforme d'ingénierie, équipes de préfiguration...) pour débloquer ou accélérer des dossiers structurants.
Toutefois, les brigades ne peuvent que pallier des carences. Les vraies solutions passent par l'accompagnement personnalisée évoquée supra pour rendre ces postes attractifs.
Le cas particulier des magistrats dans le Pacifique
Certaines cours d'appel sont confrontées à une difficulté inverse. Les magistrats restent trop longtemps sans y avoir d'attaches matérielles ou familiales.
Le Sénat, et en particulier sa commission des lois, avait proposé une disposition qui limiterait à 10 ans l'exercice dans toutes les juridictions. Cette disposition n'a pas été retenue mais le sujet de la durée d'affectation dans certaines juridictions outre-mer demeure. Il doit se conjuguer avec la nécessité, pour ceux qui sont originaires de ces territoires et qui y ont des intérêts matériels et moraux, de pouvoir s'y installer.
Malgré la réforme du statut des magistrats, encore complétée en 2023, qui a limité la durée d'affectation dans une même juridiction pour certaines fonctions, les magistrats non spécialisés peuvent demeurer en fonction sans limitation.
Selon Paul Huber, directeur des services judiciaires, alors que des dispositifs existent pour les fonctionnaires de limitation de durée d'exercice comme en Nouvelle Calédonie ou en Polynésie française, il n'y a aucune raison qu'un magistrat reste 15 ou 18 ans en Polynésie française, alors que les fonctionnaires doivent repartir plus rapidement.
Recommandation n° 37 : Instituer des règles de mobilité spécifiques pour les magistrats du siège et du parquet exerçant dans des ressorts juridictionnels très étroits, comme en Polynésie française, en limitant l'exercice de leurs fonctions sur place à cinq années prolongeables deux ans sur les postes requérant une technicité particulière.
d) Trouver le bon équilibre entre originaires et hexagonaux
La question de l'affectation et de l'emploi des originaires des territoires ultramarins traverse tous les territoires et toutes les administrations. Du côté des agents originaires et des élus des territoires, le sentiment est celui d'une part toujours trop faible d'entre eux. Du côté des administrations, en particulier dans les forces de sécurité, les évolutions sont positives, mais les cadres ultramarins restent beaucoup trop faiblement représentés.
Pour le général Lionel Lavergne, la question des originaires dans les outre-mer est essentielle en raison de leur connaissance du terrain, du lien avec la population et de la stabilité des affectations.
Tous statuts confondus, 26 % des gendarmes sont issus des territoires ultramarins, mais il existe d'importantes diversités. Dans les Antilles et en Guyane, les candidats originaires manqueraient. Moins de 10 % des emplois sont pourvus par des Antillais ou des Guyanais113(*). Selon le général, les Guyanais, les Guadeloupéens et les Martiniquais hésitent et préfèrent revenir chez eux plutôt en fin de carrière pour être moins soumis à la pression locale.
Inversement, le taux d'originaires dans le Pacifique est important, ainsi que l'océan Indien, y compris à Mayotte. En Polynésie, tous statuts confondus - officiers, sous-officiers, gendarmes adjoints -, on recense entre 40 et 50% d'originaires, le taux devant être compris entre 25 % et 30 % pour les sous-officiers. En Nouvelle-Calédonie, la part d'originaires dans les effectifs est comprise entre 20 % et 25 %. Mais la plupart souhaite être à Nouméa.
La police nationale présente un bilan comparable. À Mayotte, le taux d'originaires est supérieur à 50 %. A La Réunion, il est très majoritaire.
L'administration pénitentiaire, qui recrute historiquement beaucoup d'agents ultramarins, n'a pas ces difficultés et la quasi-totalité de son personnel est originaire.
Du côté des agents originaires en poste en Hexagone, il est souvent fait le reproche de l'opacité des critères pris en compte pour reconnaître le centre des intérêts matériels et moraux (CIMM) dans un territoire ultramarin.
Le centre des intérêts matériels et moraux (CIMM)
Le centre des intérêts matériels et moraux (CIMM) consiste en la reconnaissance d'un attachement personnel et professionnel à un territoire ultramarin (départements d'outre-mer et des collectivités d'outre-mer au sens respectivement de l'article 73 et l'article 74 de la Constitution, ainsi qu'à la Nouvelle-Calédonie).
La reconnaissance du CIMM permet l'attribution de congés bonifiés, ainsi qu'une prise en compte de l'intérêt de l'agent pour un territoire dans la détermination de son lieu d'affectation ou de mutation.
