N° 264

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 janvier 2025

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer (1) sur l'action de l'État outre-mer : pour un choc régalien,

Par MM. Philippe BAS et Victorin LUREL,

Sénateurs

(1) Cette délégation est composée de : Mme Micheline Jacques, président ; Mmes Audrey Bélim, Mme Jocelyne Guidez, M. Victorin Lurel, Mme Viviane Malet, M. Akli Mellouli, Mmes Annick Petrus, Marie-Laure Phinéra-Horth, M. Teva Rohfritsch, Mme Lana Tetuanui, MM. Pierre-Jean Verzelen, Robert Wienie Xowie, vice-présidents ; M. Frédéric Buval, Mmes Vivette Lopez, Solanges Nadille, M. Georges Naturel, secrétaires ; Mmes Marie-Do Aeschlimann, Viviane Artigalas, MM. Philippe Bas, Olivier Bitz, Christian Cambon, M. Guillaume Chevrollier, Mmes Catherine Conconne, Evelyne Corbière Naminzo, MM. Mathieu Darnaud, Stéphane Demilly, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Philippe Folliot, Stéphane Fouassin, Éric Jeansannetas, Mikaele Kulimoetoke, Antoine Lefèvre, Alain Milon, Saïd Omar Oili, Georges Patient, Jean-Gérard Paumier, Mmes Évelyne Perrot, Salama Ramia, MM. Jean-Marc Ruel, Laurent Somon, Rachid Temal, Dominique Théophile.

L'ESSENTIEL

Quels que soient les débats institutionnels et le degré d'autonomie des territoires ultramarins, l'État conserve un coeur de compétences qualifié de pouvoir régalien, portant essentiellement sur la sécurité, la défense et la justice. La délégation sénatoriale aux outre-mer a décidé en 2024 d'étudier ce « noyau dur » non transférable qui fonde en grande partie la légitimité de l'État ainsi que la confiance des citoyens à son égard.

En effet, la multiplication et l'intensification des crises dans les outre-mer, dont les évènements récents à Mayotte1(*), en Nouvelle-Calédonie et en Martinique témoignent, interrogent la capacité de l'État à assurer pleinement ses missions premières et à construire des politiques publiques répondant efficacement aux réalités des territoires et aux besoins de leurs habitants.

À l'issue de plus d'une centaine d'auditions et après s'être rendus dans sept territoires, les rapporteurs Philippe Bas (LR-Manche) et Victorin Lurel (SER-Guadeloupe) dressent le constat d'une insécurité alarmante et multiforme dans la quasi-totalité des départements et régions d'outre-mer (Guadeloupe, Guyane, La Réunion, Martinique et Mayotte). Les collectivités d'outre-mer (Nouvelle Calédonie, Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis et Futuna) ne sont pas épargnées.

I. L'ÉTAT DÉFIÉ PAR DE NOUVEAUX ENJEUX ET MENACES

A. UN NIVEAU D'INSÉCURITÉ ALARMANT

1. Des actes de violence de plus en plus graves

Le diagnostic est celui d'une situation de sécurité dégradée, avec une aggravation des crimes et délits. La quasi-totalité sont en forte hausse depuis 10 ans et la tendance s'accélère.

En zone gendarmerie, par rapport aux chiffres de la délinquance enregistrés en 2023 en France (outre-mer et Hexagone), les outre-mer représentent :

 
 
 

...des atteintes aux biens

...des atteintes aux personnes

...des homicides et tentatives d'homicides

Ces territoires sont aussi marqués par des crises qui se traduisent par des violences urbaines d'une ampleur inédite qui déstabilisent les autorités locales, et en première ligne les maires.

En Nouvelle-Calédonie, des mobilisations ayant dégénéré en violences, qui ont commencé le 13 mai 2024, ont détruit quelque 700 entreprises et une large partie des circuits de distribution. En Martinique, lors des manifestations contre la vie chère, 142 entreprises auraient été pillées ou incendiées, selon les statistiques de la Chambre de Commerce et d'Industrie de la Martinique (CCIM). En 2023, 50 % des agressions de gendarmes départementaux et de gendarmes mobiles ont été commises dans les territoires ultramarins, et ces agressions ont représenté 25 % des blessés de la gendarmerie.

Les collectivités d'outre-mer ne sont pas épargnées par cette dérive.

Le fléau des violences intrafamiliales est particulièrement préoccupant et frappe tous les outre-mer. En 2023, ces outre-mer qui comptent 4% de la population nationale représentent :

11%

10%

Des violences Des féminicides

intra-familiales (VIF)

2. Des trafics et réseaux qui s'implantent partout

Les outre-mer sont devenus des zones de transit et de « rebond » pour les narcotrafics. Les territoires français de la Caraïbe et d'Amérique latine sont à proximité des quatre premiers producteurs mondiaux de cocaïne (Bolivie, Pérou, Colombie, Venezuela).

La zone Antilles-Guyane en particulier est particulièrement exposée. Proches d'autres pays de transit comme Sainte Lucie, le Guyana ou la République dominicaine et situés sur des routes historiques du transport maritime mondial, la Guyane et les Antilles françaises sont des portes d'entrée stratégiques pour le trafic de cocaïne à destination de l'Europe. Les Antilles subissent les effets du report de trafic lié au « 100 % contrôle » à l'aéroport de Cayenne.

Antilles-Guyane :

50 % de la cocaïne saisie en France

Ce phénomène gagne tous les territoires, même les plus éloignés : extension des « mules » à La Réunion, saisies record d'Ice en Polynésie (8,4 kilos en 2024), « route des voiliers » vers l'Australie et la Nouvelle-Zélande via l'archipel des Marquises... Des saisies spectaculaires sont devenues courantes comme en mars 2024 avec 1,8 tonne de cocaïne interceptée en une seule prise sur la partie française de Saint-Martin ou, le 10 janvier 2025, avec 9 tonnes saisies au large de la Martinique.

En 2024, 30 tonnes de cocaïne ont été saisies en Martinique, soit une multiplication par 5 en 10 ans (Source : OFAST)

D'autres trafics prospèrent en parallèle : la traite humaine liée à l'immigration illégale (13,6 victimes pour 100 000 habitants à Mayotte et en Guyane), la prolifération des armes à feu en provenance des États-Unis transformant certains territoires en « armurerie ambulante » ...

La vulnérabilité des milieux insulaires liée à leur géographie est accentuée par l'insuffisante présence de l'État. En Polynésie française par exemple, les services de l'État ne sont présents de manière permanente que dans 16 îles sur les 118 que comptent le territoire.

3. Un service public de la justice à la peine

Les faits de violences représentent 30 % du contentieux pénal en outre-mer contre 18 % au niveau national.

Face à cette montée des violences, l'institution judiciaire apparaît fragile dans les outre-mer. Les critères nationaux de répartition des effectifs de magistrats et de greffiers tenant compte essentiellement du nombre d'habitants ne sont pas adaptés à la réalité des chiffres de la délinquance et de la criminalité dans les outre-mer.

Les moyens contraints de la justice outre-mer, malgré les efforts récents, ne permettent pas de faire face aux défis, et en premier lieu celui de la géographie particulière des territoires :

ð Saint-Barthélemy et Saint-Martin accueillent un simple tribunal de proximité rattaché au tribunal judiciaire de Basse-Terre.

ð La Guyane, où tous les services (dont pénitentiaires) sont concentrés à Cayenne, connaît un « déficit structurel de moyens ».

ð La géographie archipélagique de la Polynésie française, grande comme l'Europe, caractérisée par l'éloignement et la dispersion de ses territoires, rend l'accès à la justice bien plus long, complexe et coûteux que dans l'Hexagone malgré les sections détachées et les audiences foraines. La faiblesse des réseaux numériques est un frein aux flux informatiques et à la modernisation annoncée par le ministère de la justice.

Les moyens humains de la justice restent globalement limités. Les outre-mer représentent 4,8 % des effectifs de magistrats pour traiter des affaires judiciaires. Le taux d'absentéisme (Guadeloupe, Guyane) ainsi que le taux de rotation sont particulièrement élevés dans certains territoires (Guyane, Mayotte, Guadeloupe) et sur certains postes (officiers de police judiciaire, greffiers). On constate un manque de professionnels de justice (avocats, interprètes, notaires, géomètres...) et pour les zones les plus isolées, un régime d'aide juridictionnelle inadapté.

À l'inverse, d'autres territoires comme la Polynésie connaissent des difficultés liées à l'insuffisante mobilité des magistrats, à la complexité du droit applicable (liée à la sédimentation des textes, à la répartition des compétences), aux difficultés de déplacements.

126 %

Taux d'occupation moyen en Hexagone

143 %

Taux moyen d'occupation carcérale dans les outre-mer

270 %

Taux d'occupation au pénitencier de Majicavo (Mayotte)

Une sous-capacité carcérale record

L'échec du « Plan 15 000 » de construction de places de prison supplémentaires annoncé en 2017.

La dégradation des conditions de vie des prisonniers (proximité forcée, vétusté/petitesse des infrastructures), compromet leur réinsertion et facilite tous types de trafic intra-muros et avec l'extérieur.

Les rapporteurs Philippe Bas et Victorin Lurel au centre pénitentiaire de Baie-Mahault en Guadeloupe (à gauche) et celui de Majicavo à Mayotte (à droite)

B. UN ÉTAT SOUS LA PRESSION CROISSANTE D'ATTEINTES EXOGÈNES

1. Des frontières difficiles à contrôler

La France dispose d'un espace maritime de près de 11 millions de km2, dont 97 % se situent en outre-mer. Elle possède la plus vaste zone économique exclusive (ZEE) de grands fonds marins avec 9,5 millions de km2 de ZEE situés sous 1 000 mètres de profondeur. Elle partage des délimitations avec 30 États sur environ 22 860 km de frontières communes.

Ces frontières côtières et terrestres sont difficilement contrôlables. Les côtes antillaises sont facilement accessibles depuis ses voisins de Sainte Lucie ou de la Dominique notamment par ces canots rapides « go fast » utilisés par les trafiquants. Cette porosité est un véritable défi qui souligne le déficit de moyens humains et technologiques de la police aux frontières et des services douaniers.

L'immigration massive frappe Mayotte (autour de 100 000 étrangers en situation irrégulière) et la Guyane (demandes d'asile multipliées par 3 en 2 ans).

 

Proportion de la population scolaire de Mayotte en situation irrégulière

La pêche illicite

- Navires en provenance du Brésil, du Suriname et du Guyana dans les eaux guyanaises et du Sud-est asiatique dans le Pacifique

- Augmentation des dispositifs de concentration de poissons (DCP) dérivants notamment aux Antilles et en Polynésie française

- 600 DCP échoués sur les côtes, récifs et baies polynésiennes entre 2021 et 2023

L'orpaillage illégal

- En Guyane, 7 200 orpailleurs clandestins (estimations Préfecture)

- 400 sites d'extraction

- Opération Harpie : 250 militaires et 150 gendarmes mobiles

- 7 à 10 tonnes d'or illégalement extraites chaque année

- 42 sites démantelés fin 2024

- Enjeux sécuritaires, environnementaux et économiques

Le pillage des ressources naturelles des territoires ultramarins est un autre fléau

2. Des espaces régionaux instables et exposés à la compétition entre puissances

Les ingérences étrangères constituent une autre menace pour la souveraineté française. Des puissances s'appuient sur les faiblesses françaises outre-mer, exploitant notamment l'image d'une « France coloniale » et affichant leur soutien des mouvements indépendantistes.

La conférence de Bakou en juillet 2024 est un exemple d'ingérence à l'initiative de l'Azerbaïdjan et relayée par l'ONG Baku Initiative Group (BIG). Sans contester la liberté d'opinion, l'existence avérée d'une campagne numérique ciblant les DROM-COM et la Corse, confirmée par le rapport Viginum du SGDN (décembre 2024), appelle une réaction.

La Chine en particulier marque son intérêt économique (nickel de Nouvelle-Calédonie) dans la zone Indopacifique et géopolitique (avant-poste dans l'océan Pacifique) dans cette région et démontre sa puissance militaire. Un tir d'essai de missile balistique s'est écrasé à 400 km de l'archipel français des Tuamotu en septembre 2024.

La délégation en déplacement en Polynésie française (brigade de gendarmerie de Raiatea) et à Saint-Martin (chantier de la cité administrative et judiciaire)

De plus, la plupart des outre-mer sont insérés dans des environnements instables (narco-États latino-américains, guerres civiles dans la région des Grands Lacs, etc.).

Cette situation d'ensemble, où l'État se trouve affaibli sur ses missions fondamentales, génère une perte de confiance des citoyens ultramarins et le développement d'un discours « anti-État outre-mer », d'où une véritable urgence indissociable du rétablissement de l'État de droit.

II. CONSOLIDER LE SOCLE RÉGALIER : LES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS

Face à ce constat alarmant, le défi de la sécurité dans les outre-mer doit être impérativement relevé. Toutefois, pour inverser réellement la tendance face à des menaces de nature exogène - narcotrafics, immigration parfois massive, trafic d'armes, orpaillage illégal, pêche illicite, ingérences... - l'État doit adopter une posture offensive, pleinement régalienne, souveraine. À défaut, l'État « arrosera le sable ».

Cela passe par la priorité donnée à la coopération régionale policière et judiciaire, un durcissement de l'emploi des forces et la restauration de l'étanchéité de nos frontières maritimes et terrestres.

Au total, le rapport formule 38 recommandations autour de cinq axes principaux.

A. RESTAURER LA SÉCURITÉ AU QUOTIDIEN

Première priorité : s'attaquer à la délinquance du quotidien, celle du « bas du spectre » qui empoisonne la vie des concitoyens ultramarins.

Les moyens des forces de sécurité intérieure et de la justice ont augmenté ces dernières années et devraient continuer à croître si les récentes lois de programmation sont bien mises en oeuvre. Aller au bout des renforts promis et des moyens annoncés est la première exigence. Mais d'autres leviers d'action existent :

 Densifier l'implantation territoriale des forces de sécurité, notamment par la création de brigades conjointes de proximité police nationale-police municipale et le développement de la réserve (recommandation n° 1).

 Privilégier les actions conjointes des forces de sécurité en lien avec l'autorité judiciaire pour cultiver l'esprit « Équipe France » (recommandation n° 2).

 Laisser aux forces de sécurité intérieure une liberté d'initiatives sur chaque territoire pour s'adapter rapidement aux besoins opérationnels (recommandation n° 3).

 Démultiplier la lutte contre les violences intrafamiliales et la judiciarisation des faits de violence, notamment par la création d'au moins une brigade de gendarmerie spécialisée dans chaque territoire et la généralisation du « pack Nouveau Départ » (recommandation n° 6).

 Accélérer l'exécution du « Plan 15 000 » pour la réhabilitation et la construction de places de prison outre-mer (recommandation n° 11).

 Préparer le transfert des extractions judicaires à l'administration pénitentiaire (recommandation n° 12) pour libérer des effectifs police-gendarmerie sur le terrain.

 Renforcer l'incarnation de la justice partout, avec le développement des audiences foraines dans les zones isolées, des points d'accès au droit, la création d'une cour d'appel à Mayotte et d'un tribunal judiciaire à Saint-Martin et l'accélération des grands chantiers immobiliers de la justice (recommandation n° 14).

Ces orientations doivent être couplées à une adaptation en continu des lois et règlements. Les contraintes opérationnelles de nombreux territoires ultramarins, et en particulier de ceux parmi les plus pauvres ou les plus isolés comme Mayotte et la Guyane, appellent des dispositions ad hoc complémentaires. Ces adaptations sont notamment nécessaires pour sécuriser juridiquement les procédures, tout en offrant aux justiciables des garanties suffisantes de leurs droits.

 Afin de prendre en compte les contraintes opérationnelles dans les zones isolées en Guyane et en Polynésie française, adapter les dispositions du code de procédure pénale relatives à la garde à vue, en faisant démarrer le début de celle-ci à compter de l'arrivée dans les locaux et non de l'interpellation dans la limite de 20 heures et en aménageant l'obligation de présence d'un avocat dès le début des auditions (recommandation n° 7).

 En l'absence d'avocat, faire usage de l'article 879 du code de procédure pénale qui permet la désignation de citoyens défenseurs agréés par le président de chambre d'appel de Mayotte, et étendre cette faculté à d'autres régions comme la Guyane (recommandation n° 8).

 Dans les territoires isolés ou manquant d'interprètes agréés, autoriser des interprètes non experts inscrits sur une liste arrêtée par le procureur de la République et ouvrir largement le recours à l'interprétariat par visioconférence ou par des logiciels d'intelligence artificielle (recommandation n° 9).

 À Mayotte, étendre le rappel à l'ordre par le maire aux violences volontaires sans ITT ou aux dégradations mineures, en coordination avec le procureur de la République (recommandation n° 10).

 Avancer à 5 heures du matin l'heure légale des perquisitions dans les territoires où le lever du jour est plus précoce que dans l'Hexagone.

B. DURCIR ET SPÉCIALISER LA LUTTE CONTRE LES NARCOTRAFICS

Vos rapporteurs partagent les principales conclusions de la commission d'enquête du Sénat du 7 mai 2024 sur l'impact du narcotrafic en France, et approuvent la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic qui découle de ces travaux.

Pour les outre-mer qui sont en première ligne face à ce tsunami de la criminalité organisée, l'enjeu est de détourner les flux afin que nos territoires ne servent plus de plateforme de rebond ou de porte d'entrée vers l'Europe. Pour y parvenir, outre les mesures précitées, les priorités sont les suivantes :

 Concentrer les renforts d'effectifs sur les enquêteurs et magistrats spécialistes de la criminalité organisée et financière (recommandation n° 15).

 Doter chaque bassin océanique de capacités de police scientifique et technique pour une exploitation plus rapide des données et sans passer nécessairement par l'Hexagone (recommandation n° 16).

 Consolider et optimiser les contrôles aéroportuaires à 100 %, avec des moyens renforcés (chambres carcérales pour les « mules », contrôle systématique des bagages par scanner...) à l'aéroport Félix Éboué en Guyane et les étendre aux Antilles, sécuriser dans la loi les arrêtés préfectoraux d'interdiction d'embarquement, créer une peine complémentaire d'interdiction de vol et simplifier la procédure (recommandation n° 17).

 Créer au sein du tribunal judiciaire de Cayenne une chambre correctionnelle permanente, une section du parquet en charge de la criminalité organisée, renforcer massivement la coordination avec la JIRS de Fort-de-France et, de manière générale, réexaminer le classement des tribunaux judiciaires ultramarins par groupe de juridiction (recommandation n° 18).

C. ENDIGUER L'IMMIGRATION CLANDESTINE

À Mayotte, et dans une moindre mesure en Guyane et à Saint-Martin, l'immigration clandestine massive est un facteur de déstabilisation des sociétés. À Mayotte, la situation est hors norme avec sans doute près du tiers de la population en situation irrégulière. Par son ampleur, l'immigration clandestine qui se double d'un habitat illégal, y remet en cause la confiance en l'État, voire sa capacité à affirmer sa souveraineté. Elle est le point d'achoppement de toutes les politiques publiques, engorgées par des besoins en hausse exponentielle. Le reflux de l'immigration illégale conditionnait déjà, avant le passage du cyclone Chido, le développement de l'île. Cette analyse est encore plus vraie aujourd'hui. C'est la priorité.

 À Mayotte, engager tous les moyens nécessaires à la réussite du « rideau de fer » vis-à-vis des Comores (recommandation n° 19), notamment en :

- déployant un système global modernisé de détection et de surveillance (radars, drones, surveillance aérienne, caméras longue portée...) ;

- établissant des bases nautiques avancées au plus près de l'espace maritime comorien ;

- accroissant les moyens nautiques d'interception ;

- maintenant de manière quasi permanente une présence de bâtiments militaires entre Anjouan et Mayotte ;

- enregistrant systématiquement les empreintes digitales des étrangers éloignés.

 Rendre obligatoire la justification de l'origine des fonds dès le premier euro pour les transferts d'argent en espèces vers les Comores (recommandation n° 20) et créer un fichier unique de l'état civil et des attestations de résidence (recommandation n° 21).

La délégation en déplacement à La Réunion (ComSup) et à Saint-Barthélemy (fort de la gendarmerie à Gustavia)

 Réaliser une étude d'impact sérieuse de la réforme adoptée en 2018 des modes d'acquisition de la nationalité française par les enfants nés à Mayotte de parents étrangers et réexaminer la durée exigée de résidence régulière et ininterrompue des deux parents avant la naissance (recommandation n° 22).

D. AGIR EN ÉTAT SOUVERAIN FACE À UNE CRIMINALITÉ ET DES MENACES EXOGÈNES

Une réponse uniquement judiciaire et administrative ne parviendra pas à changer la donne, sauf à s'épuiser dans une hausse continue des moyens engagés. Elle doit impérativement s'appuyer sur une posture stratégique combinant :

- Coopération régionale intensive ;

- Durcissement de l'emploi des forces ;

- Restauration de la crédibilité du contrôle de nos frontières maritimes et terrestres.

 Définir une diplomatie française des outre-mer, c'est-à-dire une diplomatie qui, dans la définition de nos relations avec les pays voisins des outre-mer, prend prioritairement en considération les intérêts de ces territoires, et la coconstruire avec les territoires (recommandation n° 23).

 Faire de la coopération judiciaire et policière avec tous les États situés dans l'espace régional des outre-mer une priorité, notamment en concluant des conventions d'extradition, de transfèrement, de réadmission ou d'échanges d'informations, en renforçant le réseau des attachés de sécurité intérieure (ASI) et magistrats de liaison et en concluant des conventions de délimitation des eaux territoriales et des accords de pêche (recommandation n° 24).

 Traiter les actions armées d'orpaillage illégal menées depuis l'étranger comme une atteinte extérieure à la souveraineté territoriale française et, en conséquence, durcir l'emploi des forces armées en activant le dispositif de défense opérationnelle du territoire (DOT) prévue à l'article R. 1421-1 du code de la défense (recommandation n° 26).

 En Guyane, dans la lutte contre la pêche illégale, détruire dès la première infraction les navires de pêches étrangers saisis.

Géant aux pieds d'argile, l'espace maritime de la France appelle une consolidation rapide de sa protection et de sa préservation. Les frontières outre-mer sont poreuses et celles-ci commencent en mer, dans notre espace maritime immense qui fait l'objet de multiples violations.

 Arrêter un plan à 5 ans de modernisation des moyens techniques de contrôle des frontières maritimes de chaque territoire ultramarin, incluant le déploiement de drones aériens et maritimes, vecteurs nautiques et héliportés d'intervention, radars, surveillance aérienne, scanners fixes et mobiles à ondes millimétriques, intégration de solutions IA, moyens optroniques, sécurisation des ports... (recommandations n° 27 et 28).

 Mettre en place dans chaque territoire une « force aux frontières », coordonnant sous l'autorité du préfet (police, gendarmerie, douanes, armées, affaires maritimes) les opérations de contrôle frontalier terrestre et maritime (recommandation n° 29).

E. RESTAURER LA CENTRALITÉ DE L'ÉTAT AUTOUR DU PRÉFET

Si l'image et l'autorité du représentant de l'État dans les outre-mer demeurent fortes, pour des raisons historiques, administratives et géographiques, sa capacité réelle d'initiative et de supervision de l'action de l'État s'est érodée. Il convient de la restaurer.

 En application de l'article 73 de la Constitution, accroître la liberté de déroger des préfets dans les outre-mer en modifiant le décret du 8 avril 2020 et en prévoyant plus fréquemment cette faculté dans les textes (recommandation n° 31).

 Expérimenter une déconcentration renforcée des services de l'État outre-mer, autour du préfet, réduire le nombre d'opérateurs par un redéploiement des ETP dans les services déconcentrés et évaluer prioritairement la réforme de l'organisation des services de l'État en Guyane en vue de sa possible généralisation aux autres territoires ultramarins (recommandation n° 32).

 Laisser à la main des préfets des moyens budgétaires plus importants pour financer des opérations innovantes et adapter les politiques publiques aux réalités territoriales (recommandation n° 33).

 Reconnaître pleinement le rôle diplomatique des préfets en poste outre-mer (recommandation n° 25).

Enfin, l'accent doit être fermement mis sur la diffusion d'une véritable culture outre-mer de l'État en intégrant la dimension humaine à cet objectif : un suivi « sur-mesure » des affectations outre-mer, l'attractivité renforcée des postes pour attirer les compétences et la priorité au retour des agents originaires des outre-mer. La prise en compte des centres des intérêts matériels et moraux (CIMM), si elle a progressé, appelle encore plus de transparence et d'harmonisation (recommandations n° 34 à 38).

LISTE DES RECOMMANDATIONS

I. RESTAURER LA SÉCURITÉ AU QUOTIDIEN

Recommandation n° 1 : Densifier l'implantation territoriale des forces de sécurité par :

- la création de brigades conjointes de proximité police nationale - police municipale ou gendarmerie-police municipale, au coeur des quartiers sensibles, sur le modèle du quartier de Sandy Ground à Saint-Martin ;

- le déploiement des nouvelles brigades de gendarmerie dans les zones tendues (Guyane, Mayotte) et la consolidation des effectifs de gendarmerie mobile ;

- le renforcement du recours à des réservistes formés et intégrés au dispositif ;

- l'attribution de la qualité d'agent de police judiciaire aux policiers territoriaux de Saint-Barthélemy.

Recommandation n° 2 : Au niveau de chaque territoire, assurer la bonne coordination des forces de sécurité outre-mer - esprit « équipe France » :

- en donnant instruction aux préfets et à chaque responsable des principales forces (police nationale, gendarmerie, douane, affaires maritimes, armée, offices spécialisés) de privilégier les actions conjointes en lien avec l'autorité judiciaire : partage d'informations, réunions périodiques, opérations...

- en veillant à une répartition équilibrée des moyens spécialisés de lutte contre la criminalité entre les territoires appartenant à un même ensemble régional ;

- en recourant plus fréquemment aux groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD) sous l'autorité du procureur de la République.

Recommandation n° 3 : Laisser aux forces de sécurité intérieure une liberté d'initiative pour adapter et faire évoluer les doctrines d'emploi à la situation de chaque territoire (comme à Mayotte avec l'intégration d'officiers de police judiciaire dans les dispositifs de maintien de l'ordre ou la création de nouvelles unités dédiées à l'interpellation des chefs de bande) sous le contrôle du préfet et du procureur.

Recommandation n° 4 : Supprimer l'octroi de mer sur les importations de matériels dédiés aux forces de sécurité et affecter cette économie à l'achat de matériels adaptés supplémentaires.

Recommandation n° 5 : Informer et mieux associer les maires aux opérations de maintien ou de rétablissement de l'ordre, et procéder à des retours d'expérience réguliers sur les opérations et mesures de police prises (couvre-feu, interdiction de la consommation d'alcool, utilisation de grenades en zone dense...).

Recommandation n° 6 : Démultiplier la lutte contre les violences intrafamiliales avec :

- la création dans chaque territoire d'au moins une brigade de gendarmerie spécialisée dans la lutte contre les VIF pour augmenter le nombre d'enquêteurs et la judiciarisation des faits constatés ;

- la généralisation du « pack Nouveau Départ », expérimenté à La Réunion, pour mieux coordonner tous les acteurs, protéger et sortir les victimes du cycle de la violence ;

- la formation sur le long cours des forces de sécurité intérieure à l'écoute et l'accueil des victimes ;

- le renforcement du volet social avec notamment la sanctuarisation du financement des postes des Intervenants sociaux en commissariat et en gendarmerie (ISCG) et la création de nouvelles maisons de protection des familles (MPF).

Recommandation n° 7 : Afin de prendre en compte les contraintes opérationnelles dans les zones isolées de la Guyane et de la Polynésie française, adapter les dispositions du code de procédure pénale relatives à la garde à vue, en faisant démarrer le début de celle-ci à compter de l'arrivée dans les locaux et non de l'interpellation, dans la limite de 20 heures, et en aménageant l'obligation de présence d'un avocat dès le début des auditions.

Recommandation n° 8 : À Mayotte, en l'absence d'avocat, faire usage de l'article 879 du code de procédure pénale qui permet la désignation de citoyens défenseurs agréés par le président de chambre d'appel de Mamoudzou, et étendre cette faculté à certaines régions de la Guyane.

Recommandation n° 9 : Dans les territoires isolés ou manquant d'interprètes agréés, autoriser des interprètes non experts inscrits sur une liste arrêtée par le procureur de la République et ouvrir largement le recours à l'interprétariat par visioconférence ou par des logiciels d'intelligence artificielle.

Recommandation n° 10 : À Mayotte, étendre le rappel à l'ordre par le maire aux violences volontaires sans ITT ou aux dégradations mineures, en coordination avec le procureur de la République.

Recommandation n° 11 : Accélérer l'exécution du « plan 15 000 » pour la réhabilitation et la construction de places de prisons outre-mer, notamment en Guyane, Guadeloupe et Martinique, et créer plusieurs centres éducatifs fermés à Mayotte et en Guyane.

Recommandation n° 12 : Préparer le transfert des extractions judiciaires à l'administration pénitentiaire selon un rythme adapté à l'évolution des effectifs de celle-ci, aux capacités de chaque territoire et en garantissant une évaluation réaliste des ETP nécessaires, pour redéployer plus de gendarmes et de policiers sur le terrain.

Recommandation n° 13 : Consolider les effectifs de jeunes intégrant le Service Militaire Adapté (SMA), étudier les modalités d'une implantation à Saint-Martin et renforcer les liens avec la Fondation du SMA pour un meilleur suivi de la réinsertion.

Recommandation n° 14 : Afin de renforcer l'incarnation de la justice dans les outre-mer :

- créer une cour d'appel de plein exercice à Mayotte et un tribunal judiciaire à Saint-Martin ;

- créer des sections détachées en Guyane, voire dans l'archipel de la Guadeloupe sur le modèle polynésien ;

- développer les audiences foraines et le recours à la visioconférence ;

- fiabiliser le réseau numérique et les applications métiers du ministère de la justice dans les outre-mer ;

- mieux financer les points d'accès au droit pour offrir des consultations gratuites aux populations ;

- accélérer les grands chantiers immobiliers de la justice, notamment la réhabilitation des locaux de la cour d'appel et du tribunal judiciaire de Basse-Terre et les cités judiciaires de Saint-Martin, Saint-Laurent du Maroni et Mayotte.

II. DURCIR ET SPÉCIALISER LA LUTTE CONTRE LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE, EN PARTICULIER LES NARCOTRAFICS

Recommandation n° 15 : Concentrer les renforts d'effectifs sur les enquêteurs et magistrats spécialistes de la criminalité organisée et financière, en ciblant en priorité les Antilles, la Guyane et la Polynésie française, et créer un Groupe interministériel de recherche (GIR) pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy.

Recommandation n° 16 : Doter chaque bassin océanique de capacités de police scientifique et technique, pour une exploitation plus rapide des données et sans passer nécessairement par l'Hexagone.

Recommandation n° 17 : À l'aéroport Félix Éboué en Guyane, consolider les contrôles à 100 %, avec des moyens renforcés (chambres carcérales pour les « mules », contrôle systématique des bagages par scanner...), les étendre aux Antilles, sécuriser dans la loi les arrêtés préfectoraux d'interdiction d'embarquement et créer une peine complémentaire d'interdiction de vol.

Recommandation n° 18 : Créer au sein du tribunal judiciaire de Cayenne une chambre correctionnelle permanente, une section du parquet en charge de la criminalité organisée, renforcer massivement la coordination avec la JIRS de Fort-de-France et de manière générale, réexaminer le classement des tribunaux judiciaires ultramarins par groupe de juridiction.

III. ENDIGUER L'IMMIGRATION CLANDESTINE, EN ASSUMANT UNE POLITIQUE DE FERMETÉ

Recommandation n° 19 : À Mayotte, engager tous les moyens nécessaires à la réussite du « rideau de fer » vis-à-vis des Comores, notamment en :

- déployant un système global modernisé de détection et de surveillance (radars, drones, surveillance aérienne, caméras longue portée...) ;

- établissant des bases nautiques avancées au plus près de l'espace maritime comorien ;

- accroissant les moyens nautiques d'interception ;

- maintenant de manière quasi permanente une présence de bâtiments militaires entre Anjouan et Mayotte ;

- enregistrant systématiquement les empreintes digitales des étrangers éloignés.

Recommandation n° 20 : Rendre obligatoire la justification de l'origine des fonds dès le premier euro pour les transferts d'argent en espèces vers les Comores.

Recommandation n° 21 : Créer un fichier unique de l'état civil, ainsi qu'un fichier des attestations de résidence à Mayotte et en Guyane.

Recommandation n° 22 : Réaliser une étude d'impact sérieuse de la réforme adoptée en 2018 des modes d'acquisition de la nationalité française par les enfants nés à Mayotte de parents étrangers et examiner la possibilité d'allonger par une loi ordinaire la durée exigée de résidence régulière et ininterrompue des deux parents.

IV. AGIR EN ÉTAT SOUVERAIN FACE AUX MENACES EXOGÈNES

Recommandation n° 23 : Définir une diplomatie française des outre-mer coconstruite avec les territoires.

Recommandation n° 24 : Faire de la coopération judiciaire et policière avec tous les États situés dans l'espace régional des outre-mer une priorité, notamment en concluant des conventions d'extradition, de transfèrement, de réadmission ou d'échanges d'informations, de délimitation des eaux territoriales et en renforçant le réseau des attachés de sécurité intérieure (ASI) et magistrats de liaison.

Recommandation n° 25 : Reconnaître pleinement le rôle diplomatique des préfets en poste outre-mer, leur importance et leur rôle stratégique (postes d'observation, recueil d'informations, relations avec les responsables locaux et les représentations diplomatiques, production de notes et comptes rendus) et les doter d'au moins un conseiller diplomatique.

Recommandation n° 26 : Traiter l'orpaillage illégal comme une atteinte extérieure à la souveraineté territoriale française et, en conséquence, durcir l'emploi des forces armées en activant le dispositif de défense opérationnelle du territoire (DOT) prévue à l'article R. 1421-1 du code de la défense.

Recommandation n° 27 : Arrêter un plan à 5 ans de modernisation des moyens techniques de contrôle des frontières maritimes de chaque territoire ultramarin, incluant le déploiement de drones aériens et maritimes, vecteurs nautiques et héliportés d'intervention, radars, surveillance aérienne, scanners fixes et mobiles à ondes millimétriques, intégration de solutions IA, moyens optroniques...

Recommandation n° 28 : Avec les autorités en charge de la gestion des ports ultramarins, repenser entièrement les infrastructures portuaires ultramarines en matière de sûreté (badge, vidéoprotection, sécurisation des plateformes, sûreté, analyse IA, scanners de conteurs...) préalablement à l'augmentation des capacités portuaires et du trafic de marchandises.

Recommandation n° 29 : Mettre en place dans chaque territoire une « force aux frontières » ou « border force », coordonnant sous l'autorité du préfet (police, gendarmerie, douanes, armées, affaires maritimes) les opérations de contrôle frontalier terrestre et maritime.

Recommandation n° 30 : Pour lutter contre les opérations d'influences étrangères outre-mer :

- Surveiller et rendre publiques les ingérences étrangères qui se développent en vue d'attiser un sentiment anti-français, notamment par le biais des rapports Viginum (SGDSN) ;

- Communiquer davantage sur l'effort financier de l'État dans les différents territoires (sécurité, éducation, justice, protection...) ;

- Mettre en oeuvre dans les outre-mer, les recommandations du rapport de la commission d'enquête du Sénat de juillet 2024.

V. RESTAURER LA CENTRALITÉ DE L'ÉTAT AUTOUR DU PRÉFET ADAPTER L'ÉTAT LOCAL POUR ACCOMPAGNER LE CHOC RÉGALIEN

Recommandation n° 31 : En application de l'article 73 de la Constitution, accroître la liberté de déroger des préfets dans les outre-mer :

- en modifiant le décret du 8 avril 2020 pour étendre cette liberté à tous les domaines, à l'exception de ceux intéressant les libertés publiques et la sécurité, et à certains actes de nature réglementaire sous le contrôle du Premier ministre ou du ministre responsable ;

- en prévoyant plus fréquemment dans les textes de loi ou réglementaire une disposition permettant au représentant de l'État outre-mer de déroger à la norme dans certaines conditions.

Recommandation n° 32 : Expérimenter une déconcentration renforcée des services de l'État outre-mer, autour du préfet, réduire le nombre d'opérateurs par un redéploiement des ETP dans les services déconcentrés et évaluer prioritairement la réforme de l'organisation des services de l'État en Guyane en vue de sa possible généralisation aux autres territoires ultramarins.

Recommandation n° 33 : Laisser à la main des préfets des moyens budgétaires plus importants pour financer des opérations innovantes et adapter les politiques publiques aux réalités territoriales.

VI. UNE GESTION DIFFÉRENCIÉE DES RESSOURCES HUMAINES OUTRE-MER

Recommandation n° 34 : Rendre obligatoires les modules de formation aux spécificités outre-mer pour tous les fonctionnaires d'État affectés dans ces territoires et mieux organiser les transmissions d'expériences.

Recommandation n° 35 : Dans les outre-mer les moins attractifs, proposer des « contrats de mobilité » garantissant l'affectation de leur choix aux agents de l'État après leur mission outre-mer pour attirer les personnels compétents, sur le modèle du ministère de la Justice et sous réserve d'avoir démontré son engagement le temps de son affectation, et proposer des solutions de logement et d'accompagnement à l'installation sur-mesure.

Recommandation n° 36 : Renforcer la capacité des préfets à mobiliser des renforts ponctuels depuis l'Hexagone (brigades ou plateforme d'ingénierie, équipes de préfiguration...) pour débloquer ou accélérer des dossiers structurants.

Recommandation n° 37 : Instituer des règles de mobilité spécifiques pour les magistrats du siège et du parquet exerçant dans des ressorts juridictionnels très étroits, comme en Polynésie française, en limitant l'exercice de leurs fonctions sur place à cinq années prolongeables deux ans sur les postes requérant une technicité particulière.

Recommandation n° 38 : Améliorer les conditions de prise en compte des CIMM pour la mobilité des originaires d'outre-mer :

- en rendant plus transparente et harmonisée l'application des critères CIMM dans les décisions concernant des originaires ;

- tenir compte de la situation des conjoints des demandeurs ;

- valoriser les carrières et les promotions outre-mer des originaires dans les administrations d'État.

AVANT PROPOS

Quels que soient les débats institutionnels et le degré d'autonomie des territoires ultramarins, l'État conserve un coeur de compétences qu'on nomme pouvoir régalien et qui couvre, pour l'essentiel, la sécurité, la défense et la justice.

C'est ce noyau dur, non transférable, qui fonde en grande partie la légitimité de l'État et la confiance des citoyens à son égard, que la délégation sénatoriale aux outre-mer a décidé d'étudier dans le cadre d'une mission d'information confiée à deux rapporteurs : Philippe Bas (LR - Manche) et Victorin Lurel (SER - Guadeloupe).

En effet, la multiplication et l'intensification des crises dans les outre-mer dont les évènements récents à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie et en Martinique témoignent, interrogent la capacité de l'État à assurer pleinement ses missions premières et à construire des politiques publiques correspondant efficacement aux réalités des territoires concernés et de leurs habilitants.

La mission d'information s'est attachée à prendre la mesure des difficultés actuelles de l'exercice du pouvoir régalien dans les outre-mer.

Au cours des six derniers mois, elle a réalisé 15 auditions au Sénat, 112 auditions dans les territoires visités, représentant un total de 230 personnes qualifiées entendues : ministres et directeurs d'administrations centrales, présidents et vice-présidents de collectivités, préfets et sous-préfets, chefs de juridictions, directeurs d'établissements pénitentiaires, recteurs et chefs d'établissements scolaires, maires, commandements de la gendarmerie, personnels des directions locales de la police nationale et des directions de la douane, officiers de la Marine nationale, auxquels se sont ajoutés de nombreux représentants des personnels de l'État.

Elle s'est également rendue dans sept territoires (La Réunion, Mayotte, Martinique, Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Polynésie française) et au siège des Terres Australes et Antarctiques françaises.

Elle a procédé par visioconférences pour les autres collectivités ultramarines (Guyane, Saint-Pierre-et-Miquelon) ou par questionnaires (Wallis-et-Futuna), et s'est appuyée sur les rapports précédemment publiés par les instances du Sénat, en particulier ceux de la commission des lois sur la situation dans les Antilles, en Polynésie ou en Guyane et celui de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France.

Les travaux de la mission ont été conduits avant le passage dévastateur du cyclone Chido à Mayotte le 14 décembre 2024. Ce territoire déjà fragilisé par une série dramatique de crises depuis plusieurs années, où les politiques publiques sont sans cesse débordées par les effets démographiques d'immigration massive, est à terre. Le passage du cyclone a exacerbé les faiblesses préexistantes du territoire, mais n'a pas fondamentalement changé les termes du diagnostic en matière de sécurité. Les recommandations du présent rapport demeurent donc pertinentes et leur mise en oeuvre encore plus urgente et vitale pour la réussite de la reconstruction.

Ce rapport ne peut prétendre à l'exhaustivité compte tenu du champ d'intervention étendu et complexe de l'État dans les différents territoires ultramarins, chacun ayant une histoire et un environnement géographique particuliers, mais se propose de refléter le plus fidèlement possible les travaux menés par la délégation aux outre-mer au cours des derniers mois. Il ne traite pas des aspects institutionnels qui ont pu être évoqués par les personnes auditionnées lors de certains échanges.

Sur ce dernier point, on se reportera aux rapports du Sénat déjà publiés. En juillet 2020, le groupe de travail trans-partisan sur la décentralisation, présidé par Gérard Larcher, a formulé 50 propositions dont trois relatives aux outre-mer. La proposition n° 42 prévoit en particulier « d'adapter les normes nationales et les modalités de l'action des autorités de l'État aux caractéristiques et contraintes particulières des territoires ultramarins par une loi annuelle d'actualisation du droit outre-mer ». Cette proposition a été réitérée et enrichie par les rapports de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur la différenciation territoriale en septembre 2020 et sur l'avenir institutionnel des outre-mer en février 2023.

Les rapporteurs tiennent à remercier tout spécialement la présidente de la délégation, Micheline Jacques, qui a conduit l'ensemble des auditions et des déplacements, Jacqueline Eustache-Brinio et Audrey Bélim qui ont effectué le déplacement en Polynésie française ainsi que tous leurs collègues sénateurs qui les ont accompagnés et éclairés, en particulier Lana Tetuanui et Teva Rohfritsch en Polynésie française, Thani Mohamed Soilihi et Saïd Omar Oili à Mayotte, Audrey Bélim, Viviane Malet et Evelyne Corbières Naminzo à La Réunion, Annick Pétrus à Saint-Martin et Frédéric Buval à la Martinique.

Ils ont apporté à la mission une connaissance intime des réalités de leurs territoires, tant au cours de ces déplacements que des nombreux entretiens qu'ils ont partagés.

Nourri de ces différentes sources, le présent rapport formule les constats et les recommandations qui suivent.

I. LE CONSTAT ALARMANT D'UN ÉTAT DÉFIÉ PAR DE NOUVEAUX ENJEUX ET DES MENACES MULTIPLES

Les territoires ultramarins figurent parmi les collectivités où la violence est la plus intense. Les populations ultramarines vivent dans un climat d'insécurité croissante que l'on a du mal à mesurer depuis l'Hexagone mais qui est corroboré par les chiffres et les témoignages recueillis, lesquels attestent d'une aggravation préoccupante.

A. UNE SÉCURITÉ DÉGRADÉE

Dans la plupart des territoires ultramarins, les faits de violences sont beaucoup plus élevés que dans l'Hexagone, en particulier les homicides, les tentatives d'homicides et les vols avec violences.

Ils sont essentiellement combattus par des agents de l'État : la police nationale outre-mer, qui comprend 6 500 fonctionnaires, et la gendarmerie outre-mer, qui compte 7 200 militaires et civils.

L'État s'appuie aussi sur les forces de police municipale et intercommunale, qui apportent leur soutien et leur connaissance du terrain mais ne disposent pas des mêmes prérogatives.

1. Des atteintes aux personnes et aux biens de plus en plus graves

Les forces de sécurité sont confrontées dans les outre-mer à des taux particulièrement élevés de délinquance, auxquels s'ajoutent des violences urbaines et intrafamiliales d'une grave intensité.

a) Des chiffres de délinquance alarmants

Les chiffres de la délinquance publiés en 2024 par le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) pour l'année 2023 placent les départements et régions d'outre-mer (DROM) dans le haut du classement. Le taux de coups et blessures par rapport à la population se situe parmi les plus élevés de ceux enregistrés au niveau national.

Dans les DROM, le nombre de destructions et dégradations volontaires arrive en tête des statistiques tous départements confondus.

Principaux indicateurs de la délinquance enregistrée par la police et la gendarmerie nationale dans les DROM

Source : Atlas départemental de la délinquance enregistrée en 2023 : SSMSI.

Source : SSMSI 2023

Les départements d'outre-mer sont plus concernés par les violences physiques (hors cadre familial) que la moyenne nationale qui s'établit en 2023 à 30 victimes pour 10 000 habitants2(*).

Les taux départementaux de victimes enregistrées en 2023 pour 10 000 habitants varient de 18 en Mayenne à 79 à Mayotte. Mais les 4 départements affichant un taux supérieur à 50 sont tous localisés outre-mer : Mayotte (79), la Guyane (68), la Guadeloupe (56) et la Martinique (51). Viennent ensuite trois départements hexagonaux, Paris (48), la Seine-Saint-Denis (47) et le Pas-de-Calais (38)3(*).

Le nombre d'homicides pour 100 000 habitants enregistrés sur la période 2021-20234(*) indique les suivants : Guyane : 20,5 ; Guadeloupe : 9,4 ; Martinique : 6,9 ; Mayotte 5,5 ; La Réunion : 2,2 contre 1,5 en France métropolitaine.

Christian Nussbaum5(*), chef de la mission outre-mer de la direction générale de la police nationale (DGPN), a confirmé devant la délégation que « la délinquance outre-mer est un vrai sujet pour la police nationale. La criminalité est beaucoup plus élevée dans la plupart des territoires ultramarins que dans l'Hexagone, notamment sur les items « homicides volontaires », « tentatives d'homicides volontaires » et « vols avec violence » ». Sur les causes de ce niveau élevé de violences, il a évoqué outre les fragilités économiques et sociales des territoires concernés, la consommation excessive d'alcool et de produits stupéfiants, notamment aux Antilles et en Guyane qui sont les départements les plus violents. Il y a aussi, selon lui, un rapport particulier à la violence : « les jeunes ne se rendent pas compte du degré de violence de leurs actes ».

Dans les statistiques recueillies par la gendarmerie, le général Lionel Lavergne, commandant de la gendarmerie d'outre-mer (CGOM), a également fait état du niveau de violences préoccupant. Les outre-mer représentent ainsi par rapport au bilan national :

- 15 % des atteintes aux biens ;

- 25 % des atteintes aux personnes ;

- 30 % des homicides et tentatives d'homicide ;

- et plus de 50 % des vols à main armée.

De plus, ces phénomènes de violences progressent d'une année sur l'autre.

Source : SSMSI 2023

L'augmentation des violences avec armes est en outre particulièrement alarmante.

Concernant les vols avec armes, quatre DROM enregistrent un nombre bien supérieur à la moyenne nationale (laquelle s'élève à 0,1 %o par habitant) : la Guyane (3,0 %o), Mayotte (2,5 %o), la Guadeloupe (1,2 %o) et la Martinique (0,6 %o).

La montée de ce type de violences a été pointée lors des auditions. Julien Retailleau6(*), sous-directeur de la justice pénale spécialisée de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice, a indiqué que l'usage des armes à feu est en expansion rapide aux Antilles, avec un taux de tentatives d'homicide très préoccupant, sans commune mesure avec ce que l'on observe dans l'Hexagone, et par l'usage d'armes blanches, en particulier à Mayotte et à La Réunion.

En 2023, un tiers des vols à main armée constatés par la gendarmerie au niveau national ont été perpétrés en Guyane, et un tiers des vols commis par arme blanche en France l'ont été à Mayotte.

Dans le cadre de la table ronde Guyane, le préfet Antoine Poussier a aussi pointé ce fléau des vols à main armée : « Nous observons des vols à main armée de commerces, en particulier de libre-service, des vols à main armée de voie publique - arrachage, souvent de chaînes en or ou de téléphone -, et les vols à main armée à domicile. Ce type de délinquance joue considérablement sur le sentiment d'insécurité ».

La gravité de la situation est régulièrement relayée par la presse. Dans un article publié en novembre 2024 titré « Meurtre sous les tropiques », le Canard enchaîné indiquait notamment que la Guadeloupe avait recensé depuis le début de l'année un taux d'homicides par arme à feu sept fois supérieur à celui enregistré dans l'Hexagone. Avec le narcotrafic, les armes à feu importées depuis le Venezuela, les États-Unis, la Colombie et le Brésil se sont répandues au point que le territoire y est qualifié « d'armurerie ambulante » selon l'expression de Thierry Baucelin, secrétaire territorial du syndicat Alliance.

Lors des déplacements dans les DROM, le sujet de la sécurité a été omniprésent dans les entretiens. En Martinique, les maires rencontrés, qui sont en première ligne, ont fait état du climat qui se développe au point que certains ont peur pour leur propre sécurité et font l'objet d'agressions jamais vues auparavant. Ils constatent que les phénomènes de délinquance, portés par le trafic de drogue, « polluent et corrompent jusqu'aux enfants des collèges ». Les bracelets électroniques factices s'achètent « pour avoir le prestige des bad boys ». Les habitants âgés sont angoissés par les nuisances sonores provoquées par des engins motorisés débridés. Les squats amplifiés par l'indivision (on estime à 38 000 le nombre de maisons abandonnées en Martinique) servent souvent de caches d'armes et de drogue...

Sur chaque territoire visité, les rapporteurs sont allés à la rencontre des autorités chargées de la sécurité (préfet, police, gendarmerie, douanes) qui n'ont pas caché la difficulté de leurs tâches dans des départements où se cumulent pauvreté et chômage.7(*)

Les trafics qui fleurissent ont accru les violences, plus marquées « au quotidien » partout dans les Antilles françaises, à l'exception de Saint-Barthélemy.

En Guadeloupe comme en Martinique, les représentants de la Direction territoriale de la police nationale (DTPN) évoquent l'accroissement des prises d'armes lors de simples contrôles routiers et un « usage débridé » des armes. Les représentants des forces de l'ordre estiment également qu'on assiste à une « professionnalisation » des gangs, « directement liée au trafic de stupéfiants ». L'implantation de gangs en provenance de Haïti à l'occasion de l'arrivée de réfugiés est facilitée par la présence d'une forte communauté installée depuis plusieurs années. Les Haïtiens constituent en effet la minorité la plus importante aux Antilles françaises, suivis par les Dominicains et les ressortissants de l'île de la Dominique (Dominiquais).

En Martinique, la situation géographique en a fait un « hub du trafic de cocaïne et de rebond des mules guyanaises » ainsi qu'une plateforme pour le trafic d'armes en provenance des États-Unis, l'île se situant à proximité de la Dominique et de Sainte-Lucie avec des côtes faciles d'accès.

En Guadeloupe, de nombreux vols privés atterrissent sur des aéroports secondaires, comme Saint-François, peu ou non surveillés par la police aux frontières ou la gendarmerie, et participent à des trafics, notamment de stupéfiants avec les autres îles des Antilles.

Pour la Guyane, l'ampleur des violences renvoie l'image d'un territoire traversé par une violence endémique et détenant le record des homicides et tentatives d'homicide par habitant en France dans un environnement régional où la violence est très prégnante comme au Brésil ou au Suriname, et où il existe une porosité des frontières, longues et difficiles à contrôler. L'État n'arrive pas à réguler « la semi-anarchie du quotidien »8(*) et éradiquer les grands phénomènes criminels (orpaillage illégal, narcotrafic...) qui sont eux-mêmes générateurs de multiples infractions dérivées (gangs, économie parallèle, trafics en tous genres, insécurité au quotidien).

Le sentiment général est que dans ces territoires « on fait la police du XXe siècle, pas du XXIe siècle ».

Concernant les collectivités d'outre-mer, les statistiques générales confirment une progression nette en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française sur 5 postes : coups et blessures volontaires, violences sexuelles, vols contre les personnes, destructions volontaires, et usage et stupéfiants.

Principaux indicateurs de la délinquance enregistrée par la police et la gendarmerie nationales dans les COM

Source : Atlas départemental de la délinquance enregistrée en 2023 (SSMSI)

Entre 2019 et 2023, pour deux des territoires d'outre-mer les moins peuplés (Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna), le nombre de crimes et délits enregistrés par habitant est inférieur à celui observé dans les autres COM, et dans les DROM, pour toutes les atteintes. Saint-Barthélemy se distingue par quelques types d'atteintes enregistrées plus prégnantes, notamment les escroqueries et les vols de véhicules. Saint-Martin se distingue par un nombre de faits enregistrés par habitant supérieur à celui observé dans les DROM pour l'ensemble des atteintes à l'exception des cambriolages et des infractions à la législation sur les stupéfiants. Dans ces collectivités, le nombre de faits enregistrés pour chaque atteinte est de l'ordre de quelques dizaines, et quelques centaines à Saint-Martin où le libre passage de la frontière terrestre avec la partie néerlandaise facilite les trafics9(*).

Lors du déplacement en octobre 2024, la délégation a pu observer que même en Polynésie où le « respect de l'uniforme », l'attrait pour les métiers de sécurité et l'apport des policiers municipaux et des agents de police judiciaire adjoints - qui sont des agents municipaux - restent forts, les forces de sécurité sont aussi confrontées à la montée de différents phénomènes de violence : délinquance liée aux narcotrafics, violences intrafamiliales, ou encore infractions à la sécurité routière.

À Saint-Barthélemy, les conditions du contrôle aux frontières apparaissent tout aussi défaillantes, notamment du fait de l'impossibilité technique des forces de gendarmerie nationale, chargées à Saint-Barthélemy des missions de police aux frontières, d'accéder au fichier des titres électroniques sécurisés (TES) lors de leurs contrôles.

Souvent sous-estimée, l'insécurité routière outre-mer est une préoccupation croissante : en Polynésie beaucoup de cas de conduite sans permis (2 000 enregistrés en 2023 sous l'empire de l'alcool ou de la drogue), d'accidents parfois mortels, d'absence de contrôles techniques... La question des interconnexions informatiques notamment n'est pas réglée, d'où le problème de recouvrement des amendes et celui du PV électronique. La sanction n'étant pas appliquée, elle perd son aspect dissuasif10(*). L'incompatibilité entre fichiers notamment celui des immatriculations, les problèmes d'adressage, voire la non prise en compte de la différence de monnaie (francs Pacifique) rend la sanction difficile.

Même constat à Saint-Martin où les rapporteurs ont pu participer à un contrôle routier organisé par la gendarmerie montrant concrètement ces faits de petite délinquance : absence de port de casque, transport de petites doses de cannabis, absence de papiers... La délinquance routière se révèle comme le point d'entrée des jeunes vers d'autres types d'infractions plus graves...

Au-delà, les accidents impliquant de jeunes motocyclistes et les comportements dangereux ou imprudents sur la route entretiennent un climat de crainte qui s'étend dans les zones urbaines et dont les maires se sont fait l'écho avec inquiétude auprès des rapporteurs.

b) Des violences urbaines en augmentation

Ces territoires sont aussi marqués par des crises qui se traduisent par des violences urbaines d'une ampleur inédite qui mettent en première ligne les autorités locales, en particulier les maires.

En Nouvelle-Calédonie, des mobilisations ayant dégénéré en violences ont commencé le 13 mai 2024 et ont détruit quelques 700 entreprises et une large partie du circuit de distribution.

Violences urbaines en Nouvelle-Calédonie

Le 13 mai 2024, à la suite de l'adoption de l'ouverture du corps électoral pour les provinciales, la Nouvelle-Calédonie a connu des violences sans précédent qui se sont concentrées en particulier dans les quatre villes de l'agglomération nouméenne.

Le bilan à ce jour est particulièrement lourd :

- 14 personnes ont perdu la vie suite à des blessures par arme à feu : 12 civils et 2 gendarmes mobiles en mission ;

- 724 entreprises ont été dégradées, pillées ou incendiées ;

- plus de 1 200 sociétés subissent indirectement l'impact de la crise (pertes d'exploitation, en matériel, en stocks et dégâts bâtiments) ;

- plus de 200 maisons d'habitations ont été incendiées ;

- de nombreuses infrastructures publiques sont totalement ou partiellement détruites (26 établissements scolaires, 3 centres de formation, plusieurs dispensaires, des équipements culturels et sportifs, etc).

Selon le gouvernement calédonien, le montant total des dégâts liés à ces exactions atteint 2,2 milliards d'euros.

Un plan de sauvegarde, de refondation et de reconstruction dit PS2R, a été présenté le 17 octobre qui s'appuie sur un volet d'urgence à court terme, et sur la refonte globale du système calédonien et la reconstruction du pays.

En Martinique, depuis septembre 2024, dans le contexte d'un mouvement lancé contre la vie chère, des violences urbaines essentiellement nocturnes ont éclaté au cours desquelles, selon des chiffres de la préfecture, plus de 230 véhicules ont été brûlés et des dizaines de locaux commerciaux incendiés, vandalisés et pillés.

Selon les statistiques de la Chambre de Commerce et d'Industrie de la Martinique (CCIM), 142 entreprises auraient été pillées ou incendiées. Quant à l'emploi, selon la Direction de l'Économie, de l'Emploi, du Travail et des Solidarités (DEETS), 1 200 demandes de chômage technique auraient déjà été déposées. Au niveau des violences, la procureure de la République dénombre 134 plaintes déposées.

À titre de comparaison la vie chère était aussi à l'origine d'une grève générale qui a paralysé en 2009 la Guadeloupe et la Martinique pendant plus d'un mois. Mais en 2009, on assistait avant tout à des manifestations massives plusieurs jours d'affilée. Selon Justin Daniel, professeur de sciences politiques à l'université des Antilles « 2009 se passait dans la rue. Aujourd'hui, il y a un soutien très fort de la revendication mais il n'y a personne dans les rues. Ce sont surtout des opérations ponctuelles, le blocage d'hypermarchés et de ronds-points. On est beaucoup plus proche d'une stratégie qui rappelle celle des gilets jaunes que celle de 2009. 11(*)» Malgré un accord en 28 points signé le 16 octobre 202412(*) par tous les participants aux tables rondes sur la vie chère sauf le RPPRAC13(*). Et de nouvelles violences sont commises au fil de l'arrestation et de la procédure judiciaire concernant le chef de file de ce mouvement.

Les auditions ont pointé le fait que les représentants des forces de l'ordre sont de plus en plus ouvertement défiés. Même s'il existe des exceptions, divers indicateurs attestent d'une violence dirigée vers les symboles de l'autorité de l'État.

En 2023, 50 % des agressions de gendarmes départementaux et de gendarmes mobiles ont été commises dans les territoires ultramarins, et ces agressions ont représenté 25 % des blessés de la gendarmerie. Autrement dit, un quart des blessés de la gendarmerie le sont lors de missions en outre-mer.

Julien Retailleau, sous-directeur de la justice pénale spécialisée de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice, a évoqué des violences urbaines en lien avec l'usage inquiétant des armes à feu qui se développe rapidement aux Antilles. En Guyane, les violences urbaines sont directement liées aux violences intrafamiliales et au trafic de stupéfiants, avec des assassinats sur fond de vengeance.

Dans ce contexte, le recours au couvre-feu est devenu une réponse fréquente dans les outre-mer. Lors du déplacement de la mission aux Antilles en avril 2024, un couvre-feu a ainsi été décidé lors de la visite du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin en Guadeloupe pour lutter contre la violence des jeunes en forte augmentation :« on dénombre 14 homicides du 1er janvier au 12 mai 2024 contre 9 durant la même période en 2023, soit une augmentation de 56 %, 51 tentatives d'homicide du 1er janvier au 12 mai 2024 contre 38 durant la même période en 2023, soit une augmentation de 34 % (...) Les atteintes aux biens sont, par ailleurs, en augmentation de 19 % entre ces deux périodes et les atteintes à l'intégrité physique des personnes sont en augmentation de 13 % » ...

Ce couvre-feu est entré en vigueur le 22 avril 2024, au départ pour une durée d'un mois « renouvelable », de 20 heures à 5 heures. Il visait les jeunes de moins de 18 ans, au motif que « 40 % des faits de délinquance commis par des mineurs le sont par des mineurs âgés de 15 à 17 ans », dans la ville de Pointe-à-Pitre, « à l'exception du quartier de Lauricisque », et aux Abymes « dans les quartiers de Grand-Camp et de Vieux-Bourg ».

En Martinique, la situation a été présentée aux rapporteurs lors de réunions de travail en avril 2024 comme « une poudrière » où « au moindre prétexte, tout peut s'enflammer ». Ce territoire figure parmi les départements les plus délictuels surtout pour la gravité des faits recensés (pillages, rackets, ...). Un point culminant a été atteint en 2021 où l'île a été paralysée par des barrages tenus par des hommes en arme. À Fort-de-France, une difficulté est aussi qu'on compterait environ 400 toxicomanes désoeuvrés en centre-ville, sans prise en charge et à l'origine de nombreux désordres.

Sur ce territoire, plusieurs sujets s'avèrent particulièrement « inflammables » : le scandale de la chlordécone, le foncier et la vie chère, comme en 2024.

Comme cela a été indiqué lors d'une réunion au commissariat de Fort-de-France, depuis plusieurs années en Martinique, les partisans des mouvements rouge-vert-noir14(*) se greffent sur les manifestations et attisent des violences. Les opérations de maintien de l'ordre peuvent facilement dégénérer en insurrection avec utilisation d'armes à feu et la quasi-paralysie des forces situées en première ligne. Une des difficultés est aussi la nécessité de compter sur ses propres forces, sans renfort immédiat. Les escadrons mobiles sont partagés avec la Guadeloupe, d'où le souhait de l'installation pérenne d'un second escadron de gendarmes mobiles en Martinique.

Lors des récentes émeutes contre la vie chère à l'automne 2024, de nombreux équipements publics ont été vandalisés. Le commissariat de Fort-de-France a été visé par des tirs à balles réelles. La résidence préfectorale située à Fort-de-France a fait l'objet d'une tentative d'intrusion, lorsque des individus « ont force' le cordon de sécurité' qui protégeait le portail d'entrée de la résidence préfectorale, alors que celui-ci recevait les élus de l'île a` l'occasion de la venue en Martinique du ministre charge' des outre-mer15(*) ».

La direction de la police nationale à Fort-de-France compte 880 fonctionnaires pour couvrir deux communes, Fort-de-France et le Lamentin, soit une population de 150 000 personnes Certains services sont compétents pour toute l'île et certains juste sur la zone police, étant noté que la gendarmerie compte quant à elle 1 400 militaires.

Il n'existe pas de doctrine d'emploi spécifique pour le maintien de l'ordre outre-mer, les modes d'action sont généralement ceux expérimentés dans l'Hexagone et évoluent.

Ainsi, le recours aux gendarmes entraînant parfois un regain de tensions, l'usage est de mettre plutôt en première ligne des policiers avec des gendarmes mobiles en appui. Si l'usage du gaz lacrymogène évite le contact physique, il est contreproductif car il touche aussi les riverains et le système de climatisation, ce qui aggrave les tensions et les difficultés. Le lancement de balles de défense nécessite la présence d'un superviseur à côté du policier utilisateur, ce qui n'est pas aisé. Le tout dans un contexte marqué de très forte circulation des armes à feu, essentiellement en provenance des États-Unis, qui arrivent par conteneurs depuis les îles voisines et sont ensuite écoulées sur place par petites quantités ...

Beaucoup de règles hexagonales d'intervention sont particulièrement inadaptées comme « la règle des six heures du matin » pour les interventions car le soleil se lève très tôt dans certaines collectivités ultramarines et les forces sont vite repérées et entravées dans leurs actions, d'où la demande qu'elles puissent intervenir à partir de cinq heures. Le registre de gardes à vue montre que les auteurs sont souvent des récidivistes (à 90 %), avec un sentiment d'impunité car les amendes délictuelles forfaitaires (concernant essentiellement la sécurité routière et les stupéfiants) sont inefficaces : 90 % ne sont pas recouvrées.

Par ailleurs, le temps judiciaire apparaît trop long et cette lenteur fabrique de la délinquance de proximité. Sur 700 interpellations par an, on compte environ 120 mesures d'éloignement.

Il y aurait énormément de blanchiment d'argent lié au trafic de drogue mais trop peu d'enquêteurs financiers sont mobilisés sur cette zone. « Les saisies de masse sont souvent la partie émergée d'un iceberg qui laisse passer entre 80 et 95 % du trafic. Il y a également une défaillance de surveillance périmétrique de ce territoire puisque la surveillance porte sur ce qui part vers l'Europe plutôt que sur ce qui y entre par des dizaines de points côtiers en provenance de Sainte-Lucie, notamment des armes, de la cocaïne y compris par l'intermédiaire de pêcheurs. Toutes les nuits sont débarquées des ballots mais il n'y a aucune surveillance des côtes. Soit une quinzaine de baies connues mais il faudrait au moins 120 ETP supplémentaires rien que sur la Martinique. Plus que des renforts de radars, ce sont les outils de renseignements et d'interception qui font défaut ».

Une des conséquences symptomatiques de la dégradation de la situation est que face aux violences urbaines à répétition dans les territoires ultramarins, des compagnies d'assurance ont annoncé qu'elles cesseraient de prendre de nouveaux clients, ou réviseraient leurs contrats à destination des entreprises. Selon Hervé Mariton, le président de la Fédération des entreprises des outre-mer (FEDOM) « on est sur un problème systémique d'une très grande gravité ».

c) Le fléau des violences intrafamiliales

Le niveau des violences intrafamiliales est très élevé dans les territoires ultramarins. Environ 10 % des violences intrafamiliales ayant lieu sur le territoire français sont commises dans les outre-mer, alors qu'ils ne représentent que 4 % de la population.

Les violences intrafamiliales - c'est-à-dire sur les femmes, mais aussi les mineurs, plus rarement les hommes - sont deux fois plus nombreuses en outre-mer que dans l'Hexagone, selon les enquêtes VIRAGE réalisées dans les outre-mer et menées par l'Institut national d'études démographiques16(*) (INED).

Cumul annuel des coups et blessures volontaires (CBV) intrafamiliaux enregistrés en 2023 dans les DROM et les COM

 

Guadeloupe

Martinique

Guyane

Mayotte

La Réunion

Polynésie française

Nouvelle-Calédonie

France

Population

378 561

349 925

295 385

320 901

885 700

279 390

271 400

68 373 433

Cumul CBV intrafamiliaux

(SSMSI 2023)

1716

1712

1 327

530

4087

3 968

4 404

143 200

Pourcentage de la population concernée

0,45%

0,49%

0,45%

0,16%

0,46%

1,42%

1,62%

0,21%

Sources : SSMSI Atlas départemental de la délinquance enregistrée en 2023, édition juillet 2024

Insee - estimations de population DROM et France (résultats provisoires arrêtés fin 2023)

ISPF 2024 Polynésie française population estimée en 2023

ISEE 2019 Nouvelle-Calédonie estimation de population

Avec 14,6 % de femmes victimes de violences conjugales en 2023, La Réunion est le 2e département de France le plus touché derrière le Pas-de-Calais, selon la publication de novembre 2024 du service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI).

En Polynésie française, 17 % des femmes déclarent avoir subi des agressions physiques dans le cadre de la relation conjugale. 3 000 signalements par an pour violences faites aux femmes sont recensés, soit un ratio de huit signalements par jour.

Mais le phénomène touche tous les territoires. Ancienne coordinatrice interministérielle contre les violences faites aux femmes en outre-mer, Justine Bénin a identifié divers facteurs pouvant expliquer cette prévalence outre-mer dans un rapport publié en octobre 2024. Si chaque territoire ultramarin a ses spécificités, les similitudes sont nombreuses : insularité, précarité, isolement, éducation autoritaire, addictions aux drogues et alcools, poids culturel, coutumier et religieux...

De plus, selon le dernier rapport du CESE, ces violences augmentent sur tous les territoires ultramarins pour lesquels des données sont disponibles. Le nombre de femmes victimes de violences conjugales était de 13,9 pour 1 000 habitants en Guyane en 2022, contre 12,7 en 2021 ; de 13,2 à La Réunion en 2022, contre 11 en 2021 ; 12,2 en Guadeloupe en 2022, contre 10,3 en 2021 ; de 11 en Martinique en 2022, pour 9,4 en 2021 ; et de 7,3 à Mayotte en 2022, contre 6,3 en 2021. En 2023, le parquet de Nouméa a recensé ainsi 2 658 procédures pour violences intrafamiliales (VIF), dont 1 934 pour les violences au sein du couple, soit une augmentation de 15 % par rapport à 2022.

Le fait est que le nombre d'assassinats de femmes progresse17(*). En 2022, 13 femmes ont été tuées par leur mari ou leur ex-conjoint en outre-mer, soit 11 % du total des assassinats de femmes en France.

Si les plaintes concernant les violences sexuelles sont en hausse dans tous les territoires, on sait aussi que ces violences font encore l'objet d'une sous-déclaration. Comme cela a été évoqué à de nombreuses reprises lors des auditions et entretiens18(*), de nombreuses femmes continuent à éprouver des difficultés à engager des poursuites dans un contexte où le dépôt d'une plainte reste en grande partie entravé par le cadre insulaire, la précarité économique, la situation administrative (notamment pour les femmes étrangères à Mayotte) et le contexte culturel de territoires où l'interconnaissance et l'emprise familiale sont très fortes.

La mise à l'abri et le recours à la décohabitation restent limités en outre-mer en raison de l'exiguïté des lieux et du manque de capacités d'accueil. Les questions d'accès aux droits ou de manque de place en hébergement d'urgence ont été évoquées partout : en Guadeloupe, à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Le récent rapport de la Cour des comptes sur « Les politiques de prévention des violences faites aux femmes en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française »19(*) confirme d'importantes inégalités d'accès aux droits et aux services dans ces deux territoires.

Par exemple, le numéro national d'écoute téléphonique et d'orientation des femmes victimes de violences (numéro « Violences femmes info » qui garantit l'anonymat des victimes) n'était pas accessible jusqu'il y a peu en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. La Nouvelle-Calédonie a mis en place sa propre plateforme d'écoute téléphonique « SOS Écoute ». À Mayotte, le système est peu utilisé du fait de la barrière de la langue...

Plus généralement, la Cour des comptes pointe l'absence de suites dans le traitement des dossiers et la longueur des procédures, souvent décourageantes pour les victimes.

Quand les dispositifs judiciaires de protection sont mis en place sur les territoires, les politiques pénales appliquées ne sont pas homogènes : ainsi en Nouvelle-Calédonie, le nombre d'ordonnances de protection (OP) est en augmentation. Il croît aussi à Mayotte et en Martinique, où 80 % des demandes d'OP sont suivies d'effet, alors que ce dispositif semble peu appliqué et même souvent refusé en Guadeloupe.

Les difficultés d'accès aux structures de protection ont été signalées à la délégation lors de ses déplacements, que ce soit pour les hébergements d'urgence, les dispositifs d'accompagnement des victimes ou les centres d'accueil mère-enfant. Dans les DROM, le nombre d'hébergements pour les femmes victimes de violences est dérisoire : il va de 59 places en Guyane à 134 en Martinique.

Par ailleurs, ces constats soulèvent le problème de la formation du personnel de sécurité et du traitement des plaintes. Comme l'a dit le général Lionel Lavergne20(*), la question de l'efficacité de la judiciarisation se pose lorsqu'une personne est interpelée et mise en garde à vue une fois, deux fois, et que son procès n'est prévu que tardivement et que manquent les moyens de prévention de la récidive... La mise en oeuvre des bracelets antirapprochement ou d'un certain nombre de mesures d'éloignement par exemple trouvent leurs limites21(*).

2. Des trafics et réseaux qui s'implantent partout

Outre ces phénomènes de violences « de proximité », l'État est défié par les grands phénomènes criminels transfrontaliers (narcotrafics, immigration clandestine, orpaillage illégal, pêche industrielle illégale) qui sont à leur tour générateurs de multiples infractions et désordres : diffusion des gangs, circulation d'armes, économie parallèle...

a) Des réseaux criminels protéiformes et en développement : narcotrafic, armes, traite des êtres humains

Le développement du narcotrafic en particulier implique une délinquance connexe marquée par une violence exacerbée, des trafics d'armes et la prostitution. Dans les Antilles-Guyane, le narcobanditisme explique l'importance du trafic d'armes et la banalisation de la prostitution.

Les outre-mer sont devenus des points de passage sur les grands flux du narcotrafic. Les territoires français de la Caraïbe et d'Amérique latine sont situés à proximité des quatre premiers producteurs mondiaux de cocaïne (Bolivie, Pérou, Colombie, Venezuela).

La zone Antilles-Guyane en particulier est en effet particulièrement exposée. Proches des pays producteurs et des pays de transit comme Sainte-Lucie, le Guyana ou la République dominicaine et situés sur des routes historiques du transport maritime mondial, la Guyane et les Antilles françaises sont des portes d'entrée stratégiques pour le trafic de cocaïne à destination de l'Europe.

Les outre-mer français sont aussi des zones de « rebond » où les produits passent d'un mode de transport à un autre et sont utilisés par les trafiquants comme autant de portes vers l'Europe.

De ce point de vue, les ports français de la zone Caraïbe constituent des points de vulnérabilité majeurs. La saturation du marché américain conduit les organisations criminelles à cibler désormais l'Europe comme zone d'écoulement. À cet égard, le doublement du volume des conteneurs des ports de Fort-de-France et de Pointe-à-Pitre, alors que la sécurisation de ces enceintes portuaires est encore insuffisante, est un sujet de préoccupation majeur relevé par le rapport sénatorial susmentionné sur le narcotrafic. Les services de la police aux frontières SPAF portuaire

La multiplication des saisies massives témoigne de la vigueur du trafic utilisant les vecteurs maritimes (bateaux de pêche, voiliers, hors-bords, et conteneurs). En 2022, les saisies de cocaïne effectuées aux Antilles au sein des ports de plaisance, mouillages et marinas se sont élevées à près de 1,2 tonnes. En 2023, l'antenne de l'Office anti-stupéfiants (OFAST) en zone Caraïbes, compétente pour la Guadeloupe, la Martinique et Saint-Martin, a saisi 11 tonnes de stupéfiants. En 2024, année record, les saisies se sont multipliées.

Dans la zone Antilles 28 tonnes de produits stupéfiants ont été interceptés en 2024. L'acheminement par mer est devenu la principale voie d'entrée de la cocaïne en France continentale. La moitié de la cocaïne saisie chaque année en France provient des Antilles et de Guyane22(*).

L'espace maritime de ces collectivités permet de transporter de grandes quantités de cocaïne à bord de conteneurs ou de bateaux de plaisance vers l'Europe.

Lors de leur déplacement aux Antilles, les rapporteurs ont pu visionner des opérations d'introduction ou de récupération de ballots de drogue sur des porte-conteneurs tournés par des caméras de surveillance et montrant l'intervention de véritables commandos formés pour repérer les caches à l'intérieur des porte-conteneurs, les accoster avec des go fast, récupérer ou placer de la drogue puis repartir en quelques minutes à la barbe d'équipages dont les effectifs sont très limités.

Le vecteur aérien est aussi largement utilisé pour le transport de cocaïne vers la France, essentiellement par l'intermédiaire de passeurs ou « mules », d'où la mise en place des dispositifs « 100 % contrôle »23(*).

Le rapport des sénateurs Jérôme Durain et Étienne Blanc est particulièrement sévère pour l'État, intitulant l'un des chapitres ainsi : « des territoires d'outre-mer abandonnés par l'État », avec des services sous-dotés.

Lors des auditions, il a été admis que l'augmentation réelle et récente des effectifs des services d'enquête, des douanes et des magistrats en poste dans les territoires ultramarins était loin d'être suffisante pour faire face à l'intensification du trafic de stupéfiants et de la violence qui en découle.

Beaucoup déplorent que les moyens techniques soient notoirement insuffisants, tant pour l'enquête que pour la surveillance. À titre d'illustration, l'aéroport Félix Éboué (Guyane) n'a été que récemment doté d'équipements qui sont pourtant des outils de base du contrôle : scanner à rayons X pour les bagages et scanners à ondes millimétriques pour déceler les drogues transportées sous les vêtements. Quant aux aéroports antillais, ils ne disposent toujours pas de tels équipements.

Si la stratégie mise en place en Guyane a indéniablement eu des effets positifs, elle a semblé davantage tournée vers la protection de l'Hexagone que vers celle des territoires ultramarins. Surtout, elle a conduit à la mise en place de deux grandes stratégies de contournement : à la fois le report vers la voie maritime et le report vers les Antilles.

Lors de son audition, le contre-amiral Nicolas Lambropoulos, commandant supérieur des forces armées aux Antilles (Comsup FAA24(*)) a confirmé la très forte exposition de la zone Antilles-Guyane et ses principales caractéristiques :

« - Tout d'abord, le trafic s'est déplacé du Pacifique vers l'Atlantique et la Caraïbe, alors qu'il avait historiquement lieu du côté du Pacifique. C'est la pression des États-Unis sur les narcotrafiquants dans le Pacifique qui les a incités à se rabattre dans la Caraïbe et dans l'Atlantique.

- Par ailleurs, il y a un fort trafic de go fast vers la République dominicaine et Porto Rico, qui sont des portes d'entrée très importantes pour les narcotrafiquants.

- Les prises sur le Plateau des Guyanes sont en forte augmentation. Cette zone devient une plaque tournante parce qu'il y a une pression très forte sur la Colombie notamment. Les narcotrafiquants utilisent la forêt du Brésil, de la Guyane, du Suriname et du Guyana comme un refuge pour transporter la drogue vers des côtes d'où ils peuvent partir plus facilement vers l'Europe et l'Afrique.

- Enfin, les quantités saisies par prise sont en forte augmentation. Alors que nous saisissions il y a trois ou quatre ans 500 kg de cocaïne par prise, cette quantité est passée à 1 tonne au minimum ».

Or face à ces évolutions, les moyens dont dispose la Marine nationale ne sont plus adaptés : « Pour agir en mer, il faut des bateaux, du renseignement mais également des moyens de surveillance aériens ». Le préfet de la Martinique, dans le cadre de son action de coordination en mer, ne dispose que d'un seul aéronef à moyen rayon d'action (avion des services de garde-côtes) pour détecter et suivre en mer des cibles suspectées de se livrer au narcotrafic. L'amélioration passe par le guidage des navires susceptibles de réaliser des interceptions.

La visite de la frégate de surveillance Ventôse par les rapporteurs en avril 2024 a été édifiante... En service depuis 1993, elle se déplace à une vitesse de croisière de 15 à 20 noeuds (37 km/h) face aux go fast qui peuvent atteindre 100 km/h et transporter jusqu'à 3 tonnes de drogue. Mais les prises progressent : le patrouilleur Confiance a intercepté en janvier 2025 à 1300 km au large de la Martinique près de 9 tonnes de cocaïne sur un navire de commerce étranger, à la suite d'une coopération interarmées, interservices et internationale. Les forces armées françaises ont notamment travaillé avec le Maritime Analysis and Operations Centre-Narcotics (MAOC-N), un centre européen basé à Lisbonne.

Le trafic de drogue entretient la criminalité locale et la violence dans les territoires ultramarins.

Comme rappelé ci-dessus, la zone Antilles-Guyane enregistre un taux d'homicide sept fois plus important que celui de l'Hexagone lié aux règlements de compte entre gangs rivaux. En Guyane, la criminalité est aussi liée à l'orpaillage illégal et à l'activité des réseaux criminels implantés au Brésil et au Suriname. Ces réseaux n'hésitent pas à investir la Guyane française voisine pour poursuivre leurs actions, d'où la montée en puissance d'une délinquance ultra-violente dans l'utilisation des armes et le recours au règlement de comptes.

Au titre des trafics organisés par des réseaux criminels, les interlocuteurs rencontrés par les rapporteurs ont en outre cité la traite et l'exploitation d'êtres humains. Un état des lieux publié en octobre 2024 par les ministères de la Justice et de l'Intérieur étaye ces informations25(*). Ainsi, avec plus de 13,6 victimes pour 100 000 habitants, la Guyane et Mayotte figurent parmi les quatre départements français présentant, en 2023, les taux les plus élevés de victimes de traite ou d'exploitation des êtres humains.

Dans ces deux territoires ainsi qu'à La Réunion, la majorité des victimes de traite ou d'exploitation des êtres humains enregistrées par la police et la gendarmerie sur la période 2016-2023 sont des victimes d'exploitation par le travail, avec respectivement 71 % (Guyane), 85 % (Mayotte) et 75 % (La Réunion). Ce sont en revanche les victimes de proxénétisme qui sont majoritaires en Guadeloupe et en Martinique sur la même période, représentant respectivement 70 % et 65 % des victimes de traite humaine dans ces deux territoires. La prostitution touche particulièrement certaines populations en situation irrégulière, mais aussi les jeunes pris dans le piège de l'« argent facile ». En Guadeloupe, Marie-Luce Penchard, ancienne ministre des outre-mer, a fait remarquer que : « Les jeunes obtiennent de l'argent facile et les parents ferment les yeux lorsqu'il apporte des biens matériels, ils sont alors dans le déni. On note également que la prostitution n'est plus dévalorisante car dans les jeunes générations il y a un autre rapport au corps... ».

Les victimes de traite humaine enregistrées par la police et la gendarmerie sur la période 2016-2023 dans les DROM sont principalement de nationalité française, sauf en Guyane où 32 % sont de nationalité haïtienne et 20 % de nationalité brésilienne, ainsi qu'à Mayotte, où 63 % des victimes enregistrées sont de nationalité comorienne.

Une large majorité des victimes de traite humaine sont des femmes, sauf à Mayotte où elles représentent tout de même 50 % des victimes de traite humaine enregistrées sur la période 2016-2023. À La Réunion et en Guyane, leur part se situe près de la moyenne nationale (62 %), avec respectivement 67 % et 62 %. En Guadeloupe et en Martinique, elles sont en revanche très largement majoritaires (84 %).

Si la traite et l'exploitation des êtres humains restent très prégnantes en outre-mer, l'état des lieux des ministères de la Justice et de l'Intérieur souligne a contrario le très faible taux de condamnations prononcées dans les cinq DROM pour ces infractions, l'ensemble des tribunaux de ces territoires n'ayant prononcé, entre 2016 et 2022, que 84 condamnations pour proxénétisme et 50 pour exploitation par le travail.

b) Des phénomènes de trafic qui gagnent tous les territoires même les plus éloignés

En réalité, les trafics gagnent tous les territoires même les plus éloignés.

Comme l'ont répété les élus rencontrés sur place, ils prospèrent sur fond de précarité et de pauvreté, un phénomène massif dans les outre-mer. La perspective de revenus rapides pousse des individus voire des familles entières, sans nécessairement d'antécédents de délinquance, à se lancer dans le narcotrafic. Guetteurs, passeurs, revendeurs, livreurs, sont souvent des jeunes issus de familles précaires, des mineurs déscolarisés, mais aussi des étrangers en situation irrégulière.

En Polynésie française, la délégation a été alertée par l'explosion du trafic d'Ice, une métamphétamine particulièrement addictive. Drogue peu onéreuse aux États-Unis, elle constitue un « produit de luxe » à Tahiti. Malgré son prix élevé (dans la rue, une dose coûte 10 000 francs CFP, c'est-à-dire 80 €), cette drogue connaît un succès croissant sur le marché polynésien, le trafic représentant une ressource économique conséquente. L'Ice serait aujourd'hui consommée sur place par plus de 10 000 personnes26(*).

Le trafic de drogue se diversifie et peut arriver par voie maritime ou aérienne mais aussi via les colis postaux voire par lettres. Pour ne pas éveiller les soupçons, les quantités de drogue sont limitées à moins de 20 grammes, le poids maximal d'une enveloppe classique, et récupérée au niveau des services de la Poste.

Le nombre de saisies d'Ice a ainsi explosé. Le seul premier trimestre 2024 a dépassé le bilan chiffré de 2023. Un tiers des détenus des centres pénitentiaires de Nuutania et de Tatutu le sont pour trafic d'Ice. Mais le réseau s'adapte. Dernièrement, la Gendarmerie nationale de la Section de recherches et de l'antenne de l'OFAST de Papeete a saisi de 2,7 kilos de méthamphétamine dans un véhicule stocké dans un conteneur, dont 500 grammes d'Ice « bleue », réputée encore plus dangereuse, pour un total de plus de 480 millions de francs Pacifique (4 millions d'euros). Il est important de noter que cette prise résulte de la coopération entre les moyens du commandement de la gendarmerie, des équipes cynophiles du peloton de surveillance et d'intervention de Faa'a et des techniciens en identification criminelle.

Cette substance a été analysée par l'Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale située à... Pontoise. La crainte est qu'à l'Ice s'ajoute bientôt l'importation de fentanyl, opioïde de synthèse très présent sur la côte ouest des États-Unis.

À l'origine essentiellement concentrées dans les îles de l'archipel de la Société, singulièrement Tahiti, le trafic et la consommation sont en train de gagner les archipels et en particulier ceux qui se trouvent sur la route dite « des voiliers ».

Aux Marquises, les maires ont fait état du décès brutal de jeunes, par suicide souvent liés à l'addiction. Sans confirmer, le poste de gendarmerie local souligne la forte vulnérabilité des côtes marquisiennes et l'éparpillement des îles (Fatu Hiva par exemple est à plus de 4 heures de bateau du poste de gendarmerie le plus proche situé à Hiva Oa). Les services de police, de gendarmerie comme des douanes ont évoqué une route de la drogue qui provient d'Amérique latine et des États-Unis, qui traverse la Polynésie en passant par l'archipel des Marquises, en direction de l'Ouest, vers les Tonga, les Fidji ou les Samoa pour rejoindre les marchés d'Australie et de la Nouvelle-Zélande.

Comme le souligne la sénatrice de la Polynésie française, Lana Tetuanui, la situation est véritablement alarmante dans cette collectivité : « La drogue dure qui s'appelle « Ice » tue la jeunesse polynésienne à « petit feu ». Les services judiciaires doivent lancer une étude sur la dangerosité de cette drogue et le nombre de jeunes qui ont succombé à ce fléau »27(*).

L'océan Indien connaît aussi un narcotrafic croissant en haute mer en raison de l'emplacement géographique de La Réunion, sur la route entre le Pakistan et l'Afrique du Sud, qui conduit régulièrement le parquet de Saint-Denis de La Réunion à connaître d'importantes saisies de stupéfiants.

À La Réunion, les rapporteurs ont recueilli les témoignages des acteurs locaux. Frédéric Labrunye, commandant de la gendarmerie, a fait état de la montée du trafic de stupéfiants sur l'île... Lors de la visite du quartier de Bras-Fusil à Saint-Benoît, Laurent Chavanne, directeur territorial de la police nationale, a confirmé de même que le problème des stupéfiants monte, La Réunion étant proche des axes Asie-Afrique de trafic de la drogue.

Alain Chateauneuf, président de la cour d'appel de Saint-Denis, et Fabienne Atzori, procureure générale, ont défini un département relativement calme par rapport aux autres outre-mer, mais avec des menaces croissantes. Le sentiment partagé est que pour préserver la stabilité de l'île, qui est le plus peuplé, la vigilance est impérative et les risques naissants doivent être stoppés rapidement pour éviter des débordements qui imposeraient des efforts beaucoup plus lourds à l'avenir.

Fait inquiétant, le phénomène des mules s'y répand. En 2024, 24 kg de cocaïne ont ainsi été saisis à l'aéroport de Roland Garros de La Réunion (équivalant à 3,6 millions d'euros). L'augmentation des mules (22 personnes arrêtées) y a été remarquée par les services de la douane, que ce soit dans leur organisme ou dans les bagages.

3. Un service public de la justice à la peine

Face à la délinquance qui explose, l'institution judiciaire, à quelques exceptions près, apparaît fragile dans les outre-mer. Selon la formule de Me Patrick Lingibé28(*), si la justice est en grande difficulté dans l'Hexagone, elle est parfois « dans un état de coma avancé en outre-mer ».

a) Les moyens contraints de la justice outre-mer

Devant la délégation Me Patrick Lingibé a déploré une forme d'indifférence : « un rapport sur les États généraux de la justice a été établi par un comité présidé par Jean-Marc Sauvé. Sur ses 250 pages, 2 pages et demie sont réservées à l'outre-mer, sans solution ! »

Selon lui, « aucune réflexion n'est portée sur chaque territoire. Par exemple, Mayotte a changé de statut. Ce changement s'est accompagné de la suppression des juridictions d'appel. Le justiciable mahorais doit donc se rendre à Saint-Denis de La Réunion pour un contentieux. Nous avons réduit les droits des justiciables mahorais dans une optique de réorganisation administrative. De même, la Guyane est confrontée à un problème de trafic de stupéfiants. Or le traitement des problèmes de stupéfiants est traité à 1 800 kilomètres, en Martinique, où est implantée la juridiction interrégionale spécialisée. Quand vous rencontrez des problèmes amazoniens, sud-américains, vous ne pouvez pas adopter un prisme déconnecté de la réalité ».

Comment s'étonner dès lors que la justice outre-mer doive faire face à la défiance croissante des ultramarins. Dans une étude mandatée par le Conseil national des barreaux et réalisée par le cabinet Odoxa sur l'évaluation de la conception de la justice par les justiciables, 84 % des ultramarins affirmaient avoir le sentiment que la liberté et les droits fondamentaux ont tendance à reculer.

De fait, dans les outre-mer l'accès au droit est objectivement problématique : à l'éloignement et l'insularité s'ajoutent le contexte de pauvreté, la fracture numérique, l'illettrisme (qui va du double au quadruple par rapport au niveau hexagonal) ...

L'activité pénale des juridictions outre-mer

Source : Ministère de la Justice, Direction des affaires criminelles et des grâces, 2024

Même si on constate en outre-mer un délai moyen des procédures inférieurs qu'en Hexagone (5,1 mois contre 6 mois) et malgré les améliorations récentes dont les auditions ont rendu compte29(*), le service public de la justice en outre-mer est confronté à de profondes difficultés30(*).

Les violences représentent 18 % de la structure du contentieux au niveau national, mais elles s'élèvent à 30 % en outre-mer.

La réponse judiciaire à cette situation se heurte à des problèmes d'organisation et de répartition des moyens.

En principe, les DROM disposent des mêmes juridictions de première instance à quelques nuances près : les tribunaux judiciaires ; le tribunal de police ; le tribunal correctionnel, la cour d'assises et le conseil de prud'hommes.

Mais pour les collectivités d'outre-mer (Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, la Polynésie française) et la Nouvelle-Calédonie, le tribunal de première instance reprend les attributions du tribunal judiciaire qui statue en France hexagonale.

Saint-Barthélemy et Saint-Martin fonctionnent via des chambres détachées qui sont des démembrements du tribunal de première instance situé en Guadeloupe. La liste de leurs compétences matérielles est fixée par décret.

Or les rapporteurs qui se sont rendus sur place et ont échangé avec les autorités et les magistrats de ces territoires ont constaté que la situation n'était pas satisfaisante au regard des besoins.

À Saint-Martin, qui connait un taux de criminalité 5 fois plus élevé que dans l'Hexagone, où la lutte contre le narcotrafic devrait être une priorité, il y a peu de judiciarisation. Les moyens de justice sont limités : problèmes notamment au niveau du greffe, absence de tribunal judiciaire (situé en Guadeloupe). Par ailleurs, il y a un problème de sécurité routière, souvent vecteur d'entrée dans la délinquance très précoce (rodéo, weeling...) et révélateur de la marginalité d'une partie de la jeunesse (2 400 jeunes sans emploi). Une attention particulière est portée aux deux-roues impliqués dans les vols à main armée, dans les transports de stupéfiants et dans les accidents de la route. De plus, l'absence de centre de détention a développé le recours à la comparution immédiate et à la correctionnalisation des peines qui tendent à minorer la gravité de la violence qui sévit sur ce territoire.

En Guyane, la justice est en déficit structurel de moyens et tout est concentré à Cayenne. L'éloignement constitue une difficulté pour les familles souhaitant rendre visite aux détenus, nécessairement incarcérés à Cayenne.

L'état de la justice en Guyane

Comme l'a souligné le procureur général de Guyane, Joël Sollier, « la justice sur ce territoire est en déficit structurel de moyens, ce qui ne permet pas d'appréhender les grands trafics dans toute leur ampleur et leur réalité. Peu ou pas de démantèlement ou de condamnation d'envergure, la justice est souvent cantonnée à la gestion courante d'une criminalité qui assèche ses capacités opérationnelles sans traiter les racines de la délinquance ».

Des difficultés sont en effet liées à la vacance d'un certain nombre de postes. Le tribunal judiciaire de Cayenne est resté sans président et sans procureur pendant plusieurs mois. Les brigades de soutien sont très bien perçues. Pour autant, les nominations de personnes en renfort pour de courtes durées ne résolvent pas le problème d'instabilité et ne permettent pas de se projeter à long terme, même si ce dispositif est indispensable.

La justice doit développer des structures de lutte contre la criminalité organisée. Pour autant, la police doit également être concernée. Pour démanteler des réseaux, il faut effectivement une capacité d'enquête, de renseignement, et des personnels spécialisés ainsi qu'une capacité de jugement qui, à ce jour, sont très insuffisantes en Guyane. Une évolution positive s'amorce, mais les efforts doivent être poursuivis.

Il est également nécessaire d'avoir recours à un meilleur usage du droit. La législation nationale appliquée en Guyane soulève des difficultés liées aux particularités du territoire. Des possibilités d'adaptation de la législation nationale par l'instrument des habilitations sont envisageables, mais peu utilisées. Il est souhaitable d'adapter le code de procédure pénale ou le code minier, ce qui a été récemment réalisé, pour les adapter aux besoins locaux.

La géographie particulière de la Polynésie française avec ses multiples insularités et les distances considérables entre des îles dispersées sur une superficie équivalente à celle de l'Europe en est un autre exemple frappant.

Cet éloignement rend l'accès à la justice bien plus long, complexe et coûteux qu'en d'autres lieux du territoire national. Le territoire compte 3 sections détachées : Raiatea, Marquises, Tuamotu-Gambier. À la tête de chaque section détachée : un vice-président (qui fait office de « juge orchestre » : il assure toutes les fonctions spécialisées sauf celle de juge d'instruction. Au parquet, il y a un référent justice de proximité/justice des archipels. La nécessité s'imposerait d'avoir au minimum un emploi de parquetier de 1ère instance en plus pour gérer correctement la justice pénale de proximité et l'activité de justice foraine au sens large (audiences, politiques publiques et alternatives).

La section détachée du Tribunal de première instance aux Marquises

La délégation a visité la section détachée du Tribunal de Taiohae à Nuku Hiva, présidée par Cécile Brunet-Ludet. L'accès à la justice est un défi pour l'incarnation de l'État dans cet archipel habité le plus éloigné au monde de tout continent.

Les Marquises situées à 1 400 km de Tahiti, soit plus de 3 heures 30 d'avion, sont réparties sur 6 îles principales. Il existe un décalage horaire de 30 minutes avec Papeete. Les déplacements entre les îles sont rares sauf entre Nuku Hiva et Hiva Oa. Ua Pou qui comprend autant d'habitants que les premières n'est pas desservie tous les jours. Il faut 4 à 5 heures de bateau pour se rendre de Fatu Hiva à Hiva Oa. Une fois sur place, les trajets vers les villages situés dans des vallées escarpées et loin des ports ou aérodromes sont longs et coûteux.

La section détachée est dotée de moyens très restreints : une magistrate aux compétences multiples (juge foncier, juge civil, juge des enfants, juge aux affaires familiales, juge pénal, juge des tutelles, juge de l'application des peines), outre la fonction d'assesseur neuf semaines par an à la cour d'assises de Papeete ; un greffier depuis trois mois pour les six îles, un second greffier et, de façon très ponctuelle, un agent contractuel (trois mois de vacations par an).

Les compétences de la section détachée sont éclatées à l'image du territoire : elles concernent toutes les affaires civiles et pénales du ressort-contentieux général, juge foncier, juge des enfants, juge de l'application des peines, etc. - à l'exclusion du contentieux du travail et du commerce.

Les fonctions s'exercent dans un contexte très spécifique : si 80 % de l'activité de la magistrate se déroule sur l'archipel, elle doit néanmoins se rendre également à Papeete, à la cour d'assises notamment, et les fonctions requièrent une bonne compréhension de la culture locale, eu égard à l'identité forte de ces territoires. Or, au vu des distances, la mobilité est nécessairement réduite et limite à deux par an les déplacements dans chaque île, complétés par la visioconférence pour obtenir un « double maillage » permettant des consultations gratuites (notaire-avocat-magistrat et juristes pour l'accès au droit) tous les trimestres.

Il est à noter que le tribunal est doté d'une salle de visioconférence qui requiert toutefois de bonnes conditions de réseau, ce qui est toujours un défi dans les îles. Le succès rencontré par la mise en oeuvre expérimentale récente (mai 2024) d'un service d'aide juridique et judiciaire, juridictionnelle, gratuit, pluridisciplinaire (avocat, médiateur, notaire, assistante sociale, juriste généraliste) à la population insulaire confirme la nécessité de conduire une action de l'Etat s'affranchissant d'une approche purement statistique pour mettre en oeuvre des moyens appropriés aux très grandes particularités de cet archipel ( langue, religion, culture, identité forte incarnée par les maires).

La géographie de la Polynésie française supposerait des modalités renforcées pour « aller vers » les justiciables. Or le budget de frais de déplacement est très largement sous-doté au regard de l'importance des distances et des coûts induits, non seulement en transport mais également en hébergement. Sur place, les magistrats ont insisté sur les difficultés de déplacement par les transports tant aériens (dépendance des vols commerciaux) que maritimes (dessertes aléatoires, chronophages voire risquées).

L'outil numérique pourtant crucial sur des territoires dispersés, éloignés de l'Hexagone et confrontés aux décalages horaires, connaît des aléas liés aux flux informatiques dont la circulation est fortement obérée par les capacités des liaisons en place (insuffisance des câbles notamment). Or toute la modernisation des procédures telle que « procédure pénale numérique » (PPN) ainsi que la gestion pénale des audiences foraines dépend de cet outil.

Dans plusieurs territoires, persiste aussi un problème de ressources humaines pour pourvoir les postes.

Les outre-mer représentent 4,8 % des effectifs de magistrats pour traiter des affaires judiciaires. Mais le taux d'absentéisme dans certains services judiciaires ainsi que le taux de rotation sont particulièrement élevés (Guadeloupe, Guyane).

Si pour certains territoires, il est difficile de trouver des candidats (Guyane, Mayotte) d'autres rencontrent une insuffisante mobilité (Polynésie). Le ministère a déployé de nouveaux outils, avec des affectations temporaires et les brigades de soutien

Les moyens représentent 5 % des augmentations d'effectifs prévues dans la loi d'orientation et de programmation 2023-2027. Cela correspond à 68 magistrats, 76 greffiers et 44 attachés de justice supplémentaires en 2024. Il y a également de nouvelles dispositions législatives, avec le nouvel article 27-2 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Il convient de souligner la nomination d'un délégué pour les outre-mer au secrétariat général du ministère de la Justice, mais qui est une création récente, datant d'avril 2023.

Preuve des difficultés de recrutement, pour les cours d'appel de Cayenne, de Saint-Denis de La Réunion et le tribunal judiciaire de Mamoudzou, le ministère a dû mettre en place un accompagnement RH renforcé avec des priorités d'affectation. Un agent qui accepte de partir dans ces ressorts pendant une durée minimum de 3 ans bénéficie par la suite d'une priorité d'affectation dans le ressort de son choix. C'est un dispositif innovant, qui a été mis en place pour les magistrats depuis presque 3 ans et qui commence à avoir des résultats positifs, même si la situation à Mamoudzou avant même la terrible catastrophe provoquée par le passage du cyclone Chido a pu complexifier l'arrivée de magistrats dans le cadre de cet accompagnement RH renforcé.

Dans la loi organique du 20 novembre 2023, un dispositif d'intervention immédiate en cas d'événements provoquant des difficultés de fonctionnement de l'institution judiciaire et de continuité du service public de la justice a aussi été prévu (au regard des événements en Martinique et en Guadeloupe)31(*).

Pour d'autres rares cours d'appel, c'est la difficulté inverse, montrant la nécessité du « sur mesure ». En Polynésie française, les magistrats restent très longtemps sans y avoir d'attaches matérielles ou familiales. Suite à de graves tensions dont la presse a rendu compte32(*), et « l'image de la justice » ainsi donnée, la question de la durée d'affectation des magistrats s'est donc posée. Dans son récent rapport susmentionné, la commission des lois a estimé nécessaire de prendre en considération l'étroitesse du ressort juridictionnel, a fortiori lorsque ce dernier est identique en première instance et en appel. Elle a proposé d'envisager dans cette hypothèse une règle spécifique, applicable aux magistrats du parquet comme aux magistrats du siège, sans que cela remette en cause le principe constitutionnel d'inamovibilité des juges.

Pour les magistrats, il faut aussi noter l'absence d'« originaires » (il n'y a pas de magistrats kanaks, seulement un polynésien, et quelques rares antillais), donnant l'impression d'une « justice très hexagonale » manquant d'une réelle connaissance des cultures locales.

L'intérêt du développement d'une culture des outre-mer dans cette administration, comme pour les autres administrations de l'État, a été souvent évoqué. Dans la magistrature, des séminaires à l'attention de tous les magistrats serait utiles. La session de formation continue de l'École normale de la magistrature (ENM) « être magistrat outre-mer » est jugée insuffisante et ne constitue d'ailleurs pas un préalable obligatoire pour une prise de poste en outre-mer... Cette problématique est actuellement expérimentée en Polynésie française où le Haut-Commissariat organise des séminaires très appréciés pour les nouveaux arrivants sur une durée de deux jours qui mériteraient d'être étendus et précédés d'une formation à distance avant affectation.

Par ailleurs, la question de l'adaptation immobilière est aigue.

Or, même si les chantiers de constructions et de réhabilitations n'ont jamais été aussi nombreux, les spécificités ultramarines ne sont toujours pas intégrées. Me Patrick Lingibé a estimé que : « Comme nous n'avons pas de prisme ultramarin, les standards appliqués dans l'immobilier sont strictement les mêmes que dans l'Hexagone alors que nous savons très bien que les bâtiments vieillissent plus vite en outre-mer. La notion de bassin de vie n'est pas intégrée. »

Selon Fabien Neyrat, l'adaptation et la structuration de la fonction immobilière du ministère de la Justice pour les outre-mer est désormais la priorité du secrétariat général et de sa délégation.