Les critères de reconnaissance du CIMM ont été précisés et modifiés par la circulaire de la Première ministre du 2 août 2023
La localisation du centre des intérêts moraux et matériels s'apprécie sur la base d'un faisceau d'indices et à partir d'une liste de critères non exhaustive : lieu de naissance de l'agent, lieu de naissance des enfants, lieu de résidence des parents proches, lieu d'implantation des biens fonciers dont l'agent est propriétaire ou locataire... Deux critères au minimum doivent être remplis pour attester de la validité du CIMM.
Lorsque le CIMM a été reconnu au titre d'au moins trois critères « irréversibles », c'est-à-dire reposant sur des circonstances par nature non susceptibles d'évoluer dans le temps et suffisant de ce fait, une fois qu'elles sont identifiées, à qualifier une fois pour toutes le lien des intérêts matériels et moraux d'un agent avec une collectivité ou un territoire donné, son bénéfice est conservé pour chaque nouvelle demande concernant la même collectivité ou le même territoire, sans limitation de durée.
Sont, notamment, considérés comme « irréversibles », les critères suivants :
- le lieu de naissance de l'agent ;
- le lieu de naissance des enfants ;
- le lieu de sépulture des parents les plus proches ;
- les études effectuées sur le territoire considéré par l'agent et/ou ses enfants ;
- le lieu de résidence avant l'entrée dans l'administration ;
- le lieu de naissance des ascendants.
Depuis la loi du 28 février 2017, le CIMM dans les territoires ultramarins constitue « une priorité légale d'affectation pour tous les fonctionnaires de l'État », quel que soit le statut et la gestion des mutations de leur corps d'attache. L'objectif est ainsi de « favoriser le retour de ces agents dans le territoire où ils ont leurs attaches et dans le respect des besoins et de l'intérêt du service. ».
La circulaire du 2 août 2023 vient également permettre une simplification et une continuité des conditions de validation du CIMM. Cela repose sur un double principe :
- Un principe de portabilité du CIMM au sein des services de l'État : « Dès lors que le CIMM a été reconnu par un service de l'État, l'agent concerné préserve cette reconnaissance en cas de mobilité vers un autre service ». Cette portabilité ne fonctionne qu'entre deux employeurs de la fonction publique
- Un principe de conservation sous conditions du bénéfice du CIMM : si le CIMM est reconnu au titre d'au moins trois critères « irréversibles », le bénéfice est conservé pour chaque nouvelle demande, sans limitation de durée. Si les critères invoqués sont réversibles, le bénéfice du CIMM est valable pour une durée minimum de 6 ans.
Le général Lionel Lavergne a également rappelé les adaptations de la durée d'affectation pour originaire. Pour les originaires, le premier temps de présence est de six ans, puis une prolongation de trois ans peut être accordée, suivie d'une prolongation exceptionnelle, jusqu'à onze ans. Pour les non-originaires, le premier temps de présence est de trois ans, puis de- prolongations d'un an successives peuvent être accordées, dans la limite de sept années au total. Par ailleurs, un originaire qui se trouve à moins de cinq ans de la limite d'âge reste sur le territoire. En calculant bien, un originaire peut donc, s'il revient sur son territoire à moins de quatorze ans de sa limite d'âge, y terminer sa carrière.
Dans l'administration pénitentiaire, l'affectation sur les territoires de la Polynésie et de la Nouvelle Calédonie d'un agent ne disposant pas de CIMM pour ce territoire d'affectation, est limitée à deux fois deux ans (séjour dit réglementé), afin notamment de libérer des postes pour les originaires disposant de leur CIMM dans le territoire.
Les postes sont attribués au classement parmi les seuls agents disposant de leur CIMM. À défaut de candidature utile parmi les agents disposant de leur CIMM, les postes sont ensuite attribués au classement général parmi les agents ne disposant pas de CIMM. Si cette situation peut exister dans les territoires de Polynésie et de la Nouvelle Calédonie, ce n'est jamais le cas pour les Antilles ou La Réunion où le nombre de candidatures est trop élevé eu égard au nombre de postes publiés.
Selon l'administration pénitentiaire, en moyenne, en tenant compte du nombre de voeux exprimés et du faible nombre de postes publiés, un surveillant ou un gradé peut rejoindre, hors application de dispositions spécifiques lui accordant une priorité de mutation, le territoire des Antilles et le territoire de La Réunion en 15 à 20 ans, les territoires de la Polynésie et de la Nouvelle Calédonie en 5 ans, le territoire de Mayotte en 10 ans.
En revanche, on rappellera que les dispositions relatives au statut des magistrats ne permettent pas l'affectation de magistrats en fonction de leur origine géographique.
La principale limite à l'affectation des originaires est le nombre de postes proposés, en particulier dans certains territoires comme La Réunion.
Pour Céline Personeni, commandante fonctionnelle de la police nationale, la priorité légale d'affectation donnée aux « cimmiens » finit par « emboliser » le système. Dans la police nationale à La Réunion par exemple, chaque année, il y a de moins en moins de postes proposés, ceux-ci étant occupés par des originaires : « C'est le revers de la médaille. C'est à peu près la même chose dans tous les territoires ».
Vos rapporteurs ne proposent pas de modifier les équilibres issus de la récente circulaire du 2 août 2023. Une meilleure transparence des décisions d'affectation éviterait sans doute des malentendus.
Recommandation n° 38 : Améliorer les conditions de prise en compte des CIMM pour la mobilité des originaires d'outre-mer :
- en rendant plus transparente et harmonisée l'application des critères CIMM dans les décisions concernant des originaires ;
- tenir compte de la situation des conjoints des demandeurs ;
- valoriser les carrières et les promotions outre-mer des originaires dans les administrations d'État.
La faible proportion de cadres issus des territoires est admise par tous et chaque administration affiche son ambition de faire émerger des ultramarins sur les postes d'encadrement.
Lors de la journée de la justice outre-mer en mars 2024, le ministre de l'intérieur avait insisté sur l'importance de pousser les ultramarins vers les postes d'encadrement et d'enquête, afin de ne pas donner crédit au reproche d'une « police ou d'un justice hexagonale ».
Pour Christian Nussbaum, il est important que des locaux s'investissent sur des postes d'encadrement. Cela passe notamment par une incitation des jeunes policiers ultramarins à passer les concours internes pour évoluer, ce qui leur permettra ensuite de venir en métropole sans forcément avoir envie de repartir rapidement car ils auront une carrière à faire.
Par ailleurs, il a cité le cas d'une technicienne de la police technique et scientifique (PTS) de La Réunion qui a réussi le concours d'ingénieur. Elle sera immédiatement affectée à La Réunion à sa sortie d'école.
Il a aussi cité la nomination d'un polynésien comme directeur territorial de la police nationale en Polynésie Française en 2022.
Même préoccupation à la gendarmerie nationale qui s'efforce d'inverser la tendance. Depuis l'été 2024, l'une des deux compagnies de gendarmerie en Polynésie française est commandée par un Polynésien. De même, en Nouvelle-Calédonie, le commandant de brigade de Boulouparis est un originaire.
Dans la magistrature, Paul Huber, directeur des services judiciaires, a dressé le tableau d'une magistrature comptant très peu d'ultramarins. Il n'y a par exemple aucun magistrat kanak et seulement un magistrat polynésien. Il estime qu'un travail reste à conduire avec les universités pour attirer et accompagner des candidats.
L'émergence de cadres ultramarins doit faire l'objet d'un plan d'action à moyen-long terme pour identifier les profils et mettre en place un accompagnement personnalisé tout au long de la carrière.
Les contractuels des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) : un vide juridique à combler
À ce jour, les agents contractuels de la collectivité des TAAF ne relèvent d'aucun statut de la fonction publique. Cela induit de réelles difficultés d'attractivité, de recrutement et de gestion. Cette situation concerne plus de la moitié des effectifs.
Cette situation tend à renforcer la spécialité législative du territoire, alors même que la majeure partie de ses missions portent sur des politiques publiques structurantes pour le pays, à l'instar de la souveraineté.
Suites aux échanges conduits avec la direction générale de la fonction publique début 2024, deux options sont envisagées :
- l'intégration des agents contractuels des TAAF dans le code général de la fonction publique, ce qui nécessitera une modification législative ;
- l'intégration des contractuels du territoire dans le programme 354 de l'État, à travers l'inscription d'une disposition dans une prochaine loi de finances.
Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, le Gouvernement avait obtenu que les agents contractuels des TAAF soient désormais affiliés au régime général de la sécurité sociale. Actuellement, l'administration des TAAF cotise volontairement à la Caisse des Français de l'Étranger (CFE) pour leur assurer une couverture sociale alors que la CFE a vocation à couvrir les Français expatriés.
Toutefois, la censure du Gouvernement à la suite du déclenchement de l'article 49-3 de la Constitution pour l'adoption du PLFSS 2025 a enterré (temporairement ?) cette avancée.
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Les 38 recommandations du présent rapport ont pour ambition de contribuer à la prise de conscience de la gravité de la situation et de ses effets délétères sur les sociétés ultramarines. Par ailleurs, elle hypothèque tout développement des territoires.
Sans une réaction à la hauteur des enjeux, l'avenir des outre-mer restera sans horizon.
* 98 Décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 relatif au droit de dérogation reconnu au préfet.
* 99 Selon le rapport de l'IGA, ces chiffres sont sans doute en deçà de la réalité, certains arrêtés pris n'étant pas transmis à l'administration centrale en dépit de la saisine obligatoire pour avis en amont. Le rapport constate par exemple qu'un département ayant transmis 12 arrêtés en avaient en réalité pris 17 depuis 2020, soit un écart de 42%.