Il faut remarquer que l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ) gère la construction des grands projets immobiliers mais elle a aussi, contrairement à l'Hexagone, la mission de gros entretien et de réparation (GER) du patrimoine immobilier de la justice en outre-mer pour les travaux dont le montant est compris entre 150 K€ et 1 M€. Cela ne va pas sans poser de difficultés parce que l'APIJ n'est pas toujours à l'aise pour piloter des projets plus modestes, son ingénierie étant adaptée aux gros projets. Un coordinateur de proximité dans les territoires a donc été institué pour faire l'interface entre les utilisateurs finaux et l'APIJ : il identifie les obstacles, priorise certains éléments. Par exemple, pour la cité administrative et judiciaire de Saint-Martin dont la maîtrise d'ouvrage est assurée par l'APIJ, le coordinateur a siégé dans les différents comités techniques pour faire entendre la voix du ministère de la Justice.

Pour aller plus loin ; le ministère travaille aussi à la mise en place d'un département de l'immobilier outre-mer au sein du ministère mais qui reste à concrétiser.

L'accès à la justice en outre-mer aussi freiné par la complexité du droit applicable du fait de l'accumulation des différentes législations (droit civil commun, droit coutumier, droit religieux, droit local...). Cette question est particulièrement prégnante dans le domaine foncier.

Le Tribunal foncier de Polynésie française

Le Tribunal foncier situé à Papeete est un tribunal spécialisé unique en France, présent exclusivement en Polynésie Française et prenant en compte le rapport traditionnel à la terre sur ce territoire. Ce tribunal, créé par la loi du 27  février 2004 complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française, a vu son organisation et son fonctionnement précisés par la loi du 16 février 2015 et son décret d'application du 16 octobre 2017. Il est effectif depuis le 1er décembre 2017 et fait suite à un contrat d'objectif entre la Cour d'appel de Papeete et la Chancellerie qui a permis, par l'octroi de moyens humains et financiers, de diminuer fortement le stock et les délais de traitement des dossiers préalablement traités par la Chambre des Terres du Tribunal de première instance.

Ce tribunal traite des affaires dites « de terres » : les revendications de propriété par titre ou par usucapion, les actions en partage, les litiges relatifs à l'accès à la terre (notamment les servitudes de passage), à sa délimitation (actions en bornage et en empiétement, constructions sur le terrain d'autrui) ou encore les expulsions d'occupants sans droits ni titres. Le Tribunal foncier de Papeete est circonscrit aux Îles sous le Vent. Dans les autres archipels, des « sections détachées » gèrent les différents contentieux, comprenant les affaires de terres.

Le Tribunal fonctionne sur la base de règles procédurales spécifiques et applique un droit dont certaines dispositions ont été adaptées à la Polynésie Française (Délibération APF du 12 octobre 2017).

Le Tribunal foncier se compose actuellement de 3 magistrats, 6 personnels de greffe, un juriste-assistant ainsi qu'un interprète. Il fonctionne sous le mode de l'échevinage, le juge étant assisté de deux assesseurs issus de la société civile, recrutés sur la base de garanties de compétences et d'impartialité, et qui permettent une prise en compte de la dimension sociologique et historique de la problématique foncière.

Au vu de la nature du contentieux (litiges familiaux ou entre voisins), les accords amiables sont favorisés, le tribunal pouvant - sous réserve de l'accord unanime des parties - désigner un médiateur foncier nécessairement choisi dans une liste agréée par le Pays (ils sont au nombre de 6 pour toute la Polynésie). Ce médiateur est rémunéré par les parties qui y recourent, et dispose de deux fois trois mois pour résoudre le conflit. Cette procédure permet donc de gagner du temps sur la résolution en cas de solution commune. Les affaires de terres donnent souvent lieu à la désignation par le juge d'un expert géomètre (notamment pour proposer des projets de partage), ou d'un notaire (chargé de dresser un projet d'état liquidatif). Les parties civiles bénéficiant de l'aide juridictionnelle peuvent se voir attribuer un avocat. Depuis la loi organique du 5 juillet 2019, ces avocats, au nombre de deux, sont des salariés auprès du pays.

Le Tribunal foncier a prouvé son efficacité : 1416 dossiers en attente en 2014, le stock de l'année 2023 s'élève à moins de 800. Le délai de résolution a également diminué passant de plus de 5 ans et demi en 2014 à moins de 4 ans en 2023. Cependant, un quart des dossiers restent gelés dans l'attente d'une expertise géomètre. Le manque de professionnels est un des points noirs : compter 3 à 4 ans de délai.

Depuis la loi Letchimy de 2016 ou encore la loi n° 2024-322 du 9 avril 2024 qui a notamment étendu le partage par souche en vigueur en Polynésie depuis la loi du 26 juillet 2019, le droit foncier outre-mer est marqué par des spécificités accrues.

Source DSOM

La question de l'accès au droit est liée à celles de l'accès à un avocat ou à l'aide juridictionnelle, souvent évoqués au cours des auditions et des déplacements ainsi qu'à l'intervention de professionnels tels que des notaires ou des géomètres.

Or beaucoup de territoires ultramarins n'ont pas ou peu d'avocats, comme à Wallis-et-Futuna qui dépend de la cour d'appel de Nouméa. Ce sont des citoyens défenseurs qui assurent la représentation des justiciables en matière pénale. Saint-Pierre-et-Miquelon ne compte pas non plus d'avocat. Parfois, sur un même territoire, l'accès à l'avocat est également rendu pratiquement impossible en raison de la géographie (Guyane, Nouvelle-Calédonie, archipels polynésiens). Les archipels polynésiens sont dépourvus de ces relais juridiques.

L'insuffisance de l'aide juridictionnelle doit aussi être pointée, avec une particularité en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie : tout ce qui est pénal relève de l'État, alors que tout ce qui est civil relève des gouvernements locaux.

Il existe également des problèmes d'interprétariat du fait du manque d'interprètes qualifiés et de documents traduits. Selon Julien Retailleau, « Le Code de procédure pénale, depuis novembre 2023, autorise le recours en urgence à un interprète par visioconférence ou tout autre moyen de communication. Je reconnais qu'il est difficile sur le territoire de Mayotte de trouver des interprètes mais aussi des avocats ou des médecins prêts à se déplacer en garde à vue. Ces éléments mettent en tension la capacité de traitement des affaires par la chaîne pénale mahoraise. »

b) Une sous-capacité carcérale dramatique

Fait connu, la situation dans les prisons françaises est critique, avec plus de 80 000 détenus pour environ 62 360 places. Les outre-mer représentent 9 % de la population carcérale.

L'échec du plan quinquennal de construction de 15 000 places de prison annoncé en 2017 est criant. Aux termes de deux quinquennats, à peine plus de 6 000 places auront été construites, dans le meilleur des cas. Les outremers auront leur part dans cet effort malheureusement très en dessous des besoins.

Dans les outre-mer, la situation des établissements pénitentiaires ultramarins est alarmante, même si elle varie fortement d'un territoire à l'autre, allant d'établissements aux capacités réduites à des établissements d'importance confrontés à une surpopulation inquiétante et chronique. La surpopulation carcérale est plus élevée en moyenne dans les outre-mer que dans l'Hexagone même si les chiffres cachent une réalité contrastée et si de nombreuses opérations immobilières devraient être achevées entre 2025 et 2029 : Baie-Mahault (300 places), Basse-Terre (200 places), SAS Ducos (120 places), Saint-Laurent-du-Maroni (495 places) ...

Au 7 novembre 2024, on recense 6 519 détenus pour 4 550 places opérationnelles (143 % de taux d'occupation). Pour les seules maisons d'arrêt, ce taux passe à 178,2 %, ce qui est un des taux les plus élevés de France.

Mayotte possède un unique centre de détention à Majicavo. Le taux d'occupation atteint 270 % soit le record national : on compte 650 détenus pour 278 places. Cela signifie que quatre ou cinq détenus s'entassent dans des cellules de 13 m2 prévues pour deux. Plus de la moitié d'entre eux dorment sur des matelas installés à même le sol.

La Réunion affiche également un taux de surpopulation carcérale de 150 %. Conçu pour accueillir 475 personnes, le centre pénitentiaire de Domenjod abrite aujourd'hui près de 820 détenus. Un taux d'occupation qui atteint les 150 % en maison d'arrêt. Au total, on compte une centaine de matelas au sol, et jusqu'à 4 détenus par cellule.

Concernant la Nouvelle-Calédonie, un rapport de 2019 (deuxième visite du Centre pénitentiaire de Nouméa par le CGLPL) dénonçait une surpopulation carcérale autour de 130 % et des conditions de vie déplorables (proximité forcée, sous-effectif du personnel). Selon les chiffres du ministère de la Justice au 1er septembre 2024, au centre de détention de Nouméa, la densité carcérale est de 164 % et de 173 % en maison d'arrêt. En février 2022, l'ouverture d'un nouveau centre de détention de Koné, doté de 120 places, a permis de désengorger les autres centres présents sur le territoire calédonien (densité carcérale 95 % à Koné).

À Wallis-et-Futuna, la maison d'arrêt existant depuis une trentaine d'années et qui ne répondait pas aux critères réglementaires doit être remplacée par un établissement pénitentiaire à Mata-Utu. Le taux d'occupation est de 140 % car on compte 7 prisonniers pour 5 places. 33(*)

En Guyane, le centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly connaît une forte surpopulation carcérale (centre de détention : 137,3 % selon les chiffres du ministère de la Justice et maison d'arrêt : 203,7%). Il s'agit d'une population majoritairement étrangère (65 % en 2014) issus des pays limitrophes : Suriname, Brésil, Guyana. Le taux d'occupation des places pour mineurs est de 100 %.

Concernant la Martinique, le centre de Ducos est à la fois maison d'arrêt et centre de détention. La densité carcérale est forte surtout en maison d'arrêt (maison d'arrêt : 168,5 % et centre de détention : 110,1 %).

En Guadeloupe, le centre de Baie Mahault apparaît aussi saturé (centre de détention : 100 % et maison d'arrêt : 188,4 %). À Basse Terre se trouve la plus ancienne et la plus vétuste des maisons d'arrêt françaises avec une densité carcérale de 131,6 %. Le taux d'occupation des places pour mineurs est de 40 %. Les prisonniers sont essentiellement de nationalité française. Parmi les étrangers, la majorité vient de la Dominique.

L'absence de prison est une spécificité de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, les détenus devant ainsi être incarcérés en Guadeloupe.

À Saint-Pierre-et-Miquelon, on trouve la plus petite prison du territoire français (centre de détention : 3 places et maison d'arrêt : 4 places) avec très peu de délinquance et un faible taux d'occupation. Si la peine est supérieure à 7 ans, le détenu est transféré dans l'Hexagone.

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Source : Ministère de la Justice, Direction de l'administration pénitentiaire, Bureau de la donnée, de la recherche et de l'évaluation, Statistique des établissements et des personnes écrouées en France au 1er septembre 2024

Une problématique récurrente est le défaut de prise en charge des détenus ayant des problèmes psychiatriques. Les outre-mer en général n'ont pas d'unité hospitalière spécialement aménagée ou UHSA (en d'autres termes, des établissement publics de santé prenant en charge des personnes détenues nécessitant des soins psychiatriques en hospitalisation). Pourtant ce type de profil foisonne au sein des centres de détention. En Guyane, selon une étude de juin 2024, 72% des détenus souffrent d'au moins un trouble psychiatrique34(*).

Avec la suroccupation, ces établissements connaissent des problématiques connexes.

La surpopulation carcérale va de pair avec la dégradation des conditions de détention. Considérées comme indignes, elles donnent lieu à des condamnations et des recours en nombre. En 2020, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné la France pour ses prisons indignes. Sur les neuf établissements pointés du doigt, trois étaient ultramarins : le centre pénitentiaire de Baie-Mahault (Guadeloupe), celui de Ducos (Martinique) et la prison de Faa'a-Nuutania (Polynésie). La délégation s'est rendue dans ces 3 établissements.

La prise d'otages survenue à la prison de Majicavo à Mayotte le 28 septembre 2024, a nécessité l'envoi de renforts en urgence. Plus d'une centaine de détenus y avait pris part. Un cadre pénitentiaire a été agressé. Des clés des cellules ont été dérobées. Un surveillant a été pris en otage. Fait exceptionnel, le directeur de la prison a décidé de démissionner pour dénoncer les conditions d'emprisonnement et la surpopulation carcérale, et appeler à la construction d'une nouvelle prison. Les agents pénitentiaires ont demandé à exercer un droit de grève - pourtant interdit - pour protester contre les conditions de travail.

Promis de longue date, le projet de construction a fait l'objet d'études foncières et d'urbanisme préliminaires depuis 2022 pour identifier des terrains disponibles, mais la réalisation d'un établissement pénitentiaire de 400 places et d'un centre de semi-liberté de 15 à 20 places n'a toujours pas avancé.

Cette suroccupation compromet également les projets de réinsertion et est un facteur de récidive. À Domenjod (La Réunion), le quartier des femmes, notamment, est très impacté par la surpopulation. « La prison doit être un lieu de réinsertion, mais pas de désinsertion. Et il ne faut pas que la prison renferme les germes de la récidive. C'est cela qui est important. Nous sommes venus aussi parce que nous avons la possibilité, nous Région Réunion, d'y installer de la réinsertion par la formation professionnelle. Il y a au moins 300 mètres carrés d'espace où on peut instaurer de la formation », fait savoir la présidente de région Huguette Bello. « On est aujourd'hui avec plusieurs femmes dans une seule cellule de quelques mètres carrés. Il peut y en avoir 6, 7 dans la même cellule. Elles n'ont même pas assez de place, les détenues mangent parfois par terre. Avec l'arrivée de l'été, on a aussi la problématique de l'hygiène qui entre en jeu », d'après Vincent Pardoux, secrétaire régional FO Pénitentiaire.

Dans les Antilles et en Guyane, où la criminalité liée aux narcotrafics et aux gangs se répand très rapidement, les conditions carcérales deviennent des facteurs favorables au recrutement et à l'endurcissement des délinquants. Les établissements pénitentiaires sont des poudrières où les réseaux criminels trouvent matière à se développer.

La problématique de la surpopulation se caractérise aussi par des violences au sein des établissements : violences entre les détenus, racket, trafic, agressions physiques envers le personnel, démuni face à l'aggravation de la situation. Faute de contrôle suffisant, la projection de colis venant de l'extérieur se banalise. Ces colis contiennent souvent des téléphones et de la drogue. En Guyane, dans la prison de Remire-Montjoly, 40 % des détenus consomment du cannabis et 8 % du crack, véhiculés par le trafic intra-muros. En Martinique et la Guadeloupe, les maux rapportés en gros sont les mêmes ...

La situation en Polynésie française s'est améliorée ces dernières années mais n'est pas exempte de défis. Cette collectivité compte en effet quatre établissements pénitentiaires : deux situés sur l'île de Tahiti (le centre historique de Nuutania sur la commune de Faa'a et le nouveau centre de détention de Tatutu sur la commune de Papeari), un situé à Nuku Hiva (Marquises) et un situé sur l'île de Raiatea (Iles sous le Vent). La délégation a pu visiter les trois premiers.

La maison d'arrêt de Faa'a ayant donné lieu à la condamnation de la France au titre des conditions indignes de détention, un nouveau centre a été érigé en 2017 à Papeari, lequel accueille les condamnés définitifs permettant un désengorgement de la maison d'arrêt.

Les établissements pénitentiaires de Polynésie

L'établissement historique de Nuutania :

Il accueille des détenus provisoires et des condamnés incarcérés sous le régime de la maison d'arrêt. C'est également dans cet établissement que se situe le Centre pour Peines Aménagées qui accueille les mesures de semi-liberté et quelques mesures de « placements extérieurs ». Seul cet établissement est en capacité d'accueillir des femmes et des mineurs (il n'y a pas de centre éducatif fermé en Polynésie).

Le quartier maison d'arrêt de Faa'a dispose des places suivantes : 107 places pour hommes (dont 7 places « arrivants »), 15 places pour femmes (dont une place en nursery et une place « arrivant »), 4 places pour mineurs, 6 places dédiées aux mesures de régime spécifique. L'établissement compte également : une place pour l'isolement et 5 places pour le quartier disciplinaire (dont une au quartier femme). Le quartier « Centre de détention » (régime ouvert) ne s'adresse désormais qu'aux détenues féminines et dispose de 16 places. Le Centre pour peines aménagées compte 20 places.

L'effectif global est donc fixé à 170 places. En octobre 2024, le taux d'occupation de Nuutania était de 208 détenus accueillis dont 18 femmes et 190 hommes (dont 81 condamnés, 109 prévenus, 10 condamnés à de longues peines en attente de transfert vers la métropole, 17 semi-libres et 3 « placements extérieurs », 5 mineurs (dont 3 condamnés et 2 prévenus).

À cet effectif de détenus « hébergés » s'ajoutent les détenus placés sous dispositif de surveillance électronique (44 détenus issus de l'un des centres pénitentiaires).

Les deux établissements placés sous la direction de Faa'a (îles Sous-le-Vent - situé à Raiatea) et des îles Marquises situé à Nuku Hiva accueillent respectivement 11 et 3 détenus. En nombre limité, les détenus y sont accueillis dans de bonnes conditions, l'éloignement et l'isolement de ces établissements permettant des adaptations aux conditions ordinaires de détention. L'établissement de Taiohae est apparu particulièrement remarquable avec ses cellules ouvertes et des relations avec les prisonniers fondées sur la confiance et évoluant en toute liberté et les activités manuelles artisanales propices au retour rapide à la vie civile.

L'établissement de Papeari - Centre de détention de Tatutu :

Cet établissement qui date de 2017 a une capacité de 410 places. En octobre 2024, l'effectif réel était de 374 détenus, soit un taux d'occupation de 92%.

Il est divisé en deux bâtiments, correspondant à l'évolution du détenu dans son parcours d'exécution des peines, lui ouvrant davantage de droits au cours de sa progression. Il comprend un quartier d'accueil et d'évaluation de 20 places, un quartier d'isolement de 10 places et un quartier disciplinaire de 10 places. Aux parloirs classiques s'ajoutent des unités de vie familiale.

Les conditions d'accueil au sein de Tatutu sont particulièrement bonnes, les détenus disposant de cellules individuelles équipées, pour la plupart, de plaques chauffantes et de réfrigérateur. Compte tenu des difficultés de logement sur place, la détention peut même être vécue, pour certains détenus, comme un lieu de vie privilégié assurant un toit, trois repas par jour, des douches, l'électricité, une vie sociale au travers d'activités...

Malgré ces progrès, la délégation a pu noter certaines difficultés.

Le taux d'occupation de l'établissement peut paraître encore élevé. Il est lié à une part importante de détenus provisoires en attente de jugement (en lien avec des comparutions à effet différé, des affaires en appel et des détenus provisoires). Cette proportion s'explique par le fait que cet établissement est le seul à accueillir cette catégorie de détenus (rares étant ceux placés au centre de Tatutu, pour des motifs de sécurité). Le système de désengorgement sur l'établissement pour peine occasionne une difficulté pour la prise en charge des détenus condamnés à de courtes peines (moins d'un an) compte tenu des délais de traitement des demandes d'aménagement de peine, du nouveau régime des réductions de peines, des libérations sous contrainte (de plein droit ou non).

Une autre difficulté réside également dans le refus et/ou les retards importants constatés pour certains condamnés criminels ou correctionnels à effectuer leur parcours d'exécution des peines en partant vers l'Hexagone (passage au centre national d'évaluation préalable à l'affectation en établissements pour peine ou simple transfert vers d'autres lieux de détention).

Le dispositif de surveillance électronique (DDSE) rencontre une difficulté pratique majeure en ce sens qu'il nécessite d'une part l'accord du propriétaire des lieux occupés par le détenu, et d'autre part que le logement soit doté d'un compteur électrique, outre le fait qu'il doit se situer dans une zone « couverte » par le dispositif pour permettre sa mise en oeuvre.

Ce nouveau centre est situé dans le sud de l'île de Tahiti, laquelle est mal desservie par les transports en commun alors que sa population est concentrée dans le Nord autour des villes de Punauia, Faa'a, Papeete, Pirae, Arue et Mahina. L'éloignement de cet établissement peut être source de difficultés pour la réinsertion des détenus, les visites familiales...

Seul centre de détention de Polynésie, cet établissement accueille « tous » les détenus du ressort et en particulier les détenus impliqués dans des trafics de stupéfiants. Ils organisant ainsi une concentration de délinquants particulièrement organisés qui poursuivent leurs activités illégales depuis la détention, ainsi que les projections diverses et variées de produits (téléphones, drogues...) dans les enceintes pénitentiaires.

Le nombre de médecins et de psychologues reste, comme ailleurs, insuffisant pour couvrir une demande particulièrement importante dans un territoire où les consommations d'alcool et de drogue ne revêtent pas les mêmes formes (consommation massive le week-end). Il n'existe pas de réel suivi en addictologie et aucun centre post-cure. En tout état de cause, l'offre se trouve concentrée sur Tahiti avec quelques services déportés sur Moorea et quelques missions dans les autres archipels (mais en nombre bien trop limité).

Enfin de nombreux problèmes de maintenance ont été signalés dans un bâtiment pourtant récent  (trop plein de la station d'épuration, pannes de climatisation, moisissures...) et appelle à un meilleur suivi des équipements.

*

Outre une insécurité multiforme, les outre-mer font face à des menaces exogènes croissantes qui se développent dans des environnements régionaux instables et complexes.

B. UN ÉTAT SOUS LA PRESSION CROISSANTE D'ATTEINTES EXOGÈNES

1. Un espace maritime immense et des frontières difficiles à contrôler
a) Des pressions extérieures multiples et croissantes : migrations illégales, orpaillage clandestin, pêche illicite...

Les territoires ultramarins font l'objet de pressions extérieures multiples d'ordre démographique (immigration clandestine, demandes d'asile) et d'atteintes préjudiciables (pêche illégale, orpaillage illicite) qui défient la souveraineté de la France et qui ont un fort impact pour les populations locales.

Outre le narcotrafic déjà mentionné, les phénomènes migratoires sont particulièrement déstabilisateurs.

Les flux migratoires en outre-mer se concentrent majoritairement en Guyane et à Mayotte : en 2022, les deux départements représentent près de 90 % de la demande d'asile outre-mer d'après les chiffres 2022 du ministère de l'Intérieur35(*). Toujours selon le ministère « au 31 décembre 2022, pour une population estimée à 310 022 habitants (respectivement 301 099), le nombre d'étrangers porteurs de titres de séjour à Mayotte est de 42 128 (respectivement en Guyane 45 801). À Mayotte près de neuf titres sur dix sont détenus par des Comoriens tandis qu'en Guyane, les Haïtiens (36 %), Surinamiens (23 %) et Brésiliens (19 %) sont les plus nombreux. ».

À Mayotte, où l'immigration illégale est massive, on estime que plus de 50 % de la population est étrangère sans être en capacité de l'évaluer statistiquement. Lors de son discours de politique générale, le premier ministre François Bayrou a cité le nombre de 80 000 immigrés illégaux.

Environ 25 000 Comoriens sont expulsés de Mayotte chaque année. En 2023, le territoire a enregistré seulement 2 650 demandes d'asile36(*), dont une part croissante est issue d'Afrique des Grands Lacs (1 000 arrivées environ en 2022, le double en 2023). Le recteur de Mayotte a indiqué sur place que 58 % de la population scolaire était en situation irrégulière.

En Guyane, où la part de la population étrangère est estimée à un tiers et où 40 000 personnes sont éligibles à l'aide médicale d'État, près de 5 200 premières demandes d'asile ont été recensées en 2023, dont 21 % de Syriens et 19 % d'Afghans37(*). Les taux de reconnaissance de la protection internationale pour certaines nationalités, notamment les Afghans, dépassent 98 %38(*). En outre, compte tenu de l'évolution sécuritaire dégradée en Haïti, les conditions d'attribution de la protection internationale ont évolué également en faveur des Haïtiens. En 2024, 20 000 personnes ont fait une demande d'asile sur ce territoire, soit trois fois plus qu'en 2023, principalement liée au fait que les Haïtiens déjà présents sur le territoire sollicitaient l'asile pour régulariser leur séjour, compte tenu de la situation à Haïti.

L'immigration clandestine met en lumière les failles de l'exercice des compétences régaliennes. Les personnalités auditionnées dans le cadre de cette mission s'accordent sur la responsabilité très large de l'immigration illégale dans la très forte aggravation de l'insécurité. Les migrants se regroupent en squats ou dans des bidonvilles, terreau propice aux trafics en tout genre, et leur nombre toujours croissant inquiète les autorités. En réaction, le sentiment anti-migrants s'accentue au sein des populations.

À Mayotte, l'installation de migrants venus du continent africain au stade de Cavani de Mamoudzou a mis l'État face à la pression des collectifs de citoyens ulcérés dénonçant l'immigration clandestine incontrôlée.

Autre atteinte préoccupante : le développement de la pêche illégale. La pêche illicite non déclarée et non réglementée (pêche INN), est une menace croissante dans le domaine maritime ultramarin, tout particulièrement dans les zones économiques exclusives (ZEE) des Antilles-Guyane et du Pacifique. Ce phénomène s'avère une catastrophe tant écologique qu'économique, qui contribue gravement à l'épuisement des ressources halieutiques et à la destruction de la biodiversité.

L'intensification de la pêche illégale est tout particulièrement marquée en Guyane, où les pêcheurs clandestins prélèvent deux fois plus de poissons que les pêcheurs locaux39(*) titulaires d'une licence. Le constat est que la France ne parvient pas à assurer pleinement sa souveraineté sur ses zones maritimes. Les autorités douanières et la Marine nationale doivent faire face à des pratiques de pêche illégale de plus en plus agressives, notamment lors des opérations de contrôle, alors qualifiées d'« opérations de guerre ». On note cependant quelques résultats s'agissant du Brésil, d'après le préfet de Guyane Antoine Poussier : « L'année dernière, 13 tapouilles brésiliennes ont été détruites. Il est parfois reproché à l'État de mener une action timorée. Je pense que nous faisons le maximum, puisque les tapouilles brésiliennes interceptées en action de pêche et en situation de réitération sont détruites. »

Dans les eaux de la Nouvelle-Calédonie, d'importantes campagnes de pêche illégale ont par ailleurs été observées depuis 2017. Le territoire notamment est la cible de bateaux de pêche vietnamiens, ou « blue boats », pêchant en zones peu profondes, récupérant des espèces à haute valeur (holothuries en priorité pour le marché chinois, trocas, langoustes et crustacés).

Les eaux du Pacifique en général sont particulièrement visées par les dispositifs de concentration de poissons dérivants (ou « DCP dérivants »). C'est un dispositif de concentration de poissons provoquée par la pêche à la senne. Mis à l'eau en dehors de la zone économique exclusive (ZEE), au sein de laquelle cette pêche est interdite, ces dispositifs de grande dimension font dériver hors de la zone les bancs de poissons captifs et peuvent accumuler jusqu'à 80 tonnes de poissons. Par ailleurs, une fois hors d'usage, ces dispositifs sont laissés à l'abandon et sont source de pollutions : 2 200 des DCP dérivants ou éléments de DCP ont été identifiés entre 2006 et 2023 dans une large zone du Pacifique. De 2021 à 2023, plus de 600 DCP dérivants se sont échoués sur les côtes polynésiennes.

Autre fléau : l'orpaillage illégal qui frappe la Guyane en provenance des pays voisins, Brésil et Suriname, est vécu comme un véritable pillage par les Guyanais. Il donne lieu à des actions d'une grande violence, les orpailleurs étant organisés en véritables commandos armés s'appuyant sur des camps de base mobiles en forêt vierge et disposant d'une logistique impressionnante. L'Ouest du département, frontalier avec cette ancienne colonie néerlandaise, est la zone la plus touchée et concentre 80 % des sites miniers illégaux, contre 20 % dans la partie Est, côté Brésil.

D'après un bilan de la préfecture rendu public fin février, 7  à 8000 chercheurs d'or clandestins étaient présents en Guyane en 2023, répartis sur plus de 400 sites d'extraction. On estime que 7 à 10 tonnes d'or sont ainsi illégalement extraites chaque année. Cette ruée est caractérisée par une très forte augmentation du nombre des sites d'exploitation illégale.

L'État peine à trouver des réponses à la hauteur de ce défi. À l'heure actuelle, 250 militaires des forces armées et 150 gendarmes mobiles sont engagés sur le territoire guyanais dans le cadre de l'opération Harpie40(*). La préfecture a annoncé dans un communiqué que 42 sites d'orpaillage illégal ont été démantelés dans la région de Camopi, dans le sud-est de la Guyane, au cours d'une vaste opération qui s'est déroulée du 17 octobre au 9 novembre 2024 pour un montant estimé à plus d'un million et demi d'euros (saisies et destructions)41(*). Malheureusement, le plus souvent ces opérations ne font que déplacer temporairement les pilleurs vers d'autres sites.

Les populations locales sont les premières victimes des transgressions frontalières et des atteintes à la souveraineté des territoires.

Toujours sur ce territoire, outre l'impact environnemental (destruction de la forêt, déversement de mercure), l'orpaillage illégal impacte la vie locale : les secteurs concernés par l'insécurité et les trafics sont fuis par le personnel enseignant par exemple. D'une manière générale, ces phénomènes entraînent un accroissement de l'insécurité qui se répercute dans le quotidien des populations ultramarines.

b) Des espaces trop poreux

Tous ces facteurs portant atteinte, de manière croissante et multiple, aux territoires ultramarins sont en outre favorisés par la porosité des espaces, qu'il s'agisse des frontières terrestres ou maritimes. Le défi est alors de taille pour les services régaliens et requiert une coordination efficace de l'ensemble des acteurs.

Plusieurs difficultés ont pu être identifiées au cours des déplacements et des entretiens comme l'inadaptation du dispositif douanière, une organisation des affaires maritimes sans moyens de adaptés -surveillance, contrôle, sanctions- et une coopération transfrontalière insuffisamment développée.

Pour lutter contre les trafics inter-îles, les opérations côtières relèvent des garde-côtes des douanes, qui disposent de petits patrouilleurs côtiers. Leur mission est particulièrement ardue, tant en raison de la difficulté de détection des trafics sur ce type de bateaux qu'en raison de la très grande réactivité requise : les bateaux se rendent d'une île à l'autre en un temps très court et peuvent se diriger rapidement vers les eaux territoriales d'un autre État, empêchant ainsi toute intervention. Les trafics s'opèrent souvent de nuit, sans possibilité d'intervention compte tenu des effectifs et des moyens actuels des garde-côtes.

Il faut noter néanmoins que l'État a su faire évoluer son dispositif de « clearance »42(*) aux Antilles, trop libéral, pour l'accès aux eaux territoriales en 2024. Bien que ce régime soit entré en vigueur récemment, le préfet de la Martinique, délégué du gouvernement pour l'action de l'État en mer, a souhaité le faire évoluer afin, d'une part, d'imposer aux navigateurs quittant une île française des Antilles pour se rendre vers une autre île française des Antilles de réaliser également ces formalités de clearance, et, d'autre part, d'obliger tous les navigateurs à effectuer les formalités de clearance de manière dématérialisée sur un site internet.

Ce suivi effectué par la Douane vise à mieux connaître les mouvements d'entrée et de sortie des navires de plaisance naviguant en zone maritime Antilles et à mieux identifier, en amont de leur entrée dans les mers territoriales françaises, les navires susceptibles de se livrer à des activités illicites par voie maritime.

Mais les services douaniers outre-mer apparaissent largement sous-dotés. Le service interrégional des Antilles compte 680 agents, soit 120 en Martinique, 250 en Guadeloupe et 190 en Guyane. Il comporte le service d'enquête judiciaire devenu Office national anti-fraude (ONAF), un service de renseignements (40 agents), le service régional de garde-côtes, avec une composante aéromaritime qui dépend d'une direction nationale située au Havre (qui est aussi en charge du secours en mer et de la protection de l'environnement). Conscients de la faiblesse de leurs forces (un seul bateau hauturier pour Saint-Martin, surtout utilisé pour les liaisons avec Saint-Barthélemy), et des rigidités de leur cadre d'intervention (opérations noctures, sorties en mer, contrôle des passagers etc .), le service des douanes place ses espoirs dans le développement promis des radars. Un déploiement est prévu à partir de janvier 2025, ainsi que la mise en place de consoles dans les centres de la douane pour mieux exploiter les données et l'installation de scanners dans les ports pour le contrôle des conteneurs.

Le contraste apparaît fort également entre les enjeux et les moyens dévolus aux services des affaires maritimes dans les outre-mer. Les domaines de l'action de l'État en mer sont en effet particulièrement larges : réglementation de la navigation, lutte contre les pollutions marines, sauvetage en mer, épaves maritimes dangereuses, manifestations nautiques, immersion en mer...

En Polynésie, Marie Feucher, cheffe du service des affaires maritimes, a témoigné des défis à relever. En poste depuis un an, « poste qui a un véritable coût d'entrée », elle a évoqué la complexité des normes liée au partage des compétences collectivités - État avec un effectif de 13 personnes : « il faut des passerelles sinon cela ne fonctionne pas, d'où des échanges quotidiens, le souci d'une bonne transmission des informations, l'obligation de point d'étape, avec la direction polynésienne des affaires maritimes. En outre, le service des affaires maritimes de l'État a trois services du territoire comme correspondants : la direction des affaires maritimes, la direction des ressources marines, la direction de l'équipement ».

Son service est associé étroitement à l'exercice de nombreuses missions au sein d'instances relevant de l'État ou du Pays : conseil portuaire du port autonome de Papeete, comité consultatif de la navigation maritime inter insulaire, assemblée commerciale du pilotage, comité polynésien de la mer et du littoral, ainsi qu'aux différentes commissions techniques associées. Le port de Papeete notamment doit faire face à l'augmentation des activités, notamment des petits transporteurs, ce qui rend difficile les missions d'inspection.

L'exemple de la lutte contre les DCP illustre les défis à relever : « le pays est compétent pour la protection de la biodiversité et l'État pour la surveillance et le contrôle des côtes mais cela nécessite une collaboration étroite (le trait de côte jusqu'à 300 m est de la compétence du maire, les eaux territoriales de la compétence du Pays et au-delà c'est de la compétence de l'État) ; le contrôle par satellite, souvent cité, nécessite en fait des compétences pour analyser les images ».

En Martinique, Xavier Nicolas, directeur de la mer, a indiqué qu'il dirigeait une administration de mission avec des effectifs resserrés (50 ETP). Ses services sont dédiés à l'action de l'État en mer, à l'accompagnement et au suivi des filières (pêche ou nautisme), le tout axé sur l'économie bleue. Cette direction entre dans le champ de la compétence régalienne avec le centre opérationnel de sécurité et de sauvetage qui va de la Guyane à Saint-Barthélemy, service à la disposition des préfets... De plus, ce centre contrôle l'ensemble des navires sous pavillon français : conformité aux normes techniques, contrôle de l'état du pavillon... Il a le pouvoir de les retenir s'il y a une déficience grave. Il assure aussi le service des phares et balises, et contrôle l'entrée des ports.

Il n'est pas étonnant que les limites de l'action de l'État en mer dans nos outre-mer soient souvent décriées. Brigitte Girardin, ancienne ministre des outre-mer, au cours de son audition devant la délégation, a estimé que l'organisation de l'État en mer, « dans nos collectivités [ultramarines], est catastrophique », alors que la France est dotée d'une « ZEE immense dont 97 % se trouvent outre-mer ».

La très difficile mise en oeuvre des contrôles en mer sur les porte-conteneurs, très largement utilisés pour les trafics, doit notamment être soulignée. Les narcotrafiquants y cachent de la drogue comme on dissimule une aiguille dans une botte de foin. Or, d'une part, une intervention sur un bateau en mer n'est possible qu'avec l'accord de l'État du pavillon. Les services diplomatiques du pays concerné doivent donc être contactés et donner l'autorisation de fouiller le navire. D'autre part, il serait illusoire pour la marine nationale de rechercher de la drogue en montant à bord d'un navire en mer transportant plusieurs milliers de conteneurs. Ces opérations ne peuvent réussir que si elles sont menées interservices, conjointement notamment avec la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), et en lien étroit avec les transporteurs comme CMA-CGM qui a mis en place sur ses bateaux une structure particulière de lutte contre le narcotrafic.

En complément des actions menées par les garde-côtes des douanes lorsqu'il s'agit d'opérations côtières, la Marine nationale est chargée des opérations au large soit sur la base de renseignements - des services français ou de partenaires dans la région -, soit sur opportunité. Pour agir en mer, elle a cependant besoin de bateaux adaptés, du renseignement mais également de l'appui de moyens de surveillance aériens.

Le contre-amiral Nicolas Lambropoulos regrette moins la vétusté de certains matériels qui ont « encore de belles capacités » ou « une belle endurance à la mer » que le manque d'effectifs qui ne permet pas une réactivité maximale, et le manque de moyens de détection dans les canaux - des radars étant nécessaires dans toutes les îles, à l'instar de la Martinique -, mais également de moyens de surveillance aérienne. À cet égard, davantage de drones seraient nécessaires, notamment à long rayon d'action, ainsi qu'une mise à disposition du Falcon 50 par la Marine pendant plus de trois mois par an et avec des moyens optroniques rénovés, en raison du manque d'autonomie pour parcourir de très longues distances du Beechcraft et de l'hélicoptère H160 disponibles en Martinique.

La sûreté aéroportuaire n'est pas moins critiquée. À Saint-Martin par exemple qui ne fait pas partie de l'espace Schengen, les contrôles de la police aux frontières (PAF) se font de manière aléatoire sur les personnes disposant d'un passeport ou d'une pièce d'identité française. Ils ne peuvent contenir la fraude documentaire liée à l'absence de frontière matérielle avec Sint Marteen, souvent pointée lors des entretiens.

2. Des environnements régionaux moins stables et exposés à la compétition entre puissances

Les influences étrangères malveillantes sont au coeur des nouvelles menaces hybrides qui visent notre pays. Le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur la lutte contre les influences étrangères malveillantes a montré que la menace sur le modèle démocratique et les intérêts de la France ne se limite plus ni à la guerre conventionnelle, ni aux ingérences « traditionnelles » (espionnage, etc.).

a) L'instrumentalisation des fractures des sociétés ultramarines

Comme l'a démontré une récente commission d'enquête du Sénat sur les ingérences étrangères43(*), la France constitue une cible dans le durcissement des relations géopolitiques mondiales en raison de son statut de membre du Conseil de sécurité de l'ONU, d'État doté de la dissuasion nucléaire, de 7ème puissance économique mondiale et de ses prises de position diplomatiques - notamment sur la guerre en Ukraine ou sur le conflit du Haut-Karabagh. Le contexte international est marqué par :

- une nouvelle donne géopolitique avec un retour des stratégies de puissance et une multiplication d'opérations hybrides menées sous le seuil de la guerre conventionnelle ;

- une nouvelle donne technologique, caractérisée par la centralité des plateformes numériques et la montée en puissance de l'intelligence artificielle, qui induisent de nouveaux canaux de perception de l'information par les populations.

Dans cette guerre d'influences contre la France, des vulnérabilités, qui découlent des fractures bien réelles de notre société ou d'un désarmement de l'État dans certains secteurs sont exploitées.

Plusieurs États sont clairement engagés dans cette guerre d'influence contre les pays occidentaux et en particulier contre la France : à côté de la Russie - de loin l'acteur le plus agressif et ce dès avant l'invasion de l'Ukraine - et de la Chine, qui s'efforcent de promouvoir leur modèle autoritaire en décrédibilisant la démocratie occidentale, des menaces « tous azimuts » se font jour, émanant de compétiteurs étatiques émergents, tels que la Turquie ou même l'Azerbaïdjan.

La conférence de Bakou qui s'est tenue en juillet dernier est une illustration de cette stratégie passant par les outre-mer pour fragiliser l'État français.

La conférence de Bakou

Les 17 et 18 juillet 2024, l'Azerbaïdjan a accueilli le premier « Congrès des mouvements d'indépendance des territoires colonisés par la France » dans sa capitale, Bakou. Ce rassemblement, connu sous le nom de « Conférence de Bakou » a réuni différents mouvements indépendantistes actifs dans les outre-mer français, tels que le Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste (FLNKS).

En 2023, l'invasion du Haut-Karabagh arménien par l'Azerbaïdjan a conduit la France à prendre position en faveur de l'Arménie. Des informations résolument hostiles à la France ont commencé à circuler, de façon coordonnée, et artificiellement amplifiée émanant d'une ONG baptisée Baku Initiative Group (BIG) créée dans le but affiché de lutter contre le « colonialisme français » dans les territoires ultramarins alors qualifiés de colonies.

La conférence de Bakou a suscité de nombreuses réactions notamment parmi les parlementaires français. Lana Tetuanui, sénatrice de Polynésie française, a interpelé le Premier ministre sur la question de l'ingérence de l'Azerbaïdjan auprès des territoires calédoniens et polynésiens. Thani Mohamed Soilihi44(*), alors sénateur de Mayotte, a lui aussi évoqué lors de l'adoption du rapport sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer, les « propos orduriers contre la France » tenus à Bakou, en réclamant une application de l'article 23-7 du code civil (procédure de perte de la nationalité française).

Dans un rapport récent, la campagne de désinformation de l'Azerbaïdjan vers les DROM-COM a été décryptée par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale Il décrit la mise en place dans la durée d'un mode opératoire cherchant « délibérément à exploiter la situation politique et économique dans les départements, régions et collectivités d'Outre-Mer (DROM-COM) et en Corse, ainsi qu'à instrumentaliser l'histoire de la présence française sur le continent africain pour des finalités malveillantes ».

Lors de son déplacement en Polynésie française, la délégation a entendu ce discours anticolonialiste tenu par le président de l'Assemblée de la Polynésie française Antony Géros, assemblée qui a constitué en 2023 une commission spéciale sur la décolonisation en son sein dont le rôle est notamment de préparer les interventions devant les instances internationales.

Le président Géros a exposé les étapes du combat indépendantiste qu'il mène depuis la résolution adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 17 mai 2013, réinscrivant la Polynésie française sur la liste des territoires à décoloniser et a critiqué durement l'attitude de l'État français45(*).

Il faut noter qu'en octobre 2024, à New York, lors de la 4e commission de l'Organisation des Nations Unies (ONU), la délégation indépendantiste a été suivie pour la première fois par une délégation autonomiste pour « contrecarrer les propos » du parti indépendantiste et mettre l'accent sur le soutien y compris financier de l'État à la Polynésie français.

Pour sa part, lors des échanges avec la délégation, le président indépendantiste de la collectivité Moetai Brotherson a insisté sur le bon fonctionnement des institutions polynésiennes « pour le moment », l'importance d'une bonne coordination État-Pays y compris sur le régalien (par exemple en cas d'intempéries afin de mettre en commun les moyens, ou pour la lutte contre le narcotrafic et la surveillance de la ZEE). Il a aussi exposé son projet de permettre un meilleur accès au droit avec la création des Fare ora, des « guichets uniques » déployés dans les communes afin d'accompagner les citoyens, en renforçant la présence des services publics et en facilitant leur accès aux prestations et aux démarches administratives.

De fait, tant au niveau du Haut-Commissariat, des services de l'État qu'auprès des instances locales (maires, gouvernement, agents), les discussions ont davantage porté sur les sujets du quotidien : le logement, l'emploi, la sécurité, la couverture numérique (le projet Google en particulier).

b) Des territoires au coeur d'intérêts géostratégiques majeurs

Grâce à ses territoires ultramarins, notre pays est doté de la deuxième ZEE mondiale, soit 11,5 millions de km², et présent dans tous les océans. Sur ce total, les espaces maritimes ultramarins représentent à eux seuls près de 97 %, avec près de la moitié pour la Polynésie française (4,5 millions de km2).

L'importance géostratégique des outre-mer, objet de nombreux rapports, n'est plus à démontrer46(*).

Les autres principales localisations françaises sont les Terres australes et antarctiques (2 millions de km2), la Nouvelle-Calédonie (1,5 million de km2) et l'île de La Passion-Clipperton avec une ZEE de 440 000 km2 tandis que les zones maritimes de France hexagonale sont d'une superficie de 350 000 km2.

Dans l'océan Indien, Mayotte est située au coeur du Canal du Mozambique et La Réunion dispose d'une population nombreuse et qualifiée, ainsi que d'infrastructures modernes. Les Terres australes et antarctiques (TAAF) inhabitées constituent un réservoir de biodiversité et de ressources marines exceptionnels.

En Amérique du Sud, la Guyane abrite depuis 1964 la base de lancement spatial française et européenne d'où partent les fusées Ariane.

Concernant les Antilles, elles voisinent les axes maritimes américains (à destination de Houston, Miami...), liés à l'acheminement du pétrole en provenance du Moyen-Orient, d'Afrique de l'Ouest et du Venezuela. Différents points stratégiques sont situés dans la région : canal de Panama, canal du Yucatan ou encore détroit de Floride et la présence militaire américaine atteste de l'intérêt stratégique de ces zones.

Bien que relativement préservée, la zone dans laquelle se trouve Saint-Pierre-et-Miquelon se tend pour des raisons environnementales et géopolitiques. La fonte des glaces pourrait permettre, à terme, l'emploi de nouvelles routes de communication et l'exploitation de ressources énergétiques et minières.

Ces atouts sont convoités par les grandes puissances, et en particulier par la Chine qui est de plus en plus présente dans la région du Pacifique depuis la fin des années 1990, mais aussi plus récemment dans la région des Caraïbes47(*).

Comme l'ont relevé de nombreuses analyses, diverses ressources attirent l'attention de cette puissance à commencer par le nickel, matière première essentielle dans certains domaines comme l'aéronautique ou la défense. La Chine cherche à diversifier ses approvisionnements en nickel, aussi essentiels que l'uranium par exemple.

Par ailleurs, dans un souci de se désenclaver, la Chine convoite plus largement la zone maritime du Pacifique riche en ressources halieutiques pour nourrir ces 1,4 milliard d'habitants. Si les ressources des fonds sous-marins ne sont pas encore exploitables pour des raisons techniques, elles pourraient l'être dans les années à venir et constituer un nouveau gisement de richesses.

Il convient de citer également la pêche illicite dans la zone de la Passion-Clipperton où la France ne peut guère assurer de contrôle et subit sur la zone économique exclusive qui représente 436 000 km2 des pratiques de pêche prédatrices.

La Nouvelle-Calédonie se trouve précisément au coeur du Pacifique, sur des voies de passages qui sont nécessaires notamment pour l'acheminement du lithium en provenance d'Amérique du Sud. Au-delà, on trouve aussi la rivalité des « deux Chines », la Chine et Taïwan qui a établi son influence dans quatre États insulaires du Pacifique.

C'est dans ce contexte qu'en 2022, la France - et l'Union européenne- se sont dotées d'une stratégie indopacifique allant des côtes orientales de l'Afrique aux territoires français du Pacifique.

Mais comme l'a souligné le rapport de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat sur la stratégie française pour l'Indopacifique : des ambitions à la réalité48(*), la position de la France est fragile.

Les moyens militaires des forces de souveraineté sont confrontés, d'une part, aux caractéristiques de l'Indopacifique (élongations extrêmes, conditions météorologiques exigeantes et durcissement de l'environnement sécuritaire) et, d'autre part, aux défis financiers pour crédibiliser cette stratégie49(*).

Forces prépositionnées

Source : État-major des armées - mai 2024

La France dispose de plus de 10 000 militaires engagés au sein des forces prépositionnées, qu'il s'agisse des cinq forces de souveraineté dans les départements, régions et collectivités d'outre-mer (DROM-COM), avec un effectif de 8 350 militaires, ou des forces de présence en Afrique et dans le golfe arabo-persique, comptant 3 650 militaires.

Déployées dans les trois bassins océaniques (Atlantique, Indien et Pacifique), les forces de souveraineté ont pour missions génériques la protection du territoire national, la défense de la souveraineté de l'État dans ses eaux territoriales et sa ZEE, le soutien de l'action des services de l'État dans les collectivités territoriales ultramarines, ainsi que l'appui à la coopération militaire bilatérale avec les pays de leur zone régionale.

Néanmoins, face aux enjeux spécifiques de leurs territoires, elles « se sont progressivement spécialisées. Les Forces armées en Guyane (FAG), les Forces armées de la zone sud de l'océan Indien (FAZSOI) et les Forces armées en Nouvelle-Calédonie (FANC) forment des points d'appui aéroterrestres, alors que les Forces armées aux Antilles (FAA) et les Forces armées en Polynésie française (FAPF) disposent de capacités à dominante maritime », comme le précise le général Jean-Marc Giraud, commandant des FAZSOI50(*).

Si, selon les termes du général Giraud, les forces de souveraineté « contribuent outre-mer à la résilience de l'État et à l'édifice national », elles ont néanmoins connu d'importantes réorganisations à partir de 2008, comme le relevait la commission des finances en octobre 2022 qui pointait notamment la baisse des effectifs et l'insuffisance des équipements, inadaptés à l'ampleur des missions51(*).

Dans le cadre des travaux de la délégation aux outre-mer sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer52(*), le général de division François-Xavier Mabin, chef de la division « emploi des forces-protection » de l'état-major des armées, avait souligné qu'avec la loi de programmation militaire 2024-2030, 13 milliards d'euros seront attribués aux forces armées stationnées dans les outre-mer, « l'effort devant porter sur la modernisation des équipements, le durcissement de capacités ciblées en adéquation avec le contexte stratégique local, ainsi que sur le renforcement des points d'appui, essentiellement au moyen de la consolidation des structures portuaires et aéroportuaires », en plus d'une augmentation des effectifs de 10 % sur l'ensemble des outre-mer, soit plus de 1 000 postes.

Face à des contestations territoriales instrumentalisées, à une compétition militaire croissante entre les grandes puissances et à l'accumulation de menaces et risques (narcotrafics, pêche illégale, islam radical, sécheresse, immigration illégale...)53(*), l'enjeu est de veiller à l'attribution réelle de ces renforts progressifs prévus par la LPM, en effectifs et en moyens matériels, afin de conforter les forces de souveraineté dans leur rôle stratégique au service de la souveraineté nationale.

En effet, la France fait face à des contestations territoriales. Outre la situation de Mayotte vis-à-vis des Comores, déjà évoquée, d'autres contentieux de souveraineté visant la France subsistent dans l'océan Indien et Pacifique54(*).

Dans l'océan Indien, un différend de souveraineté oppose la France à Maurice à propos de l'île Tromelin, dont le Gouvernement mauricien revendique la souveraineté depuis 1976. Tromelin est une île inhabitée faisant partie des TAAF. En juin 2010, un accord bilatéral relatif à la cogestion économique, scientifique et environnementale de Tromelin et à ses espaces environnants a été signé entre la France et Maurice mais le processus de ratification est bloqué à l'Assemblée nationale depuis 2017.

La pression sur la France est d'autant plus vive qu'au terme d'un litige de plus d'un demi-siècle, le Royaume-Uni et l'île Maurice ont trouvé un accord sur la souveraineté de l'archipel des Chagos en octobre 2024 après de deux ans de négociations et une résolution de l'ONU.

Un autre contentieux territorial oppose la France à Madagascar à propos des îles Éparses situées dans le Canal du Mozambique et qui font aussi partie des TAAF. Une commission mixte bilatérale a été chargée de trouver une solution mais ne s'est réunie qu'une fois. Il ne peut être exclu qu'à la faveur de la découverte de ressources naturelles importantes par exemple, ce contentieux s'accentue dans le futur.

Dans l'océan Pacifique, on peut noter les revendications du Mexique sur l'île de La Passion-Clipperton - ou tout au moins les ressources de sa ZEE - forte de réserves halieutiques menacées par la surpêche et de richesses minières présentes sur les fonds marins. Le Vanuatu a aussi des revendications sur les îlots de Matthew et Hunter.

Plus anecdotique, un différend oppose dans les Antilles, Saint-Martin à son voisin hollandais Sint-Maarten sur la délimitation de la zone de l'étang aux Huîtres.

Dans un contexte menaçant et avec les enjeux internationaux très vifs, le moindre incident peut prendre des proportions insoupçonnées, comme en témoigne la récente « affaire du missile chinois ».

L'affaire du missile chinois

La Chine a effectué, fin septembre 2024, un tir de missile balistique intercontinental dans le Pacifique, considéré comme une première depuis plusieurs dizaines d'années. Ce missile, qui n'emportait qu'une ogive factice, a été lancé de l'île de Hainan, au sud de la Chine, a survolé le Japon avant de s'écraser en mer, 11 700 kilomètres plus loin, à quelques 400 km de l'archipel des Tuamotu et 700 km des Marquises en Polynésie française.

Présenté officiellement comme un lancement faisant partie « du programme annuel d'entraînement de routine de la force des missiles » et ne visant aucun pays ou cible spécifique, ce tir a suscité un trouble légitime sur ce territoire.

Outre la conscience d'une menace militaire, cette affaire a suscité des tensions entre les représentants de l'État et du territoire. Le président de la Polynésie a demandé si l'État français avait été averti au préalable de cette manoeuvre et indiqué qu'il aurait préféré en être averti avant que le tir ait lieu. Ce défaut de communication a conduit le sénateur Teva Rohfritsch à faire part de la profonde stupeur ressentie par la population polynésienne et à interroger le représentant de l'État sur les mesures prises par la République pour informer et protéger les Polynésiens.

Le Haut-Commissaire de la République a fait observer que ce missile emportait une tête inerte et qu'il est tombé dans les eaux internationales de l'océan Pacifique et qu'enfin, les autorités chinoises avaient préalablement notifié cet essai à la France.

c) Des environnements instables

Au-delà des tentatives d'ingérences et d'influences, les outre-mer français sont situés dans des environnements régionaux particulièrement instables.

L'exode africain est particulièrement déstabilisateur. La « route de l'Est », décrite comme l'un des couloirs de migration les plus fréquentés et les plus risqués au monde, est empruntée par des centaines de milliers de personnes chaque année, principalement en provenance d'Éthiopie, d'Érythrée et de Somalie. On estime qu'environ 300 000 migrants ont quitté l'Éthiopie pour les côtes de Djibouti et de la Somalie en 2023. Plus de 93 500 migrants de la Corne de l'Afrique sont arrivés au Yémen au cours de cette période, soit une augmentation de 26 % par rapport à l'année précédente.

La route du Sud, qui longe la côte Est de l'Afrique en direction de l'Afrique du Sud via le Kenya et la Tanzanie, n'attire pas autant l'attention que d'autres routes de migration irrégulière sur le continent. Toutefois, des rapports périodiques faisant état de la mort de migrants à l'arrière de camions ou de conteneurs d'expédition rappellent les circonstances dans lesquelles beaucoup fuient leur pays. On estime que 65 000 personnes ont emprunté la route du Sud en 2023.

En 2024, Mayotte a subi une crise migratoire sans précédent, venant s'ajouter à la crise de l'eau et à des problèmes de sécurité très graves. Outre l'immigration comorienne, la présence de migrants africains, originaires de l'Afrique des Grands Lacs, créé des crises à répétition. Des collectifs de citoyens se sont mobilisés afin de protester contre l'installation de demandeurs d'asile, notamment dans un camp entourant le stade de Cavani, à Mamoudzou. Malgré les opérations Wuambushu (lancées depuis avril et visant à expulser les migrants illégaux installés dans des quartiers particulièrement insalubres, appelés « bangas »), la paix sociale n'avait pu être rétablie avant le drame du cyclone Chido. La violence qui augmente est majoritairement le fait de mineurs « non accompagnés » à l'origine de 81 % des vols avec violence sans arme, 57 % des vols avec armes, 72 % des cambriolages mais aussi, significativement, 48 % des violences sexuelles, 34 % des viols, et 27 % des homicides et tentatives d'homicides.

Aux Antilles, la crise haïtienne est à l'origine de nouveaux flux. Haïti est le théâtre d'une flambée de violences des gangs et d'un État en voie d'effondrement. La recrudescence des tueries et des exactions a contraint des milliers de civils à fuir la capitale, Port-au-Prince. En Guadeloupe la crainte à l'égard de l'immigration liée à la situation en Haïti est d'autant plus vive que la communauté haïtienne est déjà importante. En Guyane et en Martinique, les Haïtiens constituent des communautés étrangères statistiquement importantes mais difficiles à comptabiliser compte tenu de l'immigration clandestine. On estime que 20 000 Haïtiens vivent en Guadeloupe dont 15 000 en situation régulière car intégrés dans l'économie locale, notamment dans le secteur agricole. Les nouveaux arrivants débarquent dans des zones connues depuis plusieurs années en passant en particulier par la Dominique et Sainte Lucie. La Dominique, qui s'est dotée d'un aéroport international, s'est beaucoup rapprochée de la Chine. Elle fait partie de ces nombreux États insulaires de la Caraïbe où la Chine construit des stades, des ports, des hôpitaux et étend son influence.

*

Le glissement de la situation sécuritaire dans tous les outre-mer intervient dans un contexte d'instabilité mondiale et de montée des risques géopolitiques. La multiplication des crises majeures outre-mer, à un rythme qui semble s'accélérer, nourrit le sentiment d'un État inefficace ou ignorant des réalités ultramarines. Pire, l'État paraît incapable d'inverser la dégradation, même lorsqu'il engage une action résolue et des moyens importants.

La conséquence directe est le développement d'un discours anti-État, voire anti-français. Même dans les territoires les plus hermétiques à un discours autonomiste, voire indépendantiste, comme Mayotte, la déception grandit.

Affaibli sur ses missions fondamentales, et donc sur sa légitimité, l'État doit impérativement trouver les voies et moyens d'un choc régalien dans la France d'outre-mer.

II. UN SOCLE RÉGALIEN À CONSOLIDER POUR RETISSER LE LIEN DE CONFIANCE

Face à ce constat alarmant, il est impératif de relever le défi de la sécurité dans les outre-mer par une série de mesures et le maintien des moyens engagés et promis par les lois de programmation. Un renforcement de l'Etat autour du préfet est aussi nécessaire.

Toutefois, pour inverser réellement la tendance face à des menaces et des phénomènes criminels très souvent exogènes, une simple augmentation des moyens ne suffira pas. Pour ne pas « arroser le sable », un changement de posture est indispensable.

La protection de nos outre-mer dans leur environnement régional doit devenir une des priorités de l'action extérieure de la France. Concomitamment, la surveillance et le contrôle des frontières maritimes et terrestres doivent faire l'objet d'un réengagement complet, y compris en réhaussant significativement l'emploi de la force.

A. RELEVER LE DÉFI SÉCURITAIRE

Les chiffres et réalités de la délinquance et de la criminalité outre-mer décrits plus hauts ne laissent aucun autre choix qu'une réponse forte et adaptée. Cette situation a en effet nourri la perte de confiance en l'État et même les discours « anti-État » qui s'est diffusé auprès des populations ultramarines. L'urgence est donc de relever le défi sécuritaire et de permettre à l'État d'agir efficacement face aux menaces exogènes.

1. Une prise de conscience réelle par les forces de sécurité

Cette urgence à agir est encore accentuée par les interactions croissantes de la criminalité entre les territoires ultramarins et l'Hexagone.

Ce glissement accéléré de la situation sécuritaire outre-mer a conduit les forces de sécurité intérieure de l'État à relever leur niveau d'engagement, à accroître les moyens engagés et à s'organiser différemment pour répondre aux spécificités de ces territoires.

a) Les COMGEND : le modèle précurseur de la gendarmerie outre-mer

La gendarmerie outre-mer a adopté une organisation ad hoc dans ces territoires. Elle s'appuie sur dix commandements de la gendarmerie, communément appelés « COMGEND ».

Le dixième a été créé le 2 janvier 2024 à Saint-Barthélemy et Saint-Martin, pour répondre à l'autonomisation de ces deux îles par rapport à la Guadeloupe dans tous les domaines (transformation des deux communes en collectivités d'outre-mer en 2007, création prochaine d'une préfecture de plein exercice séparée de la Guadeloupe55(*), enjeux de sécurité propres, coopération avec Sint-Maarten, éloignement opérationnel...). Lors du déplacement, vos rapporteurs ont pu constater les particularités des îles du Nord. La création de ce COMGEND s'accompagne d'une montée en puissance des moyens de la police judiciaire et du renseignement et d'une nouvelle brigade mobile implantée au coeur d'un des quartiers les plus difficiles, celui de Sandy Ground.

Chaque COMGEND jouit d'une grande autonomie opérationnelle. Compte tenu de l'éloignement, ils doivent être en capacité d'apporter en première attention une réponse immédiate à des situations de crise ou exceptionnelles, dans l'attente de renforts. Les COMGEND sont ainsi dotés de moyens et d'unités d'appui que l'on retrouve habituellement, dans l'Hexagone, au niveau régional, voire zonal - et non départemental.

Cette organisation très déconcentrée, tout en demeurant dans le cadre du commandement militaire de la gendarmerie nationale, est désormais ancienne (2004) et répond aux besoins d'adaptation et de réactivité nécessaires dans les outre-mer, même si elle demeure toujours perfectible.

À cette organisation au plus près du terrain - sans cesse perfectionnée, il faut ajouter une augmentation des moyens outre-mer pour tenter de répondre aux évolutions démographiques et à l'explosion de la délinquance.

Le commandement de Mayotte, qui comptait une simple compagnie il y a 20 ans, compte désormais 285 gendarmes, auxquels s'ajoutent régulièrement plusieurs escadrons de gendarmes mobiles - jusqu'à 6 lors du déplacement de la délégation en mai 2024. La gendarmerie à Mayotte compte aussi une section de recherche pour la police judiciaire, ce qui relève habituellement du niveau régional. Cet accroissement des moyens doit se poursuivre, puisque dans le cadre du plan « 200 brigades » de la gendarmerie, une nouvelle brigade a été installée à Tsingoni en 2024 et une autre doit voir le jour en 2025.

De manière plus générale, le plan « 200 brigades » (239 en réalité) de la gendarmerie permettra de regagner le terrain perdu depuis 20 ans à la suite de la disparition de brigades. Outre-mer, 22 brigades nouvelles seront créées outre-mer d'ici à 2027, sur les 239 - 14 brigades mobiles56(*) et 8 brigades fixes. En 2024, 8 l'ont déjà été.

La gendarmerie outre-mer

La gendarmerie outre-mer est la principale force de souveraineté dans les territoires ultramarins. Avec 7 200 personnels militaires et civils, dont 3 900 officiers et sous-officiers, 1 500 réservistes, 1 500 gendarmes mobiles et 300 membres du GIGN, répartis en dix commandements dits « COMGEND », elle couvre 99 % du territoire et 70 % de la population.57(*) Sur place, la gendarmerie collabore avec l'autorité préfectorale, ainsi qu'avec la magistrature en ce qui concerne l'activité judiciaire.

Lors de son audition, le Général Lionel Lavergne, commandant de la gendarmerie d'outre-mer, a confirmé que le personnel de la gendarmerie outre-mer est confronté à une violence statistiquement plus importante que dans l'Hexagone (taux de criminalité et détérioration de l'ordre public).

Il a souligné que la gendarmerie outre-mer est particulièrement mobilisée sur certaines opérations très exposées : l'opération Harpie en Guyane de lutte contre l'orpaillage illégal ; l'opération Wuambushu à Mayotte en avril 2024 de lutte contre la criminalité et l'immigration illégale ; en Nouvelle-Calédonie pour faire face aux évènements depuis mai 2024.

b) La police nationale outre-mer : une réforme inspirée par l'organisation de la gendarmerie outre-mer

Comme la gendarmerie, la police nationale a renforcé significativement son dispositif outre-mer. Christian Nussbaum, chef de la mission outre-mer de la Direction générale de la police nationale (DGPN), a ainsi indiqué que « l'ensemble des territoires ultramarins ont 30 % d'effectifs en plus par rapport à 2016. À Mayotte et en Guyane, l'augmentation est de 50 %, ce qui est énorme dans le contexte actuel ».

Les moyens ont été accrus et les modes d'action renouvelés. Expérimentées à compter du 1er janvier 2020 en Guyane, à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie, la mise en place des directions territoriales de la police nationale (DTPN) a été étendue à l'ensemble du territoire ultramarin le 1er janvier 2022.

Cette réforme limitée initialement aux outre-mer a consisté à placer sous l'autorité d'un directeur territorial unique les différentes directions de la police nationale. Ce chef de police est l'unique interlocuteur du préfet, du procureur de la République, du commandant de gendarmerie, des élus et de l'ensemble des acteurs de la sécurité. L'ensemble des forces de police est rassemblé sous une même autorité, ce qui permet au directeur territorial d'adapter son dispositif aux besoins opérationnels et aux objectifs fixés sous l'autorité du préfet, et du procureur de la République pour la police judiciaire.

Bien que sa généralisation n'ait pas été envisagée à l'origine, selon Christian Nussbaum qui a insisté sur ce point, la création des DTPN a constitué de facto une forme de préfiguration de la réforme hexagonale de la police nationale58(*).

Les directeurs territoriaux de la police nationale, qui disposent de la qualité d'officier de police judiciaire (OPJ) sont directement rattachés au DGPN. Ils exercent une autorité hiérarchique et fonctionnelle totale sur leurs services. Chaque DTPN se compose d'un seul état-major et d'un seul service de gestion des ressources qui a pour mission de faciliter la gestion des ressources humaines et du budget.

Si les directions territoriales outre-mer jouissent d'une forte autonomie opérationnelle, ainsi que dans la gestion des budgets et des ressources humaines localement, la mission outre-mer placée directement auprès du directeur général de la police nationale assure le suivi des 7 directions territoriales. Cette mission outre-mer fut créée le 1er janvier 202059(*) en même temps que les premières DTPN.

Cette réforme a permis en particulier de renforcer la police judiciaire sur chaque territoire. Selon cette organisation, l'ensemble des missions de police judiciaire est conduit par le service territorial de police judiciaire (STPJ). Par ailleurs, avant la réforme, des unités de l'ancienne direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) n'étaient présentes qu'en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe. À présent, il existe aussi un service de police judiciaire à La Réunion, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte. La direction nationale de la police judiciaire s'occupe de l'intégralité des territoires ultramarins.

c) Une réaction tardive de la justice

Comme souligné supra, les États généraux de la justice en avril 2022, ont relevé la faible capacité d'adaptation du ministère de la Justice aux spécificités ultramarines, à l'exception de l'administration pénitentiaire, et concluait à la nécessité « d'un plan stratégique d'actions à la fois communes et propres à chaque territoire, ce qui suppose de développer pour ces territoires une fonction prospective jusqu'à présent peu investie par l'administration centrale » pour répondre aux enjeux d'une justice outre-mer fragile, fragmentée et peu adaptée.

À défaut d'un plan stratégique, la loi d'orientation et de programmation 2023-202760(*) a prévu une augmentation de 5 % des effectifs dans les juridictions ultramarines, représentant 68 magistrats, 76 greffiers et 44 attachés de justice supplémentaires. Par ailleurs, 10 recrutements sur 12 prévus de techniciens informatiques de proximité sont aussi intervenus. S'agissant des prisons, 7 % des nouvelles places de prison prévues dans le « plan 15 000 » de 2017, soit 1 100 places, étaient prévues pour les outre-mer. On sait que ce plan a malheureusement pris des retards considérables.

Ce rattrapage annoncé des effectifs survient à la suite d'une hausse significative ces dernières années. Paul Huber, directeur des services judiciaires, a indiqué que les effectifs outre-mer avaient augmenté globalement au cours des dernières années beaucoup plus rapidement que dans l'Hexagone avec une hausse de 23 % sur 10 ans. À Cayenne, le nombre de magistrats a augmenté de 53 %, de 15 % à Saint-Denis de La Réunion ou encore de 29 % à Fort-de-France.

Le classement des Cours d'appel en fonction du ratio population/magistrats montre une attention particulière pour les outre-mer. À l'exception de la cour d'appel de Saint-Denis-de La Réunion (La Réunion et Mayotte), les cours ultramarines jouissent des ratios les plus élevés, en particulier dans le bassin Atlantique.

Ce constat doit toutefois être tempéré par deux éléments : d'une part, le taux de délinquance plus élevé qui justifie l'affectation d'un plus grand nombre de magistrats et, d'autre part, le fait que les cours d'appel ultramarines couvrent les ressorts les moins peuplés. L'effet d'échelle y est donc moins important. Pour qu'une juridiction fonctionne a minima, un nombre incompressible de magistrats est indispensable. En ce qui concerne la prise en compte des spécificités ultramarines par l'administration de la justice, l'administration pénitentiaire fait figure de bon élève.

Au niveau central, la gestion et le suivi des établissements et services pénitentiaires ultramarins incombaient à la mission des services pénitentiaires de l'outre-mer (MSPOM), l'équivalent pour l'outre-mer des directions interrégionales des services pénitentiaires. Cette appellation désuète a été rectifiée par le décret n° 2023-200 du 24 mars 2023 portant modification de la dénomination de la MSPOM en Direction des Services Pénitentiaires d'Outre-Mer (DSPOM).

Cette transformation de la MSPOM en véritable Direction des Services Pénitentiaires d'Outre-Mer (DSPOM) marque une étape symbolique pour les services pénitentiaires ultramarins qui voient reconnaître l'importance d'un haut niveau de pilotage et de gouvernance des enjeux pénitentiaires en outre-mer.

Ratio du nombre de magistrats rapporté à la population

Source : Ministère de la Justice, Secrétariat général de la justice pour les outre-mer, avril 2024

Outre ce changement de dénomination, la DSPOM expérimente une nouvelle organisation zonale au plus près du terrain, avec la mise en place de la délégation territoriale en océan Indien depuis le 1er janvier 2022. De nouvelles délégations territoriales pourraient à terme se déployer au sein des autres bassins. Par ailleurs, au sein de la DSPOM, les effectifs affectés aux missions support devraient être réévalués sur les effectifs de référence des sièges des autres directions interrégionales des services pénitentiaires.

Cette sensibilité ultramarine de l'administration pénitentiaire n'est pas nouvelle. Elle est naturellement favorisée par la part importante d'ultramarins au sein de ses effectifs. Muriel Guégan, directrice de la DSPOM, confirme d'ailleurs que l'attractivité des emplois pénitentiaires outre-mer n'est pas une difficulté, au contraire, y compris à Mayotte et en Guyane. Elle a aussi précisé que cette attention particulière s'était par exemple traduite par le recrutement au sein de la direction, dès 2017, d'un anthropologue pour mieux appréhender certaines spécificités culturelles ultramarines.

Si l'administration pénitentiaire a une organisation ad hoc depuis de nombreuses années, les services judiciaires n'ont amorcé une gestion différenciée des services outre-mer, et en particulier celle des ressources humaines, que très récemment.

Il a été décidé en 2021 la création d'un délégué aux outre-mer du secrétariat général du ministère de la Justice.61(*) La désignation des premiers coordonnateurs territoriaux de la délégation, cadres A relais du délégué dans les territoires, est intervenue en 2022 pour l'océan Indien et la Guyane, et en 2023 pour les Antilles. Par ailleurs, sur chaque territoire sont également positionnés d'autres agents du secrétariat général : une antenne du département numérique outre-mer et un assistant du service social. Enfin, la mise en place d'un département immobilier outre-mer au sein du ministère à l'instar des délégations hexagonales est aussi à l'étude. Un préfigurateur est en cours de recrutement. Toutefois, la nomination d'un délégué général aux outre-mer n'est intervenue qu'en avril 2023. Fabien Neyrat que votre délégation a auditionné est le premier titulaire de ces fonctions.

Si vos rapporteurs saluent la création de la délégation outre-mer, il demeure étonnant que cette prise en compte des spécificités ultramarines reste tardive et progressive, là où les directions interrégionales en Hexagone se déploient sans atermoiements.

Néanmoins, en peu de temps, un travail a été réalisé autour de quatre priorités :

le numérique : renforcement de la chaîne de soutien et professionnalisation des équipes, audit sur l'environnement matériel des locaux abritant les serveurs et dispositif de mise à jour des applications « métiers ». À la direction du numérique, environ 30 agents sont dédiés aux outre-mer auxquels il faut ajouter des techniciens informatiques de proximité (TIP). Le centre de pilotage opérationnel est à Nantes. Depuis 2020, des antennes locales ont été créées dans chaque territoire (15 agents en liaison avec le siège) et depuis 2023, 11 TIP ont été déployés en juridiction. Les enjeux numériques outre-mer demeurent néanmoins encore insuffisamment pris en compte. Des craintes fortes ont été exprimées lors des déplacements de la délégation, en particulier en Polynésie française par le procureur général près la cour d'appel de Papeete Frédéric Benet-Chambellan avec les procédures pénales numériques et la gestion pénale des audiences foraines ;

la gestion budgétaire : le projet majeur consiste dans le passage d'un Centre de Services Partagés (CSP) au premier centre de gestion financière (CGF) ultramarin à La Réunion, qui traduit la volonté du ministère d'améliorer ses performances en termes de délais de paiement de ses fournisseurs. Il sera lancé en 2025 ;

la modernisation de la politique de gestion des ressources humaines se concentre sur la question de l'attractivité des agents sur les territoires de Mayotte et de la Guyane (et à l'inverse du manque de mobilité des effectifs dans les outre-mer dits attractifs tels La Réunion ou Papeete) ;

- l'immobilier : l'Agence pour l'immobilier de la justice (APIJ) gère la construction des grands projets immobiliers, mais elle a aussi, contrairement à l'Hexagone, la mission de gros entretien et de réparation (GER) du patrimoine immobilier de la justice en outre-mer pour les travaux dont le montant est compris entre 150 000 et un million d'euros. Selon Fabien Neyrat, cela n'est pas sans poser de difficultés, l'APIJ étant moins à l'aise pour piloter des projets modestes. La délégation outre-mer dispose donc d'un coordinateur de proximité dans les territoires, qui est l'interface entre les utilisateurs finaux et l'APIJ.

Cette prise de conscience tardive, mais réelle et dynamique, des spécificités ultramarines par le ministère de la Justice s'est traduite par l'organisation de la première journée « Justice outre-mer » le 26 mars 2024, en présence du garde des Sceaux et du ministre de l'Intérieur et des outre-mer.

d) Dépasser la question des moyens

Malgré ces efforts incontestables de l'État, les résultats peinent à encore à se traduire par un reflux de la délinquance quotidienne.

À Mayotte, les conséquences du cyclone Chido sur l'état prochain de la délinquance demeurent encore incertaines, mais il est à craindre de nouvelles flambées de violences comme l'île en a connu ces dernières années.

Vos rapporteurs ont également ressenti le risque réel d'une dégradation de la situation dans des territoires réputés plus « sûrs » comme La Réunion, la Polynésie française ou Saint-Barthélemy. S'agissant de La Réunion, l'inquiétude est d'autant plus forte que ce département est le plus peuplé des outre-mer et que le trafic de stupéfiants s'y développe alors que l'île était relativement épargnée.

Toujours à La Réunion, la difficile cohabitation entre certaines communautés, notamment mahoraises et comoriennes, attise les violences urbaines et les phénomènes de ghettos. Le « vivre-ensemble » réunionnais si souvent mis en exergue vacille. La société multiculturelle réunionnaise ne connaît en réalité pas ou peu l'immigration. La succession des crises à Mayotte nourrit la peur d'une importation à La Réunion des violences et de la délinquance causées par l'afflux des jeunes Mahorais venus chercher refuge dans le département. Le colonel Frédéric Labrunye, commandant de la gendarmerie à La Réunion, relevait par exemple que le centre éducatif fermé (CEF) de l'île, le seul dans l'océan Indien, ne comptait que 12 places occupées le plus souvent par des délinquants originaires de Mayotte. La crainte d'un effet de contagion, ainsi que d'une mobilisation de moyens de La Réunion en faveur de Mayotte, pénètre désormais dans le champ politique.

Un sursaut est impératif avant que la dérive s'accentue et passe un cap qui contraindra l'État à engager des moyens autrement plus importants.

Après la hausse importante des moyens humains et matériels ces dernières années et à venir en exécution des lois de programmation, une nouvelle augmentation ne serait envisageable, au-delà du jeu de renforts ponctuels en cas de crise, que si l'assainissement de la situation budgétaire de la Nation le permettait.

2. Restaurer la sécurité au quotidien

La première priorité doit être d'abaisser le niveau de la délinquance située dans le « bas du spectre », celle du quotidien qui empoisonne la vie de nos concitoyens ultramarins.

a) Développer la proximité des forces de sécurité sur le terrain et au plus près des populations

Le général Lionel Lavergne fait de « la densification de l'empreinte territoriale » son premier axe d'action. Vraie en Hexagone, cette politique l'est davantage encore outre-mer où les populations sont encore plus vulnérables et parfois isolées.

Le plan « 200 brigades » rappelé plus haut qui prévoit la création de 22 brigades territoriales ou mobiles outre-mer, soit 10 % du total, est le premier élément de réponse vers cette densification. La décision d'avoir une majorité de brigades mobiles répond clairement à une logique d'« aller vers ».

En Guyane, deux brigades fluviales seront créées sur le Maroni et l'Oyapock pour répondre à cette singularité guyanaise bordée par deux fleuves qui sont des lignes de vie essentielles.

Une nouvelle Brigade territoriale mobile (BTM) a aussi été installée dans le quartier de Bras-Fusil62(*), à Saint-Benoît. Vos rapporteurs ont pu visiter les locaux de jour implantés au coeur de ce quartier où les tensions entre les communautés mahoraises et créoles entraînent des violences urbaines. Beaucoup de jeunes mahorais y vivent sans leurs parents restés à Mayotte. Les caillassages des patrouilles de gendarmerie y sont aussi réguliers. Cette brigade sera composée de 6 gendarmes, dont deux d'origine mahoraise pour aller facilement au contact de la population et rompre la barrière de la langue qui existe bien souvent.

De manière générale, la présence d'« originaires » parmi les gendarmes et policiers est un levier important pour la proximité.

Tous statuts confondus, 26 % des gendarmes sont issus des territoires ultramarins, mais avec des disparités importantes selon les territoires. Dans les Antilles et à la Guyane, la gendarmerie a des difficultés à attirer les « originaires ». À l'inverse, le taux d'« originaires » dans le Pacifique est important (52 % en Polynésie française). Idem dans l'océan Indien (un tiers à La Réunion), y compris à Mayotte, même si le travail y est difficile en raison des tensions et de l'insécurité.

Cet objectif de proximité et densification doit aussi se traduire par une meilleure coordination police-gendarmerie. En outre-mer, la distinction entre les zones est souvent artificielle. À La Réunion, la commune de Saint-Benoît que vos rapporteurs ont parcouru avec la gendarmerie est très urbaine. Par ailleurs, le relief étire les distances comme à Saint-Denis de La Réunion.

Pour Christian Nussbaum, il faut imaginer des solutions innovantes de coopération et de collaboration avec la gendarmerie. Il concède que ce n'est sans doute pas toujours « la patrouille de police ou de gendarmerie la plus proche du lieu de l'appel qui intervient ».

Autre point soulevé par Christian Nussbaum : l'absence de CRS outre-mer (à l'exception récente de compagnies engagées à Mayotte sur les opérations Wuambushu, ainsi que de la CRS 8 en Martinique lors des violences urbaines de septembre dernier) et les difficultés parfois à obtenir le concours des forces mobiles de la gendarmerie en zone police. Le dispositif manque de souplesse et de fluidité.

b) Pour un vrai partenariat avec les polices municipales

Le rapprochement avec les polices municipales, et plus généralement les collectivités, est un autre levier majeur pour occuper le terrain et rassurer la population.

À cet égard, des dispositifs très innovants sont opérationnels et doivent servir de modèle.

À Mayotte, la gendarmerie loue sa collaboration avec les polices municipales. Des policiers municipaux patrouillent avec la gendarmerie. Ils ont la connaissance du terrain et des personnes. Les conventions de coopération entre les communes et les forces de sécurité intérieure mériteraient d'inclure systématiquement le principe de ces patrouilles.

Autre exemple remarquable : la création d'un poste de police dans le quartier de Sandy Ground à Saint-Martin, l'un des plus sensibles de l'île. Ce poste est composé depuis cette année de 10 agents de police territoriale de manière permanente du lundi au dimanche, dont 5 policiers et 5 agents de surveillance de la voie publique (ASVP). S'y associe la nouvelle brigade mobile de gendarmerie créée à Saint-Martin dans le cadre du plan « 200 brigades ». Six gendarmes la composent. Au total, 16 personnels travailleront ensemble dans ce quartier réputé hermétique à toute surveillance par les forces de l'ordre.

Pour le général Lionel Lavergne, la création de cette brigade mixte s'insère dans un ensemble d'actions menées conjointement : améliorer l'éclairage public, refaire les trottoirs, ouvrir une Maison des jeunes et de la culture (MJC)... Cette planification conjointe doit être poussée, car elle reste trop rare sur les territoires.

Pour aller plus loin encore, la police territoriale de Saint-Barthélemy souhaiterait que ses agents puissent devenir agent de police judiciaire, de telle sorte qu'ils puissent constater directement par procès-verbal les crimes, délits et contraventions. Leur statut actuel d'agent de police judiciaire adjoint, comme tout policier municipal, ne leur permet de constater par procès-verbal que certaines infractions routières.

Enfin, dans un contexte où l'augmentation des effectifs est contrainte après plusieurs années favorables, le développement de la réserve opérationnelle, des gendarmes adjoints volontaires ou des classes de cadets doit être encouragé pour soulager les effectifs principaux de certaines missions au bénéfice d'une présence accrue sur le terrain au contact des populations.

En Polynésie française par exemple, la capacité de réservistes dans la gendarmerie a été doublée de 100 à 200, notamment dans la perspective des épreuves olympiques de surf à Tahiti. Cet appoint a permis de compenser l'affectation de nombreux gendarmes mobiles dans l'Hexagone pour les Jeux Olympiques à Paris.

Enfin, bien que plus classique, il demeure essentiel de faire vivre les contrats locaux, départementaux ou territoriaux de prévention et de sécurité, comme celui conclut en Martinique en avril 2024 pour la période 2024-2028, avec des bilans d'étapes réguliers et un suivi.

La proximité est une des clefs pour mobiliser la société tout entière, au-delà des seules forces de sécurité, contre les formes de délinquance qui minent les outre-mer.

Recommandation n° 1 : Densifier l'implantation territoriale des forces de sécurité par :

- la création de brigades conjointes de proximité police nationale-police municipale ou gendarmerie-police municipale, au coeur des quartiers sensibles, sur le modèle du quartier de Sandy Ground à Saint-Martin ;

- le déploiement des nouvelles brigades de gendarmerie dans les zones tendues (Guyane, Mayotte) et la consolidation des effectifs de gendarmerie mobile ;

- le renforcement du recours à des réservistes formés et intégrés au dispositif ;

- l'attribution de la qualité d'agent de police judiciaire aux policiers territoriaux de Saint Barthélemy.

c) Mieux mobiliser tous les acteurs autour de l'État : « l'équipe France »

Pour le général Lionel Lavergne, « l'éloignement impose et favorise la notion d'« équipe France » - le préfet, le procureur, les autorités judiciaires, les chefs de service... Je le vois quand je me déplace dans les territoires : on a vraiment l'impression que lorsqu'on est loin, on est plus soudés. C'est une nécessité, car les personnels sont seuls, loin de l'Hexagone, et leur autonomie est réelle, même s'il peut y avoir des renforts. Ces « équipes France » fonctionnent très bien. »

Au cours des déplacements, cette proximité entre les acteurs de la sécurité et de la justice a été souvent relevée et est un des marqueurs de l'action de l'État outre-mer. La succession des crises - violences urbaines, catastrophes climatiques, manque d'eau - contribue malheureusement à forger cet état d'esprit né de la nécessité.

Les forces armées sont notamment beaucoup plus impliquées dans les missions opérationnelles conduites par les forces de sécurité intérieure. Elles prêtent habituellement leur concours selon la règle dite « des 4 i », c'est-à-dire si les moyens sont indisponibles, inadaptés, insuffisants ou inexistants. Cette règle est interprétée avec souplesse dans les territoires ultramarins compte tenu de leur réalité singulière.

C'est en particulier le cas en Guyane avec l'opération Harpie63(*). La gendarmerie et les autres armes y travaillent de manière totalement interopérable. Dans tous les autres territoires, les armées demeurent en simple appui ou soutien logistique.

De manière permanente, environ 250 militaires des forces armées et 150 gendarmes mobiles sont ainsi engagés dans la jungle. Deux escadrons de gendarmes mobiles sont consacrés en permanence à la lutte contre l'orpaillage illégal, sur les six affectés en Guyane. Ils ont une fonction d'officier de police judiciaire (OPJ) et assurent la déclinaison de l'activité judiciaire au plus profond de la jungle.

Ainsi, à chaque interpellation d'orpailleurs illégaux, une procédure est ouverte, dans le cadre de laquelle le matériel est saisi, notamment les téléphones portables. Le général Lionel Lavergne a souligné l'intensification du travail d'enquête dans la lutte contre l'orpaillage. Les téléphones saisis sont par exemple envoyés à Cayenne, où ils sont débloqués et analysés, dans le cadre de bases de données judiciaires sérielles. On obtient ainsi des visages ou des numéros de téléphone, ce qui permet de cartographier les relations entre les orpailleurs et leurs soutiens. Certaines de ces données sont également utilisées à des fins opérationnelles. Les armées et la gendarmerie disposent en effet d'une cellule de renseignement conjointe, ce qui est une première. Ces novations sont récentes et commencent à porter leurs fruits.

Toujours en Guyane, un exemple de succès de l'« équipe France » intéresse la lutte contre les « mules ». Face à la vague des narcotrafics et à leur stratégie de saturation des contrôles, une étroite coopération justice-police nationale - préfet a obtenu des résultats significatifs.

Au cours de l'été 2022, le parquet de Cayenne a mis en place une politique pénale expérimentale de traitement des « mules ». Plutôt que de démanteler les réseaux directement, cette politique se concentre sur le contrôle des flux, de manière à dissuader les « mules ». Selon la direction des affaires criminelles et des grâces, l'objectif est de s'inscrire dans « une logique transverse de bouclier » au profit de l'Hexagone. Le dispositif « 100 % contrôle » a été entériné à compter du 1er novembre 2022.

Le dispositif repose sur l'articulation judiciaire et administrative des différentes administrations concernées.

Le dispositif 100 % contrôle

Le trafic par voie aérienne connaît une croissance exponentielle depuis 2015 et repose sur des personnes, appelées « mules », qui transportent les stupéfiants in ou ex corpore. Ces dernières, souvent dans une situation financière précaire, acceptent les risques pénaux et médicaux liés à cette méthode, leur rémunération allant de 3 000 à 10 000 € par passage. Les filières surinamo-guyanaises jouent un rôle majeur dans l'organisation de ce type de trafic. En 2022, près de 17,1 % de la cocaïne interceptée impliquait ce mode opératoire : 1 318 passeurs ont été interpelés sur des vols en provenance de Guyane, permettant la saisie de trois tonnes de cocaïne (contre 1 065 passeurs et deux tonnes saisies en 2021).

Si en 2019, le Gouvernement a mis en place un Plan national de lutte contre le phénomène des « mules », les contrôles à 100 %, pourtant recommandés par le Sénat dès 202064(*), n'ont été mis en place qu'en 2022, soit vingt ans après les Pays-Bas pour les vols en provenance du Suriname. Or, c'est d'ailleurs en grande partie la stratégie néerlandaise qui a conduit à un report du trafic de cocaïne vers et depuis la Guyane. Les résultats des contrôles « à 100 % » sont néanmoins impressionnants : ils ont permis la saisie d'une tonne de cocaïne transportée par 680 « mules »65(*).

La mise en oeuvre de mesures du « plan mules » en octobre 2022 au départ de Cayenne a conduit à une diminution du nombre de passeurs appréhendés entre octobre et décembre 2022, tendance qui s'est poursuivie au cours du premier semestre 2023.

Selon l'OFAST, le « 100 % contrôle » semble avoir un effet dissuasif. De plus, l'office pointe l'impact positif d'outils utilisés pour renforcer les contrôles : scanners à ondes millimétriques, procédures simplifiées appliquées par les services répressifs et la douane et déploiement de dispositifs opérationnels (capteurs LAPI66(*), contrôles avec des équipes cynophiles dans l'aéroport et aux abords, caméras de vidéoprotection). 67(*)

Le renforcement des contrôles à l'égard des passagers incombe à la police aux frontières (PAF) et à l'égard des bagages, aux douanes. S'agissant du contrôle des passagers, la PAF effectue d'abord un criblage des passagers à destination de l'Hexagone (sont par exemple observées les modalités d'achat des billets d'avion, la fréquence des voyages vers l'Hexagone, la date d'obtention du passeport...). Ce premier criblage est complété par un questionnaire auquel sont soumis les passagers lors de leur arrivée à l'aéroport. Ils passent ensuite par un scanner à ondes millimétriques permettant de révéler la présence d'objets dissimulés à corps. Lorsque plusieurs indices permettent de soupçonner l'ingestion de cocaïne par l'individu contrôlé, ce dernier fait l'objet d'un arrêté préfectoral d'interdiction temporaire de prendre l'avion (dit « arrêté mules ») pris en application de l'article L. 111-1 du code de sécurité intérieure. Le parquet peut à tout moment, en fonction des antécédents et de la nécessité d'approfondir les investigations, orienter l'auteur vers un service d'enquête spécialisé.

En complément, la politique pénale mise en place par le parquet de Cayenne vise à la mise en oeuvre d'une procédure simplifiée et rapide, prenant en compte les quantités de matière saisies et insistant sur l'importance du prononcé d'interdiction de paraitre à l'aéroport de Cayenne.

Le traitement administratif du phénomène dit « des mules » a été privilégié afin de permettre à la justice de se concentrer sur l'identification des filières, les multi-récidives, les porteurs de grandes quantités et la chaîne logistique (fret notamment). Cet arbitrage a permis de ne pas saturer la justice et les services d'enquête, ce qui est l'un des buts recherchés par les narcotrafiquants.

Cette stratégie globale a permis d'obtenir des résultats rapides : entre le 1er novembre 2022 et le 1er novembre 2023, 10 106 arrêtés d'interdiction d'embarquement ont été pris et il a été dénombré 11 698 « no show »68(*) (« no show » supplémentaires enregistrés sur la période par rapport aux statistiques habituelles des compagnies aériennes).

Au total, 22 292 passagers n'ont pas embarqué pour l'Hexagone en un an soit en moyenne 22 tonnes de cocaïne en moins pour l'Hexagone selon les estimations de la PAF.

Ce souci de jouer « équipe France » a aussi été dynamisé par la réforme de la police nationale dans les outre-mer. Le préfet, le commandant de gendarmerie ou le procureur ont désormais un interlocuteur unique qui pilote l'ensemble des services de la police nationale.

Pour Christian Nussbaum, cette réforme a contribué à faire émerger une image cohérente et unifiée de l'institution. L'objectif est désormais de développer un sentiment d'appartenance commune à la police nationale chez les fonctionnaires.

Ces quelques exemples, qui pourraient être multipliés dans chaque territoire, doivent nourrir un réflexe « équipe France » et le développement prioritaire des opérations conjointes, sauf si l'efficacité commande le contraire, voire des équipes conjointes. Au niveau judiciaire, le recours aux groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD) sous l'autorité du procureur mériterait aussi d'être plus fréquent69(*).

Le parquet de Fort-de-France est moteur à cet égard. À ce jour, le parquet de Fort-de-France anime cinq GLTD. De nouveaux groupes doivent en outre se mettre en place sur la problématique de la délinquance du centre-ville, du trafic de produits stupéfiants et de la prostitution (notamment la lutte contre le proxénétisme hôtelier et les réseaux).

De même, le tribunal judiciaire de Cayenne a mis en place plusieurs GLTD thématiques qui structurent le travail de la police judiciaire. Il est notamment évoqué des GLTD armes, bandes et gangs, gangs brésiliens ou encore passeurs de cocaïne. En effet, la lutte contre les bandes et les gangs fait partie des priorités d'action du parquet de Cayenne.

Ces GLTD impliquent de nombreuses réunions entre les services d'enquête et les magistrats référents.

Enfin, cette notion d'une « Équipe France » a parfois semblé contestée par le sentiment d'une répartition déséquilibrée des moyens spécialisés entre certains territoires. Vos rapporteurs ont entendu des griefs de responsables en Guadeloupe ou en Guyane vis-à-vis des services en Martinique qui supervisent et coordonnent l'utilisation de ces moyens (drones, surveillance aérienne, moyens nautiques, enquêteurs spécialisés...). Ce type de reproches a aussi été entendu à Mayotte par rapport à La Réunion. Des critères d'utilisation plus transparents et partagés sont nécessaires et apaiseraient les relations entre des services appartenant au même ensemble régional.

Recommandation n° 2 : Au niveau de chaque territoire, assurer la bonne coordination des forces de sécurité outre-mer - esprit « équipe France » :

- en donnant instruction aux préfets et à chaque responsable des principales forces (police nationale, gendarmerie, douane, affaires maritimes, armée, offices spécialisés) de privilégier les actions conjointes en lien avec l'autorité judiciaire : partage d'informations, réunions périodiques, opérations...

- en veillant à une répartition équilibrée des moyens spécialisés de lutte contre la criminalité entre les territoires appartenant à un même ensemble régional ;

- en recourant plus fréquemment aux groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD) sous l'autorité du procureur de la République.

d) Accroître encore la souplesse opérationnelle et faire évoluer les doctrines d'emploi des forces

La succession de crises outre-mer a conduit les forces de sécurité intérieure à adapter leurs dispositifs et modes d'action aux réalités des territoires. Les retours d'expérience de plusieurs opérations, par exemple les récentes opérations Wuambushu à Mayotte, se traduisent par des innovations importantes pour plus d'efficacité.

Cette capacité d'adaptation rapide est essentielle dans des territoires différents et fragiles pour sortir de schémas importés de l'Hexagone.

Christian Nussbaum a cité le cas de l'emploi du RAID à Mayotte. Très efficace, son antenne a été pérennisée à Mayotte. Surtout, son règlement d'emploi a été assoupli : le RAID est prépositionné en cas d'opération, alors que sa doctrine habituelle est d'être appelée en renfort en cas de difficultés confirmées. Le pré-positionnement permet d'intervenir plus rapidement et d'impacter les auteurs des violences urbaines.

Fabrice Guinard Cordroch, directeur adjoint de la police nationale à Mayotte, a aussi souligné l'importance de la cellule « drone » dans toutes les opérations qui interviennent sur des terrains très complexes (collines, habitats informels très denses).

Forte de cette expérience, la police nationale à Mayotte a décidé de pousser plus loin encore l'innovation tactique en créant une force intermédiaire entre le RAID et les brigades anti-criminalité (BAC) ou les groupes de sécurité de proximité (GSP). Lorsque la BAC ou des GSP interviennent pour libérer un barrage, ils ne peuvent pas partir à la poursuite des « coupeurs de route », au risque de ne plus sécuriser la route qu'ils viennent de rouvrir. Cette force intermédiaire doit permettre de maintenir le dispositif de police sur les lieux du barrage tout en poursuivant les malfaiteurs. Lors de son audition, Christian Nussbaum a indiqué que le recrutement était en cours avec un objectif de 50 fonctionnaires. Ils seront équipés d'unités canines. Cette force devrait contenir une part importante de policiers d'origine mahoraise. L'objectif de cette unité spécialisée sera de procéder à des interpellations. En parallèle, un groupe d'une dizaine de fonctionnaires entièrement dédiés à la lutte contre les phénomènes de bandes est en cours de création au sein de la division d'investigation spécialisée.

Même constat côté gendarmerie qui a adopté une stratégie plus offensive face aux violences urbaines pour impacter les bandes et interpeler les meneurs. Pour le général Lucien Barth, commandant de la gendarmerie de Mayotte, en mai 2024, les autorités avaient repris le terrain, en ciblant mieux les chefs de bande.

Cette stratégie s'est traduite de plusieurs façons.

En premier lieu, depuis deux ans, des « officiers de police judiciaire de l'avant », ont été formés pour être intégrés dans les unités de maintien de l'ordre, afin de matérialiser rapidement les infractions et de faire comparaître très rapidement les personnes interpelées.

En second lieu, des équipes d'enquêteurs (une dizaine, dont la moitié provenant de Paris) dédiés à l'identification des chefs de bande par un travail d'enquête avant leur interpellation ont été constituées. L'objectif assigné par le général Lucien Barth était de boucler deux enquêtes par semaine. Cette judiciarisation des troubles à l'ordre public a porté ses fruits. Le principe d'une telle équipe sera à l'avenir pérennisé au sein de la section de recherche.

Le général Lucien Barth a insisté sur l'importance de laisser aux commandements locaux la liberté d'expérimenter et de leur reconnaître aussi le droit à l'erreur. Le pire serait de figer les doctrines et stratégies d'emploi, et donc de renoncer à l'adaptation aux réalités du terrain.

Recommandation n° 3 : Laisser aux forces de sécurité intérieure une liberté d'initiative pour adapter et faire évoluer les doctrines d'emploi à la situation de chaque territoire (comme à Mayotte avec l'intégration d'officiers de police judiciaire dans les dispositifs de maintien de l'ordre ou la création de nouvelles unités dédiées à l'interpellation des chefs de bande) sous le contrôle du préfet et du procureur.

La liberté laissée aux forces de terrain doit aussi se traduire budgétairement.

Frédéric Sautron, sous-préfet et chef d'état-major chargé de la lutte contre l'immigration clandestine à Mayotte, plaide pour que les directions territoriales et les commandements disposent d'un budget en propre supplémentaire pour acquérir du matériel au-delà des besoins classiques. Cette liberté de manoeuvre doit faciliter le travail inter-opérationnel et participe aussi à l'attractivité des postes.

Ce budget « à la main » des responsables opérationnels pourrait être alimenté par les économies résultant d'une exonération de l'octroi de mer sur les matériels de sécurité commandés par l'État dans les territoires concernés.

Recommandation n° 4 : Supprimer l'octroi de mer sur les importations de matériels dédiés aux forces de sécurité et affecter cette économie à l'achat de matériels adaptés supplémentaires.

Toujours à propos de la doctrine d'emploi en matière de maintien de l'ordre, un autre point important est l'association des élus, et en particulier les maires.

Lors des récentes violences urbaines en Martinique, de nombreux maires se sont plaints de ne pas être suffisamment associés aux décisions d'emploi des forces. Nécessaire, l'intervention de forces mobiles, CRS ou gendarmes, ne connaissant pas le contexte local, peut aussi faire naître des tensions que le maire devra gérer a posteriori, quand les forces de maintien de l'ordre seront reparties.

À Mayotte, des critiques semblables ont été émises, à la suite de l'usage de certains moyens pour disperser les bandes et émeutiers. L'emploi massif de gaz lacrymogènes ou de grenades défensives dans des quartiers densément peuplés a pu choquer leurs habitants.

L'instauration d'un climat de confiance avec les élus, propice à des actions conjointes avec les polices municipales, est indispensable.

Recommandation n° 5 : Informer et mieux associer les maires aux opérations de maintien ou de rétablissement de l'ordre, et procéder à des retours d'expérience réguliers sur les opérations et mesures de police prises (couvre-feu, interdiction de la consommation d'alcool, utilisation de grenades en zone dense...).

e) Les violences intrafamiliales : accélérer la judiciarisation et la coordination des acteurs

Au niveau national, en particulier depuis 2017, la lutte contre les violences intrafamiliales (VIF) - dont les violences faites aux femmes - est une priorité et a donné lieu à l'adoption de plusieurs textes de loi importants. Outre-mer la mobilisation a semblé encore en retrait, en décalage avec des taux de VIF et une tendance à la hausse toujours plus élevés qu'en Hexagone.

La lutte contre les VIF commence néanmoins à se structurer, après plusieurs rapports et études au cours de ces dernières années mettant en lumière l'ampleur de ce fléau et l'urgence d'agir.

C'est tout particulièrement le cas à La Réunion.

Ainsi, 3 des 4 nouvelles brigades de gendarmerie créées sur ce territoire seront spécialisées dans la lutte contre les VIF70(*). Sur trois ans, trois fois six enquêteurs de gendarmerie seront ainsi dédiés à l'accueil, l'instruction judiciaire et l'orientation vers les dispositifs spécialisés de prise en charge et d'accompagnement des victimes. Ce choix fort doit être salué.

La création de telles brigades est inédite en France. Elle s'ajoute à la formation depuis trois ans de 500 gendarmes à La Réunion à l'accueil des victimes.

En 2023, La Réunion - encore - a été le deuxième territoire pilote au niveau national pour expérimenter le « pack Nouveau Départ ». Son objectif est d'apporter une réponse coordonnée, rapide et individualisée aux besoins des victimes de violences conjugales, afin de lever les obstacles à leur départ et faciliter la séparation du conjoint violent. On rappellera que depuis 2013, un réseau VIF est actif sur l'île.

Le pack Nouveau Départ (PND)

Ce dispositif comporte trois étapes :

- Des professionnels de proximité (médecins, policiers, gendarmes, associations, etc.) sont formés pour accompagner les victimes qui souhaitent se séparer de leur partenaire. Ils les informent et leur proposent de bénéficier du PND. En cas d'accord, ils transmettent la demande à un référent coordinateur ;

- Organisation de la prise en charge avec le référent coordinateur dans les 5 jours qui suivent en toute confidentialité pour organiser une prise en charge rapide, globale et adaptée ;

- Accompagnement sur la durée : différents professionnels sont mobilisés pour répondre aux besoins des victimes (CAF, CPAM, bureau des victimes, maison de protection des familles, etc.). Le processus d'ouverture des droits sociaux est accéléré avec l'activation de toutes les aides nécessaires pour un nouveau départ.

Source : Ministère de l'égalité entre les femmes et les hommes

Dans les autres territoires, l'action commence aussi à se structurer, mais de manière plus tardive. Outre la formation des policiers et gendarmes à la prise en charge des victimes, la coordination des acteurs se renforce. En Guadeloupe par exemple, le conseil départemental a lancé fin 2023 le réseau VIF Guadeloupe qui est en cours de constitution. En Martinique, un Observatoire territorial des violences envers les femmes a été inauguré en 2018 et la Maison de protection des familles71(*), sous l'égide de la gendarmerie, en 2023.

Le rapport de Justine Bénin, coordinatrice interministérielle à la lutte contre les violences faites aux femmes en outre-mer comporte 44 recommandations intéressant l'ensemble des acteurs (États, collectivités, professionnels de santé, associations...) et tous les territoires ultramarins, notamment :

- enseigner dès le plus jeune âge le principe d'égalité Femmes-Homme, qui était aussi une recommandation rapport de notre délégation sur les violences faites aux femmes dans les outre-mer en mars 202072(*) ;

- accentuer et inscrire sur le long court la formation des forces de sécurité intérieure sur l'écoute et l'accueil des victimes ;

- généraliser la signature de protocoles entre les C.H.U, le Parquet et l'Ordre des médecins ;

- mettre en place des référents VIF dans les services des urgences hospitalières ;

- sanctuariser le financement des postes des Intervenants sociaux en commissariat et en gendarmerie (ISCG) ;

- évaluer le maillage territorial des Unités médico-judiciaires (UMJ) et programmer l'installation de nouvelles (à l'exemple de la Guyane) ;

- signer un protocole à l'échelle des territoires entre les bailleurs sociaux, l'État et les collectivités majeures afin qu'il y ait un fléchage des logements sociaux à destination des femmes victimes de violences ;

- améliorer en outre-mer, le niveau, le degré et la permanence de l'information de la victime tout au long des procédures pénales, lorsqu'il y a ordonnances de protection, bracelet anti-rapprochement ou encore délivrance de téléphone « grave danger ».

Vos rapporteurs s'inscrivent naturellement en soutien à ces recommandations et souhaitent insister sur l'impératif de changement d'échelle de l'action. De simples ajustements ou renforcements ne seraient pas à la hauteur des enjeux.

Les récentes avancées à La Réunion sont un modèle à suivre et à étendre à l'ensemble des territoires ultramarins.

Cette montée en charge très nette s'appuyant sur une organisation innovante doit être étendue aux autres territoires, en particulier le déploiement de brigades VIF - au moins une par territoire - et la généralisation du « pack Nouveau Départ » en 2025.

La connaissance des VIF et de leurs évolutions doit aussi progresser. Seuls trois territoires ont bénéficié d'enquêtes VIRAGE en 2018. Le « violentomètre »73(*) doit aussi être vulgarisé et déployé dans les langues régionales pour aider les victimes à prendre conscience de l'anormalité de leur situation. La mise en place d'observatoires territoriaux pourrait être une réponse.

La densification du réseau des Maisons de protection des familles, porté par la gendarmerie en partenariat avec les associations et les intervenants sociaux, est une des priorités affichées par l'État. Trois ont été créés en Martinique. Sept nouvelles ont été annoncées par Gérald Darmanin, ancien ministre de l'Intérieur et des outre-mer.

Recommandation n° 6 : Démultiplier la lutte contre les violences intrafamiliales avec :

- la création dans chaque territoire d'au moins une brigade de gendarmerie spécialisée dans la lutte contre les VIF pour augmenter le nombre d'enquêteurs et la judiciarisation des faits constatés ;

- la généralisation du pack Nouveau Départ, expérimenté à La Réunion, pour mieux coordonner tous les acteurs, protéger et sortir les victimes du cycle de la violence ;

- la formation sur le long cours des forces de sécurité intérieure à l'écoute et l'accueil des victimes ;

- le renforcement du volet social avec notamment la sanctuarisation du financement des postes des Intervenants sociaux en commissariat et en gendarmerie (ISCG) et la création de nouvelles maisons de protection des familles (MPF).

f) Poursuivre l'adaptation de la procédure pénale

Le livre VI du code de procédure pénale contient déjà diverses adaptations pour tenir compte des contraintes ultramarines, en particulier l'éloignement et l'isolement de certains territoires, et des singularités institutionnelles. Certains pouvoirs de police judiciaire sont par exemple reconnus aux agents de collectivités ultramarines qui exercent des compétences en lieu et place de l'État. Ces aménagements concernent surtout les collectivités de l'article 74 de la Constitution, et plus marginalement Mayotte.

Les principales adaptations du code de procédure pénale (CPP) outre-mer

1) Les adaptations sur le régime de la garde à vue et les conditions de comparution devant l'autorité judiciaire

Les adaptations ne modifient ni le point de départ du délai de garde à vue ni sa durée :

- pour certains territoires de Polynésie française, dans les îles de Wallis-et-Futuna et en Nouvelle-Calédonie, les modifications se rapportent à l'intervention 1) du médecin (article 813 du CPP) qui peut être suppléé par un infirmier notamment ; 2)  à celle de l'avocat (article 814 du CPP) dont les attributions peuvent être exercées par un tiers choisi par la personne gardé à vue dans certaines circonstances ; 3) ou encore à l'adaptation des délais et modalités de présentation à l'autorité judiciaire en cas d'impossibilité de déferrement (article 812 du CPP) ;

- à Mayotte : elles prévoient également le remplacement de l'avocat empêché (matériellement impossible) par une personne choisie par le gardé à vue (article 880 du CPP).

D'autres adaptations concernent les conditions de comparution devant l'autorité judiciaire et plus spécifiquement devant le magistrat instructeur.

En effet, la situation géographique particulière des territoires ultramarins impose parfois de recourir à des outils procéduraux adaptés, comme la visioconférence.

À ce titre, les juridictions ultramarines avaient ainsi exposé à plusieurs reprises les difficultés logistiques engendrées par l'absence de possibilité de recourir à la visioconférence pour les interrogatoires de première comparution et les débats de placement en détention provisoire et ce d'autant plus lorsque certaines juridictions dépendent d'une JIRS dont le siège est éloigné (notamment Mayotte sur le ressort de la JIRS de Paris ou Cayenne sur le ressort de la JIRS de Fort-de-France).

La loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 (dite LOPJ) a ainsi ouvert le recours à la visioconférence par les JIRS pour les interrogatoires de première comparution et les débats de placement en détention provisoire lorsque la personne se trouve dans le ressort d'une cour d'appel ultramarine ou d'un tribunal supérieur d'appel autre que celui où siège la JIRS à l'origine du défèrement. Le Conseil constitutionnel a toutefois émis deux réserves d'interprétation dans sa décision du 16 novembre 2023 : le recours à la visioconférence ne peut s'envisager qu'en cas de circonstances exceptionnelles caractérisant l'impossibilité de présenter physiquement l'intéressé devant le magistrat et la confidentialité des échanges doit être préservée. Ces dispositions sont entrées en vigueur le 30 septembre 2024.

2) Les adaptations relatives à l'information judiciaire

En premier lieu, pour pallier le manque d'interprètes, l'article 817 CPP prévoit des dispositions particulières en matière d'audition des témoins par le juge d'instruction, permettant à celui-ci de désigner un greffier comme interprète pour l'une des langues en usage dans le territoire. Cette disposition est applicable en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna et en Nouvelle-Calédonie.

En second lieu, le code de procédure pénale fixe des conditions spécifiques pour l'exécution des mandats des magistrats instructeurs ultramarins.

3) Les adaptations en phase de jugement des crimes

Le sujet des cours criminelles départementales est révélateur de la nécessité de recourir à l'adaptation des règles de procédure pénale.

Établies par la loi de programmation pour la justice du 23 mars 2019, les cours criminelles départementales (CCD) ont vu le jour afin de remédier à l'engorgement de nombreuses cours d'assises. Un bilan positif ayant été tiré de leur expérimentation, la loi Confiance du 22 décembre 2021 les a généralisées à compter du 1er janvier 2023.

Si cette loi précitée a exclu l'application de cette réforme à Mayotte, elle n'a toutefois prévu aucune exclusion pour la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, la Polynésie française et Saint-Pierre-et-Miquelon.

Or, au sein de ces territoires, des difficultés liées à la généralisation des CCD ont été mises en avant. Ainsi, le jugement des crimes par une CCD a été présenté comme étant source d'une complexification du droit et de la pratique inutile et inopportune.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027, l'article 804 du CPP prévoit désormais que les dispositions relatives à la cour criminelle départementale ne trouvent pas à s'appliquer en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis-et-Futuna. L'article 908 du CPP, quant à lui, exclut l'application des dispositions relatives à la cour criminelle départementale s'agissant du territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Source : Direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice

D'autres codes connaissent aussi des adaptations. Les dispositions de l'article L. 621-8 du code minier prévoient ainsi qu'« en Guyane, lorsqu'une infraction prévue aux articles L. 615-1 ou L. 621-8-3 dudit code ou à l'article 414-1 du code des douanes est commise et que le transfert des personnes interpelées dans le délai légal de la garde à vue soulève des difficultés matérielles insurmontables, le point de départ de la garde à vue ou la retenue douanière peut exceptionnellement être reporté à l'arrivée dans les locaux du siège où cette mesure doit se dérouler. Ce report ne peut excéder vingt heures. Il est autorisé par le procureur de la République ou la juridiction d'instruction. Mention des circonstances matérielles insurmontables au vu desquelles cette autorisation a été donnée est portée au procès-verbal ».

La direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice a indiqué que ces dispositions avaient fait l'objet d'un rappel dans la circulaire du 29 septembre 2022 relative à la politique pénale territoriale pour la Guyane. Par arrêt du 8 décembre 2015, la chambre criminelle a refusé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité sur cet article du code minier au Conseil constitutionnel (Cass. Crim. 8 décembre 2015, pourvoi n° 15-90.018)74(*).

Toutefois, ces dispositions ne sont applicables qu'aux infractions du code minier, c'est-à-dire la lutte contre l'orpaillage illégal. Pour les autres infractions, il n'existe pas de report du point de départ de la garde à vue. Le général Lionel Lavergne a cité l'exemple des interpellations des étrangers en situation irrégulière en forêt. Un aménagement de la procédure serait donc pertinent sur le point de départ de la garde à vue et le délai disponible pour conduire les personnes dans les locaux, quelle que soit la nature du fait délictueux ou criminel, dès lors que le transfert des personnes interpellées dans le délai légal de la garde à vue soulève des difficultés matérielles insurmontables.

Une autre modification souhaitable concerne la présence de l'avocat pendant la garde à vue, le général Lionel Lavergne pointant l'inadaptation de la réforme entrée en vigueur le 1er juillet 2024 pour les territoires isolés.

La réforme de la garde à vue au 1er juillet 2024

Le régime juridique de la garde à vue a fait l'objet de plusieurs modifications avec la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, afin de se mettre en conformité avec le droit de l'Union européenne. Elles sont entrées en vigueur au 1er juillet 2024.

La réforme tend à renforcer les droits des personnes placées en garde à vue.

Les changements portent sur 3 points :

1) La réforme élargit le cercle des personnes que le gardé à vue peut informer : celui-ci peut désormais désigner un ami, un collègue ou son employeur, en plus du cercle familial ou de la personne partageant sa vie ;

2) Aucune audition ne peut désormais se tenir sans avocat. Le gardé à vue peut « dès le début de la garde à vue et à tout moment au cours de celle-ci » demander à être assisté par un avocat désigné par lui ou commis d'office. Jusqu'à présent, la première audition pouvait avoir lieu sans avocat si celui-ci ne s'était pas présenté dans un délai de deux heures (délai de carence). La loi supprime le délai de carence qui permettait jusqu'alors à l'enquêteur de commencer l'interrogatoire, même sans avocat, une fois ce délai expiré ;

Il n'est donc plus possible d'auditionner le gardé à vue sans son avocat, à moins que ce dernier renonce à son droit ; ou que le procureur de la République justifie par une décision écrite et motivée qu'il est indispensable de procéder immédiatement à l'audition sans attendre l'arrivée de l'avocat (par exemple, en cas de péril pour la vie d'une personne).

3) L'avocat peut désormais consulter non seulement les procès-verbaux des auditions, mais aussi ceux des confrontations qui ont eu lieu. Source : Service Public

Là encore, la situation des territoires isolés devrait être prise en considération, la présence d'un avocat dans des délais compatibles avec la garde à vue étant difficile à assurer pour débuter les auditions.

Cet obstacle est encore accru dans les territoires où le nombre d'avocats est notoirement insuffisant. C'est le cas à Mayotte, mais aussi en Guyane. Béatrice Bugeon-Almendros, première présidente de la cour d'appel de Cayenne, a relevé que seuls deux avocats sont installés à Saint-Laurent-du-Maroni sur les 84 avocats du Barreau de la Guyane.

Recommandation n° 7 : Afin de prendre en compte les contraintes opérationnelles dans les zones isolées de la Guyane et de la Polynésie française, adapter les dispositions du code de procédure pénale relatives à la garde à vue, en faisant démarrer le début de celle-ci à compter de l'arrivée dans les locaux et non de l'interpellation, dans la limite de 20 heures, et en aménageant l'obligation de présence d'un avocat dès le début des auditions.

L'absence d'avocat ou d'interprète dans certains territoires, lorsque la loi rend leur présence obligatoire, fait porter le risque de fragiliser les procédures. Cela concerne les affaires pénales, mais aussi civiles.

Yann Le Bris, procureur de la République au tribunal judiciaire de Mamoudzou, rapporte ainsi l'extrême difficulté à trouver un avocat disponible pour représenter des mineurs. La loi rend en effet leur présence obligatoire. L'attente peut durer une journée avant de trouver un avocat de bonne volonté et en cas d'échec, les magistrats visent les « obstacles insurmontables ». Près de 100 % des gardes à vue sont dans ce cas à Mayotte.

Un modus vivendi avec le Barreau, au nom du principe de réalité et pour que la Justice puisse à peu près fonctionner, fait que ce moyen de droit n'est pas évoqué à l'appui de recours. Mais il n'est pas certain que la Cour de cassation ne le relèverait pas si un pourvoi devait lui être soumis.

Yann Le Bris observe que plus la loi renforce la présence de l'avocat, plus l'écart par rapport à la légalité augmente à Mayotte.

Une solution à court ou moyen terme, dans l'attente que des avocats s'installent en plus grand nombre à Mayotte ou en Guyane - ces deux territoires concentrant les plus grandes difficultés, à savoir un nombre insuffisant de professionnels et une délinquance de masse - consisterait à faire application de l'article 879 du code de procédure pénale. Cet article permet la désignation par le président de la chambre d'appel de Mamoudzou de citoyens défenseurs, comme à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française, Nouvelle-Calédonie ou à Saint-Pierre-et-Miquelon. Cette faculté pourrait être étendue à certaines régions de la Guyane.

Les aménagements en vigueur outre-mer à la présence d'un avocat

À Wallis-et-Futuna qui dépend de la cour d'appel de Nouméa, le deuxième alinéa de l'article 842 du code de procédure pénale dispose que « dans le territoire des îles Wallis-et-Futuna, le prévenu peut prendre pour conseil une personne agréée dans les conditions prévues au dernier alinéa de l'article 814 ». Pour le jugement des délits, il peut donc être fait appel à une personne agréée par le président du tribunal de première instance, en lieu et place des avocats. Ces personnes sont usuellement dénommées « citoyens défenseurs ».

À Saint-Pierre-et-Miquelon, l'article 905 du code de procédure pénale dispose que les attributions dévolues par ce code aux avocats et aux conseils des parties peuvent être exercées par des personnes agréées dans la collectivité territoriale par le président du tribunal supérieur d'appel. Ces personnes sont dispensées de justifier d'un mandat.

À Mayotte, l'article 880 du CPP prévoit le remplacement de l'avocat empêché par une personne choisie par le gardé à vue. Par ailleurs, l'article 879 du CPP prévoit un dispositif analogue aux citoyens défenseurs de Wallis-et-Futuna : « les attributions dévolues par le présent code aux avocats et aux conseils des parties peuvent être exercées par des personnes agréées par le président de la chambre d'appel de Mamoudzou. Ces personnes sont dispensées de procuration ».

Par ailleurs, dans les trois collectivités du Pacifique, l'article 814 du code de procédure pénale permet, dans les zones isolées et à Wallis-et-Futuna, de faire exercer les missions dévolues à l'avocat lors de la garde à vue par une personne choisie par la personne gardée à vue. À Wallis-et-Futuna, cette personne doit être choisie sur une liste de personnes agréées par le président du tribunal de première instance.

Le code de procédure pénale circonscrit cette faculté aux territoires les plus isolés :

- en Nouvelle-Calédonie, lorsque la garde à vue se déroule en dehors des communes de Nouméa, Mont-Doré, Dumbea et Paita et que le déplacement d'un avocat paraît matériellement impossible ;

- en Polynésie française, lorsque la garde à vue se déroule dans une île où il n'y a pas d'avocat et que le déplacement d'un avocat paraît matériellement impossible.

Recommandation n° 8 : À Mayotte, en l'absence d'avocat, faire usage de l'article 879 du code de procédure pénale qui permet la désignation de citoyens défenseurs agréés par le président de chambre d'appel de Mamoudzou, et étendre cette faculté à certaines régions de la Guyane.

Il en va de même s'agissant du droit à un interprète. À Mayotte, 80 % des justiciables ne comprennent pas ou mal le français, y compris des jeunes censés être scolarisés depuis longtemps.

Or la disponibilité d'un traducteur ou interprète agréé inscrit auprès de la cour d'appel est très limitée. Pour reprendre les termes du procureur de la République, « on bricole » à la vacation. Certains vacataires peuvent ainsi gagner jusqu'à 13 000 euros par mois. Parfois l'avocat lui-même ou l'agent de sécurité assure l'interprétariat.

S'agissant des étrangers en rétention administrative, il est parfois plus compliqué encore de trouver des interprètes en raison de leur origine : Corne de l'Afrique, Afrique des Grands Lacs, Congo... En l'absence d'interprète, la justice doit les relâcher. Ce cas de figure se multiplie depuis deux ans, à mesure que les filières d'immigration clandestine depuis l'Afrique des Grands Lacs se sont renforcées.

La situation tend donc à se dégrader, aboutissant à l'émergence de deux mondes juridiques parallèles : le monde théorique et le monde réel. C'est au prix de ces arrangements avec des exigences procédurales impossibles à respecter que la justice continue de fonctionner à Mayotte.

Une telle situation n'est satisfaisante ni pour la sécurité juridique, ni pour le respect des droits de La Défense.

Des solutions pragmatiques doivent impérativement être trouvées.

Le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) prévoit déjà des aménagements. L'article L.111-9 dudit code dispose qu'un tribunal judiciaire peut inscrire des non-experts sur une liste parallèle dite liste CESEDA. Les interprètes nommés dans ce cadre par le procureur de la République interviennent dans l'unique contexte du code de l'entrée et du séjour des étrangers.

La situation particulière de Mayotte, mais aussi de certaines régions de la Guyane, d'autres territoires très isolés ou manquant de ressources justifierait d'étendre ce dispositif d'inscription d'interprètes non experts, déjà prévu pour les contentieux relevant du Ceseda, à l'ensemble des contentieux civils et pénaux.

Une autre solution est le recours à la visioconférence. On soulignera à cet égard que les nouvelles dispositions générales de l'article 803-5 du code de procédure pénale, issue de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la Justice, entrée en vigueur le 30 septembre 2024, permettent d'y recourir dans le temps souvent contraint de la garde à vue, de la notification des droits au début de la mesure puis tout au long de la mesure, pendant les auditions. Cette disposition n'est toutefois applicable qu'à la garde à vue ou l'audition libre des personnes majeures.

Elles s'inscrivent ainsi dans la continuité des dispositions déjà existantes, notamment celles issues de l'article 706-71 du même code, et ont vocation à permettre de faire appel plus facilement à un interprète à distance, dans des conditions garantissant la qualité, la confidentialité et la sécurité des échanges.

Le recours à l'interprétariat par visioconférence ou par l'utilisation de logiciels d'intelligence artificielle gagnerait à être largement facilité à Mayotte ou dans d'autres territoires disposant de ressources limitées d'interprétariat en comparaison des besoins.

Recommandation n° 9 : Dans les territoires isolés ou manquant d'interprètes agréés, autoriser des interprètes non experts inscrits sur une liste arrêtée par le procureur de la République et ouvrir largement le recours à l'interprétariat par visioconférence ou par des logiciels d'intelligence artificielle.

Une autre adaptation possible a été suggérée par Yann Le Bris, procureur de la République à Mayotte, qui a constaté l'efficacité du rappel à l'ordre par le maire.

Introduit par loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance75(*), le rappel à l'ordre est une injonction verbale adressée par le maire, dans le cadre de son pouvoir de police et de ses compétences, en matière de prévention de la délinquance. Son champ est limité. Le rappel a` l'ordre s'applique aux faits susceptibles de porter atteinte au bon ordre, à la sûreté et la salubrité publiques, relevant d'une simple contravention. Les faits relevant d'une autre qualification pénale en sont exclus. Pour mieux définir la procédure de rappel à l'ordre, un protocole entre le maire et le procureur de la République peut être conclu.

Yann Le Bris a évoqué l'idée d'élargir le rappel à l'ordre à d'autres infractions à Mayotte, notamment les violences volontaires sans ITT ou les petites dégradations. L'ampleur de la délinquance à Mayotte pourrait justifier cet élargissement, afin de ne pas engorger ou judiciariser à l'excès des faits mineurs dans le contexte mahorais, tout en leur apportant une vraie réponse par l'intermédiaire des maires.

Ce rappel à l'ordre élargi serait naturellement mis en oeuvre en étroite coordination avec le procureur de la République dans le cadre de la convention précitée.

Recommandation n° 10 : À Mayotte, étendre le rappel à l'ordre par le maire aux violences volontaires sans ITT ou aux dégradations mineures, en coordination avec le procureur de la République.

g) Redonner de l'air à un système pénitentiaire à bout de souffle

L'élaboration du « plan 15 000 » initiée en 2017 s'est opérée à partir d'un déterminant : le renforcement du nombre de places sur les territoires les plus touchés par la surpopulation carcérale.

Ces taux étant particulièrement élevés outre-mer, ainsi que la vétusté indigne de nombreux établissements, le « plan 15 000 » comporte un volet ultramarin très ambitieux. Malheureusement, les 1 100 places supplémentaires prévues pour les outre-mer, ainsi que les très nombreuses rénovations/reconstructions, après un premier report de cinq ans par rapport à l'échéance initiale de 2022, peinent à sortir de terre dans les nouveaux délais annoncés (2027).

Au niveau national, le « plan 15 000 » ne devrait être exécuté qu'à hauteur de 40 % en 2027. Sur 50 opérations, 28 seront finalisés à cette date. Pour les outre-mer, seuls trois projets seront achevés à peu près dans les délais :

- le centre de détention à Baie-Mahault en Guadeloupe (phase 1 uniquement en 2025, soit 40 places sur les 300 prévues en pour 2028) ;

- le centre de détention de Basse-Terre en Guadeloupe (phase 1 annoncée pour 2025, puis la phase 2 pour 2028 avec un objectif de 200 places). Ce projet d'extension-démolition-reconstruction signera notamment la fin des trois dortoirs ;

- la structure d'accompagnement à la sortie (SAS) de Ducos en Martinique pour accueillir des détenus en fin de peine ou purgeant des peines de moins de deux ans (fin 2025).

En 2023, le centre de détention de Koné en Nouvelle-Calédonie a été livré et a permis de soulager à la marge le centre de détention de Nouméa.

Ce très maigre bilan entrave la réponse pénale et maintient durablement des conditions indignes de détention.

Pourtant, des projets très ambitieux sont lancés ou à l'étude.

À Saint-Laurent du Maroni, à la suite de l'accord de Guyane du 21 avril 2017 - protocole « Pou Lagwiyann dékolé » - il est prévu la construction d'un établissement pénitentiaire de 500 places au sein de la future cité judiciaire. Une livraison en 2029 est désormais annoncée, mais des doutes subsistent sur la crédibilité de ce calendrier.

En Nouvelle-Calédonie, la construction d'un nouveau centre pénitentiaire à Nouméa de 600 places a été confirmé, en remplacement de l'actuel centre de détention dont la vétusté a donné lieu à des condamnations de l'État, puis des injonctions du Conseil d'État visant à entreprendre des actions immobilières d'urgence76(*). Le Conseil d'État a confirmé ces injonctions, jugeant que l'annonce par le Gouvernement d'une mise en chantier en 2029, pour une livraison en 2032, était trop tardive. Les évènements de mai 2024 en Nouvelle-Calédonie ne sont pas de nature à permettre une accélération du calendrier.

Là encore, on ne peut que regretter la faible anticipation de l'État qui ne parvient pas à établir des programmations réalistes des besoins à un horizon de temps de 20 ans pour les territoires.

S'agissant des centres éducatifs fermés (CEF), on observera en le regrettant également que les deux départements les plus jeunes de France, avec une forte prévalence de la délinquance des mineures en sont pratiquement dépourvus.

En Guyane, le premier CEF a ouvert en 2022. Quant à Mayotte, aucun centre n'a ouvert. Un projet, confié à l'agence publique pour l'immobilier de la Justice (APIJ) est entré en phase opérationnelle depuis janvier 2024. L'acquisition du terrain devait être effective à l'horizon été 2025 à l'issue des travaux de l'établissement public foncier, propriétaire aménageur de la zone, la livraison étant prévue pour 2027. Ce calendrier a toutefois été arrêté avant le passage du cyclone Chido le 14 décembre dernier.

En revanche, on notera que les aménagements de peine et les alternatives à l'incarcération dans les outre-mer sont mis en oeuvre dans des proportions similaires à celles constatées dans l'Hexagone. La surveillance électronique a notamment très fortement progressé (+ 84 % en cinq ans) et représente 70 % des aménagements de peine, comme dans l'Hexagone. Seul le régime de la semi-liberté est moins fréquemment mis en oeuvre. En sens inverse, le taux d'octroi de libération sous contrainte de plein droit, en vigueur depuis le 1er janvier 2023 à la suite de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, est plus élevé outre-mer de 8 points. La surpopulation carcérale ultramarine et la nécessité de libérer des places d'écrou expliquent probablement cette différence.

Recommandation n° 11 : Accélérer l'exécution du « plan 15 000 » pour la réhabilitation et la construction de places de prisons outre-mer, notamment en Guyane, Guadeloupe et Martinique, et créer plusieurs centres éducatifs fermés à Mayotte et en Guyane.

Lors des déplacements, les responsables de la gendarmerie et de la police ont aussi plaidé pour un transfert de la responsabilité des extractions judiciaires à l'administration pénitentiaire.

En Hexagone, depuis la réforme initiée en 2010 et achevée en 2019, ces extractions sont réalisées par l'administration pénitentiaire et non plus par la police ou la gendarmerie. Les outre-mer sont toutefois demeurés à l'écart, les escadrons mobiles de la gendarmerie assumant cette mission.

Afin que les gendarmes et policiers soient exclusivement consacrés à la lutte contre la délinquance et occupent le terrain, l'extension de la réforme nationale, désormais stabilisée, serait utile si elle était correctement anticipée par l'affectation de personnels pénitentiaires en nombre suffisant. Dans le cas contraire, elle aurait un impact potentiellement très négatif sur le bon fonctionnement de prisons dont certaines sont déjà dans un état critique.

Le retour d'expérience hexagonal doit permettre de bien calibrer les besoins en équivalent temps plein (ETP), tout en tenant compte de la géographie particulière des outre-mer. La création de cités judicaires, comme à Saint-Laurent du Maroni, peut aussi permettre d'optimiser les extractions.

On notera que la forte proportion d'ultramarins dans l'administration pénitentiaire permettrait aisément de pourvoir les ETP créés, même s'il faut aussi être attentif à ne pas trop dégarnir les effectifs métropolitains. Les syndicats y sont en outre naturellement favorables.

Ces nouvelles missions coïncideraient avec la politique déjà initiée de renforcement outre-mer des Équipes locales de sécurité pénitentiaire (ESP) qui sont notamment en charge de la protection périmétrique des établissements77(*). Les effectifs des ESP ont été accrus dans les Antilles-Guyane pour les porter de 7 à 12 - voire 14 prochainement ce qui leur permettra de réaliser les extractions médicales de nuit -, compte tenu de l'implantation croissante d'une criminalité organisée violente sud-américaine.

Le transfert des extractions s'inscrirait dans la continuité de cette évolution amorcée.

Recommandation n° 12 : Préparer le transfert des extractions judiciaires à l'administration pénitentiaire selon un rythme adapté à l'évolution des effectifs de celle-ci, aux capacités de chaque territoire et en garantissant une évaluation réaliste des ETP nécessaires, pour redéployer plus de gendarmes et de policiers sur le terrain.

h) Consolider le service militaire adapté

Le régiment du service militaire adapté (RSMA) est continument salué par tous les acteurs de terrain comme une réussite exemplaire outre-mer.

Ce dispositif est un rare exemple d'une politique publique conçue spécifiquement pour les outre-mer. Sa gestion est d'ailleurs directement rattachée à la DGOM.

Créé en 1961, le RSMA est un dispositif militaire d'insertion socioprofessionnelle qui s'adresse aux jeunes ultramarins, de 18 à 25 ans, éloignés de la qualification et du marché de l'emploi.

Cet encadrement militaire attire beaucoup de jeunes en quête de repères et d'une seconde chance. Bien que le RSMA n'ait pas été conçu pour prévenir spécifiquement la délinquance, il joue ce rôle indirectement en offrant un cadre à des jeunes dans des sociétés ultramarines de plus en plus exposées à une violence délinquante.

Toutefois, le général Claude Peloux, commandant du service militaire adapté auprès de la direction générale des outre-mer, estime que le RSMA est arrivé « à un plateau de recrutement de 6 000 bénéficiaires. Ce volume semble correspondre à ce que nous savons faire de mieux. [...] À l'horizon 2030, au vu de la démographie des territoires et départements, il ne s'agit pas d'aller chercher au-delà de 10 % d'une classe d'âge, comme nous le faisons aujourd'hui. Mayotte et la Guyane affichent un fort taux de natalité et une croissance démographique importante. Nous opérons donc des bascules d'effort entre les Antilles où deux facteurs vident les îles de Guadeloupe et de Martinique de leur jeunesse : un solde naturel négatif et un solde migratoire très important ».

Pour conserver une même qualité d'insertion, le taux d'encadrement des jeunes ne doit pas diminuer.

Pour conserver une même qualité d'insertion, le taux d'encadrement des jeunes ne doit pas diminuer.

Si une expansion du RSMA n'est pas envisageable à moyen constant, son implantation à Saint-Martin - le seul territoire ultramarin avec Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna - à ne pas bénéficier d'un régiment du SMA - devraient être étudiés.

En Polynésie française, la délégation qui s'est rendue aux Marquises, a pu mesurer l'intérêt de cette formation pour les jeunes et le développement des archipels via les métiers très concrets auxquels ils sont préparés : mécaniciens, charpentiers, agriculteurs... Un sujet reste l'accompagnement à la sortie de cette formation relativement courte. D'où l'intérêt de la Fondation du RSMA créé en 2023 qui comble ce manque.

Recommandation n° 13 : Consolider les effectifs de jeunes intégrant le Service Militaire Adapté (SMA), étudier les modalités d'une implantation à Saint-Martin et renforcer les liens avec la Fondation du SMA pour un meilleur suivi de la réinsertion.

3. Garantir une justice pour tous et un égal accès au droit : pour une justice plus proche

Selon une étude datant de 2021 citée par Maître Patrick Lingibé, 58 % des ultramarins affirment qu'il est difficile de faire valoir leurs droits, contre 37% pour tous les Français. Cette crise de confiance menace la promesse républicaine de l'égalité des droits. L'éloignement de la justice nourrit également le sentiment d'abandon face à l'explosion de l'insécurité quotidienne. Ce besoin de proximité ne se limite pas au contentieux pénal, mais aussi à tous les contentieux de la vie de tous les jours.

La contrainte de l'éloignement et de modes de transport insuffisants pèse sur l'effectivité de l'accès au droit outre-mer. La justice est mal identifiée, les tribunaux étant fréquemment dispersés sur plusieurs sites ou dans des locaux banalisés. L'image et l'incarnation de la justice dans les outre-mer s'en trouvent abimées.

Pour répondre à cette crise, le ministère de la justice doit adapter sa présence sur les territoires pour se rapprocher des justiciables.

a) La création de cités judiciaires et l'adaptation de la carte judiciaire

La Chancellerie a engagé un programme immobilier important dans les outre-mer. On notera en particulier :

- la cité judiciaire de Saint-Laurent-du-Maroni. D'ici 202978(*), cette cité qui fait suite au plan d'urgence des accords de Guyane signés le 21 avril 2017, réunira, outre un second centre pénitentiaire pour la Guyane, un tribunal judiciaire de plein exercice, une antenne du service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) et des unités éducatives de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Le tribunal de proximité actuel laissera donc la place à un tribunal judiciaire. La création d'une nouvelle juridiction permettra de répondre à la demande locale en matière de justice de proximité et d'accès au droit, et d'offrir une justice de qualité en mettant un terme aux déplacements de personnels et d'auxiliaires de justice entre le palais de justice de Cayenne et l'actuelle chambre détachée de Saint-Laurent du Maroni ;

- la cité judiciaire de Cayenne en 2027 qui regroupera sur un seul site le tribunal judiciaire, le tribunal administratif et les archives ;

- la restructuration et l'extension du palais de justice de Basse-Terre. Ce nouvel ensemble hébergera tous les services du ressort de Basse-Terre. Le concours d'architecte a été lancé ;

- la restructuration du palais de justice de Pointe-à-Pitre ;

- la restructuration et l'extension du tribunal judiciaire de Fort-de-France ;

- la reconstruction du tribunal de proximité de Saint-Benoît à La Réunion (la démolition est en cours et le concours a été attribué en 2022) ;

- la cité judiciaire de Papeete. Elle vise à regrouper la cour d'appel et le service administratif régional au sein d'un bâtiment neuf. Elle sera située à proximité immédiate du tribunal foncier récemment réhabilité et du tribunal de première instance. Le concours de maîtrise d'oeuvre a été lancé en mars 2023 pour une notification du marché en 2025 ;

- à Saint-Martin, une cité judiciaire regroupera fin 2025 le tribunal de proximité, les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) et l'unité éducative en milieu ouvert (UEMO). Cette cité judiciaire, aux normes sismiques à l'inverse de l'actuel tribunal, inclurait également une cité administrative. ;

- enfin, à Mayotte, un projet de cité judiciaire a été acté. Le patrimoine immobilier judiciaire sur Mamoudzou est réparti en quatre implantations, outre les deux sites d'archivages. Les bâtiments actuels se dégradent, avec des enjeux de sécurité incendie et de mise aux normes, et le manque de places s'aggrave chaque jour à mesure que les effectifs croient. Vos rapporteurs ont constaté les conditions précaires du tribunal, l'exiguïté des espaces et la sécurité incertaine. La reconstruction de Mayotte à la suite du passage du cyclone Chido doit être l'occasion d'accélérer ce projet essentiel pour la justice à Mayotte, ainsi que la construction d'un second centre pénitentiaire. L'APIJ a engagé les études préalables en vue de la construction d'un nouveau palais de justice regroupant la chambre d'appel détachée, le tribunal judiciaire, le tribunal du travail et le tribunal mixte de commerce. Le foncier avait été identifié à Kaweni avant le passage du cyclone.

Cette série de projets doit remettre à niveau les moyens immobiliers de la justice et accueillir les nouveaux effectifs prévus en loi de programmation.

Outre la création du tribunal judiciaire de Saint-Laurent-du Maroni79(*), deux autres modifications de la carte judiciaire paraissent nécessaires.

À Saint-Martin, le tribunal de proximité ne répond qu'imparfaitement aux besoins des justiciables, en dépit de l'élargissement des contentieux dont il a à connaître, notamment au civil. Le taux de criminalité (5 fois plus élevés que la moyenne française), l'éloignement de la Guadeloupe, la binationalité de l'île et l'autonomie institutionnelle des collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin plaident pour la création d'un tribunal judiciaire de plein exercice, qui demeurerait dans le ressort de la Cour d'appel de Basse-Terre.

Une seconde évolution importante de l'organisation judiciaire serait la création d'une cour d'appel de plein exercice à Mayotte.

Mayotte est dotée, depuis 2011, d'une chambre d'appel rattachée à la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion. Elle est installée à Mamoudzou et a presque pleine compétence en matière civile et pénale, offrant ainsi une justice d'appel de proximité aux justiciables mahorais.

Dans un rapport de 202180(*), la commission des lois du Sénat recommandait déjà la création à Mayotte d'une Cour d'appel de plein exercice.

Alain Chateauneuf, premier président de la Cour d'appel de Saint-Denis, a rappelé qu'avant 2011, les juridictions mahoraises dépendaient du Tribunal supérieur d'appel de Mayotte. Le fonctionnement de l'actuelle chambre d'appel est très dégradé, comme du reste l'ensemble des services judiciaires de l'île. Les brigades de soutien, nécessaires et efficaces, ne sont que des palliatifs.

Face à l'impérative remobilisation de la justice à Mayotte - et a fortiori après la tragédie du cyclone Chido -, aussi bien le président Alain Chateauneuf que Fabienne Atzori, procureure générale, jugent indispensable la création d'une cour d'appel à Mayotte pour répondre à l'enjeu « d'incarnation de la justice ». Cette décision serait aussi cohérente avec l'explosion de la population qui dépasse celle de la Guyane et se rapproche de celle des Antilles.

b) Le modèle particulier des sections détachées

En Polynésie française, l'accès à la justice est rendu plus difficile, long et coûteux qu'en Hexagone, de par la faible densité de population et l'éloignement géographique de certains archipels.

Une réponse a été la création de sections détachées du Tribunal de première instance (TPI), qui est l'équivalent du tribunal judiciaire en Hexagone et qui dépend du ressort de la Cour d'appel de Papeete.

Les sections détachées (SD) du TPI sont compétentes pour juger les affaires civiles, correctionnelles, de police et d'application des peines. Le président de la SD est aussi juge des enfants et des tutelles. Il ne s'agit pas d'une juridiction distincte du TPI mais elle contribue à rapprocher l'institution judiciaire des justiciables éloignés.

En Polynésie, on compte trois sections détachées :

- la SD de Raiatea est compétente pour les îles sous le vent. Le territoire comporte 2 avocats, un notaire, un huissier, une maison d'arrêt, une antenne du SPIP et une antenne PJJ ;

- la SD située à Nuku Hiva est compétente pour les îles Marquises (voir encadré infra). Le territoire comporte une maison d'arrêt située à Taiohae ;

- la SD compétente pour les Tuamotu-Gambier est la plus récente : elle a été créée par décret n° 2023-788 du 18 août 2023. Elle est située à Papeete et non sur le territoire qui relève de sa compétence. Cela conduit la SD à fonctionner par « audiences foraines ».

c) Le développement du « aller vers »
(1) L'importance des audiences foraines

Les audiences « foraines » sont des audiences tenues par un magistrat accompagné d'un greffier en dehors du cadre habituel du palais de justice. D'après les articles R. 124-2, R. 532-3, R. 552- 2, R. 552-18, R. 562-2 et R. 562-27 du code de l'organisation judiciaire, les tribunaux judiciaires, les tribunaux de première instance, et les sections détachées peuvent tenir des audiences dans des communes situées sur leur ressort mais autres que celle du siège de la juridiction. Les juges « forains » incarnent donc la justice française lors de leurs déplacements dans les endroits les plus reculés du territoire et permettent de maintenir, malgré la distance, le lien avec l'État français.

Ce dispositif est particulièrement appliqué en Polynésie, aux archipels des Tuamotu et des Gambier. « La localisation de la SD à Papeete n'est pas un obstacle au déploiement des audiences foraines dans les îles identifiées, et doit permettre au contraire d'effectuer des tournées beaucoup plus fréquentes et également d'assurer un traitement plus optimal en matière d'assistance éducative et d'application des peines, s'agissant des 76 dossiers relevant des trois archipels (Tuamotu, Gambier, Australes) suivis par les juges des enfants du TPI et des 50 dossiers suivis par les juges de l'application des peines en milieu ouvert. Cette localisation est enfin cohérente avec la subdivision administrative (sous-préfecture) des archipels des Tuamotu des Gambier et de l'archipel des Australes, qui ont leurs sièges à Papeete »., affirme Fabien Neyrat, délégué outre-mer auprès du secrétariat général du ministère de la Justice.

Des avocats peuvent également être mobilisés dans le cadre de l'aide juridictionnelle. Cependant, un tel dispositif coûte cher et fait l'objet de remboursements tardifs et incomplets des frais avancés par le personnel.

Cette problématique est notamment étudiée dans un rapport de 2024 de la commission des Lois du Sénat, et suggère que les conditions de remboursement des frais de déplacement soient adaptées en Polynésie française pour « prendre en compte les contraintes de l'exercice professionnel » des avocats obligés de séjourner plusieurs nuits sur une île mal desservie pour une audience foraine.

Pour pallier l'éloignement et malgré les efforts déployés par les autorités locales, le numérique n'est pas adapté, les territoires ne disposant pas tous de structures adaptées et l'accès à l'internet étant particulièrement inégal et lent.

En Nouvelle-Calédonie, le TPI (qui siège à Nouméa) dispose également de sections détachées à Koné (Province Nord) et Lifou (Province des îles Loyauté). Les deux sections détachées sont compétentes en matière civile, pénale et coutumière. Des audiences foraines sont notamment tenues à Maré et Ouvéa (îles Loyauté).

Les audiences foraines existent aussi à Saint-Barthélemy et se développent depuis quelques années dans les communes intérieures de la Guyane, ainsi que dans l'archipel de la Guadeloupe, notamment à Marie-Galante.

(2) Les points d'accès au droit : premier contact avec la justice

Longtemps en retard, les conseils d'accès au droit connaissent une dynamique nouvelle outre-mer.

A La Réunion par exemple, 30 points-justice existent désormais.

Les derniers territoires ne comptant pas de conseil de l'accès au droit (CAD) en sont désormais dotés. Un CAD a été créé en 2022 en Polynésie et à Saint-Pierre-et-Miquelon et en 2023 en Nouvelle-Calédonie81(*).

Des initiatives novatrices sont aussi imaginées par les acteurs locaux : le JustiBus en Martinique ou la pirogue du droit en Guyane.

Béatrice Bugeon-Almendros, première présidente de la Cour d'appel de Cayenne, a loué l'action du Conseil départemental de l'accès au droit, en particulier les « pirogues du droit » à destination des populations les plus isolées et les plus reculées du territoire - le long des deux fleuves guyanais. Ces « pirogues », qui ne doivent pas être confondues avec les audiences foraines puisqu'elles apportent seulement du conseil et des informations aux justiciables, se composent de magistrats, greffiers, avocats ou juristes.

Conjuguées aux maisons France Services, ce type d'initiatives est une réponse directe au sentiment d'abandon ou d'isolement de certaines populations. La densification des points d'accès au droit (maillage territorial, fréquence des rendez-vous) doit être une priorité pour apporter cette première présence de la justice et du droit et souvent dénoué des situations par une simple information.

Enfin, bien que cela excède le cadre du présent rapport, vos rapporteurs alertent sur le trop faible nombre, voire l'absence d'avocats dans certaines régions. À Mayotte comme cela a été décrit supra, au point de fragiliser certaines procédures. Mais aussi en Guyane. Pour la présidente Béatrice Bugeon-Almendros, « Saint-Laurent-du-Maroni enregistre un manque d'attractivité manifeste. [...] En effet, seuls deux avocats sont installés à Saint Laurent du Maroni sur 84 avocats au total à l'échelle du Barreau. La présence n'est donc pas assurée sur ce secteur, notamment s'agissant du contentieux des mineurs. Ainsi, des enfants comparaissent au civil comme au pénal sans avocat. Nous devons donc faire face à un déficit et rendre justice en étant dans l'impossibilité de respecter les dispositions légales en termes de représentation par avocat ».

Le ressort du Tribunal de première instance de Mata-Utu (Wallis-et-Futuna) ne compte aucun cabinet d'avocats, principal ou secondaire, en raison essentiellement du volume d'activité insuffisant et de l'absence de liaisons aériennes quotidiennes avec Nouméa. Des personnes agréées (citoyens défenseurs) assurent alors les droits de la défense en matière pénale sur le territoire. Aucun texte ne prévoit cependant leur intervention au titre de l'aide judiciaire en matière civile, familiale ou sociale.

De plus, pour se rendre dans certaines îles de Polynésie française, mais aussi à Wallis-et-Futuna, l'aide juridictionnelle est insuffisante pour couvrir les frais de déplacement et d'hébergement des avocats.

Pour Maître Patrick Lingibé, plusieurs mesures pourraient être envisagées. En premier lieu, allouer une dotation financière spéciale aux barreaux concernés pour permettre le déplacement des avocats dans des territoires ou parties de territoires isolés au titre de l'aide juridictionnelle. Cette nécessaire adaptation du taux de l'aide juridictionnelle est aussi une des recommandations du récent rapport de la commission des lois du Sénat sur la Polynésie française82(*). En deuxième lieu, il conviendrait de prévoir un dispositif d'entretien à distance sécurisé avec un avocat, notamment pendant la garde à vue. Le code de procédure pénale ne permet à ce jour, à Wallis-et-Futuna ou en Polynésie française, pour la personne gardée à vue que de désigner une personne de son choix ou un citoyen défenseur agréé (à Wallis-et-Futuna uniquement).

Recommandation n° 14 : Afin de renforcer l'incarnation de la justice dans les outre-mer :

- créer une cour d'appel de plein exercice à Mayotte et un tribunal judiciaire à Saint-Martin ;

- créer des sections détachées en Guyane, voire dans l'archipel de la Guadeloupe sur le modèle polynésien ;

- développer les audiences foraines et le recours à la visioconférence ;

- fiabiliser le réseau numérique et les applications métiers du ministère de la justice dans les outre-mer ;

- mieux financer les points d'accès au droit pour offrir des consultations gratuites aux populations ;

- accélérer les grands chantiers immobiliers de la justice, notamment la réhabilitation des locaux de la cour d'appel et du tribunal judiciaire de Basse-Terre et les cités judiciaires de Saint-Martin, Saint-Laurent du Maroni et Mayotte.

4. Durcir et spécialiser la lutte contre la criminalité organisée, en particulier les narcotrafics

En matière de criminalité organisée, si chaque zone ultramarine présente des spécificités propres, les impacts dévastateurs de ces réseaux sont de plus en plus marqués partout. Le « haut du spectre » de la criminalité organisée, connu et largement documenté, submerge nos forces de sécurité qui, malgré un sursaut récent, demeurent sous-dotés en hommes et moyens techniques.

Ce changement est relativement récent, datant d'une quinzaine d'années, la question de la sécurité outre-mer ayant longtemps été plus axée sur les problèmes d'ordre public, de violences urbaines et de petite délinquance.

Un basculement des moyens vers le travail d'enquête spécialisé et le renseignement est devenu vital et urgent, ainsi qu'un renforcement des juridictions les plus exposées, pour écarter le risque de saturation de la chaîne pénale et porter - enfin - des coups aux réseaux criminels.

À cet égard, vos rapporteurs partagent l'ensemble des conclusions du rapport de la commission d'enquête du Sénat du 7 mai 2024 sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier83(*). La lutte contre la criminalité organisée outre-mer doit changer d'échelle.

Sans réitérer les constats et propositions de la commission d'enquête, trois aspects paraissent essentiels pour reprendre pied.

a) Prioriser le travail d'enquête et de renseignement

Les carences en enquêteurs et magistrats spécialisés, déjà réelles dans l'Hexagone, sont encore plus dramatiques dans les outre-mer. Ces compétences sont pourtant une clef dans la lutte contre la criminalité organisée pour démanteler durablement des réseaux.

C'est tout particulièrement le cas en matière de blanchiment. L'évaluation de la France par le groupe d'action financière (GAFI), dont le rapport d'évaluation mutuelle a été rendu au mois de mai 2022, a été l'occasion pour l'organisation intergouvernementale de formuler plusieurs recommandations portant sur le champ pénal de la lutte contre le blanchiment. Le GAFI a ainsi souligné l'insuffisance des ressources humaines84(*), s'agissant à la fois des enquêteurs et des magistrats, formés en matière de blanchiment et d'investigations financières, et ce spécifiquement en outre-mer.

Pour Patrice Cambérou, procureur général près la cour d'appel de Fort-de-France, la JIRS de Fort-de-France est sous-dotée contre le blanchiment. A minima, deux magistrats spécialisés, des enquêteurs chevronnés rattachés à ces magistrats et des spécialistes numériques sont indispensables pour porter de vrais coups aux réseaux criminels.

Cette préoccupation en faveur de plus d'enquêtes et d'expertises est présente chez tous les responsables.

Le général Lionel Lavergne met ainsi l'accent sur la création de structures dédiées à la gestion de phénomènes criminels précis. Ainsi, des task forces ont été conçues pour appuyer les COMGEND, en lien avec les autorités judiciaires, sur des phénomènes particuliers, pour des enquêtes en cours. L'idée est de projeter ces task forces, dès que des difficultés ne peuvent être résolues avec les moyens locaux. Ces spécialistes sont envoyés pour un temps, un espace et un phénomène donnés. Il a cité l'exemple des task forces sur les sujets économiques et financiers ou sur les factions armées brésiliennes en Guyane.

La gendarmerie outre-mer s'efforce aussi de mieux orienter le travail de renseignement. Selon le général Lionel Lavergne, une expérimentation a été lancée pour décloisonner le renseignement d'ordre public et le renseignement d'ordre judiciaire en lien avec les infractions constatées. Chaque COMGEND disposait auparavant d'un officier adjoint chargé de la police judiciaire et d'un officier adjoint chargé du renseignement. Désormais, il n'existe plus qu'une seule chaîne, avec un chef et un adjoint. L'objectif est de mieux gérer l'ensemble des informations provenant du terrain (judiciaire ou ordre public).

Toujours en matière de renseignement, la section de recherches de Saint-Martin fait désormais partie d'un cercle de services étrangers partenaires - incluant jusqu'au Federal Bureau of Investigation (FBI) américain -, au sein duquel les échanges sont très appéciés. La création d'un centre de coopération policière et douanière avec Sint Maarten est aussi évoquée.

Ce besoin d'expertise se reflète aussi à travers le renforcement des antennes de l'OFAST en Guyane, en Martinique, en Guadeloupe et à Saint-Martin. Christian Nussbaum a précisé que, face à l'existence de deux types de trafic dans les Antilles - le trafic inter-îles et le trafic transatlantique à destination de l'Europe -, les antennes OFAST s'organisaient en conséquence avec des groupes d'enquêteurs dédiés à l'un ou l'autre de ces trafics. Pour autant, ces moyens paraissent encore limités en comparaison du tsunami de cocaïnes qui déferlent sur ces petites îles85(*). L'antenne détachée de l'OFAST en Guadeloupe regroupe 5 enquêteurs par exemple.

Enfin, on notera que lors de la Journée de la justice outre-mer en mars dernier, le ministre de l'Intérieur et des outre-mer avait pointé les retards importants de la police scientifique et technique dans ces territoires. En Martinique, Pierre-Marc Fergelot, directeur territorial de la police nationale, a déploré notamment que les armes saisies doivent être expédiées pour expertise au Service national de la police scientifique basé à Écully dans le Rhône. C'est à la fois long et cher.

Recommandation n° 15 : Concentrer les renforts d'effectifs sur les enquêteurs et magistrats spécialistes de la criminalité organisée et financière, en ciblant en priorité les Antilles, la Guyane et la Polynésie française, et créer un Groupe interministériel de recherche (GIR) pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy.

Recommandation n° 16 : Doter chaque bassin océanique de capacités de police scientifique et technique, pour une exploitation plus rapide des données et sans passer nécessairement par l'Hexagone.

b) Maintenir et élargir le dispositif « 100 % contrôle » et la stratégie du bouclier

Comme vu plus haut, l'instauration du « 100 % contrôle » est un premier succès face aux narcotrafics. Il est un exemple d'action coordonnée des forces de sécurité intérieure et de la justice. Il témoigne aussi d'un changement d'approche face à des réseaux puissants en capacité de saturer la chaîne de contrôle.

Il a été fait le choix de prioriser un traitement administratif du phénomène dit « des mules » afin de permettre à la justice de se concentrer sur l'identification des filières, les multi-récidives, les porteurs de grandes quantités et la chaîne logistique (fret notamment).

Antoine Poussier, préfet de la Guyane, a rappelé que 12 000 arrêtés préfectoraux d'interdiction d'embarquement avaient été pris en 2023, soit plusieurs dizaines d'actes par jour, même si ce chiffre a aujourd'hui diminué. Le juge n'a jamais remis en cause la faculté du préfet de mobiliser ce pouvoir de police générale pour interdire l'embarquement. Il a simplement considéré que, dans la moitié des cas ayant fait l'objet d'un recours, le faisceau de présomptions qui avait fondé cette décision était insuffisant. Il a sanctionné l'acte en considérant qu'il n'existait pas de motifs suffisants pour interdire l'embarquement. En revanche, dès lors que les motifs étaient jugés suffisants, le tribunal administratif n'a pas remis en cause la possibilité pour le préfet d'interdire l'embarquement pour des raisons de prévention des crimes et des délits et d'ordre public. Un appel a été formé devant la cour d'appel de Bordeaux dont l'audience devrait avoir lieu en 2025.

Si les arrêtés préfectoraux dès lors qu'ils sont motivés n'ont pas été remis en cause pour le moment, il apparaît néanmoins utile de renforcer par précaution leur base juridique, compte tenu de leur caractère déterminant pour déjouer la stratégie de saturation des contrôles par les réseaux.

Par ailleurs, une réflexion sur une peine complémentaire d'interdiction de vol pour écarter durablement les « mules » condamnées. Actuellement, le parquet de Cayenne ne peut que requérir le prononcé d'interdiction de paraître à l'aéroport.

Toutefois, les succès de cette stratégie « 100 % contrôles » ont provoqué un phénomène de déport vers les Antilles et les autres aéroports de la zone sud-américaine.

Un phénomène de déport de l'aéroport de Cayenne au profit des aéroports brésiliens est ainsi constaté. Les chiffres de l'OFAST permettent d'établir que de novembre 2021 à octobre 2022, 86 mules en provenance du Brésil avaient été interpelées pour une quantité de 206 kg de stupéfiants saisis, de novembre 2022 à octobre 2023, 143 « mules » ont été interpellées pour 447 kg de produits saisis. Sur les mêmes périodes, 359 « mules » en provenance de Guyane avaient été interpelées avant la mise en place du « 100 % contrôle », contre 156 après (588 kg de produits saisis avant, 381 kg après).

Par ailleurs, les procureurs généraux de Fort-de-France et de Basse-Terre constatent sur leur ressort une augmentation du nombre d'interpellations de « mules ». Les saisies de cocaïne transportée par des voyageurs en provenance des Antilles ont augmenté de 81 % en 2023 et de 37 % sur les dix premiers mois de 2024. Les nouveaux contrôles instaurés en Guadeloupe et en Martinique depuis l'observation de ce phénomène ont déjà fait diminuer le trafic, au profit des liaisons entre le Brésil et Paris.

Enfin, depuis la mise en place des contrôles renforcés à Cayenne, l'OFAST constate une recomposition des modes de transport au profit du in corpore qui représente désormais plus de 50 % des saisies (entre le 1er janvier 2023 et le 30 septembre 2023) alors qu'il ne représentait que 30 % des saisies auparavant.

Cette évolution appelle sans doute quelques adaptations législatives pour alléger la procédure. En effet, comme le relève la commission d'enquête du Sénat, « la hausse de la proportion de personnes transportant la cocaïne in corpore induit une charge particulière pour les forces de sécurité intérieure, les douaniers et l'autorité judiciaire, puisque le traitement judiciaire de ces passeurs nécessite d'attendre l'expulsion de tous les ovules de cocaïne. Or, les dispositifs ne semblent pas parfaitement adaptés à cet état de fait : ainsi que l'ont expliqué les magistrats du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre, la durée de garde à vue de 96 heures n'est pas toujours suffisante pour récupérer l'ensemble de la drogue ingérée. Actuellement, au-delà de cette durée maximale, il doit être procédé à un défèrement à l'hôpital, avec une procédure de comparution à délai différé, d'intervention du juge des libertés et de la détention à l'hôpital et d'engagement des poursuites - une procédure relativement lourde ».

Une procédure simplifiée de prolongation médicale de la garde à vue devrait être introduite pour ces personnes, pour leur propre sécurité. Cette adaptation de la garde à vue ne serait pas propre aux outre-mer.

Vos rapporteurs estiment que cette stratégie a été un succès, mais qu'elle doit être pérennisée, étendue aux Antilles et sans cesse adaptée.

Si elle ne permet pas nécessairement de démanteler les réseaux criminels, cette stratégie doit à tout le moins les dissuader de se servir des outre-mer français comme zone de rebond ou point d'entrée vers l'Hexagone et l'Europe. Il faut en effet rappeler que les outre-mer n'ont en eux-mêmes qu'un faible intérêt pour les réseaux, qui cherchent d'abord à atteindre le grand marché des consommateurs européens.

Tenue dans la durée, la stratégie du bouclier doit conduire, dans un premier temps du moins, à dévier les flux de transit des stupéfiants vers d'autres territoires et ainsi faire retomber la pression dans nos outre-mer. Naturellement, cette stratégie du bouclier ne peut se résumer au contrôle des mules dans les aéroports. Les autres aspects seront développés infra (voir II.B.).

Recommandation n° 17 : À l'aéroport Félix Éboué en Guyane, consolider les contrôles à 100 %, avec des moyens renforcés (chambres carcérales pour les « mules », contrôle systématique des bagages par scanner...), les étendre aux Antilles, sécuriser dans la loi les arrêtés préfectoraux d'interdiction d'embarquement et créer une peine complémentaire d'interdiction de vol.

c) Muscler les juridictions des Antilles, de la Guyane et de la Polynésie française

En dépit de renforts récents ou annoncés dans le cadre de la loi de programmation, les juridictions des Antilles et de la Guyane demeurent sous-armées et sous-structurées face à la criminalité organisée et les narcotrafics en particulier.

Il en est de même en Polynésie française où le trafic et la consommation de l'Ice est en train de faire des ravages. Même si les réseaux de stupéfiants n'y ont rien à voir avec ceux opérant aux Antilles et en Guyane à destination de l'Europe, il est essentiel de couper court rapidement à ce trafic à dimension locale. La juridiction polynésienne doit être rapidement renforcée pour répondre à ce nouveau défi.

S'agissant des Antilles et de la Guyane, les cours d'appel, les tribunaux judiciaires et la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Fort-de-France sont en première ligne.

Outre l'indispensable renfort en magistrats et enquêteurs évoqué plus haut, les juridictions doivent se structurer différemment pour accompagner ces renforts.

Les juridictions les plus faibles dans l'ensemble du dispositif sont celles de Guyane.

Pour Joël Sollier, procureur général près la cour d'appel de Cayenne, la chaîne pénale au sein de la juridiction doit être structurée avec la création d'une section du parquet en charge de la criminalité organisée et d'une chambre correctionnelle permanente pour juger des affaires d'une importante significative. La professionnalisation et la fluidification du traitement de cette criminalité sont fondamentales.

Me Patrick Lingibé propose également de classer le tribunal judiciaire de Cayenne en catégorie 2 au lieu de 386(*), afin de redimensionner ses moyens.

De manière plus générale, la classification par groupes de plusieurs juridictions ultramarines mériterait d'être réexaminée eu égard à la croissance démographique de certains territoires et à l'intensité de l'activité judiciaire pénale. La proportion des affaires criminelles par rapport au reste de l'activité pénale y est beaucoup plus élevée qu'ailleurs, même à La Réunion réputée faussement plus calme87(*). Le rattachement du tribunal judiciaire de Mamoudzou au groupe 4 est aussi difficilement compréhensible.

Me Patrick Lingibé pointe aussi la cour d'appel de Cayenne, dont la création très récente fut difficile et remonte seulement à 2012. Une partie de son budget demeure gérée par la cour d'appel de Fort-de-France dont la Guyane dépendait auparavant. Ce lien de dépendance doit être rompu.

Il est urgent de remédier à ce paradoxe de juridictions faibles, dimensionnées a minima, au coeur des territoires les plus criminogènes.

Le second sujet important est celui de l'organisation des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) qui interviennent outre-mer.

Deux juridictions interrégionales spécialisées officient en outre-mer :

la JIRS de Paris, qui outre son ressort sur le territoire métropolitain, est également compétente sur les ressorts des Cours d'appel de Saint-Denis de La Réunion, de Nouméa et Papeete ;

- la JIRS de Fort-de-France, seule JIRS uniquement compétente sur un ressort ultra-marin. Elle est compétente sur les ressorts des Cours d'appel de Fort-de-France, Basse-Terre et Cayenne.

Depuis 2018 et au 31 décembre 2023 (6 ans), la JIRS de Fort-de-France s'est saisie de 146 affaires dont 93 en matière de criminalité organisée et 11 en matière économique et financière (soit 6 % du nombre de dossiers total traités par les JIRS depuis 2018).

Compte tenu de l'éloignement de la Guyane et du contexte régional particulier de ce territoire (la Guyane appartient à l'espace sud-américain et amazonien, quand les Antilles s'insèrent dans un environnement caribéen, voire nord-américain), la question de la création d'une JIRS propre y est régulièrement posée.

Pour le ministère de la Justice, le principe qui préside à la création d'une JIRS s'y oppose. La création d'une JIRS dont le ressort se limiterait au seul département de la Guyane est contradictoire avec l'objet même de la JIRS, qui vise à traiter un espace interrégional présentant des problématiques criminelles proches ou identiques.

La direction des affaires criminelles et des grâces met en avant d'autres solutions :

- la création d'une instance de coordination dédiée à l'arc caraïbéen/Guyane, sur le modèle des instances de coordination déjà existantes (instances de coordination du port du Havre, de l'arc méditerranéen et de l'arc atlantique). Cette instance a été installée le 16 avril 2024 ;

- des efforts constants sont réalisés afin que la Guyane puisse bénéficier de l'expertise spécifique de la JIRS de Fort-de-France et des moyens de celle-ci, lesquels ont été renforcés depuis 2018. La circulaire du 29 septembre 2022 relative à la politique pénale territoriale pour la Guyane rappelle d'ailleurs cet objectif d'une articulation optimale entre le parquet de Cayenne et sa JIRS de rattachement. Dans cette optique et tel qu'annoncé par la circulaire du 29 septembre 2022 précitée, il a été créé au sein du tribunal judiciaire de Cayenne une division dédiée à la délinquance organisée non JIRS au parquet et au siège pour assurer le continuum entre l'enquête et le jugement. Au sein de ce pôle, un magistrat du parquet est spécialement chargé des relations avec la JIRS de Fort-de-France, laquelle doit être renforcée par un parquetier JIRS dédié à la Guyane ;

- localement, le parquet JIRS de Fort-de-France a développé les « JIRS-tours » sur son ressort qui consistent pour les magistrats spécialisés à rencontrer in situ l'autorité judiciaire de Cayenne, et les services d'enquête et douaniers ;

- la JIRS de Fort-de-France développe également un partenariat avec les pays frontaliers de la Guyane et s'emploie à renforcer la coopération internationale sur la zone, grâce, notamment, à l'appui du magistrat de liaison basé au Brésil, compétent sur le Suriname.

Sans se prononcer sur la création d'une JIRS à Cayenne, vos rapporteurs ne peuvent qu'insister sur l'indispensable renforcement des moyens dédiés du tribunal judiciaire de Cayenne, ainsi que ceux de la JIRS de Fort-de-France pour évacuer le soupçon d'une implication insuffisante de la JIRS sur la Guyane. On s'étonnera notamment qu'au sein de la JIRS de Fort-de-France un parquetier dédié à la Guyane ne soit pas déjà en poste depuis longtemps.

Un rattrapage est manifestement en cours, mais il n'effacera pas le retard pris.

Recommandation n° 18 : Créer au sein du tribunal judiciaire de Cayenne une chambre correctionnelle permanente, une section du parquet en charge de la criminalité organisée, renforcer massivement la coordination avec la JIRS de Fort-de-France et, de manière générale, réexaminer le classement des tribunaux judiciaires ultramarins par groupe de juridiction.

Une autre difficulté a été évoquée à propos de la réforme des cours criminelles départementales (CCD).

Cette réforme est révélatrice de la nécessité de recourir à l'adaptation des règles de procédure pénale outre-mer. Établies par la loi de programmation pour la justice du 23 mars 2019, les cours criminelles départementales ont vu le jour afin de remédier à l'engorgement de nombreuses cours d'assises. Un bilan positif ayant été tiré de leur expérimentation, la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire les a généralisées à compter du 1er janvier 2023.

Si cette loi précitée a exclu l'application de cette réforme à Mayotte, elle n'a toutefois prévu aucune exclusion pour la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, la Polynésie française et Saint-Pierre-et-Miquelon.

Or, au sein de ces territoires, des difficultés liées à la généralisation des CCD ont été mises en avant. Ainsi, le jugement des crimes par une CCD a été présenté comme étant source d'une complexification du droit et de la pratique inutile et inopportune.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027, l'article 804 du CPP prévoit désormais que les dispositions relatives à la cour criminelle départementale ne trouvent pas à s'appliquer en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis-et-Futuna. L'article 908 du CPP, quant à lui, exclut l'application des dispositions relatives à la cour criminelle départementale s'agissant du territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Toutefois, cette exclusion n'épuise pas la question des CCD dans les outre-mer. Lors d'un entretien avec Alain Chateauneuf, président de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, et Fabienne Atzori, procureure générale, le constat d'une réforme qui n'a pas produit les effets espérés a été dressé. Les juridictions ultramarines se caractérisent par des taux d'affaires pénales et d'affaires criminelles nettement supérieurs à ceux de l'Hexagone.

La réforme des CCD ne pourra porter ses fruits outre-mer que si les moyens sont donnés pour que la CCD siège en permanence et non en alternance avec le tribunal correctionnel. En l'état, les CCD tendent à allonger le total des jours d'audience d'environ 60 % à La Réunion

Une réflexion devrait donc être engagée sur une adaptation de la réforme ou de sa mise en oeuvre.

5. Endiguer l'immigration clandestine en assumant une politique de fermeté

Les outre-mer sont confrontés très inégalement à l'immigration clandestine. Mayotte et la Guyane connaissent une immigration massive, et dans une moindre mesure Saint-Martin également.

Vos rapporteurs se sont principalement intéressés à la situation hors norme de Mayotte. En effet, par son ampleur, l'immigration clandestine y remet en cause la crédibilité même de l'État, voire sa capacité à affirmer sa souveraineté. Elle est le point d'achoppement de toutes les politiques publiques, engorgées par des besoins en hausse exponentielle. Au cours de son déplacement, la délégation a mesuré à quel point la lutte contre l'immigration clandestine (LIC) était la clef pour que l'action publique reprenne pied.

a) Une forte mobilisation mais tardive

Comme pour les narcotrafics, les rapports se succèdent depuis plusieurs années. Les constats sont établis ainsi que de nombreuses préconisations.

L'État a pris progressivement, mais trop lentement là encore, la mesure du défi à Mayotte.

On notera tout d'abord que le droit des étrangers connaît déjà de nombreuses adaptations outre-mer et à Mayotte, en particulier en matière d'éloignement et de contrôle pour tenir compte des conditions opérationnelles.

Le droit de la nationalité a aussi été adapté en 201888(*). Pour acquérir la nationalité française à la majorité ou par déclaration à l'âge de 13 ou 16 ans selon les cas89(*), l'article 2493 du code civil exige pour les enfants nés à Mayotte que l'un des parents ait, au jour de la naissance, été présent de manière régulière sur le territoire national depuis plus de trois mois. Les enfants nés à Mayotte dont les deux parents sont en situation irrégulière ne peuvent prétendre à la nationalité française par le seul fait de leur naissance sur le sol de Mayotte. Cette disposition permet d'écarter le bénéfice de la nationalité française pour les enfants des étrangers en situation clandestine.

Le retard est donc moins législatif ou réglementaire qu'opérationnel.

Ce décalage est flagrant à Mayotte. L'immigration clandestine massive en provenance des Comores a débuté il y a une quinzaine d'années. Or c'est seulement depuis quelques années qu'un changement d'échelle dans la réponse de l'État est perceptible, ce qui est bien tard.

À Mayotte, les moyens désormais mobilisés sont importants. La PAF comprend 330 agents sur un effectif de 760 pour l'ensemble de la DTPN. 80 % des éloignements nationaux sont réalisés par Mayotte. La brigade nautique compte 9 intercepteurs et 30 agents.

Depuis 2019, le nombre de bateaux interceptés a ainsi été multiplié par près de 3 (660 en 2023 contre 250 en 2019).

Face à la fraude immense, en particulier aux reconnaissances de paternité, aux attestations de résidence et aux justificatifs en tout genre, la mission LIC a recruté récemment un « data scientist ».

Au niveau judiciaire, la réponse est aussi beaucoup plus ferme. Les pilotes de kwassas-kwassas sont désormais systématiquement condamnés à six mois de prison ferme. Entre 300 et 400 condamnations ont déjà été prononcées. En réaction, les passeurs prennent plus de risques pour éviter d'être interceptés et n'hésitent pas à foncer sur les forces de l'ordre.

La montée en charge est indéniable, mais elle reste en deçà de ce qui serait nécessaire pour diminuer fortement les flux et réduire par les éloignements le nombre de personnes en situation irrégulière sur l'île.

b) Monter encore d'un cran la fermeté : jusqu'où ?

Les élus mahorais rencontrés, aussi bien les maires que le président du conseil départemental et ses élus, partagent la même colère face à la situation de l'immigration clandestine et se rejoignent assez largement sur plusieurs mesures fortes :

- déploiement du « rideau de fer » annoncé par Gérald Darmanin, ancien ministre de l'Intérieur. Le contrôle effectif de la frontière maritime est la clef ;

- lutte contre les reconnaissances de paternité frauduleuses, notamment par la mise en place d'un fichier unique d'état civil qui pourrait être centralisé sur Mamoudzou ;

- lutte contre les attestations de résidence de complaisance ;

- interdiction des régularisations dès lors qu'une personne est entrée clandestinement.

Les élus réclament comme corollaire nécessaire à ces mesures la suppression des titres de séjour territorialisés, dits « visa Balladur » qui empêchent les étrangers en situation régulière à Mayotte de séjourner sur le reste du territoire français.

Sur la question du droit du sol, une majorité y est favorable, même si plusieurs élus doutent de son utilité réelle. Beaucoup de Comoriens viennent d'abord pour trouver des conditions de vie meilleures et l'accès à la nationalité subit déjà des obstacles insurmontables pour les immigrés clandestins depuis la loi de 2018. Quant aux étrangers en provenance de l'Afrique continentale, leur objectif est d'obtenir l'asile afin de pouvoir rejoindre la France hexagonale.

Cette feuille de route des responsables mahorais rejoint largement celle de l'État.

Tous les interlocuteurs rencontrés (préfet, police, gendarmerie, justice) ont notamment mis au premier rang des priorités la maîtrise de la mer et de notre frontière maritime. Le « rideau de fer » ne doit pas rester qu'une expression et doit permettre de sortir du « bricolage » actuel.

Les marges de progrès sont immenses.

Certes, les moyens nautiques sont plus importants (9 intercepteurs de 500 CV en mer pour assurer en permanence 3 bateaux armés), ainsi que les effectifs dédiés (la brigade nautique compte 30 personnels pour assurer la permanence à la mer). Mais les lacunes du dispositif sont encore béantes :

- selon le général Lucien Barth, la couverture radar est très insuffisante. Le principal radar installé face aux Comores est en effet en panne et mal positionné. Les trois autres fonctionnent à 50% de leur capacité et sont de conception ancienne ;

- la base nautique, située à Dzaoudzi, est trop éloignée du nord de l'île. Les patrouilles en mer s'épuisent à en partir et revenir en cas d'alerte, souvent pour intercepter des leurres. Ces temps de transit sont épuisants et inefficaces. Il représente près du quart du temps passé en mer.

Pour réussir le « rideau de fer », il faut donc changer en profondeur de stratégie. Le général Lucien Barth observe que celle-ci consiste depuis des années à attendre le dos au mur l'arrivée des kwassas-kwassas. Or, le « cône d'incertitude » sur la zone de débarquement des kwassas est immense, car les moyens nautiques ne sont pas positionnés suffisamment en avant, c'est-à-dire au nord de l'île.

Pour parvenir à des résultats, il faut donc impérativement :

- moderniser intégralement les systèmes de détection. Frédéric Sautron, chef de la LIC à Mayotte, préconise d'innover en se dotant des meilleurs radars, mais aussi de drones sous-marins, des caméras longue portée associées à de l'IA et une surveillance aérienne allongée (3 heures par jour environ actuellement) ;

- rapprocher les bases nautiques des points d'arrivée. Le positionnement d'une base avancée sur ponton90(*) ou barge, d'où les équipes attendraient le déclenchement de l'alerte, serait un gain énorme. Cette base permettrait aussi aux personnels d'attendre les interventions dans de bonnes conditions, et non en mer en plein soleil. Les équipes sont par ailleurs mixtes, ce qui pose d'évidents problèmes de promiscuité pendant des heures d'attente ;

- créer une vraie base navale pour cette force nautique avec des ateliers de maintenance.

Selon Frédéric Sautron, ce plan global a été chiffré à environ 110 millions d'euros. L'arbitrage financier était en attente. Le montant est faible par rapport au coût de l'explosion démographique sur l'ensemble des services publics.

Ce dispositif en mer serait complété à terre par des caméras reliées à un système LAPI d'enregistrement des plaques d'immatriculation à certains points de passage de l'île. Le groupe d'appui opérationnel, qui recherche les personnes en situation irrégulière à terre et qui est à l'origine de 75 % des interpellations, devrait également bénéficier de nouveaux équipements. En mai 2024, sur 12 véhicules, 7 ne fonctionnaient pas.

Enfin, une présence régulière de bâtiments militaires français entre Anjouan et Mayotte aurait, à défaut d'une efficacité opérationnelle décisive, un poids symbolique important vis-à-vis des autorités comoriennes.

Par ailleurs, environ 25 000 personnes sont éloignées chaque année vers les Comores. Bien que la loi le permette, l'enregistrement des empreintes digitales des personnes éloignées n'était pas encore réalisé en mai 2024. Cet enregistrement devait être mis en place avant la fin de l'année. C'est indispensable, compte tenu des allers-retours réalisés par certains étrangers éloignés, pour mieux connaître les filières et mesurer les éloignements nets.

Recommandation n° 19 : À Mayotte, engager tous les moyens nécessaires à la réussite du « rideau de fer » vis-à-vis des Comores, notamment en :

- déployant un système global modernisé de détection et de surveillance (radars, drones, surveillance aérienne, caméras longue portée...) ;

- établissant des bases nautiques avancées au plus près de l'espace maritime comorien ;

- accroissant les moyens nautiques d'interception ;

- maintenant de manière quasi permanente une présence de bâtiments militaires entre Anjouan et Mayotte ;

- enregistrant systématiquement les empreintes digitales des étrangers éloignés.

Un autre levier sous-estimé est le levier financier. Les transferts de fonds vers les Comores sont massifs. Selon Frédéric Sautron, le contrôle à 100 % des passagers d'un seul bateau vers les Comores a révélé que 133 passagers détenaient un total de 240 000 euros en espèces, sans jamais excéder le plafond de 10 000 euros par personne. La plupart de ces sommes ne seraient pas susceptibles d'être justifiées, car provenant du travail illégal sur l'île. En contrôlant ces flux sortants, une des motivations de l'immigration irrégulière serait atténuée.

Recommandation n° 20 : Rendre obligatoire la justification de l'origine des fonds dès le premier euro pour les transferts d'argent en espèces vers les Comores.

Pour lutter contre les fraudes, la centralisation des reconnaissances de paternité et des attestations de résidence délivrées est nécessaire. L'objectif est de détecter rapidement les reconnaissances « à la chaîne », certains fraudeurs pouvant reconnaître des dizaines d'enfants contre rémunération en faisant le tour des communes. Un élu de Mamoudzou a aussi été condamné pour avoir signé 150 attestations de résidence. Des procédures étaient en cours pour faire annuler les titres de séjour délivrés sur la foi de ces documents.

L'idée d'un fichier unique pourrait être étendue à la Guyane.

Recommandation n° 21 : Créer un fichier unique de l'état civil, ainsi qu'un fichier des attestations de résidence, à Mayotte et en Guyane.

S'agissant des régularisations, les responsables locaux et de la lutte contre l'immigration clandestine ainsi que de nombreux élus souhaitent les interdire, afin de ne pas encourager les trafics. L'absence de visa d'entrée dans le dossier de régularisation suffirait à écarter la demande.

Compte tenu de la situation exceptionnelle de Mayotte, une telle mesure se justifierait. Toutefois, quelques aménagements devraient demeurer possibles pour traiter des situations particulières.

La rencontre avec Jacques Mikulovic, recteur de l'académie de Mayotte, Laurent Prevost, proviseur du lycée de Mamoudzou et plusieurs lycéens dont certains en situation irrégulière, a mis en lumière les contradictions et paradoxes de l'immigration clandestine à Mayotte.

Une grande partie de ces jeunes, mineurs, ne sont ni régularisables, ni expulsables. La plupart ont suivi toute leur scolarité dans l'école publique française qui a investi fortement pour leur avenir. Toutefois, arrivés à l'âge de la majorité, ils deviennent éloignables et n'ont aucune possibilité de poursuivre des études supérieures. Dans ces situations, une faculté de régularisation pour les élèves méritants devrait être préservée.

Le rétablissement du délit de séjour irrégulier pourrait être un autre levier utile pour dissuader le maintien sur le territoire et surtout prononcer des peines d'interdiction du territoire français. Lors de l'examen au Sénat de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, notre assemblée avait rétabli un délit de séjour irrégulier assorti d'une peine d'amende délictuelle et d'une peine complémentaire de trois ans d'interdiction du territoire français. Le Conseil constitutionnel l'avait toutefois censuré au motif que cette disposition n'avait pas de lien même indirect avec des dispositions du projet de loi initial. Dans la situation de Mayotte a fortiori, le renforcement de l'arsenal législatif est impératif.

Enfin, la question des conditions d'accès à la nationalité française est hautement symbolique et lourde de conséquences juridiques. Comme on l'a rappelé, cette question a fait l'objet d'une première réforme en 2018 excluant les enfants qui n'ont pas au moins un parent en situation régulière depuis trois mois au moins lors de leur naissance à Mayotte. Les nouvelles évolutions demandées ou envisagées nous paraissent exiger une évaluation concertée approfondie de leur effet espéré sur l'immigration irrégulière, qui gagnerait à être pleinement démontré pour prévenir toute polémique, compte tenu des obstacles importants déjà mis à l'acquisition de la nationalité française par des enfants étrangers nés à Mayotte. Une étude d'impact sérieuse s'impose donc pour éclairer la décision du législateur.

Cette précaution prise, le délai de séjour régulier minimal de trois mois pourrait sans doute être allongé à un an par exemple, voire plus, sans révision de la Constitution. En effet, le Conseil constitutionnel n'a pas précisé quelle serait a priori la durée maximale de séjour régulier exigible. Il suffit que cette durée puisse se justifier au regard des « caractéristiques et contraintes particulières » au sens de l'article 73 de la Constitution. La condition de régularité du séjour pourrait aussi être étendue aux deux parents.

Recommandation n° 22 : Réaliser une étude d'impact sérieuse de la réforme adoptée en 2018 des modes d'acquisition de la nationalité française par les enfants nés à Mayotte de parents étrangers et examiner la possibilité d'allonger par une loi ordinaire la durée exigée de résidence régulière et ininterrompue des deux parents.

B. AGIR EN ÉTAT SOUVERAIN FACE À UNE CRIMINALITÉ ET DES MENACES DE PLUS EN PLUS EXOGÈNES

Les recommandations de réforme présentées plus haut sont de nature à améliorer l'action de l'État sur l'ensemble du spectre de la délinquance et de la criminalité outre-mer.

Toutefois, elles sont en grande partie conçues comme si les phénomènes criminels qui affectent les outre-mer étaient des phénomènes constitutifs d'une menace intérieure, alors que la plupart sont exogènes : narcotrafics, trafic d'armes, blanchiment d'argent, immigration clandestine, pêche illégale, orpaillage, ingérence étrangère.

Ces recommandations pourront endiguer ou contenir les menaces, mais parviendront difficilement à les faire reculer, sauf au prix d'une hausse considérable des moyens humains et budgétaires engagés.

Pour inverser fondamentalement la tendance, il faut donc changer de paradigme et traiter ces menaces extérieures comme telles. L'État doit adopter une nouvelle posture offensive pour rétablir le plein exercice de sa souveraineté dans l'exercice de ses compétences régaliennes outre-mer, face à un environnement de plus en plus hostile et instable. L'objectif doit être clairement de rétablir un rapport de dissuasion, de repousser les menaces à nos frontières et de les traiter le plus en amont possible avant que leurs effets se fassent ressentir sur nos territoires ultramarins et, par ondes de choc successives, sur l'hexagone.

Une réponse strictement judiciaire et administrative parviendra difficilement à changer la donne, sauf à s'épuiser dans une hausse continue des moyens engagés. Elle doit impérativement s'appuyer sur une posture stratégique combinant coopération régionale intensive, durcissement de l'emploi des forces si nécessaire et restauration de la crédibilité du contrôle de nos frontières maritimes et terrestres.

1. La diplomatie et la coopération régionale, clefs décisives pour répondre au défi sécuritaire des outre-mer : une évidence trop longtemps négligée

La délégation sénatoriale aux outre-mer a engagé en novembre 2023 des travaux importants sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer. Ce travail conduit par bassin océanique a déjà donné lieu à l'adoption du premier volet consacré aux outre-mer de l'océan Indien91(*). Le prochain volet sera consacré au bassin Atlantique et les conclusions devraient être adoptées en septembre prochain. Le dernier volet s'attachera au bassin Pacifique.

Cette initiative est partie du constat ancien et constant d'une très faible intégration régionale des outre-mer français, en particulier dans les Antilles, en Guyane et dans l'océan Indien. La coopération régionale a longtemps été envisagée sous l'angle économique et culturel.

Toutefois, le rapport de la délégation précité a mis en lumière dans l'océan Indien - mais ce constat vaut pour tous les outre-mer - la montée inexorable des enjeux de souveraineté et de sécurité et l'impérieuse nécessité d'y répondre par une coopération régionale systématique sur ces sujets.

La coopération régionale judiciaire, policière et militaire a un double intérêt : protéger nos territoires et pourvoir en retour à la sécurité et la stabilisation des espaces régionaux environnants.

Ce constat rejoint celui de la quasi-totalité des personnes auditionnées au cours de la mission : la coopération régionale et internationale est incontournable pour répondre à la plupart des défis sécuritaires et régaliens de l'État dans les outre-mer. Le général Lionel Lavergne a placé la coopération régionale au premier rang de ses priorités, rappelant que « les territoires outre-mer ont 35 pays dans leur proximité ! La notion de coopération internationale de proximité est donc essentielle. Quand on est au sud de la Martinique, on voit Sainte-Lucie. Quand on est à Marie Galante, on voit la Dominique ».

Les interactions, la fragilité et l'étroitesse des territoires ultramarins, la complexité des espaces régionaux... Tout l'exige :

- en Guyane pour traiter avec le Brésil et le Suriname les problèmes de l'orpaillage illégal, des narcotrafics, des gangs et de l'immigration illégale ;

- dans les Antilles avec les îles voisines et l'ensemble de l'espace caribéen pour lutter contre le trafic d'armes et de stupéfiants ;

- à Mayotte contre l'immigration illégale en provenance des Comores et de l'Afrique des Grands Lacs ;

- en Polynésie française pour éradiquer le trafic de l'Ice ;

- dans les TAAF, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie ou en Guyane pour chasser la pêche illicite...

Le bilan fut longtemps maigre.

Toutefois, dans ce domaine là aussi, on observe depuis quelques années un vrai changement d'état d'esprit et une prise de conscience du retard pris dans ce domaine. Cet angle mort de l'action publique outre-mer commence à être comblé.

Deux niveaux doivent être distingués :

- l'action diplomatique qui marque le réengagement de la France dans ces espaces régionaux à haut niveau et la définition d'une diplomatie française des outre-mer conçue autour des intérêts propres de chacun de ces territoires ;

- la coopération technique, militaire, policière et judiciaire avec les pays voisins.

a) Pour une diplomatie française des outre-mer

Dans son rapport sur la stratégie française pour l'Indopacifique de janvier 2023, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat pointait le décalage entre les ambitions et la réalité, compte tenu « de l'immensité de l'Indopacifique, l'éloignement de la métropole, la dispersion des territoires français d'Indopacifique et leur relatif isolement ».

Selon ses rapporteurs, cet appel au réalisme devait entraîner notamment « une révolution copernicienne de la part de l'Europe et de la France, situées en périphérie du nouveau centre du monde, pour apprendre « à dé-centraliser leur conception de l'Indopacifique » ».

Cette préconisation vaut pour tous nos territoires qui évoluent dans des environnements géostratégiques très différents.

L'exemple de l'Indopacifique renvoie au reproche de territoires ultramarins qui ne seraient perçus que comme des porte-avions ou des points d'appui pour la politique étrangère de la France.

La révolution copernicienne doit reconfigurer notre diplomatie à partir de deux principes :

- les outre-mer sont une justification essentielle de cette diplomatie aussi bien en interne qu'aux yeux de nos partenaires régionaux ;

- les intérêts propres de ces territoires, sauf intérêt supérieur de la Nation, doivent guider notre action extérieure dans la zone.

L'action extérieure de la France, et de tous ses acteurs, sera d'autant plus forte qu'elle est perçue comme légitime par les partenaires régionaux et qu'elle s'enracine dans des territoires ultramarins rayonnants dans leur environnement.

Au sein de l'État, cela implique donc de revoir le cadre conceptuel de l'action extérieure autour des outre-mer et d'adapter l'organisation des services en conséquence.

Pour Joël Sollier, procureur général, « une action diplomatique est nécessaire si nous souhaitons que les lignes bougent en Guyane. Il faut amener diplomatiquement nos pays voisins à faire évoluer la situation dans un certain nombre de domaines. Il s'agit d'un exercice que les diplomates savent faire, mais pratiquent finalement assez peu aujourd'hui. La Guyane est un petit territoire comparé au Brésil. Pour que ce dernier s'intéresse aux problématiques de la Guyane, l'action diplomatique de la France me semble indispensable. »

À cet égard, la dernière visite d'État du président de la République au Brésil au printemps dernier fait espérer un changement d'approche positif. La dimension amazonienne de la relation bilatérale a en effet été au centre des discussions.

Avec le Suriname, État soumis à la forte pression des narcotrafics, une coopération judiciaire ne peut pas se concevoir sans une action diplomatique plus globale. La France dispose de moyens de pression pour amener le gouvernement surinamien à coopérer contre ces trafics ou le commerce lié à l'orpaillage. Tout le long du Maroni, des commerçants avec pignon sur rue fournissent l'ensemble du matériel nécessaire aux orpailleurs (mercure, pompes, moteurs...). La coopération réelle du Surinam porterait un coup dur aux garimpeiros en les privant de base logistique.

De la même manière, la France opère un rapprochement bilatéral avec les pays de l'Afrique de l'Est, en particulier la Tanzanie et le Kenya. Ces pays connaissent un développement économique dynamique et sont aussi des points de passage clefs pour les filières d'immigration clandestine vers Mayotte via les Comores. Le renforcement de la relation bilatérale à haut niveau a accéléré la coopération policière et judiciaire sur ces questions.

Les exemples sont multiples et vos rapporteurs renvoient aux travaux de leurs collègues sur la coopération régionale, ainsi qu'à leurs recommandations pour bâtir une diplomatie française des outre-mer, c'est-à-dire une diplomatie qui, dans la définition de nos relations avec les pays voisins de nos outre-mer, prend prioritairement en considération les intérêts de nos territoires ultramarins, sauf si l'intérêt supérieur de la Nation en commande différemment. Cette diplomatie doit être construite avec les territoires. La loi dite « Letchimy » donne aux territoires les outils pour y contribuer. Les outre-mer doivent être la boussole de notre action extérieure dans leurs régions.

Recommandation n° 23 : Définir une diplomatie française des outre-mer coconstruite avec les territoires.

b) Démultiplier la coopération policière et judiciaire

Longtemps atone, la coopération policière et judiciaire est devenue une priorité pour tous les responsables de la justice et des forces de sécurité.

Dans la zone Antilles, le contre-amiral Nicolas Lambropoulos a loué les relations étroites et quotidiennes d'échanges d'informations avec les partenaires de la zone. Avec les États-Unis, le Joint InterAgency Task Force South (JIATF) Sud, basée à Key West en Floride, réunit quinze pays et toutes les agences qui, de près ou de loin, luttent contre la criminalité, le crime organisé, le narcotrafic, et essaient de coordonner les moyens des différents pays (République dominicaine, Colombie, France, Pays-Bas, etc.). C'est une organisation militaire, qui travaille sous les ordres du commandement militaire américain pour le Sud. La France y dispose d'un officier de liaison.

En Guyane, les discussions ont été relancées avec le Brésil pour monter des patrouilles armées communes à la frontière. L'arrangement intergouvernemental qui ne le prévoit pas à ce jour est en cours de discussion. De même, des négociations sont en cours pour la conclusion d'une convention de transfèrement des prisonniers brésiliens et surinamiens de la Guyane vers leur pays. Beaucoup appartiennent à des factions armées brésiliennes. Depuis leur prison en Guyane, ils continuent leur action et maintiennent leur emprise sur leurs gangs et souvent, à leur sortie, ils ne retournent pas au Brésil.

Le ministère de la Justice déploie en effet une énergie nouvelle tous azimuts, d'autant plus forte que la situation de départ est mauvaise.

Stéphanie Djian, cheffe du bureau d'entraide pénale internationale, souligne ainsi ce paradoxe. D'un côté, structurer une politique pénale régionale outre-mer est une évidence sur le papier. De l'autre, du point de vue de son bureau, les requêtes émanant des juridictions outre-mer sont minimes : sur un total d'environ 5 500 procédures par an dont 550 procédures d'extraditions, moins d'une quarantaine de demandes d'enquêtes pénales et une dizaine d'extraditions émaneraient des outre-mer. Elle rappelle que les conditions d'une bonne coopération judiciaire, ce sont d'abord de bonnes bases légales avec des conventions. Pour cela, il faut des partenaires de bonne foi et une stratégie de long terme. À défaut de convention, c'est la voie diplomatique qui prévaut et elle est longue et compliquée.

Julien Retailleau, adjoint au directeur des affaires criminelles et des grâces, a présenté un tableau riche de toutes les initiatives en cours pour rattraper le retard. On citera notamment :

- la nomination d'un magistrat au sein du parquet général de Fort-de-France pour dynamiser la coopération régionale avec toutes les autorités judiciaires locales, notamment à la Dominique et à Sainte-Lucie ;

- des déplacements au Suriname en décembre 2022 pour identifier les instruments multilatéraux sur lesquels adosser la lutte contre le trafic de stupéfiants dans un cadre juridique de mise en oeuvre de la coopération judiciaire, tant en matière d'entraide qu'en matière d'extradition. Des commissions rogatoires internationales ont été adressées aux autorités surinamaises, qui ont également mis en place une coopération policière et douanière assez forte le long du fleuve Maroni. Une convention d'entraide judiciaire en matière pénale avec le Suriname a été signée le 2 juin 2023 (non encore ratifiée) ;

- la nomination d'un magistrat de liaison à Sainte-Lucie pour la Caraïbe.

Enfin, la proactivité des parquets généraux d'outre-mer en matière de coopération internationale est à souligner. À titre d'exemple, dans la zone Caraïbes, le parquet général de Fort-de-France a multiplié les contacts avec Sainte-Lucie (reprise en 2022 des réunions de la commission mixte de sécurité franco-saint-lucienne, rencontre du 9 novembre 2023 avec l'Attorney général de Sainte-Lucie), ce qui a permis une amélioration du traitement des demandes d'entraide pénale à destination de cet État.

Pour autant, selon Patrice Cambérou, procureur général près la cour d'appel à Fort-de-France, la coopération internationale outre-mer reste sous-dimensionnée et peu opérationnelle. Il faudrait structurer un réseau judiciaire des outre-mer, comme il existe un réseau judiciaire européen, avec des points de contact officiels et identifiés.

La question de la délimitation des eaux territoriales reste aussi à clarifier, notamment dans la Caraïbe.

Cette démarche systématique doit pouvoir s'appuyer sur le réseau régional d'attachés de sécurité intérieure (ASI) et de magistrats de liaison.

Des ASI sont en poste de nombreux États voisins de nos territoires : à Madagascar, en Afrique du sud, aux Comores, au Brésil, à Sainte-Lucie, en Australie assurant une couverture satisfaisante. L'affectation d'un ASI en Tanzanie est à l'étude, du moins à titre temporaire, du fait de la crise migratoire mahoraise et du transit par la Tanzanie de la plupart des demandeurs d'asile.

En revanche, le réseau des magistrats de liaison est plus lacunaire92(*). Aucun magistrat de liaison n'est en poste dans la région océan Indien par exemple. Lors de la 1ère journée de la justice outre-mer organisée le 26 mars 2024, l'ambassadeur délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien, a relevé que le maillage des magistrats de liaison était moins bon dans cette région du monde. Il est indispensable de combler cette lacune pour étoffer la coopération judiciaire dans la région. En janvier 2024, les ambassadeurs de France à Madagascar, Maurice et aux Seychelles, ont adressé une demande d'affectation d'un magistrat de liaison compétent pour ces pays à la Délégation aux affaires européennes et internationale (DAEI) du Ministère de la justice. La demande est à l'étude.

Enfin, vos rapporteurs regrettent de ne pas avoir transmission d'éléments précis sur les conventions de réadmission en vigueur, ainsi qu'un bilan de leur mise en oeuvre.

Recommandation n° 24 : Faire de la coopération judiciaire et policière avec tous les États situés dans l'espace régional des outre-mer une priorité, notamment en concluant des conventions d'extradition, de transfèrement, de réadmission ou d'échanges d'informations, de délimitation des eaux territoriales et en renforçant le réseau des attachés de sécurité intérieure (ASI) et magistrats de liaison.

c) Faire du préfet un acteur de la diplomatie

En 2016, ont été créés les postes de conseiller diplomatique auprès des préfets de région (CDPR). Ces conseillers diplomatiques ont vocation à assurer le lien entre les territoires et le réseau à l'étranger, ainsi qu'à traiter l'ensemble des enjeux intéressant le ministère de l'Europe et des affaires étrangères ainsi que le ministère de l'Intérieur et des outre-mer : du développement international des territoires, notamment économique, à la coopération décentralisée ou transfrontalière, en passant par la circulation des personnes et à la lutte contre l'immigration irrégulière. Le ministère chargé des outre-mer a obtenu un renforcement progressif de ce réseau.

Sur 16 postes de CDPR en décembre 2024, cinq sont outre-mer dont deux à La Réunion et Mayotte, deux aux Antilles et un en Guyane. Toutefois, plusieurs n'ont été pourvus que très récemment.

Ce réseau reste timide et les postes difficilement pourvus.

À Saint-Martin, île binationale par excellence, le préfet n'est pas épaulé par un conseiller sur ces questions.

Bien que récente, la reconnaissance du préfet outre-mer comme acteur de la diplomatie française tend à se diffuser.

À La Réunion par exemple, un groupe de contact sur la sécurité avec Maurice se réunit régulièrement sous la co-présidence du préfet de La Réunion pour évoquer les questions d'intérêt partagé (sécurité intérieure, sécurité maritime, etc.). Après avoir été longtemps un pays de transit pour le trafic de drogue, Maurice est devenu également un lieu important de consommation. Le taux de consommation de drogue est l'un des plus élevés de la région. Les stupéfiants arrivent souvent par des « speed boats » en provenance de La Réunion.

Cette incarnation de la diplomatie au niveau régional par le préfet doit être développée.

Recommandation n° 25 : Reconnaître pleinement le rôle diplomatique des préfets en poste outre-mer, leur importance et leur rôle stratégique (postes d'observation, recueil d'informations, relations avec les responsables locaux et les représentations diplomatiques, production de notes et comptes rendus) et les doter d'au moins un conseiller diplomatique.

2. Rehausser le degré d'emploi des forces

La lutte contre l'orpaillage illégal (LCOI) est menée depuis plus de 20 ans par l'État, à travers l'engagement constant et croissant de l'armée et de la gendarmerie qui travaillent en parfaite intelligence.

Toutefois, les résultats demeurent insatisfaisants, l'orpaillage illégal étant simplement contenu. Son impact sur la biodiversité et la santé humaine (13 tonnes de mercure déversées chaque année dans les rivières guyanaises) reste dramatique et des tonnes d'or continuent d'échapper chaque année à l'économie guyanaise93(*). Enfin, des drames surviennent régulièrement comme le meurtre récent d'un gendarme du GIGN le 20 décembre 2023.

L'opération Harpie et ses limites démontrent notre incapacité à défendre l'intégrité d'une grande partie du territoire guyanais. Pour reprendre les mots du général Lionel Lavergne : « en Guyane, environ 8 000 garimpeiros venant du Brésil et disposant de mercure en provenance du Suriname, font passer l'or par le Suriname, avant de l'envoyer sur le marché parallèle de l'or à Dubaï ». Et ceci se passe tous les jours depuis 20 ans. La forêt guyanaise est devenue le terrain de jeu permanent d'une activité économique et criminelle illégale étrangère.

Antoine Poussier, préfet de la Guyane, dresse ce constat mitigé : « Nous avons le sentiment que les quantités d'or extraites sont en diminution, mais il est nécessaire d'appréhender ces chiffres avec précaution. Nous parlions jusqu'à présent de 10 tonnes d'or extraites illégalement chaque année. Nous sommes probablement descendus en dessous de 7 tonnes aujourd'hui. Selon l'estimation de la gendarmerie en 2023, la quantité serait supérieure à 5 tonnes ».

Pourtant, les moyens engagés sont très importants. La LCOI mobilise au moins 70 millions d'euros par an depuis 15 ans.

Pour Me Patrick Lingibé, « la Guyane, comme Mayotte, pose un problème de fond qui dépasse le cadre judiciaire. Il s'agit d'un problème de souveraineté. [...] Judiciairement, nous sommes aujourd'hui incapables d'apporter une réponse. Nous aurons beau modifier le code de procédure pénale, nous serons toujours limités matériellement. La juridiction ne pourra pas juger autant de personnes et la réponse pénale sera inadaptée, car jamais aucun établissement pénitentiaire ne pourra absorber autant de condamnations ».

L'impasse de la politique actuelle, malgré les efforts permanents d'amélioration, l'immensité des frontières guyanaises et le terrain très difficile de la jungle requièrent un changement de doctrine.

Pour Joël Sollier, procureur général près la cour d'appel de Cayenne, « aujourd'hui, l'armée intervient, mais dans un cadre stratégique qui n'est pas bon. Nous sommes considérés comme territoire national donc seule la gendarmerie peut théoriquement intervenir. La situation est ainsi paradoxale puisque ceux qui ont les moyens n'ont pas le droit d'intervenir et inversement. Pouvons-nous trouver des mécanismes sans changer la Constitution ? Existera-t-il des moyens pour permettre à l'armée de retrouver une plus grande plénitude de ses compétences tout en agissant sur le territoire national ? »

Une piste à explorer pourrait être l'activation de la Défense opérationnelle du territoire (DOT) prévue à l'article R. 1421-1 du code de la défense.

La DOT, en liaison avec les autres formes de la défense militaire et avec la défense civile, concourt au maintien de la liberté et de la continuité d'action du Gouvernement, ainsi qu'à la sauvegarde des organes essentiels à la défense de la nation.

Cet article dispose que « les autorités militaires auxquelles incombe son exécution ont pour mission :

...

2°En présence d'une menace extérieure reconnue par le conseil de défense et de sécurité nationale ou d'une agression, et dans les conditions prévues à l'article R. 1422-2, d'assurer au sol la couverture générale du territoire national et de s'opposer aux actions ennemies à l'intérieur de ce territoire ;

... »

Les article R. 1422-1 et suivants précisent les modalités de mise en oeuvre : « Sur la base des décisions prises en conseil de défense et de sécurité nationale, le Premier ministre ou, en cas de délégation, le ministre de la Défense établit les directives générales relatives à la préparation et à la mise en oeuvre des mesures de défense opérationnelle du territoire à prendre en cas de menace extérieure, d'agression ou d'invasion.

Le ministre de la Défense a la responsabilité de l'organisation, de la mise en condition et de la détermination des missions des forces prévues pour assurer la défense opérationnelle du territoire.

Chaque autre ministre intéressé, notamment le ministre de l'Intérieur et les ministres chargés des Finances et de l'outre-mer, définit, en fonction des instructions reçues, les moyens de son département à mettre en oeuvre ».

Conçue pendant la guerre froide, la doctrine de la DOT fait l'objet de nouvelles réflexions depuis quelques années à la faveur de l'évolution stratégique du monde.

Sa mise en oeuvre suppose un changement d'approche complet et de considérer l'orpaillage illégal, dans sa forme actuelle, comme une menace extérieure. La destruction et le pillage du territoire guyanais, l'ancienneté du phénomène, son ampleur, son caractère étranger et le niveau de violence associé permettent de qualifier l'orpaillage illégal de menace extérieure.

La création de zones de défense et de sécurité sur certaines parties du territoire guyanais autoriserait les forces armées à être primo-intervenantes, de manière autonome, pour réagir à cette menace et recourir à tous moyens de réplique nécessaires, sous réserve du principe de proportionnalité, et non plus de légitime défense au sens du code pénal. La montée en coercition pourrait aussi permettre des saisies-destructions immédiates, plus effectives que les saisies-confiscations judiciaires, en dépit de l'assouplissement procédural issu de la loi « égalité réelle outre-mer » de 201794(*).

Ces zones de défense et de sécurité ne retireraient pas à la gendarmerie sa mission judiciaire.

L'objectif est clairement de rehausser le degré d'emploi de la force pour rétablir une crédibilité et une dissuasion vis-à-vis des milliers de garimpeiros.

Recommandation n° 26 : Traiter l'orpaillage illégal comme une atteinte extérieure à la souveraineté territoriale française et, en conséquence, durcir l'emploi des forces armées en activant le dispositif de défense opérationnelle du territoire (DOT) prévue à l'article R. 1421-1 du code de la défense.

Ce durcissement de l'emploi des forces est aussi nécessaire dans la lutte contre la pêche illégale. Là encore, la Guyane est en première ligne face aux pêcheurs brésiliens ou surinamiens depuis des dizaines d'années. Les derniers rapports de l'Ifremer sont très inquiétants.