* 100 La circulaire du 6 août 2020 relative à la dévolution au préfet d'un droit de dérogation aux normes réglementaires imposait une saisine obligatoire pour avis simple : « Afin d'informer systématiquement les secrétariats généraux des ministères intéressés en amont de la prise d'un arrêté préfectoral de dérogation, il vous est demandé d'adresser ce projet d'arrêté, accompagné de votre analyse justifiant le recours à la dérogation, à la DMAT (sous-direction de l'administration territoriale - bureau de l'organisation et des missions de l'administration territoriale - sdatbomat@interieur.gouv.fr}, laquelle procédera à une communication sans délai auprès du ou des secrétariats généraux concernés. Ces derniers disposeront d'un délai de 15 jours à réception du projet d'arrêté pour faire part de toute observation sur le document. Au terme de ce délai, la DMAT aura pour mission de vous faire parvenir le ou les avis (avis simple) qui lui auront été communiqués ou de vous informer de l'absence de toute réponse ».
* 101 Une liste non exhaustive est annexée au rapport de l'IGA (annexe 2).
* 102 Créé le 13 janvier 2020, le groupe de travail était présidé par Gérard Larcher, président du Sénat, et rassemblait les présidents des groupes politiques, le président de la commission des finances, le président de la commission des affaires sociales et le président de la délégation aux outre-mer. Le président de la commission des lois, Philippe Bas, en était le rapporteur général et le président de la délégation aux collectivités territoriales, Jean-Marie Bockel, le co-rapporteur.
* 103 On notera que le préfet outre-mer est déjà par exemple le délégué territorial de l'Agence nationale de la cohésion des territoires. En Guyane, le préfet gère les dotations et subventions de l'ANCT qui concourent à l'appui aux collectivités territoriales et à l'ingénierie territoriale.
* 104 « L'éloignement, aussi bien que le contexte politique et l'ampleur des défis économiques à relever imposent, outre-mer, un degré de déconcentration poussé et le strict respect de l'autorité de l'État à travers ses représentants.
Le représentant de l'État est, quel que soit son titre, le seul représentant du Premier ministre et des ministres. Les services déconcentrés de l'État sont, sauf exception, sous son autorité. Il est seul habilité à négocier et signer des conventions avec les autorités locales. Le respect de ses prérogatives vaut également pour les établissements publics nationaux implantés outre-mer. Tout projet de convention le concernant doit ainsi lui être soumis. »
* 105 Cette direction regroupe les services déconcentrés de l'État relevant des ministres chargés de l'environnement, de l'énergie, du développement durable, des transports, de la mer, de l'équipement, du logement, de l'urbanisme, de l'agriculture et de la forêt.
* 106 Cette direction regroupe les services déconcentrés de l'État relevant des ministres chargés de l'économie, de l'industrie, du travail, de l'emploi, des affaires sociales, de la jeunesse, de la santé, de la vie associative, de la culture, de la ville, des droits des femmes et des sports.
* 107 Sur les politiques académiques il s'agit d'une politique territorialisée notamment pour lutter contre l'illettrisme (entre 18 et 24 ans estimée à 30 %). Il y a deux ans une concertation de six mois a eu lieu avec les élus pour faire remonter les problèmes en vue d'une co-construction. Lors de la rentrée 2023- 2024 le plan 100 % lecteur monté avec des chercheurs allant du CM1 jusqu'au lycée professionnel a été mis en place avec un ciblage fin et une analyse des établissements. On estime que 20 % des élèves entreront dans ce dispositif avec un soutien pédagogique dans le 1er et le second degré.
Le plan créole prévoit plus d'options et de spécialités : des parcours bilingues du primaire au collège, avec l'idée de remettre « chaque langue dans son couloir », faire monter les professeurs en compétence (plan de formation), multiplier par deux des classes bilingues, augmenter les recrutements locaux, travailler sur le contenu et les ressources pédagogiques, etc.
* 108 Le Monde du 10 janvier 2025.
* 109 Voir Rapport « 22 propositions pour conforter l'autonomie et la proximité de l'action publique en Polynésie française » - Sénat.
* 110 Rapport d'information n° 123 (2023-2024), déposé le 16 novembre 2023 pour encourager l'intercommunalité en Polynésie française.
* 111 Chiffres fournis par la DGOM pendant son audition du 18 janvier 2024 par la délégation sénatoriale aux outre-mer et par le rapport 2011 de la Cour des Comptes https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/RPA-2011-Tome2.pdf
* 112 Rapport d'information n° 361 (2022-2023), déposé le 16 février 2023, sur l'évolution institutionnelle des outre-mer par Stéphane Artano et Micheline Jacques, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer.
* 113 En Guyane, seuls sept originaires étaient en poste au jour de l'audition du général Lionel Lavergne.