Selon le rapport sur la pêche illégale de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) et du comité régional des pêches et des élevages marins rendu public le 16 septembre 2024, le nombre des pêcheurs illégaux a doublé en 12 ans. Par ailleurs, « de 2019 à 2023, le nombre maximal annuel de navires hauturiers étrangers observés en action de pêche est de 6 caseyeurs guyaniens et 34 ligneurs vénézuéliens non licenciés, pour 45 ligneurs vénézuéliens avec licence. Les résultats sont probablement sous-estimés, car d'autres navires ont été observés dans la ZEE sans indication sur leur activité, jusqu'à 10 caseyeurs guyaniens et 84 ligneurs vénézuéliens non licenciés en 2022 ».

La filière de la pêche légale guyanaise est étouffée et la biodiversité s'effondre.

Pourtant, comme avec la LCOI, l'État a augmenté ses moyens de lutte contre la pêche illicite. Il y a donc une inadéquation entre les moyens investis et leur déploiement ou leur efficacité à endiguer cette pression écologique et socio-économique.

Un changement de doctrine est donc impératif. Outre un positionnement des moyens au plus près de nos frontières maritimes et une meilleure coopération régionale, la réplique doit être plus rapide, directe et impactante.

Antoine Poussier, préfet de la Guyane, a évoqué une évolution de la doctrine contre la pêche illégale : « Après la phase de pédagogie, nous sommes désormais en discussion avec l'autorité judiciaire puisque nous agissons sous le contrôle du juge des libertés et de la détention (JLD) pour la destruction des tapouilles. Nous souhaitons supprimer la condition de réitération dans la mesure où les pêcheurs brésiliens connaissent les risques de pêcher dans les eaux françaises. Nous pensons donc pouvoir amplifier notre action à destination des pêcheurs brésiliens. 

Pour le Suriname, il s'agit d'autres types de bateaux. Nous parlons plutôt de pirogues qui restent très près du littoral, mais là encore, nous sommes en train de nous déployer. Nos moyens ont été renforcés dans l'Ouest. En outre, lors de son déplacement, le président de la République nous a demandé d'avoir un site de destruction à l'Ouest ».

Vos rapporteurs ne peuvent que souscrire à cette évolution de la doctrine. Il est d'ailleurs incompréhensible qu'il ait fallu autant d'années et de dégâts à la filière pêche guyanaise, pour décider de détruire systématiquement les navires de pêches étrangers saisis dès la première infraction. La pêche illégale est un système organisé, massif, récurrent et exogène. Les atermoiements ne sont plus tolérés par nos compatriotes guyanais. La politique pénale doit évoluer rapidement pour supprimer la condition de réitération et procéder à des destructions automatiques et systématiques.

3. Restaurer la crédibilité du contrôle de nos frontières maritimes et terrestres outre-mer : la stratégie du bouclier

Géant aux pieds d'argile, l'espace maritime de la France appelle une consolidation rapide de sa protection et de sa préservation. Comme montré dans la première partie, les frontières outre-mer sont poreuses et celles-ci commencent en mer, dans notre espace maritime immense exposé à de multiples violations.

La faiblesse de la stratégie maritime de la France dans les outre-mer est pointée depuis de nombreuses années, les moyens engagés étant inversement proportionnels à son importance.

Le rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer de février 202295(*) dressait un bilan décevant de la stratégie maritime nationale et appelait notamment à replacer les « outre-mer au coeur de [cette stratégie], en crédibilisant notre souveraineté mise à mal sur ses zones économiques exclusives et en accompagnant la transition économique des outre-mer ».

Ce rapport formulait 17 recommandations pour consolider notre souveraineté maritime.

La loi de programmation militaire prévoit pour la période 2024-2030, 13 milliards d'euros pour les forces armées stationnées dans les outre-mer, l'effort devant porter sur la modernisation des équipements, le durcissement de capacités ciblées en adéquation avec le contexte stratégique local, ainsi que sur le renforcement des points d'appui, essentiellement au moyen de la consolidation des structures portuaires et aéroportuaires.

Les frontières terrestres en Guyane sont aussi perméables que notre espace maritime.

Les bons résultats de la surveillance de l'espace maritime des TAAF

Florence Jeanblanc-Risler, préfète, administratrice des TAAF, se félicite d'une forte baisse des pêches illicite, non déclarée et non réglementée (INN) dans les eaux australes sous souveraineté française depuis les années 2000 (le dernier arraisonnement d'un navire non autorisé à pêcher la légine remonte à 2013). Ce constat est partagé par les forces armées dans la zone-sud de l'océan Indien (Fazsoi). Le renforcement de la présence en mer (les navires de pêche autorisés participent au dispositif en plus des navires des TAAF et des Fazsoi), la surveillance satellitaire et la coopération avec les autres marines de la région ont permis ces résultats. Dans le cadre de France 2030, des projets innovants ont été retenus pour concevoir d'autres technologies de détection des navires à partir des radiofréquences.

La pêche illégale demeure plus importante dans les îles Éparses, notamment du fait de pêcheurs comoriens dans les Glorieuses ou de la pêche du concombre de mer à Bassas da India. Beaucoup de navires asiatiques se livrent à la pêche INN.

Ces moyens français se déploient de plus en plus dans un cadre régional. En particulier, la Commission de l'océan Indien (COI) a mis en oeuvre deux programmes sur financement européen et de la Banque mondiale :

- les programmes SWIOFISH 1 et 2 pour améliorer la gouvernance des pêches dans le sud-ouest de l'océan Indien (11 millions d'euros au total) ;

- le programme ECOFISH dont les objectifs sont de promouvoir la gestion durable des pêches dans les îles de l'océan Indien (pêche maritime) mais aussi en Afrique orientale et australe (pêche continentale), d'appuyer le plan régional de surveillance des pêches (PRSP) pour lutter contre la pêche INN. Au titre du PRSP, plusieurs missions de surveillance dans la zone australe des TAAF sont financées grâce à ce programme, en particulier les missions du navire Osiris II. Ce programme a bénéficié à la fois de fonds NDICI et Feder/Interreg, dont 11,7 millions d'euros pour la partie gérée par la COI.

Les résultats rejoignent l'appréciation des autorités françaises. Les dernières missions régionales de surveillance des pêches en mer ont montré que la quasi-totalité des bateaux opérant dans la région respectent désormais la réglementation, quand en 2007, lors des premières patrouilles régionales, 25 % des navires inspectés étaient en infraction.

Cette politique régionale, avec de nets résultats, a vocation à s'étendre. Dans le cadre de l'IORA, la France a pris l'initiative avec l'Indonésie d'engager des travaux pour élaborer une directive commune aux 23 pays de l'IORA contre la pêche illégale. Un premier atelier s'est tenu à Djakarta et un deuxième a eu lieu à La Réunion en mai 2024, dans l'optique d'une adoption de la directive par la ministérielle de l'IORA en octobre 2024. Ainsi, tous les pays de la zone se fixeront des objectifs ambitieux et rappelleront les règles applicables.

Pour restaurer la crédibilité de nos frontières, outre une indispensable coopération régionale et un travail de renseignement (voir supra), plusieurs actions majeures doivent être conduites.

La première est l'adoption d'un plan à cinq ans de modernisation des moyens techniques de contrôle des frontières.

À Mayotte ou dans les Antilles, la couverture radar est indigente quand elle fonctionne. La France outre-mer est aveugle. En Martinique, de nouveaux radars devraient être opérationnels en 2025 pour surveiller les détroits face à la Dominique et Sainte-Lucie. En Guadeloupe et dans les îles du Nord, ils sont espérés. Quant à Mayotte, comme vu supra, un plan de modernisation était en cours d'arbitrage budgétaire.

La surveillance aérienne est par ailleurs intermittente et repose encore largement sur des avions de surveillance, dont l'emploi est soumis à de fortes contraintes opérationnelles. Leur disponibilité est intermittente, comme le souligne le contre-amiral Nicolas Lambropoulos (voir supra).

Les moyens d'intervention en mer sont aussi très inégaux. La loi de programmation militaire, si elle est respectée, devrait rétablir une capacité d'intervention. Toutefois, à côté de ces moyens lourds bâtis pour la haute mer, la priorité est à des moyens plus légers, rapides et nombreux, notamment dans la zone littorale ou relativement proche des côtes.

De nouvelles technologies émergent et l'État outre-mer en demeure dépourvu. Les drones aériens et demain maritimes sont absents de la palette d'outils à disposition de nos forces armées et de sécurité intérieure. Il faut investir dans des systèmes de drones à long rayon d'action qui sont beaucoup plus efficaces comme l'ont montré les Américains. À côté des radars, d'autres technologies à partir des ondes électroacoustiques se développent. Dans les TAAF, des expérimentations à partir des radiofréquences sont en cours.

Un plan à 5 ans d'investissement permettrait le déploiement, sur chaque territoire, de systèmes globaux de surveillance à jour des dernières techniques combinés à des moyens d'intervention modernisés96(*).

Outre la surveillance de l'espace maritime, ce plan devrait intégrer le contrôle des ports et des aéroports. La modernisation de la sûreté des ports ultramarins, en particulier ceux des Antilles-Guyane, est une autre priorité. L'acquisition de scanners pour les conteneurs, le contrôle de tous les bagages, la sécurisation des accès et la surveillance des abords des installations sont urgents et impératifs. Elle doit être un préalable à l'accroissement annoncé du trafic maritime, en particulier en Guadeloupe et en Martinique où des projets ambitieux, économiquement bénéfiques, doivent voir le jour pour faire de ces îles des hub régionaux. À défaut, la déferlante du narcotrafic ne fera qu'empirer.

Recommandation n° 27 : Arrêter un plan à 5 ans de modernisation des moyens techniques de contrôle des frontières maritimes de chaque territoire ultramarin, incluant le déploiement de drones aériens et maritimes, vecteurs nautiques et héliportés d'intervention, radars, surveillance aérienne, scanners fixes et mobiles à ondes millimétriques, intégration de solutions IA, moyens optroniques...

Recommandation n° 28 : Avec les autorités en charge de la gestion des ports ultramarins, repenser entièrement les infrastructures portuaires ultramarines en matière de sûreté (badge, vidéoprotection, sécurisation des plateformes, sûreté, analyse IA, scanners de conteurs...) préalablement à l'augmentation des capacités portuaires et du trafic de marchandises.

Modernisation des moyens techniques, mais aussi adaptation de l'organisation des forces en charge du contrôle des frontières.

Le sentiment de la délégation reste celui d'un relatif éclatement des missions de contrôle et de surveillance des espaces maritimes et des frontières. Douanes, gendarmerie, police aux frontières, affaires maritimes et forces armées conjuguent leur action, mais sans un pilotage au plus près. Certes, le contexte ultramarin pousse en pratique ses acteurs à travailler plus étroitement ensemble - l'« équipe France » - que dans l'Hexagone.

Pour autant, des marges de progrès existent.

En Hexagone, le Gouvernement a annoncé fin 2024 la généralisation à l'ensemble des frontières terrestres du territoire de la « border force » ou « force frontière ». Cette unité expérimentale, lancée en juin 2023 dans les Hautes-Alpes et les Alpes-Maritimes, rassemble 270 policiers, gendarmes, douaniers et militaires de Sentinelle au sein d'une même structure sous l'autorité du préfet. Cette « force frontière » est pilotée par un état-major opérationnel des frontières, l'EMOF, placé sous l'autorité de la direction nationale de la police aux frontières (DNPAF).

Une circulaire du ministre de l'Intérieur datée du 25 novembre 2024 relative au renforcement du pilotage de la surveillance des frontières et des flux migratoires vient préciser le rôle de l'EMOF : « l'état-major opérationnel des frontières, adossé à la direction nationale de la police aux frontières, permet de disposer d'une vision consolidée de la situation aux frontières et des moyens qui y sont affectés. La « force frontière », qui repose sur l'EMOF et le concours de l'ensemble des forces dans les départements et les zones de défense, sera confortée. »

Les préfets de zone ont la charge de s'assurer de la bonne organisation des forces en mettant en place, à leur niveau, une instance de coordination et de pilotage. Des plans zonaux doivent être préparés.

Dans les outre-mer, la création de « force frontière » paraît encore plus pertinente et urgente. Elle devra articuler la dimension maritime, fondamentale outre-mer mais moins prégnante dans le contexte hexagonal. On rappellera que l'action de l'État en mer est organisée différemment dans l'Hexagone et dans les outre-mer : dans le premier cas, des préfets maritimes distincts des préfets de zone ou de région en ont la responsabilité, dans le second le préfet de zone a aussi la charge de l'action de l'État en mer.

À cet égard, la création systématique de préfectures maritimes dans les outre-mer, sur le modèle de l'organisation hexagonale, ne paraît pas offrir une plus-value suffisante pour prendre le risque de désorganiser le système actuel qui confie la responsabilité de l'action en mer au préfet. Une réflexion pourrait néanmoins être poussée pour la zone Antilles.

Comme le relève le contre-amiral Nicolas Lambropoulos, commandant supérieur des forces armées aux Antilles (Comsup FAA), « un préfet, même s'il a des fonctions de préfet de zone, est avant tout préoccupé par son territoire, par la sécurité de la Martinique, plus que par la sécurité de la Guadeloupe ou de Saint-Martin. Un préfet maritime pourrait s'affranchir de cette préoccupation. C'est un reproche qu'on nous fait souvent, d'être martiniquo centré. Je trouve que c'est une organisation qui fonctionne et qui aurait du sens ici. Par exemple, je ne commande pas les services de l'État qui oeuvrent en mer, je ne dirige ni le service de garde-côtes des douanes, ni les brigades nautiques de la gendarmerie, ni les affaires maritimes. Je ne les note pas, je ne les évalue pas, je tente de les coordonner. Il est certain qu'un préfet maritime n'a pas la même autorité que moi, qu'il n'a pas le même pouvoir pour inciter les uns et les autres à aller dans le sens qu'il souhaite. Par conséquent, une préfecture maritime pour un territoire qui a plusieurs préfectures, morcelé, insulaire, aurait du sens ».

Recommandation n° 29 : Mettre en place dans chaque territoire une « force aux frontières » ou « border force », coordonnant sous l'autorité du préfet (police, gendarmerie, douanes, armées, affaires maritimes) les opérations de contrôle frontalier terrestre et maritime.

4. Contrer les ingérences étrangères

Les outre-mer sont des cibles privilégiées pour les ingérences étrangères et les tentatives de déstabilisation. Face à cette menace croissante, la délégation fait sienne l'ensemble des constats et recommandations du rapport de la commission d'enquête du Sénat sur les politiques publiques face aux opérations d'influences étrangères, adopté en juillet 202497(*).

Le rapport Viginum de décembre 2024

Dans un rapport publié le 2 décembre 2024, le service chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum) revient sur la diffusion massive de propagande anti-française dans les collectivités ultramarines françaises et la Corse par l'organisation azéri Baku Initiative Group (BIG).

Le rapport Viginum 2024 démontre que le BIG, et donc l'Azerbaïdjan, par le biais d'une campagne numérique de manipulation de l'information cherche à « remettre en cause l'intégrité territoriale de la France dans ses territoires ultramarins, en instrumentalisant notamment les mouvements et idées Indépendantistes ».

Une vaine entreprise, conclut le rapport, puisque le BIG ne touche qu'une audience limitée et n'atteint pas l'effet escompté.

https://www.sgdsn.gouv.fr/files/files/Publications/20241202_NP_SGDSN_VIGINUM_RAPPORT-BIG.pdf

Dans le contexte particulier des outre-mer, la délégation souhaite insister sur l'importance de rendre publiques les ingérences et de contrecarrer les attaques contre l'action de l'État en mettant mieux en valeur les politiques conduites et les moyens déployés. La large diffusion du récent rapport de Viginum à propos des ingérences de l'Azerbaïdjan est à louer.

En Polynésie française, le Haut-commissariat diffuse ainsi depuis quelque temps des supports présentant les différents soutiens apportés à toutes les politiques publiques conduites sur ce territoire, y compris celles relevant des compétences des communes ou du Pays en vertu des dispositions statutaires.

Recommandation n° 30 : Pour lutter contre les opérations d'influences étrangères outre-mer :

- Surveiller et rendre publiques les ingérences étrangères qui se développent en vue d'attiser un sentiment anti-français, notamment par le biais des rapports Viginum (SGDSN) ;

- Communiquer davantage sur l'effort financier de l'État dans les différents territoires (sécurité, éducation, justice, protection...) ;

- Mettre en oeuvre dans les outre-mer, les recommandations du rapport de la commission d'enquête du Sénat de juillet 2024.

C. ADAPTER L'ETAT LOCAL POUR ACCOMPAGNER LE CHOC RÉGALIEN

Le renforcement de l'action des forces de sécurité intérieure et de la justice et le changement de posture appelé de nos voeux sont les deux clefs de la réussite du choc régalien.

Cette stratégie doit néanmoins être accompagnée, d'une part, par la clarification de l'organisation de l'État autour d'un préfet consolidé dans ses missions et sa capacité d'initiative et, d'autre part, une gestion sur-mesure des ressources humaines.

1. Restaurer la centralité de l'État autour du préfet

Si l'image et l'autorité du représentant de l'État dans les outre-mer demeurent plus forte que dans l'Hexagone, pour des raisons historiques, administratives et géographiques, sa capacité réelle d'initiative et de supervision de l'action de l'État s'est érodée.

a) Renforcer l'autorité et l'autonomie d'action du représentant de l'État
(1) Accroître la liberté de déroger et d'adapter du préfet dans les outre-mer

À la suite d'une expérimentation démarrée en 2017, les préfets disposent d'un pouvoir de dérogation, encadré par le décret du 8 avril 202098(*). Les conditions d'exercice sont strictement identiques outre-mer et dans l'Hexagone. Le préfet de région ou de département peut déroger à des normes arrêtées par l'administration de l'État pour prendre des décisions non réglementaires relevant de sa compétence dans un nombre limité de matière. Ce pouvoir ne permet donc que de déroger à des dispositions de nature réglementaire - à l'exclusion donc de la loi et des normes internationales ou européennes - pour les décisions individuelles prises en considération de situations particulières.

Le bilan du recours à cette faculté par les représentants de l'État est timide partout. Le rapport de l'Inspection générale de l'administration (IGA) de mai 2024 dresse un constat très mitigé, le nombre moyen d'arrêtés de dérogation s'établissant à 1,5 arrêté par an et par département, étant précisé que la majorité concerne des dossiers de subventions.

Ce constat est encore plus défavorable outre-mer, alors même que les besoins d'adaptation dans les territoires ultramarins devraient a priori en faire le champ privilégié.

La saisine pour avis des administrations centrales par les préfets sur des projets de dérogation est un premier indicateur. Selon les données transmises par la DGOM, de juin 2020 à décembre 2023, 21 saisines sur 770 comptabilisées ont concerné les outre-mer, soit moins de 3% des saisines, principalement sur des sujets d'aménagement.

Sur les 21 saisines, 6 concernaient Mayotte, 5 La Réunion, 3 la Guadeloupe, 3 la Guyane, 2 la Martinique et 2 Saint-Martin et Saint-Barthélemy. 3 saisines ont donné lieu à un avis défavorable de l'administration centrale du fait qu'elles ne remplissaient pas les critères de la procédure.

9 arrêtés de dérogation signés ont été transmis, soit 2 % de l'ensemble des 429 arrêtés signés.

Ces chiffres, bien qu'incomplets99(*), traduisent le faible usage du droit de déroger en outre-mer.

Parmi les raisons de cet échec qui n'est pas propre aux territoires ultramarins, le rapport précité de l'IGA invoque plusieurs raisons :

- un nombre de matières restreint ;

- des dérogations limitées aux décisions individuelles ;

- un positionnement écartelé entre, d'une part, la recherche de l'intérêt général et l'efficacité de l'action publique et, d'autre part, la charge du strict respect des lois ;

- des services qui ont des difficultés à s'acculturer à cet outil innovant et complexe ;

- la crainte d'une mise en cause de la responsabilité du préfet...

La DGOM avance d'autres raisons. La retenue dont font preuve les préfets dans l'usage de leur pouvoir de dérogation s'expliquerait principalement par le fait que les points juridiques bloquant dans les territoires relèvent le plus souvent de champs non compris dans le périmètre actuel du droit de dérogation, à savoir du droit européen, des normes législatives ou des normes locales édictées par les collectivités ultramarines.

Par ailleurs, aucun contentieux contre une décision préfectorale de dérogation n'ayant été introduite à ce jour, ni contre les décisions de dérogation prises par des directeurs généraux des ARS, la crainte d'une mise en cause de la responsabilité juridique des préfets ne paraît pas être un des facteurs bloquant à ce stade.

Ce bilan mitigé du droit de dérogation des préfets - hexagonaux ou ultramarins - fait l'objet de discussions interministérielles en cours en vue de son élargissement.

Une première simplification de la procédure a d'ores et déjà été mise en oeuvre par la circulaire du Premier ministre du 28 octobre 2024. Les préfets peuvent dorénavant mettre en oeuvre leur pouvoir de dérogation sans information préalable du préfet de région et de l'administration centrale100(*).

Pour donner plus d'effectivité au droit de déroger dans les outre-mer, deux options non exclusives se dessinent.

La première consisterait à aménager le décret actuel, quitte à réserver les novations aux seuls outre-mer. Les représentants de l'État outre-mer se verraient ainsi reconnaître des facultés élargies de dérogation fondées sur l'article 73 de la Constitution qui doit permettre d'aller plus loin.

Tout d'abord, la liste limitative des domaines de politiques publiques auxquelles le préfet peut déroger serait supprimée. Cette liste est actuellement fixée à l'article 1er du décret du 8 avril 2020.

Ensuite, il pourrait être envisagé d'ouvrir les dérogations à certains actes réglementaires, pas seulement à des décisions individuelles. Dans un premier temps, le champ de ces dérogations d'ordre réglementaire pourrait être limité aux aspects procéduraux ou à la définition de certains seuils d'applicabilité. À titre d'exemple, on rappellera que la plupart des arrêtés portant dérogation pris au titre du décret du 8 avril 2020 l'ont été sur des questions intéressant des procédures de demandes de subvention. Afin d'éviter aux représentants de l'État de multiplier les décisions individuelles identiques dérogeant à des dispositions similaires, une mesure d'ordre général suffirait.

Ce pouvoir réglementaire limitée serait soumis à la transmission préalable obligatoire au Premier ministre ou au ministre en charge. En l'absence d'opposition dans un certain délai, l'acte préfectoral de portée réglementaire serait publié.

Une seconde option consisterait à insérer plus régulièrement dans les textes de loi ou réglementaires une disposition permettant au représentant de l'État outre-mer de déroger.

Le rapport de l'IGA-IGF de mai 2024 précité a recensé plusieurs dizaines d'occurrences de tels dispositifs juridiques, qui ne sont pas propres aux outre-mer dans leur grande majorité101(*).

À titre d'exemple, l'article L. 121-5-1 du code de l'urbanisme dispose que dans les zones non interconnectées au réseau électrique métropolitain continental dont la largeur est inférieure à dix kilomètres au maximum, les ouvrages nécessaires à la production d'électricité à partir d'énergies renouvelables peuvent être autorisés par dérogation à la loi Littoral, après accord du représentant de l'État dans la région.

On rappellera aussi que dans certains domaines, les représentants de l'État outre-mer, dans des conditions étroitement encadrées par la loi et les règlements, exercent des compétences spécifiques :

- fixation du tarif des carburants, du gaz domestique, du ciment ;

- fixation du tarif des taxis ;

- fixation du prix des fermages des baux ruraux ;

- action de l'État en mer en l'absence de préfet maritime.

Pour mieux prendre en compte les caractéristiques et contraintes de ces territoires, les dispositions outre-mer des textes législatifs et réglementaires devrait prévoir plus systématiquement des facultés de déroger pour les préfets.

Recommandation n° 31 : En application de l'article 73 de la Constitution, accroître la liberté de déroger des préfets dans les outre-mer :

- en modifiant le décret du 8 avril 2020 pour étendre cette liberté à tous les domaines, à l'exception de ceux intéressant les libertés publiques et la sécurité, et à certains actes de nature réglementaire sous le contrôle du Premier ministre ou du ministre responsable ;

- en prévoyant plus fréquemment dans les textes de loi ou réglementaire une disposition permettant au représentant de l'État outre-mer de déroger à la norme dans certaines conditions.

(2) Reconcentrer les administrations sous l'autorité du préfet

En juillet 2020, le groupe de travail du Sénat sur la décentralisation a adopté « 50 propositions pour le plein exercice des libertés locales »102(*), en plaidant notamment pour un État plus déconcentré et une autorité renforcée du préfet.

Les propositions n° 33 et 34 notamment préconisaient que, d'une part, en cas de crise, l'État territorial soit placé sous l'autorité du préfet dans toutes ses composantes pour toutes les actions publiques relevant de cette crise et que, d'autre part, de manière pérenne, le département redevienne l'échelon pivot de l'action de l'État au plan local, en transférant notamment au préfet de département les décisions instruites par les agences et les services de l'État au niveau régional.

La proposition n° 33 a reçu une traduction législative à l'article 27 de la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur. Ces dispositions ont été codifiées à l'article L.742-2-1 du code de la sécurité intérieure.

Ce dispositif, tirant notamment les enseignements de la gestion de la crise Covid dans les territoires, est destiné à accélérer et perfectionner la gestion des crises graves : pour une période limitée, l'action de l'ensemble des services et des établissements publics de l'État ayant un champ d'action territorial est placée pour emploi sous l'autorité du représentant de l'État dans le département. Cette disposition ne peut excéder un mois, renouvelable une fois. Elle ne s'étend aux services de la justice.

Applicable en France entière, ce dispositif n'a été déclenché jusqu'à présent que deux fois :

- À Mayotte en 2023, dans le cadre de la gestion de la crise de l'eau après une sécheresse historique. Le préfet avait alors autorité sur les services du rectorat, de l'Agence régionale de Santé et de l'Office français de la biodiversité, pour les besoins de cette crise ;

- Le 17 décembre 2024, toujours à Mayotte, à la suite du passage dévastateur du cyclone Chido.

Bien que de nature différente, l'état de calamité naturelle exceptionnelle prévu par l'article 239 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration (dite loi 3DS) témoigne de la nécessité croissante, pour gérer les situations de crise lesquelles tendent à s'accélérer outre-mer, de sortir des schémas de gouvernance habituels.

L'article 239 de la loi 3 DS a été activé pour la première fois le 19 décembre 2024 à la suite du passage du cyclone Chido.

S'agissant de la proposition n° 34 du groupe de travail sur la décentralisation - faire en sorte que le département redevienne l'échelon pivot de l'action de l'État au plan local, en transférant notamment au préfet de département les décisions instruites par les agences et les services de l'État au niveau régional -, elle ne s'est pas encore traduite dans les faits, ni dans l'Hexagone, ni outre-mer.

Au contraire, l'agencification de l'État s'est renforcée, malgré les critiques des élus et acteurs de la société civile. Elle est particulièrement préjudiciable dans les outre-mer, car elle ajoute de la complexité et disperse les moyens dans des territoires manquant souvent d'ingénierie et en phase de rattrapage des politiques publiques.

Dans cet esprit, vos rapporteurs ne peuvent qu'appeler à la mise en oeuvre urgente et prioritaire d'une reconcentration de l'État outre-mer en plaçant a minima les délégations territoriales des agences et offices pour emploi auprès du préfet103(*). L'isolement des outre-mer et les libertés offertes par l'article 73 de la Constitution le justifient plus encore qu'ailleurs.

À cet égard, il est regrettable que la réforme de l'organisation des services de l'État en Guyane, entrée en vigueur le 1er janvier 2020, n'ait pas encore fait l'objet d'une évaluation réelle. Selon les informations communiquées par la préfecture de Guyane, un bilan d'étape devrait avoir lieu en 2025.

Ce retard est d'autant plus dommageable que cette réorganisation ambitieuse a été précisément conçue pour renforcer l'autorité du préfet et le fonctionnement interministériel des services de l'État sous son autorité et pour mutualiser les fonctions supports, y compris celle relevant des finances publiques et du rectorat.

L'importance de cette réforme en Guyane a d'ailleurs été soulignée en creux par le Premier ministre. En effet, dans sa courte annexe 7 relative au rôle du représentant de l'État, après avoir rappelé en deux brefs alinéas généraux l'autorité du préfet sur les services de l'État outre-mer104(*), la circulaire n° 6456-SG du 10 juillet 2024 relative à la coordination de l'action du Gouvernement dans les outre-mer décrit, sans transition, la réforme de l'organisation des services de l'État en Guyane en vigueur depuis 2020. Toutefois, aucune conséquence ou conclusion n'en est tirée (expérimentation, extension, ajustement, évaluation...). Comme souvent, prédomine le sentiment d'un mouvement de réforme amorcé ou resté au milieu du gué.

La réforme de l'organisation des services de l'État en Guyane

Le décret n° 2019-894 du 28 août 2019 relatif à l'organisation et aux missions des services de l'État en Guyane est entrée en vigueur le 1er janvier 2020.

Cette nouvelle organisation accorde au préfet des pouvoirs élargis et lui donne la main sur les crédits d'intervention ministériels. Cette réorganisation a été conçue pour mieux répondre aux principaux enjeux du territoire, en particulier la sécurité, la lutte contre les fraudes, contre l'immigration clandestine, le développement économique, la mission foncière ou encore la coopération avec le Suriname et le Brésil.

Le décret doit renforcer l'interministérialité au sein des services territoriaux de l'État. Ces services sont désormais regroupés en cinq directions régionales, dont l'une qui mutualise les fonctions support.

La direction générale des sécurités, de la réglementation et des contrôles est chargée des questions de sécurité, de la coordination des contrôles, de la police administrative, de la délivrance des titres et intègre l'état-major « Harpie 2 » (lutte contre l'orpaillage illégal).

La direction générale de la coordination et de l'animation territoriale assure la coordination des politiques publiques et les relations avec les collectivités territoriales.

Deux directions générales « métiers » regroupent les anciens services déconcentrés (la direction générale des territoires et de la mer105(*) et la direction générale des populations106(*)).

Enfin, la direction générale des moyens et ressources de l'État mutualise les fonctions support. Cette mutualisation concerne à la fois les services déconcentrés de l'État placés sous l'autorité du préfet et ceux de la direction des finances publiques, du rectorat et, sur une base conventionnelle, de l'agence de santé de Guyane.

L'article 3 du décret susvisé dispose en effet que « la direction générale de l'administration est un service déconcentré de l'État relevant du ministre de l'intérieur.

II.-Sous l'autorité du préfet et sous réserve des compétences attribuées à d'autres services ou établissements publics de l'État, elle est chargée :

1° D'assurer la gestion des fonctions et moyens mutualisés des services de l'État placés sous l'autorité du préfet dans les domaines de la formation, des ressources humaines, de la médecine de prévention, de l'action sociale interministérielle, de l'immobilier de l'État, des achats publics et des systèmes d'information et de communication ;

« 2° D'assurer la gestion relevant des fonctions budgétaires, des achats publics, de la logistique et de l'immobilier de la direction des finances publiques et du rectorat, et des moyens y afférents ; [...]

« 4° D'apporter un soutien à tout autre service déconcentré de l'État ou établissement public de l'État. [...] »

À terme, l'ensemble des services de l'État doivent être regroupés sur un nombre limité de sites (19 actuellement). Les travaux annoncés ont toutefois pris beaucoup de retard.

Vos rapporteurs ne peuvent donc que plaider pour une rapide évaluation de cette réforme, avant d'envisager son extension aux autres DROM.

Recommandation n° 32 : Expérimenter une déconcentration renforcée des services de l'État outre-mer, autour du préfet, réduire le nombre d'opérateurs par un redéploiement des ETP dans les services déconcentrés et évaluer prioritairement la réforme de l'organisation des services de l'État en Guyane en vue de sa possible généralisation aux autres territoires ultramarins.

Cette reconcentration de l'État outre-mer devrait s'accompagner d'une plus grande liberté dans la gestion des moyens budgétaires à la disposition des préfets. C'est indispensable pour initier des opérations innovantes adaptées aux réalités territoriales des politiques publiques. A cet égard, la circulaire du 10 juillet 2024 précitée rappelle que dans le cadre de la réforme de l'organisation des services de l'État en Guyane, « les crédits d'intervention des différents ministères mobilisés pour la Guyane dans le cadre du contrat de convergence et de transformation sont réunis dans une enveloppe unique, à l'image de ce qui existe pour le soutien de l'État à la Corse ».

Recommandation n° 33 : Laisser à la main des préfets des moyens budgétaires plus importants pour financer des opérations innovantes et adapter les politiques publiques aux réalités territoriales.

b) Un État local plus proche

Pour lutter contre l'insécurité outre-mer, une implantation territoriale forte des forces de sécurité est une exigence (voir II.A). Il en va de même pour l'ensemble des services publics, en particulier ceux de l'État et des services préfectoraux.

Au cours des dernières années, l'État a adapté ou adapte son implantation :

- création en 2023 d'une sous-préfecture à Saint-Georges-de-l'Oyapock ;

- annonce de la création d'une préfecture de plein exercice pour Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

La création d'une préfecture de plein exercice de Saint-Martin et Saint-Barthélemy

À ce jour, les territoires de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy dépendent d'une sous-préfecture, dirigée par un préfet délégué placé sous l'autorité du préfet de Guadeloupe. Le chef-lieu de la sous-préfecture est à Saint-Martin.

Le 24 juillet 2023, lors de la présentation des 72 mesures du Comité Interministériel des Outre-mer (CIOM), la création d'une préfecture de plein exercice compétente pour les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy a été annoncée.

Cette annonce tire les conséquences des enjeux de développement de ces deux territoires ultramarins et de leur nécessité d'autonomisation. En effet, les deux îles se situent à près de 200km de la Guadeloupe. De plus, Saint-Martin et Saint-Barthélemy ont acquis en février 2007 le statut de collectivités d'outre-mer dotées de l'autonomie qui les détache du régime administratif du département de la Guadeloupe. Enfin, l'île de Saint-Martin est un cas particulier puisqu'elle est binationale, une partie française (Saint-Martin) et une autre partie néerlandaise (Sint Maarten), et qui donc nécessite une gestion spécifique.

Ce processus de détachement des services de l'État de la tutelle guadeloupéenne est engagé depuis plusieurs années. La compagnie de gendarmerie de Saint-Martin et Saint-Barthélemy s'est affranchie de la Guadeloupe avec la création d'un commandement de gendarmerie propre aux deux territoires : le colonel Maxime Wintzer a pris ses fonctions de commandant le 13 janvier 2024. Cette émancipation implique que les décisions seront désormais prises sur place - sauf pour les enquêtes judiciaires qui demeurent sous l'autorité d'un juge d'instruction basé en Guadeloupe. Il existe également un tribunal de proximité à Saint-Martin qui dépend de la cour d'appel de Basse-Terre et bénéficie de compétences aménagées pour assurer le lien des locaux avec la justice. Saint-Martin dispose aussi d'un vice-rectorat affilié à l'académie de Guadeloupe, pour tenir compte des spécificités des îles du Nord. Enfin, suite au passage destructeur de l'ouragan Irma, les deux territoires ont connu une réorganisation des services avec notamment la création en 2018 de l'Unité territoriale de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin (UTSBSM) rattachée à la Direction de l'Environnement de l'Aménagement et du Logement (DEAL) Guadeloupe. L'UTSBSM participe ainsi à la mise en oeuvre des politiques publiques, tout en bénéficiant de compétences techniques spécialisées pour suivre localement les différents dossiers.

La création d'une préfecture de plein exercice est une étape supplémentaire. La nomination d'un préfet de plein exercice compétent pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy va considérablement impacter le traitement des procédures. En s'adressant directement à Paris sans se référer à la Guadeloupe, le préfet gagne en autonomie et en autorité : cela permettra une instruction plus rapide et plus efficace des dossiers des deux îles.

Cependant, certaines administrations demeureront rattachées à la Guadeloupe. C'est notamment le cas de l'agence régionale de santé ou de la direction régionale des finances publiques.

En parallèle, le projet de création d'une cité administrative et judiciaire (CITAJ) est en cours. 25% du gros oeuvre a été réalisé et les travaux devraient se terminer fin 2025.

Malgré la contrainte budgétaire, le projet de préfecture de plein exercice a été confirmé. Elle est désormais effective depuis la parution du décret n° 2025-38 du 9 janvier 2025 portant mesures nécessaires à la désignation d'un représentant de l'État dans les collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.

Les maisons France Services ont aussi obtenu de bons résultats outre-mer, à la hauteur de celui rencontré dans l'Hexagone. Ce succès est d'ailleurs dû à la démarche partenariale forte des collectivités, autant que de l'État ou des autres partenaires comme La Poste.

Martine de Boisdeffre, présidente de la section du rapport et des études du Conseil d'État, a indiqué que sur un total de 2 500 labellisations France Services sur le territoire national, 112 l'avaient été dans les DROM et à Saint Martin. 99 % des Français se trouvent ainsi à moins de trente minutes d'une maison France services et 90 % à moins de vingt minutes.

Au 1er janvier 2025, on recense ainsi 32 structures France services en Guadeloupe, 23 en Guyane, 31 à La Réunion, 19 en Martinique, 14 à Mayotte et 3 à Saint-Martin. Plusieurs de ces structures sont itinérantes conformément à la logique du « aller vers » qui prévaut désormais.

Ce mouvement d'adaptations doit se poursuivre. À Mayotte, dans le cadre de la reconstruction, une réflexion devra être engagée sur la répartition géographique des moyens de l'État sur le territoire, compte tenu en particulier des difficultés de transport sur le territoire (route unique saturée sur Grande-Terre, contrainte du transport maritime entre Petite-Terre et Grande-Terre...).

L'enjeu de proximité pour l'État, c'est aussi celui de la langue.

Si le français est la langue de la République, ce principe se heurte à la réalité d'une mauvaise maîtrise de la langue française par une proportion importante, voire croissante, des populations ultramarines.

En outre-mer, la population illettrée est 3 fois plus élevée que dans l'Hexagone. Les chiffres 2020 puis 2023 du test d'illettrisme de la Journée Défense et Citoyenneté (JDC) à laquelle doivent participer tous les jeunes de 16 à 18 ans sont alarmants :

Source : Ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance

Outre l'illettrisme, l'immigration importante, voire massive, dans certains territoires, met à mal la prévalence du français.

Le proviseur du lycée du Mamoudzou a confié à vos rapporteurs que dans la cour de récréation, le français avait pratiquement disparu, ce qui n'était pas le cas il y a encore dix ans. À Mayotte, plus de 50% de la population est étrangère.

Enfin, les langues locales ou régionales ont une forte prévalence outre-mer et sont des langues vivantes, utilisées au quotidien, souvent maternelles, loin du folklore. À Saint-Martin, la population est largement anglophone. En Guyane, les peuples amérindiens préservent leur culture. Philippe Dulbecco, recteur de l'académie de la Guyane, souligne que dans les communes de l'intérieur, 80 % des élèves qui rentrent à l'école n'ont pas le français pour langue maternelle. Le créole, avec ses multiples variations et influences, restent très vivants aux Antilles, en Guyane ou à La Réunion.

L'éducation nationale évolue aussi et promeut de plus en plus l'enseignement bilingue. En Martinique, la rectrice Nathalie Pons a souligné l'évolution des politiques académiques sur ces aspects107(*).

Sans abandonner naturellement le principe que le français est la langue de la République, la communication de l'État doit s'adapter à cette réalité. Cela suppose notamment de bien dimensionner les services de communication des préfectures et services de l'État pour adapter et multiplier les supports à destination des différents publics.

En matière sanitaire, de sensibilisation à la lutte vectorielle, de prévention des violences intrafamiliales, d'accès au droit, l'État doit impérativement communiquer dans les langues locales, maternelles ou étrangères pour toucher l'ensemble des populations. C'est aussi primordial dans les situations d'urgence ou de crise comme l'a révélé le passage du cyclone Chido à Mayotte.

On notera qu'à La Réunion, dans les Antilles et en Guyane, la communication en créole est de plus en plus fréquente, y compris sur les réseaux sociaux.

c) L'État local accompagnateur : l'exemple de la Polynésie française

Compte tenu de son objet, le présent rapport n'aborde pas la question institutionnelle, laquelle a fait l'objet de plusieurs rapports récents du Sénat. La délégation aux outre-mer a eu l'occasion de l'examiner dans ses précédents rapports sur la différenciation territoriale outre-mer (septembre 2020) et sur l'avenir institutionnel des outre-mer (février 2023) auxquels on pourra se reporter.

Au cours de son déplacement en Polynésie française, la délégation a constaté vis-à-vis de l'État une forte demande d'accompagnement de la part des collectivités territoriales (Pays, communes).

Sur ce territoire, l'État donne l'exemple d'un pouvoir circonscrit à son domaine régalien par le statut d'autonomie instauré depuis 1984, mais qui fait preuve de pragmatisme dans l'exercice de ses compétences. En raison des fortes spécificités du territoire, l'action de l'État vient en soutien des compétences du Pays et des communes dans une logique de partenariat.

L'essentiel des services de l'État est concentré sur Tahiti et singulièrement dans la capitale Papeete. Mais comme l'a rappelé le Haut-commissaire, Éric Spitz à la délégation, il n'y a que 16 îles où l'État est physiquement présent, essentiellement via ses postes de gendarmerie. Autrement dit, il n'y a pas de service de l'État implanté dans les trois quarts des îles, « la société civile s'organisant donc autour du maire et de la religion ».

Le Haut-commissaire est secondé par 4 sous-préfets à la tête des subdivisions administratives de la Polynésie française dont deux sont délocalisées (à Raiatea et Nuku Hiva) avec un secrétaire général qui coordonne l'ensemble.

Dans un contexte pouvant conduire à une forme d'attentisme sur certains projets, l'État joue un rôle d'équilibre. Les subdivisions répondent au mieux à « la demande d'État » dans tous ses aspects : conséquences de la crise en Nouvelle-Calédonie avec le retour des Polynésiens installés là-bas, mise en oeuvre du « dernier kilomètre », soutien à certains programmes d'assistance à la maîtrise d'ouvrage dès lors que la subdivision a l'information et la possibilité d'apporter l'assistance technique sollicité, même si certains leviers d'action font défaut et limitent les possibilités d'action (notamment dans le domaine de la ruralité, du renouvellement urbain (pas d'intervention de l'ANRU ou de l'ANAH par exemple).

Les subdivisions sont également très sollicitées pour l'accompagnement des petites communes éloignées et isolées qui disposent de peu de moyens humains, et de compétences réduites en matière juridique et d'ingénierie. Avec l'appui des services du Haut-Commissariat, et en lien avec les services du Pays, elles leur dispensent des conseils juridiques et leur apportent un éclairage dans les domaines réglementaires, techniques et financier du quotidien, ainsi que dans l'élaboration de leurs projets structurants.

Pour soutenir le développement des communes et les services aux populations, les principaux dispositifs d'intervention de l'État pour les communes sont : la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), le contrat de développement et de transformation (CDT), le fonds exceptionnel d'investissement (FEI), le fonds vert et le fonds de transition énergétique (FTE).

La délégation a rencontré les différents responsables de subdivisions administratives qui sont en quelque sorte l'incarnation de l'État au plan local, Alexandra Chamoux, cheffe de la subdivision administrative des îles Tuamotu Gambier, en poste à Papeete, administre un territoire gigantesque avec certaines îles qui ne bénéficient d'aucune visite depuis plusieurs années mais qui comptent néanmoins au total 17 000 habitants, 17 communes et plus de 21 communes associées, d'où « le sentiment d'être des lieux délaissés ». Comme pour beaucoup d'îles, les problèmes majeurs sont la gestion des déchets, le manque de prérogatives des communes déléguées, et le recrutement du personnel qualifié. 50 % du travail de ce poste réside dans l'accompagnement des communes (avec des questions basiques bien souvent comme les modèles de délibération...). Une autre difficulté réside dans le fait que l'administration territoriale du Pays sur place (les « tavana hau ») n'a pas de délégation de signature - le Pays n'a pas opéré de déconcentration, ce qui freine la réalisation des projets.

Anna Nguyen, cheffe de la subdivision administrative des îles du Vent et des îles Sous-le-Vent, en poste à Raiatea, couvre les deux archipels à la suite du regroupement opéré en 2007. Pour les îles Sous-le-Vent situées à 240 km (40 mn de vol) de Tahiti, il y a une importante demande d'ingénierie, d'où l'intérêt de la proximité et des relations étroites avec les communes... Lors des réunions avec les élus et les services de la communauté de communes de Hava'i, la délégation a pu mesurer l'ampleur des investissements nécessaires et la diversité des projets : siège administratif à Uturoa, transport inter-îles (navette maritime), plan de gestion des déchets...

Pour l'actuelle cheffe de la subdivision des îles Marquises Anny Pietri, garantir la sécurité des populations et accompagner les communes sont aussi des missions essentielles. Derrière « l'image de paradis », certaines réalités sont bien présentes : violences intrafamiliales, ivresses publiques, addictions aux stupéfiants, jeux d'argent. Outre le pakalolo (le cannabis local), les maires redoutent l'arrivée de l'Ice dans l'archipel, notamment par les voiliers et à l'occasion des festivals. Compte tenu de la configuration des voieries routières, les risques de mortalité sont aussi élevés en cas de perte de contrôle d'un véhicule longeant un précipice.

Pour le soutien aux communes, le chemin peut s'avérer complexe. Dans le contrat de développement et de transformation 2024, un seul projet a été déclaré recevable pour l'archipel (travaux de potabilisation de l'eau du village principal d'une commune). L'autre projet présenté a été rejeté pour « incomplétude ». Le projet de Musée des arts marquisiens à Atuona notamment reste en suspens faute de bouclage financier108(*) et sachant que la compétence muséale relève du Pays.

Etienne de la Fouchardière, chef de la subdivision administrative des îles Australes, en poste à Papeete, a indiqué que cet archipel est desservi par deux à quatre vols par semaine et pour certaines îles une fois par semaine (Rurutu, Rimatara). Rapa est particulièrement isolée avec une économie de subsistance, n'est accessible que par le bateau. L'archipel a de nombreuses particularités : pas de cadastre, pas de code civil, pas de droit de propriété (un comité des sages pour la gestion communautaire foncière). Des tournées interservices sont organisées deux fois par an (État /pays / forces armées...). La subdivision gère depuis Papeete « un peu de tout » avec 3 personnes et l'appui de l'ingénie technique mutualisée au niveau du Haut-Commissariat : les questions d'aviation civile, les affaires maritimes, les questions de finances publiques et de douanes, l'appui au développement économique, les montages pour les activités culturelles...

Au-delà de ces échanges réguliers avec les subdivisions, la délégation a constaté une forte volonté d'« aller vers », de se rendre plus sur le terrain, de la part de tous les services de l'État (justice, gendarmerie, douanes...) mais avec des difficultés logistiques considérables, outre les questions financières, pour se rendre dans les îles (par exemple, Rapa, dans les Australes, n'a pas eu de visite depuis 10 ans). Des « tournées administratives » sont organisées en utilisant tous les transports possibles (vols, navigation inter-îles, catamaran...) associant selon les cas gendarmerie, justice, services de l'état civil et l'administrateur territorial, mais beaucoup trop rarement. Or, de l'avis général, ce type d'initiatives est très attendue par les populations.

Compte tenu de cette géographie et de ces contraintes, les communes polynésiennes restent les instances de proximité de la vie publique et les maires sont en première ligne face à leurs concitoyens pour répondre aux besoins quotidiens de service public de la population. Mais comme cela a été confirmé lors les visites à Raiatea puis aux Marquises, le sujet récurrent est celui des compétences limitées des communes par rapport au Pays qui dispose des leviers mais qui est aussi « trop loin » et fait preuve d'un « certain jacobinisme tahitien ».

En Polynésie, sur un budget de 210,3 milliards de francs pacifique (1,7 milliard d'euros soit un tiers du PIB de la Polynésie) géré par le Haut-Commissariat, les dépenses liées à l'exercice des compétences de l'État représentent 43 %, pour l'appui à l'exercice des compétences de la collectivité 50 % et pour l'appui à l'exercice des compétences des communes 7 %.

L'État et les communes développent en commun des projets qui peuvent être cofinancés par l'État jusqu'à 95 %. L'État s'adapte ainsi aux besoins, comme l'ont montré les échanges avec les chefs des subdivisions administratives.

Parmi les projets majeurs soutenus par l'État (et le Pays) figurent les abris de survie par rapport aux risques cyclonique et de montée des eaux (et que les communes n'ont financé qu'à hauteur de 5 %). L'accompagnement financier de l'État au profit des communes atteint chaque année 120 millions d'euros. En 2023, les dépenses ont notamment porté sur la lutte contre la mortalité routière (63 000 dépistages d'alcool), les opérations de sauvetage et d'assistance en mer (430 opérations, ou encore le resurfacage des pistes d'aviation de Rangiroa et Raiatea...

Contrairement aux autres communes françaises, elles ne disposent pas de la clause de compétence générale, mais de compétences spécifiques, limitativement énumérées, que leur octroie l'article 43 de la loi organique statutaire de 2004. La possibilité d'exercer des compétences complémentaires, demandées par plusieurs communes, à commencer par celles des Marquises, a été circonscrite à des domaines très limités à ce jour.109(*)

Les avancées de l'intercommunalité, présentée comme une mutualisation des moyens, et que les communes ont développé avec beaucoup de volonté (Tereheamanu à Tahiti, Havai dans les Iles sous le Vent, CODIM aux Marquises), sont bridées par l'obstacle institutionnelle et financier, comme en a rendu compte une mission de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat en 2023110(*). Certains projets peinent à se concrétiser.

En novembre 2022, les maires de la CODIM qui après les succès dans le domaine culturel (classement Unesco, festival des Marquises, restauration des sites, soutien à l'Académie de langue marquisienne, etc.) souhaitent développer d'autres projets de développement ( scierie sur le plateau de Toovii par exemple) ont proposé la création d'une Communauté d'archipel (CODAM) dotée de compétences élargies au sein de la collectivité de la Polynésie française dont le contour juridique reste à définir avec le Pays (modification de la loi organique) et dont d'autres archipels (ou intercommunalité) pourraient s'inspirer d'autres archipels.

À quelques exceptions près (Bora Bora qui bénéficie de la manne touristique et fait preuve d'innovations remarquables dans le domaine de l'environnement et des services communaux), les communes étant dépourvues de ressources propres, elles restent dépendantes de financement tiers. Les ressources communales émanent essentiellement du fonds intercommunal de péréquation (FIP) alimenté par un prélèvement sur les ressources fiscales de la collectivité et par une dotation de l'État. La question du potentiel fiscal de ces collectivités reste à expertiser.

d) Un État central davantage en soutien et à l'écoute de l'État local

La politique de l'État dans les outre-mer est de plus en plus marquée par le sentiment d'une absence de vision à long terme et de continuité dans l'action.

La gestion des crises - politique, économique, sécuritaire, climatique, migratoire, social... -, qui se succèdent à un rythme accéléré et inquiétant, est devenue le seul horizon de l'État, qui ne parvient pas à reprendre pied pour arrêter des stratégies de long terme pour chaque territoire et les suivre.

La question des moyens de la direction générale des outre-mer (DGOM) est l'une des explications.

La DGOM : un pilote sans les moyens de ses missions

Pour assumer toutes ses missions, la DGOM dispose de moyens jugés insuffisants de manière constante par différents rapports. La DGOM compte actuellement 140 personnels, un nombre en faible augmentation depuis 2016. Depuis 2007 et la mise en oeuvre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), la faiblesse des effectifs et moyens de l'administration centrale des outre-mer, quelle que soit sa forme, est pointée comme une grave lacune.

Effectifs de l'administration centrale en charge des outre-mer111(*)

En raison de ces effectifs insuffisants, la DGOM ne parvient pas à assumer pleinement l'ensemble de ces missions et à les décliner par territoires. Cette baisse des moyens est par ailleurs concomitante d'une différenciation accrue des statuts des territoires, à la suite de la révision constitutionnelle de 2003. Avec moins de moyens, la DGOM doit gérer des crises à répétition et une complexité institutionnelle, juridique et géopolitique accrue.

En outre, deux référés de la Cour des comptes de 2016 et de 2021 insistent sur l'impact négatif d'un effectif si réduit. Le référé de 2016 recommande notamment de : « réexaminer la distribution des effectifs du ministère des Outre-mer entre le cabinet de la ministre et la direction générale pour renforcer la fonction prospective de celle-ci », recommandation réitérée par le référé de 2021 qui estime que le nombre disproportionné de membres du bureau du cabinet contribue à affaiblir la capacité de la direction.

Bien que déjà soulignée par de nombreux rapports du Sénat et d'autres organismes, vos rapporteurs ne peuvent que plaider eux-aussi pour un renforcement significatif des effectifs de la DGOM pour rétablir une capacité à évaluer les politiques publiques outre-mer, à proposer des stratégies à long terme et à suivre leur exécution.

(1) Développer le réseau outre-mer dans tous les ministères

Comme vu supra (II.A.), la police, la gendarmerie ou la justice ont adapté leur organisation pour traiter spécifiquement les enjeux ultramarins.

Cette stratégie du « réflexe outre-mer » ou « culture outre-mer » plus précisément doit se poursuivre et s'étendre à toutes les administrations centrales.

Selon Karine Delamarche, directrice adjoint de la DGOM, lors de son audition du 18 janvier 2024, chacun des ministères doit avoir le « réflexe outre-mer », c'est-à-dire avoir l'automatisme de toujours envisager le pendant outre-mer de chaque problématique, de permettre la participation des territoires ultramarins à la conception de politiques publiques.

La circulaire du Premier ministre n° 6456-SG du 10 juillet 2024 relative à la coordination de l'action du Gouvernement dans les outre-mer met en exergue ce « réflexe outre-mer » et en précise les modalités.

La circulaire demande en particulier à chaque directeur général d'administration centrale de désigner au sein de ses services un référent outre-mer, qui sera le point de contact privilégié de la DGOM. Il appartient à la direction générale des outre-mer d'animer ce réseau des référents ultramarins.

Si la désignation de référents dans chaque direction est une bonne chose, quand elle n'est pas déjà une réalité, elle ne saurait suffire et garantir un réflexe outre-mer.

La création au sein de chaque administration centrale d'un service, délégation ou direction en charge des outre-mer paraît la seule piste véritable de progrès. L'exemple du ministère de la justice, avec la création de Direction des Services Pénitentiaires d'Outre-Mer (DSPOM) et plus récemment du délégué aux outre-mer du secrétariat général du ministère de la justice, est à suivre et dupliquer. Ces structures ad hoc doivent connaître à la fois de la gestion des services de l'État outre-mer (formation, affectations, crédits, immobiliers...) et de la conception/adaptation des politiques publiques dont le ministère a la responsabilité.

(2) La conception de la norme : adaptation a priori ou a posteriori ?

Dans ce domaine, la différenciation normative qui est le cheval de bataille de la délégation serait une avancée importante.

Sans qu'il soit nécessaire de rappeler les nombreux travaux de la délégation sur ce sujet primordial, lequel excède le champ du présent rapport en touchant aux questions institutionnelles, vos rapporteurs ont noté avec intérêt une piste originale de réflexion esquissée par la DGOM.

Karine Delamarche, directrice adjointe de la DGOM, fait le constat que « les consultations outre-mer sont parfois vécues par certaines administrations comme une contrainte calendaire alors que le ministre souhaite que les réformes se réalisent rapidement. Or, consulter en laissant un délai d'un mois aux collectivités d'outre-mer paraît contre-productif. Nous avons réfléchi sur la manière d'améliorer ce fonctionnement ».

Vos rapporteurs ont éprouvé auprès des élus rencontrés dans chaque territoire le sentiment de consultations purement formelles, ne permettant pas d'adapter les politiques publiques aux réalités des territoires, voire de questionner leur pertinence.

Deux pistes sont possibles :

- soit améliorer le système actuel. Par exemple en allongeant à deux mois le délai de consultation. La circulaire n° 6456-SG du 10 juillet 2024 relative à la coordination de l'action du Gouvernement dans les outre-mer insiste également sur l'importance de ne recourir qu'exceptionnellement au délai d'urgence de 15 jours, au lieu d'un mois, laissé aux collectivités pour rendre leur avis sur les projets de loi ou de décret transmis. Cette circulaire rappelle aussi - comme les précédentes - la nécessité de prendre en considération les outre-mer au tout début de la phase d'élaboration et d'associer dès les avant-projets la DGOM ;

- soit inverser la logique, en basculant dans un système d'adaptation a posteriori assumé.

Les consultations préalables seraient abandonnées. En contrepartie, sauf mention expresse, les textes de loi et les règlements n'entreraient en vigueur dans les outre-mer soumis au régime de l'identité législative qu'au terme d'un délai à définir (un an ? dix-huit mois ?). Ce délai serait mis à profit pour adapter, laisser en l'état ou exclure l'application des réformes dans les outre-mer. Cette période, plus longue que celle des consultations préalables, permettrait aux collectivités et à tous les acteurs économiques ou sociaux des territoires de se prononcer utilement et sur la base d'une réforme nationale aboutie, pas un simple avant-projet.

Karine Delamarche a insisté « concernant la proposition disruptive de supprimer les consultations outre-mer, il ne s'agit pas d'une suppression sèche, mais simplement de la suppression d'une modalité au profit d'une autre. Le constat demeure que ces consultations ne sont pas aussi effectives qu'elles devraient l'être. Nous pourrions prévoir un délai après la promulgation d'une loi. L'objectif serait de permettre aux collectivités ultramarines de soumettre au Gouvernement des adaptations leur apparaissant nécessaires. Il faudrait par exemple aménager l'article 74-1 afin de permettre cette habilitation ad hoc aux collectivités qui ne sont pas régies par l'article 74. Cela suppose une révision de la Constitution ».

Cette proposition novatrice comporte des inconvénients importants. S'agissant des textes de loi, le risque est celui d'un contournement complet du Parlement, via le recours aux ordonnances. C'est aussi prendre le risque d'un renoncement au réflexe outre-mer dans les administrations centrales. Il ne faut pas exclure que le temps de l'adaptation a posteriori ne soit pas utilisé, une priorité chassant l'autre. Ce serait le résultat inverse de celui recherché.

On notera aussi que de nombreux textes de loi prévoient désormais dans leurs dispositions finales des habilitations au Gouvernement pour adapter la loi aux outre-mer par la voie des ordonnances de l'article 38 de la Constitution. Ce genre de dispositif se rapproche de celui évoqué par la DGOM.

A minima, vos rapporteurs considèrent en revanche que sur des réformes majeures, portant sur des sujets essentiels pour les territoires (énergie, urbanisme, environnement...), les textes de loi pourraient prévoir plus systématiquement une entrée en vigueur décalée dans les outre-mer. Ce délai serait utilisé soit pour adapter le texte par ordonnances, soit au moyen d'un projet ou d'une proposition de loi spécifique.

Cela supposerait de réserver chaque année un temps parlementaire (une semaine ?) dédié aux outre-mer, au cours duquel ces adaptations importantes seraient inscrites à l'ordre du jour. Le groupe de travail du Sénat sur la décentralisation précitée et les travaux récents de la délégation112(*) (voir encadré infra) appellent de leurs voeux l'examen d'un projet ou d'une proposition de loi annuelle d'adaptation du droit des outre-mer. La sanctuarisation de ce temps parlementaire contraindrait les ministères et administrations concernés à prendre pleinement en compte l'adaptation outre-mer, sans l'évacuer dans des dispositions finales examinées rapidement en fin de séance.

2. Une gestion différenciée des ressource humaines outre-mer
a) Des enjeux très différents selon les territoires et les administrations

Des auditions et des déplacements ressort le tableau d'une très grande variété de situations.

De manière schématique, si la Guyane et Mayotte rencontrent d'importantes difficultés à pourvoir les postes ouverts, la Polynésie française ou La Réunion souffrent plutôt d'une forte attractivité. Depuis les événements de mai 2023, la Nouvelle-Calédonie a rejoint le groupe des territoires les moins attractifs. Les Antilles et Saint-Pierre-et-Miquelon sont dans une situation intermédiaire. Les postes sont pourvus, mais le nombre de candidature ne permet pas un réel choix ou sélection.

Cette catégorisation connaît toutefois de nombreuses nuances, selon les types d'emploi et les administrations.

Ainsi, l'administration pénitentiaire n'a aucun mal à pourvoir les emplois de surveillants, y compris en Guyane et à Mayotte. La forte proportion d'originaires de ces territoires le garantit. Pour Muriel Guégan, directrice des outre-mer, la création annoncée de nouveaux établissements à Saint-Laurent-du Maroni ou à Mayotte permettra au contraire de satisfaire les nombreuses demandes de « retour au pays ». Les syndicats voient d'ailleurs d'un bon oeil la création de ces nouveaux établissements ultramarins.

À l'inverse, la magistrature a été contrainte d'innover pour pourvoir les postes en Guyane et à Mayotte avec la création des brigades de soutien et les contrats de mobilité (voir infra).

Un point est commun à la plupart des administrations : le trop faible nombre de cadres originaires des territoires.

Un autre point saillant émerge : les limites du système des sur-rémunérations pour attirer les personnels nécessaires au bon fonctionnement des services publics de l'État. Les problématiques de logement, de scolarisation des enfants, de sécurité et d'accompagnement à l'installation deviennent primordiales et la réponse pécuniaire imparfaite.

Par ailleurs, la sur-rémunération serait un facteur aggravant le risque de « tropicalisation » de certains fonctionnaires, les agents demandant la prolongation de leurs missions outre-mer pour de mauvaises raisons.

C'est pour répondre à ces problématiques diverses, parfois contradictoires, qu'une nouvelle gestion des ressources humaines outre-mer est esquissée depuis quelques années. Elle doit être approfondie et renforcée.

b) Pour un suivi sur-mesure des affectations outre-mer

Sur l'ensemble du territoire national, la stratégie interministérielle pour l'accompagnement de la mobilité et de l'évolution professionnelle 2022-2024 est au coeur de l'action de la direction générale de l'administration et de la fonction publique. Elle met l'accent mis sur l'accompagnement personnalisé.

Dans les outre-mer, elle est encore plus indispensable et suppose une déclinaison sur-mesure et des pratiques innovantes. Une Charte interministérielle de la mobilité a été adoptée pour les outre-mer les moins attractifs (Guyane, Mayotte, les trois Saints) avec six engagements sur la préparation de l'affectation, l'accompagnement sur place (logement dédié, école), la rémunération, la valorisation dans la carrière, un accompagnement également des agents ultramarins vers l'hexagone pour faire émerger des talents (repérage et accompagnement) et enfin une facilitation du retour des agents vers leurs territoires d'origine.

(1) Sélectionner les bons profils

La question du profilage des postes outre-mer est cruciale pour l'avenir. La gestion des ressources humaines et des affectations outre-mer doit être traitée par un service ad hoc dédié au sein de chaque ministère.

À cet égard, les grands ministères régaliens -intérieur, justice et armées- ont pris la mesure de l'enjeu, même tardivement.

La création en 2021 du délégué aux outre-mer du secrétariat général du ministère de la justice a été principalement motivée par le constat des carences des ressources humaines outre-mer, qui mettent en cause l'effectivité du service public de la justice sur les territoires.

Pour le général Lionel Lavergne, le commandement outre-mer permet précisément de faire du sur-mesure pour des territoires où chaque affectation pèse lourdement.

Une bonne pratique mise en oeuvre au sein de la Justice est la sensibilisation aux cultures des outre-mer et aux spécificités et contraintes propres à ces territoires avant toute décision d'affectation.

Paul Huber, directeur des services judiciaires au ministère de la justice, a indiqué que les auditeurs de justice étaient sensibilisés longtemps à l'avance pour qu'ils puissent se projeter en connaissance de cause sur une première prise de fonction à la sortie de l'École nationale de la magistrature (ENM). L'ENM propose des formations spécifiques « être magistrat en outre-mer » pour mieux accompagner, mieux anticiper et attirer des candidatures.

Paul Huber a aussi souligné la prudence lors de la sélection des magistrats et des fonctionnaires vers les outre-mer : « il y a souvent beaucoup de raisons personnelles qui peuvent jouer, il y a tous ceux qui sont en rapprochement familial, qui ont des intérêts matériels et moraux, mais il y a aussi ceux qui peuvent projeter avec un départ en outre-mer la résolution de difficultés personnelles. Nous devons veiller à ce que les prises de fonction en outre-mer ne conduisent pas à des échecs. Nous en avons connu et nous avons appris de ces difficultés, avec une meilleure sélectivité des profils ».

Recommandation n° 34 : Rendre obligatoires les modules de formation aux spécificités outre-mer pour tous les fonctionnaires d'État affectés dans ces territoires et mieux organiser les transmissions d'expériences.

(2) Un accompagnement personnalisé

Le sur-mesure est aussi exigé pour traiter la question des conjoints fonctionnaires de fonctionnaires mutés.

Bruno André, préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon, a été face au cas de figure de personnes qui ne sont pas originaires, mais qui sont mariés avec des originaires prioritaires et qui n'ont pas obtenu d'affectation.

La direction de l'administration pénitentiaire (DAP) applique un dispositif spécifique dit « jurisprudence Lemaire », qui permet aux conjoints fonctionnaires DAP (mariés, pacsés ou concubins déclarés) d'un directeur des services pénitentiaires, d'un directeur pénitentiaire d'insertion et de probation ou d'un chef ou adjoint d'établissement (corps de commandement) de suivre leur conjoint muté. La mutation sera accordée à titre dérogatoire, en surnombre si nécessaire et même sans CIMM sur l'établissement de mutation du conjoint ou à proximité immédiate.

De manière plus générale, la gestion des conjoints - agent public ou non - lors d'une mutation outre-mer est une clef essentielle pour la réussite des affectations, à moins de se résoudre à affecter uniquement des agents célibataires.

Si certaines règles de mutation, comme celle précitée de l'administration pénitentiaire, doivent être généralisées, elles ne sauraient résoudre entièrement le problème.

Seul un suivi sur-mesure des mutations outre-mer, prenant en compte l'ensemble de l'environnement familial des agents, et non uniquement l'agent muté et les avantages liés à son statut, créera les conditions d'une gestion des ressources humaines efficaces outre-mer.

La question du logement est certainement la plus prégnante.

Pour Bruno André, préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon, le logement est le point d'achoppement pour de nombreuses mutations, en particulier sur le poste de délégué du préfet à Miquelon. La double insularité et ses contraintes font que le logement représente un coût important et est une source d'inquiétudes quand on est à plusieurs milliers de kilomètres.

À Saint-Barthélemy, où le loyer d'un simple studio peut dépasser le traitement d'un fonctionnaire, aucune affectation n'est possible sans offrir des solutions adaptées de logement.

En Guyane, à Mayotte ou en Nouvelle-Calédonie, se surajoute la question de la sécurité. Les agents et en particulier les familles ont besoin d'être logés dans des questions de sécurité normales.

La gendarmerie y répond par le casernement, comme en métropole (le parc immobilier ayant toutefois besoin d'être rénové en de nombreux endroits).

La délégation aux outre-mer du secrétariat général du ministère de la justice a notamment fait de la question du logement une de ses priorités pour accompagner les agents et magistrats mutés dans leur recherche. Lors de la première journée « Justice outre-mer » en mars dernier, Jean-Aimé Derquer, coordonnateur océan Indien de la délégation Outre-mer du secrétariat général du ministère de la justice, a expliqué travailler à offrir de nouvelles solutions de logement sur place, y compris des colocations temporaires pour laisser le temps de trouver le logement qui convient. Parmi les autres pistes : hausse de l'offre de crèche en coopération avec d'autres ministères et développement d'un parc locatif dédié.

Il apparaît donc de plus en plus nécessaire de reconstituer un parc de logements réservé aux fonctionnaires mutés dans tous les territoires en déficit d'attractivité.

c) Innover pour attirer les compétences indispensables
(1) Les contrats de mobilité

Confronté à des difficultés importantes pour pourvoir aux postes de magistrats ouverts à Mayotte et en Guyane, le ministère de la justice a été conduit à innover avec les contrats de mobilité.

En contrepartie d'un engagement du magistrat à exercer pendant au minimum 3 années sur le poste, la direction des services judiciaires prend l'engagement de proposer la nomination ultérieure de ce magistrat sur l'une des cinq affectations sollicitées avant son départ, y compris si le poste n'est pas vacant ou s'il existe des candidatures plus anciennes.

Ce contrat de mobilité est formalisé par la signature d'un document.

À l'origine proposé au bénéfice du seul tribunal judiciaire de Mamoudzou, le dispositif a été élargi aux juridictions de Saint-Martin, Saint-Laurent-du-Maroni, Saint-Pierre-et-Miquelon puis, en 2022 à l'ensemble de la cour d'appel de Cayenne et de Bastia.

Ce dispositif, déployé à titre expérimental depuis 2021, a été entériné par l'article 5 de la loi organique n° 2023-1058 qui créée l'article 27-2 de l'ordonnance statutaire n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Au total, 62 contrats de mobilité ont été conclus entre 2021 et 2023 à destination de l'outre-mer.

Au début de l'année 2023, ce dispositif a été étendu à 4 juridictions métropolitaines (Beauvais, Montbéliard, Chaumont et Charleville-Mézières).

Pour Yann Le Bris, procureur de la République auprès du tribunal judiciaire de Mamoudzou, le bilan de ces contrats est très positif. Toutefois, son extension à un nombre croissant de territoires, y compris dans l'Hexagone, risque de réduire « l'avantage comparatif » de Mayotte. Cette crainte a été exprimée avant le passage du cyclone Chido qui rend les choses encore plus incertaines.

Les contrats de mobilité du ministère de la justice sont aujourd'hui limités aux magistrats. Il conviendrait de les étendre aux greffiers, comme le suggère Béatrice Bugeon-Almendros, première présidente de la Cour d'appel de Cayenne.

Selon la DGOM, si ce mécanisme n'est pas repris en tant que tel par les autres ministères, plusieurs administrations ont mis en place des pratiques similaires.

Au ministère de l'intérieur, une priorité subsidiaire d'affectation au bénéfice des personnels administratifs, techniques et spécialisés des catégories A, B et C ayant séjourné au moins trois ans à Mayotte, en Guyane, à Saint-Martin-Saint-Barthélemy ou à Saint-Pierre-et-Miquelon est appliquée.

Au ministère de l'éducation nationale, les agents ayant servi pendant 5 ans à Mayotte bénéficient d'une bonification de 1 000 points « mobilité », facilitant leur retour dans le territoire de leur choix dans l'Hexagone.

Au ministère des armées, les lignes directrices de gestion ministérielles intègrent la priorisation d'affectation et l'accompagnement des agents de retour d'une affectation outre-mer. Les agents sont accompagnés en amont de leur retour pour trouver une affectation en Hexagone et ils sont prioritaires dans le choix de poste.

Enfin, ces bonnes pratiques sont rappelées dans la charte interministérielle de la mobilité à Mayotte, en Guyane, à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy et à Saint-Pierre-et-Miquelon qui a déjà été signée par 5 ministères.

Pour Philippe Dulbecco, recteur de l'académie de la Guyane, confronté au manque d'attractivité des postes, « s'agissant des titulaires, toutes les mesures pouvant rendre plus incitatif le travail sur les sites éloignés ou isolés seront bonnes. Une bonification d'ancienneté pourrait être envisagée aussi bien pour les jeunes diplômés que pour le personnel en cours de carrière. La possibilité de bénéficier d'une forme de garantie de retour à l'académie d'origine serait positive. Toute mesure qui pourrait favoriser l'activité en Guyane sera pertinente. Il est également nécessaire de s'intéresser aux conditions de vie liées à l'exercice du métier - logement, transport et fret - afin de rendre plus attractive leur activité sur le fleuve ».

Vos rapporteurs plaident pour la généralisation des « contrats de mobilité » sur tous les postes et/ou territoires ultramarins - hors magistrature - souffrant d'une attractivité très faible. Efficace, cet outil ne doit pas être galvaudé au risque de ne plus l'être. Par ailleurs, pour éviter les contrats de mobilité de pure opportunisme, l'obtention de la mobilité prioritaire à l'issue de l'affectation doit être conditionnée à une évaluation satisfaisante de l'exercice du poste outre-mer.

Recommandation n° 35 : Dans les outre-mer les moins attractifs, proposer des « contrats de mobilité » garantissant l'affectation de leur choix aux agents de l'État après leur mission outre-mer pour attirer les personnels compétents, sur le modèle du ministère de la Justice et sous réserve d'avoir démontré son engagement le temps de son affectation, et proposer des solutions de logement et d'accompagnement à l'installation sur-mesure.

(2) Les brigades de soutien

Outre les contrats de mobilité, la magistrature a développé les brigades de soutien pour combler des besoins permanents dans les territoires peu attractifs et ponctuels en cas de surcharge exceptionnelle d'activités.

À Mayotte et en Guyane, le ministère de la justice a en effet imaginé des brigades de soutien constitués de magistrats nommés pour des missions de six mois et de greffiers pour trois mois.

Ces brigades ont été construites en lien avec le Conseil supérieur de la magistrature puisqu'elles nécessitent des décrets de nomination pour une durée de 6 mois et des retours sur le poste d'origine.

Yann Le Bris, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Mayotte, a vanté le bilan très positif des brigades de soutien, qui ont permis de renforcer les effectifs de deux magistrats au parquet et de quatre au siège depuis 2023.

Un des principaux intérêts de ce dispositif, par rapport aux magistrats dits placés, est que les renforts sont pleinement intégrés à l'organisation et à l'organigramme du tribunal. Les brigades sont aussi constituées de magistrats d'expérience. Pour rappel, un poste de vice-président est non pourvu depuis 5 ans. Les « brigadiers » peuvent donc occuper ces fonctions et structurer le travail du tribunal, au-delà de la simple hausse des moyens. Les brigadiers participent à la formation des plus jeunes collègues, pour certains sortis de l'ENM. Enfin, sur des juridictions ayant à connaître d'activité délinquante et violente aussi intense, les renforts permettent d'absorber les surplus d'activités générés par des opérations exceptionnelles comme l'opération Wuambushu à Mayotte.

Béatrice Bugeon-Almendros, première présidente de la Cour d'appel de Cayenne, a le même regard positif sur les brigades. S'agissant des greffiers, ce dispositif a pallié un absentéisme très important, proche des 50 %. Un greffier brigadiste arrive pour trois mois renouvelables. Cette situation ne résout pas le problème d'instabilité et ne permet pas de se projeter à long terme.

Un autre point positif des brigades : elles permettent à des magistrats de découvrir la réalité d'un territoire, au-delà de l'image très dégradée que l'actualité en donne depuis Paris. Cette affectation temporaire permet de dédramatiser et peut même se transformer en une « pré-affectation test », certains magistrats envoyés en brigade ayant demandé à y être affectés.

La limite des brigades est qu'elles supposent un effort des autres juridictions prélevées pendant 6 mois. Pour Bruno Dalles, procureur général près la cour d'appel de Nouméa, une professionnalisation des brigades de soutien serait une évolution possible, avec des magistrats dédiés offrant notamment le bon profil familial notamment. Cela éviterait de puiser dans les juridictions.

Par ailleurs, il a été noté que les dernières brigades (3ème et 4ème cohortes) avaient reçu moins de candidatures. Cet essoufflement, concomitant à l'élargissement des brigades à d'autres tribunaux, notamment en Corse, est à surveiller et pourrait plaider vers la professionnalisation suggérée des brigades.

On notera enfin que ces brigades ont inspiré la création par la loi organique n° 2023-1058 du 20 novembre 2023 relative à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire d'un dispositif d'intervention immédiate en cas d'événements posant des difficultés de fonctionnement de l'institution judiciaire et de continuité du service public de la justice. L'article LO.125-1 du code de l'organisation judiciaire permet d'envoyer des renforts depuis les cours d'appel de Paris et d'Aix en Provence pour soutenir rapidement les juridictions en difficulté sur de brèves périodes. Ce fut récemment le cas en Martinique à la suite des violences urbaines de septembre 2024. Une décision du CSM n'est pas nécessaire avec ce dispositif, à la différence des brigades de soutien.

Vos rapporteurs plaident pour le maintien et le renforcement des brigades de soutien, en particulier dans les temps de crise que traversent certains outre-mer, et Mayotte en particulier. Le principe des brigades pourrait être étendu à d'autres corps.

En matière d'ingénierie, sur des projets bien identifiés, des brigades d'expert pourraient être constitués afin d'intervenir pour lancer ou débloquer des projets complexes ou bloqués.

Recommandation n° 36 : Renforcer la capacité des préfets à mobiliser des renforts ponctuels depuis l'Hexagone (brigades ou plateforme d'ingénierie, équipes de préfiguration...) pour débloquer ou accélérer des dossiers structurants.

Toutefois, les brigades ne peuvent que pallier des carences. Les vraies solutions passent par l'accompagnement personnalisée évoquée supra pour rendre ces postes attractifs.

Le cas particulier des magistrats dans le Pacifique

Certaines cours d'appel sont confrontées à une difficulté inverse. Les magistrats restent trop longtemps sans y avoir d'attaches matérielles ou familiales.

Le Sénat, et en particulier sa commission des lois, avait proposé une disposition qui limiterait à 10 ans l'exercice dans toutes les juridictions. Cette disposition n'a pas été retenue mais le sujet de la durée d'affectation dans certaines juridictions outre-mer demeure. Il doit se conjuguer avec la nécessité, pour ceux qui sont originaires de ces territoires et qui y ont des intérêts matériels et moraux, de pouvoir s'y installer.

Malgré la réforme du statut des magistrats, encore complétée en 2023, qui a limité la durée d'affectation dans une même juridiction pour certaines fonctions, les magistrats non spécialisés peuvent demeurer en fonction sans limitation.

Selon Paul Huber, directeur des services judiciaires, alors que des dispositifs existent pour les fonctionnaires de limitation de durée d'exercice comme en Nouvelle Calédonie ou en Polynésie française, il n'y a aucune raison qu'un magistrat reste 15 ou 18 ans en Polynésie française, alors que les fonctionnaires doivent repartir plus rapidement.

Recommandation n° 37 : Instituer des règles de mobilité spécifiques pour les magistrats du siège et du parquet exerçant dans des ressorts juridictionnels très étroits, comme en Polynésie française, en limitant l'exercice de leurs fonctions sur place à cinq années prolongeables deux ans sur les postes requérant une technicité particulière.

d) Trouver le bon équilibre entre originaires et hexagonaux

La question de l'affectation et de l'emploi des originaires des territoires ultramarins traverse tous les territoires et toutes les administrations. Du côté des agents originaires et des élus des territoires, le sentiment est celui d'une part toujours trop faible d'entre eux. Du côté des administrations, en particulier dans les forces de sécurité, les évolutions sont positives, mais les cadres ultramarins restent beaucoup trop faiblement représentés.

Pour le général Lionel Lavergne, la question des originaires dans les outre-mer est essentielle en raison de leur connaissance du terrain, du lien avec la population et de la stabilité des affectations.

Tous statuts confondus, 26 % des gendarmes sont issus des territoires ultramarins, mais il existe d'importantes diversités. Dans les Antilles et en Guyane, les candidats originaires manqueraient. Moins de 10 % des emplois sont pourvus par des Antillais ou des Guyanais113(*). Selon le général, les Guyanais, les Guadeloupéens et les Martiniquais hésitent et préfèrent revenir chez eux plutôt en fin de carrière pour être moins soumis à la pression locale.

Inversement, le taux d'originaires dans le Pacifique est important, ainsi que l'océan Indien, y compris à Mayotte. En Polynésie, tous statuts confondus - officiers, sous-officiers, gendarmes adjoints -, on recense entre 40 et 50% d'originaires, le taux devant être compris entre 25 % et 30 % pour les sous-officiers. En Nouvelle-Calédonie, la part d'originaires dans les effectifs est comprise entre 20 % et 25 %. Mais la plupart souhaite être à Nouméa.

La police nationale présente un bilan comparable. À Mayotte, le taux d'originaires est supérieur à 50 %. A La Réunion, il est très majoritaire.

L'administration pénitentiaire, qui recrute historiquement beaucoup d'agents ultramarins, n'a pas ces difficultés et la quasi-totalité de son personnel est originaire.

Du côté des agents originaires en poste en Hexagone, il est souvent fait le reproche de l'opacité des critères pris en compte pour reconnaître le centre des intérêts matériels et moraux (CIMM) dans un territoire ultramarin.

Le centre des intérêts matériels et moraux (CIMM)

Le centre des intérêts matériels et moraux (CIMM) consiste en la reconnaissance d'un attachement personnel et professionnel à un territoire ultramarin (départements d'outre-mer et des collectivités d'outre-mer au sens respectivement de l'article 73 et l'article 74 de la Constitution, ainsi qu'à la Nouvelle-Calédonie).

La reconnaissance du CIMM permet l'attribution de congés bonifiés, ainsi qu'une prise en compte de l'intérêt de l'agent pour un territoire dans la détermination de son lieu d'affectation ou de mutation.

Les critères de reconnaissance du CIMM ont été précisés et modifiés par la circulaire de la Première ministre du 2 août 2023

La localisation du centre des intérêts moraux et matériels s'apprécie sur la base d'un faisceau d'indices et à partir d'une liste de critères non exhaustive : lieu de naissance de l'agent, lieu de naissance des enfants, lieu de résidence des parents proches, lieu d'implantation des biens fonciers dont l'agent est propriétaire ou locataire... Deux critères au minimum doivent être remplis pour attester de la validité du CIMM.

Lorsque le CIMM a été reconnu au titre d'au moins trois critères « irréversibles », c'est-à-dire reposant sur des circonstances par nature non susceptibles d'évoluer dans le temps et suffisant de ce fait, une fois qu'elles sont identifiées, à qualifier une fois pour toutes le lien des intérêts matériels et moraux d'un agent avec une collectivité ou un territoire donné, son bénéfice est conservé pour chaque nouvelle demande concernant la même collectivité ou le même territoire, sans limitation de durée.

Sont, notamment, considérés comme « irréversibles », les critères suivants :

- le lieu de naissance de l'agent ;

- le lieu de naissance des enfants ;

- le lieu de sépulture des parents les plus proches ;

- les études effectuées sur le territoire considéré par l'agent et/ou ses enfants ;

- le lieu de résidence avant l'entrée dans l'administration ;

- le lieu de naissance des ascendants.

Depuis la loi du 28 février 2017, le CIMM dans les territoires ultramarins constitue « une priorité légale d'affectation pour tous les fonctionnaires de l'État », quel que soit le statut et la gestion des mutations de leur corps d'attache. L'objectif est ainsi de « favoriser le retour de ces agents dans le territoire où ils ont leurs attaches et dans le respect des besoins et de l'intérêt du service. ».

La circulaire du 2 août 2023 vient également permettre une simplification et une continuité des conditions de validation du CIMM. Cela repose sur un double principe :

- Un principe de portabilité du CIMM au sein des services de l'État : « Dès lors que le CIMM a été reconnu par un service de l'État, l'agent concerné préserve cette reconnaissance en cas de mobilité vers un autre service ». Cette portabilité ne fonctionne qu'entre deux employeurs de la fonction publique

- Un principe de conservation sous conditions du bénéfice du CIMM : si le CIMM est reconnu au titre d'au moins trois critères « irréversibles », le bénéfice est conservé pour chaque nouvelle demande, sans limitation de durée. Si les critères invoqués sont réversibles, le bénéfice du CIMM est valable pour une durée minimum de 6 ans.

Le général Lionel Lavergne a également rappelé les adaptations de la durée d'affectation pour originaire. Pour les originaires, le premier temps de présence est de six ans, puis une prolongation de trois ans peut être accordée, suivie d'une prolongation exceptionnelle, jusqu'à onze ans. Pour les non-originaires, le premier temps de présence est de trois ans, puis de- prolongations d'un an successives peuvent être accordées, dans la limite de sept années au total. Par ailleurs, un originaire qui se trouve à moins de cinq ans de la limite d'âge reste sur le territoire. En calculant bien, un originaire peut donc, s'il revient sur son territoire à moins de quatorze ans de sa limite d'âge, y terminer sa carrière.

Dans l'administration pénitentiaire, l'affectation sur les territoires de la Polynésie et de la Nouvelle Calédonie d'un agent ne disposant pas de CIMM pour ce territoire d'affectation, est limitée à deux fois deux ans (séjour dit réglementé), afin notamment de libérer des postes pour les originaires disposant de leur CIMM dans le territoire.

Les postes sont attribués au classement parmi les seuls agents disposant de leur CIMM. À défaut de candidature utile parmi les agents disposant de leur CIMM, les postes sont ensuite attribués au classement général parmi les agents ne disposant pas de CIMM. Si cette situation peut exister dans les territoires de Polynésie et de la Nouvelle Calédonie, ce n'est jamais le cas pour les Antilles ou La Réunion où le nombre de candidatures est trop élevé eu égard au nombre de postes publiés.

Selon l'administration pénitentiaire, en moyenne, en tenant compte du nombre de voeux exprimés et du faible nombre de postes publiés, un surveillant ou un gradé peut rejoindre, hors application de dispositions spécifiques lui accordant une priorité de mutation, le territoire des Antilles et le territoire de La Réunion en 15 à 20 ans, les territoires de la Polynésie et de la Nouvelle Calédonie en 5 ans, le territoire de Mayotte en 10 ans.

En revanche, on rappellera que les dispositions relatives au statut des magistrats ne permettent pas l'affectation de magistrats en fonction de leur origine géographique.

La principale limite à l'affectation des originaires est le nombre de postes proposés, en particulier dans certains territoires comme La Réunion.

Pour Céline Personeni, commandante fonctionnelle de la police nationale, la priorité légale d'affectation donnée aux « cimmiens » finit par « emboliser » le système. Dans la police nationale à La Réunion par exemple, chaque année, il y a de moins en moins de postes proposés, ceux-ci étant occupés par des originaires : « C'est le revers de la médaille. C'est à peu près la même chose dans tous les territoires ».

Vos rapporteurs ne proposent pas de modifier les équilibres issus de la récente circulaire du 2 août 2023. Une meilleure transparence des décisions d'affectation éviterait sans doute des malentendus.

Recommandation n° 38 : Améliorer les conditions de prise en compte des CIMM pour la mobilité des originaires d'outre-mer :

- en rendant plus transparente et harmonisée l'application des critères CIMM dans les décisions concernant des originaires ;

- tenir compte de la situation des conjoints des demandeurs ;

- valoriser les carrières et les promotions outre-mer des originaires dans les administrations d'État.

La faible proportion de cadres issus des territoires est admise par tous et chaque administration affiche son ambition de faire émerger des ultramarins sur les postes d'encadrement.

Lors de la journée de la justice outre-mer en mars 2024, le ministre de l'intérieur avait insisté sur l'importance de pousser les ultramarins vers les postes d'encadrement et d'enquête, afin de ne pas donner crédit au reproche d'une « police ou d'un justice hexagonale ».

Pour Christian Nussbaum, il est important que des locaux s'investissent sur des postes d'encadrement. Cela passe notamment par une incitation des jeunes policiers ultramarins à passer les concours internes pour évoluer, ce qui leur permettra ensuite de venir en métropole sans forcément avoir envie de repartir rapidement car ils auront une carrière à faire.

Par ailleurs, il a cité le cas d'une technicienne de la police technique et scientifique (PTS) de La Réunion qui a réussi le concours d'ingénieur. Elle sera immédiatement affectée à La Réunion à sa sortie d'école.

Il a aussi cité la nomination d'un polynésien comme directeur territorial de la police nationale en Polynésie Française en 2022.

Même préoccupation à la gendarmerie nationale qui s'efforce d'inverser la tendance. Depuis l'été 2024, l'une des deux compagnies de gendarmerie en Polynésie française est commandée par un Polynésien. De même, en Nouvelle-Calédonie, le commandant de brigade de Boulouparis est un originaire.

Dans la magistrature, Paul Huber, directeur des services judiciaires, a dressé le tableau d'une magistrature comptant très peu d'ultramarins. Il n'y a par exemple aucun magistrat kanak et seulement un magistrat polynésien. Il estime qu'un travail reste à conduire avec les universités pour attirer et accompagner des candidats.

L'émergence de cadres ultramarins doit faire l'objet d'un plan d'action à moyen-long terme pour identifier les profils et mettre en place un accompagnement personnalisé tout au long de la carrière.

Les contractuels des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) : un vide juridique à combler

À ce jour, les agents contractuels de la collectivité des TAAF ne relèvent d'aucun statut de la fonction publique. Cela induit de réelles difficultés d'attractivité, de recrutement et de gestion. Cette situation concerne plus de la moitié des effectifs.

Cette situation tend à renforcer la spécialité législative du territoire, alors même que la majeure partie de ses missions portent sur des politiques publiques structurantes pour le pays, à l'instar de la souveraineté.

Suites aux échanges conduits avec la direction générale de la fonction publique début 2024, deux options sont envisagées :

- l'intégration des agents contractuels des TAAF dans le code général de la fonction publique, ce qui nécessitera une modification législative ;

- l'intégration des contractuels du territoire dans le programme 354 de l'État, à travers l'inscription d'une disposition dans une prochaine loi de finances.

Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, le Gouvernement avait obtenu que les agents contractuels des TAAF soient désormais affiliés au régime général de la sécurité sociale. Actuellement, l'administration des TAAF cotise volontairement à la Caisse des Français de l'Étranger (CFE) pour leur assurer une couverture sociale alors que la CFE a vocation à couvrir les Français expatriés.

Toutefois, la censure du Gouvernement à la suite du déclenchement de l'article 49-3 de la Constitution pour l'adoption du PLFSS 2025 a enterré (temporairement ?) cette avancée.

*

Les 38 recommandations du présent rapport ont pour ambition de contribuer à la prise de conscience de la gravité de la situation et de ses effets délétères sur les sociétés ultramarines. Par ailleurs, elle hypothèque tout développement des territoires.

Sans une réaction à la hauteur des enjeux, l'avenir des outre-mer restera sans horizon.

EXAMEN EN DÉLÉGATION

Mme Micheline Jacques, président. - Nous examinons aujourd'hui les conclusions du rapport sur l'adaptation des modes d'action de l'État dans les outre-mer, sujet que nous avions retenu lors de la programmation de nos travaux sur l'exercice 2024 et que nos deux rapporteurs, Philippe Bas et Victorin Lurel que je tiens à féliciter pour leur travail, nous présentent ce jour.

Ce rapport est ambitieux et inédit : j'espère vraiment qu'il recevra un accueil conséquent. Les rapporteurs ont travaillé pendant un an pour aboutir à un état des lieux complet et formuler de nombreuses recommandations étayées et opérationnelles.

Avant de leur céder la parole, je voudrais souligner l'ampleur des travaux préparatoires des rapporteurs. Cette étude a fait l'objet de 15 auditions au Sénat et 112 auditions dans les territoires visités, représentant un total de 230 personnes entendues aux profils très divers : ministres et directeurs d'administrations centrales, présidents de collectivités et leur équipe, préfets et sous-préfets, chefs de juridictions, directeurs d'établissements pénitentiaires, recteurs et chefs d'établissements scolaires, maires, commandements ultramarins de la gendarmerie, personnels de la police nationale et des douanes, officiers supérieurs de la Marine nationale.

La mission s'est rendue dans sept territoires, à La Réunion, Mayotte, Martinique, Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, en Polynésie française, sans oublier les Terres australes et antarctiques françaises puisque des échanges ont eu lieu avec l'actuelle administratrice supérieure. J'ai accompagné ces déplacements avec beaucoup d'intérêt : ils ont été très riches d'enseignements.

Je tiens à saluer tout particulièrement l'implication de nos collègues Jacqueline Eustache-Brinio et Audrey Bélim qui ont effectué le déplacement en Polynésie française ainsi que tous leurs collègues sénateurs qui nous ont accompagnés et éclairés chez eux : Lana Tetuanui et Teva Rohfritsch en Polynésie, Frédéric Buval en Martinique, Annick Petrus à Saint Martin, Viviane Malet, Evelyne Corbière Naminzo et Audrey Bélim à La Réunion, Saïd Omar Oili et Thani Mohamed Soilihi à Mayotte.

Des visioconférences ont été organisées pour les territoires (Guyane, Saint-Pierre-et-Miquelon) ou des questionnaires ont été envoyés (Wallis-et-Futuna).

Les rapporteurs se sont aussi appuyés sur les rapports précédemment publiés par les instances du Sénat, en particulier ceux de la commission des lois sur la situation en Polynésie et de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France.

Je ne doute donc pas de l'excellence des propositions de nos rapporteurs à partir de leur état des lieux.

Pour suivre les présentations de nos rapporteurs, comme d'habitude plusieurs supports sont disponibles :

- une note de synthèse du rapport sous forme d'un « Essentiel »,

- la liste des recommandations,

- et, pour ceux qui le souhaiteraient, une version provisoire du rapport.

Je vous rappelle enfin qu'une conférence de presse est prévue à 11 heures 30, dans la salle des conférences de presse.

Sans plus tarder, je cède à présent la parole à nos rapporteurs.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Je vous remercie, madame le président, de votre implication exceptionnelle dans ce travail. J'ai eu beaucoup de plaisir à réaliser cette mission avec Victorin Lurel, avec son expérience de ces questions. Chers collègues, nous avons apprécié vos accueils chaleureux et votre accompagnement, précieux, sur place.

Nous avons travaillé un an sur ce rapport. La situation des violences outre-mer et des trafics est très grave et s'est fortement dégradée. Nos compatriotes en outre-mer attendent donc une présence accrue de l'État sur ses missions essentielles. C'est une forme de solidarité nationale élémentaire à laquelle nous ne pouvons déroger. Nous devons poursuivre nos réflexions institutionnelles sur les compétences des assemblées élues ultramarines, sur le développement économique et sur la vie chère, mais nous ne pouvons passer à côté de la sécurité qui déstabilise profondément une partie significative de nos territoires. Nous nous sommes lancés avec beaucoup de conviction dans ce travail et nous n'avons pas été déçus de toutes les informations que nous avons pu recueillir.

Une grande partie de l'insécurité et de la déstabilisation est importée et liée au contexte international, du fait de l'extrême fragilité des structures étatiques des pays limitrophes ou proches de nos îles qui ne savent pas contrôler les dérèglements qui impliquent des trafics de drogues et d'armes et provoquent des flux migratoires qui comportent parfois des éléments ultraviolents. Nos compatriotes en outre-mer ne demandent pas moins d'État, mais plus d'État. Il existe sans doute une violence endogène, mais aussi une violence importée et cette déstabilisation place nos compatriotes dans une situation de détresse. La commission d'enquête sur les narcotrafics a parfaitement mis tous ces sujets en lumière.

Nous ne sommes pas allés en Guyane, mais nous avons mis à jour notre réflexion. Nous nous sommes rendus à Mayotte, avant le cyclone Chido qui conforte nos réflexions et accentue l'urgence de traiter les questions migratoires et de violence.

Nous constatons qu'il existe une spécificité des crimes, délits et trafics commis outre-mer, mais aussi une évolution négative partout, soit une aggravation de la spécificité. Les chiffres mentionnés proviennent de la police nationale, de la gendarmerie et de la justice. Nous ne citons que des chiffres 2023, puisque nous ne disposons pas encore des chiffres pour 2024. En zone gendarmerie, les outre-mer représentent 25 % des atteintes aux personnes pour 4 % de la population, 30 % des homicides, 50 % des vols à main armée, 50 % des agressions contre les gendarmes, 11 % des « féminicides ». 30 % du contentieux pénal en outre-mer est lié à des faits de violence, contre 18 % dans l'Hexagone. Dans l'Hexagone, il y a 1,3 homicide pour 100 000 habitants, contre 20,6 homicides pour 100 000 habitants en Guyane, 9,4 en Guadeloupe, 6,9 en Martinique et 5,5 à Mayotte. Les chiffres justifient que nos 3,3 millions de compatriotes appellent à la protection de l'État que nous devons relayer. Nous devons répondre à cette situation extrêmement grave.

L'évolution est négative : entre 2016 et 2023, les homicides ont augmenté de 5 % par an dans les DROM tandis que les coups et blessures volontaires augmentaient de 6 % par an et les violences intrafamiliales et les violences sexuelles de 14 % par an. Cette dégradation s'accélère pour certains crimes et délits. En 2023, les homicides ont augmenté de 14 % par rapport à 2022 tandis que l'usage de stupéfiants progressait de 37 %. J'ai obtenu quelques chiffres, à l'occasion des rentrées solennelles des cours et tribunaux ultramarins, datant de janvier 2025 : en Guadeloupe, il y a eu 33 morts en 2024 à cause du narcotrafic, ce qui place ce département au deuxième rang national. À Saint-Martin, le nombre d'homicides est 21 fois plus important que la moyenne nationale et les vols à main armée sont 48 fois supérieurs à la moyenne nationale, alors que le territoire est petit. En Martinique, 33 tonnes de cocaïne ont été saisies en 2024 et 11 tonnes dans les premiers jours de 2025. À La Réunion, 41 kilogrammes de cannabis ont été saisis en 2021, contre 193 en 2023 et 500 en 2024.

Si nous ne comprenons pas qu'il existe une urgence nationale et une solidarité élémentaire vis-à-vis de nos compatriotes ultramarins, nous n'avons rien compris.

Nous ne pouvons accuser l'État de n'avoir rien fait : l'État a été actif, même s'il ne l'a pas été suffisamment tôt ni suffisamment fort. 6 500 policiers et 7 200 gendarmes se trouvent sur ces territoires qui ont enregistré une forte augmentation du nombre de greffiers et de magistrats. Les lois de programmation pour la sécurité et la justice prévoient un effort, également réalisé sur le plan militaire, car une partie de la solution viendra des Armées.

L'État n'a pas été inactif. Le nombre de magistrats et de greffiers est même plus important en outre-mer qu'en Hexagone : des solutions ont été trouvées pour attirer les magistrats et les greffiers, y compris par des séjours de six mois qui renforcent les effectifs judiciaires. Il ne faudrait toutefois pas décider des affectations des ressources humaines en fonction du seul nombre d'habitants, mais en fonction du nombre de crimes et de délits. Les critères qui prévalent pour déterminer le nombre d'emplois ne sont pas adaptés à la réalité.

Notre rapport s'intitule « pour un choc régalien outre-mer ». Nous n'avons pas besoin de moins d'État, mais de plus d'État dans sa mission première qu'il doit pleinement assumer.

Le rapport comprend 38 recommandations. Certaines recommandations portent sur la procédure pénale. Ainsi, nous recommandons d'allonger de 20 heures la durée des gardes à vue pour les personnes appréhendées dans des zones isolées (forêt vierge ou île d'un archipel), éloignées de l'endroit où se déroule l'enquête. En l'absence d'avocat, la procédure pénale doit pouvoir se dérouler : celle-ci doit protéger les individus contre l'arbitraire. Nous recommandons donc de développer le système des défenseurs agréés qui existe à Mayotte, mais est peu utilisé : il convient en outre de l'étendre à la Guyane. Pour les interprètes, un diplôme est requis dans la procédure, alors que de nombreux compatriotes parlent couramment plusieurs langues et sont parfaitement qualifiés pour servir d'interprètes, même s'ils n'ont pas de diplômes. En effet, notre procédure pénale n'a pas été pensée en fonction des réalités ultramarines et se plaque sur ces réalités sans efficacité. Il convient de réviser ces dispositifs. Pour arrêter les mules, les préfets prennent des arrêtés d'interdiction d'embarquement à l'aéroport et des bases légales doivent être prévues. Des peines complémentaires d'interdiction de vol pourraient être présentées par la justice. De nombreuses mesures pénales doivent être adoptées.

L'implantation territoriale des forces de sécurité doit être densifiée puisqu'il existe des dessertes. Les forces de sécurité nationale doivent mener des actions conjointes avec l'autorité judiciaire, à l'instar du dispositif « 100 % contrôle » à l'aéroport en Guyane. Il convient de laisser aux forces de sécurité intérieure une liberté d'initiative sur chaque territoire pour s'adapter aux besoins opérationnels. L'opération Wuambushu 2 semble avoir produit de meilleurs résultats de ce point de vue que la première et peut servir d'exemple. La lutte contre les violences intrafamiliales doit être renforcée, avec une brigade de gendarmerie spécialisée dans chaque territoire. La surpopulation carcérale - ou la sous-capacité carcérale - n'a pas connu les remèdes attendus en 2017. Un plan de 15 000 places était alors prévu, mais seules 2 000 places ont été construites en huit ans. La prison de Mayotte a un taux de suroccupation qui s'élève à 270 % : nous avons visité cette prison et nous avons été horrifiés. Ce n'est pas lié à la qualité de la direction - le directeur a démissionné depuis - ou du personnel. Il n'existe aucun centre éducatif fermé à Mayotte, alors que la population du département est très jeune, et la Guyane n'en compte qu'un seul pour 300 000 habitants. Nous observons un énorme retard pour la prise en compte des questions sécuritaires. Un chantier pénitentiaire très important doit être initié pour les outre-mer.

La deuxième priorité est la lutte contre les narcotrafics. À la Martinique, une frégate dont la vitesse peut atteindre 15 noeuds est chargée d'arraisonner des go fast qui circulent à 60 noeuds, ce qui ne peut être efficace. De tels exemples m'ont stupéfait. Nous partageons les conclusions de la commission d'enquête sur le narcotrafic : la commission des lois en a délibéré hier matin et la situation progressera. Des besoins d'enquêteurs et de magistrats spécialistes de la criminalité organisée et financière ne sont pas satisfaits et il manque une police scientifique et technique : les échantillons sont actuellement envoyés pour analyse dans l'Hexagone, ce qui prend des semaines et empêche la condamnation rapide des délinquants et des criminels. L'organisation des juridictions est défaillante, à cause de l'éloignement du lieu de détention des individus pendant l'enquête judiciaire. Des mesures doivent également être prises.

Enfin, la troisième priorité concerne l'immigration clandestine. Nos territoires ultramarins ne sont pas tous touchés par l'immigration - certains se dépeuplent même -, mais des solutions doivent être mises en oeuvre à Mayotte et en Guyane. L'idée du « rideau de fer » vis-à-vis des Comores doit maintenant se traduire dans la réalité : nous avons constaté que le système de détection et de surveillance était profondément lacunaire, malgré son coût. Il faut des radars qui fonctionnent, des drones pour la surveillance aérienne, des caméras de longue portée et des bases nautiques avancées, au plus près de l'espace maritime comorien. Les moyens nautiques d'interception doivent être accrus et ces moyens doivent être adaptés à la vitesse des embarcations des passeurs. La présence de bâtiments militaires dissuasifs doit être accrue entre Anjouan et Mayotte. Il convient d'enregistrer systématiquement les empreintes digitales des étrangers éloignés, pour établir le délit de séjour irrégulier qui sera aggravé en cas de récidive dans l'accès au territoire national. Un fichier unique de l'état civil et des attestations de résidence doit être constitué. Les conditions d'accès à la nationalité française, modifiées à Mayotte, doivent être de nouveau examinées, après une évaluation de l'efficacité du dispositif mis en place en 2018. Il convient d'être efficace dans la poursuite des déclarations de paternité abusives qui se comptent par dizaines et dans les déclarations de résidence falsifiées. Un élu vient d'être condamné pour avoir rédigé 150 fausses attestations de résidence, moyennant finances. Une personne qui reconnaît frauduleusement un enfant doit subir une contrainte dissuasive, par exemple en payant une obligation alimentaire ou en déposant une caution.

Nous ne sommes pas démunis : de nombreuses mesures peuvent être prises pour arrêter la dégradation. Nous devons proposer des mesures d'organisation et de moyens, en ayant pleinement conscience des contraintes budgétaires de l'État. Certaines mesures nous permettraient d'être plus efficaces sur le plan de la procédure pénale et des sanctions pénales, en étant coordonnés, pour faire face à l'insécurité.

Il faut déposer une proposition de loi.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - En tant qu'originaire des outre-mer, j'avais des intuitions, mais la mission m'a donné une vision globale, et non parcellaire, des enjeux. La violence est importante, avec les violences intrafamiliales, les trafics et la corruption. Le réflexe outre-mer n'est pas encore appliqué ou adapté. Lorsque vous êtes immergé comme je le suis, il est difficile d'avoir une vision globale. Le rapport apporte une vision globale sur les sujets régaliens. Nous l'avons centré sur les aspects relatifs à la sécurité, la justice et la défense. Nos propositions sont classiques, voire banales, mais elles ne sont pas mises en oeuvre jusqu'à présent. L'État n'est toutefois pas resté inerte et a investi des moyens conséquents, mais ces ressources ne sont pas optimisées.

Les menaces internes ont été présentées par Philippe Bas, mais il existe également des menaces exogènes liées au narcotrafic, au trafic d'armes, au blanchiment d'argent, à l'immigration clandestine, à la pêche illégale, à l'orpaillage, à l'ingérence étrangère et à la cybersécurité.

La France dispose du deuxième espace maritime du monde, difficile à contrôler : il est envié, voire pillé. Ces espaces gigantesques sont poreux et mal protégés. Même en détection satellitaire, nous ne faisons rien. Nos actions restent largement insuffisantes. Comment protéger, dans un espace instable, où la compétition entre nations s'est accélérée ? Comment mieux parer aux ingérences étrangères, de plus en plus nombreuses ? Si nous n'apportons qu'une réponse administrative et judiciaire, la donne ne changera pas. Nous devons donc aller plus loin : sans cela, l'État « arrose le sable ». Nous devons changer de paradigme et tenter, avec les moyens accordés aux représentants de l'État dans ces territoires, de repousser les menaces à nos frontières et de les traiter en amont.

Cela suppose de combiner trois éléments : l'action diplomatique et la coopération régionale policière et judiciaire intensive, ainsi que militaire ; le durcissement de l'emploi des forces si nécessaire, notamment en Guyane ; la restauration de la crédibilité du contrôle de nos frontières maritimes et terrestres.

La première priorité relève d'une diplomatie française des outre-mer, tenant compte des intérêts de ces territoires. Nous avons huit représentations dans la Caraïbe et dans la Méso-Amérique, contre 36 pour la Chine. La Grande-Bretagne et les États-Unis ont pris du recul tandis que la Chine avance pour maîtriser les vecteurs, canaux et flux entre le Pacifique et l'Atlantique. La Caraïbe se trouve au coeur de cette géopolitique : la France doit donc retrouver sa place au sein de cet ensemble géographique, comme dans l'espace indopacifique.

La Guyane a 750 kilomètres de frontière avec le Brésil. Depuis 20 ans, l'État lutte contre l'orpaillage clandestin. 8 000 garimpeiros opèrent dans les forêts guyanaises, exportant environ 10 tonnes d'or par an via le Suriname, or ensuite traité à Dubaï. Il faut traiter ce problème diplomatiquement et militairement. Il n'est pas normal que, le long du Maroni, toute la logistique soit installée au vu et au su de tous pour se rendre en forêt guyanaise porter atteinte à l'environnement et à la souveraineté nationale. Il convient de durcir l'emploi des forces et d'activer le dispositif de défense opérationnelle du territoire, prévu dans l'article R. 1421-1 du code de la défense. Actuellement, des gendarmes et des militaires se trouvent dans la forêt guyanaise : face aux ennemis extérieurs et à la menace extérieure portant atteinte à la souveraineté nationale, ce dispositif de défense opérationnelle peut s'appliquer. Le militaire n'a pas à respecter la sommation et la légitime défense. La doctrine, l'action, les moyens et les bases juridiques doivent probablement être revus en Guyane pour être plus efficaces. La France est un grand pays et doit pouvoir s'imposer face au Suriname, pour lui faire comprendre que des traités sont nécessaires, ainsi que la coopération policière et judiciaire, voire militaire.

Après une vingtaine d'années et de nombreux engagements pris, il n'est pas normal de ne pas disposer d'une convention de pêche avec la Dominique et avec Antigue. Nous aurions dû délimiter les zones territoriales, ce que nous n'avons pas pu faire parce que la Dominique et Antigue le refusent. Nous devons au moins délimiter les frontières, grâce à notre diplomatie et à l'intervention de l'Union européenne, pour les sécuriser. Une nouvelle doctrine doit émerger, ainsi qu'une nouvelle énergie diplomatique.

Il convient également de prévoir une meilleure coopération judiciaire et policière. Des malfrats connus viennent en Guadeloupe, au vu et au su de tous, faute de convention d'extradition ou d'officiers de liaison avec la Dominique. Les Antilles sont une zone de rebond, de trafic et d'influence convoitée et il existe une urgence diplomatique pour que les sujets avancent.

Pour les contrôles de frontières maritimes et terrestres, la loi de programmation militaire pour 2024-2030 prévoit le projet de « rideau de fer ». Notre rapport reprend une idée émise par Brigitte Girardin, lorsqu'elle était ministre des outre-mer, visant à maintenir des bâtiments militaires entre l'île d'Anjouan et Mayotte, dans un but dissuasif. Les outre-mer ont besoin de restaurer l'autorité de l'État, autour de ses pouvoirs régaliens et du pouvoir délégué au préfet. Actuellement, le préfet ne contrôle pas tout : il ne peut rien imposer à l'ARS ou au recteur ; les services déconcentrés de l'État sont relativement autonomes. Tout doit être recentré, à l'instar de ce qui a été réalisé en Guyane depuis 2019 où les services de l'État ont été reconfigurés. Il serait intéressant de dresser un bilan de cette expérience et de généraliser ce qui peut l'être.

Concernant la gouvernance, la doctrine doit sans doute être revue en matière de ressources humaines. De nombreuses expériences ont été menées. J'ai été agréablement surpris par des expériences engagées par le ministère de la Justice pour instituer un secrétariat général délégué aux outre-mer, instaurer des délégués dans les outre-mer ou trouver des contrats de mobilités pour les mutations et les affectations des originaires, en tenant compte des contraintes. Il conviendrait d'affecter davantage de cadres originaires : le problème ne se pose pas tellement pour l'administration pénitentiaire qui compte de nombreux originaires, mais plus pour la police. La gendarmerie est moins confrontée aux problématiques de logements, puisqu'elle dispose de casernes, mais les territoires moins attractifs, comme la Guyane ou Mayotte, sont confrontés à ces problèmes. Enfin, le préfet doit être le chef d'orchestre et doit disposer de plus de pouvoirs, en révisant le décret du 8 avril 2020, l'autorisant à déroger aux textes. Le rapport contient des propositions visant à améliorer la consultation préalable des collectivités, en évitant de contourner le Parlement tout en associant les élus locaux et nationaux pour améliorer la gouvernance et l'administration.

Ces 38 recommandations ont été rédigées par les rapporteurs, avec l'aide précieuse de la présidente qui vient d'ajouter une proposition sur les agents de police municipale qui pourraient être des agents de police judiciaire.

Mme Micheline Jacques, président. - Je précise que cette disposition ne peut être mise en place que dans les territoires régis par l'article 74 de la Constitution.

Je vous remercie, chers rapporteurs. Au cours de cette mission, nous avons visité les prisons et avons été confrontés à des situations très difficiles. Sept personnes se retrouvent parfois dans une cellule de 10 mètres carrés, ce qui est indécent et indigne pour ces personnes.

M. Philippe Folliot. - Je félicite nos rapporteurs pour la qualité de leur travail et de leur présentation. Il nous manquait effectivement une vision globale.

Les chiffres présentés sur la situation en matière d'insécurité, de délinquance et de développement du narcotrafic dans les outre-mer montrent que le rattachement du ministère des outre-mer au ministère de l'Intérieur s'est révélé un échec. Ce rattachement avait été présenté comme une solution pour obtenir plus de moyens et répondre à la situation spécifique des territoires ultramarins. Or, nous n'observons aucune inversion de la tendance, mais, au contraire, une accélération des problèmes et des difficultés. Le fait que les outre-mer aient un ministère de plein exercice est une orientation qui permettra de sortir de cette vision erronée.

L'enjeu de la pêche illicite est important. Vous avez oublié de citer la pêche illicite dans la zone de la Passion-Clipperton où la France ne contrôle rien et tolère, dans sa zone économique exclusive qui représente 436 000 kilomètres carrés, des pratiques de pêche qu'elle condamne partout ailleurs.

Au cours des vingt ou trente dernières années, les forces armées déployées dans nos outre-mer ont été divisées par deux. Les outre-mer représentent 97,5 % de la zone économique exclusive nationale, mais 90 % des moyens de la Marine nationale sont déployés dans l'Hexagone. Quand nous connaissons toutes les difficultés rencontrées par notre pays au travers des forces présentes en Afrique, ne pensez-vous pas qu'il existe un enjeu important en matière de redéploiement des forces armées dans les outre-mer, au-delà des recommandations 26 et 27 du rapport, pour envoyer un signal fort de la volonté de l'État de reprendre pied et d'assurer son rayonnement international ? La possibilité de donner au préfet un rôle diplomatique, ou du moins la possibilité d'échanger avec les acteurs des territoires voisins, me paraît très pertinente. Si des moyens de la défense étaient en outre déployés en conséquence, de manière adéquate, cette proposition aurait encore plus de force et de crédibilité.

M. Jean-Gérard Paumier. - Je félicite également les rapporteurs pour ce travail extraordinaire qui montre la situation d'urgence dans les outre-mer, urgence dont la population n'a pas conscience dans l'Hexagone.

Vous dressez un constat précis et accablant. Est-ce lié à la pauvreté plus importante de ces territoires ? Les propositions sont adaptées et séduisantes, mais le « choc régalien » n'ira pas sans un choc budgétaire. Le budget des outre-mer a été augmenté, mais cette augmentation sert à reconstruire des choses, à la suite des événements en Nouvelle-Calédonie et du cyclone Chido, et non à améliorer des éléments structurels mentionnés dans le rapport. La PPL est importante, mais il serait utile de disposer d'un chiffrage de vos mesures prioritaires, afin de montrer l'urgence de la situation dans les outre-mer. Cette situation très particulière prend un relief supplémentaire dans la compétition mondiale actuelle qui est exacerbée. Le territoire est apparemment solide, mais en réalité très fragile.

Mme Audrey Bélim. - Je vous remercie et je suis ravie de voir le résultat de ce travail auquel j'ai un peu participé. J'aurais souhaité que ce rapport puisse intervenir avant l'examen des crédits de la mission outre-mer puisque nous n'avons pas pu bien le traduire dans cette mission.

À La Réunion, une expression dit « le pas cher, ça coûte cher ». Il convient d'arrêter de se limiter et de poser des pansements, puisqu'il faut soigner et investir. Nous pouvons faire rayonner la France partout dans le monde et nous le souhaitons dans les outre-mer. Nous devons certes être responsables, d'un point de vue budgétaire, mais les investissements sont nécessaires pour rayonner partout dans le monde. Les outre-mer peuvent être des leviers économiques. La reconstruction à Mayotte peut conduire à un développement économique pour son territoire puisque l'île se trouve sur le canal du Mozambique. Les événements survenus à Mayotte auront des conséquences dans tout l'océan Indien. Notre territoire se montrera solidaire : les enfants sont arrivés et ont fait leur rentrée à La Réunion. Quid des parents et des familles ?

Je vous remercie pour ce rapport et j'espère que nous le garderons en tête pour voter l'an prochain les mesures qu'il contient.

M. Akli Mellouli. - Je m'associe à mes collègues pour saluer également ce rapport. Je me félicite que le Sénat impulse ce débat nécessaire. J'exprime toutefois une divergence sur les mesures proposées sur Mayotte : nous ne pourrons endiguer l'immigration avec des murs de fer. Si les Comores ne se développent pas, nous ne réglerons pas le problème d'immigration à Mayotte. Nous ajouterons même des problèmes à La Réunion. Nous devrons tenir ce débat, de manière apaisée.

Vous avez parlé du rôle de l'armée, notamment en Guyane, avec la Légion étrangère qui cherche à faire fuir les garimpeiros. Quand les militaires font exploser les installations, la terre est ensuite ramollie et plus facile à creuser. Nous devons donc travailler avec les pays frontaliers : le Brésil doit aussi travailler avec nous en synergie, dans la forêt amazonienne.

Sur l'orpaillage, il serait intéressant d'auditionner le général de la Marine puisqu'un véritable enjeu de biodiversité existe dans nos territoires ultramarins et que la marine intervient pour protéger les territoires. Il serait intéressant de mener ce travail complémentaire.

Les violences intrafamiliales ne concernent pas uniquement les outre-mer qui ne doivent pas être stigmatisés : elles concernent nos sociétés.

M. Frédéric Buval. - Je remercie la présidente, les rapporteurs et l'équipe administrative pour ce travail.

Je suis élu depuis 1983 à la Martinique, en tant qu'élu municipal, conseiller général et sénateur : votre visite m'a pourtant permis, pour la première fois, de rentrer dans l'ensemble des structures de l'État à la Martinique. J'avais assisté aux voeux du préfet à la résidence préfectorale et je connais les directeurs de toutes les structures. Je comprends que les Martiniquais ne soient pas informés de ce qui se passe dans ces structures, si les élus ne le sont pas. Lorsque vous êtes venus pour la mission, vous m'avez fait entrer dans toutes les structures (police nationale, douane, armée). Les structures de l'État doivent communiquer avec les élus locaux, ou du moins avec l'association des maires. Les élus martiniquais ne disposent pas suffisamment d'informations et ne connaissent pas la réalité : ils devraient pouvoir rencontrer les services de l'État une fois par an.

Dans la Caraïbe, nous sommes entourés de pays anglophones avec lesquels l'État français n'a pas contractualisé de conventions. Notre gouvernement a donné à la collectivité territoriale de la Martinique la possibilité de siéger dans les structures caraïbéennes, mais notre marge de manoeuvre est réduite puisque nous nous trouvons sous l'autorité de l'ambassadeur. Nous devons pouvoir signer des conventions dans la Caraïbe.

Vous parlez beaucoup de l'armée, mais c'est une armée stationnaire. Il reste peu de casernes pour héberger les militaires et ces derniers sont parfois logés dans des bâtiments privés. Vous proposez d'accueillir les forces du Sahel - et leur présence serait nécessaire -, mais nous n'avons pas les capacités de les accueillir en Martinique. La douane n'a pas de vedettes et n'a pas les moyens de lutter contre le trafic de drogues.

Le rapport cite les propos du président Sarkozy, lors d'une visite à la Martinique, qui avait dit qu'il fallait donner la priorité aux Martiniquais, à compétences égales. Or, dans les structures de l'État, toute la chaîne de direction est occupée par des fonctionnaires hexagonaux. Il est très difficile pour les Martiniquais d'intégrer les chaînes de direction des services de l'État et les jeunes Martiniquais diplômés partent donc ailleurs, puisqu'ils ne parviennent pas à obtenir de poste localement. Vous le signalez rapidement dans le rapport.

Je vous félicite pour votre travail. Quand vous vous êtes rendus sur place, vous avez mené un travail intense et vous avez posé des questions pertinentes.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Le ministère des outre-mer a historiquement toujours été rattaché au ministère de l'Intérieur : depuis la colonisation, la priorité de l'action de l'État a toujours concerné le maintien de l'ordre, surtout en Guadeloupe et Martinique. Sous la Ve République, l'ancien ministère des Colonies est devenu le ministère des outre-mer. Même quand le ministère est un ministère de plein exercice, des fonctions supports dépendent toutefois du ministère de l'Intérieur, notamment pour le personnel.

Le ministère a en outre été démantelé : en 2007 ou 2008, 356 personnes travaillaient, dans deux directions. Quand je suis arrivé en 2012, il ne restait plus que 130 personnes et une délégation générale aux outre-mer : j'ai dû batailler avec le Premier ministre et Bercy pour transformer cette délégation en Direction générale des outre-mer.

Aujourd'hui, nous avons un ministre d'État des outre-mer, troisième dans le protocole républicain. Le budget a été augmenté, principalement pour la reconstruction de Mayotte et de la Nouvelle-Calédonie, au détriment des actions relevant des autres territoires. Le budget a beaucoup augmenté en 2024 et il atteint maintenant 3,5 milliards d'euros, contre 2,5 milliards d'euros auparavant. L'effort budgétaire total de l'État, qu'il convient de clarifier, doit être de 16 à 22 milliards d'euros.

Sur la pêche, nous oublions effectivement toujours Clipperton. Nous laissons le Mexique et d'autres territoires s'en occuper, hélas. Je rappelle à nos collègues que Philippe Folliot avait avais déposé une proposition de loi qui n'a pas abouti, mais l'idée était bonne.

Les effectifs ont effectivement diminué, notamment dans les Armées. Nous observons un déficit sur l'action de l'État en mer et sur ses moyens maritimes et aéroterrestres. En l'absence de préfecture maritime, des zones de défense sont concentrées en Martinique et à La Réunion. Un déficit existe effectivement pour contrôler, même si des efforts ont été réalisés. Il faut peut-être redéployer les moyens et mieux connaître l'organisation des services de l'État. Le rapport souligne que les préfectures maritimes ne sont peut-être pas les plus pertinentes, même si des officiers considèrent que ces créations pourraient être judicieuses.

Nous voulons renforcer les pouvoirs délégués aux préfets et instaurer une véritable gouvernance. Une expérimentation est menée depuis 2018 ou 2019 en Guyane : nous souhaiterions en tirer les conclusions pour savoir s'il est possible de la généraliser, peut-être à moyens constants, au départ, puisque la France est dans une situation de redressement budgétaire et financier. Nous souhaitons regarder la manière de mieux travailler et de mieux utiliser les moyens de l'État dans son périmètre régalien, à moyens constants.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Je remercie nos collègues pour leurs réflexions et leur conscience de la gravité de la situation. Même La Réunion, qui est le département ultramarin le plus stable, avec des services publics et des infrastructures proches de la situation hexagonale, subit l'impact de la déstabilisation profonde de Mayotte qui préoccupe vivement les autorités et la population. Certains territoires ne sont pas loin d'un point de bascule ou d'une menace par l'onde de choc de la déstabilisation des collectivités françaises les plus proches et du narcotrafic. Nous avons le devoir d'intercepter les trafiquants.

Je suis sensible à la nécessité de ne pas stigmatiser nos compatriotes ultramarins, qui ne sont pas majoritairement les auteurs de ces violences, mais bien les victimes. Nous abordons le sujet, au Sénat de la République, avec une profonde solidarité avec nos compatriotes ultramarins qui ont droit à la même sécurité que tous nos compatriotes et se trouvent dans une situation d'insécurité préoccupante.

Je constate une grande sensibilité au sujet de la cohésion de la société ultramarine.

Je souhaite revenir un instant sur les préfets : nous ne voulons pas en faire des proconsuls. Il ne s'agit pas qu'ils récupèrent des pouvoirs transférés aux collectivités. La réflexion sur l'autonomie des collectivités et l'adaptation du droit doit se poursuivre. L' « alpha » et l'« oméga » du traitement des problèmes ultramarins ne sont toutefois pas le repli de l'État : l'État doit assumer pleinement sa responsabilité première. Des efforts ont été réalisés, mais les résultats ne sont pas au rendez-vous. L'État ne doit pas se laisser submerger et nos compatriotes ultramarins doivent comprendre que notre réflexion est porteuse de leurs attentes de plus de sécurité, qui se manifestent à toutes les élections. Le préfet doit agir pour la sécurité et aussi pour la diplomatie. Nous avons des ambassadeurs dans tous les pays qui se trouvent à la source d'une partie de nos difficultés, mais ces ambassadeurs prennent en compte l'intégralité de la relation entre la France et ces pays alors que la spécificité de la relation avec les outre-mer doit être défendue par nos préfets. Ces derniers doivent également avoir un pouvoir de coordination, notamment sur les militaires (marine nationale et armée de terre), qui n'est peut-être pas suffisante actuellement.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Le travail avec le Brésil a commencé. J'ai été très sensible aux propos de Frédéric Buval : les élus locaux ont effectivement l'impression de connaître le fonctionnement de l'État, sans le savoir précisément. Les élus n'osent pas poser des questions sur les forces de sécurité et les doctrines d'emplois des forces.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous propose de procéder à l'adoption du rapport.

Le rapport est adopté à l'unanimité.

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI

Objet (formulation synthétique)

Acteurs concernés

Support

Mise en application

1

Densifier l'implantation territoriale des forces de sécurité par :

- la création de brigades conjointes de proximité police nationale-police municipale ou gendarmerie-police municipale ;

- le déploiement des nouvelles brigades de gendarmerie dans les zones tendues ;

- le renforcement du recours à des réservistes formés et intégrés au dispositif ;

- l'attribution de la qualité d'agent de police judiciaire aux policiers territoriaux de Saint-Barthélemy.

Ministère de l'Intérieur

Communes

Parlement

Décrets

Délibérations

Instructions

Loi de programmation

Loi ordinaire (code de procédure pénale)

2025

2

Au niveau de chaque territoire, assurer la bonne coordination des forces de sécurité outre-mer - esprit « équipe France ».

Ministères de l'Intérieur et de la Justice

Maires

Circulaire ministérielle

Instruction des préfets

Décision des procureurs de la République

2025

3

Laisser aux forces de sécurité intérieure une liberté d'initiative pour adapter et faire évoluer les doctrines d'emploi à la situation de chaque territoire sous le contrôle du préfet et du procureur.

Ministère de l'Intérieur de la Justice

Préfet, Procureur, COMGEND, DTPN

Instruction

2025

4

Supprimer l'octroi de mer sur les importations de matériels dédiés aux forces de sécurité et affecter cette économie à l'achat de matériels adaptés supplémentaires.

Collectivités régionales

Délibérations des régions

2026

5

Informer et mieux associer les maires aux opérations de maintien ou de rétablissement de l'ordre, et procéder à des retours d'expérience réguliers sur les opérations et mesures de police prises.

Préfets, COMGEND, DTPN, maires

Instructions

CLSPD

Si nécessaire, précision de la loi sur les obligations d'information dues aux maires

2025

6

Démultiplier la lutte contre les violences intrafamiliales.

Ministère de l'Intérieur, Ministère chargé de la solidarité et des familles, Collectivités départementales, CAF Associations...

Loi de finances

Décrets

Instruction

2025

7

Afin de prendre en compte les contraintes opérationnelles dans les zones isolées de la Guyane et de la Polynésie française, adapter les dispositions du code de procédure pénale relatives à la garde à vue, en faisant démarrer le début de celle-ci à compter de l'arrivée dans les locaux et non de l'interpellation, dans la limite de 20 heures, et en aménageant l'obligation de présence d'un avocat dès le début des auditions.

Ministère de la Justice

Parlement

Loi ordinaire

2025

8

À Mayotte, en l'absence d'avocat, faire usage de l'article 879 du code de procédure pénale qui permet la désignation de citoyens défenseurs agréés par le président de chambre d'appel de Mamoudzou, et étendre cette faculté à certaines régions de la Guyane.

Ministère de la Justice

Procureur

Parlement

Instruction pénale

Loi ordinaire

2025

9

Dans les territoires isolés ou manquant d'interprètes agréés, autoriser des interprètes non experts inscrits sur une liste arrêtée par le procureur de la République et ouvrir largement le recours à l'interprétariat par visioconférence ou par des logiciels d'intelligence artificielle.

Ministère de la Justice

Procureur

Parlement

Loi ordinaire

2025

10

À Mayotte, étendre le rappel à l'ordre par le maire aux violences volontaires sans ITT ou aux dégradations mineures, en coordination avec le procureur de la République.

Ministère de la Justice

Procureur

Maires

Loi ordinaire

2025

11

Accélérer l'exécution du « plan 15 000 » pour la réhabilitation et la construction de places de prisons outre-mer, notamment en Guyane, Guadeloupe et Martinique, et créer plusieurs centres éducatifs fermés à Mayotte et en Guyane.

Ministère de la Justice

Le cas échéant, les collectivités pour libérer du foncier

Loi de finances

Loi de programmation

2029

12

Préparer le transfert des extractions judiciaires à l'administration pénitentiaire.

Ministères de l'Intérieur et de la Justice

Loi de finances

Loi de programmation

2030

13

Consolider les effectifs de jeunes intégrant le Service Militaire Adapté (SMA), étudier les modalités d'une implantation à Saint-Martin et renforcer les liens avec la Fondation du SMA pour un meilleur suivi de la réinsertion.

Ministères des Armées et des outre-mer

Collectivités

Loi de finances

2026

14

Renforcer l'incarnation de la justice dans les outre-mer :

- créer une cour d'appel de plein exercice à Mayotte et un tribunal judiciaire à Saint-Martin ;

- créer des sections détachées en Guyane, voire dans l'archipel de la Guadeloupe sur le modèle polynésien ;

- développer les audiences foraines et le recours à la visioconférence ;

- fiabiliser le réseau numérique et les applications métiers du ministère de la justice dans les outre-mer ;

- mieux financer les points d'accès au droit pour offrir des consultations gratuites aux populations ;

- accélérer les grands chantiers immobiliers de la justice, notamment la réhabilitation des locaux de la cour d'appel et du tribunal judiciaire de Basse-Terre et les cités judiciaires de Saint-Martin, Saint-Laurent du Maroni et Mayotte.

Ministère de la Justice

Parlement

Loi de finances

Loi de programmation

Loi ordinaire

Décrets

Instructions

2030

15

Concentrer les renforts d'effectifs sur les enquêteurs et magistrats spécialistes de la criminalité organisée et financière, en ciblant en priorité les Antilles, la Guyane et la Polynésie française, et créer un Groupe interministériel de recherche (GIR) pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy.

Ministères de l'Intérieur et de la Justice

Décisions ministérielles

2025

16

Doter chaque bassin océanique de capacités de police scientifique et technique, pour une exploitation plus rapide des données et sans passer nécessairement par l'Hexagone.

Ministère de l'Intérieur

Loi de finances

Décisions ministérielles

2030

17

À l'aéroport Félix Éboué en Guyane, consolider les contrôles à 100 %, les étendre aux Antilles, sécuriser dans la loi les arrêtés préfectoraux d'interdiction d'embarquement et créer une peine complémentaire d'interdiction de vol.

Préfet, Procureur, COMGEND, DTPN, Douanes

Parlement

Instructions

Décisions individuelles

Loi ordinaire

2025

18

Créer au sein du tribunal judiciaire de Cayenne une chambre correctionnelle permanente, une section du parquet en charge de la criminalité organisée, renforcer massivement la coordination avec la JIRS de Fort-de-France et de manière générale, réexaminer le classement des tribunaux judiciaires ultramarins par groupe de juridiction.

Ministère de la Justice

Décrets

2025-2027

19

À Mayotte, engager tous les moyens nécessaires à la réussite du « rideau de fer ».

Ministères de l'Intérieur et des Armées

Loi de finances

Décisions ministérielles

2025-2027

20

Rendre obligatoire la justification de l'origine des fonds dès le premier euro pour les transferts d'argent en espèces vers les Comores.

Ministère de l'Économie

Décret

2025

21

Créer un fichier unique de l'état civil, ainsi qu'un fichier des attestations de résidence à Mayotte et en Guyane.

Ministères de la Justice et de l'Intérieur

Loi ordinaire

Décrets

2027

22

Réaliser une étude d'impact sérieuse de la réforme adoptée en 2018 des modes d'acquisition de la nationalité française par les enfants nés à Mayotte de parents étrangers et examiner la possibilité d'allonger par une loi ordinaire la durée exigée de résidence régulière et ininterrompue d'un des parents.

Ministères de la Justice et de l'Intérieur

Loi ordinaire si l'étude confirme l'utilité de cette évolution des modes d'acquisition de la nationalité française

2025

23

Définir une diplomatie française des outre-mer coconstruite avec les territoires.

Président de la République Gouvernement

Collectivités

Livre blanc

Instructions inter ministérielles

Convention internationale le cas échéant

Dès 2025

24

Faire de la coopération judiciaire et policière avec tous les États situés dans l'espace régional des outre-mer une priorité.

Ministères de l'Intérieur, de la Justice, des Outre-mer et des Affaires étrangères

Conventions internationales

Arrangements administratifs

Dès 2025

25

Reconnaître pleinement le rôle diplomatique des préfets en poste outre-mer, leur importance et leur rôle stratégique.

Gouvernement

Décrets

Décisions ministérielles

2025

26

Traiter l'orpaillage illégal comme une atteinte extérieure à la souveraineté territoriale française et, en conséquence, durcir l'emploi des forces armées en activant le dispositif de défense opérationnelle du territoire (DOT) prévue à l'article R. 1421-1 du code de la défense.

Gouvernement

Ministères de l'Intérieur et des Armées

Décret

2026

27

Arrêter un plan à 5 ans de modernisation des moyens techniques de contrôle des frontières maritimes de chaque territoire ultramarin.

Gouvernement

Ministères des Armées, de l'Intérieur et des Transports

Loi de finances

2030

28

Avec les autorités en charge de la gestion des ports ultramarins, repenser entièrement les infrastructures portuaires ultramarines en matière de sûreté.

Ministères des Outre-mer et des transports

Autorités gestionnaires des ports

Collectivités régionales

Convention

2027

29

Mettre en place dans chaque territoire une « force aux frontières ».

Gouvernement

Décret

Instruction inter-ministérielle

2026

30

Lutter contre les opérations d'influences étrangères outre-mer.

Gouvernement

Circulaire

Communication

2025

31

En application de l'article 73 de la Constitution, accroître la liberté de déroger des préfets dans les outre-mer.

Gouvernement

Parlement

Loi ordinaire

Décret

2026

32

Expérimenter une déconcentration renforcée des services de l'État outre-mer, autour du préfet, réduire le nombre d'opérateurs par un redéploiement des ETP dans les services déconcentrés et évaluer prioritairement la réforme de l'organisation des services de l'État en Guyane en vue de sa possible généralisation aux autres territoires ultramarins.

Gouvernement

Parlement

Décret

Loi ordinaire pour certains opérateurs de l'État

2026

33

Laisser à la main des préfets des moyens budgétaires plus importants pour financer des opérations innovantes et adaptées les politiques publiques aux réalités territoriales.

Gouvernement

Décret

2025

34

Rendre obligatoires les modules de formation aux spécificités outre-mer pour tous les fonctionnaires d'État affectés dans ces territoires et mieux organiser les transmissions d'expériences.

Gouvernement

Ministère des Outre-mer

Ministère de la fonction publique

Arrêtés

Plan de formation

Instructions inter ministérielles

2026

35

Dans les outre-mer les moins attractifs, proposer des « contrats de mobilité » garantissant l'affectation de leur choix aux agents de l'État après leur mission outre-mer pour attirer les personnels compétents, sur le modèle du ministère de la Justice et sous réserve d'avoir démontré son engagement le temps de son affectation, et proposer des solutions de logement et d'accompagnement à l'installation sur-mesure.

Gouvernement

Décret

Loi de finances

2026

36

Renforcer la capacité des préfets à mobiliser des renforts ponctuels depuis l'Hexagone (brigades ou plateforme d'ingénierie, équipes de préfiguration...) pour débloquer ou accélérer des dossiers structurants.

Gouvernement

Préfets

Opérateurs de l'État

Décret

Instructions

2026

37

Instituer des règles de mobilité spécifiques pour les magistrats du siège et du parquet exerçant dans des ressorts juridictionnels très étroits, comme en Polynésie française, en limitant l'exercice de leurs fonctions sur place à cinq années prolongeables deux ans sur les postes requérant une technicité particulière.

Ministère de la Justice

Loi organique

2026

38

Améliorer les conditions de prise en compte des CIMM pour la mobilité des originaires d'outre-mer.

Gouvernement

Décret

Circulaire

2025

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Réunions plénières de la délégation

Mardi 12 décembre 2023

Conseil d'État

- Martine DE BOISDEFFRE, présidente de la section du rapport et des études

- Fabien RAYNAUD, président adjoint et rapporteur général de la section du rapport et des études

- Mélanie VILLIERS, rapporteure générale adjointe de la section du rapport et des études

Jeudi 18 janvier 2024

Ministère de l'intérieur et des outre-mer - Direction générale des outre-mer (DGOM)

- Karine DELAMARCHE, adjointe au directeur général des outre-mer

- Isabelle RICHARD, sous-directrice des politiques publiques

- Olivier BENOIST, sous-directeur des affaires juridiques et institutionnelles

Jeudi 25 janvier 2024

Ministère de l'Intérieur et des Outre-mer - Commandement de la gendarmerie outre-mer (CGOM)

- Lionel LAVERGNE, Général, commandant de la gendarmerie d'outre-mer

Mercredi 7 février 2024

Cour des comptes

- Brigitte GIRARDIN, conseiller maître, ancienne ministre de l'outre-mer.

Jeudi 8 février 2024

Conférence des bâtonniers de France

- Patrick LINGIBÉ, membre du Conseil national des barreaux, ancien vice-président et président de la délégation outre-mer de la Conférence des bâtonniers de France

Direction générale des outre-mer

- Claude PELOUX, Général commandant du service militaire adapté auprès de la direction générale des outre-mer

Jeudi 14 mars 2024

Ministère de l'intérieur - Direction générale de la police nationale

- Christian NUSSBAUM, chef de la mission outre-mer de la direction générale de la police nationale (DGPN)

- Céline PERSONENI, commandant divisionnaire fonctionnel, adjoint au chef de la mission Outre-mer

Jeudi 11 avril 2024

Ministère de la justice

- Julien RETAILLEAU, sous-directeur de la justice pénale spécialisée de la direction des affaires criminelles et des grâces

- Paul HUBER, directeur des services judiciaires

- Fabien NEYRAT, délégué au secrétariat général de la justice pour les outre-mer

Mardi 14 mai 2024

Préfecture de Guyane

- Antoine POUSSIER, préfet

Cour d'appel de Cayenne

- Joël SOLLIER, procureur général

- Béatrice BUGEON-ALMENDROS, première présidente

Académie de Guyane

- Philippe DULBECCO, recteur

Mercredi 29 mai 2024

État-major des forces armées aux Antilles (FAA)

- Nicolas LAMBROPOULOS, commandant supérieur des forces armées aux Antilles (Comsup FAA)

Auditions rapporteurs de la délégation

Mardi 13 février 2024

Ministère de l'Intérieur et des outre-mer

- Didier MARTIN, secrétaire général

Mercredi 15 mai 2024

Association des maires de Mayotte

- Madi MADI SOUF, président, maire de Pamandzi

- Mohamadi MADI OUSSENI, maire de Chiconi

- Bihaki DAOUDA, maire de Chirongui

- Moudjibou SAIDI, maire de Démbéni

- Soumaïla AMBDILWAHEDOU, maire de Mamoudzou

- Laithidine BEN SAID, maire de M'Tsamboro

Association des maires de France (AMF)

- Caroline GIRARD, directrice

LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES LORS DES DÉPLACEMENTS

Déplacement à La Réunion et à Maurice
du 21 au 26 février 2024

Mercredi 21 février 2024 - La Réunion

Préfecture des Terres Australes et Antarctiques Françaises

- Florence JEANBLANC-RISLER, préfète

Gendarmerie nationale

- Frédéric LABRUNYE, colonel

Jeudi 22 février 2024 - La Réunion

Mairie de Saint-Denis de La Réunion

- Éricka BAREIGTS, maire de Saint-Denis de La Réunion

- Jérôme VELLAYOUDOM, délégué de la direction générale des Services (DGS)

Conseil départemental de La Réunion

- Cyrille MELCHIOR, président

Forces armées dans la zone sud de l'océan Indien (Fazsoi)

- Jean-Marc GIRAUD, général, commandant supérieur des FAZSOI et commandant de la base de défense de La Réunion-Mayotte

- Cyrille DE CERVAL, capitaine de vaisseau, adjoint interarmées du commandant supérieur des FAZSOI et commandant de zone maritime

Direction territoriale de la police nationale

- Laurent CHAVANNE, directeur territorial

Direction régionale des douanes

- Nicolas LE GALL, directeur régional

Conseil régional de La Réunion

- Wilfrid BERTILE, élu délégué au co-développement régional et relations extérieures, à la pêche et au suivi des travaux de révision du Schéma d'Aménagement Régional

Préfecture de La Réunion

- Jérôme FILIPPINI, préfet de La Réunion

Vendredi 23 février 2024 - La Réunion

Préfecture de La Réunion

- Laurent AMAR, conseiller diplomatique du Préfet

- Nathalie INFANTE, secrétaire générale pour les Affaires Régionales

Direction Mer Sud océan Indien

- Nicolas LE BIANIC, directeur

Centre pénitentiaire de Saint-Denis La Réunion

- Julie LATOU, directrice

Association des maires du département de La Réunion

- Maurice GIRONCEL, vice-Président, maire de Sainte-Suzanne

- Sidoleine PAPAYA, secrétaire adjointe, maire de Salazie

Direction territoriale de la police nationale

- Laurent CHAVANNE, directeur territorial

Samedi 24 février 2024 - La Réunion

Gendarmerie nationale

- Frédéric LABRUNYE, colonel

Tribunal administratif de La Réunion - Mayotte

- Thierry SORIN, président

Tribunal judiciaire de Saint-Denis

- Emmanuelle WACONGNE, présidente

- Lucile REGIN, Procureure de la République adjointe

Tribunal judiciaire de Saint-Pierre

- Bertrand PAGES, Président

- Olivier CLEMENÇON, Procureur de la République

Cour d'appel de Saint-Denis et de Mayotte

- Alain CHATEAUNEUF, président

- Fabienne ATZORI, procureure générale

Dimanche 25 février 2024 - Maurice

Ambassade de France à Maurice

- Frédéric BONTEMS, Ambassadeur

Diner de travail à l'Ambassade de France à Maurice

- Frédéric BONTEMS, Ambassadeur

- Marc MERTILLO, premier conseiller

- Leela Devi DOOKUN-LUCHOOMUN, vice-premier ministre, ministre de l'Éducation, de l'Éducation tertiaire de la Science et de la technologie

- Vêlayoudom MARIMOUTOU, secrétaire général

- Muriel PIQUET-VIAUX, conseillère de Coopération et d'Action Culturelle et Directrice de l'Institut Français de Maurice (IFM)

- Toriden CHELLAPERMAL, chief executive officer (CEO)

- Radhakhrishna SOMANAH, directeur général

- Arvin AUTELSINGH, directeur

Lundi 26 février 2024 - Maurice

Ambassade de France à Maurice

- Christophe VANHECKE, conseiller régional en santé mondiale

- Muriel PIQUET-VIAUX, conseillère de Coopération et d'Action Culturelle et Directrice de l'Institut Français de Maurice (IFM)

Ministère des Affaires Étrangères

- Alan GANOO, ministre des Affaires Étrangères par intérim, ministre des transports terrestres et du Métro léger

- Ravi MEETTOOK, secrétaire aux Affaires intérieures, conseiller du Premier ministre pour les affaires intérieures et de sécurité

Economic Development Board (EDB)

- Sachin MOHABEER, directeur général adjoint

Chambre de commerce et d'Industrie de Maurice (MCCI)

- Drishtysingh RAMDENEE, secrétaire général

Business Mauritus

- Kevin RAMKALOAN, chief executive officer (CEO)

Ambassade de France à Maurice

- Marc MERTILLO, premier conseiller

Ministère de la transition écologique et solidaire - Direction générale de la prévention des risques

- Richard ABADIE, directeur général

Institut Français de Maurice (IFM)

- Muriel PIQUET-VIAUX, directrice et conseillère de Coopération et d'Action Culturelle

Chambre de Commerce et d'Industrie France Maurice (CCIFM)

- John BENATOUIL, président

Indian Ocean Rim Association (IORA)

- Salman AL FARISI, secrétaire général

Commission de l'océan Indien (COI)

- Vêlayoudom MARIMOUTOU, secrétaire général

Déplacement à la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy
du 15 au 22 avril 2024

Lundi 15 avril 2024 - Martinique

Académie de Martinique

- Nathalie MONS, rectrice

- Mialy VIALLET, secrétaire générale

- Laurent MORILLON, directeur régional académique à la recherche et à l'innovation (DRARI)

- Lina CHETANGNY, déléguée de région académique à l'information et à l'orientation (DRAIO)

- Olivier CHEVILLARD, délégué de région académique à la formation professionnelle initiale et continue (DRAFPIC)

Direction de la Mer Martinique

- Xavier NICOLAS, directeur

- Guillaume HERVÉ, directeur adjoint

Association des maires de la Martinique

- Didier LAGUERRE, maire de Fort-de-France

- José MIRANDE, maire du Marin

- Fred-Michel TIRAULT, maire du Saint-Esprit

- Annick COMMIER, maire de Fond-Saint-Denis

Préfecture de la Martinique

- Jean-Christophe BOUVIER, préfet

- Monique LOWINSKI, SGAR

- Paul-François SCHIRA, directeur de cabinet

Collectivité territoriale

- Serge LETCHIMY, président du conseil exécutif

- Lucien SALIBER, président de l'Assemblée de Martinique

- Didier LAGUERRE, maire, conseiller territoriale et président de la commission gouvernance, affaires juridiques et financières

Forces armées aux Antilles (FAA)

- Jean-Guillaume LOUARN, chef du service de l'action de l'État

Mardi 16 avril 2024 - Martinique

Directeur territorial de la Police Nationale (DTPN)

- Pierre-Marc FERGELOT, directeur territorial de la police nationale

- Pierre FRANÇOIS, chef du STPAF

- Alexandre HUGUET, commissaire divisionnaire et chef de l'antenne OFAST Caraïbes

- Anne LE DANTEC, cheffe du service territorial de la police judiciaire (STPJ)

- Yannick BOISBAULT, commandant de police

- Thierry MARTIN, chef RT

- Yannick GARDEN, EMT

Ministère de l'Intérieur

- William VAQUETTE, colonel, chargé de missions auprès du directeur des personnels militaires de la gendarmerie à la direction générale de la gendarmerie nationale

Direction interrégionale des douanes de Martinique

- Hugues-Lionel GALY, directeur

Tribunal judiciaire de Fort-de-France

- Karine GONET, présidente

- Clarisse TARON, procureure de la République

Cour d'appel de Fort-de-France

- Laurent SABATIER, premier président

- Patrice CAMBEROU, procureur général

Ministère de la justice

- Julien RETAILLEAU, sous-directeur de la justice pénale spécialisée

Centre pénitentiaire de Ducos

- Joseph COLY, directeur

- Catherine GRIHAULT, directrice fonctionnelle des services pénitentiaires d'insertion et de probation

Mardi 16 avril 2024 - Guadeloupe

Préfecture de la Guadeloupe

- Xavier LEFORT, préfet

Mercredi 17 avril 2024 - Guadeloupe

Conseil départemental de la Guadeloupe

- Guy LOSBAR, président

Conseil Régional de Guadeloupe

- Marie-Luce PENCHARD, 2e vice-présidente

- Ruddy BLONBOU, directeur de cabinet adjoint

Direction régionale des douanes

- Olivier FOUQUE, directeur

Association des maires de Guadeloupe

- Jocelyn SAPOTILLE, président

Centre pénitentiaire de Guadeloupe

- Valérie MOUSSEEFF, cheffe d'établissement

Groupe CMA-CGM

- Alexandre MUYL, chief security officer Latam

Académie de la Guadeloupe

- Christine GANGLOFF-ZIEGLER, rectrice.

Jeudi 18 avril 2024 - Guadeloupe

Cour d'appel de Basse-Terre (en visioconférence)

- Éric MAUREL, procureur général

- Michaël JANAS, 1er président

Tribunal administratif de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy

- Serge GOUES, président

Jeudi 18 avril 2024 - Saint-Martin

Tribunal de proximité de Saint-Martin

- Xavier SICOT, procureur de la République

- Nathalie CONRAD, vice-présidente

- Yann BURNICHON, vice-procureur.

Vendredi 19 avril 2024 - Saint-Martin

Préfecture de Saint-Martin

- Vincent BERTON, préfet délégué de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin

- Fabien SESE, secrétaire général

- Émilie NAHON, directrice de projet aménagement durable et résilient de Saint-martin

- Julien MARIE, directeur des services

Réunion de sécurité : présentation des enjeux et dispositifs de sécurité publique à Saint-Martin

- Vincent BERTON, préfet délégué de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin

- Maxime WINTZER-WEKEKIND, colonel

- Nathalie HAWIA, chef du service de la police aux frontières de Saint-Martin

- Bruno SERAIN, chef d'escadron

- Marc-Etienne PINAULDT, administrateur de l'État chargé de mission « foncier »

Brigade conjointe gendarmerie-police territoriale de Sandy-Groung

- Vincent BERTON, préfet délégué de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin

- Thierry VERRES, directeur général adjoint de la sécurité et de la tranquillité publique

Déjeuner de travail

- Vincent BERTON, préfet délégué de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin

- Fabien SESE, secrétaire général

- Marc-Etienne PINAULDT, administrateur de l'État chargé de mission « foncier »

- Harry CHRISTOPHE, vice-recteur, chef du service de l'Éducation nationale de Saint-Barthélemy et Saint-Martin

- Paul GUIBERT, directeur territorial de l'ARS

- Christine MAURY, responsable par intérim du centre des finances publiques

Préfecture de la Guadeloupe

- Yves DARREAU, secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR)

Direction de la mer de Guadeloupe

- Edouard WEBER, directeur

Oyster Pond

- Julien MARIE, directeur des services

Gendarmerie nationale

- Maxime WINTZER-WEKEKIND, colonel

Samedi 20 avril 2024 - Saint-Martin

Collectivité de Saint-Martin

- Alain RICHARDSON, 1er vice-président, en charge de l'économie et des ressources (finances et fiscalité)

- Frantz GUMBS, député

Samedi 20 avril 2024 - Saint-Barthélemy

Préfecture de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin

- Vincent BERTON, préfet délégué de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin et les différents services de l'État

Lundi 22 avril 2024 - Saint-Barthélemy

Direction des douanes et du droit de quai

- Nancy MARTY, directrice du service

Police territoriale de Saint-Barthélemy

- Rosmon GREAUX, responsable du service de la police territoriale

- Noëlle PENTEADO, brigadier-chef, adjointe au chef de service.

Port de Saint-Barthélemy

- Ernest BRIN, directeur du port de Gustavia- responsable sûreté portuaire

Conseil territorial de Saint-Barthélemy

- Xavier LÉDÉE, président

- Olivier BASSET, directeur de cabinet

Déplacement à Mayotte
du 21 au 24 mai 2024

Mardi 21 mai 2024

Conseil départemental de Mayotte

- Ben Issa OUSSÉNI, président

Direction territoriale de la police nationale (DTPN) de Mayotte

- Fabrice GUINARD CORDROCH, directeur adjoint

Académie de Mayotte

- Jacques MIKULOVIC, recteur

- Laurent PREVOST, proviseur

Collectif les « Forces vives initiales »

- Safina SOULA, représentante

Préfecture de Mayotte

- Édouard MAYORAL, conseiller diplomatique du préfet

Mercredi 22 mai 2024

Préfecture de Mayotte

- François-Xavier BIEUVILLE, préfet

- Frédéric SAUTRON, sous-préfet, chef d'État-major chargé de la lutte contre l'immigration clandestine

Gendarmerie de Mayotte

- Général Lucien BARTH, commandant de la gendarmerie

Base navale de Mayotte et gare maritime

- Thierry VERNEUIL, commandant des ports de Mayotte

- François-Xavier PILVEN, commandant de la base navale

Unité territoriale des affaires maritimes de Mayotte

- Benoît PASCAL, directeur régional des douanes

- François GARCIA, chef de l'unité

Maternité du centre hospitalier (CH) de Mayotte

- Madi ABDOU, chef de pôle gynécologie-obstétrique

Agence régionale de santé (ARS) Mayotte

- Bastien MORVAN, directeur de cabinet

Jeudi 23 mai 2024

Tribunal judiciaire de Mamoudzou

- Catherine VANNIER, présidente

- Yann LE BRIS, procureur de la République

Chambre d'appel de Mamoudzou - cours d'assises de Mayotte

- Nathalie BRUN-ZAHI, présidente de la chambre d'appel de Mamoudzou et de la cour d'assises de Mayotte

Centre pénitentiaire de Majicavo-Koropa

- Nicolas JAUNIAUX, directeur du centre pénitentiaire

Collectif les « Forces vives initiales »

- Yasmina AOUNY, membre

Vendredi 24 mai 2024

Conseil départemental de Mayotte

- Soibahadine IBRAHIM RAMADANI, ancien président

Association Messo

- Nawal YSSOUFA, présidente de l'association

- Hamada SAHIMI, directeur général

- Virginie LYKOWSKI, responsable du pôle hébergement pour les mères mineures à Ouangani

Déplacement en Polynésie française
du 20 au 31 octobre 2024

Lundi 21 octobre 2024 - Papeete

Tribunal administratif de la Polynésie française

- Pascal DEVILLERS, président

Direction territoriale de la police nationale

- Emmanuel MERICAM, directeur territorial de la police nationale

Gendarmerie en Polynésie française

- Grégoire DEMEZON, commandant

Haut-Commissariat de la Répunblique

- Éric SPITZ, Haut-Commissaire

- Xavier MAROTEL, secrétaire général

Haut-commissariat de la République en Polynésie française

- Anna NGUYEN, cheffe de la subdivision administrative des îles-du-vent et des îles sous-le-vent

- Alexandra CHAMOUX, cheffe de la subdivision administrative des îles Tuamotu Gambier

- Étienne DE LA FOUCHARDIÈRE, chef de la subdivision administrative des îles Australes

Mardi 22 octobre 2024 - Papeete

Présidence de la Polynésie française

- Moetai BROTHERSON, président

Assemblée de la Polynésie française

- Antony GEROS, président

Mairie de Papeete

- Michel BUILLARD, maire de la commune de Papeete

Centres pénitentiaires de Faa'a

- Damien PELLEN, directeur

Tribunal de Première Instance de Papeete

- Stéphanie LONNE, juge

- Hélène GEIGER, vice-procureur

Mercredi 23 octobre 2024 - Papeete - Raiatea

Direction des Affaires maritimes de Motu Uta

- Marie FEUCHER, cheffe du service

Administration des douanes

- Serge PUCCETTI, directeur des douanes

Cour d'appel de Papeete

- Marie-Florence BRENGARD, premier président par intérim,

- Frédéric BENET-CHAMBELLAN, procureur général

Centre de détention de Tatutu de Papeari

- Clémence LEFORT, adjointe à la directrice

Aérodrome de Raiatea

- Heremoana TETUANUI, contrôleur aérien

Jeudi 24 octobre 2024 - Raiatea - Bora Bora

Subdivision administrative des îles du vent et des îles sous-le-vent

- Anna NGUYEN, cheffe et ses collaborateurs

Poste de gendarmerie de Raiatea

- Mikaël GAYSER, commandant de brigade et les policiers municipaux

- Tribunal de Première Instance à Raiatea

- Sophie NICOLAS, directrice adjointe

- Laure CAMUS, présidente du tribunal de Première Instance de Papeete (en visioconférence)

- Lionel CAMINADE, greffier

- Ronald LEON, responsable par intérim

Commune de Tumaraa

- Cyril TETUANUI, maire de la commune de Tumaraa et président du Syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française (SPCPF), et les services de la Communauté de communes Hava'i

Commune de Vaitape

- Réunion de travail avec Gaston TONG SANG, maire, les maires délégués et les adjoints au maire

Samedi 26 octobre 2024 -Hiva Oa

Maires des communes des Marquises (Halaiki)

- Benoît KAUTAI, président de la communauté de commune des îles Marquises (CODIM) et maire de Nuku Hiva

- Felix BARSINAS, maire de Tahuata

- Joëlle FRÉBAULT, maire d'Hiva Oa

- Joseph KAIHA, maire de Ua Pou

- Nestor OHU, maire de Ua Huka

- Henri TUEINUI, maire de Fatu Hiva

UNESCO

- Visite des sites classés

Régiment du Service Militaire Adapté (RSMA) Hiva Oa

- Le représentant de Victor GISCARD D'ESTAING, commandant

Dimanche 27 octobre 2024 - Nuku Hiva

Gendarmerie de Hiva Oa

- Emmanuel TERIIPAIA, commandant de la brigade de Hiva Oa

Subdivision administrative des Marquises

- Anny Pietri, cheffe

Maire de Nuku Hiva

- Benoît KAUTAI, président CODIM et maire de Nuku Hiva

- Joseph KAIHA, maire de Ua Pou

- Nestor OHU, maire de Ua Huka

Lundi 28 octobre 2024 - Nuku Hiva

Tribunal de Taiohae

- Cécile BRUNET-LUDET, magistrate vice-présidente de la section détachée du tribunal de Taiohae

Centre pénitentiaire de Taiohae

- Jeffrey TEHIVA, adjoint au chef d'établissement

UNESCO et visite des sites classés

- Onyx LE BIHAN, ambassadrice

- Katia PATRY, ambassadrice

- Tahiaree TEIKIKAINE, ambassadrice

Commune de Nuku Hiva

- Benoît KAUTAI, président CODIM et maire de Nuku Hiva

Scierie Nuku Hiva

- Gérard SIU, propriétaire, et ses collaborateurs

Mardi 29 octobre 2024 - Papeete

COMSUP

- Guillaume PINGET, Contre-Amiral, commandant supérieur des forces armées de Polynésie française

STATISTIQUES DES CRIMES ET DÉLITS ENREGISTRÉS OUTRE-MER EN 2023

Source : Atlas départemental de la délinquance enregistrée en 2023, édition juillet 2024, SSMSI

Tableau général DROM (Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion, Mayotte) : 2 159 357 habitants (source SSMI)

Guadeloupe : 384 315 habitants

Martinique : 360 749 habitants

Guyane : 286 618 habitants

La Réunion : 871 157 habitants

Mayotte : 256 518 habitants

Tableau général COM

Dans l'Atlas départemental de la délinquance 2023, seules les données concernant la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française sont présentées et détaillées. Il n'y a pas de donnée concernant les homicides. Il est néanmoins indiqué que, dans les collectivités d'outre-mer les moins peuplées (Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Wallis-et-Futuna), les forces de police et de gendarmerie nationales enregistrent moins d'actes de délinquance par habitant que dans les DROM, Saint-Martin faisant toutefois exception (page 315).

Ensemble des COM (Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Wallis-et-Futuna, Polynésie française, Nouvelle-Calédonie) :

609 158 habitants

Nouvelle-Calédonie : 271 407 habitants

Polynésie française : 278 786 habitants

FICHES DE SYNTHÈSE PAR TERRITOIRE

L'ORGANISATION DE L'ÉTAT EN GUADELOUPE

Population

(Tendance 10 ans)

Densité

Préfecture

Sous-préfectures

Justice

Autres

384 000 ?

236 hab/km2

Préfet de région Guadeloupe

+

Jusqu'au 9 janvier 2025, il était aussi le représentant de l'État dans les collectivités de Saint-Barthélemy et Saint-Martin

1

(Pointe-à-Pitre)

+

Préfecture de Saint-Barthélemy et Saint-Martin doté d'un préfet délégué sous l'autorité du préfet de Guadeloupe

(jusqu'au 9 janvier 2025)

1 Cour d'appel (Basse-Terre) dont le ressort est Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélemy

2 Tribunaux judiciaires (Basse-Terre et Pointe-à-Pitre)

1 Tribunal de proximité rattaché au TJ de Basse-Terre (à Saint-Martin pour les îles du Nord)

1 centre pénitentiaire à Baie-Mahault

1 Maison d'arrêt à Basse-Terre

Rectorat, ARS, DRFIP et DTPN compétents pour Guadeloupe et Saint-Barthélemy-Saint-Martin

Nomination d'un vice-recteur pour ces deux îles par arrêté ministériel

Organisation classique de COMGEND, (compétent pour la Guadeloupe seule depuis janvier 2024)

La préfecture de la Guadeloupe est la préfecture de région. Elle a les attributions classiques d'une préfecture avec quelques spécificités et aménagements.

Son autorité s'étendait à Saint-Barthélemy et Saint-Martin jusqu'au 9 janvier 2025. Il en va de même de la plupart des administrations (ARS, Rectorat). Toutefois, les administrations de l'État dans les « îles du Nord » tendent à se détacher administrativement de la Guadeloupe. Cette évolution a trouvé sa conclusion par la création d'une préfecture de plein exercice pour Saint-Barthélemy et Saint-Martin par décret n° 2025-38 du 9 janvier 2025.

Le tribunal de proximité se renforce. Un vice-recteur a été nommé, bien que demeurant sous l'autorité du recteur de la Guadeloupe. L'ARS a une délégation territoriale. Depuis janvier 2024, la gendarmerie dans les îles du Nord dépend d'un COMGEND à part entière.

Les compétences particulières du préfet de la Guadeloupe

Au plan économique, le préfet de la Guadeloupe a la responsabilité de fixer localement un certain nombre de tarifs comme ceux du gaz domestique, du ciment, des carburants et des taxis.

L'action de l'État en mer

Elle relève du préfet de la Martinique qui assume les fonctions de délégué du Gouvernement pour la coordination de l'action de l'État en mer (DDG AEM) dans un vaste espace d'environ 3 millions de km2. Il est assisté par le commandant supérieur des forces armées aux Antilles en sa qualité de commandant de la zone maritime Antilles. Par ailleurs, la direction de la mer comprend le Centre de sécurité des navires Antilles-Guyane et le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage Antilles-Guyane (CROSS AG) deux services à compétence interrégionale.

Le préfet de la Guadeloupe intervient dans cette matière par délégation du DDG AEM.

L'ORGANISATION DE L'ÉTAT EN GUYANE

Population

(Tendance 10 ans)

Densité

Préfecture de zone et de région

Sous-préfectures

Justice

Autres

286 600 ?

3,4 hab/km2

Zone :

mono-départementale

Région mono-départementale

2

(Saint-Laurent-du-Maroni et Saint-Georges-de-l'Oyapok)

1 Cour d'appel

1 Tribunal judiciaire à Cayenne

1 tribunal de proximité à Saint-Laurent-du-Maroni

1 Tribunal administratif

1 centre pénitentiaire

Organisation classique pour rectorat, ARS, DRFIP, COMGEND, DTPN

La préfecture de Guyane est la préfecture de région et de zone. Elle a les attributions classiques d'une préfecture avec quelques spécificités et aménagements.

Les compétences particulières du préfet de la Guyane

Au plan économique, le préfet de la Guyane a un rôle spécifique. Il a la responsabilité de fixer localement un certain nombre de tarifs comme ceux du gaz domestique, des carburants et des taxis.

Zone de défense et d'action de l'État en mer

Le préfet de Guyane est préfet de la zone de défense et de sécurité de Guyane et délégué du gouvernement pour l'action de l'État en mer (DDG AEM).

Le préfet de zone dispose sous son autorité directe de l'État-major Interministériel de la Zone (EMIZ).

Cependant la spécificité de la zone Guyane a des conséquences sur les missions de l'ÉMIZ :

- Intégration d'une mission de coopération régionale (et internationale) ;

- La protection du centre spatial guyanais ;

- La lutte contre les trafics illicites (en particulier la drogue et l'orpaillage illégal).

Focus : le décret du 28 août 2019

Le décret n° 2019-894 du 28 août 2019 vise à renforcer l'inter-ministérialité au sein des services territoriaux de l'État en Guyane sous l'autorité du représentant de l'État. Ces services sont dorénavant regroupés en cinq directions régionales :

- Une direction générale des sécurités, de la réglementation et des contrôles (intègre l'état-major « Harpie 2 ») ;

- Une direction générale de la coordination et de l'animation territoriale ;

- Deux directions générales qui regroupent les six services déconcentrés actuels (direction générale des territoires et de la mer et direction générale des populations) ;

- Une direction générale des moyens et ressources de l'État qui mutualise les fonctions support afin de mettre en cohérence la gestion des moyens et d'assurer une véritable déconcentration de la décision.

Focus : Le projet de cité judiciaire à Saint-Laurent-du-Maroni

En 2029, une cité judiciaire réunira à Saint-Laurent du Maroni à la fois un centre pénitentiaire, un tribunal judiciaire, une antenne du service pénitentiaire d'insertion et de probation et des unités éducatives de la protection judiciaire de la jeunesse. Ce projet s'inscrit dans la continuité des Accords de Guyane de 2017 et permettra notamment de répondre à la surpopulation de l'établissement pénitentiaire de Rémire-Montjoly et de rapprocher le service public de la Justice du territoire ouest-guyanais.

L'ORGANISATION DE L'ÉTAT À LA RÉUNION

Population

(Tendance 10 ans)

Densité

Préfecture de zone et de région

Sous-préfectures

Justice

Autres

863 083 ?

344 hab/km2

Zone : La Réunion

+

TAAF

+

Mayotte

----

Région mono-départementale

3

(Saint-Benoît, Saint-Paul et Saint-Pierre)

2 tribunaux judiciaires (Saint-Denis et Saint-Pierre)

1 Cour d'appel (compétente aussi pour Mayotte et TAAF)

1 centre pénitentiaire

1 maison d'arrêt

1 tribunal administratif (compétent pour les TAAF)

Organisation classique pour rectorat, ARS, DRFIP, COMGEND, DTPN

La préfecture de La Réunion est la préfecture de région et de zone. Elle a les attributions classiques d'une préfecture avec quelques spécificités et aménagements.

Les compétences particulières du préfet de La Réunion

Au plan économique, le préfet de La Réunion a un rôle spécifique. Il a la responsabilité de fixer localement un certain nombre de tarifs comme ceux du gaz domestique et des carburants.

Une préfecture de zone

Le préfet de La Réunion est préfet de la zone de défense du sud de l'Océan Indien (la zone comprend Mayotte et les TAAF), Il est responsable de la coordination des mesures de défense et de sécurité nationale et de la coordination de la coopération transfrontalière.

Cependant, la spécificité de la zone Océan Indien a des conséquences sur la définition habituelle des missions du CZM :

- intégration d'une mission de coopération régionale (et internationale) dans la zone Océan Indien notamment avec le Comité de pilotage du programme MASE de la  COI ;

- plus grande implication et coopération avec les échelons départementaux (SIDPC).

L'action de l'État en mer

En raison de l'éloignement, le préfet est aussi délégué du Gouvernement pour la coordination de l'action de l'État en mer dans un vaste espace d'environ 17 millions de km2 s'étendant des côtes Est Africaine aux îles Kerguelen. Il est assisté par le commandant supérieur des forces armées de la zone sud de l'Océan Indien en sa qualité de commandant de la zone maritime du sud de l'océan indien. Par ailleurs, la direction de la mer sud Océan Indien (DMSOI) comprend le Centre de sécurité des navires de La Réunion et le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage sud Océan Indien (CROSS SOI) deux services à compétence interrégionale.

Focus : La Cour d'appel

La Cour d'appel de La Réunion est également compétente pour les jugements du tribunal de Mayotte. À ce jour, la question de la création d'une Cour d'appel de plein exercice à Mayotte est en discussion.

L'ORGANISATION DE L'ÉTAT EN MARTINIQUE

Population

(Tendance 10 ans)

Densité

Préfecture de zone

Sous-préfectures

Justice

Autres

364 000 ?

323 hab/km2

Martinique-Guadeloupe-Saint-Martin - Saint-Barthélemy

3

(Trinité, Saint-Pierre

Marin)

1 Cour d'appel

1 Tribunal judiciaire

1 JIRS pour Antilles-Guyane

1 centre pénitentiaire (voir ci-dessous)

Organisation classique pour rectorat, ARS, DRFIP, COMGEND, DTPN

La préfecture de la Martinique est la préfecture de région et de zone. Elle a les attributions classiques d'une préfecture avec quelques spécificités et aménagements.

Les compétences particulières du préfet de la Martinique

Au plan économique, le préfet de la Martinique a en un rôle spécifique. Il a la responsabilité de fixer localement un certain nombre de tarifs comme ceux du gaz domestique, du ciment, des carburants et des taxis.

Une préfecture de zone

Le préfet de la Martinique est préfet de la zone de défense des Antilles (la zone comprend la Martinique, la Guadeloupe et les Îles du Nord). Il est responsable de la coordination des mesures de défense et de sécurité nationale et de la coordination de la coopération transfrontalière.

Le préfet de zone dispose sous son autorité directe de l'État-major Interministériel de la Zone Antilles (EMIZA) qui est en mesure d'activer, dans les plus brefs délais, le Centre Opérationnel Zonal (COZ).

Cependant la spécificité de la zone Antilles a des conséquences sur la définition habituelle des missions de l'ÉMIZA :

- suppression de la mission de coordination dans le cadre de la circulation routière ;

- intégration d'une mission de coopération régionale (et internationale) dans la zone Caraïbes ;

- plus grande implication et coopération avec les échelons départementaux (SIDPC).

L'action de l'État en mer

En raison de l'éloignement, le préfet est aussi délégué du Gouvernement pour la coordination de l'action de l'État en mer dans un vaste espace d'environ 3 millions de km2 s'étendant de l'île d'Anguilla au nord à Sainte-Lucie au sud (y compris donc la Guadeloupe, Saint-Barthélemy et Saint-Martin). Il est assisté par le commandant supérieur des forces armées aux Antilles en sa qualité de commandant de la zone maritime Antilles. Par ailleurs, la direction de la mer comprend le Centre de sécurité des navires Antilles-Guyane et le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage Antilles-Guyane (CROSS AG) deux services à compétence interrégionale.

Focus : Le centre pénitentiaire de Ducos

Le centre pénitentiaire de Ducos a une capacité de 750 détenus. En 2023, 1204 détenus ont été écroués et 970 hébergés. 234 bracelets électroniques en circulation. Il est régulièrement cité parmi les pires prisons de France, qui a été condamnée à plusieurs reprises par la CEDH. La livraison d'une structure d'accompagnement vers la sortie (SAS) de 120 places est prévue au premier trimestre 2025, afin de préparer la réinsertion des détenus dans la société. Par ailleurs, en 2023, l'Agence de Gestion et de Recouvrement des Avoirs Saisis et Confisqués (AGRASC) a été inaugurée.

L'ORGANISATION DE L'ÉTAT À MAYOTTE

Population

(Tendance 10 ans)

Densité

Préfecture de région

Justice

Autres

321 000 ?

690

Région monodépartementale

1 chambre d'appel

1 Tribunal judiciaire

1 centre pénitentiaire

1 Tribunal Administratif

Organisation classique pour rectorat, ARS, DRFIP, COMGEND, DTPN

La préfecture de Mayotte est la préfecture de région. Elle a les attributions classiques d'une préfecture avec quelques spécificités et aménagements. Toutefois, de nombreux services de l'État s'appuient sur les services basés à La Réunion.

Les compétences particulières du préfet de Mayotte

Au plan économique, le préfet de Mayotte a un rôle spécifique. Il a la responsabilité de fixer localement un certain nombre de tarifs comme ceux du gaz domestique, du ciment, des carburants et des taxis.

L'action de l'État en mer

Elle relève du préfet de La Réunion qui assume les fonctions de délégué du Gouvernement pour la coordination de l'action de l'État en mer (DDG AEM). Il est assisté par le commandant supérieur des forces armées de la zone sud de l'Océan Indien qui comprend Mayotte.

Le préfet de la Mayotte intervient dans cette matière par délégation du DDG AEM.

Focus : La Justice

À Mayotte, il existe une chambre d'appel qui est du ressort de la Cour d'appel de Saint Denis de La Réunion. Cette juridiction réexamine les affaires qui ont déjà été jugées en première instance sauf les appels des décisions des juges d'instructions et des juges des libertés et de la détention qui sont portés devant la chambre de l'instruction de la Cour d'appel à Saint-Denis de la Réunion.

Une réflexion est menée quant à la création d'une Cour d'appel de plein exercice à Mayotte.

Dépourvu d'un centre éducatif fermé, une réflexion est également menée pour en implanter à Mayotte car les mineurs concernés sont transférés à La Réunion et y restent parfois ce qui participe à tendre les relations entre Mahorais et Réunionnais.

L'une des grandes difficultés de la Justice à Mayotte réside dans le fait que le territoire est peu attractif pour les magistrats. Des brigades de soutien ont été créées en 2023 pour pallier aux difficultés de recrutements. Des contrats de mobilité sont aussi proposés aux magistrats et greffiers pour rendre plus attractif les affectations sur l'île.

Le tribunal administratif dépend du ressort de la Cour administrative d'appel de Bordeaux. Le président du tribunal administratif des Mayotte préside aussi celui de La Réunion. De nombreuses audiences, notamment en référé sont organisées en visioconférence depuis La Réunion

L'ORGANISATION DE L'ÉTAT EN NOUVELLE-CALÉDONIE

Population

(Tendance 10 ans)

Densité

Haut-Commissariat de la République

Subdivisions administratives

Justice

Autres

271 400 ?

14,5 hab/km2

Zone de défense :

Nouvelle-Calédonie

+

Wallis-et-Futuna

3

(Sud, Nord et les îles Loyauté) qui correspondent aux 3 provinces

1 Cour d'appel

1 tribunal de 1ère instance (compétents pour NC et WF)

+

2 sections détachées (Koné et Lifou)

1 centre pénitentiaire

Vice-rectorat, DRFIP, COMGEND, DTPN

Cette dernière est également compétente à Wallis et Futuna (WF)

Le Haut-Commissariat de Nouvelle-Calédonie est assimilable à une préfecture de région et de zone. Il a les attributions classiques d'une préfecture avec quelques spécificités et aménagements compte tenu du statut de la Nouvelle-Calédonie.

Les compétences particulières du Haut-Commissaire

L'Accord de Nouméa de 1998 et la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 sur la Nouvelle-Calédonie, notamment en son titre VI, régissent ses compétences.

Le Haut-commissaire fait publier les lois du pays avec le contreseing du président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Il préside le Conseil des mines. Il est chargé de l'organisation des services relevant des pouvoirs régaliens de l'État (l'ordre public, la défense, la fiscalité...). Il assiste de droit aux Comités des signataires de l'accord de Nouméa, et est le garant de l'application de ce dernier en tant que représentant de l'État.

Une zone de défense

Le Haut-commissaire est responsable de la zone de défense qui comprend la Nouvelle--Calédonie et Wallis-et-Futuna.

Il dispose sous son autorité directe du commandement supérieur des forces armées en Nouvelle-Calédonie (COMSUP). Il oeuvre en coordination avec le COMPSUP des forces armées en Polynésie française dans la zone de responsabilité permanente Asie-Pacifique.

L'action de l'État en mer

Le Haut-Commissaire assume les fonctions de délégué du Gouvernement pour la coordination de l'action de l'État en mer (DDG AEM) dans un vaste espace d'environ 1,5 millions de km2 s'étendant correspondant à la ZEE de la Nouvelle-Calédonie (1,3 millions de km²) à celle de Wallis et Futuna (plus de 200 000 km²).

Focus : Les compétence de l'État en Nouvelle-Calédonie

L'État est compétent dans les matières suivantes : la nationalité, la garantie des libertés publiques, les droits civiques et le régime électoral. Il est aussi compétent pour l'organisation de la justice, de la défense nationale, de la monnaie, de la desserte maritime et aérienne entre la Nouvelle-Calédonie et les autres territoires de la République, les relations extérieures, les conditions d'entrée et de séjour des étrangers, le maintien de l'ordre, l'enseignement supérieur et recherche, la collation et délivrance des titres et diplômes, l'enseignement du second degré public et privé, sauf la réalisation et l'entretien des collèges du premier cycle du second degré et la santé scolaire.

L'ORGANISATION DE L'ÉTAT EN POLYNÉSIE FRANÇAISE

Population

(Tendance 10 ans)

Densité

Haut-Commissariat de la République

Subdivisions administratives

Justice

Autres

283 147 ?

73 hab/km2

Zone de défense : Polynésie française

Action de l'État en mer : délégué du Gouvernement pour la zone de défense maritime de la Polynésie française

5 archipels

(les îles du Vent, les îles Sous-le-Vent, les îles Tuamotu-Gambier, les îles Australes et les îles Marquises)

1 Cour d'appel

1 tribunal de 1ère instance

3 sections détachées du Tribunal (voir ci-dessous)

1 centre pénitentiaire

Vice-rectorat, DRFIP, COMGEND, DTPN

Pas d'ARS (mais une direction de la santé qui est un service du Gouvernement de la Polynésie française)

Le Haut-Commissariat de la Polynésie Française est la structure assimilable à une préfecture de région et de zone. Elle a les attributions classiques d'une préfecture avec des spécificités et aménagements compte tenu des compétences résiduelles de l'État en Polynésie française.

Focus : Justice - les 3 sections détachées (SD)

Le tribunal première instance de la Polynésie française comprend 3 sections détachées compétentes dans des matières très élargies, le président d'une section détachée est aussi juge des enfants ou juge des tutelles. En revanche, ils ne sont ni juge d'instruction, ni juge des libertés et de la détention. Les 3 sections sont celle de Raiatea pour les îles sous le vent, de Nuku Hiva pour les Marquises et depuis le 1er septembre 2023, celle de Papeete qui est compétente pour les Tuamotu-Gambier-Australes (la SD se projette dans les îles depuis Papeete). Les SD tiennent audience à leur siège, mais aussi en audience foraine où des mesures d'adaptation compensent l'absence d'auxiliaire de justice et la rareté des déplacements du juge (requêtes et conclusion peuvent être faites oralement...).

Focus : Le vice-rectorat

Le vice-rectorat de la Polynésie française est un service déconcentré du ministère de l'Éducation nationale et de la jeunesse et du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Le vice-recteur est l'interlocuteur privilégié du ministre de l'Éducation de la Polynésie française.

Dans le cadre de l'autonomie accordée à la Polynésie française dans le domaine éducatif (loi organique du 27 février 2004), les services de l'État et du Pays ont conclu, pour 10 ans, une convention relative à l'éducation le 22 octobre 2016. Ce contrat organise la répartition des compétences et les modalités de fonctionnement entre les services de l'État et du Pays.

Les orientations éducatives et leur mise en oeuvre (organisation des enseignements et répartition des moyens) relèvent de la compétence de la Polynésie française qui s'est engagée à respecter la mise en oeuvre des cursus et des référentiels qui y mènent et les principales règles définies par le code de l'éducation nationale.

La gestion des carrières des employés de la fonction publique de l'État, affectés en Polynésie française, est une responsabilité de l'État. Ces employés bénéficient donc des mêmes règles statutaires et des mêmes possibilités d'évolution de carrière que ceux travaillant au sein du ministère de l'Éducation nationale. De plus, l'État a également la compétence pour la délivrance des titres et diplômes nationaux, ainsi que pour l'enseignement supérieur universitaire et la recherche.

L'ORGANISATION DE L'ÉTAT À SAINT-BARTHÉLEMY
ET SAINT-MARTIN

Population

(Tendance 10 ans)

Densité

Préfecture

Délégation de Saint-Barthélemy

Justice

Autres

Saint-Martin :

32 000 ?

611 hab/km2

Saint-Barthélemy

10 500 ?

440 hab/km2

Préfet de plein exercice depuis la parution du décret n° 2025-38 du 9 janvier 2025

Les services déconcentrés de l'État disposent d'unités territoriales à Saint-Martin (UT DEAL, UT DAAF...)

Située dans le bourg de Gustavia à Saint-Barthélemy, la délégation se compose d'un délégué du préfet et d'un agent de préfecture.

Ce n'est pas une sous-préfecture

1 Tribunal de proximité à Saint-Martin rattaché au TJ de Basse-Terre (des audiences foraines sont tenues à Saint-Barthélemy)

1 Tribunal administratif de Saint-Martin

1 Tribunal administratif de Saint-Barthélemy

(les deux ont leur siège au tribunal administratif de la Guadeloupe à Basse-Terre)

Rectorat, ARS, DRFIP et DTPN de la Guadeloupe sont compétents pour Saint-Barthélemy et Saint-Martin

Nomination d'un vice-recteur pour ces deux îles par arrêté ministériel

ARS dispose d'une délégation territoriale à Saint-Martin

COMGEND des Îles du Nord créé en janvier 2024

Depuis le 9 janvier 2024, Saint-Barthélemy et Saint-Martin sont une préfecture de plein exercice. Elle ne dépend plus de la Guadeloupe. Toutefois, à la demande et sous l'autorité fonctionnelle du préfet de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, le secrétariat général commun départemental de la Guadeloupe exerce ses missions à son bénéfice. Le tribunal de proximité se renforce. Un vice-recteur a été nommé, bien que demeurant sous l'autorité du recteur de la Guadeloupe. L'ARS a une délégation territoriale. Depuis janvier 2024, la gendarmerie dans les îles du Nord dépend d'un COMGEND à part entière, détaché du COMGEND Guadeloupe.

Cette évolution fait suite à la création des deux collectivités d'outre-mer de Saint-Barthélemy et Saint-Martin en 2007. Elle s'est accélérée depuis le passage du cyclone Irma en septembre 2017.

L'action de l'État en mer

Elle relève du préfet de la Martinique qui assume les fonctions de délégué du Gouvernement pour la coordination de l'action de l'État en mer (DDG AEM) dans un vaste espace d'environ 3 millions de km2 s'étendant de l'île d'Anguilla au nord à Sainte-Lucie au sud. Il est assisté par le commandant supérieur des forces armées aux Antilles en sa qualité de commandant de la zone maritime Antilles. Par ailleurs, la direction de la mer comprend le Centre de sécurité des navires Antilles-Guyane et le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage Antilles-Guyane (CROSS AG), deux services à compétence interrégionale.

Le préfet de la Martinique est également le préfet de zone.

· L'ORGANISATION DE L'ÉTAT EN NOUVELLE-CALÉDONIE

Population

(Tendance 10 ans)

Densité

Haut-Commissariat de la République

Subdivisions administratives

Justice

Autres

271 400 ?

14,5 hab/km2

Zone de défense :

Nouvelle-Calédonie

+

Wallis-et-Futuna

3

(Sud, Nord et les îles Loyauté) qui correspondent aux 3 provinces

1 Cour d'appel

1 tribunal de 1ère instance (compétents pour NC et WF)

+

2 sections détachées (Koné et Lifou)

1 centre pénitentiaire

Vice-rectorat, DRFIP, COMGEND, DTPN

Cette dernière est également compétente à Wallis et Futuna (WF)

Le Haut-Commissariat de Nouvelle-Calédonie est assimilable à une préfecture de région et de zone. Il a les attributions classiques d'une préfecture avec quelques spécificités et aménagements compte tenu du statut de la Nouvelle-Calédonie.

Les compétences particulières du Haut-Commissaire

L'Accord de Nouméa de 1998 et la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 sur la Nouvelle-Calédonie, notamment en son titre VI, régissent ses compétences.

Le Haut-commissaire fait publier les lois du pays avec le contreseing du président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Il préside le Conseil des mines. Il est chargé de l'organisation des services relevant des pouvoirs régaliens de l'État (l'ordre public, la défense, la fiscalité...). Il assiste de droit aux Comités des signataires de l'accord de Nouméa, et est le garant de l'application de ce dernier en tant que représentant de l'État.

Une zone de défense

Le Haut-commissaire est responsable de la zone de défense qui comprend la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna.

Il dispose sous son autorité directe du commandement supérieur des forces armées en Nouvelle-Calédonie (COMSUP). Il oeuvre en coordination avec le COMPSUP des forces armées en Polynésie française dans la zone de responsabilité permanente Asie-Pacifique.

L'action de l'État en mer

Le Haut-Commissaire assume les fonctions de délégué du Gouvernement pour la coordination de l'action de l'État en mer (DDG AEM) dans un vaste espace d'environ 1,5 millions de km2 s'étendant correspondant à la ZEE de la Nouvelle-Calédonie (1,3 millions de km²) à celle de Wallis et Futuna (plus de 200 000 km²).

Focus : Les compétence de l'État en Nouvelle-Calédonie

L'État est compétent dans les matières suivantes : la nationalité, la garantie des libertés publiques, les droits civiques et le régime électoral. Il est aussi compétent pour l'organisation de la justice, de la défense nationale, de la monnaie, de la desserte maritime et aérienne entre la Nouvelle-Calédonie et les autres territoires de la République, les relations extérieures, les conditions d'entrée et de séjour des étrangers, le maintien de l'ordre, l'enseignement supérieur et recherche, la collation et délivrance des titres et diplômes, l'enseignement du second degré public et privé, sauf la réalisation et l'entretien des collèges du premier cycle du second degré et la santé scolaire.

L'ORGANISATION DE L'ÉTAT À SAINT-PIERRE-ET-MIQUELON

Population

(Tendance 10 ans)

Densité

Préfecture

Délégation de Miquelon-Langlade

Justice

Autres

6 212 ?

24 hab/km2

Le préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon est aussi le représentant de l'État en mer, assisté par le commandant de la zone maritime Atlantique

Située dans l'île de Miquelon-Langlade, la délégation se compose d'un délégué du préfet, d'un adjoint au délégué et est chargé de la liaison avec la préfecture

1 tribunal de 1ère instance

1 tribunal administratif

1 centre pénitentiaire

DRFIP et DNPAF

COMGEND

Administration territoriale de santé (ATS)

Des services de l'État mis à disposition de la collectivité.

La collectivité bénéficie du concours de l'État pour l'exercice de ses compétences, sous la forme de mises à disposition prévues par l'article LO 6454-1 du CGCT. Les conditions de ces mises à disposition sont régies par une convention du 12 décembre 1989, dont le périmètre est particulièrement large. Elle prévoit ainsi qu'à l'exception de certains d'entre eux, assurant des missions régaliennes, les services de l'État sont « mis de façon permanente, en tant que de besoin, à la disposition du président du conseil territorial » pour l'exécution des missions dévolues à la collectivité. Ils restent cependant sous l'autorité hiérarchique du représentant de l'État.

Cette mise à disposition concerne pour l'essentiel trois types de services :

- la direction des services fiscaux ;

- la direction des douanes ;

- et la direction des territoires, de l'alimentation et de la mer (DTAM), qui agit comme un quasi-service technique de la collectivité, intervenant notamment dans la gestion de son patrimoine et en appui à l'exercice de ses compétences techniques. Jusqu'au début des années 2010, la DTAM prenait également en charge la passation de l'ensemble des marchés de la collectivité. Cette dernière s'est cependant dotée en 2013 d'un service chargé de la passation des marchés, qui a repris une partie des procédures de passation.

Focus : l'Éducation nationale

Le service de l'éducation nationale de Saint-Pierre-et-Miquelon est rattaché au rectorat de Caen en Normandie et son chef est nommé par arrêté ministériel.

Son organisation s'apparente à celle d'un service analogue de niveau départemental.

L'ORGANISATION DE L'ÉTAT DANS LES TERRES AUSTRALES ET ANTARCTIQUES FRANÇAISES (TAAF)

Population

(Tendance 10 ans)

Densité

Administration Supérieur

Justice

Pas d'habitants permanent dans les TAAF

Le préfet, administrateur supérieur des TAAF est le représentant de l'État dans les TAAF et l'exécutif des territoires.

Son siège se trouve à Saint-Pierre de La Réunion

Tribunal administratif de La Réunion

Les TAAF sont placées sous l'autorité d'un administrateur supérieur.

En tant que représentant de l'État, le préfet est le dépositaire de l'autorité de l'État et il représente le Gouvernement. Il est chargé des intérêts nationaux et du respect des lois, dirige l'action des services de l'État, assure le maintien de l'ordre public, de la sécurité et de la protection des personnes, concourt au respect des libertés publiques et des droits individuels et collectifs, et représente l'État en justice. Au nom de l'État, il exerce donc des compétences régaliennes et met en oeuvre les politiques publiques, notamment environnementales.

Toutefois, le délégué du Gouvernement pour l'action de l'État en mer (DGAEM) est le préfet de La Réunion. L'administrateur supérieur exerce certaines compétences du DGAEM sur une partie de l'espace maritime, en vertu d'une délégation de pouvoirs, dont la liste est fixée par arrêté de ce dernier. Depuis le 3 octobre 2006, le préfet, administrateur supérieur des TAAF, est également gestionnaire de la réserve naturelle nationale des Terres australes françaises.

Un conseil consultatif des Terres australes et antarctiques françaises est chargé d'assister le préfet, administrateur supérieur des TAAF. Il est composé de 26 membres, 13 titulaires et 13 suppléants, et il se réunit au minimum deux fois par an.

Le conseil consultatif compte parmi ses membres deux députés et deux sénateurs désignés par les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat pour la durée de leurs mandats parlementaires.

· L'ORGANISATION DE L'ÉTAT À WALLIS-ET-FUTUNA

Population

(Tendance 10 ans)

Densité

Administration Supérieure

Délégation de Futuna

+

3

Circonscriptions

d'Uvea, d'Alo et de Sigave

Justice

Autres

11 562 ?

86 hab/km2

Le préfet de Wallis-et- Futuna est le Représentant de l'État dans la collectivité et l'exécutif de la collectivité territoriale

Située à Futuna, la délégation se compose d'un délégué du préfet, d'une adjointe du délégué ainsi que d'un secrétariat

Le chef de chaque circonscription est l'adjoint du Préfet

1 tribunal de 1ère instance à Wallis, du ressort de la cour d'appel de Nouméa

1 tribunal administratif (siège à Nouméa)

+

1 centre pénitentiaire

Vice-Rectorat, ADS, DRFIP et DTPN

Agence de santé (ADS)

COMGEND

DTPN

Nouvelle-Calédonie et Wallis- et -Futuna

L'État est représenté à Wallis-et-Futuna par un Préfet, Administrateur supérieur, qui par ailleurs assure l'exécutif de la collectivité territoriale.

Un Conseil territorial réunit les trois rois coutumiers, vice-présidents, ainsi que trois personnalités désignées par le préfet après accord de l'Assemblée Territoriale.

Le conseil territorial assiste l'administrateur supérieur pour l'administration du territoire des îles Wallis-et-Futuna. Il examine notamment tous les projets qui doivent être soumis à l'assemblée territoriale.

Une Assemblée territoriale composée de 20 membres élus vote le budget de la Collectivité et délibère sur les sujets de sa compétence.

L'action de l'État en mer

Elle relève du Haut-Commissaire de la Nouvelle-Calédonie qui assume les fonctions de délégué du Gouvernement pour la coordination de l'action de l'État en mer (DDG AEM).

Focus : Éducation nationale

À Wallis-et-Futuna, la gestion de l'enseignement du 1er degré est entièrement concédée à la Direction de l'enseignement catholique (DEC), qui est une structure privée. L'enseignement secondaire est géré par le Vice-rectorat de Wallis-et-Futuna, administration déconcentrée du ministère de l'Éducation Nationale, en charge du système éducatif du territoire. Le vice-recteur est nommé par arrêté ministériel.

Focus : Les 3 circonscription d'Uvea, d'Alo et de Sigave

Il n'existe pas de communes à Wallis-et-Futuna, mais trois circonscriptions administratives, dotées de la personnalité morale et d'un conseil de circonscription présidé par le roi coutumier. Les circonscriptions correspondent aux royaumes (Uvea à Wallis, Alo et Sigave à Futuna).

Leurs missions, traditionnellement dévolues aux communes, comportent des spécificités locales qui ont trait, notamment, à l'entretien du palais royal de Mata'Utu et aux relations avec les autorités coutumières. La circonscription exerce également des missions régaliennes (exécution des lois et règlements, organisation des élections...).

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

I. RAPPORTS DU SÉNAT

A. COMMISSIONS

1. Affaires étrangères

· Les forces armées en Guyane : souveraineté et protection des ressources naturelles

Rapport d'information n° 295, 2020-2021, M. Christian CAMBON, Mme Hélène CONWAY-MOURET, MM. Jacques LE NAY, Cédric PERRIN et Richard YUNG

2. Finances

· Les contrats de redressement outre-mer (COROM) : pour des moyens à la hauteur des enjeux

Rapport d'information n° 756, 2022-2023, MM. Georges PATIENT et Teva ROHFRITSCH

· La présence militaire dans les outre-mer : un enjeu de souveraineté et de protection des populations

Rapport d'information n° 12, 2022-2023, M. Dominique de LEGGE

· Les financements de l'État en outre-mer

Rapport d'information pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les financements de l'État en outre-mer, n° 637, 2021-2022, MM. Georges PATIENT et Teva ROHFRITSCH

· L'enseignement scolaire en outre-mer : des moyens à mieux adapter à la réalité des territoires

Rapport d'information pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur le système éducatif dans les académies ultramarines, n° 224, 2020-2021, M. Gérard LONGUET

3. Lois

· 22 propositions pour conforter l'autonomie et la proximité de l'action publique en Polynésie française

Rapport d'information n° 17, 2024-2025, Mme Nadine BELLUROT, MM. Jérôme DURAIN et Guy BENARROCHE

· Guadeloupe, Martinique, Saint-Barthélemy et Saint-Martin : 4 territoires de la République dans la Caraïbe

Rapport d'information n° 878, 2022-2023, sur la situation institutionnelle, la justice et la sécurité en Guadeloupe, en Martinique, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin, MM. François-Noël BUFFET, Philippe BONNECARRÈRE, Mmes Marie-Pierre de LA GONTRIE, Cécile CUKIERMAN et M. Henri LEROY

· Insécurité à Mayotte : conjurer le sentiment d'abandon des Mahorais

Rapport d'information n° 114, 2021-2022, MM. François-Noël BUFFET, Stéphane LE RUDULIER, Alain MARC et Thani MOHAMED SOILIHI

· Les îles Éparses : un territoire à préserver

Rapport d'information sur les Îles Éparses, à la suite d'un déplacement du groupe d'études sur les Terres australes et antarctiques françaises n° 664, 2019-2020, M. Christophe-André FRASSA

· La Polynésie française : allier autonomie dans la République et subsidiarité dans la collectivité

Rapport d'information n° 165, 2017-2018, Mme Catherine TROENDLÉ et M. Mathieu DARNAUD

· Les îles Wallis et Futuna : assurer le développement dans le respect des spécificités locales

Rapport d'information n° 103, 2014-2015, Mme Sophie JOISSAINS et M. Jean-Pierre SUEUR

4. Culture et Lois

· Prévenir la délinquance des mineurs - Éviter la récidive

Rapport d'information n° 885, 2021-2022, Mme Céline BOULAY-ESPÉRONNIER, M. Bernard FIALAIRE, Mmes Laurence HARRIBEY et Muriel JOURDA

B. DÉLÉGATIONS

1. Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation

· Encourager l'intercommunalité en Polynésie française

Rapport d'information n° 123, 2023-2024, Mmes Françoise GATEL et Agnès CANAYER

2. Structures temporaires

Commission d'enquête Narcotrafic

· Un nécessaire sursaut : sortir du piège du narcotrafic

Rapport n° 588, 2023-2024, Président : M. Jérôme DURAIN, Rapporteur : M. Étienne BLANC

Commission d'enquête Influences étrangères

· Lutte contre les influences étrangères malveillantes. Pour une mobilisation de toute la Nation face à la néo-guerre froide

Rapport n° 739, 2023-2024, Président : M. Dominique de LEGGE, Rapporteur : M. Rachid TEMAL

Mission d'information sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane

· Mettre fin au trafic de cocaïne en Guyane : l'urgence d'une réponse plus ambitieuse

Rapport d'information n° 707, 2019-2020, M. Antoine KARAM

II. RAPPORTS DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

· Évaluation des dispositifs d'ingénierie proposés aux collectivités territoriales ultramarines

Rapport n° 1323 de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire du 5 juin 2023 sur l'évaluation des dispositifs d'ingénierie proposés aux collectivités territoriales ultramarines, par M. Christian Baptiste et Mme Karine Lebon

· Emploi et retour des fonctionnaires d'État ultramarins dans les territoires d'Outre-mer

Rapport n° 1086 de la commission des lois du 12 avril 2023 sur la proposition de loi de Mme Emeline K/Bidi et plusieurs de ses collègues visant à promouvoir l'emploi et le retour des fonctionnaires d'État ultramarins dans les territoires d'Outre-mer, par Mme Emeline K/Bidi

· Fonction publique des communes de Polynésie française

Rapport n° 151 de la commission des lois du 20 juillet 2022 sur le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l'ordonnance n° 2021-1605 du 8 décembre 2021 étendant et adaptant à la fonction publique des communes de Polynésie française certaines dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, par M. Guillaume Vuilletet

· Fonctionnaires et militaires originaires d'outre-mer

Rapport n° 4694 de la commission des lois du 17 novembre 2021 sur la proposition de loi de Mme Nicole Sanquer et plusieurs de ses collègues instaurant diverses dispositions relatives aux fonctionnaires et militaires originaires d'outre-mer, par Mme Nicole Sanquer

· Situation des CHU de la Guadeloupe et de La Réunion

Rapport d'information n° 2248 du 19 septembre 2019 déposé par la délégation aux outre-mer sur la mission flash sur la situation des CHU de la Guadeloupe et de La Réunion, par MM. David Lorion et Olivier Serva

III. AUTRES RAPPORTS

A. COUR DES COMPTES

· 27 novembre 2024 : L'Ofast et les forces de sécurité intérieure affectées à la lutte contre les trafics de stupéfiants

· 24 mai 2022 : Les financements de l'État en Outre-mer

· 25 juin 2018 : L'établissement, le contrôle et le recouvrement de l'impôt outre-mer

· 22 mai 2018 : Les services de sécurité et de justice dans les départements d'outre-mer (DOM)

B. CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL (CESE)

· 26 novembre 2024 : 7 ans après l'avis du CESE : amplifions la lutte contre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer

Résolution ; rapporteures : Inès Bouchaut-Choisy et Viviane Monnier

· 22 octobre 2024 : Développer les connexions des Outre-mer : une opportunité et une nécessité

Avis présenté par Danielle Dubrac et Pierre Marie-Joseph au nom de la délégation aux outre-mer

· 29 janvier 2020 : L'accès aux services publics dans les outre-mer

Avis présenté par Michèle Chay et Sarah Mouhoussoune, au nom de la délégation à l'outre-mer

C. GOUVERNEMENT

· Mars 2022 : Rapport de Michel Thénault, préfet honoraire, et Elisabeth Catta, avocat général honoraire : L'accessibilité et l'intelligibilité du droit en Polynésie française

· Mai 2014 : Rapport de Laurent Ridel, directeur interrégional, chef de la mission des services pénitentiaires de l'outre-mer : Problématiques pénitentiaires en outre-mer

D. DÉFENSEUR DES DROITS

· 20 mars 2023 : Services publics aux Antilles : garantir l'accès aux droits

· 11 février 2020 : Établir Mayotte dans ses droits - Constats et recommandations du Défenseur des droits faisant suite au déplacement d'une délégation de ses services à Mayotte les 2 et 3 octobre 2019

· 7 décembre 2016 : Accès aux droits et aux services publics en Guyane - Compte rendu du déplacement du Défenseur des droits en octobre 2016

E. INSPECTION GÉNÉRALE DE L'ÉDUCATION, DU SPORT ET DE LA RECHERCHE

· Mars 2024 : Mission d'expertise à Wallis-et-Futuna sur la stratégie de prévention du décrochage scolaire et d'accompagnement des parcours des élèves

F. INSPECTION GÉNÉRALE DE LA JUSTICE - INSPECTION GÉNÉRALE DE L'ADMINISTRATION - INSPECTION GÉNÉRALE DE LA POLICE NATIONALE

· Février 2023 : Bilan de la création des directions territoriales de la police nationale dans les outre-mer et des expérimentations départementales de la police nationale

G. INSPECTION GÉNÉRALE DE L'ADMINISTRATION - INSPECTION GÉNÉRALE DES SERVICES JUDICIAIRES

· Octobre 2014 : Évaluation des dispositifs de prévention de la délinquance dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique, ainsi que dans la collectivité d'outre-mer de Saint-Martin

H. OBSERVATOIRE DES DISPARITÉS DANS LA JUSTICE PÉNALE

· Mars 2023 : Peines prononcées, exécutées, aménagées : quels écarts ?

GLOSSAIRE

· AME : Aires marines éducatives

· ANCT : Agence nationale de la cohésion des territoires

· APIJ : Agence pour l'immobilier de la justice

· APIJ : Agence publique pour l'immobilier de la justice

· ARS : Agence régionale de santé

· ASI : Attachés de sécurité intérieure

· ASVP : Agents de surveillance de la voie publique

· BAC : Brigades anti-criminalité

· BIG : Baku Initiative Group (

· BTM : Brigade territoriale mobile

· BTM : Brigades Territoriales Mobiles

· CAD : Conseil de l'accès au droit

· CCD : Cours criminelles départementales

· CCT : Contrats de convergence et de transformation

· CDPR : Conseiller diplomatique auprès des préfets de région

· CEDH : Cour européenne des droits de l'homme

· CEF : Centre éducatif fermé

· CEF : Centres éducatifs fermés

· CESE : Conseil économique, social et environnemental

· CFE : Caisse des Français de l'étranger

· CGF : Centre de gestion financière

· CGOM : Commandant de la gendarmerie d'outre-mer

· CIMM : Centre des intérêts matériels et moraux

· CIOM : Comité Interministériel des Outre-mer

· CITAJ : Cité administrative et judiciaire

· COI : Commission de l'océan Indien

· COMGEND : commandements de la gendarmerie

· Comsup FAA : commandant supérieur des forces armées aux Antilles

· CSI : Code de la sécurité intérieure

· CSM : Conseil supérieur de la magistrature

· CSP : Centre de Services Partagés

· CUF : Commission d'urgence foncière

· DAEI : Délégation aux affaires européennes et internationale

· DAP : Direction de l'administration pénitentiaire

· DCP : Dispositifs de concentration de poissons dérivants

· DCPJ : Direction centrale de la police judiciaire

· DDSE : Dispositif de surveillance électronique

· DEAL : Direction de l'Environnement de l'Aménagement et du Logement

· DéGéOM : Délégation Générale des outre-mer

· DGOM : Direction générale aux outre-mer

· DGPN : Direction générale de la police nationale

· DNPAF : direction nationale de la police aux frontières

· DNRED : Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières

· DNRED : Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières

· DOT : Défense opérationnelle du territoire

· DSPOM : Direction des services pénitentiaires d'Outre-Mer

· DTPN : Directions territoriales de la police nationale

· EMOF : état-major opérationnel des frontières

· ENM : École nationale de la magistrature

· EPIC : Établissement public d'État à caractère industriel et commercial

· ESP : Équipes locales de sécurité pénitentiaire

· ETP : équivalent temps plein

· FAA : Forces armées aux Antilles

· FAG : Forces armées en Guyane

· FANC : Forces armées en Nouvelle-Calédonie

· FAPF : Forces armées en Polynésie française

· FAZSOI : Forces armées dans la Zone-sud de l'océan Indien

· FBI : Federal Bureau of Investigation

· FEDOM : Fédération des entreprises des outre-mer

· FLNKS : Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste

· FOM : Fonds outre-mer

· GAFI : Groupe d'action financière

· GER : Gros entretien et de réparation

· GIP-CUF : Groupement d'intérêt public - Commission d'urgence foncière

· GIR : Groupe interministériel de recherche

· GLTD : Groupes locaux de traitement de la délinquance

· GSP : Groupes de sécurité de proximité

· IGA : Inspection générale de l'administration

· INED : Institut national d'études démographiques

· ISCG : Intervenants sociaux en commissariat et en gendarmerie

· JDC : Journée Défense et Citoyenneté

· JIAT : Joint InterAgency Task Force South

· JIRS : Juridiction interrégionale spécialisée

· JLD : juge des libertés et de la détention

· LCOI : lutte contre l'orpaillage illégal

· LIC : lutte contre l'immigration clandestine (LIC)

· MJC : Maison des jeunes et de la culture

· MPF : Maisons de protection des familles

· OFAST : Office anti-stupéfiants

· OP : Ordonnances de protection

· OPJ : Officier de police judiciaire

· OPJ : Officier de police judiciaire

· PAF : Police aux frontières

· Pêche INN : pêche illicite, non déclarée et non réglementée

· PJJ : Protection judiciaire de la jeunesse

· PND : Pack Nouveau Départ

· PPN : Procédure pénale numérique

· PRSP : plan régional de surveillance des pêches

· PS2R : Plan de sauvegarde, de refondation et de reconstruction

· RSMA : Régiment du service militaire adapté

· RGPP : Révision générale des politiques publiques

· SAIM : Subdivision administrative des îles Marquises

· SAS : Structure d'accompagnement à la sortie

· SD : Sections détachées

· SDAJI : Sous-direction des affaires juridiques et institutionnelles

· SGDSN : Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale

· SMA : Service militaire adapté

· SMEAG : Syndicat mixte de gestion de l'eau et de l'assainissement de Guadeloupe

· SMEAM : Syndicat mixte de l'eau et de l'assainissement de Mayotte

· SPCPF : Syndicat pour la promotion des communes de la Polynésie française

· SPIP : Service pénitentiaire d'insertion et de probation

· SSER : Service de la statistique, des études et de la recherche du ministère de la Justice

· SSMSI : Service statistique ministériel de la sécurité intérieure

· STPJ : Service territorial de police judiciaire

· SWAC : Sea Water Air Conditioning

· TAAF : Terres australes et antarctiques françaises

· TES : Titres électroniques sécurisés

· TPI : Tribunal de première instance

· UHSA : Unité hospitalière spécialement aménagée

· UTSBSM : Unité territoriale de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin

· VIF : Violences intrafamiliales

· Viginum : vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères

· ZEE : Zones économiques exclusives

· ZPG : Zone des 50 pas géométriques

COMPTES RENDUS DES TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

· Mardi 12 décembre 2023 Audition des auteurs de l'étude annuelle 2023 du Conseil d'État sur le « dernier kilomètre » de l'action publique 263

· Jeudi 18 janvier 2024 Audition d'Olivier Jacob, directeur général des outre-mer 279

· Jeudi 25 janvier 2024 Audition du Général Lionel Lavergne, commandant de la gendarmerie d'outre-mer (CGOM) 287

· Mercredi 7 février 2024 Audition de Brigitte Girardin, ancienne ministre de l'outre-mer 305

· Jeudi 8 février 2024 Audition de Maître Patrick Lingibé, membre du Conseil national des barreaux, ancien vice-président et président de la délégation outre-mer de 323

· Jeudi 8 février 2024 Audition du Général Claude Peloux, commandant du service militaire adapté auprès de la direction générale des outre-mer 339

· Jeudi 14 mars 2024 Audition de Christian Nussbaum, chef de la mission outre-mer de la direction générale de la police nationale (DGPN) 357

· Jeudi 11 avril 2024 Audition de Julien Retailleau, sous-directeur de la justice pénale spécialisée de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice 371

· Jeudi 11 avril 2024 Audition Paul Huber, directeur des services judiciaires, et Fabien Neyrat, délégué outre-mer auprès du secrétariat général du ministère de la Justice 385

· Mardi 14 mai 2024 Table ronde consacrée à la situation en Guyane Organisation préfectorale, pouvoirs du préfet et sécurité Audition d'Antoine Poussier, préfet de Guyane et de Joël Sollier, procureur général près la Cour d'appel de Cayenne 397

· Mardi 14 mai 2024 Table ronde consacrée à la situation en Guyane Adaptation des administrations et attractivité des emplois outre-mer Audition de Béatrice Bugeon-Almendros, première présidente de la Cour d'appel de Cayenne et de Philippe Dulbecco, recteur de l'académie de la Guyane 411

· Mercredi 29 mai 2024 Audition du contre-amiral Nicolas Lambropoulos, commandant supérieur des forces armées aux Antilles (Comsup FAA) 421

Mardi 12 décembre 2023

Audition des auteurs de l'étude annuelle 2023 du Conseil d'État sur le « dernier kilomètre » de l'action publique

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, nous lançons aujourd'hui l'étude de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur l'adaptation des modes d'action de l'État dans les outre-mer.

Philippe Bas, sénateur de la Manche, et Victorin Lurel, sénateur de la Guadeloupe, ont bien voulu en être les rapporteurs et je les en remercie vivement.

Pour notre première audition, nous avons convié les auteurs de la dernière étude annuelle du Conseil d'État, au titre explicite : « L'usager du premier au dernier kilomètre de l'action publique : un enjeu d'efficacité et une exigence démocratique ».

Ces auteurs, qui ont bien voulu répondre à notre invitation, sont :

- Martine de Boisdeffre, présidente de la section du rapport et des études ;

- Fabien Raynaud, président adjoint et rapporteur général de cette section ;

- et Mélanie Villiers, rapporteure générale adjointe.

Je vous laisse la parole, madame la présidente, pour votre propos introductif.

Nous poursuivrons par l'intervention des rapporteurs et les questions dans la salle.

Madame la présidente, Monsieur, Madame, nous vous remercions vivement pour votre présence.

Mme Martine de Boisdeffre, présidente de la section du rapport et des études du Conseil d'État. - Madame la présidente, Messieurs les rapporteurs, Mesdames et Messieurs les membres de la délégation, je voudrais tout d'abord en notre nom à tous les trois vous remercier de nous avoir invités à intervenir aujourd'hui dans le cadre de l'étude sur l'adaptation des modes d'action de l'État dans les outre-mer.

Je vous remercie aussi de l'intérêt que vous portez à l'étude annuelle du Conseil d'État de 2023. Nous accordons en effet beaucoup d'importance aux relations entretenues avec le Sénat. Les rencontres entre les parlementaires et les membres du Conseil d'État sont, à nos yeux, essentielles pour assurer la compréhension et, plus largement, la confiance entre nos institutions.

Vous nous avez envoyé au préalable un questionnaire. Je voudrais d'emblée préciser que nous exprimerons ici la position du Conseil d'État dans le cadre de l'étude sur le « dernier kilomètre ». Nous ne pourrons pas répondre à des questions qu'il n'a pas abordées ni vous faire part de nos opinions personnelles. Nous ne sommes devant vous que les porte-paroles du Conseil d'État et de sa collégialité.

Mon propos consistera à répondre aux quatre premières questions, dont l'ampleur nous semble répondre tant à l'état d'esprit qu'à la méthode de notre travail. Je les aborderai donc successivement.

Tout d'abord, comment décliner outre-mer le renouvellement des modes de conception, de mise en oeuvre et de fonctionnement de l'État que l'étude appelle de ses voeux ?

Le champ de notre étude est très vaste, car nous avons décidé d'adopter une vision transversale concernant les politiques publiques, les services publics et l'action publique en général sur l'ensemble du territoire français.

Nous nous sommes ainsi intéressés aux outre-mer. Nous avons réalisé de nombreuses auditions et entendu des acteurs du « dernier kilomètre » outre-mer : des élus ultramarins, comme Stéphane Artano, sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon ou Moetai Brotherson, député de la Polynésie française ; le préfet et la sous-préfète chargée de la cohésion sociale et de la jeunesse à La Réunion ; plusieurs directeurs d'administration, comme le directeur de l'Agence régionale de santé (ARS) de Mayotte, le directeur de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) et la secrétaire générale pour les affaires régionales de La Réunion.

Nous avons également adressé un questionnaire à tous les tribunaux administratifs, dont ceux des outre-mer, pour essayer de mesurer l'efficacité du « dernier kilomètre » de la juridiction administrative. À cet égard, nous avons auditionné les présidents des tribunaux administratifs de La Réunion et de Mayotte.

En central, nous avons entendu le secrétaire général du ministère de l'Intérieur et des Outre-mer, ainsi que la directrice et plusieurs collaborateurs de la direction générale des outre-mer (DGOM).

Cependant, je me dois d'insister sur un point. Le constat d'un fossé entre l'action publique et les usagers s'applique à l'ensemble du territoire. Il en va de même pour nos propositions. Elles concernent l'État - administrations centrales et déconcentrées - mais également les autres acteurs du « dernier kilomètre », comme les collectivités territoriales.

Pour répondre très précisément à la première question, l'étude n'émet pas de recommandations spécifiques aux outre-mer. Elle préconise un changement de méthode qui, pour nous, vaut sur l'ensemble du territoire.

Pour combler le fossé constaté entre les usagers et l'action publique, le Conseil d'État formule ainsi douze propositions, toutes tirées de bonnes pratiques recueillies lors des auditions et observées sur le terrain.

À partir de ces bonnes pratiques, l'enjeu consiste donc à « changer de braquet ». Ces douze propositions assument une ambition modeste : aucune n'est complètement originale, mais leur mise en oeuvre conjointe requerra un effort de tous les acteurs et des usagers eux-mêmes. Elles visent à renouer avec une culture du service en rendant chacun acteur du changement. Elles s'articulent autour de trois axes essentiels : un impératif de proximité, un besoin de pragmatisme et un maître-mot, la confiance.

De notre étude, il ressort qu'il faut penser à « l'atterrissage » de l'action publique, dès le départ et dans tous les endroits où elle se déploiera. Une question concrète doit se poser : comment atteindre l'usager ? Elle vaut particulièrement pour les outre-mer. En effet, les parlementaires ultramarins rencontrés nous ont indiqué qu'il leur arrivait souvent d'appeler l'attention du ou des gouvernement(s) sur la nécessité d'intégrer les outre-mer dans le processus d'élaboration des politiques publiques. Il faut donc penser le « dernier kilomètre » des usagers des outre-mer dès le « premier kilomètre » de la conception d'une politique publique, d'un dispositif ou d'un formulaire.

En nous intéressant à la crise Covid, nous avons également constaté l'existence d'une chaîne courte entre le ministère des Outre-mer et les acteurs ultramarins. Elle a sans doute constitué un atout pour la mise en oeuvre du « dernier kilomètre » de l'action publique, en générant davantage de fluidité et des allers-retours plus fréquents.

Deux exemples tirés de nos auditions illustrent bien certains aspects de nos propositions.

Le premier se rapporte à nos propositions 5 à 8, selon lesquelles il importe de concevoir les politiques publiques avec les usagers et les acteurs publics : nous avons mentionné le dispositif interactif mis en place par l'équipe pédagogique de l'école Louis Andréa de Baie-Mahault en Guadeloupe. Ce dispositif a été reconnu par les services académiques sous le nom d'« Ideas » : identifier, diagnostiquer, s'engager, accompagner et être accompagné, suivre des jalons.

De la même façon, certaines pratiques relevées dans les mairies polynésiennes illustrent notre proposition n° 11, relative à la coopération, qui préconise la logique des guichets uniques ou intégrés. En effet, la mairie constitue un lieu de vie pour les Polynésiens. Elle regroupe ainsi de nombreux services dans une logique de guichet intégré de proximité.

La situation montre aussi l'importance du rôle des élus locaux que nous soulignons de façon répétée depuis nos études de 2018 sur la citoyenneté ou de 2021 sur les états d'urgence.

En réponse à votre deuxième question, l'étude n'identifie pas, en tant que telles, de spécificités de l'action de l'État dans les outre-mer. Ce n'était pas notre objectif. Notre étude s'attache à analyser si telle action publique atteint les destinataires qu'elle a elle-même déterminés et pour quelles raisons.

Nous avons donc travaillé sans considération a priori du territoire de l'action publique concernée, même si nous sommes allés sur le terrain dans l'Hexagone.

Nous avons également pris en compte les spécificités, et parfois les fragilités, de certains territoires comme dans les zones rurales, les quartiers urbains sensibles, et nous nous sommes intéressés aux territoires ultramarins. À cet égard, nous avons relevé les initiatives de l'État pour lutter contre le sentiment de relégation de certains territoires. Concernant les outre-mer, je pense particulièrement à la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer de février 2017 dite loi EROM.

Pour mémoire, son objectif était de réduire les écarts de niveau de vie et de situation avec l'Hexagone, en matière de richesse par habitant, de prix, de taux de décrochage scolaire, de chômage et de pauvreté. La Guyane et Mayotte sont les plus durement touchées. De même, les conditions d'accès à certains services essentiels sont souvent insuffisantes.

Les plans de convergence établis en application de la loi EROM se fixent pour objectif de réduire ces écarts de développement à l'horizon de vingt ou trente ans tout en tenant compte des spécificités des territoires ultramarins.

Par ailleurs, l'État a développé une logique que nous proposons de généraliser : le « aller vers », voire le « aller chez », dans certains territoires des outre-mer. Nous citons par exemple les audiences foraines de justice en Polynésie française ou la pirogue du droit en Guyane.

Votre troisième question était la suivante : parmi les politiques publiques étudiées dans votre rapport, lesquelles ont été les moins bien déployées dans l'Hexagone et dans les outre-mer ? Quelles en sont les principales raisons ?

De façon générale, nous constatons - sans fard ni complaisance - que, malgré des progrès certains, l'action publique ne parvient pas, dans un certain nombre de cas, à atteindre effectivement le « dernier kilomètre » jusqu'au public visé, à savoir les « usagers » au sens générique du terme.

Nous nous sommes efforcés d'en identifier les causes, directes et indirectes, notamment dans les conditions de mise en oeuvre de l'action publique. Celle-ci demeure encore trop souvent caractérisée par sa verticalité, par le poids des normes, mais également par la complexité qui pèse sur les usagers. À cet égard, les 26 encarts de l'étude font pleinement saisir le degré d'efficacité d'une action publique quant à l'atteinte des usagers.

Nous avons ainsi pointé des réussites et des échecs à partir d'exemples communiqués lors de nos auditions et de nos déplacements sur le terrain.

Certains échecs se retrouvent partout : le chèque énergie auquel un cinquième des ayants droit ne recourt pas ; Parcoursup, ressenti comme une « boîte noire » pour les usagers ; la difficulté à remplir certains formulaires, parfois aggravée par la dématérialisation...

D'autres exemples concernent plus spécifiquement les outre-mer : la carte Vitale pour les étudiants venant de Polynésie française, qui doivent toujours cocher une case « étrangers de passage » sur le formulaire d'obtention de la carte, en dépit des multiples interventions des élus du territoire ; les limites de la rationalisation des administrations territoriales, illustrées par les effets collatéraux, sur les coutumes notamment, de la fermeture des maternités dans les atolls polynésiens ; enfin, le niveau d'appropriation très inégal du dispositif du pass Culture, malgré son succès global : 4 % des jeunes mahorais l'utilisent, contre 84 % des jeunes parisiens.

Des succès sont également manifestes sur l'ensemble du territoire, comme le prélèvement à la source.

Concernant les outre-mer, certains succès ont inspiré nos propositions. Tout d'abord, les maisons France services ont atteint leur objectif de 2 500 labellisations, dont 112 dans les départements et régions des outre-mer, ainsi qu'à Saint-Martin. 99 % des Français se trouvent ainsi à moins de trente minutes d'une maison France services et 90 % à moins de vingt minutes.

Je ne reviendrai pas sur les succès de « l'aller vers » déjà mentionnés. Sans remettre en cause la disposition constitutionnelle selon laquelle le français est la langue de la République, je citerai une initiative locale a priori étonnante : la communication en créole du préfet de La Réunion sur les réseaux sociaux pendant la crise sanitaire. Il s'agissait pour lui d'atteindre les habitants et de s'assurer que tous l'entendent. Cet exemple traduit une volonté d'adapter l'action et la communication publiques dans des circonstances exceptionnelles.

Votre quatrième question était : une nouvelle organisation déconcentrée de l'État est-elle une des clefs de la réussite du « dernier kilomètre » ? Quelle réforme serait prioritaire outre-mer ?

Nous avons raisonné à organisation et à moyens constants. En effet, nous avons considéré que nous n'étions pas légitimes pour préconiser une organisation territoriale de la France ou pour porter un jugement sur l'organisation actuelle.

Nous nous bornons à constater que les réformes de l'État et la rationalisation territoriale à partir de 2010 ont profondément changé le visage de l'État sur le terrain. Les préfectures et les sous-préfectures ne sont plus le lieu de contact de l'Administration avec les citoyens, la direction générale des finances publiques a profondément restructuré son réseau, etc.

Pour autant, il ne nous appartient pas de proposer une réforme de l'organisation déconcentrée de l'État ni de porter un jugement sur telle politique publique ou telle réforme de l'État, passée ou à venir.

En revanche, nous disons qu'il est important de penser, dès l'amont d'une réforme, aux moyens qui seront nécessaires pour la mener à bien. Il convient de penser à « l'atterrissage » d'une politique publique, d'un dispositif ou d'un formulaire. Dès le début, il faut intégrer dans la réflexion les moyens humains et budgétaires, comme les difficultés. Cela relève du bon sens, mais il nous semble qu'une logique de plus grande coopération et de subsidiarité produirait d'importantes améliorations. À notre sens, cette amélioration du « dernier kilomètre » de l'action publique renforce son efficacité et la confiance de nos concitoyens.

Pour conclure, nos propositions constituent un tout, applicable à l'ensemble des territoires, y compris ultramarins. Toutefois, si la méthode doit rester la même, les réponses concrètes peuvent être différentes.

Comme nous avons coutume de le dire, nous tenons une sorte de discours de la méthode. Cependant, nous considérons que la mise en oeuvre réelle de nos propositions induirait un changement profond. Elle permettrait de redonner la parole aux acteurs publics de terrain, mais également aux usagers. Cela repose sur la confiance.

Je ne peux donc indiquer quelle réforme serait prioritaire dans les outre-mer. Nous proposons plutôt de mettre en oeuvre ensemble les propositions formulées et, surtout, de penser le « dernier kilomètre » dans les outre-mer dès le « premier kilomètre » de la conception d'une politique publique, de la réflexion sur un dispositif ou même de l'élaboration d'un formulaire.

Je vous remercie.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci, Madame la Présidente, pour ce propos liminaire très riche.

Je laisse la parole à nos deux rapporteurs, Philippe Bas puis Victorin Lurel.

M. Philippe Bas. - Merci pour cet exposé très éclairant.

Il serait intéressant que le Conseil d'État se penche un jour explicitement sur le champ des adaptations possibles de la législation aux exigences de l'action de l'État outre-mer.

Le Conseil d'État nous a bien aidés ces dernières années, notamment lors de son examen de la proposition de loi déposée par notre collègue Thani Mohamed Soilihi pour adapter le Code de la nationalité aux spécificités de la situation de Mayotte. Alors que nous doutions de sa compatibilité avec l'article 73 de la Constitution, vous aviez trouvé une solution avec ses auteurs. Ainsi, la collaboration entre le Parlement et le Conseil d'État sur les propositions de loi peut s'avérer très féconde.

De fait, il nous arrive de sous-estimer l'ampleur des possibilités d'adaptation que la Constitution nous permet d'explorer. Il est vrai que notre action est aussi encadrée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, mais l'efficacité de l'action de l'État se heurte à beaucoup d'obstacles juridiques.

Sans être spécialiste de ceux-ci, je me souviens de plusieurs situations révélées à l'occasion d'un déplacement de la commission des Lois en Guyane. Je citerai la situation d'une institutrice de la forêt amazonienne, sanctionnée pour avoir préparé - avec succès - un élève au baccalauréat sans disposer des qualifications requises. De même, les dispositions nationales sont inadaptées à la lutte contre les orpailleurs ou contre les reconnaissances frauduleuses de paternité. De tels exemples seraient nombreux.

Pour autant, nous demeurons très prudents quant au traitement législatif de ce type de situations. Par conséquent, seriez-vous prêts à ouvrir le moment venu une réflexion d'ensemble pour nous aider ? À défaut, vous seriez certainement ouverts à un travail avec nous préalablement au dépôt d'une proposition de loi couvrant de nombreux domaines : procédure pénale, éducation nationale, droit civil... Nous devrions rester dans le champ de l'article 73. Nous réfléchissons par ailleurs à des évolutions constitutionnelles, mais nous savons combien il est difficile de les faire aboutir.

M. Victorin Lurel. - J'ai bien compris le sens de vos propositions et de l'engagement pris par le Conseil d'État, notamment sur les études d'impact et les évaluations dites préalables.

Vous avez placé vos propositions sous un triptyque - proximité, pragmatisme et confiance - mais comment être proche quand on est éloigné de plusieurs milliers de kilomètres ? Comment décliner aujourd'hui de manière décentralisée, déconcentrée, voire différenciée, une politique publique unique et qui se voudrait uniforme, sans pour autant mettre en cause l'unité de la norme ?

Or, les outre-mer sont oubliés dès la conception. Souvent, ils ne figurent pas dans les études d'impact, dont le contenu est parfois même un peu léger. Lorsque l'État s'aperçoit que le projet n'a pas pris en compte les outre-mer, il indique procéder par ordonnance, quand il n'opère pas de distinctions parfois spécieuses entre législatif et réglementaire.

Dans ces conditions, le « premier et le dernier kilomètres » sont définis par les administrations centrales, tandis que l'exécution est déléguée aux préfets et aux services déconcentrés de l'État.

J'ai cru comprendre que le sujet du « premier et du dernier kilomètres » était inspiré du management des organisations privées. Dès lors, comment l'envisager dans la sphère publique ? Comment s'assurer de la présence de toutes les parties prenantes pour que l'État remplisse sa mission en restant le plus proche possible de l'usager ? Comment envisager une déclinaison pour les outre-mer, quand la réflexion est menée ici et qu'interviennent des acteurs intermédiaires, si bien qu'il est difficile de voir l'utilisateur final ? Comment donc envisager à cadre constant une meilleure prise en compte des outre-mer, sans pour autant remettre en cause l'unicité de la norme ?

Mme Martine de Boisdeffre. - Pour vous répondre, je resterai extrêmement prudente. En effet, le choix des thèmes d'étude ne relève pas de ma compétence. Dans le cadre de l'étude annuelle, les trois personnes ici présentes proposent d'abord une dizaine de sujets à la section du rapport et des études. La section en sélectionne quatre ou cinq, et parfois les hiérarchise. Sur la base de ces propositions, le Bureau du Conseil d'État choisit le thème. Les autres études nous sont commandées par le Premier ministre. Je ne peux donc m'engager.

Cela étant, vous avez ouvert une autre voie. Je me souviens très bien du travail que nous avions mené ensemble sur la nationalité à Mayotte. Cette formule de présentation d'une proposition de loi au Conseil d'État, autorisée par la Constitution depuis 2008, me paraît très utile.

Je me bornerai à cette réponse, espérant que vous excuserez cette prudence.

Le sénateur Victorin Lurel a évoqué avec raison l'éloignement géographique.

Nous avons constaté qu'un fossé s'était creusé entre les usagers et les acteurs publics. Les usagers ont le sentiment que l'action publique n'est plus aussi efficace et n'arrive pas jusqu'à eux.

À l'éloignement géographique s'ajoute en effet une distance de la compréhension, car le discours comme les formulaires sont trop complexes. Les normes sont également trop nombreuses. Depuis trente ans, nous travaillons d'ailleurs sur ce sujet, en lien avec d'autres délégations sénatoriales. Une distance de considération, d'ordre psychologique, est également ressentie, car les décisions semblent parfois déjà prises au moment des concertations.

Afin de remédier à cette distance, nous formulons des propositions sur la proximité et sur le pragmatisme. Il faut penser ce « dernier kilomètre » dès le premier. La direction générale des outre-mer a mis en place des outils, dont un guichet qui doit être un réflexe pour les autres administrations centrales. Pourtant, ce réflexe se révèle parfois tardif. Par conséquent, il faut penser « atterrissage » dès le début, en outre-mer comme partout.

Comment faire ?

J'émettrai quelques nuances par rapport à une inspiration tirée du secteur privé. L'expression « dernier kilomètre » provient certes de la logistique, donc du secteur privé. Pour autant, nous avons expliqué qu'elle s'est développée dans la logistique urbaine ou l'aide au développement. Ici, nous l'appliquons à l'action publique. Nous mettons en avant du bon sens.

Nous disons simplement qu'un service destiné à nos concitoyens doit se penser avec les acteurs de terrain : les préfets, les associations, les corps intermédiaires et les usagers eux-mêmes lorsque cela est possible. À mon avis, la méthode vaut pour les outre-mer comme pour l'Hexagone. Elle doit s'appuyer sur les mêmes « relais privilégiés ».

Enfin, concernant la norme, plusieurs lois, dont une loi organique, ont suivi notre étude sur les expérimentations. Elles vont assez loin dans la différenciation. Nous considérons qu'un équilibre doit être tenu entre le principe d'égalité et les nécessités de la différenciation. Leur articulation fait d'ailleurs l'objet d'une analyse de notre centre de recherche et de diffusion juridique qui est intégrée dans l'étude.

Des possibilités existent donc, cela d'autant plus que tout ne sera pas écrit dans les normes, que des marges de manoeuvre seront laissées et que des adaptations sur le terrain seront permises, y compris dans les outre-mer.

Je laisse le soin à Fabien Raynaud et à Mélanie Villiers de compléter mes propos.

M. Fabien Raynaud, président adjoint et rapporteur général de la section du rapport et des études du Conseil d'État. - Je soulignerai deux points.

Concernant tout d'abord l'« atterrissage », il nous semble important de développer un volet de faisabilité pratique dans les études d'impact. Il conviendrait ainsi de préciser quelle administration serait en charge. Cela permettrait de mesurer dès le « premier kilomètre » comment fonctionnera effectivement le dispositif mis en place et d'identifier les situations dans lesquelles les outre-mer n'ont pas été pris en compte, ou l'ont été insuffisamment tôt.

En second lieu, nous avons été frappés de constater que les pouvoirs de dérogation donnés aux préfets par le décret de 2020 sont utilisés avec beaucoup de prudence, voire avec une certaine réticence. Les raisons en sont compréhensibles : crainte du contentieux, peur de ne pas être suivi par l'administration centrale, difficulté politique liée à l'articulation entre différenciation et principe d'égalité... Cette prudence s'applique peut-être aussi à la problématique de l'article 73 de la Constitution. À cadre constitutionnel constant, il peut exister plus de marge que nous le pensons. À cet égard, les outre-mer peuvent se situer en pointe, compte tenu des possibilités constitutionnelles de différenciation et des besoins des territoires concernés.

Mme Martine de Boisdeffre. - J'ajouterai que la présence d'indicateurs et d'éléments concrets dans les études d'impact permet l'évaluation. Il est fondamental d'évaluer les politiques publiques, au-delà des expérimentations, afin de pouvoir les ajuster, les poursuivre ou les arrêter.

Mme Mélanie Villiers, rapporteure générale adjointe de la section du rapport et des études du Conseil d'État. - Je mentionnerai un dernier élément de notre constat : la prise en compte du temps, tout particulièrement dans les territoires ultramarins. Il est nécessaire de prendre le temps de l'écoute, du contact avec les acteurs de terrain, des allers-retours... Or, ce temps-là est souvent concentré. Nous nous en rendons compte quand les textes sont présentés en section consultative du Conseil d'État. La concentration du temps a quelque peu gâché la capacité de préparation. Par conséquent, notre étude conclut à la nécessité de prendre le temps de construire l'action publique.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci. Je laisse la parole à nos collègues.

M. Saïd Omar Oili. - Je formulerai quelques remarques sur ce rapport très intéressant.

Le rapport de la Chambre régionale des comptes de juin 2022 présente une analyse complète de la situation à Mayotte. Je voudrais souligner qu'il n'y a pas un seul outre-mer, mais des outre-mer. Une politique ultramarine unique n'est pas possible.

Par ailleurs, les réseaux sociaux impactent les politiques publiques. Aujourd'hui, nous savons immédiatement ce qui se passe dans l'Hexagone et nous comparons les situations. Par exemple, les écoles mahoraises surchargées ne donnent cours que par demi-journée, avec une rotation des élèves, ce qui pose la question de l'égalité des chances. À Mayotte, le « premier kilomètre » n'est même pas engagé. Le niveau des violences y est aujourd'hui intolérable, mais le maintien de l'ordre ne s'exerce pas dans les mêmes conditions que dans l'Hexagone. Ainsi, les grenades lacrymogènes destinées à disperser les jeunes affectent toute la population, compte tenu du mode d'habitat.

Par conséquent, chaque territoire des outre-mer doit être vu différemment, car les réalités n'y sont pas les mêmes.

Ainsi, la population de Mayotte continue d'augmenter de 4 % chaque année, alors que la diminution de la population constituait l'objectif de la loi sur la nationalité évoquée précédemment. Je demande donc une évaluation des politiques publiques. Les plans se succèdent à Mayotte, mais les difficultés semblent s'aggraver. Il m'apparaîtrait utile de faire une pause pour établir un bilan des actions et inventorier les échecs. Il en va ainsi des dispositifs de lutte contre l'immigration clandestine.

M. Jean-Gérard Paumier. - J'ai beaucoup appris de votre exposé. J'ai particulièrement apprécié le triptyque proximité, pragmatisme et confiance.

Je crois cependant que l'usager du « premier au dernier kilomètre » n'est pas une spécificité des outre-mer. Dans l'Hexagone, l'accueil en préfecture ou en sous-préfecture a disparu. Les préfets et les sous-préfets sont très affaiblis. Ainsi, le traitement de la crise sanitaire dépendait des Agences régionales de Santé (ARS), les problèmes scolaires relèvent du rectorat et les questions culturelles de la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC)... Personnellement, je plaide pour une déconcentration accrue, car j'y vois un bon équilibre local avec les collectivités.

Vous avez souligné le succès des maisons France services. Les collectivités y ont une part majeure.

Enfin, sans connaître précisément la situation des outre-mer, je pense que l'État est ressenti comme trop vertical. À titre d'illustration, j'évoquerai la Zéro artificialisation nette (ZAN), la loi Gemapi concernant les milieux aquatiques et la prévention des inondations, la gestion des déchets... L'État est perçu comme censeur plutôt que facilitateur. Je pense que la plupart des collègues des territoires attendent que l'État leur dise, non ce qu'il ne faut pas faire, mais comment le faire.

Mme Viviane Artigalas. - Merci beaucoup pour votre exposé et votre présence.

Les questions de différenciation et de territorialisation sont prégnantes, tout particulièrement dans les outre-mer. Elles nécessitent des politiques ascendantes, adaptées aux besoins des territoires et ensuite évaluées. Le Sénat est particulièrement attaché à cette notion d'évaluation, qui s'avère de moins en moins réalisée.

Dans ces conditions, je souhaite vous demander ce que vous pensez des appels à projets. Ils relèvent à mon sens d'une politique descendante. En effet, ils concernent des projets dont les territoires n'ont pas nécessairement besoin. Ceux-ci y répondent, souvent avec retard, pour bénéficier de financements.

Il apparaît ainsi que les politiques publiques intègrent de plus en plus des appels à projets et ne répondent pas aux besoins des territoires. Ces pratiques vont à l'encontre de la co-construction des politiques dont ont besoin les territoires, particulièrement outre-mer.

M. Akli Mellouli. - J'abonderai dans le même sens. Le « premier kilomètre » n'est pas préparé. De plus, des schémas descendants, parfois condescendants, sont mis en oeuvre. Or, nous vivons une nouvelle phase de décentralisation, dans laquelle les territoires des outre-mer pourraient constituer un espace d'expérimentation et nous permettre d'évoluer dans l'Hexagone.

Mme Solanges Nadille. - Merci pour votre exposé.

Lorsqu'elle évoque le « dernier kilomètre », votre étude intègre-t-elle les autres îles de notre archipel comme Marie-Galante, La Désirade et les Saintes ? En effet, ce qui est possible à Pointe-à-Pitre ou aux Abymes ne l'est pas nécessairement dans ces îles.

Par ailleurs, des propositions ont été faites à cadre constitutionnel constant. Ainsi le Comité interministériel des outre-mer (CIOM) a été créé à la suite de l'Appel de Fort-de-France et ses propositions donnent lieu à discussion avec le Gouvernement.

Enfin, je soulignerai une difficulté liée aux services déconcentrés de l'État, comme l'ARS, qui agissent comme un État dans l'État. Il est impossible de discuter avec leurs agents, qui viennent souvent de Paris, ne connaissent pas le territoire et refusent toute discussion. Des propositions sont faites, mais il n'en est pas tenu compte. La volonté est descendante. Personnellement, je cesse de l'accepter.

M. Teva Rohfritsch. - Merci d'avoir beaucoup cité la Polynésie française, je sais que beaucoup de contributions ont été apportées.

Sans revenir sur tout ce qui a été dit, je m'interroge sur la notion d'adaptation des modes d'action de l'État dans les collectivités visées par l'article 74 de la Constitution. Grâce à mon expérience au sein du Gouvernement de la Polynésie française, je peux témoigner de la méconnaissance de l'État lui-même, à quelques exceptions près, quant à la manière d'aborder nos collectivités largement autonomes.

Lorsque l'on discute avec le Gouvernement de la République ou avec le Haut-Commissaire de compétences aujourd'hui confiées à la Polynésie française, plusieurs réponses sont possibles. Elles peuvent relever du refus d'intervenir - « vous êtes compétents, débrouillez-vous » - ou au contraire de décisions contraires à l'autonomie, comme pendant la crise Covid. Certaines décisions du Haut-Commissaire, prises alors au nom de la liberté de circulation, ont ainsi empiété sur la compétence « santé » de la collectivité en méconnaissant totalement les institutions locales.

Il ne s'agit pas de faire le procès de la période Covid qui a été particulièrement éprouvante pour tous, mais de reconnaître des frottements qui n'ont pas été identifiés et sont difficiles à écrire dans des textes organiques. Ils peuvent conduire à une nouvelle réflexion sur la manière dont l'État peut accompagner cette autonomie sans se situer en opposition.

Même si les représentants de l'État font oeuvre de pragmatisme et de bienveillance sans condescendance, il demeure un vide significatif quant à sa pratique de ces statuts autonomes. Celle-ci demeure dépendante de la manière dont les hauts fonctionnaires appréhendent l'autonomie. Il me semble que la réflexion sur l'action de l'État doit prendre en compte cette dimension.

À titre d'exemple, la célébration de l'autonomie polynésienne, le 29 juin, est parfois vécue à Paris comme une agression ou une volonté de distinction de la République, alors que la Polynésie française fête la République en fêtant l'autonomie. Cela nous distingue des indépendantistes.

Dès lors, comment améliorer un dialogue qui, selon les interlocuteurs, n'a pas lieu ou provoque des frictions ? Un exemple concret en témoigne. Les décisions sanitaires prises à Paris lors de la crise Covid (le confinement, la campagne de vaccination...) devaient être financées par la collectivité en vertu de sa compétence en matière de santé.

Pour citer un autre exemple, la protection des zones de pêche ou le développement de la pêche relèvent de la compétence polynésienne. Cependant, certains sujets comme la formation maritime ou les diplômes relèvent de l'État. La situation conduit aujourd'hui à un manque de capitaines polynésiens pour les bateaux de pêche.

Puisque nous partageons tous, y compris les autonomistes polynésiens, le même idéal républicain, il convient de se mettre d'accord sur l'essentiel. L'autonomie ne doit pas constituer un frein à la conception et la mise en oeuvre des politiques publiques.

Mme Micheline Jacques, président. - Vous avez parlé fort justement de distance de compréhension et de considération. Peut-on cependant affirmer l'inexistence d'une culture ultramarine dans les administrations ?

En outre, comment repenser la relation entre l'État et ces territoires ? L'évolution institutionnelle et la révision constitutionnelle ont été évoquées. Des statuts sur mesure pourraient-ils constituer une solution à ces problématiques d'efficience des politiques publiques ?

M. Victorin Lurel. - Je rappelle qu'il est bien question des outre-mer, non de l'outre-mer. Par ailleurs, l'article 73 de la Constitution ne mentionne pas d'intérêts propres... au sein de la République, à la différence de l'article 74.

Pour mémoire, lorsque j'étais ministre, j'avais fait nommer des conseillers dans tous les ministères. Cela permettait de connaître en amont des décisions l'impact sur les outre-mer. La question du maintien d'un ministère dédié s'est posée depuis plusieurs années et ses moyens se sont réduits : il n'existe plus qu'une direction générale, contre deux auparavant, et les effectifs sont passés d'environ 300 personnes à moins de 130 aujourd'hui. Il y a manifestement un problème de ressources humaines.

À titre d'exemple, dans le cadre de la récente réforme des retraites, l'État a insuffisamment pensé la situation des agriculteurs ultramarins. Il a été demandé au Parlement de déléguer ce pouvoir au Gouvernement pour qu'il procède par ordonnances. Le sujet est certes complexe et les délais nécessaires auraient conduit à reporter une réforme structurelle. Toutefois, ce cas révèle l'absence d'études préalables outre-mer (Insee, INED...). Les parlementaires ne disposent pas des armes de politique économique, des éléments de décision...

Mme Martine de Boisdeffre. - Certaines des questions sont d'ordre politique et sortent du champ de l'étude. Je m'abstiendrai donc de réagir sur ces points.

Notre étude parle bien des outre-mer, au pluriel. De fait, nous avons bien conscience des différences entre les situations.

Vous avez évoqué aussi les différences de situation dans l'Hexagone. À cet égard, nous avons écouté des élus venant de territoires très divers, urbains, périurbains, ruraux et ultramarins. Nous avons constaté des inégalités selon les endroits. Nous sommes également conscients du rôle des collectivités dans les maisons France services. En tout état de cause, nous considérons que ce dispositif est positif dans le contexte actuel, non seulement dans les territoires ruraux et ultramarins, mais également en territoire urbain.

Plusieurs remarques portaient sur la co-construction en évoquant un État censeur, des schémas descendants, voire condescendants... Je ne peux qu'adhérer. Nous avons beaucoup insisté sur la nécessité de ne pas agir solitairement. Les administrations centrales doivent écouter leurs représentants sur le terrain, les élus, les associations et, quand elles le peuvent, les usagers, y compris sur les îles plus éloignées, comme les îles des Saintes en Guadeloupe.

Cette démarche prend du temps et appelle également une certaine culture. Notre triptyque - proximité, pragmatisme et confiance -- semble de bon sens. Il doit cependant se généraliser. De bonnes pratiques existent, mais elles doivent « changer de braquet ». Une autre culture doit se mettre en place, en formant partout les acteurs de l'État, notamment aux problématiques des outre-mer. Auparavant, des référents outre-mer étaient présents dans toutes les administrations et, dans le processus interministériel d'élaboration de projets de loi ou de dispositifs, le ministère porteur d'un texte avait déjà intégré lui-même la question ultramarine. Outre la formation, cette culture passe par la connaissance du terrain. Une culture territoriale fait défaut, dont celle des outre-mer.

Enfin, je rejoins complètement les propos de plusieurs d'entre vous quant à la nécessité de l'évaluation. La démarche peut prendre du temps, mais elle permet d'agir en connaissance de cause et d'expliquer les choix. Nous insistons sur cette redevabilité de l'action publique depuis une étude de 2018 sur la citoyenneté.

M. Fabien Raynaud. - Je réagis aux observations relatives à l'article 74. Nous avons réfléchi à cadre constitutionnel constant. Toutefois, les marges sont plus importantes dans le cadre de l'article 74 que de l'article 73.

En tout état de cause, il me semble que la difficulté que vous soulignez concerne la mise en pratique, le pragmatisme et la confiance. De ce fait, il apparaît nécessaire d'élaborer ensemble des politiques co-construites, prévisibles et durables. La clef nous semble se trouver davantage de ce côté que de l'obstacle juridique lié aux articles 73 et 74.

Mme Évelyne Perrot. - Je ne sais si vous avez rencontré des élus et des habitants de parcs naturels régionaux, mais j'y retrouve la même logique. J'ai l'impression que ces parcs, aussi bien dans l'Hexagone que dans les outre-mer, constituent des laboratoires d'idées. Les habitants gèrent leur territoire en s'impliquant et montrent une grande confiance dans ce qui est réalisé.

Mme Mélanie Villiers. - Je ne me souviens pas que nous ayons rencontré d'acteurs des parcs naturels, mais la méthode a été illustrée dans de nombreuses auditions. En matière de confiance, l'une de nos principales propositions consiste à associer à l'élaboration d'une politique publique ceux qui la mettront en oeuvre.

Cela est particulièrement vrai dans le champ des compétences décentralisées, où les acteurs locaux demeurent souvent sollicités sur des réformes presque arbitrées. Dans un univers qui assume la décentralisation, nous estimons qu'il importe de commencer par construire des agendas communs avec les acteurs locaux. Nous l'illustrons avec deux politiques publiques qui nous semblent majeures dans les années à venir : la transition écologique et le vieillissement. Une telle démarche représente une petite révolution.

Mme Martine de Boisdeffre. - Je n'ai pas répondu sur les appels à projets. Nous nous retrouvons dans vos propos. Les appels à projets sont souvent élaborés au niveau national, sans tenir compte des spécificités locales. De plus, ils mettent les acteurs en concurrence, au lieu de les réunir. Il serait préférable d'utiliser d'autres voies, comme l'appel à manifestation d'intérêt. Les appels à projets partaient d'une intention louable de rationalisation des pratiques, mais la plupart des auditionnés se sont montrés sceptiques.

M. Victorin Lurel. - J'aimerais revenir sur les propos de Teva Rohfritsch. Il me semble comprendre que la conception de l'autonomie est différente ici et en Polynésie française. L'autonomie est moindre dans la conception française que dans la conception anglaise, les dotations sont également moindres. En cas d'urgence, l'État se substitue, comme il l'a fait pendant la crise sanitaire. Il empiète, sans toujours financer.

Par conséquent, comment réfléchir sur le « premier et le dernier kilomètres » si la conception du périmètre de l'autonomie n'est pas la même ? Il s'agit d'ailleurs d'un frein pour l'évolution statutaire ou institutionnelle chez nous.

Mme Martine de Boisdeffre. - Je ne m'engagerai pas sur un terrain potentiellement politique. Il me semble qu'il convient d'abord de partager des constats, de porter des diagnostics communs et d'unifier le langage. Sur la base de diagnostics partagés, il faut ensuite se donner le temps de l'écoute réciproque et de la confiance à tous les niveaux.

Mme Micheline Jacques, président. - Nous clôturons l'audition sur ces propos. Je pense que nous partageons le sentiment d'avoir été enfin entendus et compris. Cela est de bon augure pour la suite de ce travail. Je vous remercie tous pour ces échanges.

Mme Martine de Boisdeffre. - Madame la Présidente, vous ne pouviez pas nous faire un meilleur compliment. À mon tour de vous remercier pour votre attention et vos questions.

Jeudi 18 janvier 2024

Audition d'Olivier Jacob, directeur général des outre-mer

Mme Micheline Jacques, président. - Sans transition, nous allons enchaîner la seconde partie de notre audition consacrée à l'adaptation des moyens d'action de l'État dans les outre-mer. Madame la directrice adjointe, je vous laisse la parole pour un propos liminaire en vous fondant sur la trame de questionnaire qui vous a été adressée.

Mme Karine Delamarche. - Nous partageons le constat établi. Le réflexe outre-mer est encore perfectible. Nous y travaillons. Il s'agit véritablement de l'ADN de la direction générale des outre-mer.

Toutefois, la DGOM compte 140 personnels. Elle ne peut pas embrasser l'ensemble de la politique des outre-mer. Chacun des ministères doit se préoccuper de ce sujet. Cette absence de réflexe outre-mer a fait l'objet d'actions de notre part. Le Comité interministériel des outre-mer (CIOM) a réaffirmé l'importance de la participation des outre-mer à la conception des politiques publiques. L'objectif est que nous puissions concevoir et mettre en oeuvre des politiques publiques correctes du point de vue de la sécurité juridique.

En outre, nous rappelons systématiquement au moment de la nomination du ministre chargé des outre-mer qu'il est important pour ce dernier de ne pas avoir simplement la DGOM dans son portefeuille, mais aussi de pouvoir s'appuyer sur l'ensemble des autres administrations qui élaborent les politiques publiques.

Nous sommes également très attachés à la nomination de référents outre-mer dans chacune des grandes administrations et à l'animation de ce réseau des référents. En effet, il faut parfois des adaptations au droit commun. Celles-ci doivent être effectuées en temps et en heure.

Pour aider nos collègues d'autres administrations, nous avons réalisé un travail pédagogique car le droit des outre-mer peut être complexe, fiche par fiche, politique publique par politique publique. L'objectif est d'expliquer ce qui relève de la compétence de l'État et des différentes collectivités.

Je souhaite partager deux informations d'actualité portant sur la structuration de l'État. En 2022, une sous-préfecture a été créée à Saint-Georges en Guyane, ce qui est relativement rare. Cette année, une préfecture de plein exercice sera créée à Saint-Martin.

Notre capacité collective doit rendre notre réflexion outre-mer plus concrète. Tout d'abord, les modalités de construction des politiques publiques, à travers les 72 mesures du CIOM, peuvent y contribuer. Elles sont issues des propositions que les territoires ont adressées au Gouvernement à travers les préfets. Toutes n'ont pas été reprises. Certaines doivent être travaillées. Nous continuerons à en adopter pour les prochaines sessions du CIOM.

Vous nous avez interrogés sur l'effectivité des consultations des collectivités d'outre-mer. En effet, nous sommes d'accord, la démarche est perfectible. Nous travaillons à de nouvelles approches, dont l'une qui consisterait à ne plus proposer une consultation en amont de la création de la loi. Les collectivités pourraient donner leur avis une fois que la loi est votée. Il s'agirait d'obtenir une habilitation pour travailler à des adaptations auprès des collectivités. Cette option n'est pas parfaite en raison du décrochage temporel qu'elle implique, mais donne l'espace nécessaire à une véritable consultation. Il faudrait pour cela réviser la Constitution pour étendre le champ d'habilitation de l'article 74-1 et penser une forme d'habilitation ad hoc. En outre, nous travaillons également à la possibilité de saisir le Conseil d'État.

Jusqu'où pourrions-nous confier aux préfets la possibilité de déroger aux normes nationales ? Nous devons mesurer jusqu'où ces adaptations peuvent se réaliser en discussion avec le Conseil d'État.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Concernant l'évolution et l'organisation des moyens de votre direction, nos parlementaires ont toujours relevé une insuffisance de moyens. Il faut renforcer cette direction. Je tiens à préciser qu'elle n'était au début qu'une simple délégation.

En outre, le ministère des Outre-mer a changé de statut. Il n'est plus un ministère de plein exercice, mais seulement délégué. Quels sont vos rapports en matière de tutelle avec le ministère de l'Intérieur, notamment en termes d'effectifs et d'instruction des dossiers ? Comment cela s'organise-t-il d'une manière générale ? Quelle coordination est mise en oeuvre avec les territoires ultramarins et comment s'articulent les différents programmes gouvernementaux ? Nous avons parfois des difficultés à appréhender cette structuration. Des plans de relance avaient été définis avec des déclinations territoriales. Aujourd'hui, qu'en est-il pour les 72 mesures du CIOM ?

Quels sont les bilans dressés ? Comment s'est articulée la transition entre les contrats de plan État-Région (CPER) et les contrats de convergence et de transformation (CCT) ?

Mme Karine Delamarche. - Merci Monsieur le sénateur.

S'agissant des relations avec le ministre de l'Intérieur, vous le savez, la DGOM est une administration de mission avec quelques opérations en gestion.

En revanche, pour toutes les fonctions support, la DGOM dépend du ministère de l'Intérieur. Nous ne gérons pas les personnels au quotidien. Pour le numérique, nous sommes en lien avec la direction du numérique du ministère de l'Intérieur. Nous profitons de la force de cette grande administration centrale.

Reproduire ces services à notre échelle, plus modeste, ne serait pas pertinent.

S'agissant de la relation entre le ministère de l'Intérieur et le ministre délégué aux outre-mer, ce dernier agit par délégation de son administration centrale. L'ensemble des dossiers, tels que la défiscalisation, relève bel et bien du portefeuille du ministre délégué aux outre-mer.

Notre travail au quotidien consiste à trouver pour l'ensemble des politiques menées une déclinaison outre-mer.

Le dernier CIOM, sous la présidence de la Première ministre, a permis d'aller bien au-delà des seules attributions de la DGOM, avec des ministres en charge des outre-mer.

L'actuel CCT a été prolongé d'une année pour arriver à échéance. Les nouveaux sont en cours de négociation avec les territoires.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Concernant la nouvelle organisation décentralisée de l'État, je souhaitais obtenir davantage de précisions sur l'évolution des rapports et sur l'action de l'État depuis les modifications et les simplifications organisationnelles en Guyane et en Martinique. Cela s'est-il simplifié ou cela a-t-il été modifié ? Les interlocuteurs sont-ils désormais uniques ? Est-ce plus fluide que dans les régions monodépartementales ? Comment la présence de l'État s'organise-t-elle dans les territoires étendus comme la Guyane ou multi-insulaires comme la Guadeloupe et la Polynésie française ?

Quel est le bilan du déploiement de l'activité des espaces Bus France Services dans les outre-mer ?

Comment l'État répond-il aux inégalités d'accès aux services publics ou aux appels à projet liés au phénomène croissant de dématérialisation administrative sur des territoires marqués par l'illectronisme ?

Mme Karine Delamarche. - Certaines questions devront être traitées plus tard puisqu'elles ne figurent pas dans le périmètre de la DGOM, notamment France Services.

Concernant la présence de l'État en Guyane, une nouvelle sous-préfecture a été créée. Les services de l'État en Guyane sont organisés de manière spécifique, en 5 directions. Cette organisation semble donner satisfaction. S'agissant de la création des collectivités de Martinique, l'État a à présent un interlocuteur unique au niveau de la collectivité départementale.

Nous vous répondrons dans un second temps au sujet des services publics.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Les collectivités partagent le sentiment que les consultations tardent à se mettre en place. En outre, elles déplorent le caractère artificiel de ces consultations. Sur les projets d'adaptation des lois, des règlements, ou des normes, qui est consulté et dans quel délai ? Quel est le rôle du Conseil d'État sur ces types de consultation ?

En tant que président, j'ai fait adopter 29 délibérations relevant du domaine de la loi publiées au Journal officiel. J'ai établi autant de délibérations relevant du domaine réglementaire. Cela représente un coût élevé. Comment pouvons-nous améliorer les habilitations délivrées en vertu de la Constitution modifiée en 2003 ?

Comment remplacer, par exemple, les appels à projets qui irritent les élus ?

Mme Karine Delamarche. - Le Secrétariat général du Gouvernement propose des consultations pour les textes de niveau législatif, et avec la DGOM pour les textes de niveau réglementaire.

Nous partageons votre constat. Les consultations outre-mer sont parfois vécues par certaines administrations comme une contrainte calendaire alors que le ministre souhaite que les réformes se réalisent rapidement. Or, consulter en laissant un délai d'un mois aux collectivités d'outre-mer paraît contre-productif. Nous avons réfléchi sur la manière d'améliorer ce fonctionnement.

Nous avons par exemple pensé à créer une section du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) qui serait dédiée aux textes outre-mer. Toutefois, le CNEN connaît les mêmes difficultés que les collectivités d'outre-mer sur les textes de valeur législative.

Le Conseil d'État est le garant des consultations des outre-mer. Il ne se prononce pas tant que les délais de consultation ne sont pas écoulées.

M. Olivier Benoist, sous-directeur des affaires juridiques et institutionnelles. - La procédure du Conseil d'État est garante de l'effectivité de cette consultation. Nous envisageons une extension du délai de consultation, qui est actuellement de 30 jours. En situation d'urgence, il peut être réduit à 15 jours. Une première piste de réflexion pourrait être de l'étendre jusqu'à 2 mois.

Pour autant, la façon dont sont produites les réformes et sont préparées les normes nous conduit à penser que tout cela est relativement irréaliste. Une intervention en amont n'est pas toujours possible. Aussi, il conviendrait d'engager une réflexion plus poussée avec la collectivité permettant, une fois la loi votée et mieux appréhendée dans sa finalité, de décliner finement cette dernière en tenant compte des enjeux de la collectivité.

Nous pourrions également imaginer des mécanismes impliquant que celles-ci ne deviennent pas caduques à partir du moment où les projets de loi auront été déposés au Parlement.

Mme Karine Delamarche. - S'agissant des habilitations, nous dépassons la question des outre-mer. Légiférer à partir des propositions d'habilitation demande une certaine expertise. Des associations d'élus se mobilisent pour partager leur expertise auprès des collectivités.

Sous des mécanismes juridiques distincts, la finalité est effectivement très proche.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Autant les habilitations accordées aux collectivités ont pu donner quelques résultats depuis 2009 - la Martinique et la Guadeloupe les ont en tout cas utilisées -, autant nous ne connaissons pas les actions réalisées par les préfets pour adapter les normes. Comment expliquer cette prudence dans l'action de l'État ?

Le dernier rapport du Conseil d'État propose de passer à la logique de « compliance » pour l'efficacité des politiques publiques et de travailler le dernier kilomètre. Qu'en pensez-vous ?

M. Olivier Benoist. - S'agissant du pouvoir de dérogation des préfets, nous sommes aujourd'hui, non sur un pouvoir d'adaptation des normes, mais sur une dynamique relativement binaire permettant aux préfets d'écarter l'application d'une norme.

Pourquoi n'est-il pas plus utilisé ? Dans son esprit et dans sa finalité, il n'a pas vocation à l'être énormément puisque les normes établies ont une finalité. En effet, le préfet ne peut exercer son pouvoir de dérogation que dans des cas extrêmement particuliers. Selon les recensements du ministère de l'Intérieur, seulement une trentaine d'applications de ce pouvoir a été constatée depuis qu'il a été généralisé.

La notion de pouvoir d'adaptation est intéressante dans le champ réglementaire. Je note un précédent à ce sujet dans le cadre de la crise sanitaire. En effet, les préfets ont véritablement pu adapter les règles nationales aux spécificités de leur territoire. Nous pourrions envisager cela dans la perspective d'un travail avec le Conseil d'État afin d'obtenir une marge de manoeuvre plus conséquente.

Mme Karine Delamarche. - Cette réflexion sur le pouvoir de dérogation du préfet en outre-mer s'applique à l'ensemble des collectivités. S'agissant des pouvoirs actuels de dérogation du préfet, je vous renvoie aux travaux de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat qui, sous la présidence de Mme Françoise Gatel et M. Mathieu Darnaud, a réalisé un bilan sur ce sujet l'année dernière. Le bilan formel est en deçà de la réalité puisque certaines demandes de dérogation ne sont pas connues de l'administration centrale.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Les appels à projets ne sont pas appréciés en outre-mer. Avec les réformes entreprises, nous avons eu le sentiment d'une tentative ou d'une action de recentralisation, alors que ces sujets étaient auparavant gérés par les entreprises, les ménages ou les collectivités.

Cette mesure devait être centralisée au sein de l'action 4 du programme 138. Aujourd'hui, est-il possible d'obtenir un bilan de cette recentralisation ? Quelles ont été les conséquences les années suivantes, notamment des 100 millions de la TVA non perçue récupérable (NPR) ? Quel est le montant de la politique de réduction de l'abattement fiscal sur le revenu ?

Comment mieux informer les parlementaires sur l'action de l'État, sur les actions prises et sur la gestion postérieure à ces décisions ?

Comment ont été gérées ces sommes depuis 2017 ?

Pourriez-vous nous envoyer un bilan chiffré sur la gestion de l'ensemble de ces dispositifs ?

Mme Karine Delamarche. - Bien entendu, un bilan vous sera envoyé. Une partie des bilans des dispositifs fiscaux se trouvent au sein des documents d'information autour du projet de loi de finances (PLF). Je vous rejoins sur le fait que le document de politique transversale (DPT) mériterait d'être retravaillé et refondu pour être plus lisible.

Mme Audrey Bélim. - Avec la proposition dissonante, j'ai failli entendre la nécessité d'une révision de la Constitution. L'article 73 alinéa 5 posera nécessairement problème à La Réunion concernant l'adaptation.

Actuellement, un millier de Réunionnais sont bloqués à Maurice, en zone de transit ou à l'aéroport. Je voulais vous informer de cette situation.

M. Saïd Omar Oili. - Nos territoires sont différents. Comment mettre en place une politique publique à Mayotte lorsque nous ne maîtrisons pas la démographie ? Nous avons un taux de croissance inédit, mais nous ne maîtrisons pas les données exactes dans les différentes collectivités. Ainsi, nous sommes dans l'improvisation. La Chambre régionale des comptes nous accuse d'être de mauvais gestionnaires, alors que nous n'avons pas les dotations nous permettant de mettre en oeuvre les politiques publiques.

12 000 naissances par an ont lieu à Mayotte.

Comment pouvons-nous mettre en place ces politiques publiques puis les évaluer face cette situation inédite ?

Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Je rejoins les propos de mon collègue au sujet de Mayotte.

Le rôle de l'État dans les outre-mer doit également s'envisager par bassin. Les problématiques à Mayotte ne sont pas les mêmes que celles constatées à La Réunion. Grâce aux moyens de l'État, nous pourrions organiser et trouver des réponses localement pour chaque territoire ultramarin et par bassin. Cela est le cas par exemple pour l'emploi et le dynamisme économique. Il faut imaginer une politique ultramarine au-delà du territoire, et par territoire. Les outre-mer peuvent porter des solutions et se compléter, ce qui développerait la visibilité de la France en outre-mer.

L'autre sujet porte sur la formation et sur les liens avec les territoires voisins. Quand la question des outre-mer rejoint-elle la question diplomatique ? Il s'agit d'un véritable sujet. Par ailleurs, comment en mesurer l'impact ?

En outre, il serait intéressant de savoir comment se positionner par rapport à l'article 73 alinéa 5 puisque chaque territoire est effectivement différent au regard de la loi.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie. Je vais clore ces questions dont l'une concerne les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution.

Comment expliquer les délais d'approbation des actes des collectivités d'outre-mer, pris en vertu de leur participation aux compétences de l'État ?

Pour Saint-Barthélemy, le délai de deux mois n'a jamais été tenu s'agissant des sanctions pénales.

Pourquoi ces avis ne sont-ils jamais pris en compte ?

Selon moi, décliner revient à considérer que l'adaptation suppose des délais d'entrée en vigueur dans les outre-mer. Quelle raison empêche l'administration de se rapprocher des collectivités en dehors de toute obligation institutionnelle ? Quel facteur freine la souplesse des relations relevant pourtant du bon sens ?

L'histoire de Saint-Barthélemy montre que les élus avaient par le passé plus de contact avec les administrations. Nous constatons de plus en plus que ceux-ci se réduisent.

Mme Karine Delamarche. - S'agissant de Mayotte, l'État a répondu présent ces derniers mois au travers de la crise de l'eau, mais également au travers du soutien qu'il a pu donner au conseil départemental. Le sujet du recensement est un sujet bien identifié au sein du ministère des Outre-mer.

Une partie de ces questions pourront trouver une traduction dans le prochain projet de loi Mayotte dont la Première ministre a annoncé le principe en janvier et pour lequel la DGOM soumettra des propositions aux ministres.

S'agissant des besoins de l'État par bassin, ce dernier est présent au quotidien à travers les services locaux. En effet, la DGOM est en contact étroit avec les services déconcentrés et de proximité.

Concernant la proposition disruptive de supprimer les consultations outre-mer, il ne s'agit pas d'une suppression sèche, mais simplement de la suppression d'une modalité au profit d'une autre. Le constat demeure que ces consultations ne sont pas aussi effectives qu'elles devraient l'être. Nous pourrions prévoir un délai après la promulgation d'une loi. L'objectif serait de permettre aux collectivités ultramarines de soumettre au Gouvernement des adaptations leur apparaissant nécessaires. Il faudrait par exemple aménager l'article 74-1 afin de permettre cette habilitation ad hoc aux collectivités qui ne sont pas régies par l'article 74. Cela suppose une révision de la Constitution.

Madame la Présidente, je vous invite à nous transmettre les difficultés relevées ou à les communiquer au préfet délégué.

Mme Isabelle Richard. - Je voulais citer quelques exemples de solutions territorialisées et mutualisées.

Au sujet de la gestion des crédits européens, les régions sont autorités de gestion. La DGOM se place en position de facilitatrice de l'action des régions. Elle concourt également à un apport en ingénierie et à la mutualisation des bonnes pratiques. Cela a été réalisé il y a un an à La Réunion avec un séminaire qui a réuni toutes les autorités de gestion. Avec ces autorités, le partage de bonnes pratiques a également été favorisé, tel que le guichet unique pour les entreprises concernées. Les autorités de gestion y ont activement participé.

Le logement social est un autre exemple de partage fort de bonnes pratiques avec l'ensemble des acteurs, à savoir les collectivités locales, le BTP, les acteurs du logement social, notamment les constructeurs. Ces actions seront renforcées, en particulier à travers le dialogue local. Des réunions périodiques incluant l'ensemble des régions d'outre-mer permettront de mutualiser les bonnes pratiques et d'échanger sur les solutions possibles.

Mme Micheline Jacques, président. - Je tiens à vous remercier pour la qualité de ces échanges. Avant de clore cette audition, je vous informe que la prochaine audition aura lieu le 25 janvier à 10 heures en présence du Général Lionel Lavergne, commandant de la gendarmerie outre-mer.

Jeudi 25 janvier 2024

Audition du Général Lionel Lavergne, commandant de la gendarmerie d'outre-mer (CGOM)

Mme Micheline Jacques, présidente. - Dans le cadre de la préparation de notre rapport sur l'adaptation des modes d'action de l'État dans les outre-mer, nous auditionnons, ce matin, le général Lionel Lavergne, commandant de la gendarmerie d'outre-mer (CGOM).

Général, nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation.

Après un parcours prestigieux, vous avez été nommé il y a un an à la tête du commandement de la gendarmerie d'outre-mer, qui administre les personnels en outre-mer.

À la lumière de vos responsabilités, de votre expérience et de vos contacts avec le terrain, vous pourrez nous éclairer sur vos moyens et sur vos modalités d'action dans les territoires ultramarins.

Les normes que vous appliquez dans le cadre de vos missions de gendarmerie vous paraissent-elles adaptées aux caractéristiques des outre-mer ? Les trouvez-vous perfectibles ? Comment les différents services de sécurité se coordonnent-ils avec la police nationale, les polices locales et la douane ?

Nous n'ignorons pas les immenses défis que vous devez relever, que ce soit en Guyane ou à Mayotte, mais aussi, après le passage de l'ouragan Belal, à La Réunion.

Général, je vais vous laisser la parole pour un propos liminaire, puis je la céderai à nos rapporteurs, Philippe Bas et Victorin Lurel, ainsi qu'à mes collègues ici présents qui souhaiteraient vous interroger sur des sujets plus spécifiques qui se posent dans leur territoire.

Général Lionel Lavergne, commandant de la gendarmerie d'outre-mer (CGOM). - Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis très honoré d'être devant vous aujourd'hui. C'est avec grand plaisir que je reviens au Sénat pour pouvoir vous délivrer mon appréciation de la situation de la gendarmerie dans les territoires ultramarins et pour pouvoir échanger avec vous, à bâtons rompus. Le but est que nous coconstruisions ensemble l'évolution nécessaire, notre État devant continuellement s'adapter à nos territoires, en particulier à nos territoires ultramarins.

Je vous propose de commencer par un état des lieux de la gendarmerie d'outre-mer et la manière dont nous concevons notre action et la faisons évoluer, compte tenu de nos particularités. Je répondrai ensuite volontiers aux questions, de manière totalement transparente.

Je suis accompagné du lieutenant-colonel Ludovic Provost, réserviste opérationnel spécialiste, que j'ai recruté comme conseiller territorial. Nous avons été auditeurs de la même session de l'Institut des hautes études de défense nationale (Ihedn) voilà dix ans. Au-delà des gendarmes d'active, je m'entoure aussi de gendarmes de coeur, qui nous donnent d'autres éclairages, ce qui est très intéressant.

Tout d'abord, je souhaite aborder quelques données-clés et quelques paramètres importants à mes yeux de la gendarmerie dans les outre-mer.

La gendarmerie dans les outre-mer, c'est 7 200 militaires et civils, répartis sur les trois océans et sur l'Amérique du Sud, avec la Guyane. Parmi ces derniers, on compte 3 900 officiers et sous-officiers affectés dans les territoires ultramarins, 1 500 réservistes, tous originaires - c'est une dimension importante -, 1 500 gendarmes mobiles en renfort - donc non affectés - et 300 membres du groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), puisqu'il y a des antennes du GIGN outre-mer. Les civils sont là en soutien, parce qu'il y a bien évidemment une forme d'autonomie des commandements dans les territoires.

Ces 7 200 militaires sont répartis en dix commandements de la gendarmerie, que l'on appelle communément « Comgend ». Le dixième a été créé très récemment pour Saint-Barthélemy et Saint-Martin, illustrant l'évolution de l'État, de son ancrage territorial et de sa proximité avec les territoires ultramarins. D'autres évolutions restent possibles : pour l'instant, Saint-Martin et Saint-Barthélemy sont encore administrées par un préfet délégué de la Guadeloupe. La nomination d'un préfet de plein exercice devrait intervenir, je pense, dans les toutes prochaines semaines, mais nous avons anticipé et nous nous sommes mis en ordre de bataille pour créer un commandement propre, lequel est viable depuis le 2 janvier de cette année.

En Hexagone, la gendarmerie couvre 95 % du territoire national et 50 % de la population. Outre-mer, c'est 99 % en responsabilité de tranquillité publique, et, surtout, c'est 70 % de la population ! La gendarmerie a donc des devoirs importants à l'égard de nos concitoyens outre-mer.

Les 7 200 gendarmes présents dans les outre-mer représentent environ 5,5 % des 135 000 effectifs de la gendarmerie nationale - chiffre dans lequel j'inclus nos 35 000 réservistes.

La gendarmerie outre-mer se caractérise par un éloignement de l'Hexagone, avec jusqu'à 20 000 kilomètres de distance et des liaisons parfois très dépendantes des impératifs naturels ou géopolitiques.

Cet éloignement impose et favorise la notion d'« équipe France » - le préfet, le procureur, les autorités judiciaires, les chefs de service... Je le vois quand je me déplace dans les territoires : on a vraiment l'impression que lorsqu'on est loin, on est plus soudés. C'est une nécessité, car les personnels sont seuls, loin de l'Hexagone, et leur autonomie est réelle, même s'il peut y avoir des renforts. Ces « équipes France » fonctionnent très bien.

Un autre paramètre très important est le décalage horaire. Les dix Comgend couvrent 7 créneaux horaires, avec une amplitude de 21 heures en hiver et de 23 heures en été. On a coutume de dire que le soleil ne se couche jamais sur le commandement que j'exerce ! Il faut s'adapter à cette contrainte. Je ne peux pas avoir tous mes commandements rassemblés. Je les convoque à Paris, j'organise des séminaires... Mais comme j'ai besoin de maintenir une dynamique, je fais des réunions en visioconférence le matin pour l'océan Indien, la Nouvelle-Calédonie, Walliset-Futuna et le soir pour la Polynésie française, la Guyane et l'océan Atlantique.

L'isolement caractérise les territoires ultramarins. Celui-ci est plus accru sur certains territoires. Je pense notamment à Saint-Pierre-et-Miquelon ou à Wallis-et-Futuna. Je me suis rendu dans tous les territoires ultramarins, sauf à Saint-Pierre-et-Miquelon, où je vais dans dix jours. À Futuna on est au bout du monde ! On est aux confins de la République. Pour s'y rendre, on est obligé de passer par Wallis ; il n'y a pas de liaison avec les îles Fidji. C'est une très grosse contrainte.

Dans les outre-mer, les moyens de l'État sont très clairement comptés. On fait en sorte d'être autonomes. Mais, si certains Comgend sont armés avec beaucoup de personnels, d'autres le sont moins. À Saint-Pierre-et-Miquelon et à Wallis-et-Futuna, il y a moins de 30 militaires, qui sont de fait polyvalents.

Les territoires ultramarins sont également des milieux atypiques, parce que la géographie y est très particulière. Je pense notamment à la forêt équatoriale en Guyane, aux littoraux et zones humides, aux terres australes.

Pour nos territoires ultramarins, le contact avec nos voisins, avec l'international, est fondamental. En effet, les problématiques auxquelles nous sommes confrontés sont interdépendantes de notre voisinage immédiat. Je rappelle que les territoires outre-mer ont 35 pays dans leur proximité ! La notion de coopération internationale de proximité est donc essentielle. Quand on est au sud de la Martinique, on voit Sainte-Lucie. Quand on est à Marie-Galante, on voit la Dominique. Il y a bien évidemment une interdépendance des phénomènes délictuels et criminels.

Les territoires ultramarins, c'est également le grand écart entre les différents statuts juridiques, les cultures et les identités. Le gendarme doit s'y adapter. C'est fondamental. On n'exerce pas le métier de gendarme outre-mer comme on le fait dans l'Hexagone.

Les territoires ultramarins, ce sont également des phénomènes de délinquance importants. Je veux vous citer quelques ratios que j'estime très éclairants, rapportés à l'ensemble de la gendarmerie nationale. Dans les territoires ultramarins, on constate : 15 % des atteintes aux biens constatés par la gendarmerie nationale sur l'ensemble du territoire français ; 25 % des atteintes aux personnes ; 10 % des violences intrafamiliales, qui gangrènent ces territoires ; 30 % des homicides et tentatives d'homicide ; plus de 50 % des vols à main armée - et je ne parle là que de ce qui est constaté par la gendarmerie nationale. En 2023, un tiers des vols à main armée par arme à feu constatés par celle-ci ont été perpétrés en Guyane, et un tiers des vols commis par arme blanche l'ont été à Mayotte. La gendarmerie des outre-mer, c'est également un quart de la grande criminalité ; 50 % des règlements de compte constatés par la gendarmerie nationale le sont en Guyane.

Autrement dit, nos gendarmes sont soumis, dans les territoires ultramarins, à une violence plus importante que dans l'Hexagone.

Je terminerai par deux indicateurs structurants : en 2023, 50 % des agressions de gendarmes départementaux et de gendarmes mobiles ont été commises dans les territoires ultramarins, et ces agressions ont représenté 25 % des blessés de la gendarmerie. Un quart des blessés de la gendarmerie l'ont donc été outre-mer !

Il ne faut pas dresser un tableau trop sombre des outre-mer. Il ne s'agit pas d'une situation de guerre, mais ces chiffres montrent la réalité de ce que nous vivons dans les territoires ultramarins.

La gendarmerie outre-mer s'adapte en permanence à toutes ces singularités, essaie d'être en constante évolution et de se remettre en question.

Elle s'adapte à la fois au niveau local et au niveau central. Elle ne travaille bien évidemment pas seule. Elle travaille en coordination, en interservices, sous l'autorité du préfet, avec les magistrats pour ce qui relève de l'activité judiciaire.

Elle doit également travailler sur le plan central : ce qui est produit dans les territoires ultramarins est produit localement, mais l'est aussi à Paris. Mes fonctions m'obligent à une oscillation permanente entre le terrain et Paris, à une forme de trait d'union. Je délivre des appréciations de situations à mon directeur général, au cabinet du ministre, à tout l'écosystème parisien des outre-mer, qui tiennent compte de cette granularité, de ce discernement nécessaire entre chaque territoire. De fait, il n'est pas possible de traiter les territoires de manière globale.

Ce sont parfois des solutions au cas par cas, adaptées aux territoires. C'est fondamental, et c'est l'un de mes défis en tant que commandant de la gendarmerie d'outre-mer.

L'adaptation, c'est aussi les nouvelles brigades. Nous avions perdu un certain nombre de brigades durant vingt ans. Nous allons recréer, d'ici à 2027, 239 brigades, dont 22 outre-mer - 14 brigades mobiles et 8 brigades fixes. En 2024, 8 seront créées dans les territoires. Les brigades mobiles ont vocation à travailler sur une thématique particulière. Il y a, par exemple, notamment à La Réunion, des brigades mobiles centrées sur les violences intrafamiliales, qui gangrènent notre plan de charge.

La gendarmerie dans les outre-mer, c'est également un dispositif opérationnel souple et résilient. C'est important. Compte tenu de l'éloignement, les Comgend sont dotés de moyens et d'unités d'appui que l'on retrouve habituellement, dans l'Hexagone, au niveau régional, voire zonal - et non départemental.

Nous disposons de moyens pour gérer, en autonomie, des situations d'urgence ou de crise, en attendant les renforts, qui mettent parfois du temps à arriver. On l'a très bien vu récemment, s'agissant de la crise climatique à La Réunion. Concrètement, nous avons, sur place, des hélicoptères, des unités spécialisées de recherche en investigation judiciaire, des antennes du GIGN, des moyens nautiques, des moyens de montagne, comme à La Réunion.

Ont également été mises en place des structures dédiées à la gestion de phénomènes criminels. Ainsi, des task forces sont destinées à appuyer les Comgend, en lien avec les autorités judiciaires, sur des phénomènes particuliers, pour des enquêtes en cours - cela a été le cas en Guyane, c'est actuellement le cas à Mayotte, ce sera, me semble-t-il, prochainement le cas aux Antilles. L'idée est d'assurer une supervision, un contrôle, et d'anticiper, dès que des difficultés ne peuvent être résolues avec les moyens locaux, en envoyant des task forces. Concrètement, on envoie des spécialistes pour un temps, un espace et un phénomène donnés, qui reviennent ensuite à Paris. Le but est d'être souple et réactif. Je veux citer l'exemple des task forces sur les sujets économiques et financiers ou sur les factions armées brésiliennes en Guyane.

Il y a aussi, outre-mer, des unités spécialisées et adaptées aux territoires. Par exemple, on a créé un groupe « jungle » à la section de recherches - le plus haut niveau en matière d'investigation judiciaire - de Cayenne.

Nous essayons de rechercher en permanence des moyens techniques et humains innovants, dont nous faisons également bénéficier nos camarades de la police nationale. Cela a très bien fonctionné récemment, dans le cas du triple meurtre de commerçants chinois commis à Cayenne il y a quelques jours. L'ADN prélevé par la police nous a permis de faire avancer l'enquête et d'interpeller les personnes en Chine. Ces capacités d'innovation sont très intéressantes.

Autre exemple, nous avons mis en place, depuis deux ans, les « officiers de policiers judiciaires de l'avant », formés pour être intégrés dans les unités de maintien de l'ordre. Il ne vous aura pas échappé qu'il y a beaucoup de troubles à l'ordre public à Mayotte. Nous avons besoin de matérialiser les infractions, de manière à ce que les personnes interpellées puissent comparaître devant la justice. Nous avons donc mis en place un système d'officiers de police judiciaire intégrés au dispositif de manière à constater les exactions, interpeller leurs auteurs, puis les déférer et les faire condamner.

La gendarmerie s'adapte également dans le cadre de dispositifs prévus, planifiés. Je pense à l'opération Harpie en Guyane, au troisième référendum, organisé en décembre 2021, en Nouvelle-Calédonie, ou encore à l'opération menée à Mayotte entre avril et août dernier.

Dans le cadre du cap que je donne à mes unités, nous essayons de ne pas « rester les deux pieds dans le même sabot », et, au contraire, de faire évoluer les choses, à la fois localement et avec un appui national. Celui-ci est nécessaire, car on ne peut se permettre d'ajouter toujours des moyens supplémentaires. Le diagnostic doit pouvoir aboutir à des renforcements ponctuels moyens qui viennent du niveau central.

La gendarmerie d'outre-mer a bien évidemment un modèle spécifique de gestion des ressources humaines. Je pourrai revenir sur le recrutement, sur les temps d'affectation, sur le nécessaire équilibre entre originaires et non-originaires - dans les territoires ultramarins, le lien avec la population est essentiel et se fait également grâce aux originaires.

Outre-mer, la logistique est tournée vers le soutien opérationnel et contribue très clairement à l'économie locale. Nous favorisons pleinement les achats locaux. À cet égard, je tiens à mentionner la problématique, qui peut paraître paradoxale, de l'octroi de mer, compte tenu de la double taxation avec la TVA. C'est un vrai sujet.

Un autre vrai sujet, essentiel pour la gendarmerie, est l'immobilier. Je précise que l'on a 196 casernes outre-mer, dont 155 domaniales et 41 locatives. Les trois quarts des casernes sont donc domaniales. Or elles sont parfois dans un état qui mérite une attention particulière.

Au reste, on ne peut pas dire que tout va bien en matière immobilière ! Nous sommes fragiles. En Guadeloupe, où je me suis rendu la semaine dernière, il y a beaucoup de domanial, en mauvais état. Nous sommes obligés de faire des choix.

S'agissant des modes d'action de l'État et, donc, pour ce qui me concerne, de la gendarmerie, dans les territoires ultramarins, j'ai fixé un cap qui se décline en trois axes.

Le premier axe est la densification de l'empreinte territoriale, afin d'intensifier la proximité avec la population et les élus. Nous pouvons en effet progresser s'agissant des populations les plus vulnérables : c'est un point d'attention très important. Je pense au « plan 200 brigades » que j'ai évoqué, à la présence d'originaires parmi les gendarmes, aux classes de cadets, au service national universel (SNU), aux gendarmes adjoints volontaires, aux classes préparatoires intégrées.

Le deuxième axe est la recherche de modes d'action innovants. J'ai ainsi lancé une expérimentation sur l'ensemble des territoires ultramarins, pour décloisonner le renseignement d'ordre public et le renseignement judiciaire, dans le respect, bien entendu, du besoin d'en connaître. Chaque Comgend disposait jusqu'alors d'un officier adjoint chargé de la police judiciaire et d'un officier adjoint chargé du renseignement. Désormais, il n'existe plus qu'une seule chaîne, avec un chef et un adjoint. Il s'agit de mieux gérer l'ensemble des informations provenant du terrain afin d'établir une meilleure cartographie des phénomènes auxquels nous sommes confrontés. En comprenant mieux ce qui ronge nos territoires, nous pourrons mieux cibler notre action. En effet, dans certains territoires, il est difficile de répondre à la question « de quoi s'agit-il ? ».

Ce point est essentiel : en décloisonnant le renseignement, nous pourrons mieux mener notre travail opérationnel de gendarmes, et le travail de l'État s'en trouvera facilité. En effet, il ne vous aura pas échappé que les sujets judiciaires sont en lien avec les sujets d'ordre public. Nous ne pouvons pas tout faire, et il convient donc de mieux cibler notre action. Ainsi, en Nouvelle-Calédonie, il existe une problématique liée à la production locale de stupéfiants, qui constitue une vraie priorité à nos yeux.

Le troisième axe est le renforcement de la coopération internationale de proximité. Par exemple, à Saint-Martin, on est dans une interdépendance avec la partie néerlandaise. En Guyane, environ 8 000 garimpeiros venant du Brésil et disposant de mercure en provenance du Suriname, font passer l'or par le Suriname, avant de l'envoyer sur le marché parallèle de l'or à Dubaï. Ce sont de grands flux ! Nous devons donc nous coordonner avec nos partenaires brésiliens, qui disposent de programmes de traçabilité de l'or et de surveillance satellitaire des sites d'orpaillage illégaux. Pour le moment, nous ne pouvons pas faire de patrouilles armées avec nos camarades brésiliens de part et d'autre de la frontière, l'arrangement intergouvernemental ne le prévoyant pas.

Les outre-mer requièrent de ma part, mais aussi de l'ensemble de mes équipes, une grande attention. Si j'en parle avec passion et un peu longuement, c'est parce que je suis dans le même bateau que vous, pour faire en sorte que les choses se passent mieux pour nos concitoyens d'outre-mer.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Général, nous avons bien ressenti votre passion sur ce sujet, que nous partageons.

En Guyane, j'ai vu à l'oeuvre des gendarmes, notamment à Maripasoula, Saint-Laurent-du-Maroni et Camopi, et j'ai pu observer la particularité des risques auxquels ils sont confrontés et la difficulté de leur tâche.

Concernant la criminalité et la délinquance, vous avez cité des chiffres frappants qui justifient notre application à vous aider.

Face à cet état des lieux, les causes sont endogènes, mais aussi exogènes. Le contexte international, sur lequel vous êtes revenu plusieurs fois, compte pour beaucoup. Les méthodes de travail et les règles de procédure pénale ne sont pas les mêmes partout ! Parfois, les régimes des pays voisins peuvent avoir des liens avec certaines organisations criminelles !

Vous évoquez un décloisonnement du renseignement. Il existe parfois aussi des problèmes de coopération et de coordination avec d'autres armes exerçant un contrôle aux frontières ou surveillant les activités illicites dans la forêt vierge. Existe-t-il des améliorations à apporter en la matière, afin de rendre les poursuites plus efficaces ? Un militaire d'une autre arme que la gendarmerie ne peut pas avoir de mission d'officier de police judiciaire, bien qu'il puisse constater l'existence de délits.

De votre point de vue, conviendrait-il d'adapter le code de procédure pénale, par le biais du législateur, bien sûr, afin de rendre plus efficace votre action outre-mer ?

Mon propos comporte aussi bien des observations que des questions. Telle est l'orientation de notre travail, en accord avec Mme la présidente et mon collègue Victorin Lurel. Nous recherchons les moyens, y compris juridiques et législatifs, de rendre plus efficace l'action de l'État outre-mer, notamment pour ce qui concerne la lutte contre la délinquance et l'immigration illicite.

Général Lionel Lavergne. - En matière de coordination et de pouvoir donné aux armées, la seule zone où nous travaillons de manière totalement interopérable sur le plan opérationnel est la Guyane. Dans tous les autres territoires, nous sommes sur des notions de moyens d'appui ou de soutien logistique.

La notion d'« équipe France », avec le préfet, le procureur, le procureur général, les chefs interservices, les commandants supérieurs des forces armées (Comsup), est essentielle. Je n'ai qu'à me louer de l'appui et du soutien, en particulier sur le plan logistique, des armées.

Je le rappelle, les armées prêtent leur concours, en matière d'appui et de soutien, selon la règle « des 4 i », c'est-à-dire si les moyens sont indisponibles, inadaptés, insuffisants ou inexistants. Cette règle est d'ailleurs particulièrement souple dans les territoires ultramarins.

La partie opérationnelle concerne la Guyane et Mayotte, où la gendarmerie est en opération permanente, ce qui signifie qu'il n'y a pas de temps faible. En Guyane, l'opération interministérielle Harpie vise, depuis 2008, à lutter contre l'orpaillage illégal. Elle se décline en quatre volets : la sécurité, le volet social, le volet diplomatique et le volet économique.

Au moment où je vous parle sont engagés, dans la jungle, 250 militaires des forces armées et 150 gendarmes mobiles. En effet, 21 escadrons sont affectés en outre-mer, dont 6 en Guyane. Deux sont consacrés en permanence à la lutte contre l'orpaillage illégal, ce qui donne un effectif d'environ 150 gendarmes. Ils ont une fonction d'officier de police judiciaire (OPJ) et assurent la déclinaison de l'activité judiciaire au plus profond de la jungle. Et cela fonctionne bien ! Ainsi, à chaque interpellation d'orpailleurs illégaux, une procédure est ouverte, dans le cadre de laquelle on saisit le matériel, notamment les téléphones portables. Ces derniers sont envoyés à Cayenne, où ils sont débloqués et analysés, dans le cadre de bases de données judiciaires sérielles. On obtient ainsi des visages ou des numéros de téléphone, ce qui nous permet de mettre en lumière des relations entre personnes. Certaines de ces données sont également utilisées à des fins opérationnelles. Les armées et la gendarmerie disposent en effet d'une cellule de renseignement conjointe, ce qui est une première. Les notes hebdomadaires sur les ciblages sont de qualité remarquable. Il s'agit d'un cercle vertueux récemment mis en place, dont nous commençons à percevoir les effets.

Je le rappelle, la Guyane possède une superficie équivalente à celle du Portugal.

Quelles adaptations seraient-elles nécessaires ? Le code de procédure pénale ne peut pas s'appliquer de la même manière partout. Dans les prochains mois, la présence d'un avocat au cours des gardes à vue deviendra obligatoire. Selon moi, il est nécessaire d'introduire une exemption pour les territoires isolés. Cela concerne la Guyane, mais aussi d'autres territoires. En effet, si l'avocat ne peut être là, il n'y aura pas de garde à vue, pas de mise en cause ! Le procès pénal ne sera pas efficace. Une véritable réflexion doit être menée sur ce point.

En Guyane, il est possible de reporter de vingt heures le début de la garde à vue, pour ce qui concerne l'orpaillage illégal, eu égard aux dispositions du code minier. Pour les autres infractions, il n'existe pas de report de garde à vue, ce qui est un vrai sujet. Car il faut sortir les gens de la jungle ! Je pense notamment au traitement des étrangers en situation irrégulière en forêt. Le contrôle de nos frontières présente donc des vulnérabilités ; pour le dire de façon plus positive, il convient d'introduire des aménagements en la matière.

De la même manière, la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie possèdent leur propre code de la route. Or l'insécurité routière constitue un mal endémique dans ces territoires.

La Polynésie évoque un beau territoire, accueillant comme le sont tous les outre-mer. Mais, en matière de sécurité, on pense aux violences intrafamiliales, à l'insécurité routière et au trafic de stupéfiants.

Mme Lana Tetuanui. - Je suis d'accord. C'est une réalité !

Général Lionel Lavergne. - La question de la sécurité routière est fondamentale, alors même que le réseau routier n'est pas dense. À Tahiti, où se déroulera l'épreuve de surf des jeux Olympiques au mois d'août prochain, il n'y a que la route du littoral !

La Nouvelle-Calédonie est confrontée, elle aussi, aux mêmes problèmes.

L'adaptation doit également être territoriale. Lors de mon intervention dans un séminaire réunissant les procureurs généraux des territoires ultramarins, j'ai mis en avant l'importance de synchroniser l'intervention de l'État avec celle de la justice.

À Saint-Barthélemy et Saint-Martin, une préfecture et un commandement de gendarmerie de plein exercice vont être créés. Mais il n'y a que deux vice-procureurs, et ils dépendent de Basse-Terre : nous ne disposons ni de tribunal judiciaire ni de maison d'arrêt. Au bout de la chaîne pénale, qui va de l'interpellation à la mesure privative de liberté, se pose la problématique de la surpopulation carcérale.

Il est essentiel de prévoir des adaptations en matière de garde à vue. Si l'on interpelle une personne dans la jungle, il n'est pas possible d'assurer la présence d'un avocat immédiatement. Le report de la garde à vue est nécessaire, le temps d'extraire la personne et de la conduire dans des bureaux.

Mme Annick Petrus. - Le 13 janvier dernier a été créé le commandement autonome de la gendarmerie de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Juste avant, nous avions été informés qu'une brigade mobile de proximité allait être installée dans un des quartiers de Saint-Martin, à Sandy Ground. Nous avons accueilli ces dotations avec une grande satisfaction, car elles répondent à deux besoins : d'une part, la sécurisation du territoire et la nécessité de faire baisser les chiffres de la délinquance et, d'autre part, le besoin d'autonomie lié à notre statut de collectivité à part entière, qui nous conduit à prendre nos responsabilités dans ce domaine.

Cependant, nous ne pouvons ignorer nos voisins, et la collectivité de Saint-Martin est particulièrement concernée puisque nous partageons un même territoire avec Sint Maarten. Un début de collaboration avec le côté hollandais de l'île commence à porter ses fruits. Une accentuation de la coopération régionale est-elle prévue pour lutter contre la délinquance sur l'île ?

Général Lionel Lavergne. -En matière de renseignement, la section de recherches de Saint-Martin fait partie d'un cercle de services étrangers partenaires - incluant jusqu'au Federal Bureau of Investigation (FBI) américain - , au sein duquel les échanges sont très bons.

Nous avons évoqué avec le préfet l'idée de créer un centre de coopération policière et douanière avec Sint Maarten. Les policiers de la partie hollandaise de l'île ont une approche très particulière des choses, alors même qu'ils sont encadrés par la maréchaussée royale néerlandaise. Les relations avec eux sont bonnes, mais nous allons chercher à renforcer la coopération.

M. Georges Naturel. - Merci pour cette présentation complète de l'organisation de la gendarmerie outre-mer. Nos territoires du Pacifique ont une particularité : leurs compétences ne sont pas les mêmes que celles des départements.

Vous évoquiez la sécurité routière. Le partenariat entre la gendarmerie et les autres collectivités, et les communes en particulier, est essentiel pour lutter contre la délinquance. Je ne m'étendrai pas sur les moyens en personnel ou en équipement - nous voulons toujours les augmenter, et un de mes collègues sera satisfait puisqu'une gendarmerie devrait ouvrir à Moindou, comme l'a annoncé le Président de la République.

La rénovation des casernes est également un sujet important. Il a fallu presque une dizaine d'années pour construire une caserne dans laquelle la partie logement, gérée par un opérateur social, a été séparée de la partie « technique », financée en partenariat avec l'État et la commune. Ce modèle devrait servir pour d'autres gendarmeries.

Nous ne pouvons que nous satisfaire du partenariat avec la gendarmerie en Nouvelle-Calédonie, puisque la police nationale n'est présente qu'à Nouméa.

Ma question, qui traduit une inquiétude, porte sur les importants effectifs de sécurité nécessaires pour les jeux Olympiques. Des moyens actuellement déployés dans les outre-mer devront être rapatriés, notamment à Paris. L'année 2024 est particulière pour la Nouvelle-Calédonie, avec les questions sur son avenir institutionnel et les crises dans la filière du nickel. Des événements climatiques, comme à La Réunion, qui nécessitent la présence de la gendarmerie peuvent aussi survenir. Comment équilibrer les équipes, entre les effectifs rapatriés à Paris et ceux qui doivent pouvoir être projetés dans nos territoires d'outre-mer ?

M. Saïd Omar Oili. - En tant que sénateur de Mayotte, je veux d'abord saluer le travail formidable réalisé par la gendarmerie dans un environnement difficile et un contexte sécuritaire très dégradé. Vos rapports avec la population et les élus sont bons. Vous avez évoqué la capacité d'adaptation de la gendarmerie : il faudrait que l'ensemble des services de l'État fassent de même !

Dans la mesure où 50 % de la population de Mayotte est étrangère, comment parvenez-vous à mener à bien votre tâche ?

Les mineurs que vous interpellez, parce que ce sont eux qui sèment souvent la terreur, n'ont ni référent, ni parents, ni adresse. La prison de Majicavo, qui compte 278 places, accueille aujourd'hui 650 détenus ? Je l'ai visitée récemment ; il y a quatre détenus dans chaque petite cellule. Par ailleurs, pour rendre la justice à Mayotte, il faut un traducteur diplômé ; en leur absence, il arrive parfois que des procès n'aient pas lieu. Autre particularité : le manque d'avocats. La gendarmerie fait son travail et interpelle les délinquants, mais le lendemain ils sont tous dehors... Les gens se demandent s'il ne serait pas préférable de se faire justice soi-même. Comment faites-vous pour ne pas renoncer ?

Enfin, quels enseignements tirez-vous de l'opération Wuambushu - vous n'avez pas voulu citer son nom ! - en matière de maintien de l'ordre pour le volet judiciaire ?

Général Lionel Lavergne. - Madame la sénatrice Petrus, à la faveur de la création du nouveau commandement de gendarmerie de Saint-Barthélemy et Saint-Martin, nous avons obtenu, en plus de la brigade à Sandy Ground, cinq postes : un officier adjoint de police judiciaire et de renseignement et quatre militaires. Ces effectifs ne feront que de l'appui judiciaire et du renseignement, des compétences qui n'existaient pas jusqu'à présent dans ces territoires. L'officier adjoint sera chargé, dans le cadre du Comgend, de la coopération internationale de proximité : il aura des moyens dédiés en matière de police judiciaire et de renseignement et sera le référent de nos homologues néerlandais. Cela permettra de doper la coopération.

La brigade mobile de Sandy Ground - un quartier sensible de Saint-Martin - s'insère dans un ensemble d'actions menées également par l'État et la collectivité : il s'agit de permettre aux concitoyens et aux concitoyennes de ce quartier de vivre normalement. Je pense par exemple aux actions menées pour améliorer l'éclairage public, refaire les trottoirs ou ouvrir une Maison des jeunes et de la culture (MJC). La gendarmerie, l'État et les collectivités organisent, en quelque sorte, une planification de leurs actions. C'est vraiment l'équipe France en coconstruction ! La brigade de gendarmerie partagera avec la police territoriale un poste dans lequel travailleront 10 policiers territoriaux et 6 gendarmes. Nous avons une approche mixte et conjointe de la problématique de sécurité de ce quartier. Il s'agit d'un dispositif innovant d'appropriation territoriale par l'État, et par la gendarmerie en particulier.

J'en viens à la question relative aux jeux Olympiques. Oui, Paris captera beaucoup de capacités. Actuellement, 21 escadrons de gendarmerie sont déployés outre-mer : il y en aura moins cet été puisque des ponctions d'effectifs seront faites - décidées par le ministre de l'Intérieur, elles seront limitées au strict minimum, et juste le temps nécessaire. Cela représente, par exemple, un escadron en moins en Nouvelle-Calédonie.

Nous compenserons ces ponctions de deux manières.

La première, en diminuant le taux de permissionnaires, comme l'a décidé le ministre de l'Intérieur. L'effort sera collectif : il n'est pas seulement hexagonal, il doit venir de l'ensemble du pays. Au lieu d'avoir 33 % de permissionnaires, le taux sera au maximum de 20 %.

La seconde, en augmentant le nombre de réservistes. Pour les territoires ultramarins, j'ai d'ores et déjà le budget nécessaire pour engager des réservistes pour l'ensemble des territoires, et en particulier pour ceux qui feront l'objet de ponctions de gendarmes mobiles.

Le cumul de ces deux mesures - taux réduit de permissionnaires et apport important de réservistes - nous permet de rester quasiment à l'étale. La capacité ne sera pas la même en termes d'ordre public, mais elle sera équivalente en matière de présence sur le terrain. Par exemple, en Polynésie française, alors qu'une épreuve des jeux Olympiques y est organisée, il n'y aura pas de gendarmes mobiles supplémentaires. Nous avons anticipé cela depuis plus d'un an en doublant notre capacité de réservistes, dont le nombre est passé de 100 à 200. Car c'est non pas d'ordre public dont on a besoin, mais de sécurité du quotidien.

L'approche est la suivante, et je pense qu'elle est la bonne : la sécurité des jeux Olympiques en Polynésie sera assurée surtout par des réservistes polynésiens, ce qui devrait aussi améliorer l'acceptabilité. Des réservistes viendront aussi de Nouvelle-Calédonie - en intra-Pacifique. Je ne suis donc pas très inquiet. Nous évoquons les jeux Olympiques, mais il ne faut pas oublier les jeux Paralympiques, période durant laquelle les menaces et le besoin de sécurité sont tout aussi réels.

Monsieur le sénateur Saïd Omar Oili, Mayotte est un sujet d'importance. Quand j'ai pris mon poste, on m'a donné deux priorités territoriales : Mayotte et la Guyane. Comme je l'explique aux élus et aux gendarmes lors de mes déplacements, cela ne signifie pas que nous délaissons les autres territoires. Je suis responsable des ressources humaines : les mutations des 3 900 officiers et sous-officiers se font à mon niveau. En 2023, tous les postes budgétaires étaient pourvus - il y a 7 postes en moins, mais ce ne sont pas des postes de terrain. Cela montre qu'aucun territoire n'est délaissé.

Vous le savez, je ne peux pas répondre à toutes vos questions. Je peux difficilement me prononcer sur le sujet de la surpopulation carcérale : c'est une réalité, mais la solution n'est pas dans les mains de la gendarmerie.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Notre collègue Saïd Omar Oili l'a aussi dit !

Général Lionel Lavergne. - Le taux d'occupation de la prison de Majicavo est de 240 %. Ne stigmatisons pas Mayotte, car ce n'est pas le seul territoire ultramarin concerné !

M. Philippe Bas, rapporteur. - Nous avons bien perçu l'importance de cette question. Lors de nos déplacements outre-mer, nous nous rendrons dans les prisons pour prendre la mesure exacte du phénomène et des moyens à mobiliser pour y remédier.

Général Lionel Lavergne. - Le sujet est important car, quand on mène des opérations, c'est le résultat que l'on voit ! Des faits graves sont commis, on interpelle, on défère, on condamne, on prive de liberté. Alors quand on fait tout ce travail et que l'on constate que certains ne vont pas en prison...

C'est la raison pour laquelle j'évoquais, lors du séminaire avec les procureurs généraux, l'importance de bien nous synchroniser avec la justice afin d'atteindre l'effet recherché.

Vous connaissez mieux que moi, monsieur le sénateur, la structure de la population : la moyenne d'âge à Mayotte est inférieure à 20 ans. Nous avons évoqué avec le ministère de la justice une piste, celle de prévoir des dispositifs adaptés aux mineurs. Je pense par exemple aux centres éducatifs ou à une présence accrue de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). La justice y a déjà réfléchi, car il est important de s'adapter la typologie de la délinquance. Je ne stigmatise pas non plus tous les mineurs, mais nous savons très bien que les mineurs non accompagnés sont un sujet de préoccupation.

À ce stade, je n'ai pas eu échos des problématiques liées aux traducteurs.

M. Saïd Omar Oili. - J'ai été à Mayotte il y a deux semaines, le procureur m'a dit que l'on ne pouvait parfois pas rendre la justice faute de traducteurs.

Général Lionel Lavergne. - Il s'agit du tribunal. Dans l'exercice de notre mission de police judiciaire, au niveau des gardes à vue, je n'ai pas de problèmes de traducteurs. Nous comptons des Mahorais dans nos rangs, d'où l'intérêt de parvenir à trouver un équilibre entre les originaires et les non-originaires dans nos effectifs sur les différents territoires. L'aspect linguistique, culturel et cultuel n'est pas à négliger. Quoi qu'il en soit, la gendarmerie ne rencontre pas les mêmes difficultés que la justice.

Mme Lana Tetuanui. - Je vous remercie de ce long constat que vous venez de dresser sur nos territoires. Je salue notamment la mise en place d'une nouvelle brigade à Moorea. Le nombre de personnes sur l'île est multiplié par quatre ou cinq, surtout le week-end. C'était donc une nécessité. Je n'ai pas vraiment de réserves sur l'exercice de la fonction au niveau de la gendarmerie sur notre territoire. Ce n'était pas le cas il y a vingt ans, mais aujourd'hui beaucoup de choses ont changé : les gens se parlent à présent et travaillent ensemble. Nous sommes tous sur un même territoire et nous devons rendre service aux mêmes citoyens. Bien évidemment, il y a le problème de la complexité de nos statuts. Vous avez évoqué les routes : c'est une compétence du territoire, mais si l'État pouvait nous donner davantage de moyens pour améliorer l'état de nos routes, chacun s'en porterait mieux. Je suis élue en Polynésie depuis 2001, comment construire de vraies infrastructures routières pour répondre aux besoins de nos populations ? Il est plus simple parfois de prendre l'avion que de se déplacer en voiture !

Au niveau de la justice, le code pénal doit être appliqué de la même manière à Paris, à Fakarava, à Tikehau, à Saint-Denis ou à Mayotte. En revanche, je vous rejoins, mon général, sur les formes d'adaptation. Par exemple, pour un territoire comme le mien, aussi vaste que l'Europe, comment aller chercher un individu à Hereheretue, qui compte moins de 200 âmes et où la seule personne qui porte un uniforme est le policier municipal ?

Il faut donc prendre en compte les contraintes de l'éloignement et le manque de moyens de la gendarmerie. Je salue d'ailleurs les conventions signées entre la gendarmerie et les brigades de police municipale, qui sont davantage des acteurs de terrain.

Ma bataille depuis que je suis au Sénat sont les ressources humaines : je plaiderai jusqu'au bout de mon mandat pour le retour, à compétences égales, de nos enfants dans nos territoires. J'ai déposé une proposition de loi visant à supprimer toutes les indemnités données aux fonctionnaires d'État envoyés dans les outre-mer, excepté dans la gendarmerie militaire. La frustration est de plus en plus grande : c'est la croix et la bannière pour les Polynésiens qui veulent retourner sur leur territoire après quinze ans ou plus de service en métropole. Au-delà de l'uniforme, il y a aussi l'aspect humain. Ce préalable doit être pris en compte si l'on veut réussir sur nos territoires. C'est un cri du coeur que je pousse ce matin, pour ne pas dire un appel de détresse.

M. Robert Wienie Xowie. - Je salue le difficile travail fourni par vos militaires en outre-mer. La France est le pays d'Europe qui a le plus de frontières avec d'autres cultures et d'autres manières de vivre. Le troisième référendum en Nouvelle-Calédonie a été un moment sensible. Grâce au travail commun entre les exécutifs communaux et la gendarmerie, tout s'est bien passé.

J'abonde dans le sens de ma collègue Lana Tetuanui sur les possibilités de retour des Ultramarins. Je salue également la sagesse de la loi de 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique (Erom). Les dispositions qui n'étaient clairement posées dans la loi ont été précisées dans les circulaires. Pour autant, un état des lieux a-t-il été réalisé ? La circulaire prévoyait la possibilité intéressante de prolonger les séjours en raison de compétences techniques et linguistiques rares. Cela répond aux remarques formulées par mon collègue sénateur de Mayotte sur les traducteurs.

Pour autant, aux termes de la circulaire, les militaires doivent néanmoins retourner en métropole au bout de six ou sept ans. Certains se sont engagés financièrement, ils ont construit leur vie, le retour en métropole est souvent accompagné d'une désindexation. Plutôt que de déménager avec toute leur famille, beaucoup d'entre eux préfèrent démissionner. Ne pourrait-on pas procéder autrement et prévoir des possibilités pour que les militaires qui le souhaitent puissent continuer à servir jusqu'à la fin de leur carrière dans nos régions, surtout s'il s'agit de leur territoire d'origine ?

Général Lionel Lavergne. - Je vais continuer à parler vrai : pour la gendarmerie, la question des originaires dans les outre-mer est essentielle à plusieurs titres, aussi bien sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif.

Tous statuts confondus, 26 % des gendarmes sont issus des territoires ultramarins, mais il existe d'importantes diversités. Nous rencontrons notamment une difficulté notable dans les Antilles et à la Guyane. Le taux d'originaires dans le Pacifique est important. Idem dans l'océan Indien, y compris à Mayotte, même si le travail y est difficile en raison des tensions et de l'insécurité.

Il existe par exemple à La Réunion des quartiers historiques mahorais. En 2024, nous allons créer une brigade mobile dans le quartier de Bras-Fusil à Saint-Benoît, mais elle sera composée de Mahorais pour coller aux besoins de la population. En revanche, je peux envoyer des Hexagonaux à Saint-Louis. Il importe donc de prioriser la mise en place des effectifs de gendarmerie en fonction des besoins opérationnels.

Je rencontre une vraie difficulté dans les Antilles, car très peu de Martiniquais et de Guadeloupéens veulent servir sur leur territoire : moins de 10 %, soit deux fois moins qu'ailleurs... En Martinique et en Guadeloupe, il n'y a que 8 % de sous-officiers originaires alors même que je favorise les doubles séjours ! Quant à la Guyane, je n'ai que sept originaires !

Il existe donc de grandes disparités dans les territoires ultramarins. Les Polynésiens gendarmes veulent tous revenir en Polynésie, mais les Guyanais, les Guadeloupéens et les Martiniquais hésitent et préfèrent revenir chez eux plutôt en fin de carrière. Pourquoi ? Parce qu'ils sont soumis à une pression locale qui les empêcherait d'exercer leur métier, c'est du moins ainsi qu'ils le perçoivent.

En tout état de cause, je ferai en sorte de favoriser les originaires via un certain nombre de commissions de type centre des intérêts matériels et moraux (CIMM) - même si je n'ai pas employé cette référence trop interministérielle. Quoi qu'il en soit, nous examinerons bien tous les dossiers et nous ferons un effort de souplesse pour les Martiniquais, les Guadeloupéens et les Guyanais. On peut aussi envisager de favoriser leur intégration en école, mais c'est une mesure qui ne sera efficace qu'à plus long terme.

Il faut aussi mettre l'accent sur l'aspect qualitatif. En tant que CGOM, je souhaite aussi que les originaires prennent des responsabilités. Je suis à la recherche de profils pour commander des unités : cela a valeur d'exemple. Pourquoi les originaires ne seraient-ils que chefs ou adjudants ? Pourquoi ne seraient-ils pas adjudants-chefs majors et ne commanderaient-ils pas des brigades ? Le but est d'infléchir progressivement la courbe pour trouver un bon équilibre. Sur ce point du qualitatif, j'avoue que nous ne sommes pas mauvais du tout en ce qui concerne la Polynésie !

Mme Lana Tetuanui. - Oui, je le reconnais.

Général Lionel Lavergne. - La Polynésie comptera cet été un nouveau commandant de compagnie. L'une des deux compagnies de gendarmerie sera en effet commandée par un Polynésien. Je m'en réjouis, car cet aspect qualitatif est essentiel. De même, en Nouvelle-Calédonie, le commandant de brigade de Boulouparis est un originaire. La cérémonie de sa prise de commandement a été très belle, à la fois républicaine et coutumière -la gendarmerie s'adaptant en effet aux coutumes locales.

En Polynésie, tous statuts confondus - officiers, sous-officiers, gendarmes adjoints -, on recense 52 % d'originaires, le taux devant être compris entre 25 % et 30 % pour les sous-officiers. On peut toujours faire mieux, mais faut-il faire plus ? En Nouvelle-Calédonie, la part d'originaires dans les effectifs est comprise entre 20 % et 25 %. Mais plus ils restent sur le territoire, plus ils veulent aller à Nouméa. Personne ne se bat pour aller dans la brousse ! Le territoire compte 300 000 habitants, dont les deux tiers vivent à Nouméa et dans sa banlieue. La brousse a pourtant son importance, mais les Calédoniens ne veulent pas y travailler.

Mme Lana Tetuanui. - Ce n'est pas le cas en Polynésie.

Général Lionel Lavergne. - Certes, mais les Polynésiens ne veulent pas aller à Bora-Bora, car ils disent qu'ils n'y sont pas bien accueillis s'ils ne sont pas de là-bas !

Nous essayons donc de faire mieux, mais il est impossible de viser un « tout originaires ». Il faut trouver un juste milieu. Les temps de présence varient selon que l'on est originaire ou non. Pour les originaires, le premier temps de présence est de six ans, puis une prolongation de trois ans peut être accordée, suivie d'une prolongation exceptionnelle, jusqu'à onze ans. Pour les non-originaires, le premier temps de présence est de trois ans, puis des prolongations d'un an successives peuvent être accordées, jusqu'à sept ans. Par ailleurs, un originaire qui se trouve à moins de cinq ans de la limite d'âge reste sur le territoire. En calculant bien, un originaire peut donc, s'il revient sur son territoire à moins de quatorze ans de sa limite d'âge, y terminer sa carrière. Les choses étaient cependant claires pour eux dès le départ : le contrat auquel ils se sont engagés n'était pas biaisé.

Mme Lana Tetuanui. - Des événements imprévus peuvent survenir.

Général Lionel Lavergne. - Certes, un père ou une soeur peut avoir un problème de santé. En tant que CGOM, j'essaie d'accorder mon attention à chaque cas, je fais du sur-mesure, mais on ne peut pas donner gain de cause à tout le monde. Un très bon gendarme a été sanctionné en Nouvelle-Calédonie, il ne pouvait pas rester dans son unité. Pour éviter de l'envoyer dans l'Hexagone et de le séparer de sa famille - sa femme est enceinte d'un troisième enfant -, je l'ai muté sur une île en Nouvelle-Calédonie. Sa femme reste certes à Nouméa, mais il peut rentrer régulièrement. Voilà ce que j'appelle le sur-mesure. La question des originaires est donc un vrai sujet, mais surtout pour les Antilles et la Guyane.

M. Saïd Omar Oili. - Comment préparez-vous vos responsables avant la prise de poste dans un territoire d'outre-mer ? Par ailleurs, en matière de coopération internationale, comment travaillez-vous avec les Comores sur l'immigration ?

Général Lionel Lavergne. - Un attaché de sécurité intérieure se trouve aux Comores, avec lequel nous sommes en liaison constante, et qui est lui-même en relation avec l'ensemble des services comoriens, notamment la gendarmerie. Nous échangeons régulièrement avec les gendarmes comoriens. Si nous pouvons toujours gagner en efficacité, il faut distinguer l'action visible, de terrain, de l'échange de renseignements en vue d'investigations judiciaires, qui s'effectue sur le temps long.

Avant une prise de poste dans un territoire d'outre-mer, un appel à volontaires est lancé. Les personnes sélectionnées sont donc volontaires pour servir outre-mer. Elles sont informées, avec leurs familles - ce déplacement étant pour elles une aventure à la fois personnelle, professionnelle et familiale. Des stages préparatoires sont ensuite organisés dans l'Hexagone avant affectation. Les seuls stages qui se font durant affectation sont destinés aux originaires. Une fois arrivés sur le territoire, les nouveaux arrivants reçoivent des clés de compréhension importantes sur le mode de fonctionnement des populations ultramarines.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Les policiers territoriaux de Saint-Barthélemy et Saint-Martin pourraient-ils bénéficier du statut d'officiers de police judiciaire adjoints dont disposent les policiers municipaux polynésiens ? Une collaboration accrue pourrait-elle alors se nouer avec les services de gendarmerie en poste dans ces territoires ?

La gendarmerie pourrait-elle travailler en lien avec le régiment du service militaire adapté (RSMA) pour inciter les jeunes ultramarins à s'engager ?

Général Lionel Lavergne. - Le point statutaire que vous soulevez est à étudier. Un travail est en cours avec les différents régiments du service militaire adapté pour mettre en place des classes dédiées aux métiers de la sécurité, servant d'antichambres, en quelque sorte, au recrutement en gendarmerie.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Je vous remercie de votre investissement dans les territoires. J'ai retenu trois grands axes de votre travail : privilégier le cas par cas pour apporter des réponses adaptées aux territoires ; mettre en oeuvre des projets innovants pour répondre à des problèmes ciblés ; et renforcer la coopération régionale. Or cela rejoint les deux études que la délégation sénatoriale aux outre-mer a décidé de lancer : l'une portant sur l'adaptation des modes d'action de l'État dans les territoires ultramarins, l'autre, triennale, ayant trait à la coopération régionale, par bassins océaniques. Votre intervention souligne l'importance de ces travaux pour nos territoires ultramarins.

Nous restons à votre disposition. Vos contributions écrites seront les bienvenues.

Mercredi 7 février 2024

Audition de Brigitte Girardin, ancienne ministre de l'outre-mer

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, dans le cadre de la préparation de notre rapport sur l'adaptation des modes d'action de l'État dans les outre-mer, nous avons l'honneur et le plaisir de recevoir madame Brigitte Girardin, ancienne ministre de l'outre-mer, et ancienne ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie.

Nous vous remercions, madame la ministre, d'avoir accepté notre invitation et de venir répondre aux questions de nos rapporteurs, Philippe Bas et Victorin Lurel, ainsi qu'à celles de nos collègues de la délégation sénatoriale aux outre-mer.

Votre action au ministère des outre-mer de 2002 à 2005 - une longévité assez rare pour être soulignée - a profondément marqué les ultramarins. Vous aviez notamment déclaré à l'époque : « Aucun gouvernement n'a mené une action aussi forte pour l'outre-mer, avec notamment une loi de programme sur quinze ans » !

Nous n'oublions pas aussi qu'une loi importante porte votre nom. Supposée prendre fin le 31 décembre 2017, la « loi Girardin » a été prorogée jusqu'au 31 décembre 2025 pour les collectivités d'outre-mer, les COM, (Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna) et récemment pour les départements d'outre-mer, les DOM (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte et La Réunion) !

Nous sommes donc très intéressés par votre expérience ministérielle, le regard que vous portez sur l'action publique en outre-mer et naturellement sur les limites et les obstacles que vous avez pu rencontrer.

Il nous a paru opportun de recueillir votre témoignage, sur la méthode et les modalités d'intervention que vous avez souhaité promouvoir, les résultats que vous avez obtenus et les leçons que vous en tirez.

Nous sommes curieux en particulier d'entendre vos observations en particulier sur l'organisation déconcentrée actuelle de l'État, l'adéquation normative aux réalités des territoires, les moyens du ministère des outre-mer ou encore la diffusion d'une véritable culture des outre-mer dans les ministères.

Les sujets ne manquent donc pas et vos réponses viendront nourrir les recommandations de nos rapporteurs.

Sans plus tarder, je vous cède la parole pour votre exposé liminaire qui sera suivi comme à l'accoutumée par les questions de nos rapporteurs puis de nos collègues.

Madame la ministre, vous avez la parole.

Mme Brigitte Girardin, ancienne ministre des outre-mer. - Merci madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord vous remercier de me donner cette occasion de vous faire part de quelques-unes de mes réflexions dans le cadre de l'étude très importante au sein de la délégation que vous menez sur l'adaptation des modes d'action de l'État outre-mer.

Le mot « adaptation » me paraît un peu faible : j'ai la conviction que l'État doit aujourd'hui profondément refonder son action outre-mer après des années de gestion au fil de l'eau, sans véritable vision à long terme. La crise du Covid a été à mes yeux un révélateur du malaise identitaire qui couve outre-mer depuis de longues années et doit nous amener aujourd'hui à nous poser les bonnes questions. Pendant toutes les années de ma vie professionnelle que j'ai consacrées à l'outre-mer, durant une période assez longue, je n'avais jamais entendu, dans un CHU des Antilles ou d'une autre collectivité ultramarine, « la France, dégage ! ». Je partirai du principe selon lequel, comme le disait souvent Jacques Chirac, « l'outre-mer est une part essentielle de la France, car sans ses collectivités d'outre-mer, la France serait un pays étriqué ». Nous ne serions pas en effet la deuxième puissance maritime, du monde. Nous ne serions pas présents sur tous les continents. Mais que fait l'État aujourd'hui pour mettre en valeur et consolider ces atouts ?

Ses modes d'action permettent-ils à l'ensemble de la population française de prendre conscience du fait que nos collectivités d'outre-mer sont une chance et un atout extraordinaire pour notre pays ? Il est permis d'en douter, tant les clichés persistent sur le poids de la charge budgétaire ou la niche fiscale supposée. Vous me demandez quels sont les handicaps de l'action de l'État outre-mer que j'ai pu identifier et dans quels domaines. Je vous répondrai que le plus difficile à faire comprendre est que chacune de ces douze collectivités a des problématiques différentes et qu'il faut sans cesse faire du sur-mesure, dans une approche pleine d'humilité.

À partir du constat sévère que je fais sur l'action de l'État outre-mer depuis une quinzaine d'années, je vous présenterai deux axes sur lesquels cette action devrait être non seulement adaptée mais profondément transformée.

Tout d'abord, il me semble que l'État doit se réorganiser pour se concentrer sur ses missions régaliennes, qu'il doit remplir plus efficacement. « L'outre-mer, c'est compliqué », disait aussi Jacques Chirac. Il faut donc une organisation efficace de l'État, avec des fonctionnaires qui soient des spécialistes de ces collectivités, lesquelles ne peuvent être gérées comme celles de métropole. Je ne vous surprendrai pas en disant qu'un ministère de plein exercice, à Paris, est une nécessité absolue, car l'émiettement des dossiers ultramarins dans les différents ministères ne peut qu'aboutir à la négation des spécificités de l'outre-mer, qu'il faudra toujours prendre en compte. Ces collectivités connaissent en effet des handicaps structurels, liés notamment à l'éloignement de la métropole, à l'insularité, aux aléas climatiques, à l'étroitesse des marchés, à la concurrence de l'environnement régional, pour n'en citer que quelques-uns.

Quand je mentionne un ministère de plein exercice, c'est à la fois un ministre et une administration qui lui est rattachée. Victorin Lurel et moi-même avons à cet égard connu deux situations très différentes. J'ai connu un ministère composé de deux grandes directions, avec des fonctionnaires de grande qualité qui avaient une connaissance très fine des spécificités de l'outre-mer. Victorin Lurel est arrivé après ce qu'il faut bien appeler l'entreprise de démolition du ministère menée en 2007, où subsistait une vague délégation à l'outre-mer qu'il a réussi à transformer en direction générale. Mais il faut bien reconnaître aujourd'hui que ce qu'il reste d'administration spécialisée sur l'outre-mer n'attire plus nos jeunes fonctionnaires et qu'en réalité, rares sont ceux qui connaissent encore ces collectivités.

La principale conséquence, c'est que les spécificités ultramarines ne sont pas réellement prises en compte dans la phase de conception de l'action publique. J'ai même l'impression qu'on fait les choses à l'envers : on écrit un texte de loi puis l'on prend des ordonnances pour le rendre applicable outre-mer.

Il en est de même pour l'organisation déconcentrée de l'État. Par méconnaissance des difficultés du service outre-mer, on affecte ainsi aujourd'hui, dans nos collectivités, des préfets dont c'est le premier poste et qui non seulement n'ont pas l'expérience de la fonction, mais ignorent que servir outre-mer requiert une présence sur tous les fronts et des qualités d'écoute et de dialogue avec la population tout à fait exceptionnelles.

« Entre méconnaissance et désintérêt », soulignait fort justement un article du journal Le Monde la semaine dernière pour qualifier la politique menée outre-mer. Comment, dans ces conditions, retrouver une action de l'État efficace outre-mer, en particulier dans le domaine régalien ?

Je ne suis pas naïve. Lorsqu'une administration est supprimée, il n'est pas possible de la recréer. En revanche, il serait peut-être temps de considérer que l'action de l'État outre-mer, c'est aussi l'action de l'État en mer. Allons-nous continuer de tourner le dos à 97 % de notre zone économique exclusive ? J'ai eu l'occasion, dans le cadre d'un contrôle de la Cour des Comptes, de pointer les carences de l'organisation de l'État en mer dans nos collectivités d'outre-mer. Alors que nous disposons d'une organisation efficace pour les 3 % de notre zone maritime autour de la métropole, avec trois grandes préfectures maritimes à Cherbourg, à Brest et à Toulon, nous n'avons aucun préfet maritime outre-mer et nous avons outre-mer une organisation de l'action de l'État en mer, sur ces 97 % de zone économique exclusive, totalement illisible et inefficace. Ce rapport de la Cour des Comptes de 2019 recommandait de transformer les trois postes de Comsup, à la Martinique, La Réunion et en Polynésie française, en trois postes de préfets maritimes sur ces trois bassins, Atlantique, océan Indien et Pacifique. Lors de la phase contradictoire (qui a lieu dans tout contrôle de la Cour des Comptes), ni le ministère de l'Intérieur ni celui de la Défense n'avaient émis la moindre objection à cette recommandation.

Une telle réforme permettrait non seulement de mieux contrôler notre immense domaine maritime (je pense au trafic de drogue au large des Antilles ou à l'immigration illégale à Mayotte notamment) mais de le mettre en valeur, en développant par exemple des activités de pêche, dans le respect de la biodiversité exceptionnelle de la plupart de ces zones, ou d'autres activités économiques, liées par exemple aux énergies renouvelables.

En poursuivant dans cette logique, on pourrait créer un grand ministère de l'outre-mer et de la mer, qui s'appuierait sur les différentes administrations existantes et aurait sans doute une attractivité nouvelle pour notre fonction publique. Celle-ci pourrait ainsi acquérir une véritable spécialisation. Le coeur des missions de ce ministère concernerait essentiellement les domaines régaliens. Je ne vois bien sûr que des avantages, pour répondre à une proposition qui vous a été faite, à mieux coordonner, sur terre comme sur mer, les actions de notre police, de nos armées, de notre justice mais aussi de nos douanes, dans le cadre d'une concertation permanente entre les préfets et les préfets maritimes, comme cela se fait en métropole.

Faut-il par ailleurs renforcer le nombre d'originaires dans les administrations de l'État outre-mer, en particulier dans les forces de sécurité et la justice ? Je vous avoue que cette question me met un peu mal à l'aise. Nos compatriotes ultramarins fonctionnaires ont vocation, comme tous les fonctionnaires de l'État français, à servir sur l'ensemble du territoire français. Je ne suis pas sûre qu'affecter prioritairement les policiers et magistrats dans leur territoire d'origine (ce qui vise aussi la métropole) soit nécessairement une bonne chose. Il faut en effet éviter de les mettre dans des situations délicates, par exemple de conflit d'intérêts, qui sont très dommageables pour tous. Il faut aussi veiller à ne pas freiner leur promotion, laquelle passe aussi par des affectations en métropole. Celles-ci présentent en outre l'avantage de montrer la diversité culturelle de notre pays. Enfin, compte tenu de l'importance géostratégique de ces collectivités pour notre pays, il serait logique que l'outre-mer relève du domaine réservé du Président de la République. Telle était la conception qu'en avait Jacques Chirac.

Il serait également souhaitable que le ministère des Affaires étrangères s'appuie plus fortement sur ces territoires et leurs représentants pour y développer une vraie politique d'influence et une coopération régionale plus dynamique. Je ne sais pas ce que signifie, pour répondre à l'une de vos questions, une « diplomatie des outre-mer ». À mes yeux, la diplomatie de la France doit utiliser ses collectivités ultramarines comme relais de son action internationale dans les différentes régions du monde. Par ailleurs, il s'agit de favoriser leur intégration dans leur environnement géographique, ce qui n'est guère aisé compte tenu des différences de niveau de développement entre nos collectivités et les pays de la région.

Je voudrais maintenant insister sur un deuxième axe. Je considère que l'État doit doter les collectivités d'outre-mer de moyens et de dispositifs efficaces pour leur assurer un développement économique et social autonome. J'évoquais tout à l'heure le malaise identitaire révélé par la crise Covid. Nous avons déjà connu, dans les années 2000, une profonde crise identitaire lorsque le débat statutaire faisait rage, aux Antilles et en Guyane notamment, ce qui inquiétait souvent les populations. L'État était alors accusé de maintenir ces collectivités dans un assistanat. Nous avions répondu en 2003, par une importante révision du titre XII de notre Constitution, qui permet à chaque collectivité, si sa population l'approuve, et dans le respect des principes de la République, d'avoir un statut différencié. Il s'agissait d'accorder plus de responsabilités locales, plus de respiration démocratique, pour administrer ces collectivités de façon plus adaptée aux particularités locales. Nous avions également fait voter, comme vous l'avez rappelé, la loi de programme de développement économique d'une durée de quinze ans, comportant notamment un nouveau dispositif de défiscalisation et d'exonération de charges sociales.

J'ai la conviction aujourd'hui qu'une nouvelle étape doit être franchie. L'État doit être plus fort et plus présent sur ses missions régaliennes. Il doit en revanche pouvoir largement déléguer aux acteurs locaux ses autres missions en affectant dans chaque collectivité des dotations financières, par exemple en matière de santé et d'éducation, dont la liberté d'utilisation ne serait limitée que par le contrôle de légalité effectué localement par la Cour des Comptes.

L'autonomie n'est pas un gros mot et ne signifie en aucun cas un désengagement financier de l'État ou l'absence de contrôle de l'utilisation des fonds publics. L'exemple polynésien en est l'illustration. Cette collectivité, qui est autonome en matière de santé, a bénéficié de vaccins contre le Covid entièrement financés par l'État. L'État doit accompagner financièrement, répondre aux demandes d'envoi de personnels métropolitains dans les hôpitaux et les écoles mais ne doit plus imposer sa politique dans les matières non régaliennes. C'est, je crois, la condition pour reconstruire une relation de confiance et de respect entre l'État et ses collectivités d'outre-mer. C'est aussi la condition pour offrir à la jeunesse ultramarine la possibilité de participer à la gestion et à la gouvernance de ce territoire. Cette évolution nécessiterait sans doute une fusion des articles 73 et 74 de la Constitution, en préservant bien sûr la consultation de la population préalable à toute évolution vers une autonomie, qui pourrait, là encore, être différenciée selon les collectivités.

Lorsqu'on évoque l'insuffisante adaptation normative aux réalités de chaque territoire, les exemples de normes inadaptées sont nombreux, par exemple dans le domaine de la construction. Il semble évident que les possibilités d'adaptation contenues dans l'article 73 sont non seulement insuffisantes mais difficiles à mettre en oeuvre en raison d'une procédure longue et contraignante. Il est temps de laisser aux acteurs locaux le soin de définir eux-mêmes les réglementations les mieux adaptées à leur territoire.

Pour assurer ce développement économique et social autonome, outre les dotations financières globales par secteur, il me semble que l'État devrait mettre en place un nouveau dispositif de défiscalisation et d'exonération de charges sociales, car on ne peut plus continuer à prolonger chaque année la loi de 2003, qui était prévue pour quinze ans, c'est-à-dire jusque fin 2017. Malgré les sérieux coups de rabot portés à cette loi à partir de 2007, son prolongement est la démonstration que pour compenser les handicaps structurels des économies ultramarines (qui renchérissent le coût du capital et celui du travail), les outils les plus efficaces restent une défiscalisation très contrôlée par l'État, avec une procédure d'agrément dès le premier euro et des exonérations de charges sociales bien ciblées. Mais il faut là aussi innover en faisant du sur-mesure, c'est-à-dire ne plus mettre en place des mesures uniformes de fiscalisation et d'exonération de charges sociales, sans tenir compte des secteurs concernés ni des priorités de développement, lesquelles diffèrent selon les territoires.

Au-delà d'un socle commun à tous les outre-mer, qui concernerait par exemple les projets d'investissement utilisant des énergies renouvelables, qui devraient bénéficier de taux très avantageux de défiscalisation, chaque collectivité devrait pouvoir bénéficier de mesures différenciées selon sa propre stratégie de développement. Le tourisme doit par exemple être plus soutenu dans des collectivités qui n'ont pas d'autre choix d'activité économique, comme les Antilles ou la Polynésie française que dans celles qui disposent de ressources minières, comme la Nouvelle-Calédonie ou la Guyane. Il conviendrait également de rendre éligibles à ces dispositifs certaines activités, comme la rénovation hôtelière, indispensable pour lutter contre la concurrence des États voisins ou certaines opérations de démolition de friches et de reconstruction aux normes antisismiques. En résumé, pour être plus efficace, l'État doit éviter le saupoudrage, cibler les secteurs les plus porteurs et moduler les mesures selon les priorités de développement définies dans chaque collectivité.

Je rappelle que l'objectif est avant tout de faciliter la création d'emplois dans le secteur marchand. Je terminerai en évoquant la nécessité pour l'État de mieux accompagner nos collectivités d'outre-mer dans l'utilisation des fonds européens, qu'il s'agisse des fonds structurels ou du Fonds européen de développement. Compte tenu de la complexité et de la grande technicité que requiert le montage de projets éligibles, il serait souhaitable que dans chaque collectivité, une structure ad hoc soit mise en place auprès du préfet, en partenariat avec les autorités locales, pour faciliter la mise en oeuvre de ces financements, dont le montant n'est pas négligeable mais n'est malheureusement pas toujours utilisé.

Telles sont les premières réflexions que je souhaitais partager avec vous. Étant personnellement toujours très attachée à l'outre-mer, je ne vous cache pas que l'inadaptation actuelle de l'action de l'État dans ces collectivités me paraît très préoccupante.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci madame la ministre. Je donne la parole à notre rapporteur Philippe Bas, puis à Victorin Lurel.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Madame la Présidente, je vous remercie. C'est avec beaucoup de plaisir et d'intérêt que je retrouve ce soir Brigitte Girardin, avec laquelle je suis lié par une histoire commune auprès du Président Jacques Chirac, qui a toujours été, comme elle l'a rappelé, un grand ami de l'outre-mer et de nos compatriotes ultramarins. Ceux-ci étaient toujours très présents dans son coeur.

Nous abordons un travail qui ne repose pas principalement sur l'idée d'une augmentation (même si nous ne l'excluons pas) des pouvoirs conférés aux collectivités et aux élus d'outre-mer : il porte spécifiquement sur la manière dont l'État remplit sa propre fonction. Or cette fonction restera, qu'il s'agisse de sa fonction économique ou de sa fonction régulatrice. Nous n'en sommes qu'au début de notre réflexion mais nous partageons déjà l'idée que vous avez énoncée, selon laquelle il se pose un problème général d'adaptation des lois et décrets aux réalités d'outre-mer. Si ces textes ne sont pas conçus en tenant compte de ces réalités, on ne peut s'étonner qu'il existe ensuite un décalage.

Nous recherchons le moyen, non par des transferts de compétences régulatrices aux élus (même s'ils sont toujours possibles) mais par le transfert de possibilités d'adaptation des normes par l'État lui-même, d'améliorer, dans le domaine de la sécurité, dans le domaine pénal, en matière de répression ou de lutte contre les fraudes, l'efficacité de son action. Ma question, d'ordre très général, est la suivante : avez-vous pu développer une réflexion dans ce domaine, concernant le pouvoir de dérogation des autorités de l'État, les pouvoirs spécifiques des procureurs ou l'évolution du Code de procédure pénale, qui pourrait nous éclairer dans le travail que nous amorçons ?

Mme Brigitte Girardin. - Merci, cher Philippe Bas. Je crois qu'il faut distinguer le rôle de l'État dans les matières régaliennes et dans les autres matières. Dans les matières régaliennes, les difficultés que nous rencontrons depuis quelques années sont liées à la perte, par l'administration, de nombreuses compétences quant aux réalités ultramarines. Si l'on ne s'attaque pas au problème à sa source, en se dotant d'une administration qui soit composée de spécialistes de l'outre-mer, nous n'y arriverons pas.

Comme je l'ai rappelé au début de mon propos, j'ai eu la chance de connaître un ministère de plein exercice, avec deux grandes directions composées de fonctionnaires qui connaissaient l'outre-mer, avaient une expérience en la matière et étaient capables d'alerter les pouvoirs publics si telle ou telle loi n'était pas applicable en l'état en outre-mer. Cela n'existe plus. La question ne vise pas à savoir si l'on nomme un ministre de plein exercice, un ministre délégué ou un secrétaire d'État : un ministre sans administration ne sert à rien. Aujourd'hui, nous n'avons plus d'administration.

Victorin Lurel et moi-même avons connu. Lorsque Victorin Lurel est arrivé à la tête du ministère de l'outre-mer, il avait une vague délégation, qu'il a essayé de transformer en direction générale, ayant pris conscience de la nécessité de pouvoir s'appuyer sur des services compétents. Aujourd'hui, nos fonctionnaires ne sont plus du tout attirés par ces dossiers. Le problème vient de là. On ne peut s'occuper de ces collectivités avec un ministre rattaché à un autre ministère. Nous voyons d'ailleurs l'efficacité du rattachement au ministère de l'Intérieur. Mayotte est bien placée pour le savoir. On aurait pu penser qu'enfin les problèmes de sécurité seraient mieux réglés. Nous voyons bien que ce n'est pas le cas. Il faut une administration solide, avec à sa tête un ministre qui ait du poids. Pour avoir du poids (j'en ai fait l'expérience moi-même), il faut le soutien du président de la République, faute de quoi on ne fait rien. Nous savons ce que sont les arbitrages avec Bercy.

Soit l'on a une vision gaulliste de la grandeur de la France, soit l'on considère, comme le disait Jacques Chirac, que la France, sans ses collectivités, serait un pays étriqué. Dès lors que nous sommes tous d'accord pour considérer que la France a un rôle à jouer dans le monde et que sa voix doit porter sur tous les continents, il faut tenir compte du relais indispensable que nous avons avec nos douze collectivités d'outre-mer.

Si nous voulons que ces collectivités soient gérées correctement et jouent ce rôle d'influence dans le monde au nom de la France, il faut une administration efficace. Cela suppose des fonctionnaires compétents, qui ont envie de s'intéresser à ces sujets. Qui a aujourd'hui le désir de servir la DGOM ? Chaque fonctionnaire veut aussi avoir une carrière et évoluer.

Il faut, dans un premier temps, se concentrer sur le régalien (sécurité, justice, police, douanes), car, avec une zone économique exclusive immense, dont 97 % se trouvent outre-mer, ces missions doivent être renforcées et remplies correctement. Comme je l'ai rappelé, j'ai eu l'occasion de travailler, à la Cour des Comptes, sur l'organisation de l'État en mer. Celle-ci, dans nos collectivités d'outre-mer, est catastrophique. Nous n'avons pas de préfet maritime alors qu'il existe trois préfets maritimes couvrant 3 % de notre zone économique en métropole. Souvenons-nous du cyclone Irma. Lorsque je me suis rendue sur place, dans le cadre du contrôle de la Cour des Comptes, le préfet de Martinique m'a expliqué qu'il était théoriquement chargé de l'organisation de l'État en mer et devait prendre des arrêtés pour interdire la mer territoriale au large de la Guadeloupe, au cours de telle période, afin de permettre l'acheminement des secours à Saint-Martin. Le préfet de la Guadeloupe, lui, n'avait aucune compétence en la matière. Tout cela n'a aucun sens. Les préfets, outre-mer, sont suffisamment occupés avec tous les problèmes à résoudre sur terre pour s'occuper de ce qu'il se passe en mer, où ils n'ont pas de compétence particulière, alors que les préfets maritimes sont des amiraux qui ont la compétence requise.

En outre, cette réforme ne coûte rien. Elle est simple à mettre en oeuvre. Il suffit de transformer les trois Comsup en trois préfets maritimes. Concrètement, cela veut dire remplacer le général Comsup qui se trouve à La Réunion par un amiral. À Papeete et à Fort-de-France, nous avons déjà deux amiraux. Commençons par nous doter d'une administration efficace, avec des fonctionnaires spécialisés. Nous pourrons alors anticiper tous les problèmes d'adaptation. Pour l'heure, nous faisons tout à l'envers : on adopte des lois puis l'on se rend compte qu'elles ne sont pas adaptables à l'outre-mer. On tente alors de rédiger des ordonnances. On fait du bricolage.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Je vous présente à tous mes excuses, en particulier à Brigitte Girardin, que je retrouve avec grand plaisir. Je n'ai pas tout entendu mais je partage entièrement les propos de la ministre Brigitte Girardin. Chacun sait à quel point je me suis opposé à elle en 2003. Néanmoins, c'est grâce à Brigitte Girardin qu'on a pu réformer la Constitution, du moins pour son volet concernant l'outre-mer. Chacun en a vu l'utilité et certains, dont je fais partie, demandent aujourd'hui qu'on aille un peu plus loin.

Notre délégation a délimité le périmètre de notre travail en le centrant sur l'action de l'État et les domaines régaliens. Fort de mon expérience, je partage totalement l'avis de Brigitte Girardin. Je suis arrivé à la conclusion qu'il fallait probablement donner plus de moyens et peut-être davantage de libertés aux élus, avec les contrôles appropriés et les contre-pouvoirs qui s'imposent. Effectivement, lorsque je suis arrivé, après l'application de la RGPP (revue générale des politiques publiques), on a purement et simplement démantelé le ministère : il ne restait que 130 personnes environ, regroupées dans une délégation. J'ai dû ferrailler pour que celle-ci soit transformée en une direction. Nous avons eu du mal à faire venir de grands directeurs et des fonctionnaires détenant une expertise reconnue, car ils n'y voyaient pas de grandes perspectives de carrières. Le ministère était peu attractif et cette situation perdure malheureusement.

En réalité, le ministère de l'Intérieur de l'époque a fait sa RGPP sur le dos du ministère des outre-mer et près d'une centaine de départs n'ont jamais été remplacés. Au-delà de la question posée sur l'action de l'État, faut-il encore un ministère des outre-mer ? J'avoue avoir cédé un moment à la lubie consistant à considérer qu'il fallait, dans un souci d'égalité, supprimer ce ministère. Je l'ai écrit en 2007 avec François Hollande. C'était une bêtise et j'en suis revenu. D'ailleurs, cela n'avait pas fortement ému les états-majors de partis. Brigitte Girardin a raison : il faut, pour ce ministère, des moyens et du personnel extrêmement compétent. J'ai dû plaider pour avoir deux directions et de réels moyens. Cela n'a pas prospéré. Quelques années plus tard, on a fait la bêtise de supprimer le ministère de la Coopération, qui avait de vraies connaissances sur l'Afrique et l'hémisphère sud. J'ai même écrit un livre pour le dénoncer et rencontré des présidents de la République en demandant de ne pas le faire. C'est un savoir qui disparaît ! Ce sont des amitiés, des connivences, des cultures qui disparaissent. L'outre-mer connaît, depuis de longues années, le même sort, avec des fonctionnaires qui font leur travail mais n'y connaissent pas grand-chose et n'y voient pas leur avenir. Il faut donc un ministère de plein exercice. Je partage également l'idée selon laquelle, pour une action efficace de l'État, le ministre doit être un bon politique et doit avoir l'oreille du président de la République. Je rappelle que j'ai dû présenter ma démission à deux reprises lorsque Bercy a voulu m'imposer 180 millions d'euros d'économies et la suppression de deux lycées en Nouvelle-Calédonie. J'avais fait le programme de François Hollande et j'ai dû de nouveau mettre ma démission dans la balance lorsqu'il a refusé de contrôler Total sur ses marges et qui investissait chaque année 32 millions de dollars aux Bahamas et dans les Bermudes. Aujourd'hui, j'entends que l'on va réformer l'application du décret sur les marges et sur la fixation des prix administrés des carburants, en s'appuyant sur trois arrêtés dits de méthode. Peut-être est-ce une bonne chose. À l'époque, il fallait un poids politique. J'avais dit au président de la République que j'acceptais d'être ministre des outre-mer, à condition que ce pluriel soit retenu pour désigner la fonction. J'ai également demandé à pouvoir choisir mon directeur de cabinet, alors qu'on voulait m'imposer quelqu'un.

Je souhaitais enfin disposer de référents dans tous les ministères, ce qui m'a été accordé, même si certains ministres n'étaient pas très contents. Chaque trimestre, je réunissais tous les référents pour savoir ce qu'il se préparait. Un ministère sans moyens et un ministre qui n'a pas l'oreille du Premier ministre ni surtout du président de la République est voué à connaître de grandes difficultés.

J'avoue qu'après avoir fortement critiqué Brigitte Girardin en tant que député, j'ai demandé que soit maintenue la stabilité fiscale qu'elle avait instaurée à travers cette loi de programme d'une durée de quinze ans. Chaque année, lors de l'examen des lois de finances, quelle que soit la couleur du Gouvernement, l'instabilité régnait, de même que l'incompréhension des enjeux des outre-mer par toutes les majorités parlementaires, quelles qu'elles fussent. Force est de constater que nous n'avons jamais pu retrouver cette stabilité.

Cette action pluriannuelle, à travers les lois de programme ou d'orientations, permettait de déployer une vision sur vingt ans (que j'ai reprise dans la loi « égalité réelle »), avec des contrats de convergence sur cinq ans. On appelle maintenant ces dispositifs des contrats de convergence et de transformation (modification introduite par Annick Girardin). Cela n'a pas eu d'effets, car on a refusé d'appliquer les principes qui y figuraient, ce que je regrette. Une vision complète exige de s'inscrire dans le long terme.

J'ai également suivi les conseils de Brigitte Girardin quant à l'action de l'État en mer lorsqu'elle m'assurait qu'il fallait des préfectures maritimes. J'ai repris cette proposition à mon compte. Cela n'a pas fait bouger les ministères ni les gouvernements, alors qu'il s'agissait d'une proposition de bon sens. En outre, Brigitte Girardin vient de souligner à juste titre que cela ne coûterait pas plus cher. Il est vrai que compte tenu de l'immensité des océans, il faut se battre dans la loi de programmation militaire. On m'avait objecté, à l'époque, que nous n'avons pas assez de bâtiments pour couvrir de telles étendues et que nous assurerions cette couverture au moyen de satellites. Je ne sais pas en quoi les satellites interviennent pour lutter contre tous les pillages auxquels se livrent d'autres puissances, s'agissant des ressources ichtyologiques, maritimes et de toute autre nature. L'État est défaillant. C'est une évidence. Peut-être l'étendue des zones à couvrir est-elle tout simplement trop grande. Peut-être n'a-t-on pas encore pris conscience des changements géopolitiques. Après ce qu'il s'est passé en Australie avec les sous-marins, ce qui se trame aujourd'hui entre la Chine et les États-Unis ou encore ce qui se joue du point de vue des intérêts que pourraient susciter certains territoires tels que la Nouvelle-Calédonie, sans doute une réorientation de l'action de l'État outre-mer est-elle à opérer.

Je suis convaincu qu'il ne faut pas que nous nous enfermions totalement dans l'existant et dans le périmètre que nous connaissons aujourd'hui. À dimension, organisation et Constitution constantes, les choses ne bougent pas. Les élus locaux seraient-ils des incapables ? Manquent-ils de moyens ? Je ne le crois pas. Peut-être n'ont-ils pas utilisé la totalité des moyens qui leur sont délégués. Peut-être devrons-nous approfondir, au sein de la délégation, cette question. Je suis en tout cas convaincu qu'une petite dose de libertés supplémentaires, en subsidiarité (c'est-à-dire en laissant agir celui qui est le mieux placé pour le faire), serait de nature à améliorer l'action de l'État et des collectivités.

Les pouvoirs des préfets ont été accrus en matière d'immigration, et sont aujourd'hui bien plus importants que ceux d'un préfet de l'Hexagone. Un préfet peut faire exécuter une obligation de quitter le territoire français (OQTF) en outre-mer, avant même la saisie du tribunal administratif. Il est vrai que des drames se sont produits chez moi en Guadeloupe. On a expulsé une vingtaine d'Haïtiens et l'avion s'est abîmé en mer. Les avocats et tous ceux qui s'occupent de la défense des droits de l'homme critiquent cette affaire. Admettons que nous sommes tous assez discrets, en outre-mer, lorsqu'il est question d'immigration. Lorsque l'État traite de ces domaines, les élus ne sont pas là. Il en est de même en matière de justice. Lorsqu'il est question de matières régaliennes, les élus ne sont pas informés, si ce n'est de manière fort subsidiaire. L'État reste dans un huis clos, dans un entre-soi étatique. Il faut déployer de grands efforts pour savoir ce qu'il se passe concernant ces affaires. Prenons l'exemple des conventions de réadmission. Lorsque Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, était candidat à l'élection présidentielle, est venu dans tous les outre-mer. Je l'avais reçu en Guadeloupe en lui disant « vous êtes en République et libre de venir ici, au-delà de vos prises de position quant aux bienfaits de la colonisation ». Il discutait avec le Premier ministre de la Dominique anglophone, monsieur Roosevelt Skerrit. Nous n'en savions rien, alors que nous parlions de réadmissions : il était question que chaque Haïtien ou chaque étranger en situation irrégulière arrêté sur le sol de la Martinique, de la Guadeloupe, peut-être de Saint-Barthélemy ou Saint-Martin, puisse être renvoyé à la Dominique ou à Sainte-Lucie, auquel cas l'État devait payer ces réadmissions. Je crois qu'il en est de même à Mayotte. J'ai dû attendre deux ans pour qu'on accepte de me communiquer le contenu de la convention de réadmission et, depuis lors, personne n'a fait le bilan de tout ceci. Une réévaluation de l'action de l'État, dans son périmètre actuel et peut-être dans un éventuel élargissement, est indispensable, en instaurant davantage de contre-pouvoirs. J'ai voté contre le principe d'une collectivité unique, car il n'y avait pas de contre-pouvoirs. Je vois ce qui se pratique en Martinique et en Guyane, ce qui n'est en rien une critique des élus qui ont accepté ce principe. Je n'en veux pas en Guadeloupe, car je souhaite qu'il existe des contre-pouvoirs, et par exemple un statut de l'opposition, un temps programmé ou encore la reconnaissance des groupes d'opposition. Cela reste une faculté aujourd'hui. C'est la démocratie elle-même qui est mal représentée et insuffisamment efficace.

Bref, il y a beaucoup à dire et je partage totalement les propos de Brigitte Girardin, sous réserve de vérification, au cours de nos travaux, de la manière dont nous pourrons intégrer ces propositions et peut-être demander, avec prudence, l'élargissement. J'ai fait des propositions en ce sens à notre présidente de délégation, au président Gérard Larcher et à François-Noël Buffet afin que le travail de révision et de différenciation comporte un volet outre-mer.

Mme Micheline Jacques, président. - Je laisse la parole sans plus tarder à Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Merci madame la présidente, et merci, madame la ministre, pour vos propositions très claires et très précises, auxquelles j'adhère à 100 %. J'ai hâte de les voir inscrites dans notre rapport et de déterminer dans quelle mesure nous pourrions les faire avancer afin qu'elles soient, in fine, adoptées.

Que pensez-vous de la situation actuelle, dans laquelle le ministère, quelle que soit son statut (ministère de plein exercice, secrétariat d'État, ministère délégué) ne gère que 10 % des crédits outre-mer, les 90 % restants étant régis par les autres ministères régaliens ? Y a-t-il une pertinence à ce que cette situation perdure ? Le problème ne réside-t-il pas également dans cette répartition ? Je m'interroge, dans le prolongement de cette question, quant à l'utilité de la persistance d'un ministère des outre-mer. Je crois comme vous qu'il faudrait des spécialistes de ces sujets, s'agissant des préfets mais aussi s'agissant des administrations. Ne serait-il pas plus pertinent d'affirmer que, dans notre République, tous les types de territoires sont égaux, quelles que soient leurs spécificités ? En matière de spécificités, nous pourrions reparler de la Corse ou de l'Alsace-Moselle. On ne réserve pas un ministère à des territoires au motif qu'ils sont éloignés et présentent des spécificités. La reconnaissance de celles-ci pourrait passer par l'affectation de personnes spécialisées au sein des administrations centrales des ministères, en nommant parallèlement des préfets qui connaissent bien les particularités des outre-mer.

J'entends vos réserves, sur la question des originaires, en vertu du principe d'égalité de traitement de tous les Français. Force est néanmoins de constater que les ultramarins, après avoir passé des examens et concours, sont immobilisés pour une longue période dans l'Hexagone, sans avoir la possibilité de retourner dans leurs territoires, alors même que ceux-ci peuvent manquer de candidats, pour des raisons d'attractivité, notamment au sein des forces de l'ordre et des forces de sécurité. C'est une difficulté en termes de fluidité et de mobilité des fonctionnaires. Je suis d'accord avec vous pour considérer que les fonctionnaires de l'Hexagone doivent être mobiles partout, qu'il s'agisse de la métropole ou des outre-mer mais, pour l'heure, une forme d'injustice est ressentie. C'est la raison pour laquelle ces revendications, pour que les mutations des originaires soient facilitées, se font jour. Je pense qu'une solution médiane doit pouvoir être trouvée, tenant compte du principe d'égalité de traitement de tous les fonctionnaires et de ce besoin de mobilité afin de permettre à ces fonctionnaires de retourner dans leur territoire d'origine. Dans l'Hexagone, la mobilité d'une région à une autre peut avoir lieu d'un instant à l'autre. Se rendre en outre-mer n'est pas aussi aisé.

Je voudrais également évoquer l'utilisation des fonds européens, sujet extrêmement sensible. La solution que vous préconisez est celle qui est aujourd'hui en vigueur à Mayotte : confier à une structure ad hoc (un GIP) la gestion des fonds européens. À Mayotte, cela ne va pas mieux. Comment faire pour améliorer l'ingénierie ? Le mot fâche, dans certains territoires. Il existe pourtant bel et bien une insuffisance d'ingénierie ou du moins une inégale répartition des ingénieries entre les territoires ou au sein d'un même territoire. Tout en adhérant à la préconisation de mise en place d'une structure ad hoc pour la gestion des fonds européens, comment faire pour qu'au sein de cette structure, nous ayons les meilleurs ? Nous avons besoin, en outre-mer, des meilleurs, car la situation est plus compliquée qu'ailleurs. Souvent, la situation est inverse parce que ces territoires ne sont pas attractifs. Comment sortir de ce cercle vicieux tout en allant dans le sens de vos propositions, madame la ministre ?

M. Georges Naturel. - Comme mes collègues, madame la ministre, j'adhère totalement à votre vision, consolidée par votre expérience en outre-mer. Que veut la France pour ses outre-mer ? Dès l'instant où l'on a une vision politique et où l'on est convaincu de l'intérêt de nos outre-mer pour la France, on peut décliner une politique et une organisation administrative, telles que vous les avez décrites.

Comme vous l'avez souligné à propos des préfets maritimes, il y a trois bassins distincts et sans doute faudra-t-il prévoir un traitement particulier pour chacun d'eux. Le bassin Pacifique présente par exemple des spécificités et certains de ses territoires (la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française) jouissent déjà d'une certaine autonomie. L'État y a conservé des compétences régaliennes et mobilise des moyens pour celles-ci, tout en reconnaissant une autonomie de décision aux élus locaux. J'attendrai avec grand intérêt le rapport qui servira de base à la suite de nos travaux.

M. Saïd Omar Oili. - Nous avons eu l'occasion, madame la ministre, de travailler ensemble, ce que j'ai grandement apprécié, lorsque j'étais à la tête du département. Je voudrais vous remercier pour ce que vous avez fait pour Mayotte, en particulier à travers le contrat de plan État-Mayotte 2000-2006, que vous avez mis en place. Depuis lors, rien n'a été fait. Le chemin était pourtant bien balisé. Nous avons l'impression, depuis lors, de régresser.

Aujourd'hui, 60 % de la population de Mayotte a moins de vingt ans. On a construit beaucoup de collèges et de lycées mais aujourd'hui, des audiences ne peuvent se tenir au tribunal, à Mayotte, faute d'interprètes. Est-ce l'éducation qui a failli ?

Après vingt-deux ans de mandat local, j'ai vu les choses évoluer. Nous n'avons jamais connu le niveau de violence qui existe actuellement. Malgré l'augmentation significative des effectifs de police et de gendarmerie, l'impression demeure que plus on augmente ces effectifs, plus la violence augmente. Je souscris, madame, à l'ensemble de vos propos. Quel regard portez-vous sur ce qu'il se passe à Mayotte aujourd'hui ? Pour la première fois de l'histoire de ce territoire, le départ du représentant de l'État sur place a été demandé publiquement, notamment par une parlementaire. Comme vous le savez, Mayotte est fortement attachée à la France. Depuis 1841, on a toujours demandé plus d'État et plus de France. Aujourd'hui, une parlementaire demande le départ du préfet, ce qui crée évidemment un malaise.

Mme Brigitte Girardin. - Merci beaucoup pour vos questions. Je commencerai par répondre à la question que vous posez, monsieur le sénateur, quant à la nécessité de la présence, dans chaque ministère, de spécialistes de l'outre-mer, par comparaison avec un ministère de plein exercice.

J'ai vécu une expérience qui permettait d'être efficace sur tous les sujets. Je vais en donner quelques exemples précis. À l'époque que j'ai connue, tout le budget consacré à l'outre-mer n'était pas contenu dans le budget du ministère de l'outre-mer, même si celui-ci englobait de nombreux aspects, dont le logement et les dépenses sociales. Lorsque le ministère de l'Intérieur de l'époque présentait des lois de sécurité intérieure, les fameuses lois d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Lopsi), un chapitre était toujours consacré, à la fin du texte, à l'outre-mer. Les administrations de mon ministère se concertaient avec celles du ministère de l'Intérieur et rédigeaient un chapitre spécifique sur l'outre-mer, avec des moyens en policiers et en gendarmes. Que se passait-il au Parlement ? Le ministère de l'Intérieur défendait son projet et lorsque le chapitre sur l'outre-mer venait en débat, c'est moi qui défendais cette partie de la loi, à l'Assemblée nationale comme au Sénat.

Lorsqu'on a révisé la Constitution en 2003 et réécrit les articles 73 et 74, le Garde des Sceaux (qui est compétent en matière de révision constitutionnelle) a fait une présentation générale de la révision constitutionnelle. En tant que ministère de l'outre-mer, j'ai défendu cette révision au Parlement sur le titre XII. C'est ainsi que les choses peuvent fonctionner efficacement. Je crois que nous pouvons en faire le bilan aujourd'hui. Des fonctionnaires souhaitent-ils s'occuper de dossiers spécifiques à l'outre-mer dans un ministère qui lui serait dédié ? Quelle attractivité aurait un tel dispositif, s'il n'existe pas une administration suffisamment puissante ? Je ne suis pas naïve : dès lors que ces administrations ont été supprimées, on ne va pas les recréer. Il faut néanmoins déterminer comment regrouper l'outre-mer et la mer. Je rappelle que 97 % de notre domaine maritime se trouvent outre-mer. Il existe de grandes directions (pêches, transports maritimes...). Si l'on reconstitue une entité qui a une cohérence, nous parviendrons, à mon avis, à retrouver des fonctionnaires attirés par ce type de mission. Il sera alors possible d'injecter des chapitres sur l'outre-mer dans les différentes lois susceptibles d'être discutées. Nous ferons alors l'exercice en amont et non en aval : ce n'est pas après l'adoption de la loi qu'il faut constater la possibilité ou non de l'appliquer en outre-mer. Aujourd'hui, on rédige un article pour déterminer dans quelle mesure les dispositions prises s'appliquent à la Polynésie française et aux collectivités relevant de l'article 74. Ce n'est pas ainsi que l'on peut travailler. Nicolas Sarkozy, alors ministère de l'Intérieur, m'a laissée défendre, dans les lois de sécurité intérieure, le chapitre sur l'outre-mer qui avait fait l'objet d'une sorte de co-écriture par les services de l'Intérieur et de l'outre-mer afin d'aboutir à un dispositif adapté à nos collectivités.

La question de l'affectation des originaires dans leur territoire d'origine relève à mon avis d'une gestion intelligente. Il ne sert à rien d'écrire des textes et règlements en la matière. Par principe, tous les fonctionnaires ont vocation à servir partout. Ensuite, il n'est pas interdit d'essayer d'être intelligent en affectant « les bonnes personnes aux bons endroits », tout en gardant à l'esprit la nécessité de veiller aux éventuels conflits d'intérêts et à ne pas faire de la ségrégation. Il suffit d'un « dosage » intelligent pour donner la possibilité de servir, au cours d'une carrière, en outre-mer comme en métropole, sans être cantonné en outre-mer ni sur le territoire métropolitain. Une gestion fluide et raisonnée peut offrir une réponse adéquate en tenant compte de toutes les particularités régionales - ce qui vaut aussi pour la Bretagne et la Corse.

Il existe effectivement trois bassins importants. Je propose (tel était le sens du rapport de la Cour des Comptes) de créer trois préfets maritimes dans ces trois bassins. À Mayotte, si un préfet maritime était chargé de l'océan Indien, il aurait beaucoup de travail et aurait la faculté de contrôler une zone qui ne me paraît pas si immense que cela. Il ne serait pas totalement irréaliste de faire naviguer quelques navires de la Marine nationale entre Anjouan et Mayotte et je pense que cela permettrait de résoudre un grand nombre de problèmes.

J'ai commencé mon intervention en soulignant combien j'étais choquée d'entendre ce que j'ai entendu durant la crise du Covid. J'ai travaillé de longues années en outre-mer et je n'y avais jamais entendu « la France, dégage ! ». Cette adresse révèle la profondeur du malaise. Je trouve cela très grave. Si l'on continue ainsi, je serai très pessimiste pour l'avenir : il n'y aura même pas à attendre que des indépendantistes demandent l'indépendance. Celle-ci arrivera tout naturellement, car plus personne ne défendra l'affectation de crédits à ces collectivités. Tout dépend de la vision politique qu'on en a. Si l'on considère qu'il y va de la dimension internationale de la France, il faut en tirer toutes les conséquences et renforcer tout ce qui relève des missions régaliennes.

Quant aux domaines extérieurs au régalien, ce qui s'est passé sur le Covid me paraît symptomatique. On a voulu imposer, en matière de santé et de vaccination, des dispositions à des populations qui n'étaient pas prêtes à entendre ce discours. Donnons les moyens financiers pour gérer une politique de santé localement. L'autonomie n'a rien d'extraordinaire : c'est la prise en compte de particularités locales. Laissons ceux qui connaissent le mieux le terrain définir eux-mêmes la politique à mettre en place. Cela ne veut pas dire que l'on s'en désintéresse. Il faut accompagner les collectivités financièrement. En Polynésie française, qui est autonome en matière de santé, l'État a pris les vaccins à sa charge et vous n'avez pas entendu, en Polynésie française, de problèmes lors de la crise du Covid. Ce que vous me dites à propos de Mayotte est effectivement très préoccupant et un sursaut est urgent. Si nous allons jusqu'à fermer une préfecture, c'est grave.

Mme Micheline Jacques, président. - Je voudrais revenir sur la question des compétences des fonctionnaires au sein des ministères. Je me suis rendue à Strasbourg, à l'Institut national des Études territoriales (INET), et j'ai été frappée de voir que seuls cinq ultramarins faisaient partie de la promotion en cours, dont quatre ingénieurs. Peut-être que les ingénieurs ultramarins intégrés dans les administrations ne sont pas suffisamment nombreux.

Ma collaboratrice Murielle Jalton avait relevé, lors de son parcours à Sciences Po, que le cursus dédié à l'outre-mer était considérablement limité. Elle a travaillé à un projet de chaire outre-mer qui a été portée par Michel Magras dans la loi de 2017. Cette chaire a été inaugurée le 8 juillet 2021. Le but de cette chaire était notamment de permettre aux fonctionnaires des différents ministères de suivre une formation approfondie afin de mieux appréhender les réalités et spécificités des territoires d'outre-mer. Malheureusement, cette chaire n'a pas évolué comme prévu et a été un peu dévoyée. Considérez-vous qu'il faille rendre obligatoire une telle formation afin que tous les étudiants puissent suivre un cursus comportant une partie obligatoire sur l'outre-mer, avec peut-être un stage à effectuer dans ces territoires, afin de mieux appréhender leurs réalités et leurs spécificités ?

Mme Brigitte Girardin. - Je ne peux être que favorable à ce type d'initiative, pourvu qu'il existe des débouchés. Il faut que cela conduise à des fonctions valorisantes. Tel est bien le problème. Je suis tout à fait favorable à ce que l'on instaure ce type de cursus obligatoire. Lorsque mes enfants étaient à l'école primaire et qu'un cours de géographie portait sur la France ultramarine, j'étais effondrée en constatant que la moitié des collectivités était passée sous silence. Il y a aussi cet effort à produire, en métropole, pour faire connaître ces territoires. Ceux-ci sont, dans une large mesure, passés sous silence dans notre enseignement. C'est une politique globale à conduire. Si l'on veut que ces collectivités soient bien traitées, on doit avoir la conviction qu'elles sont utiles à la France et que, sans elles, la France ne serait pas la France.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Ce dernier point me paraît important. Combien de fois, sur les réseaux sociaux, lorsque des crises surviennent, n'entend-on pas des propos selon lesquels ces territoires n'ont qu'à prendre leur indépendance et leurs habitants ne sont pas des Français ? Cela fait mal, lorsque l'on sait avec quel acharnement les Mahorais, avant Nice et la Savoie, se sont, pour des raisons de liberté, attachés à la France. Ce type de réflexion témoigne aussi d'une grande méconnaissance de ce que sont les outre-mer. Comment défendre ces outre-mer si on ne les fait pas mieux connaître ? Je vais donc pleinement dans votre sens.

Mme Brigitte Girardin. - Tout le monde doit faire des efforts, y compris les médias. Lors du récent cyclone à La Réunion, j'ai entendu des commentaires considérant que tout cela résultait du réchauffement climatique, comme les inondations dans le Pas-de-Calais. Cela traduit la méconnaissance totale du fait que des cyclones ont toujours frappé l'outre-mer. Cela fait partie des handicaps structurels de ces collectivités, avec ou sans réchauffement climatique. J'ai aussi entendu ce type de rapprochement lors de conférences de presse.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Je crois qu'il est très important que nos compatriotes d'outre-mer, qui ne sont ni plus ni moins Français que ceux de l'Hexagone, entendent que l'attachement de la France aux outre-mer n'est pas principalement dicté par des considérations stratégiques mais par le fait irréfutable que nous sommes tous Français. Cela me paraît essentiel. Si l'outre-mer français repose sur un intérêt stratégique de la métropole, cela veut dire que, si cet intérêt n'existait plus, nous n'aurions aucun mal à répondre à ces slogans en considérant que le jour serait peut-être venu de nous en séparer. Le meilleur moyen d'écarter radicalement cette perspective est de rappeler que nous sommes tous Français.

Mme Micheline Jacques, président. - Madame la ministre, je conclurai cette audition en soulignant que vous avez mis notamment en exergue deux axes que vous jugez importants pour mieux appréhender les problématiques de l'outre-mer. Le premier passe par l'existence d'un ministère de plein exercice doté de deux grandes directions. Ce ministère serait une administration solide, dotée de fonctionnaires compétents, directement rattachée au président de la République.

Le deuxième axe, plus institutionnel, vise à donner davantage de souplesse aux collectivités pour favoriser leur développement en tenant compte des caractéristiques et contraintes de leur propre territoire. J'adhère pleinement à cette proposition. C'était aussi le cheval de bataille de mon prédécesseur Michel Magras. Je vous remercie vivement pour les éclairages que vous nous avez apportés à la lueur de votre expérience, en vous appuyant sur des exemples concrets. Il entre aussi dans le rôle de la délégation de mieux faire connaître, à travers ses travaux, les réalités des territoires ultramarins. Je signale que tous nos collègues ultramarins seront invités prochainement à présenter leur territoire à tous les sénateurs, dans le cadre d'une réunion d'information que la délégation organisera prochainement.

Jeudi 8 février 2024

Audition de Maître Patrick Lingibé, membre du Conseil national des barreaux, ancien vice-président et président de la délégation outre-mer de

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, dans le cadre de la préparation de notre rapport sur l'adaptation des modes d'action de l'État dans les outre-mer, nous allons nous pencher ce matin sur le volet justice dans les outre-mer en auditionnant Maître Patrick Lingibé, membre du Conseil national des barreaux, ancien vice-président et président de la délégation outre-mer de la Conférence des bâtonniers de France.

Nous vous remercions maître d'avoir accepté de répondre à nos questions en présentiel, à l'occasion de votre passage à Paris.

Nos rapporteurs Philippe Bas et Victorin Lurel ont en effet beaucoup d'interrogations sur le fonctionnement de « l'équipe France » dans nos territoires, pour reprendre une expression du général Lionel Lavergne, commandant de la gendarmerie d'outre-mer que nous avons entendu le 25 janvier dernier. Ce fut de l'avis de tous une audition très riche et qui a amené à creuser davantage ce volet essentiel des fonctions de l'État.

Vous n'avez pas hésité en 2023 à affirmer que si la justice est en grande difficulté dans l'Hexagone, « elle est parfois dans un état de coma avancé outre-mer », en pointant une profonde crise de confiance sociétale envers celle-ci. Selon vous, les services judiciaires sont, en raison de leur mission régalienne, particulièrement exposés aux tensions sociales et à l'insécurité chronique qui traversent certains territoires ultramarins.

Dans une série d'articles que nous avons mis sur Demeter pour les membres de la délégation, vous affirmez aussi que la problématique carcérale ultramarine ne résulte pas tant dans son taux de suroccupation que « dans les conditions de détention qui sont particulièrement indignes et inhumaines ».

Vous y abordez aussi la question de l'attractivité des postes dans certains départements d'outre-mer. Si les avantages financiers octroyés aux magistrats et fonctionnaires peuvent parfois y participer, ils ne sont pas suffisants. Les difficultés de logement notamment rencontrées par les nouveaux arrivants sont identifiées comme un frein aux candidatures.

Par ailleurs, comment fonctionne l'articulation police-justice qui nous paraît essentielle, et surtout comment l'améliorer ?

Voici quelques sujets sur lesquels nous souhaiterions vous entendre.

Après votre exposé liminaire, nos rapporteurs Philippe Bas et Victorin Lurel vous interrogeront sur des aspects plus précis puis nos autres collègues poseront leurs questions à leur tour s'ils le souhaitent.

Vous avez la parole, cher Maître.

M. Patrick Lingibé, membre du Conseil national des barreaux, ancien vice-président et président de la délégation outre-mer de la Conférence des bâtonniers de France. - Merci, Madame la Présidente. Il est vrai que les questions de justice ne me sont pas étrangères. Je pense que l'outre-mer représente un défi pour la République, parce qu'il appelle une réponse plurielle. L'outre-mer est composé de 12 territoires, avec 12 statuts différents, 12 problématiques différentes, qui renvoient à des interrogations et des réponses différentes. Je suis avant tout un pragmatique. Ma boussole reste le bénéficiaire final de toute réflexion et de toute réponse apportée, le citoyen de chacun de ces territoires. Le citoyen ne se préoccupe pas de qui fait quoi, il attend une réponse à sa problématique.

Il ne faut pas faire preuve de langue de bois sur l'outre-mer. Trop souvent, on n'a pas voulu mettre les mots sur les problématiques pour éviter de froisser. L'outre-mer est d'abord caractérisé par une très large pauvreté et ce marqueur joue sur la perception des collectivités territoriales et de l'État pour chaque population ultramarine. Le 26 septembre 2017, une étude menée par la Commission nationale consultative des droits de l'homme évoquait un taux de pauvreté de 13,20 % pour l'Hexagone et de 84,5 % pour Mayotte. Ce n'est qu'en 2020 que l'Insee a établi un taux de pauvreté en référence avec le taux hexagonal.

Auparavant, il était recontextualisé. Ainsi, le taux de pauvreté de Mayotte de 84,5 % était recontextualisé à 32,4 %, celui de Guyane passait de 61,2 % à 30,2 %, celui de La Réunion passait de 51,2 % à 16 %, celui de Guadeloupe passait de 49,1 % à 20,10 % et celui de Martinique, à 48,6 %, était recontextualisé à 20,6 %. Avant 2020, vous aviez un miroir indicatif déformé. Le taux de pauvreté recontextualisé était artificiel. Le taux de 32,4 % ne reflète absolument pas la pauvreté mahoraise.

À cette pauvreté s'ajoute un autre marqueur, le coût de la vie. En outre-mer, on est plus pauvre et la vie est plus chère. La dernière étude de l'Insee fait apparaître, en outre-mer, des atteintes aux droits fondamentaux, notamment les droits primaires : les habitants éprouvent des difficultés pour se nourrir. La préoccupation première des populations concerne leurs besoins primaires : comment peut-on bien vivre alors que la vie est plus chère et que les gens sont plus pauvres ?

Avec cette pauvreté et ce coût de la vie plus cher en arrière-plan, la justice fait face à une défiance. Du 12 au 28 mai 2021, le cabinet Odoxa a été mandaté par le Conseil national des barreaux pour réaliser une évaluation de la conception de la justice par les justiciables. Ce paramètre qui était jusqu'à présent limité à l'Hexagone a été mesuré en outre-mer. Nous disposons ainsi d'une image de la population ultramarine, territoire par territoire, et de sa conception de la justice. Il ressort de cette étude que 70 % des Français ont le sentiment que la liberté et les droits fondamentaux ont tendance à reculer. Ce sentiment est encore plus accentué en outre-mer où il atteint 84 %. Plus d'un Français sur trois affirme que là où il habite il est difficile d'accéder aux tribunaux (35 %), et il est difficile de faire valoir ses droits (37 %). 58 % des ultramarins affirment qu'il est difficile de faire valoir leurs droits.

Devant votre délégation, le 21 novembre 2019, l'ancien Défenseur des droits Jacques Toubon déclarait : « on a le sentiment qu'à beaucoup d'égards les habitants des départements et territoires d'outre-mer n'ont pas le même accès au droit ; ils ont un accès au droit inférieur à celui qui existe en métropole ». Cette constatation a été appuyée par les travaux que j'ai menés, montrant un accès difficile aux droits.

Il existe un Conseil national de l'aide juridique qui conseille le gouvernement sur la politique d'accès au droit. Il est notamment consulté sur les projets de loi et de décret sur l'aide juridictionnelle. Pour la première fois, ce Conseil national a nommé un membre ultramarin en ma personne. Conscient de ces problèmes, j'ai obtenu à l'unanimité la création d'un groupe de l'accès au droit en outre-mer pour régler les problématiques, territoire par territoire, que je préside et qui auditionnera chacun des acteurs.

À l'instar de Mayotte, l'outre-mer connaît des crises sociétales cycliques majeures qui mettent en exergue des défaillances dans l'exercice des compétences régaliennes (immigration, police, justice). L'institution judiciaire est par essence régalienne. Si elle échouait dans les territoires d'outre-mer, je pense que la République tomberait.

Un rapport sur les États généraux de la justice a été établi par un comité présidé par Jean-Marc Sauvé. Sur ses 250 pages, 2 pages et demie sont réservées à l'outre-mer, sans solution. Les diagnostics sont particulièrement inquiétants. Si la justice est mal en point dans l'Hexagone, elle est sous l'eau en outre-mer. J'avais conscience que l'outre-mer ne serait pas traité dans les débats. Lors du lancement des États généraux à Poitiers, je n'ai pas manqué d'interpeller le Président de la République. Il m'a écrit, affirmant qu'il donnerait des instructions au Garde des Sceaux. Cette interpellation n'a pas eu de suite. Le rapport se limite donc aux questionnements alors que l'outre-mer a besoin de signaux importants incarnant la République.

La confiance ne se décrète pas ; elle s'acquiert. Nous voyons très bien que les populations n'ont pas confiance dans la justice, considérant que cette justice est partiale. Selon moi, le droit n'a de pertinence et de performance que s'il répond effectivement aux problématiques sociétales et s'il inspire confiance au corps sociétal. À défaut, la République échoue collectivement. Je suis un partisan farouche de la défense du droit. Le droit est un système ordonné qui doit inspirer confiance. Or il existe aujourd'hui une tension entre un outil juridique et la réponse qu'il amène, qui n'est pas appropriée.

L'illisibilité de l'outre-mer à laquelle nous avons abouti au sein du concert gouvernemental est également inquiétante. Lors de mes déplacements, j'ai l'occasion d'échanger avec de nombreuses personnes. Il existe un ministère des Outre-mer dont l'une des fonctions consiste à coordonner l'action gouvernementale en outre-mer en assurant sa cohérence et sa lisibilité. Or force est de constater que cette lisibilité a disparu. Le ministère des Outre-mer n'est plus un ministère de plein exercice. Il est placé sous la tutelle d'un autre ministère. Surtout, le ministère de l'Intérieur est caractérisé par l'ordre public. Placer l'outre-mer sous le prisme de l'ordre public n'est pas la réponse appropriée. Nous ne pouvons pas limiter l'outre-mer à cet aspect. Ainsi, un mauvais message est tacitement renvoyé aux populations d'outre-mer.

J'ai beaucoup commenté les décisions rendues par les juridictions administratives, en particulier le Conseil d'État, pendant la crise sanitaire. La crise du Covid a généré au sein des populations ultramarines des interrogations sur leur place au sein de la République.

Dans tous les territoires ultramarins, toutes les personnes qui se déplaçaient étaient soumises à des motifs impérieux. Dans le même temps, le Conseil d'État rendait un arrêt en référé suspendant l'obligation pour les Français à l'étranger de démontrer un motif impérieux, au motif qu'un Français ne pouvait se voir imposer un justificatif pour revenir dans son pays. Cette situation a créé une confusion, avec l'idée que les ultramarins n'étaient pas traités de la même façon que les Français de l'Hexagone.

Dans l'article que j'ai publié à la suite du rapport Sauvé, j'avais formulé 18 propositions. L'une d'elles portait sur l'affectation des magistrats et des greffiers. Certains territoires sont plus difficiles que d'autres, en particulier Mayotte et la Guyane. Je pense qu'il existe une problématique de fond. La Chancellerie ne comprend pas de direction de l'outre-mer. L'approche de l'outre-mer devrait se singulariser compte tenu des problématiques auxquelles elle renvoie. Or l'affectation est traitée de la même manière en outre-mer ou dans une province. Un stage de sensibilisation est bien prévu à l'École nationale de la magistrature. Cependant, le magistrat qui arrive en outre-mer est confronté à une culture différente, à des problématiques différentes. Même si l'accompagnement s'est amélioré, aucune réflexion n'est portée sur chaque territoire.

Mayotte a changé de statut. Ce changement s'est accompagné de la suppression des juridictions d'appel. Le justiciable mahorais doit donc se rendre à Saint-Denis-de-La-Réunion pour un contentieux. Nous avons réduit les droits des justiciables mahorais dans une optique de réorganisation administrative. De même, la Guyane est confrontée à un problème de trafic de stupéfiants. Or le traitement des problèmes de stupéfiants est traité à 1 800 kilomètres, en Martinique, où est implantée la juridiction interrégionale spécialisée. Quand vous rencontrez des problèmes amazoniens, sud-américains, vous ne pouvez pas adopter un prisme déconnecté de la réalité. J'avais proposé d'adapter le droit aux réalités.

Il faut s'intéresser au bénéficiaire final, le citoyen. Nous devons apporter des solutions simples à des problèmes quotidiens qui génèrent de la défiance. Je proposais donc de créer des juridictions calibrées. Je pense que sur l'outre-mer, le principe d'égalité est souvent confondu avec le principe d'uniformité. Vous ne pouvez pas appliquer un principe d'égalité sur des territoires qui ne sont pas uniformes. Si vous le faites, vous courez à l'échec. La règle de droit est une réponse au corps sociétal auquel elle s'applique.

J'ai eu l'occasion d'être auditionné à l'Assemblée nationale sur la question statutaire et j'ai écrit sur le sujet. Il existe aujourd'hui une dichotomie du principe d'identité législative et de spécialité législative. Pour moi, cette dichotomie relève plus de l'artifice juridique. Chaque bassin des départements et régions d'outre-mer est radicalement différent de l'Hexagone. Notre norme est sans cesse confrontée à une réalité impulsée par un environnement qui n'a pas les mêmes référents juridiques. Je suis favorable à une fusion des articles 73 et 74 de la Constitution avec la consécration d'un principe de droit différencié et des lois organiques pour chaque territoire.

Je pense en effet qu'il est plus sûr juridiquement de mettre en place des outils dérogatoires en matière régalienne par des lois organiques. Je prends l'exemple de la Guyane. Aujourd'hui, quels sont les instruments qui permettent d'assurer la souveraineté ? En Guyane, les enjeux dépassent ceux d'un département, mettant l'État au défi. Il faut donc des outils pour s'y adapter. Or, dans le droit commun, il est très difficile de faire des dérogations très poussées, que ce soit en matière d'immigration, de nationalité, de trafic de stupéfiants, etc. Il faut sortir des schémas traditionnels pour répondre aux problématiques du justiciable.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci, Maître. Je vais laisser la parole à nos rapporteurs.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Merci de votre exposé. Nous en sommes au début de nos réflexions. Celles-ci s'inscrivent dans une perspective qui est encore un peu intuitive pour l'instant. Il est un fait que nous rencontrons, dans une partie au moins de nos collectivités ultramarines, des problèmes de sécurité pour leurs habitants, qui dépassent en proportion tout ce que nous pouvons connaître dans l'Hexagone. Face à cela, il existe sans doute la tentation de mettre en oeuvre un dispositif répressif que l'avocat que vous êtes ne peut que voir venir avec une part de méfiance.

En ce début de réflexion, nous nous demandons si l'application pure et simple de notre code de procédure pénale en outre-mer, même si vous relevez qu'il existe déjà des adaptations, répond à l'attente des sociétés ultramarines. Vous êtes à Cayenne. Vous connaissez donc particulièrement bien la situation de la Guyane. Il est certain qu'il règne une vive inquiétude parmi les habitants de Guyane sur la dégradation très forte de la situation sécuritaire.

Nous souhaiterions que vous puissiez nous expliquer, à la lumière de votre expérience, en quoi l'application du code de procédure pénale, même avec un certain nombre d'aménagements existants, ne remplit pas le contrat de sécurité que nous voudrions avoir avec nos compatriotes ultramarins. Que faudrait-il faire concrètement pour améliorer la lutte contre l'orpaillage, l'insécurité liée à une immigration venant d'Haïti, du Suriname ou du Brésil et rassurer nos compatriotes ? Je vous interroge sur la Guyane, mais nous savons que vous avez étendu votre champ de réflexion à tout l'outre-mer et nous serions intéressés par votre analyse d'ensemble.

M. Patrick Lingibé. - Votre question renvoie à mon sens à une autre. La Guyane, comme Mayotte, pose un problème de fond qui dépasse le cadre judiciaire. Il s'agit d'un problème de souveraineté. L'orpaillage illégal est souvent le fait d'un groupe d'individus. Judiciairement, nous sommes aujourd'hui incapables d'apporter une réponse. Il faudrait juger des personnes au-delà de nos capacités judiciaires et les mettre en détention dans nos établissements qui n'y suffiraient pas. Nous aurons beau modifier le code de procédure pénale, nous serons toujours limités matériellement. La juridiction ne pourra pas juger autant de personnes et la réponse pénale sera inadaptée, car jamais aucun établissement pénitentiaire ne pourra absorber autant de condamnations.

Selon moi, la réponse ne peut être que de l'ordre de la coopération interrégionale, avec une position française ferme, que ce soit à Mayotte ou dans l'environnement sud-américain. La Guyane est entourée de deux pays, dont l'un est considéré comme un pays narcotrafiquant. Cette problématique géostratégique dépasse la seule réponse judiciaire. Elle exige une réponse politique internationale.

Je pense qu'il faut effectivement adapter le code de procédure pénale pour doter les acteurs de l'État (procureur de la République, préfet) de moyens supplémentaires et d'outils juridiques. Cependant, ces réponses ne seront que marginales. Nous devons traiter le problème à la dimension sud-américaine. Il en est de même à Mayotte. Nous n'avons pas de réponse en droit interne. Nous pouvons durcir le code de procédure pénale, mais il serait faux de penser que cette évolution résoudra tout. Au contraire, nous enverrons un message au citoyen sans lui apporter de réelle réponse.

M. Philippe Bas, rapporteur. - J'apprécie la franchise et le réalisme de votre réponse qui n'est pas totalement fermée sur le sujet des moyens juridiques de la répression ou de l'adaptation de l'appareil carcéral, mais qui souligne à quel point le sujet constitue un sujet de souveraineté. Pourriez-vous traduire ce que signifierait pour vous une action de souveraineté qui permettrait d'agir face à un État narcotrafiquant, dont les moyens d'action sont assez différents des nôtres ? Envisagez-vous une action diplomatique, militaire ? S'agirait-il de rendre étanches les frontières que constituent le Maroni et l'Oyapock ? Est-ce réaliste ? Je suis prêt à entendre qu'il n'est pas réaliste de vouloir apporter une réponse par des moyens juridiques, mais est-il vraiment réaliste d'espérer une réponse de souveraineté ?

M. Patrick Lingibé. - Je parlais de souveraineté, car lorsque votre système juridique est mis en échec, ce qui est clairement le cas aujourd'hui, vous êtes confrontés à un problème de souveraineté. Dans une telle situation, nous pouvons effectivement nous demander si la France est réellement souveraine dans ses territoires. Je considère que la priorité réside dans l'action diplomatique. La souveraineté est une question de rapport d'État à État, y compris sur le plan de la surveillance des frontières. Pour rendre ces frontières étanches, il faudrait sortir du droit ordinaire pour faire appel à des moyens de souveraineté, c'est-à-dire l'armée.

Néanmoins, il faut rester réaliste. Cette solution pourra être valable un temps. Pour autant, vous ne pourrez pas maintenir l'étanchéité des frontières toute l'année. L'environnement applique des normes différentes et poursuit des objectifs différents de la France. Je mise plutôt sur l'action diplomatique. Elle peut s'accompagner de signaux de souveraineté, notamment la présence française aux frontières, mais celle-ci ne peut durer éternellement. Nous vivons dans un monde ouvert. Il faudrait aussi que les pays environnants jouent le jeu. Or, le Suriname soulève quelques problématiques.

Nous avons prouvé que nous pouvions être efficaces avec des réponses diplomatiques, mais encore faut-il en avoir la volonté. Se fonder uniquement sur des réformes juridiques ne suffira pas. Ces réponses auront des répercussions limitées, car nous faisons face à des problématiques qui dépassent celles d'un département, elles affectent un pays, voire un continent. Le Suriname et le Brésil sont des pays de transit. Nous voyons aujourd'hui que le trafic de stupéfiants se déporte vers les Antilles pour atteindre l'Europe. Nous devons traiter cette problématique géopolitique et diplomatique.

M. Philippe Bas, rapporteur. - En somme, lorsque nous sommes plus efficaces en Guyane, nous exposons davantage les Antilles.

M. Patrick Lingibé. - Nous observons effectivement un phénomène de vases communicants. En Guyane, un dispositif de 100 % de contrôles a été mis en place pour lutter contre le trafic de stupéfiants.

À mon sens, nous glissons vers un dispositif juridiquement problématique. Les personnes sont contrôlées à l'aéroport et peuvent se voir refuser l'embarquement. Cette mesure se concrétise par un arrêté qui pose une interdiction pour 5 ou 10 jours. Dans notre droit, il existe un principe de légalité des délits et des peines. En droit pénal, aucune peine ne peut être appliquée si elle n'est pas prévue expressément par la loi. Le Conseil d'État a indiqué que ce principe s'applique aux mesures administratives. Or en Guyane, ce dispositif ne repose sur aucune disposition textuelle. Le législateur n'a jamais prévu des peines de 5 à 10 jours lors de l'embarquement. Aucune autorité administrative, quelle qu'elle soit, ne peut créer des sanctions. J'ai indiqué dans un article qu'il fallait doter le préfet de moyens permettant de lutter efficacement. Il fallait asseoir cette mesure sur des bases juridiques incontestables. Or ce n'est pas le cas aujourd'hui. Je ne suis pas sûr que, si le Conseil d'État avait à se prononcer, il considérerait que nous n'avons pas affaire à des sanctions administratives.

En outre-mer, nous observons en permanence une tension entre la règle de droit et son application sur le terrain. Nous nous rendons compte qu'il faut des réponses et nous passons donc à des systèmes adaptés. En Guyane, nous avons transféré à la police administrative une mission relevant plutôt du judiciaire, car le juge judiciaire n'a pas la capacité. Le procureur de la République actuel avait pris la décision de ne pas poursuivre en deçà de 1,5 kilogramme de drogue. Cette décision a été critiquée. Il s'agissait d'une question de priorité. S'il consacrait tous les moyens à la lutte contre les stupéfiants, il ne pourrait pas traiter tous les autres problèmes. In fine, la police administrative, qui est une police de prévention, quand la police judiciaire vise à sanctionner, s'est vu transférer un problème qui devait relever du juge judiciaire, et ce « système D » est incompréhensible, car il ne repose sur aucune disposition expresse.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Je suis perplexe en vous écoutant. Il n'y a pas grand-chose à espérer de réformes paramétriques. Nous le faisons déjà, parfois un peu à la limite du respect des libertés publiques. Quelques pouvoirs supplémentaires sont donnés au préfet qui, sur la base de l'article 78-1 du code de procédure pénale, peut arrêter et même expulser sans même avoir saisi le tribunal administratif. Nous avons vu des drames en Guadeloupe, avec des crashs d'avion transportant des personnes en situation irrégulière. Le préfet peut placer des personnes en détention, expulser, prononcer des obligations de quitter le territoire français (OQTF) avec plus de facilités. Or vous indiquez que ces pouvoirs ne vont pas régler le problème.

Au Parlement, nous restons assez discrets sur ces pouvoirs exorbitants octroyés aux préfets. Sur le droit du sol, nous avons compris, compte tenu de la pression migratoire. Nous avons donné des pouvoirs supplémentaires de contrôle permanent à la police et la gendarmerie, même si nous les avons limités à quelques routes nationales, du moins en Guadeloupe. Ces pouvoirs sont nécessaires.

Vous avez raison, pour nous adapter, nous avons créé ces exceptions. Vous citez les citoyens défenseurs à Wallis-et-Futuna. En l'absence d'avocat sur place, toute personne agréée peut exercer en tant qu'avocat, même en matière de crime. En Guyane, nous avons également donné des pouvoirs aux agents de police judiciaire pour détruire les instruments saisis sans jugement préalable. Néanmoins, toutes ces mesures restent paramétriques et ne font pas avancer les causes d'une justice plus efficace, dotée de meilleurs moyens.

Vous formulez 18 propositions. Dans l'une d'elles, vous proposez d'intégrer dans la réforme constitutionnelle à venir pour la Nouvelle-Calédonie « la création de dispositifs protégeant l'originalité de chaque territoire et la pluralité identitaire qui en résulte au sein de la République ». Comment voyez-vous cette pluralité identitaire ? Intégrez-vous les langues, la culture ? Vous évoquez également « des mesures juridiques d'adaptation fortes pour répondre aux réalités et problématiques sociétales liées aux bassins de vie ». Que proposeriez-vous concrètement dans ces deux propositions ?

M. Patrick Lingibé. - Ces modifications ne seraient pas portées dans la Constitution, mais dans la loi organique propre à chaque territoire. L'identité d'un territoire vient d'abord de sa culture. L'article 72-3 alinéa 1er de la Constitution indique que « la République reconnaît au sein du peuple français les populations d'outre-mer dans un idéal commun de liberté, égalité et fraternité ». Nous avons bien conscience que les populations d'outre-mer présentent des particularités linguistiques, culturelles.

Il faut quitter le prisme général de l'outre-mer au profit d'un prisme sérié par territoire. Cette démarche constitue un défi avec 12 territoires différents qui possèdent chacun des particularités. Wallis-et-Futuna et la Polynésie française sont radicalement différents. Il faut tenir compte de la perception de chaque population, y compris vis-à-vis du droit. Le droit n'a de résonnance que s'il inspire la confiance. Les réponses juridiques doivent s'adapter aux attentes des citoyens, tout en restant dans nos principes.

J'ai soulevé la problématique des citoyens défenseurs. À Saint-Pierre-et-Miquelon, il existe des agréés. Sur certains territoires de la République, il n'existe pas d'avocat. À Wallis-et-Futuna, la Chancellerie n'a pas prévu une dotation de frais de transport pour les avocats de Nouméa, alors que l'île dépend de la Cour d'appel de Nouméa. Les citoyens défenseurs ne sont pas agréés pour leurs compétences. Ils ne sont pas des juristes. Or ils peuvent être amenés à intervenir dans des affaires correctionnelles lourdes, voire criminelles, avec des conséquences parfois dramatiques. Je m'étais entretenu avec le bâtonnier de Nouméa pour voir dans quelle mesure nous pouvions résoudre ce problème. Le fait que des personnes ne soient pas défendues par des professionnels formés m'interpelle, surtout en matière pénale. La Chancellerie n'avait pas prévu de dispositif d'accompagnement des avocats. Le déplacement restait donc à la charge du barreau. Le seul territoire où les frais sont prévus est la Polynésie française. Aucun autre territoire ne reçoit de dotation pour les frais de transport des avocats.

J'ai créé, au sein du Conseil national de l'aide juridique, le groupe d'accès au droit justement pour apporter des réponses territoire par territoire après l'audition de chacun des acteurs de terrain. Jusqu'à présent, nous avons défini une politique d'accès au droit en partant du haut. Or, une politique d'accès au droit fiable et convaincante ne peut qu'émaner des acteurs de terrain, car la réponse ne peut être la même à Wallis-et-Futuna, en Nouvelle-Calédonie, en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane.

Poussons le raisonnement plus loin. Vous savez que le réseau bancaire pour tout l'outre-mer est considéré comme un réseau étranger. Ainsi, une banque implantée sur le territoire hexagonal n'a pas, pour sa représentation ultramarine, les mêmes taux ni les mêmes modes de gestion qui relèvent de l'international. De même, lorsque vous arrivez dans l'Hexagone, vous rencontrez souvent un problème de téléphone. Tous ces petits signes renvoient l'idée que l'ultramarin est différent.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Vous avez indiqué qu'en Polynésie, le transport de l'avocat est financé. Ce dispositif a-t-il été mis en place par le gouvernement de Polynésie ?

M. Patrick Lingibé. - Non, il a été mis en place par la Chancellerie.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Pourquoi ce « deux poids deux mesures » ?

M. Victorin Lurel, rapporteur. - La Polynésie compte 118 îles.

M. Patrick Lingibé. - Personne n'a pu me l'expliquer. Je suppose qu'elle est liée aussi aux rapports entre Président de la Polynésie et le Président de la République de l'époque.

M. Philippe Bas, rapporteur. - La problématique géographique se pose dans les mêmes termes en Nouvelle-Calédonie.

M. Patrick Lingibé. - Tout à fait. J'ai proposé d'étendre le dispositif en vigueur en Polynésie. En Polynésie et Nouvelle-Calédonie, il existe une particularité pour l'aide juridictionnelle : tout ce qui est pénal relève de l'État alors que tout ce qui est civil relève des gouvernements locaux.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - En matière bancaire, ces particularités peuvent aussi relever de stratégies de gestion interne. Ces mêmes différences existent en matière téléphonique ou postale. Nous n'avons jamais obtenu la continuité postale. En matière statistique ou douanière, nous sommes des territoires d'exportation. Il existe aussi des différences en matière de TVA. Ces modifications sont commandées par l'adaptation. Reste à déterminer leur efficacité.

J'aimerais vous interroger sur l'organisation du ministère de la Justice. Comment voyez-vous le déploiement des moyens du ministère dans nos territoires, l'organisation des directions, l'administration pénitentiaire, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ? Les services sont souvent démunis. En tant que président de région, j'avais décidé de rénover la Cour d'appel. J'ai obtenu un accord du ministère et du service immobilier du ministère de la Justice. Cette rénovation ne s'est jamais réalisée. Les agents travaillaient dans des containers. Nous avons même construit des centres éducatifs fermés pour l'État. La justice relève du pouvoir régalien. Dans ce contexte, quel pourrait être l'apport des collectivités dans le respect des compétences ? Pouvons-nous trouver des coopérations respectant les périmètres et compétences de chacun ?

Mme Micheline Jacques, président. - Nous sommes un peu contraints par le temps. Je propose de passer la parole à nos collègues sénateurs avant de vous laisser répondre. Je vous invite également à nous envoyer une note avec des réponses techniques plus précises et plus complètes après notre audition.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Le bâtonnier Lingibé a émis des propositions pragmatiques qui appellent une réflexion approfondie pour trouver des réponses adaptées. J'apprécie vos propos sur les difficultés d'accès au droit. Certains de nos compatriotes ultramarins éprouvent des difficultés monumentales à accéder à un auxiliaire de justice (avocat, notaire, huissier, aide juridictionnelle, etc.). De nombreux territoires sont difficiles d'accès. Je partage aussi le fait que Mayotte n'a pas de cour d'appel de plein exercice malgré plusieurs demandes et un rapport de la Commission des lois du Sénat. Nous ne demandons pas cette instance pour le plaisir. Quand la politique pénale du gouvernement est déclinée au niveau de la cour d'appel et que les chefs de juridiction se trouvent à La Réunion et ne viennent que deux ou trois fois à Mayotte, comment voulez-vous qu'ils conduisent une politique pénale adaptée à la situation de Mayotte ? Je voulais faire miennes vos observations sur le sujet. Je rappelle aussi la vétusté de l'immobilier judiciaire, qui fait partie de vos chevaux de bataille. En outre-mer, les bâtiments vieillissent beaucoup plus vite qu'ailleurs. Nous souffrons tous de ce handicap.

J'aimerais soumettre un sujet à votre sagacité. Je rebondis sur la question de notre collègue Philippe Bas sur la procédure pénale. Vous avez répondu par des considérations de souveraineté et de coopération. J'étends ma réflexion à la problématique migratoire et la lutte contre l'immigration clandestine. À Mayotte, en plus de l'immigration habituelle, nous avons reçu des migrants venus de l'Afrique des Grands Lacs qui demandent l'asile politique, ce qui a mis le feu aux poudres. Seulement 5 % d'entre eux ont obtenu l'asile, soit 40 personnes sur 700. Dans un contexte où la moitié de la population est étrangère, 77 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, alors que nous n'avons même pas d'eau pour la population actuelle, nous retrouver avec ces migrants dans la nature, parmi lesquels nous avons retrouvé des criminels recherchés dans leur pays, était très difficile.

Mayotte qui vit déjà dans une situation de misère ne peut pas accueillir en plus toute la misère de l'océan Indien et d'une partie de l'Afrique. J'ai émis l'idée récemment de prendre pour modèle ce qui se met en place entre le Royaume-Uni et le Rwanda. En plus de ces particularités, nous avons un différend avec les Comores. Tous les migrants viennent directement des Comores ou y transitent, et les Comores ne jouent pas le jeu. Ils s'en servent comme « arme migratoire ». Il me semblerait intéressant de traiter avec un pays tiers du continent africain pour que les demandes d'asile pour rejoindre Mayotte s'effectuent à partir de ce pays. Je ne vois pas d'autre solution viable à long terme. Que pensez-vous de ce dispositif qui pourrait être mis en place à Mayotte pour soulager l'île de sa problématique migratoire inouïe et insensée que nous n'arrivons pas à résorber depuis une trentaine d'années ?

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Maître Lingibé, vous êtes un témoin privilégié des travaux passés sur l'évolution statutaire. Avez-vous l'impression que cette nouvelle organisation a facilité les échanges avec l'État ? Pouvez-vous nous dire sur quels points les nouveaux travaux menés actuellement par les élus guyanais doivent s'accentuer pour fluidifier et simplifier ces échanges ?

Mme Annick Petrus. - L'accès au droit est plus que problématique et crée des injustices en outre-mer. Nous le savons tous. J'aimerais évoquer la surpopulation carcérale qui s'élève à 123 % en moyenne dans l'ensemble des territoires ultramarins. La Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France pour l'indignité de ses prisons, en particulier à cause de trois établissements situés en outre-mer, le centre pénitentiaire de Baie-Mahault en Guadeloupe, celui de Ducos en Martinique et la prison de Faaa-Nuutania en Polynésie française.

À Saint-Martin, lors du débat sur l'état de la justice dans les outre-mer au Sénat en avril 2023, j'avais interrogé le ministre délégué aux outre-mer de l'époque, Jean-François Carenco, sur la situation du tribunal de proximité de Saint-Martin et j'avais plaidé pour l'autonomie de Saint-Martin par rapport à Basse-Terre, en apportant des arguments. Vous conviendrez avec moi qu'il revient à l'État d'assumer la continuité territoriale et l'égalité devant la justice. Il n'est donc pas normal que les Saint-Martinois et les citoyens de tous les autres territoires ultramarins ne bénéficient pas, comme les Français de l'Hexagone, d'un accès effectif à la justice de leur pays.

Puisque nous savons tous que ce problème existe, et que nous en parlons souvent, quelles mesures sont ou seront prises pour améliorer l'efficacité et l'accessibilité des services judiciaires dans les territoires d'outre-mer, notamment en termes de numérisation des procédures et de déploiement de personnel judiciaire qualifié ? Dans le cadre du Comité interministériel des outre-mer (CIOM), la collectivité territoriale de Saint-Martin avait formulé une demande pour une prison dont les coûts seraient réduits par des espaces mis à disposition avec la partie hollandaise. Avez-vous des informations sur cette demande ?

M. Saïd Omar Oili. - Je souscris à tous ces propos et je voudrais témoigner. Vous indiquez que l'évolution du code de procédure pénale ne va rien résoudre de nos difficultés en outre-mer. Lorsque j'étais président du département, je n'avais plus de majorité. Mon vice-président a démissionné. J'ai cherché par tout moyen à le faire revenir. J'ai appliqué ce qui se fait de mieux chez nous, la réconciliation. À Mayotte, nous sommes musulmans. Nos cadis réglaient beaucoup de difficultés et nous n'avions même pas besoin d'aller au tribunal. Pour devenir un département, nous avons dû supprimer les cadis. Tous les petits conflits que nous pouvions régler entre nous se sont ainsi reportés au tribunal qui se retrouve aujourd'hui noyé par les dossiers et dans l'impossibilité d'apporter des solutions. Quelle est votre perception aujourd'hui, notamment sur l'identité et la culture ? Que pouvons-nous faire ? Avant-hier, les grévistes ont pris la justice pour cible, car ils n'ont plus confiance dans la justice. D'après vous, que faut-il faire à Mayotte ?

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Êtes-vous informé des conditions diplomatiques, juridiques et financières de réadmission des personnes en situation irrégulière, notamment entre la France et les Comores, le Brésil ou la Dominique ?

Mme Micheline Jacques, président. - Dans vos propositions sur la pluralité identitaire au sein de la République, je pensais tout particulièrement au parallèle que nous pouvons faire entre le droit coutumier et le droit national.

M. Patrick Lingibé. - Je vais répondre à la première question du sénateur Lurel. Puisque le rapport des États généraux de la justice se limitait à 2 pages et demie et n'apportait pas de réponse concrète pour l'outre-mer, j'ai proposé des États généraux de la justice en outre-mer. La justice est rendue au nom du peuple français. Le débat ne doit donc pas interroger uniquement les juges. Pour moi, ces États généraux devaient associer tous les acteurs judiciaires, mais également les acteurs politiques, à commencer par les parlementaires, pour voir ce qu'il était possible d'améliorer, territoire par territoire. Ils n'ont pas fait appel à des experts spécialistes des territoires ultramarins malgré la lettre que m'avait envoyée le Président de la République indiquant qu'il demandait au Garde des Sceaux de se rapprocher de moi. Je proposais donc des états généraux en outre-mer pour réfléchir à ce sujet. Il n'existe pas une réponse unique. Il faut des réponses plurielles, adaptées à chaque territoire.

J'avais formulé des propositions sur l'immobilier. Aujourd'hui, il n'existe pas de stratégie ultramarine au niveau du ministère de la Justice. Il est problématique pour la Justice que le ministère des Outre-mer soit un ministère délégué sous l'autorité du ministère de l'Intérieur. Comme nous n'avons pas de prisme ultramarin, les standards appliqués dans l'immobilier sont strictement les mêmes que dans l'Hexagone alors que nous savons très bien que les bâtiments vieillissent plus vite en outre-mer. La notion de bassin de vie n'est pas intégrée. Seul le ministère des Outre-mer intègre cette problématique dans son raisonnement. Or il a très peu de poids sur ces sujets.

Pour moi, il n'existe pas de réponse uniforme en outre-mer. Il faut des réponses disruptives, qui sortent de l'ordinaire pour répondre aux problématiques sociétales, rassurer et dire aux populations ultramarines que la République s'incarne dans leurs territoires. Changer des textes ne suffit pas, il faut agir avec pertinence et redonner confiance aux populations. La République n'est pas simplement un concept ; elle a un contenu concret. Nos bassins de vie nous contextualisent dans un univers qui tend à mettre notre norme sous tension. Il faut trouver des scénarios qui sortent de l'ordinaire. Le problème sud-américain appelle des réponses avec une connotation sud-américaine.

J'ai toujours dit qu'une adaptation statutaire ne réglera qu'une partie des problèmes. Les crises sociales majeures qui sont survenues ont mis en cause les compétences régaliennes. Je suis un ardent partisan de l'autonomie. Néanmoins, celle-ci ne réglera pas les problèmes régaliens qui continueront de relever de l'État. Ces compétences ne pourront jamais être transférées pour des raisons que nous comprenons très bien de libertés publiques et de sécurité. Il serait très dangereux que la liberté puisse changer d'un territoire à l'autre en fonction de conjectures politiques. Je suis un défenseur farouche des libertés. Nous ne devons pas oublier non plus que la France est un État unitaire. Elle n'est ni un État fédéral ni un État régional. Je considère que la proposition du Sénat issue du rapport Magras constitue une proposition de bon sens.

Sur la population carcérale, vous parlez d'accès au droit. J'ai justement fait créer un groupe de travail sur l'accès au droit en outre-mer au sein du Conseil national de l'aide juridique. Je n'ai pas oublié Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Je reçois les retours de chaque bâtonnier d'outre-mer. Je connais la situation de Mayotte. Ce groupe a pour objectif d'apporter une politique d'accès au droit qui soit territorialisée. Pour l'instant, elle est laissée aux mains des conseils départementaux de l'aide juridique. Je considère que cela ne suffit pas. Il faut aller à la rencontre des acteurs. Le droit est un élément concret. Le justiciable attend une réalité. Or pour l'instant, cette réalité n'existe pas. L'accès au droit s'apparente à un parcours du combattant. Le Garde des Sceaux affirmait que nous réglerions le problème de la Justice avec le 100 % numérique. Nous sommes confrontés à une crise du numérique en outre-mer. Nous rencontrons déjà des difficultés à accéder à nos droits fondamentaux. Avec la numérisation, la situation deviendrait impossible.

Chaque collectivité doit amener une réponse adaptée. Je ne suis pas sûr que nous aurions pu faire autrement que le statut départemental à Mayotte. Il doit cependant être reconfiguré. Nous ne pouvons pas greffer un statut à un territoire, indépendamment de l'identité de la population qui l'anime. L'assimilation est une notion bien belle, mais vous ne pouvez pas assimiler les gens jusqu'à les ignorer. Une phrase d'Albert Camus résume toute ma réflexion : « avoir le courage d'être soi-même et d'accepter sa différence et ce que l'on est réellement et pas ce que les autres veulent que l'on soit ». Cette phrase reflète toute la réalité de l'outre-mer au sein de la République.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci, Maître. Nous avons entendu votre constat alarmant d'une pauvreté importante dans les territoires ultramarins, la vie chère, une difficulté d'accès au droit et une perte de confiance dans la justice, des crises sociales majeures qui mettent en exergue des défaillances dans l'exercice des compétences régaliennes de l'État et singulièrement l'absence de stratégie pour la justice en outre-mer. Vous proposez d'adapter le droit aux réalités en créant des juridictions calibrées qui répondront concrètement aux réalités des territoires. Nous relevons aussi que vous avez en ce sens créé un groupe d'accès au droit outre-mer au sein du Conseil national de l'aide juridique. Nous vous en remercions.

M. Patrick Lingibé. - Merci, Madame la Présidente. Le groupe d'accès au droit entendra également tous les parlementaires qui le souhaitent.

Jeudi 8 février 2024

Audition du Général Claude Peloux, commandant du service militaire adapté auprès de la direction générale des outre-mer

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, toujours dans le cadre de la préparation de notre rapport sur l'adaptation des modes d'action de l'État dans les outre-mer, nous auditionnons à présent le Général Claude Peloux, commandant du service militaire adapté (SMA).

Je rappelle que le SMA, créé en 1961, est un dispositif militaire d'insertion socioprofessionnelle, rattaché à la Direction générale des outre-mer (DGOM), et qu'il s'adresse aux jeunes ultramarins, de 18 à 25 ans, éloignés de la qualification et du marché de l'emploi.

Ce dispositif apporte une réponse ciblée à l'exclusion, au chômage, à la désocialisation et à l'illettrisme qui sévissent particulièrement parmi les jeunes ultramarins. C'est aussi un exemple souvent cité d'adaptation réussie.

Nous sommes donc très heureux de vous accueillir, Général, et impatients de vous entendre sur les facteurs de ce succès.

Après votre exposé liminaire sur les spécificités de ce dispositif et ses excellents résultats, nos rapporteurs Philippe Bas et Victorin Lurel vous interrogeront sur des aspects plus précis puis nos autres collègues poseront leurs questions à leur tour s'ils le souhaitent.

M. Claude Peloux, commandant du service militaire adapté auprès de la direction générale des outre-mer. - Merci, Madame la Présidente. Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je commande le service militaire adapté depuis le 1er août 2021. Avant cette affectation, j'ai servi comme tous les officiers de l'armée de Terre à la fois en unité opérationnelle et en administration centrale, mon coeur de métier étant plutôt le suivi des programmes d'armement. J'ai exercé pendant une dizaine d'années à la section technique de l'armée de Terre et dans des unités particulières comme le commandement des opérations spéciales. J'ai été chef de corps du SMA de la Guadeloupe de 2009 et 2011, ce qui me vaut le plaisir d'être aujourd'hui le Général commandant ces formations dans les territoires et départements d'outre-mer.

À l'initiative de Michel Debré, alors Premier ministre, et sur proposition du Général Jean Némo, le service militaire adapté a été créé aux Antilles-Guyane en 1961. Il doit alors répondre à trois attentes particulières des politiques : intégrer des jeunes dans la Nation, accompagner le développement et la valorisation des territoires, et répondre aux enjeux démographiques pour un rééquilibrage entre les départements des Antilles où la population s'accroît et celui de la Guyane considéré à l'époque comme sous-peuplé. Le « Plan Némo » s'inscrit dans une logique d'incorporation des jeunes des territoires pour un appel de 24 mois. Il assure donc à ces jeunes appelés antillais et guyanais une formation professionnelle et générale. Le futur service doit également s'insérer dans les territoires par des travaux d'intérêt général tout en s'adaptant aux réalités locales, ce qui fait encore la force du service militaire adapté aujourd'hui.

Le Général Némo avait pour objectif de donner une occupation et une formation à une jeunesse désoeuvrée et prête à subir les influences les plus pernicieuses. Depuis sa création en 1961, le SMA n'a cessé de se développer malgré les réticences initiales. Il s'est déployé à La Réunion en 1965, en Nouvelle-Calédonie en 1986, à Mayotte en 1988, puis en Polynésie française en 1989. Un centre de formation du service militaire adapté a été créé à Périgueux pour accueillir sur le territoire hexagonal les jeunes ultramarins en complément de formation. Il s'agit de la seule formation en dehors des territoires et départements d'outre-mer. En 1996, lorsque le président de la République Jacques Chirac a décidé de suspendre le service national, à la demande des élus ultramarins, le service militaire adapté a été maintenu dans les territoires, compte tenu des enjeux particuliers pour la jeunesse et les communautés locales. Le volontariat a été retenu. La transition s'est opérée entre 1997 et 2000, date à laquelle nous n'avons plus accueilli que des volontaires.

Environ 3 000 volontaires étaient accueillis jusqu'en 2009. À cette date, le président de la République Nicolas Sarkozy a souhaité doubler les effectifs du service militaire adapté pour permettre à plus de jeunes de passer dans notre dispositif et s'insérer dans la vie économique des territoires. Cette cible a été atteinte en 2017. Depuis, les effectifs restent proches de 6 000, malgré la crise Covid. Aujourd'hui, nous déployons le plan « Ambition 2030 » qui regroupe les plans SMA 2025 et SMA 2025+ et prévoit notamment la lutte contre le décrochage scolaire et contre les violences faites aux femmes, le renforcement des compétences de base (savoir lire, écrire et pratiquer l'internet en sécurité), ainsi que la possibilité pour tous les volontaires d'être présentés au permis de conduire. Nous savons en effet combien le permis constitue un sésame pour accéder à l'emploi.

S'agissant de l'organisation générale du SMA, le service est placé sous la double tutelle du ministère de l'Intérieur et des outre-mer et du ministère des Armées selon l'arrêté du 21 janvier 2021 portant organisation du SMA. Le commandement du service militaire adapté est rattaché à la Direction générale des outre-mer (DGOM) par application des articles D.3222-191 et suivants du code de la défense. Le commandement du service militaire adapté est ainsi placé pour emploi sous les ordres du ministre chargé des outre-mer. Il est dirigé par un officier général dénommé commandant du service militaire adapté qui donne des directives techniques, fixe les objectifs à atteindre et veille à leur bonne exécution.

Composé de sept formations administratives et d'un centre de formation dans l'Hexagone, le SMA propose une réponse ciblée au chômage, à la désocialisation, à l'illettrisme, et répond au besoin de qualification des jeunes ultramarins de nationalité française, âgés de 18 à 25 ans. Composés de plus de 1 300 cadres des armées, soit 1 % des effectifs de l'armée de Terre, et de quelques personnels civils, d'active et de réserve, les régiments du service militaire adapté (RSMA) proposent trois types de statuts sur la base du volontariat.

Le statut de volontaire technicien est proposé à des jeunes diplômés qui souhaitent valoriser leur expérience professionnelle par une première expérience professionnelle en milieu militaire. Ce contrat d'un an peut être renouvelé jusqu'à 4 fois, ce qui permet d'étoffer le CV du jeune avant qu'il trouve un emploi sur le territoire ou dans l'Hexagone.

Les volontaires stagiaires, essence même du service militaire adapté, viennent suivre une formation professionnelle différenciée en fonction du niveau scolaire, de 6 à 12 mois. Certaines formations sont contrôlées par les préfectures ou un certificat de qualification professionnelle et nécessitent une durée plus longue que d'autres qui ne sont que des remises à niveau visant à ce que le jeune retrouve le geste technique avant de retourner à l'emploi.

Enfin, les volontaires jeunes cadets sont accueillis en étroite collaboration avec les rectorats. Ce statut s'adresse à des jeunes de 16 à 18 ans en décrochage scolaire pour les remettre sur les rails. L'an dernier, 231 jeunes sont passés au sein de ces formations pour suivre le module de retour à l'Éducation nationale. 90 % d'entre eux sont effectivement retournés à l'école et sont passés dans la classe supérieure.

Tous ces statuts participent à l'amélioration des compétences locales en réduisant les inégalités territoriales et en favorisant l'inclusion des jeunes femmes. Nous accueillons en effet environ 30 % de femmes, avec des disparités, entre Mayotte et le Pacifique par exemple, où nous atteignons 42 % de jeunes femmes. Chaque incorporé se voit orienté en fonction de son niveau d'illettrisme, puisqu'il passe, à son arrivée, le test EVA conçu en lien avec l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme (ANLCI), vers des filières courtes ou longues, de 6 à 12 mois.

À l'issue d'une 1re phase de formation militaire initiale de deux mois, le jeune est orienté vers une filière professionnelle. Il bénéficie aussi d'un accompagnement médico-psychosocial pour lever les freins à l'insertion. La formation est individualisée autant que possible. Elle comprend plusieurs phases, souvent imbriquées : une formation professionnelle, une formation civique et citoyenne, une remise à niveau scolaire en français et en mathématiques, des modules de lutte contre l'illettrisme et l'illectronisme, et la présentation au permis de conduire, le brevet militaire de conduite transformable en permis B. Enfin, tous les jeunes reçoivent la formation de sauveteur-secouriste au travail.

La formation repose sur trois piliers : le savoir-être qui évolue essentiellement grâce à la militarité tout au long de la formation, le savoir-faire qui recouvre à la fois le geste technique en formation professionnelle et la remise à niveau scolaire, grâce notamment au renfort de 40 professeurs de l'Éducation nationale (un par unité élémentaire), et le savoir-devenir qui permet de préparer le jeune à la vie civile et l'emploi grâce aux techniques de recherche d'emploi.

Pour ceux qui arriveraient dans nos rangs sans qualification aucune, les régiments font passer aux jeunes, après le module de remise à niveau, le certificat de formation générale, qui correspond au premier niveau scolaire. Les modules de technique de recherche d'emploi et d'appui à la construction d'un projet professionnel permettent donc aux jeunes volontaires de trouver un premier emploi ou une reprise de formation à la sortie du dispositif. Nous donnons un certain nombre de qualifications qui correspondent éventuellement à un premier module de BEP. Les jeunes peuvent donc poursuivre leur cursus dans les centres de formation pour adultes dans les territoires ou suivre une formation spécifique à Périgueux.

Chaque territoire est spécifique. Chaque filière professionnelle est donc adaptée au contexte socioéconomique du territoire. Grâce au conseil de perfectionnement présidé par le chef de corps et le préfet, les besoins des territoires sont étudiés pour modifier les formations professionnelles au profit du territoire. Il est bien évident que vous n'aurez pas les mêmes formations en Guyane et dans la Polynésie française. Nous avons des pilotes lagonaires à Tubuaï et Hiva Oa alors que nous avons plutôt des accompagnateurs en forêt pour le parc national guyanais.

La géographie impose aussi d'avoir des compagnies dites isolées ou éloignées. Deux compagnies isolées fonctionnent à 100 % et une 3e a été demandée par le Président de la République en juillet 2021 : Hiva Oa dans les Marquises, Tubuaï dans les Australes et désormais Hao dans les Tuamotu. Les jeunes bénéficient d'un statut particulier de « fixé ». Le développement économique de leur atoll ou de leur île étant différent de celui de Tahiti, les jeunes retournent dans leur île avec une formation leur permettant de s'y installer et d'y trouver un emploi ou de le développer. Nous avons fixé cet objectif à la nouvelle compagnie d'Hao où nous avons réfléchi à la préservation de l'environnement, l'autonomie alimentaire et l'autonomie énergétique. Nous donnons donc aux jeunes les modules nécessaires pour qu'ils puissent ensuite proposer leur formation dans les communes de leur île afin d'aider à améliorer le quotidien.

Le SMA dépend localement du préfet ou du Haut-commissaire qui préside le conseil de perfectionnement validé par le directeur général des outre-mer. Localement, le référent du chef de corps est le préfet. Il n'est mis à disposition que sur demande particulière de concours ou de réquisition du préfet ou du général commandant les forces armées localement, en particulier en cas de catastrophe naturelle. Nous entretenons des liens interministériels avec les Armées, l'Éducation nationale et le ministère du Travail, en particulier lorsqu'il a fallu aligner le traitement des volontaires sur le contrat emploi jeune (CEJ). Le montant versé dans le cadre de ce contrat était supérieur au traitement proposé aux jeunes volontaires. Bien naturellement, les jeunes s'orientaient donc plus vers le CEJ que les formations du service militaire adapté.

Nous avons deux instances particulières : le comité interministériel de coordination du service militaire adapté co-présidé par le général-chef de la division emploi de l'état-major des armées (EMA) et le directeur général des outre-mer pour les grandes orientations du SMA ; et un comité d'orientation stratégique qui se réunit annuellement pour fixer les orientations. Il regroupe l'ensemble des acteurs : la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO), l'état-major des armées, le Com-SMA, le DGOM et le chef de la division emploi de l'EMA. Nous avons conclu des conventions localement avec les collectivités territoriales et un certain nombre d'acteurs économiques dans le but de disposer du plus grand nombre d'appuis pour trouver, à l'issue d'une formation professionnelle dans nos formations administratives, un emploi pour chacun de nos jeunes.

Nous sommes souvent cités comme une réussite des politiques publiques outre-mer. Le SMA est effectivement porté par ses excellents résultats, fruit de plus de 60 ans d'investissement et de connaissance du dispositif dans les territoires et départements d'outre-mer. Bien souvent, les formations du service militaire adapté sont plus applaudies que les forces armées le jour du 14 juillet, ce qui prouve l'attachement de la population à ce dispositif. Il perdure aujourd'hui, car les élus ont souhaité sa pérennité.

Nous sommes suivis sur un certain nombre d'indicateurs stratégiques, en particulier l'insertion socioprofessionnelle. Les résultats 2023 sont quasiment similaires à ceux de 2022. L'an dernier, 83,6 % des jeunes passés par le SMA ont trouvé un emploi, dont deux tiers un emploi durable (CDI ou CDD de plus de six mois). Les autres ont poursuivi une formation à l'extérieur ou ont réalisé une sortie positive (contrat de moins de six mois). Nos chefs de corps ont un devoir de suivi des jeunes à six mois de leur sortie. Nous ne pouvons pas manipuler les chiffres. Dans les études conduites, cinq ans plus tard, 80 % des jeunes passés par le SMA qui avaient un emploi en sortant sont toujours en emploi.

La réussite du dispositif s'explique d'abord par des facteurs historiques. Nous faisons également partie intégrante des territoires et la plupart de nos volontaires ont de la famille qui est passée par le dispositif et qui, au regard de son expérience, les a orientés vers le SMA. Le caractère militaire apporte une plus-value certaine. Le contrat du jeune est un contrat militaire de volontaire qui permet de faire preuve d'une certaine autorité lors des formations professionnelles. Le jeune est conduit, épaulé, tutoré pour aller au bout de sa formation. Le cadre militaire formateur n'a pas vraiment d'heures à donner à ce jeune. Nous ne sommes pas contraints aux 1 600 heures de formation professionnelle pour obtenir le diplôme. S'il faut passer plus de temps, nous le faisons. La journée commence tôt et peut finir tard. L'objectif reste que le jeune, en sortant, trouve un emploi. Les chefs de section qui encadrent ces jeunes leur inculquent les cinq règles de base que nous appelons les « règles d'or » : vivre en collectivité, en internat, travailler pour réussir, savoir travailler en équipe et en sécurité, rendre compte. Le caractère militaire leur redonne aussi un peu le goût de l'effort, puisqu'ils ont parfois abandonné les activités physiques ou l'envie de se lever tôt pour aller travailler.

Dans chaque régiment, le parcours de formation est ainsi borné par la militarité. Nous travaillons sur le volontaire dans sa globalité. Nous lui apportons le savoir-faire professionnel de base. Les entrepreneurs connaissent le niveau de sortie des jeunes qu'ils reçoivent et appliquent le droit du travail avec la formation tout au long de la vie. Ils préfèrent recruter des jeunes bien éduqués qui respectent les règles de la vie en entreprise au lieu d'attendre à 10 heures du matin que le jeune vienne éventuellement travailler. Ces parcours de formation professionnelle, avec des militaires et des professeurs, ont prouvé leur efficacité aujourd'hui.

La finalité du SMA réside dans la capacité à faire, grâce à un apprentissage contextualisé, une pédagogie fondée sur la mise en situation. La qualité du parcours proposé est adaptée à la capacité du jeune. Nous pouvons bien entendu dupliquer ce dispositif. Le taux d'encadrement s'établit à 20 % (un pour cinq). La discipline fait notre force. Nous pouvons sanctionner, mais nous savons aussi récompenser. Il nous semble prioritaire que les jeunes soient pensionnaires pour qu'ils restent au quotidien sous l'autorité du personnel militaire, ce qui permet de garantir un certain cadre et un rythme de vie pour continuer de progresser.

En 1996, quand le président de la République Jacques Chirac a décidé de suspendre le service national, nous sommes passés au volontariat. Le volontariat représente la 2e force du SMA. Les jeunes ne viennent pas, parce qu'ils y sont contraints et forcés, mais parce qu'ils veulent s'en sortir. En fonction de la filière professionnelle suivie, le jeune peut entrer directement dans la vie active, parce qu'il est titulaire d'un titre professionnel ou d'une qualification professionnelle particulière, ou parce qu'il a réussi à convaincre, grâce à une période d'adaptation en entreprise, l'employeur qui lui fait passer les qualifications nécessaires. Il peut également poursuivre une formation sur le territoire ou dans l'Hexagone. Certaines formations n'étant pas dispensées sur les territoires ou à Périgueux, LADOM, l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité, prend le relais pour que le jeune puisse suivre une formation professionnelle complémentaire dans l'Hexagone, dans un centre adapté.

Les politiques publiques doivent coordonner les actions des différents organismes de formation, ce qui n'est pas toujours forcément le cas. Il peut exister des compétitions entre organismes de formation, compte tenu des montants en jeu. Chacun cherche à faire en sorte d'accroître son chiffre d'affaires. Notre objectif ne consiste pas à améliorer notre chiffre d'affaires, mais à faire en sorte que notre taux de réussite et d'insertion soit le plus élevé possible.

Quant aux ressources humaines, nous appartenons pour beaucoup à l'armée de Terre. 1 000 cadres sur 1 300 en sont originaires. Les autres peuvent provenir du Service de santé des armées. Je suis propriétaire de mes propres soutiens (alimentation, restauration, santé). Je dispose également d'un service constructeur, ce qui n'est pas le cas des formations administratives de l'Hexagone. Ce personnel est mis à disposition par les directions des ressources humaines de l'armée de Terre et des directions et services. Il s'agit généralement de cadres matures, qui exercent des fonctions de chef de section ou chef de service. Nous ne devons pas descendre en dessous du volume qui est le nôtre, c'est-à-dire un ratio d'encadrement de 21 à 22 % malgré les tentations de multiplier le dispositif dans d'autres îles et atolls. Le chef d'état-major des armées dispose d'une enveloppe contrainte dans laquelle il puise pour le service militaire adapté. Par ailleurs, certains officiers ou sous-officiers des territoires sont affectés dans un territoire (qui n'est pas nécessairement leur territoire d'origine), en fonction des postes à pourvoir.

Aujourd'hui, nous arrivons à un plateau de recrutement de 6 000 bénéficiaires. Ce volume semble correspondre à ce que nous savons faire de mieux. Les problématiques générées par la crise Covid avec la vaccination obligatoire imposée par le schéma vaccinal des armées et l'alignement sur le contrat engagement jeune (CEJ) n'existent plus. Toutes ces restrictions ont été levées en août 2023. La tendance du recrutement nous laisse à penser que nous devrions atteindre de nouveau 6 000 bénéficiaires cette année, contre un peu plus de 5 800 en 2023, un volume non négligeable au regard des difficultés des huit premiers mois avec l'obligation vaccinale, l'alignement du CEJ et l'opération Wuambushu à Mayotte qui nous a privés d'un volume de recrutement, nos bâtiments ayant été dévolus à des escadrons de gendarmerie.

À l'horizon 2030, au vu de la démographie des territoires et départements, il ne s'agit pas d'aller chercher au-delà de 10 % d'une classe d'âge, comme nous le faisons aujourd'hui. Mayotte et la Guyane affichent un fort taux de natalité et une croissance démographique importante. Nous opérons donc des bascules d'effort entre les Antilles où deux facteurs vident les îles de Guadeloupe et de Martinique de leur jeunesse : un solde naturel négatif et un solde migratoire très important. Beaucoup de jeunes quittent leur île pour effectuer leurs études dans l'Hexagone ou au Canada. Le vivier des 18-25 ans dans lequel nous venons puiser à hauteur de 10 % diminue aux Antilles. Il reste stable à La Réunion et augmente fortement en Guyane et à Mayotte. Des bascules d'effort de cadres sont en cours pour réduire la voilure des régiments des deux départements américains et basculer vers la Guyane, Mayotte et marginalement vers la Polynésie française pour la création de la compagnie supplémentaire souhaitée par le président de la République.

Avec 1 300 cadres, notre organisation est optimisée. Il faut maintenant contenir son développement à ce qui existe. De nouvelles formations administratives coûtent de l'argent à la République. En outre, pour nous développer ailleurs, il nous faudrait prendre de la substance dans les formations administratives existantes. En dehors d'une décision qui ne relève pas de mon niveau, les effectifs de cadres n'augmenteront pas.

Dans le plan « Ambition 2030 », nous avons un objectif de former de jeunes chefs d'équipe via un stage long au sein de notre formation. Dès cette année, nous proposerons des stages de chef d'équipe aux entreprises pour améliorer les compétences de leadership et de management de ces jeunes et renforcer les entreprises désireuses de voir leurs jeunes progresser.

Dans chacune des sept formations administratives, nous avons une formation d'un an d'agent de prévention et de sécurité, avec une cohorte de 20 jeunes, voire 40 dans les formations administratives les plus importantes, à Mayotte et en Guyane. Cette formation longue, marquée par des examens contrôlés par les préfectures ou les hauts-commissariats, délivre le titre professionnel sans lequel vous ne pouvez pas exercer le métier d'agent de prévention et de sécurité. En moyenne, 50 à 80 jeunes par an obtiennent ce niveau III. Il nous avait été demandé si nous étions en mesure d'en déployer pour les Jeux olympiques. Nous ne pouvions en délivrer qu'une trentaine, puisqu'il faut être titulaire de la carte professionnelle pour pouvoir exercer.

Nous avons d'autres filières au profit d'administrations. La préparation aux métiers du service public et de l'administration (Pmspa) facilite l'accès aux concours de la fonction publique dans d'autres domaines. À Mayotte, nous avons par exemple un partenariat étroit avec la gendarmerie pour former des gendarmes adjoints volontaires ou des sous-officiers de gendarmerie. Nous assurons la formation militaire initiale. Ensuite, la formation est réalisée par les gendarmes, avec les cours nécessaires pour passer le concours. Nous venons d'en ouvrir une autre en Guyane.

Pour mieux répondre aux enjeux d'insertion et changer les systèmes d'information, nous avons le verrou du RGPD. Tant que ce texte est en place, nous pouvons difficilement échanger avec d'autres organismes. Je ne suis pas autorisé à croiser les données. Je ne dispose donc pas de chiffres d'insertion au-delà de six mois, puisqu'il faudrait croiser les données de Pôle emploi avec le numéro Insee.

Pour un certain nombre de territoires, au regard du décrochage des rémunérations par rapport au coût de la vie, un effort potentiel pourrait être réalisé, qui ne concerne pas que les militaires. Le sujet est en cours d'étude au ministère des Armées avec l'indemnité de résidence dans les outre-mer pour, à l'instar de l'indemnité de résidence à l'étranger, essayer de moduler en fonction de facteurs économiques des territoires un montant financier adapté au coût de la vie localement. Pour nos jeunes, j'éprouve une difficulté particulière liée à cette indexation dans les territoires. Les jeunes volontaires techniciens perçoivent une somme indexée sur celle du territoire et je ne suis pas compétitif pour proposer un 1er emploi en milieu militaire. Lorsque je cherche un peintre en bâtiment formateur, je vais le payer 1 100 euros en Guadeloupe alors qu'il lui sera proposé 2 000 ou 2 100 euros à l'extérieur. Même s'il faut prendre en compte d'autres facteurs comme le logement et l'alimentation qui sont compris dans le contrat, le jeune regarde avant tout le salaire.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci, Général, pour votre exposé très précis. Je vais laisser la parole à nos rapporteurs.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Général, je joins mes remerciements à ceux de notre présidente. Votre exposé a été complet, anticipant une grande partie de mes questions. Quelles pourraient être les perspectives d'extension du service que vous assumez ? J'ai bien compris qu'il ne serait pas réaliste d'imaginer augmenter le potentiel de 10 % d'une classe d'âge, ce qui représente déjà un très beau résultat.

Des évolutions vous paraîtraient-elles souhaitables si vous en aviez les moyens ? Vous souligniez, sur le plan statistique, que vous ne pouviez pas obtenir beaucoup d'informations au-delà du 1e semestre suivant la fin de la formation. Même s'ils ont un taux d'insertion professionnelle très élevé, ces jeunes pourraient être accompagnés dans des missions d'intérêt général. Vous en faites en quelque sorte des agents de développement économique et social dans la société ultramarine. Au-delà de la formation, pourrions-nous concevoir l'idée d'un accompagnement dans leur action d'agent de développement économique et social si nous pouvons les qualifier ainsi ?

Vous avez évoqué la formation à des missions de sécurité. Nous avons tendance à penser qu'un encadrement militaire conduit assez naturellement à une telle orientation. Or ce n'est le cas que marginalement, puisque vous avez cité 50 à 80 jeunes. Le développement de cette orientation constitue-t-il une priorité pour vous ? Préférez-vous au contraire, pour maintenir un flux de volontaires suffisamment ouvert sur d'autres centres d'intérêt, éviter que le SMA finisse par être assimilé à une organisation de recrutement pour former à des missions de sécurité ?

Plus généralement, le bilan que vous présentez est bon. Nos sociétés ultramarines adhèrent fortement à ce dispositif. De quoi rêveriez-vous pour l'avenir du SMA afin de franchir de nouvelles étapes ?

M. Claude Peloux. - Les chefs de section qui encadrent les jeunes fournissent tous les efforts nécessaires pour s'occuper des jeunes bien au-delà de leur passage en régiment. Nous sommes confrontés à un problème : les jeunes changent de téléphone et ne regardent pas forcément leurs mails. Nous perdons un peu le contact. Certains jeunes s'inscrivent directement dans une activité particulière et sont référencés. Dans les territoires où les risques naturels sont importants, les jeunes suivent un module particulier dispensé par la sécurité civile d'équipier sauvetage déblaiement. Ces jeunes sont formés, contrôlés, inscrits auprès de la Préfecture, et leur diplôme est valide trois ans. Ils peuvent intervenir, comme ils l'ont fait en janvier dernier en Guadeloupe, où des jeunes de Basse-Terre se sont rendus spontanément auprès des quelques personnels du SMA déployés pour aider la population à la suite de la tempête.

Le 6 juillet 2023, nous avons créé, sous l'égide de la fondation Agir contre l'exclusion, la Fondation du service militaire adapté qui a vocation à accompagner des jeunes pour lesquels il reste encore quelques leviers d'insertion afin de les aider soit financièrement soit par du tutorat et du mécénat de compétence et les emmener au plus loin dans leur projet professionnel. Lorsqu'il sort du SMA, le jeune éprouvera des difficultés pour se loger, car les revenus perçus dans l'année ne sont pas suffisants, qu'il n'a pas de bulletin de salaire à fournir et qu'il n'a pas forcément les moyens de payer une caution. Cette fondation a noué des partenariats avec des bailleurs sociaux et peut proposer la gratuité de la caution et des trois premiers mois, le temps que le jeune obtienne les documents nécessaires pour continuer à louer ce logement. La fondation peut également accompagner le jeune dans la création d'une entreprise. L'exercice est complexe. Au-delà des statuts juridiques, il faut élaborer un business plan pour obtenir un prêt, rendre des comptes à l'issue du premier exercice... Dans les partenaires de la fondation, des banquiers, des juristes ou des experts-comptables assurent un mécénat de compétence. Nous essayons d'aller plus loin.

Chef de corps en 2009, je m'étais inquiété du devenir des 18 % de jeunes guadeloupéens qui passaient par le régiment, mais n'allaient pas à l'emploi. En prenant la tête du SMA, j'ai demandé que nous examinions les maisons du SMA dans l'Hexagone pour aider les jeunes qui viennent suivre des formations complémentaires dans leurs démarches administratives. J'ai également initié la création de cette fondation. Il a fallu deux ans pour construire cette fondation. Elle ne dispose pas des équipes pour assurer toutes les fonctions d'une fondation et elle aurait dû attendre cinq ans pour bénéficier du statut de fondation reconnue d'utilité publique. Nous avons donc choisi qu'elle soit abritée par la Fondation Agir pour l'exclusion pour commencer. Nous avons pour objectif d'accompagner 210 jeunes par an sur les 4 800, soit 4 %. Nous voulons être encore plus performants. L'argent public qui nous est donné pour constituer le budget du SMA ne peut pas tout faire et l'argent privé donné à la fondation et le mécénat de compétence permettront d'aller encore plus loin pour accompagner ces jeunes.

Pour les métiers de la sécurité, il existe des restrictions à la mise en formation. Le jeune doit avoir un casier judiciaire vierge. De nombreux jeunes ont été sous-main de justice avant leur majorité. Leur casier est effacé à leur majorité. Néanmoins, certaines affaires lourdes restent inscrites. Ce document est requis pour la délivrance de la carte professionnelle. J'accepte des jeunes avec des casiers légers, mais je ne peux pas passer outre cette exigence pour l'agent de prévention et de sécurité. Nous avons 2 cohortes de 12 jeunes par an dans chaque régiment. Dans les régiments importants, nous avons plus de jeunes en formation, car le vivier est plus large. Là encore, la formation doit permettre d'insérer le jeune dans la vie économique. Or les sociétés de gardiennage privé ont un volume de personnel dans leur structure qui ne progresserait sans doute pas à la vitesse à laquelle nous pourrions former des agents de prévention et de sécurité. Nous restons donc sur un volume modeste. Dans ces sociétés, le turn-over des agents est très élevé. En général, un agent travaille dans deux ou trois sociétés avant de changer d'orientation au bout de trois ans, car le métier reste difficile avec une rémunération faible.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Général, je suis très heureux de vous voir. J'avais éprouvé une certaine propension en faveur de ce service à l'époque et je suis resté attentif à son évolution. Le SMA est bien vu depuis longtemps. Cependant, depuis quelques dizaines d'années, certains partis politiques estiment que la formation et l'insertion des jeunes ne peuvent se concevoir sous l'angle militaire. Il existe quelques vertus à la formation civique et citoyenne et le RSMA est bien placé pour cela. Cependant, en Guadeloupe, des syndicats et des partis politiques nationalistes considèrent que ce n'est plus concevable et qu'il faut, à côté du RSMA, un autre arsenal de moyens pour des formations d'une autre nature. Ces réflexions sur la nature, l'identité, l'utilité, la pertinence et l'efficacité du dispositif sont-elles parvenues jusqu'à vous ?

À l'époque, nous nous réjouissions tous du taux d'insertion. 75 à 80 % des jeunes formés au RSMA s'inséraient alors dans l'emploi. Une polémique s'est fait jour sur la qualité de l'indicateur. Était-il vraiment fiable ? Existe-t-il un suivi pour connaître le cheminement de celles et ceux qui ont été formés au RSMA ?

Aujourd'hui, quel est le déploiement logistique du RSMA dans les territoires ? À l'époque, il existait une controverse entre la Guadeloupe et Saint-Martin. Fallait-il réserver un quota pour les jeunes saint-martinois ou construire un centre à Saint-Martin ? Il me semble que la décision a été prise de réserver 75 à 100 places pour les jeunes de Saint-Martin en Guadeloupe. La même controverse s'était fait jour à Wallis-et-Futuna. Fallait-il construire un régiment ou une brigade ? Où en sommes-nous aujourd'hui ? À Mayotte, après de longues interrogations, un régiment a été installé. Quels sont vos besoins en la matière ?

Quel est le montant de votre budget ? En 2012, l'objectif du SMA était déjà d'accueillir 6 000 jeunes. Avec le volontariat, cet objectif n'est pas si simple à atteindre. Vous en êtes proches aujourd'hui. D'autres objectifs vous ont-ils été assignés ? Il me paraît compliqué d'aller plus loin.

Quelle est la journée type d'un jeune stagiaire ? Nous avions demandé, pour parfaire le dispositif du SMA, d'installer des établissements pour l'insertion dans l'emploi (EPIDE), des organismes interministériels sous la tutelle du ministère du Travail et du ministère des Armées. Cette demande nous a toujours été refusée. Existe-t-il une raison particulière expliquant l'absence d'EPIDE dans les outre-mer ?

Avez-vous des liens avec les sessions régionales de l'Institut des hautes études de Défense nationale (IHEDN) ? Le dispositif du SMA vous paraîtrait-il pertinent pour l'Hexagone ? En guise de réponse, le SNU a été mis en place. Quel est l'avenir du SMA ? Restera-t-il réservé aux outre-mer ou pourrait-il essaimer dans l'Hexagone ?

M. Claude Peloux. - Le petit frère du service militaire adapté existe dans l'Hexagone, le service militaire volontaire. Sa structure est un peu différente. Le volume de jeunes accueillis est moindre. Sur le territoire, il existe beaucoup plus de centres de formation aptes à dispenser des formations professionnelles au profil des jeunes. L'objectif du Général Benoît Brulon qui dirige le service militaire volontaire (SMV) est de 1 500 jeunes. Un centre a été ouvert à Marseille voilà deux jours. Le Secrétariat général pour l'administration est allé sur place avec le directeur du service national et de la jeunesse pour inaugurer ce nouveau centre voulu par le président de la République à l'occasion d'un déplacement à Marseille. Le service militaire volontaire est le prolongement du SMA dans l'Hexagone.

Nous essayons d'atteindre 10 % de la classe d'âge pour armer nos régiments. J'ai demandé à mon état-major de regarder le vivier à l'horizon 2030. La classe d'âge des 18 à 25 ans s'élèvait à 400 000 jeunes. À 10 %, nous arriverions à 4 500 jeunes. Nous pouvons aller au-delà, mais nous sommes limités par la contrainte du taux d'encadrement de 20 %. Dans le cadre du plan SMA 2025, nous avions demandé une augmentation significative des effectifs. Avant de nous accorder des fonds, Bercy nous a demandé d'atteindre les 6 000 jeunes en rythme de croisière.

Le budget du service militaire adapté s'élève aujourd'hui à environ 300 millions d'euros, dont les deux tiers correspondent aux traitements et salaires des volontaires et des cadres. Le reliquat est divisé en deux parties, l'une pour le fonctionnement courant (55 à 58 millions d'euros) et l'autre pour l'investissement. Le fonctionnement recouvre l'alimentation, le soutien et l'entretien des matériels et de l'immobilier. L'investissement couvre les acquisitions nécessaires aux plateaux pédagogiques pour la formation professionnelle, les véhicules à double commande pour permettre aux jeunes de passer le permis de conduire. 67 % de mon budget vient de la loi de finances initiale (LFI), 32 % vient du fonds social européen (FSE) et le reliquat vient pour une faible part des taxes d'apprentissage et pour 1,2 à 1,5 % des collectivités territoriales.

Mme Vivette Lopez. - Merci pour votre exposé très intéressant. Je voudrais évoquer le recrutement. Certes, vous êtes militaire, mais vous ne réalisez pas cette formation pour le recrutement militaire. Néanmoins, au bout de ces 6 ou 12 mois, ces formations ont-elles pu éveiller des vocations ? Certains jeunes ont-ils la volonté d'intégrer l'armée ? L'armée est-elle intéressée par ces jeunes ? D'autres veulent-ils au contraire partir au bout de quelques jours ? Enfin, rencontrez-vous des difficultés pour trouver des entreprises qui recrutent ces jeunes ?

Mme Annick Petrus. - Merci, Général, pour votre exposé fort riche. On ne présente plus le SMA. Nous en savons tous les bienfaits sur les territoires où il est implanté. Le SMA est capable d'accueillir chaque année plus de 6 000 bénéficiaires. Ce dispositif apparaît comme particulièrement performant, puisque le taux d'insertion en emploi ou en poursuite de formation des volontaires stagiaires atteint des niveaux très satisfaisants, entre 74 et 77 %, eu égard aux caractéristiques socioéconomiques des outre-mer et des jeunes sélectionnés. De plus, ces résultats montrent une tendance à l'augmentation de la qualité de l'insertion dans la quasi-totalité des territoires, par la part croissante des emplois durables. Ainsi, la part des volontaires stagiaires bénéficiant d'un emploi durable dans les 6 mois suivant la fin de leur formation au SMA dépasse les 50 %.

À Saint-Martin, quelque 4 000 jeunes de moins de 25 ans sont déscolarisés. Ils ne sont ni dans le monde du travail ni dans celui de la formation professionnelle. Ce douloureux constat met à mal la cohésion sociale de mon territoire. Le SMA représente une solution pour ces jeunes en leur proposant des formations professionnelles parmi un panel de 28 filières de métiers, mais aussi en leur redonnant un cadre structuré et des valeurs. Cependant, le coût de formation, l'éloignement, l'absence des familles représentent des freins au départ de ces jeunes saint-martinois qui sont aussi dans l'incapacité de se loger. L'implantation d'un RSMA à Saint-Martin a été récemment remise sur la table avec la mise en place d'une compagnie de formation professionnelle ou annexe du RSMA. Cette compagnie pourrait ainsi proposer 3 ou 4 filières de formation en relation avec les besoins territoriaux (BTP, tourisme, économie bleue ou verte). J'aimerais vous entendre sur ce sujet qui nous tient particulièrement à coeur à Saint-Martin.

Depuis 2014, nous avons conclu une convention « SMA 100 » qui est renouvelée chaque année avec la collectivité, et je m'en réjouis.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Général, j'ai beaucoup apprécié votre intervention. J'ai beaucoup de respect et d'admiration pour le travail réalisé par le RSMA en Guyane et je milite pour le retour du service militaire en outre-mer. Envisagez-vous d'ouvrir, au sein du RSMA de Guyane, des sections susceptibles d'accueillir des jeunes filles mères comme vous l'avez fait ailleurs ?

M. Claude Peloux. - L'objectif prioritaire de la formation professionnelle dans les régiments du service militaire adapté n'est pas l'intégration dans les forces armées. Nombre de jeunes découvrant l'environnement dans lequel ils évoluent au quotidien imaginent faire carrière. Nous avons l'opportunité de leur proposer des carrières dynamiques de militaires du rang, de sous-officiers, voire d'officiers pour les plus brillants. L'an dernier, 584 jeunes (10 %) ont rejoint les armées. Les armées ont besoin de jeunes qualifiés dans des métiers particuliers. Le taux varie selon les territoires. Les territoires du Pacifique attirent généralement beaucoup. L'année dernière, il a attiré un peu moins que les années précédentes. 114 jeunes du RSMA de Guadeloupe ont rejoint les forces armées et les directions et services, avec un avantage pour la Marine et l'Armée de l'Air qui ont encore des implantations localement, avec des formations administratives en mesure d'accueillir des jeunes sur leur territoire. S'agissant de l'armée de Terre, les jeunes viennent d'abord dans l'Hexagone.

Depuis 2012, la convention « SMA 100 » existe à Saint-Martin. Elle a été mise en oeuvre avec d'excellents résultats les trois premières années avant d'éprouver certaines difficultés. En mettant à part l'année Covid durant laquelle les effectifs du SMA ont baissé fortement, en six ans, on note que 330 jeunes ont rejoint la Guadeloupe pour suivre une formation. Une centaine est retournée dans le territoire. 75 sont allés à l'emploi. La difficulté réside dans le fait que le préfet ne sait pas où il pourrait installer un SMA. Les échanges actuels entre le ministère des Outre-mer et la collectivité s'attachent à trouver du foncier, identifier les formations professionnelles à dispenser et les débouchés locaux. Il faut en effet trouver des sociétés en mesure d'accueillir les jeunes. Sur les six ans, 17 jeunes seulement sont allés dans le BTP à Saint-Martin. J'entends le besoin de développer les formations, mais encore faut-il des entreprises en capacité d'accueillir ces jeunes. Aujourd'hui, la porte n'est pas fermée. Cependant, nous attendons de la collectivité et du préfet les éléments de réponse demandés lors d'un échange en novembre.

Le territoire de Guyane est dynamique. Nous devrions procéder à une bascule des forces entre Cayenne et le grand-Ouest au regard de l'accélération de la population. Le choix d'implanter le RSMA à Saint-Jean en 2009 était donc une bonne idée. Ce régiment fera l'objet d'une montée en puissance liée à notre capacité à construire pour accueillir les jeunes dans de bonnes conditions. Dans le plan « Horizon 2030 » figure un item pour les jeunes mères célibataires. Nous savons que cette population est importante et souvent peu diplômée. Nous cherchons les meilleurs moyens pour accueillir ces jeunes mères célibataires avec leurs enfants.

Un premier projet majeur de crèche est en construction en Guadeloupe avec des lits partagés entre le régiment et la commune de Baie-Mahault, permettant d'accueillir ces jeunes filles, de les loger sur place, avec des horaires adaptés au rythme de vie de la jeune femme. La Réunion a travaillé sur une crèche à vocation intergénérationnelle. Les jeunes filles sont logées dans un bâtiment avec des personnes plus âgées qui sont en mesure d'aller chercher les enfants, charge pour les jeunes filles de participer à la vie de la communauté. En Guyane, le sujet fera l'objet d'une démarche particulière. Nous conduisons une expérimentation et nous la généraliserons quand elle sera validée.

Aujourd'hui, tous les régiments du service militaire adapté peuvent proposer le permis pour tous les jeunes éligibles, qui sont dans les règles. Le jeune contrôlé positif durant son séjour au régime ne sera pas présenté à l'examen. Le permis de conduire n'est pas un permis de tuer. Nous essayons de faire décrocher le jeune de ses addictions. 88 % des jeunes sont présentés au permis de conduire, avec un taux de réussite de 81 %. Malgré le fort taux d'illettrisme de nos jeunes, l'implication du jeune et des formateurs leur permet d'obtenir ce sésame qui conditionne leur accès à l'emploi. À Mayotte, nous avons mis en place des simulateurs de conduite. 60 % des jeunes mahorais arrivant au régime sont illettrés au regard des critères de l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme (Anlci). Je duplique ce dispositif dans les autres formations administratives, parce qu'il fonctionne. Nous avons ainsi gagné près de 5 points cette année dans la réussite au permis de conduire.

M. Thani Mohamed Soilihi. - À mon tour, je tiens à saluer la qualité du SMA. Il est important de dire ce qui marche dans nos territoires, car ce n'est pas toujours fait. Je reviens à la charge. Nous avons bien entendu vos propos sur ce seuil critique que vous avez atteint ou que vous êtes en passe d'atteindre, et sur le fait que le SMA ne saurait en faire plus. L'adaptation constitue l'une de vos marques de fabrique et l'une des raisons de votre succès en outre-mer.

En tant qu'élu, je ne peux pas me résoudre à constater, dans mon territoire, à la fois l'excellence et le pire. Il faudrait que le SMA puisse contribuer à nous aider. La formation est d'abord l'apanage des collectivités. Pourrions-nous imaginer un dispositif intermédiaire pour aider à encadrer, structurer et donner une seconde chance aux jeunes de ces territoires (Guyane, Mayotte, Saint-Martin) où la jeunesse augmente ?

M. Claude Peloux. - Les territoires sur lesquels la population est en augmentation vont bénéficier de la bascule que j'évoquais tout à l'heure afin d'aller chercher plus de jeunes. À terme, la 2e plus grosse formation administrative du service militaire adapté après La Réunion qui accueille 1 400 jeunes par an sera située à Mayotte et la Guyane sera très proche derrière. Il faut d'abord pouvoir construire. Vous connaissez Mayotte. Nous sommes actuellement à la recherche d'un terrain sur lequel nous pourrons créer une nouvelle unité pour désengorger Combani et accueillir mieux et plus. À terme, nous devrions accueillir près de 1 000 jeunes à Mayotte, comme en Guyane.

Nous travaillons en lien avec les rectorats, mais nous ne pouvons pas multiplier les formations. Nous avons développé le parcours volontaire « jeune cadet » qui obtient d'excellents résultats. 90 % des jeunes reprennent l'école et passent au niveau supérieur. Pour des raisons juridiques, j'ai préféré transformer le statut de ces jeunes cadets en créant une préparation militaire du service militaire adapté qui donne un cadre juridique plus fort pour la formation administrative et permet au jeune de bénéficier d'une assurance particulière, ainsi qu'un suivi médical par les médecins militaires, ce qui n'était pas le cas précédemment. Cette préparation militaire dure un mois. Elle est perlée pour les jeunes de l'Éducation nationale. Pendant les deux mois d'été, nous pourrions envisager de mettre cette préparation militaire du SMA à profit pour accompagner d'autres jeunes que ceux qui sont en décrochage scolaire.

Je ne suis pas le seul acteur pour éduquer la jeunesse. Mon seul avantage réside dans le contrat. Je suis en mesure de sanctionner et de contraindre le jeune. Je peux aussi le récompenser, ce que d'autres dispositifs ne peuvent pas faire. Un jeune qui ne vient pas en formation professionnelle sera sanctionné et retournera dans la formation professionnelle. En lycée professionnel, le jeune n'a pas de contrainte au-delà de 16 ans. Cette contrainte fait aussi la force du dispositif. Nous l'utilisons bien sûr avec bienveillance.

Mme Vivette Lopez. - Existe-t-il des jeunes qui décrochent complètement ?

M. Claude Peloux. - Bien évidemment. Certains ne s'attendaient pas forcément au mode de vie que nous imposons. Plutôt que de se lever à midi pour se coucher à minuit, ils doivent se lever à 5 heures et se coucher à 21 heures. Beaucoup de jeunes sont reconnaissants, car nous avons réussi à les remettre dans un rythme qui n'était pas le leur. Nous avons un taux d'attrition de 10 %.

On constate aussi que parmi les engagés dans l'armée outre-mer, sur 600 jeunes ultramarins par an environ, le taux d'attrition s'élève à 4 % pour ceux déjà passés par le SMA, contre 20 % pour les autres.

M. Saïd Omar Oili. - Certes, vous n'avez pas à vous occuper de la jeunesse. Cependant, notre rôle d'élus consiste à relever ce qui ne va pas dans nos collectivités. Vous avez indiqué que 60 % des jeunes sont illettrés à Mayotte. Aujourd'hui, 50 % de la population est étrangère. J'étais professeur au lycée. J'avais de très bons élèves qui ne pouvaient malheureusement pas entrer dans des dispositifs de formation, parce qu'ils n'avaient pas de papiers. Or, il faut d'abord être Français pour entrer dans le dispositif de formation du SMA. J'interroge les élus que nous sommes. Que faisons-nous de ces jeunes de plus en plus nombreux ? On leur a menti en quelque sorte. Lorsque nous les avons mis à l'école, nous leur avons dit qu'ils allaient s'en sortir en suivant une formation. Certains ont leur bac. Certains ont une carte de séjour. Or, il n'existe aucun dispositif pour eux. Cette réflexion doit être menée sérieusement. À Mayotte, 75 % de la population des prisons sont des jeunes étrangers sans papiers. Quand ils sortent, nous voyons ce qui se passe dans nos villages.

Mme Micheline Jacques, président. - J'aimerais aussi exprimer mon soutien à l'initiative du SMA. Je milite pour le faire perdurer et peut-être le développer davantage. Vous avez évoqué certains jeunes avec un casier judiciaire et le volontariat. Je pensais aux relations que nous pourrions nouer avec la justice. Certains jeunes qui commencent à dévier, avec des peines mineures, pourraient se voir proposer de rejoindre le SMA, comme une 2e chance, au lieu d'aller en prison pour de petites peines dont nous connaissons l'effet dévastateur sur ces jeunes. Je suis disposée à défendre cette idée dans le cadre de mes fonctions de parlementaire.

M. Claude Peloux. - Le SMA est géré par le code de la défense. Pour accueillir des étrangers, il faudrait revoir ce code. La question m'est souvent posée en Guyane ou à Mayotte. Aujourd'hui, nous n'accueillons que des jeunes Français de 18 à 25 ans. Il existe d'autres organismes de formation professionnelle, comme les Apprentis d'Auteuil ou le groupe SOS. Je ne suis pas non plus le préfet de Mayotte qui a, dans sa main, quelques régularisations et naturalisations possibles.

Certains volontaires du service civique viennent appuyer dans la phase de remédiation sur la partie lire, écrire, compter, assistant les professeurs de l'Éducation nationale mis à la disposition de nos formations administratives. Les EPIDE constituent des dispositifs similaires au SMA pour des populations plus jeunes (16-18 ans). À ma connaissance, la population accueillie est encore plus « cabossée » par la vie que les jeunes que nous accueillons dans nos formations administratives. Vous évoquiez une continuité. Il faut assurer une certaine cohérence. Mes médecins, psychologues et assistantes sociales travaillent déjà au profit d'une population abîmée. La duplication de ce dispositif propre au SMA dans les EPIDE pourrait peut-être déjà aider les jeunes à être mieux armés lorsqu'ils en sortent à 18 ans. Le taux d'insertion est assez similaire à celui du SMA, mais le travail de fond est bien plus important, compte tenu de la population accueillie. J'ignore les raisons pour lesquels le dispositif des EPIDE n'a pas été dupliqué dans les territoires ultramarins.

S'agissant des jeunes délinquants, nous avons un partenariat avec le ministère de la Justice. Ce protocole a d'abord été décliné auprès du service militaire volontaire avant d'être signé par le ministre des Outre-mer avec la protection juridique de la jeunesse. Nous avons un partenariat de connaissance mutuelle, de présentation des filières professionnelles et de volontariat du jeune dès lors que son casier judiciaire a été blanchi en passant de la minorité à la majorité. Nous n'acceptons pas de crime de sang ni de trafiquants. Avec une population fragile et beaucoup de jeunes filles, nous ne tolérons pas non plus de jeunes accusés de harcèlement, violences faites aux femmes ou violences sexuelles non consenties. Aujourd'hui, 8 % de nos jeunes sont originaires de la PJJ et ne le disent pas pour ne pas être stigmatisés. Le dispositif n'a pas vocation à n'accueillir que des jeunes de la PJJ, car cette caractéristique démotiverait les parents à orienter leur jeune vers nos formations.

Nous essayons d'agir en lien avec la PJJ, sur certains cas particuliers, au fil de l'eau dans l'année pour éviter de constituer une cohorte. Le député Nicolas Metzdorf avait souhaité que nous puissions accueillir des jeunes dont les peines de prison pouvaient aller jusqu'à trois ans. Il paraît difficile de commuer une peine de prison en formation professionnelle. Ce n'est pas mon métier. Mes cadres ne sont pas des éducateurs spécialisés ni des responsables de centres pénitentiaires. Nous devons continuer d'agir en bonne intelligence, au regard du contenu du casier judiciaire. Certains jeunes avec des casiers judiciaires non effacés ont connu de très belles réussites. Nous ne fermons pas la porte, mais nous ne souhaitons pas que nos régiments deviennent une alternative à la peine de prison. Nous brouillerions le message et, par effet réputationnel, nous aurions moins de familles poussant leurs jeunes en difficulté vers nos régiments.

Mme Micheline Jacques, président. - Je l'entends parfaitement. Je pensais à de petits jeunes qui se voient infliger des peines d'intérêt général ou de premier avertissement, qui sont en train de glisser vers la délinquance et dont les familles sont démunies pour les sortir de cette dérive.

J'aimerais vous remercier encore. Le dispositif est salué. Le SMA a fait toutes ses preuves et pourrait servir d'exemple positif pour la France hexagonale. J'ai noté qu'il faudrait peut-être revoir le code de la défense. Nous auditionnerons très certainement les ministères concernés sur ces sujets très importants et essaierons de lever le verrou du règlement général sur la protection des données pour nous éclairer davantage sur l'évolution de ce dispositif très important pour nos territoires.

Je vous remercie infiniment. Les contributions écrites sont également les bienvenues.

Jeudi 14 mars 2024

Audition de Christian Nussbaum, chef de la mission outre-mer de la direction générale de la police nationale (DGPN)

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, dans le cadre de la préparation de notre rapport sur l'adaptation des modes d'action de l'État dans les outre-mer, nous auditionnons ce matin le contrôleur général Christian Nussbaum, chef de la mission outre-mer à la direction générale de la police nationale (DGPN), et Cécile Personeni, commandante adjointe à la mission outre-mer. Nous vous remercions de participer ce matin à cette audition.

Monsieur Christian Nussbaum, vous avez été nommé en 2020 auprès du directeur général de la police nationale pour suivre les questions outre-mer, ce qui vous donne le recul nécessaire pour juger des forces et faiblesses de l'action de l'État outre-mer dans votre domaine.

Votre nomination a coïncidé avec la création des directions territoriales de la police nationale outre-mer. En 2022, la création d'une mission outre-mer proprement dite auprès du DGPN a été formalisée.

Vous pourrez en dresser le bilan, ainsi qu'établir des points de comparaison avec l'organisation du commandement de la gendarmerie nationale outre-mer. Nous avons, en effet, auditionné, en janvier dernier, le général Lionel Lavergne. Ce dernier a vanté l'existence d'une équipe France dans les outre-mer sur le sujet régalien de la sécurité. Vous nous direz si vous partagez ce point de vue et comment aller plus loin le cas échéant.

La délégation aux outre-mer revient d'un déplacement à La Réunion où nos deux rapporteurs, Philippe Bas et Victorin Lurel, ont pu rencontrer la quasi-totalité des acteurs de la sécurité et de la justice sur l'île. Je les laisserai vous interroger après votre exposé liminaire, puis nos autres collègues interviendront s'ils le souhaitent.

Notre sentiment général a été que sur ce territoire ultramarin, le besoin d'adaptation des règles et des normes n'était pas significatif dans le cadre de vos missions de police, même si des ajustements sont toujours possibles. Vous nous direz si, sur d'autres territoires, votre constat est différent.

Nous n'ignorons pas évidemment les immenses défis à relever, comme en Guyane ou à Mayotte.

Monsieur Christian Nussbaum, vous avez la parole.

M. Christian Nussbaum, chef de la mission outre-mer de la Direction générale de la police nationale (DGPN). - Je vous remercie pour cette invitation, qui me permettra de vous expliquer le dispositif de la police nationale en outre-mer. Ce dispositif a été profondément modifié depuis 2020 puisqu'une mission outre-mer a été créée au sein de la direction générale de la police nationale. Je suis l'heureux premier titulaire à ce poste. Je me suis attelé à constituer une équipe, installée place Beauvau, qui pilote les territoires ultramarins au travers des 7 directions territoriales de la police nationale. Trois de ces directions (Guyane, Nouvelle-Calédonie et Mayotte) avaient été créées au 1er janvier 2020. À l'issue d'un bilan, le directeur général a proposé au ministre l'extension du dispositif à l'ensemble des territoires ultramarins sur lesquels la police avait un dispositif. Les directions territoriales de la police nationale (DTPN) de Guadeloupe, Martinique, La Réunion et Polynésie française ont été créées au 1er janvier 2022, si bien que l'ensemble du dispositif ultramarin est maintenant en place.

Ce projet n'a pas du tout été expérimental. Il n'avait pas vocation à être lié au projet qui s'est mis en place en métropole au 1er janvier 2024. Le sort de l'organisation ultramarine n'a jamais été lié à la mise en place ou non de la réforme en métropole. Il était important que nous le fassions savoir aux collègues ultramarins. Quoiqu'il advienne, l'organisation mise en place outre-mer avait vocation à perdurer.

Le dispositif de la police nationale en outre-mer comprend 6 500 fonctionnaires, soit un peu plus que la gendarmerie. Ce faisant, nous couvrons 1 % des outre-mer et 30 % de la population. Nous traitons 50 % de la délinquance sur les items « homicides volontaires », « tentatives d'homicides volontaires » et « vols avec violence ». Ce dispositif est donc important. La direction générale a toujours eu la volonté de consolider son dispositif ultramarin. Cela s'est concrétisé par des augmentations de moyens et d'effectifs. L'ensemble des territoires ultramarins ont 30 % d'effectifs en plus par rapport à 2016. À Mayotte et en Guyane, l'augmentation est de 50 %, ce qui est énorme dans le contexte actuel. Des efforts importants devaient être faits. Ils l'ont été. Cela concerne aussi la nouvelle organisation, qui donne entière satisfaction.

Les principaux objectifs de la réforme sont atteints. Il existe dorénavant un véritable chef de police sur chaque territoire ultramarin. Ce chef de police est l'unique interlocuteur des partenaires. L'ensemble des forces de police sont rassemblées sous une même autorité, ce qui permet au directeur territorial d'adapter son dispositif comme il l'entend.

Cette gouvernance locale complètement modifiée n'est pas pour autant devenue indépendante. La mission outre-mer doit veiller à ce que le dispositif soit bien utilisé dans chaque territoire, dans l'intérêt général. Cela donne beaucoup de facilité et de souplesse aux DTPN dans les gestions des ressources humaines et des budgets.

Nous avons obtenu des résultats. Ainsi, la police judiciaire, et notamment sa direction nationale, est désormais impliquée sur l'ensemble des territoires ultramarins. Avant la réforme, des unités de l'ancienne direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) n'étaient présentes qu'en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe. À présent, il existe aussi un service de police judiciaire à La Réunion, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte. La direction nationale de la police judiciaire s'occupe de l'intégralité des territoires ultramarins.

La délinquance outre-mer est un vrai sujet pour la police nationale. La criminalité est beaucoup plus élevée dans la plupart des territoires ultramarins que dans l'Hexagone, notamment sur les items « homicides volontaires », « tentatives d'homicides volontaires » et « vols avec violence ».

Le dispositif a été complètement réorganisé, il donne entière satisfaction mais nous pouvons encore trouver des voies d'amélioration. Voilà pourquoi il est très important de recueillir vos remarques. L'adaptation du dispositif passe par la discussion avec les élus et les personnes de terrain, de manière à améliorer la situation et notre prestation, dont le seul objectif consiste à mieux protéger la population.

Parmi ces pistes d'amélioration, je pense que nous devons mettre en oeuvre des solutions innovantes de coopération et de collaboration avec la gendarmerie. Je ne suis pas certain, eu égard à la configuration de la plupart des territoires ultramarins, que ce soit toujours la patrouille de police ou de gendarmerie la plus proche du lieu de l'appel qui intervient. Nous avons déjà évoqué des pistes avec nos collègues gendarmes. Nous ne cessons de réfléchir aux pistes d'amélioration à mettre en place.

Je pense avoir répondu à quelques-unes des questions que vous m'aviez transmises en amont. Je suis à l'écoute de vos autres questions. Je me ferai un plaisir d'y répondre.

Mme Micheline Jacques, président. - La parole est à notre rapporteur.

M.  Philippe Bas, rapporteur. - Nous essayons de mesurer les adaptations utiles à nos outre-mer dans les modes d'action de l'État. Nous avons choisi comme point concret d'observation les missions régaliennes de l'État : police, gendarmerie, justice, système pénitentiaire, voire contrôle des frontières. Nous en sommes au commencement de ce travail, que nous avons entrepris avec quelques intuitions fortes qui viennent de l'expérience de nos collègues ultramarins, et qui montrent une grande diversité de situations.

Certaines collectivités sont particulièrement exposées à des flux migratoires qui sont sources d'insécurité. C'est notamment le cas de Mayotte et de la Guyane, mais nous avons aussi pu constater l'émergence d'une pression croissante dans des territoires réputés calmes.

J'imagine que vous disposez de chiffres qui viennent corroborer la préoccupation que nous avons concernant la sécurité, l'ordre public, les violences urbaines et les violences intrafamiliales. La délinquance est parfois ultraviolente, notamment à Cayenne et à Saint-Laurent du Maroni. Elle est liée notamment à l'immigration haïtienne et surinamienne.

Une réflexion a-t-elle été engagée, ou le sera-t-elle, sur les limites auxquelles nous nous heurtons du fait de l'application sans distinction des mêmes règles, en matière de police judiciaire et d'interpellation, outre-mer et en métropole ? Si cette réflexion a lieu, vous pourrez nous éclairer afin que nous puissions faire des propositions adéquates pour améliorer votre efficacité.

M. Christian Nussbaum. - Une étude est en cours à Mayotte sur les dispositions qui pourraient être proposées. Il existe une urgence à traiter ce territoire. Plus généralement, il y a des bonnes choses réalisées dans les outre-mer qui mériteraient d'être étendues. Ainsi, il serait intéressant qu'une étude soit menée sur l'impact qu'ont eu, en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie, les restrictions sur la vente d'alcool. Outre-mer, les faits de violence aux personnes sont souvent commis sur fond de consommation excessive de produits stupéfiants et d'alcool. Nous essaierons de lancer une étude sur le sujet en vue de formuler des propositions pour d'autres territoires.

Il ne faut pas tomber dans des régimes trop différents concernant les pouvoirs régaliens de l'État. Il faut rester proche d'un fonctionnement équitable pour tout le monde, même si dans les faits, des fonctionnements sont déjà différents. Le dispositif peut être adapté. Je pense notamment aux interpellations de mules en Guyane. Il existe des différences de traitement qui ne sont pas le fait de la police, mais qui existent de par le fonctionnement de la justice et de la police.

D'autres éléments pourraient améliorer le dispositif. La porte a été ouverte avec la décision du ministère de l'Intérieur d'envoyer des compagnies républicaines de sécurité (CRS) lors de l'opération Wuambushu conduite à Mayotte en 2023. Aucun CRS n'était plus allé outre-mer depuis des dizaines d'années. La porte est ouverte. J'espère qu'elle pourra de nouveau être utilisée.

Outre-mer, il n'y a que des gendarmes mobiles. Ils sont normalement à la disposition du territoire, mais ce n'est pas toujours simple. Il est parfois difficile d'obtenir le concours des forces mobiles de gendarmerie qui sont déployées sur les territoires. Nous y arrivons, mais nous aimerions avoir de la souplesse sur l'envoi de forces lorsqu'elles sont disponibles et lorsque c'est nécessaire. Cela nous permettrait de sécuriser les territoires en cas de violences urbaines importantes.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Merci pour vos explications. J'en profite pour louer le travail qui est accompli sur le terrain. Ce n'est pas facile. Il y a beaucoup d'insatisfaction de la part des citoyens, mais nous savons que les hommes et les femmes à vos côtés sont extrêmement engagés.

Vous dîtes que l'objectif de la réorganisation de la DGPN a été atteint. Effectivement, c'est plutôt une satisfaction sur le plan organisationnel. Néanmoins, l'insécurité ne cesse de croître dans certains territoires.

Je sais que vous revenez de Mayotte. Vous connaissez parfaitement la situation de ce territoire. Nous sentons actuellement une amélioration. Nous avions préconisé un changement de doctrine, notamment en allant chercher les voyous dans leurs repères. C'est ce qui semble se produire sur le terrain. Comment faire pour que cette amélioration continue et qu'elle soit pérenne ? L'exaspération de la population provient aussi du fait que la violence reprend crescendo après chaque moment d'amélioration. Ces moments de reprise sont d'une extrême violence. Que faire pour que le calme revienne de façon durable à Mayotte ?

Il a été question, tout en respectant les règles d'équilibre de notre démocratie, de faire venir davantage d'originaires mahorais en renfort de vos hommes. Les originaires connaissent le terrain, les langues et les recoins. Où en sommes-nous de cette demande particulière ? J'ai cru comprendre qu'une campagne de recrutement supplémentaire a été lancée.

Votre travail engagé et formidable serait vain si le traitement judiciaire n'était pas à la hauteur. Des mineurs qui commettent des délits et des crimes à Mayotte sont envoyés, faute de structure sur place pour les encadrer, en centres éducatifs fermés à La Réunion. Ils sont relâchés dans la nature à l'issue de leur enfermement, si bien que nous assistons aujourd'hui à une recrudescence de la violence à La Réunion.

Même si d'aucuns pourraient être choqués, le lien entre immigration et insécurité n'est plus discuté dans nos territoires. Beaucoup d'auteurs d'infractions sont arrêtés et jugés, mais les conditions dans lesquelles ils sont incarcérés n'atteignent pas toute leur dimension punitive. Ces personnes proviennent d'endroits où la misère et la promiscuité sont telles que faire de la prison en Mayotte ou à Guyane peut poser souci. Qu'est-ce qui pourrait être fait, notamment en matière de coopération judiciaire, pour que les pays dont ces personnes sont originaires reprennent leurs ressortissants, alors que nos prisons sont pleines ?

M. Saïd Omar Oili. - Je m'associe complètement à ce qui vient d'être dit.

Tous les indicateurs de la délinquance sont en hausse dans l'archipel de Mayotte en 2023. En nombre d'homicides, nous sommes en 4e position derrière la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe. Les coups et blessures volontaires sur les personnes sont en progression de 12 % par rapport à 2022. Les vols d'accessoires sur les véhicules sont en hausse de 20 %. Je pourrais continuer comme cela longtemps.

La délinquance à Mayotte est spécifique, et pas uniquement au niveau de son intensité. Cela renvoie à l'adaptabilité dont doit faire preuve la police. Cette délinquance se développe dans un environnement géographique très différent de la métropole. Nos zones urbaines sont très différentes. Les délinquants connaissent parfaitement bien les petits chemins escarpés. Les parties urbaines mahoraises sont entourées de zones avec de la végétation souvent très dense et des pentes qui permettent aux délinquants de disparaître très rapidement. Nous l'avons vu avec l'opération Wuambushu.

Nos délinquants sont principalement des jeunes, voire des très jeunes de 12 à 15 ans. Le chef de bande peut avoir 19 ans. Ces jeunes agissent en bande. Le plus souvent, ils n'ont pas de référent adulte. Ils courent très vite, dans un environnement de brousse qu'ils connaissent parfaitement. Les policiers mahorais connaissent très bien ces endroits. Pensez donc à faire venir des jeunes mahorais qui connaissent les lieux en cas d'opération Wuambushu 2.

L'opération Wuambushu avait pour objectif de lutter contre cette forte et spécifique délinquance à Mayotte. D'ici quelques semaines, une opération Wuambushu 2 est programmée. Quels enseignements avez-vous tirés de la première opération ? Quel bilan en faites-vous ? Les élus n'avaient pas été informés de cette opération en amont. À présent qu'elle est passée, nous n'avons pas eu de retour. Je ne doute pas que la direction de la police nationale a effectué une évaluation de la première opération. À Mamoudzou, vos fonctionnaires se trouvent au centre du foyer le plus intense de la délinquance. Je voudrais saluer et remercier ces policiers, qui sont sur le pont tous les jours dans des conditions difficiles avec des moyens réduits. Quels enseignements tirez-vous de Wuambushu 1 ? Quelles propositions comptez-vous faire dans le cadre de Wuambushu 2 ?

M. Christian Nussbaum. - Je ne peux pas me permettre de juger des suites judiciaires qui sont données aux interpellations. Ce n'est pas mon rôle. Vous constatez comme moi que certaines améliorations ont été apportées. Nous devons faire perdurer ce petit signe positif. Cela suppose des décisions fortes. L'emploi du RAID est très efficace, à tel point que son antenne a été pérennisé à Mayotte. Son règlement d'emploi a aussi été assoupli. À ce propos, je souligne la compréhension et la bienveillance du chef du RAID, qui a accepté cette adaptation. Normalement, le RAID doit être appelé lorsque des collègues ou des citoyens sont en difficulté. Avec l'accord de son chef, nous prépositionnons le RAID en cas d'opération, si bien qu'il peut intervenir plus rapidement. Cela concourt à améliorer notre efficacité. Il faut vraiment que nous impactions les malfaiteurs.

Par ailleurs, nous avons décidé de la création à Mayotte d'une force intermédiaire. Entre le RAID et les collègues de la BAC, du GSP ou de la police secours, l'espace est trop grand. Lorsque les collègues de la BAC ou du GSP interviennent pour libérer un barrage, ils ne peuvent pas partir derrière les malfaiteurs, sinon la route n'est plus sécurisée et de nouveaux barrages sont érigés. Cette force intermédiaire doit permettre de maintenir le dispositif de police sur le barrage et de partir derrière les malfaiteurs. Le recrutement est en cours. Un appel ponctuel à candidature a été lancé au niveau national. 50 fonctionnaires seront recrutés. Ils seront équipés d'unités canines. Ces personnes seront sur place d'ici le 1e mai. Elles seront équipées et formées pour aller chercher les délinquants. Les malfaiteurs ne comprennent pas s'ils ne se font pas arrêter. Cette force nous permettra donc d'être plus offensif.

Les policiers d'origine mahoraise sont nécessaires. Nous en employons déjà beaucoup. À Mayotte, le taux d'originaires est supérieur à 50 %. L'appel à candidature a été lancé avec des conditions statutaires abaissées quant au temps de présence dans l'Hexagone. Nous pourrons donc recruter beaucoup de jeunes mahorais. L'objectif de cette unité spécialisée sera de procéder à des interpellations et de présenter les personnes interpelées à la justice. La DNPJ s'implique totalement dans le dispositif judiciaire. Un groupe d'une dizaine de fonctionnaires entièrement dédiés à la lutte contre les phénomènes de bandes est en cours de création au sein de la division d'investigation spécialisée. Nous essaierons d'augmenter nos capacités de renseignement.

Il y a donc des avancées en matière judiciaire. Dans le cadre de Wuambushu 1, rien n'a mieux fonctionné que l'interpellation des chefs de bande. Nous essayons de réitérer ce qui a été fait. L'opération Wuambushu 2 est en cours de préparation. Nous chercherons à être beaucoup plus efficaces, même si l'opération sera peut-être moins importante en termes de personnel. Nous aurons tiré les enseignements de la première opération. Nous bénéficierons de renforts temporaires pour le temps de l'opération. Il s'agira notamment d'enquêteurs spécialisés dans la lutte contre les réseaux d'immigration depuis la Tanzanie. Nous ferons aussi venir des enquêteurs judiciaires pour interpeler des chefs de bande. Nous préparons les dossiers qui nous permettront de cibler ces malfaiteurs et de les présenter à la justice. L'un des objectifs de Wuambushu 2 sera d'être encore plus performant sur le volet judiciaire.

Mme Audrey Bélim. - Je salue le courage et la sincérité des propos de mes collègues de Mayotte. À La Réunion, l'inquiétude grandit. J'ai pu constater, lors de mes échanges avec la préfecture et d'autres responsables de la sécurité, notamment des syndicats de police, une demande grandissante de renforts afin de lutter contre des phénomènes que nous n'avions jamais connus jusqu'alors, et qui viennent fragiliser la fraternité que nous avons avec Mayotte. Sans prise en charge sérieuse et sans véritables réponses pour pallier aux inquiétudes des Réunionnais, le « vivre ensemble » risque d'être fragilisé. Une réflexion a-t-elle été engagée sur l'apport de renforts supplémentaires pour faire face à ce qu'il se passe exceptionnellement sur le territoire ?

Par ailleurs, nous avons une problématique lourde autour des violences intrafamiliales. Nos services de police et de gendarmerie sont formés. Les choses sont faites très correctement. Néanmoins, la question de la judiciarisation se pose. Lorsqu'une personne est interpelée et mise en garde à vue une fois, deux fois, et que son procès n'est prévu qu'en fin d'année... comment pouvons-nous aider à faciliter la judiciarisation ?

Enfin, nous recevons beaucoup de demandes de mutation de policiers. La loi Égalité réelle a posé les critères d'intérêts matériels et moraux. En est-il systématiquement tenu compte dans les demandes de mutation ? Nous avons des situations de grande souffrance qui affectent des carrières professionnelles, en lien avec ce besoin de retour.

M. Christian Nussbaum. - Je vais vous tenir un discours de vérité. La mission outre-mer a vocation à assurer la gouvernance de l'ensemble des territoires ultramarins. J'assure cette gouvernance dans l'intérêt général du dispositif.

Nous avons beaucoup de jeunes réunionnais qui entrent dans la police nationale, qui passent le concours et qui, ensuite, se retrouvent bloqués en métropole sans pouvoir rentrer. Dès lors que les effectifs ont atteint le plafond fixé par le ministre sur un territoire, il est compliqué d'aller au-delà.

Si La Réunion est plus calme que d'autres territoires ultramarins, c'est peut-être parce qu'il y a beaucoup de policiers. Il faut maintenir le nombre de policiers qui sont en poste à La Réunion. C'est ce que nous essayons de faire, avec les limites que vous devez comprendre et les priorités qui sont les nôtres. Par comparaison, nous avons du mal à recruter à Mayotte et en Guyane, où les faits de violence et de délinquance sont beaucoup plus nombreux qu'à La Réunion. Il y aura toujours des mutations qui interviendront. Il est aussi important que des locaux s'investissent sur des postes d'encadrement. À La Réunion, nous devons encourager les jeunes policiers à passer les concours internes pour évoluer, ce qui leur permettra ensuite de venir en métropole sans forcément avoir envie de repartir car ils auront une carrière à faire.

Je connais une technicienne police technique et scientifique (PTS) de La Réunion qui a réussi le concours d'ingénieur. Elle sera immédiatement affectée à La Réunion à sa sortie d'école. Nous pouvons faire des efforts ponctuels de ce type.

Les effectifs de terrain gèrent la situation. Mon collègue de La Réunion le confirme. Les policiers réunionnais sont très motivés. Nous ne sommes pas en difficulté. Il faut que cela dure, tout en veillant à contenir les phénomènes de violences urbaines impliquant des jeunes originaires de Mayotte. Vis-à-vis de ces jeunes de Mayotte qui sont à La Réunion, il faut que nous soyons très présents et que nous procédions à des interpellations rapides. Nous avons le dispositif. Les personnels sur place sont performants. Ils ont procédé à 7 ou 8 interpellations lors des violences urbaines qui ont eu lieu en début de semaine. Nous ne sommes pas désarmés ou en difficulté. Nous y veillons.

Mme Céline Personeni, commandante fonctionnelle. - Les centres d'intérêt matériels et moraux ont été pris en compte. La réforme de la circulaire mutation pour le corps d'encadrement et d'application (CEA) les a placés en priorité légale d'affectation. Chaque fonctionnaire qui peut se prévaloir d'un centre des intérêts matériels et moraux (CIMM) le fait reconnaître dès son entrée dans l'administration. Il bénéficie ensuite de 25 points par mois au cours des mouvements que nous réalisons chaque année, contrairement à une personne de l'Hexagone qui souhaiterait partir dans les îles. Le capital points des « cimmiens » augmente donc très vite, si bien qu'ils sont prioritaires d'autorité pour repartir dans leur île. Ce système fait néanmoins que nous avons « embolisé » les postes que nous pouvions fournir. Chaque année, il y a de moins en moins de postes prévus pour La Réunion. C'est le revers de la médaille. C'est à peu près la même chose dans tous les territoires.

M.  Philippe Bas, rapporteur. - Nous revenons de La Réunion. Certains d'entre nous connaissaient peu, ou pas du tout, ce département. De prime abord, nous avons eu l'impression d'un département quasiment métropolitain, mais lorsque nous nous plongeons dans les réalités de La Réunion, nous constatons que ce n'est pas exactement le cas. Cette image d'un très bon niveau de développement et d'un mode de vie qui se rapproche de celui de nos départements métropolitains méditerranéens empêche parfois de prendre en compte des réalités locales qui ne sont pas si rassurantes que cela. Ainsi, le phénomène des violences familiales est largement lié à l'alcoolisme, qui se répand chez les femmes comme chez les hommes. Le phénomène des violences urbaines semble s'aggraver du fait de l'arrivée de mineurs mahorais que leurs familles envoient à La Réunion pour les mettre à l'abri de la situation à Mayotte, et qui sont livrés à eux-mêmes. Ce n'est pas un mouvement politisé ou théorisé. C'est juste l'envie d'exister en défiant l'autorité. L'autorité est complètement défaillante dans les familles qui recueillent ces jeunes. Ces familles n'ont pas la capacité de s'en occuper.

J'ai l'impression que La Réunion n'est pas considérée comme prioritaire du point de vue de la sécurité. Dans l'évaluation des besoins en effectifs de La Réunion, il n'est pas tenu compte de la nécessité de donner un coup d'arrêt à un phénomène de violences urbaines qui s'amplifie. Si vous rapportez le nombre de policiers à la population de Saint-Denis de La Réunion, vous considérez que tout va bien. Si vous regardez les délais d'intervention, vous constatez que l'étendue du territoire à contrôler est considérable. Il faut donc que des patrouilles soient constamment de sortie pour que l'une d'entre elles puisse se porter sur les lieux d'un incident le plus rapidement possible. Si vous ajoutez à cela les procédures administratives que les patrouilles doivent parfois remplir, vous constatez que la disponibilité pour intervenir en urgence est relativement réduite.

Je ne veux pas dramatiser. Je n'ai pas les moyens de comparer La Réunion avec toutes les collectivités d'outre-mer. Néanmoins, je suis revenu de La Réunion avec une intuition, à vérifier, qui est qu'à force de considérer que tout va bien, on finira par laisser se dégrader la situation. Il ne faudrait pas que s'installe l'idée que tout va bien à La Réunion et que nous ne devons pas nous préparer à l'aggravation du risque de sécurité.

M. Christian Nussbaum. - Je vous rejoins concernant les débuts de violences urbaines impliquant des jeunes mahorais et les violences intrafamiliales. Il y aura quelques renforts d'effectifs. Il faudra qu'ils soient ciblés, notamment en fonctionnaires spécialisés dans le traitement des violences intrafamiliales. Ces renforts ne sont pas très importants en nombre d'ETP.

Je comprends ce que vous dites concernant les violences urbaines. Néanmoins, on peut considérer que les effectifs actuels de la DTPN sont en mesure de faire face. Nous ne sommes pas en difficulté. Ce n'est pas pour autant qu'il faut penser que tout va bien et que rien ne peut arriver. Il faut donc à tout prix maintenir le bon niveau d'effectif que nous avons à La Réunion et veiller à ce qu'il ne baisse pas. Si La Réunion est un territoire à peu près contrôlable, c'est peut-être parce que les forces de sécurité y sont en nombre suffisant. Nous devons donc avoir pour objectif de maintenir ce niveau d'effectif, en espérant qu'il n'y ait pas de nouveaux problèmes. J'ai fait le point avec le directeur territorial sur les violences urbaines qui commencent à s'y dérouler : nous arrivons à contrôler la situation.

M. Jean-Gérard Paumier. - Vous avez dit que les taux de criminalité étaient plus élevés dans les outre-mer qu'en métropole. Quelles en sont les raisons ?

Le dispositif de sécurité vous paraît-il suffisamment agile et efficace pour faire face à une délinquance de plus en plus jeune ? Les rapprochements police-gendarmerie sont une chose, mais nous savons bien que les mots cachent parfois des réalités différentes.

Les ratios d'affectation des forces de sécurité tiennent-ils suffisamment compte de la spécificité des territoires ?

Enfin, il est important d'avoir des représentants locaux qui connaissent bien les territoires. À Saint-Pierre-des-Corps en Indre-et-Loire, j'ai pu constater que le renforcement de la médiation et de la prévention avait contribué à faire baisser la tension et à aider singulièrement les forces de l'ordre.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Il a été question du lien entre immigration, violence et délinquance dans certains territoires. Hélas, c'est un peu partout comme cela, y compris dans l'Hexagone.

En revanche, il a très peu été question du narcotrafic, qui est un vrai sujet, en particulier dans les Caraïbes. J'ai le sentiment que la consommation de drogues de synthèse peu chères est un vrai sujet dans certains territoires des Caraïbes. Disposez-vous de statistiques ? Le crack fait des ravages en métropole et à Paris. En est-il de même aux Antilles ? Comment gérez-vous le narcotrafic qui vient d'Amérique du sud ? Les mules qui arrivent de Guyane sont un vrai sujet. Des opérations « place nette » sont parfois menées dans l'Hexagone. Existent-elles également dans les territoires ultramarins ?

Enfin, avez-vous pour politique d'appliquer l'amende forfaitaire délictuelle pour les consommateurs des autres drogues ?

Mme Lana Tetuanui. - Je souscris à tout ce qu'ont dit mes collègues de Mayotte et de La Réunion.

Dans nos collectivités ultramarines, les services de l'État pourraient être plus efficaces s'ils travaillaient en commun. Prenons l'exemple de la restriction de vente d'alcool réfrigéré sur l'ensemble du territoire de la Polynésie française. Cette décision a avant tout été prise par les maires. La collectivité a ensuite pris un arrêté. L'objectif était d'éviter les attroupements de jeunes, surtout en fin de semaine, devant les épiceries. C'est une très bonne chose, et un très bon exemple de travail en commun entre les forces de l'ordre et les élus locaux.

Les ressources humaines sont mon cheval de bataille depuis mon arrivée au Sénat en 2015. Il y a une certaine hypocrisie dans les services de l'État. Nous avons voté des textes. Nous réclamons que des élus des collectivités concernées participent aux commissions d'attribution des CIMM. Les décisions sont prises à Paris. La priorité doit aller aux natifs des collectivités.

L'attrait de nos territoires est aussi une affaire pécuniaire. De nombreux avantages sont octroyés aux expatriés qui se rendent sur nos territoires. Cela n'existe pas en sens inverse pour les habitants de nos territoires qui se rendent dans l'Hexagone. D'une certaine manière, il existe une petite « mafia » dans les services déconcentrés de l'État.

Je suis fière de ce qu'il se passe en Polynésie. Il ne faut pas oublier nos policiers municipaux, qui travaillent beaucoup, au plus près des habitants. La Polynésie française, c'est l'Europe. La police nationale est principalement installée dans la grande agglomération qu'est Papeete. Dans l'ensemble des îles, c'est plutôt la gendarmerie qui est présente. Les violences urbaines ont surtout lieu en centre-ville en fin de semaine. Nos hommes en uniforme sont actifs. La Polynésie est pénalisée par sa proximité géographique avec les États-Unis. La drogue dure qui s'appelle « ice » tue la jeunesse polynésienne à « petit feu ». Les services judiciaires doivent lancer une étude sur la dangerosité de cette drogue et le nombre de jeunes qui ont succombé à ce fléau.

Enfin, j'aimerais faire une proposition. Je ne porte pas de jugement, mais je fais un constat : lorsqu'un élu passe au tribunal, la presse polynésienne tourne en boucle sur le sujet. En revanche, lorsqu'il est question de mules ou de Polynésiens qui ont été interpelés à leur descente d'avion avec de l'« ice », nous n'entendons aucun nom. Il serait peut-être intéressant que tout le monde sache qui fait quoi.

M. Christian Nussbaum. - Concernant les raisons du taux de criminalité élevé sur les territoires ultramarins, nous avons déjà évoqué la consommation excessive d'alcool et de produits stupéfiants, notamment aux Antilles et en Guyane, qui sont les départements les plus violents. Il y a aussi le rapport à la violence des jeunes, qui est différent dans l'Hexagone. Les jeunes ne se rendent pas compte du degré de violence de leurs actes.

La consommation de stupéfiants, notamment le crack, est en augmentation. Nous avons un dispositif important avec les antennes de l'OFAST (Office anti-stupéfiants) en Guyane, en Martinique, en Guadeloupe et à Saint-Martin. Ce dispositif obtient des résultats. Nous l'avons réorganisé. Il existe deux types de trafic dans les Antilles : le trafic inter-îles et le trafic transatlantique à destination de l'Europe. Nous avons organisé nos antennes OFAST en conséquence avec des groupes d'enquêteurs dédiés au trafic inter-îles et d'autres au trafic transatlantique. Cela donne des résultats. Par ailleurs, l'action de l'État en mer est sur la pente ascendante en Martinique. Des arraisonnements récents ont abouti à des saisies importantes.

Concernant le phénomène des mules en Guyane, le dispositif « 100 % contrôle » que nous avons mis en place à l'aéroport de Cayenne a porté ses fruits. Les saisies à l'arrivée en métropole ont nettement diminué. Ces derniers temps, les mules étaient souvent des Nigérians ou des individus originaires des pays baltes. Le dispositif d'arrêté de refus d'embarquement a fait que ces individus ont fini par ne plus pouvoir repartir. 9 mois plus tard, il n'y a plus du tout de Nigérians ou d'individus des pays baltes qui arrivent en Guyane pour faire les mules. Le trafic par mules redevient ce qu'il était avant, avec des jeunes de Saint-Laurent du Maroni. Il faut donc que nous continuions à appliquer ce dispositif « 100 % contrôle » avec des arrêtés de refus d'embarquer. Ces arrêtés sont parfois contestés par les élus, qui trouvent que le dispositif est trop discriminatoire par rapport aux profils des individus qui se présentent. Il faut bien comprendre que ce dispositif est mis en place avant l'enregistrement des bagages. Les personnes qui veulent prendre l'avion font l'objet d'un entretien informel avec des « cibleurs ».

Apparemment, les Nigérians et les Baltes arrivent maintenant en Guadeloupe et en Martinique. En raison du trafic beaucoup plus dense, nous ne pourrons pas mettre en place le dispositif que nous avons mis en place à l'aéroport de Cayenne. Nous sommes très attentifs au sujet. Nous essaierons de mettre en place des contrôles pour éviter que le trafic par l'intermédiaire de mules ne se déporte pas de la Guyane aux Antilles. Il faudrait que nous parvenions à empêcher les Nigérians et les individus des pays baltes d'embarquer de Paris vers les Antilles. Cela permettrait de couper la source. La raison du refus d'embarquer pourrait être un viatique insatisfaisant.

Nous réalisons des opérations « place nette » en outre-mer, pas plus tard que la semaine dernière en Guyane. Beaucoup d'autres opérations sont en préparation. Nous avons aussi des groupes de partenariat opérationnel (GPO) dans toutes les DTPN. Nous faisons actuellement un nouveau GPO à Mayotte avec l'Éducation nationale et la commune afin de nous attaquer aux violences à la sortie des établissements scolaires. Nous aimerions responsabiliser davantage les parents. Beaucoup ne savent pas que leurs enfants commettent des bêtises sur le chemin de l'école. S'ils étaient au courant, cela pourrait changer la donne.

Concernant les relations police-gendarmerie, les citoyens ont surtout besoin qu'en cas de problème, ce soit la patrouille la plus proche qui intervienne, peu importe qu'elle soit de la police ou de la gendarmerie. Si cela suppose de passer des accords avec les gendarmes, j'y suis favorable. Je suis certain que mon collègue de la gendarmerie y est également favorable. Outre-mer, la police et la gendarmerie sont extrêmement solidaires. En Nouvelle-Calédonie, nous avons mis en place une brigade des transports scolaires à la DTPN qui assure la sécurité des bus du début du parcours, en zone gendarmerie, à la fin, en zone police. C'est ce genre de process qui nous fera progresser.

Mme Micheline Jacques, président. - Avant de conclure, j'aimerais rebondir sur le lien entre la police municipale et la police nationale. La police municipale est au contact des citoyens. En Polynésie française, les policiers municipaux ont un statut particulier dans certains domaines. Pensez-vous que nous pourrions reproduire ce statut à titre expérimental dans les autres territoires ultramarins et mieux coordonner les relations entre la police nationale et la police municipale ?

Mme Lana Tetuanui. - En fait, il existe une fonction publique communale spécifique à la Polynésie française. Ce sont des agents municipaux qui reçoivent l'assermentation donnée par le procureur de la République. Ce sont des agents de police judiciaire adjoints (APJA).

M. Christian Nussbaum. - Je ne connais pas bien ce statut. Je ne peux donc pas vous répondre. En revanche, je peux vous assurer que la coopération avec la police municipale existe, notamment en Polynésie française. Nous devons davantage la développer à Mayotte, particulièrement à la sortie des établissements scolaires, afin que la police nationale puisse être plus active dans l'interpellation des fauteurs de trouble. Nous nous sommes mis d'accord avec la police municipale. Cette coopération est d'autant plus une solution que les policiers municipaux connaissent leur territoire et leur population. Ils peuvent donc être très utiles.

Mme Micheline Jacques, président. - En conclusion, nous avons retenu tous les efforts déployés par la police nationale sur les territoires ultramarins pour faire face au développement de la criminalité qui est variable selon les territoires. Il ne faut pas considérer que les territoires plus calmes sont à l'abri.

De nombreuses pistes ont été abordées ce matin.

Il faut des moyens humains et techniques, et prendre en compte les CIMM. À Mayotte, plus de 50 % des effectifs sont originaires du territoire. À La Réunion, l'effectif de policiers originaires du territoire est également conséquent.

L'emploi du RAID a été adapté à Mayotte. Différents dispositifs ont été mis en place tels que les refus d'embarquement, qui apportent des solutions. Pourquoi ne pas regarder de plus près ce qui a été fait en matière d'interdiction de vente d'alcool réfrigéré en Polynésie française ? À La Réunion, beaucoup de violences intrafamiliales sont liées à la consommation d'alcool et de produits stupéfiants.

Monsieur Christian Nussbaum et Madame Céline Personeni, nous vous remercions pour vos éclairages.

M. Christian Nussbaum. - Nous vous ferons parvenir une contribution sur la base des nouvelles questions que vous nous avez posées aujourd'hui.

Jeudi 11 avril 2024

Audition de Julien Retailleau, sous-directeur de la justice pénale spécialisée de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice

Mme Annick Petrus, présidente. - Chers collègues, je vous prie tout d'abord d'excuser l'absence de notre présidente qui a dû rentrer à Saint-Barthélemy et qui m'a demandé de la remplacer pour cette réunion en qualité de vice-présidente. Elle est connectée en visioconférence et elle interviendra si elle le souhaite.

Dans le cadre de la préparation de notre rapport sur l'adaptation des modes d'action de l'État dans les outre-mer, nous auditionnons ce matin M. Julien Retailleau, sous-directeur de la justice pénale spécialisée auprès de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice.

Nous vous remercions de participer ce matin à cette audition en remplacement de M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces.

La question de la justice outre-mer entre naturellement dans le périmètre de notre mission d'information. Nous avons auditionné Me Patrick Lingibé qui a dressé un tableau critique de la situation.

Par ailleurs, la délégation aux outre-mer s'est rendue à La Réunion où nos deux rapporteurs Philippe Bas et Victorin Lurel ont pu rencontrer la quasi-totalité des acteurs de la sécurité et de la justice sur l'île. La délégation sera par ailleurs aux Antilles la semaine prochaine et à Mayotte fin mai.

Nous avons également suivi avec attention la première journée consacrée à la justice outre-mer et organisée par votre ministère le 26 mars dernier.

Un questionnaire indicatif vous a été transmis. Nos interrogations portent notamment sur l'adaptation de la politique pénale outre-mer compte tenu des spécificités marquées de la délinquance et de la criminalité, ainsi que de leur intensité. Des adaptations existent déjà, mais faut-il aller plus loin pour faire face aux enjeux ? La dimension régionale, voire internationale de ces phénomènes est aussi très forte, à tel point qu'elle interroge la capacité souveraine de la France dans ces territoires.

Je laisserai les rapporteurs vous interroger après votre exposé liminaire d'une quinzaine de minutes puis nos autres collègues interviendront s'ils le souhaitent.

M. Julien Retailleau, sous-directeur de la justice pénale spécialisée, direction des affaires criminelles et des grâces, ministère de la Justice. - Je vous remercie de nous offrir l'opportunité de contribuer à votre étude sur l'adaptation des moyens de l'action de l'État dans les outre-mer qui s'inscrit dans la trajectoire que nous nous sommes fixée au sein de la direction des affaires criminelles et des grâces depuis maintenant un peu plus de 3 ans. Les territoires ultramarins font l'objet d'une attention toute particulière qui se traduit par un certain nombre d'initiatives.

Notre direction est en charge de la norme en matière pénale. C'est elle qui participe au travail législatif aux fins de refonte du Code pénal et du Code de procédure pénale et qui traduit la politique pénale du garde des Sceaux par la diffusion d'un certain nombre d'instructions, de circulaires nationales ou territoriales. Ces circulaires permettent de décliner les priorités de l'action publique sur le territoire national mais aussi au niveau local, en fonction des spécificités des territoires. À ce titre, la direction et ma sous-direction se projettent régulièrement dans les territoires pour prendre la mesure de l'état des phénomènes ou des menaces, afin de poser des diagnostics et de déterminer les voies d'adaptation constantes des moyens, des outils procéduraux, des outils techniques et des outils infractionnels qui sont à la disposition des acteurs judiciaires.

L'objectif de cet exercice de déclinaison de la politique pénale nationale est de trouver le juste équilibre entre la nécessité d'assurer une unité dans la mise en oeuvre de l'action judiciaire sur le territoire national au titre des grandes priorités d'action publique qui n'ont pas vocation à être distinctes en fonction des territoires comme la lutte contre les violences faites aux femmes, les violences intrafamiliales, les trafics de stupéfiants, les circuits de blanchiment, le terrorisme et toutes les menaces, y compris cyber, qui sont susceptibles de déstabiliser nos institutions, et la prise en compte des spécificités, ici ultramarines, en territorialisant la politique pénale.

Cela s'est traduit notamment par un très gros investissement sur le diagnostic et le soutien à l'action judiciaire locale. Le directeur des affaires criminelles et des grâces, accompagné d'une délégation, s'est rendu à plusieurs reprises dans les territoires ultramarins, par exemple en Guyane, en novembre 2021 et fin septembre 2022 pour accompagner le ministre de la Justice, le ministre de l'Intérieur et le ministre du Budget. En novembre 2022, nous nous sommes déplacés à Papeete à l'occasion d'un séminaire consacré à la lutte contre le trafic de stupéfiants dans le Pacifique. Tahiti est malheureusement sous la menace de la consommation et de l'importation de la drogue « ice ». Nous sommes également allés à Nouméa en novembre 2023, à Saint-Denis de La Réunion et à Mayotte en janvier 2024. En juillet 2022 j'ai participé à La Réunion à une réunion interjuridictionnelle avec le procureur général de la Cour des comptes et en décembre 2022 j'étais à Cayenne et au Suriname.

Ces déplacements ont pour objectif de rencontrer les acteurs au plus près des réalités du terrain et des difficultés qu'ils sont susceptibles de rencontrer à l'occasion du traitement de certains contentieux. À Cayenne, il s'agissait du traitement du contentieux des mules qui a fait l'objet d'une forte action partenariale de l'ensemble des services de l'État pour tenter de juguler ou au moins d'entraver ce phénomène et identifier les moyens d'adaptation de la procédure pénale et les priorités d'allocations de moyens pour traiter l'ensemble de ces phénomènes.

Ces déplacements précèdent ou accompagnent la plupart du temps la diffusion de circulaires de politique pénale territoriale. Une circulaire a été diffusée à Mayotte en septembre 2022, une autre en Guyane en septembre 2022, actualisant les menaces auxquelles ces territoires font face depuis maintenant plusieurs années.

Enfin, toujours dans le cadre de notre très fort investissement dans les territoires ultramarins, nous avons réuni pour la première fois les 6 procureurs généraux des outre-mer le 11 janvier 2024 autour des spécificités de l'action judiciaire outre-mer.

Nos diagnostics se basent sur le constat d'une évolution assez inquiétante de certains phénomènes dans un grand nombre de territoires ultramarins. Les phénomènes en présence relèvent pour certains d'une forme de délinquance endogène ou de menaces liées à une sociologie et une démographie propres à chacun des territoires et de menaces exogènes, importées, qui exploitent les richesses, la position géographique et les infrastructures des territoires ultramarins.

Dans chaque territoire, nous disposons d'outils de suivi de l'évolution de la structure du contentieux qui nous permettent d'avoir une photographie de la délinquance qui est très liée aux équilibres sociaux et démographiques et au taux de chômage. Nous notons un recours accru à la violence sous différentes formes, avec l'utilisation dans certains territoires, je pense notamment aux Antilles, d'armes à feu. Dans l'océan Indien, ce sont plutôt des armes blanches qui sont utilisées. Dans d'autres territoires la délinquance est liée à de fortes consommations addictives d'alcool ou de stupéfiants.

À ces menaces endogènes s'ajoutent des menaces importées qui peuvent constituer une menace pour la souveraineté de l'État et la capacité de forces de sécurité intérieure à assurer la sécurité de nos concitoyens. Elles concernent pour l'essentiel le haut du spectre de la criminalité organisée. Elles font partie de nos points d'attention majeurs. Elles se traduisent à Mayotte par des formes de criminalité graves, induites par l'exploitation de l'immigration clandestine et de l'habitat indigne, et par des violences de milices identitaires à l'origine de décasage d'individus qui requièrent une forte coordination des forces de sécurité.

L'arc caribéen est très impacté par la menace liée aux organisations criminelles de trafic de stupéfiants, par le trafic de cocaïne, tant par la voie maritime que par la voie aérienne. Ces affaires constituent environ 60 % des dossiers dont la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Fort-de-France se saisit. Nous sommes également confrontés au développement de réseaux locaux de trafic de stupéfiants, associés à la banalisation de l'utilisation des armes à feu qui sont à l'origine d'un essor des règlements de comptes entre trafiquants, tant en Martinique qu'en Guadeloupe. En 2022 le parquet de Fort-de-France a recensé 78 homicides et tentatives d'homicide dans ce contexte.

La Polynésie française est marquée par le trafic de l'« ice » sous forme de méthamphétamines produites dans des laboratoires clandestins aux États-Unis et qui a des conséquences sanitaires absolument dramatiques pour la population. C'est la raison pour laquelle nous avons participé au séminaire international permettant de mettre en tension la coordination entre la Nouvelle-Zélande, l'Australie et les États-Unis.

L'océan Indien connaît également du narcotrafic en haute mer en raison de l'emplacement géographique de La Réunion, donc sur la route entre le Pakistan et l'Afrique du Sud, qui conduit régulièrement le parquet de Saint-Denis de La Réunion à connaître d'importantes saisies de stupéfiants.

Enfin, la criminalité guyanaise présente des spécificités liées au positionnement du territoire sur le continent, avec une grande densité de la forêt et des richesses naturelles qui génèrent depuis des années un trafic qui ne faiblit pas, lié à l'orpaillage illégal et à l'activité des réseaux criminels implantés au Brésil et au Suriname. Ces réseaux n'hésitent pas à investir ce territoire pour poursuivre leurs actions. Nous constatons la montée en puissance d'une délinquance ultra-violente dans l'utilisation des armes et le recours au règlement de comptes. La Guyane est également marquée par le phénomène dramatique des mules dans le trafic de stupéfiants, où des jeunes empruntent des avions chargés de cocaïne. C'est la raison pour laquelle Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, et Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur et des outre-mer, se sont déplacés à Cayenne en septembre 2022 pour adapter les moyens mis en oeuvre.

Nos diagnostics nous permettent de décliner une action lisible, visible et surtout efficace en agissant sur les curseurs de l'action pénale. Le contentieux pénal est caractérisé par un volume massif de procédures à absorber, extrêmement consommatrices en moyens judiciaires. Les juridictions sont confrontées à la pression de la délinquance au quotidien qui est en hausse dans certains territoires, à laquelle s'ajoute la pression des menaces exogènes. Le risque est que ce flux et ces surcroîts d'activité obèrent la capacité des services d'enquête et des services judiciaires à faire face. C'est la raison pour laquelle le ministère de la Justice, en lien avec le ministère de l'Intérieur, a mené des actions fortes.

La première est d'armer une stratégie de coordination des différents échelons de traitement judiciaire qui s'agrègent autour du traitement du contentieux des territoires. Les territoires ne sont pas isolés, les tribunaux judiciaires n'ont pas la charge exclusive de l'ensemble du traitement de la criminalité spécifique. Notre organisation judiciaire arme des échelons spécialisés de traitement que sont les JIRS. Deux JIRS officient sur les territoires ultramarins, dont la JIRS de Fort-de-France pour l'axe caribéen et la Guyane. Elles ont la possibilité d'attraire des contentieux spécifiques très consommateurs en moyens d'enquête et nécessitant une spécificité dans la manière dont sont mises en oeuvre les techniques spéciales d'enquête et les moyens d'action pour juguler les trafics. Elle agit tant en matière de criminalité organisée qu'en matière économique et financière. Sur cette dernière thématique, nous disposons d'un autre échelon très actif, qui a beaucoup investi les territoires ultramarins, le parquet national financier. Il se positionne, en lien avec les services de police spécialisés comme l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) ou la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), sur les affaires les plus complexes en matière fiscale ou en matière d'atteinte à la probité. Nous disposons également de pôles régionaux environnementaux, des juridictions du littoral spécialisées (Julis) en matière de pollution maritime et des pôles accidents collectifs et de santé publique de Paris et de Marseille qui ont vocation à se saisir des affaires les plus complexes. Nous veillons à animer l'ensemble de ces échelons de traitement pour identifier celui qui apparaît le mieux à même de traiter un certain nombre de phénomènes complexes.

La deuxième porte sur l'adaptation des outils procéduraux permettant de soulager l'action judiciaire des contraintes inhérentes aux spécificités de ces territoires, notamment à l'éloignement géographique et à l'absence d'un certain nombre d'acteurs indispensables à la conduite des investigations et des procès, je pense notamment aux avocats, aux interprètes ou aux médecins.

La troisième concerne le développement d'appuis opérationnels du ministère de la Justice qui a parfaitement pris la mesure de ces surcroîts d'activité qui peuvent être temporaires mais qui nécessitent d'adapter la voilure. Nous avons développé les brigades de magistrats et de fonctionnaires. Elles ont été pérennisées à l'occasion de la loi d'orientation et de programmation pour la justice (LOPJ) et soutiennent les territoires.

Enfin, la quatrième, en lien direct avec le caractère exogène d'un certain nombre de menaces, porte sur la nécessité d'investir très fortement la coopération internationale. C'est un très grand marqueur de l'activité des juridictions ultramarines qui nous amène non seulement à revoir les conventions qui nous lient à ces États, tant sur le volet entraide que sur le volet extraditionnel, mais aussi à activer ou réactiver l'utilisation des instruments de reconnaissance mutuelle de l'Union européenne lorsqu'ils sont susceptibles d'être mis en oeuvre entre la France et les autres États. Nous déployons également des magistrats de liaison qui permettent de fluidifier l'action, en lien avec le démantèlement des trafics que nous poursuivons au titre d'une action proactive.

Les interlocuteurs que vous rencontrerez au cours de vos déplacements pourront vous confirmer la trajectoire que je viens de dépeindre. Vous avez prévu un déplacement aux Antilles la semaine prochaine. Je serai moi-même en Martinique mardi prochain pour l'installation par le procureur général d'une instance de coordination destinée à lutter contre les trafics de stupéfiants dans la zone. Celle-ci fait partie des instances que le ministère de la Justice promeut. L'une a été déployée à Marseille, une autre au Havre pour faire face à ces phénomènes.

Mme Annick Petrus, présidente. - Je vous remercie pour vos explications. J'invite notre rapporteur à vous interroger.

M.  Philippe Bas, rapporteur. - Je vous remercie pour votre exposé très complet qui montre les points communs entre nos outre-mer et les singularités de chaque territoire, avec des problèmes parfois très aigus qui varient d'une collectivité à l'autre.

Je tiens également à saluer notre présidente qui nous écoute de loin et qui a vaillamment mis son réveil à 3 heures du matin pour suivre notre réunion.

Vous avez évoqué beaucoup de sujets. Je voudrais revenir sur l'adaptation des moyens. Vous avez ouvert la thématique mais vous n'êtes pas entré dans le détail. Je suis parfois surpris de voir à quel point nous sommes submergés dans certains de nos territoires par les problèmes d'insécurité. Vous les avez décrits et vous avez mis l'accent sur les menaces importées, qui sont très déstabilisatrices. Nos compatriotes ultramarins sont de plus en plus inquiets.

Les États voisins ont des systèmes judiciaires, je ne parle pas de l'Australie ou de la Nouvelle-Zélande, à la fois défaillants mais aussi, quand ils les mobilisent, redoutablement efficaces au point d'être expéditifs. Certains délinquants qui font l'objet de poursuites au Brésil ou au Suriname trouvent refuge en Guyane.

Sur l'adaptation des moyens, quand nous manquons d'effectifs d'officiers de police judiciaire pour constater des délits ou des crimes, nous pourrions davantage recourir à d'autres services de l'État, je pense à la douane ou même à l'armée. Il y a en Guyane des équipes composées de fonctionnaires relevant de services différents. C'est une démarche intéressante. Est-ce qu'elle fonctionne bien ? Est-ce que vous en êtes satisfaits ?

Vous n'avez pas parlé des violences urbaines. Or, elles se développent, y compris dans des collectivités réputées plus stables que d'autres, par exemple à La Réunion, avec des violences sporadiques, difficiles à maîtriser. Quelle est votre vision de ce phénomène ? Il y a aussi des violences intrafamiliales, souvent liées aux phénomènes d'addiction. Quelle place prennent ces deux types de violences dans la politique pénale des territoires ultramarins ?

Enfin, la coopération internationale est fondamentale. Est-ce qu'elle donne des résultats vis-à-vis de la Dominique, de Sainte-Lucie, du Suriname ? C'est une question à laquelle nous sommes confrontés depuis longtemps. Vous pouvez peut-être nous dire également comment vous voyez la coopération avec les Comores.

M. Julien Retailleau. - Vous m'interrogez sur la manière dont les forces de sécurité intérieure parviennent à faire face aux flux et à coordonner leurs actions pour juguler les trafics et avoir l'ascendant sur les groupes criminels.

La Guyane est fortement marquée par l'implantation des réseaux criminels brésiliens et surinamais. Les forces armées déploient depuis plusieurs années une action spécifique, à l'occasion de différentes opérations, notamment l'opération Harpie dans la forêt guyanaise. Elles se coordonnent étroitement avec les services de la gendarmerie nationale qui prennent le relais des enquêtes pour démanteler un certain nombre de réseaux. On connaît la tension extrême autour de cette action qui a malheureusement abouti au meurtre d'un gendarme du GIGN en mars 2023. La JIRS de Fort-de-France s'est saisie de ces investigations pour démanteler ce réseau. Le préfet et le procureur général s'entendent sur la nécessité d'une coordination très forte entre l'ensemble des services pour démultiplier leur capacité d'action et leur force de frappe. Le maintien des forces armées sur place est jugé absolument indispensable pour soutenir les services de gendarmerie et de police au moment des interpellations. Une fois interpellés, les individus sont remis bien sûr aux officiers de police judiciaire et la procédure pénale s'applique, avec des résultats positifs. Le maintien en détention des criminels brésiliens peut être amélioré. Depuis la prison, ils continuent leur action et maintiennent leur emprise sur des territoires. De même, à leur sortie de la maison d'arrêt ils ne retournent pas tous au Brésil. Nous discutons avec les autorités brésiliennes d'une convention de transfèrement des prisonniers ce qui nous donnera la capacité de mettre à l'écart ceux qui sont susceptibles de générer durablement de la criminalité sur notre territoire.

Il y a aussi un enjeu de préservation du territoire et des frontières. Le territoire est immense et le contrôle des frontières nécessite des moyens extrêmement importants. Ces moyens ont été renforcés, notamment sur l'orpaillage illégal, mais aussi à la faveur des opérations « 100 % contrôles » effectuées notamment à l'aéroport de Cayenne pour s'attaquer au trafic de stupéfiants, l'objectif étant d'assécher les routes d'acheminement de la drogue depuis ce territoire vers l'Hexagone et de perturber, de déstabiliser les stratégies de saturation mises en oeuvre par les organisations criminelles. Cette stratégie consiste à mettre en tension les moyens de traitement, les capacités de placement en garde à vue et les capacités de placement en chambre d'expulsion. Cette action s'est accompagnée en septembre 2022 de l'augmentation substantielle des moyens de l'antenne de l'Office anti-stupéfiants (OFAST) de Cayenne et des douanes. Le tribunal de Cayenne a également été renforcé à la suite de la circulaire de politique pénale territoriale par la constitution d'un pôle dédié à la criminalité organisée. Un magistrat référent a été identifié. Il est en contact permanent avec la JIRS de Fort-de-France pour lui permettre de se saisir de ces dossiers mais aussi pour permettre à Cayenne d'être autonome dans le traitement de cette forme de criminalité et ainsi éviter que le traitement de ces dossiers ne soit déporté en Martinique.

Je n'ai en effet abordé les violences urbaines que par l'usage inquiétant des armes à feu qui se généralise aux Antilles, avec un taux de tentatives d'homicide voire d'homicide qui est très préoccupant, sans commune mesure avec ce que l'on observe dans l'Hexagone, et par l'usage d'armes blanches, notamment à Mayotte et à La Réunion. En Guyane, les violences urbaines sont liées au trafic de stupéfiants, avec des assassinats sur fond de vengeance, et aux violences intrafamiliales. Elles font l'objet d'une appropriation très puissante des parquets à l'échelle nationale. Ils ont développé des modalités de traitement, de suivi et d'action qui sont décuplés au travers des instances de coordination. C'est une politique qui donne des résultats, notamment par la mise en oeuvre des bracelets anti-rapprochement ou d'un certain nombre de mesures d'éloignement, avec certaines limites sur les territoires très contraints.

Face au développement des violences aux abords des établissements scolaires, le parquet de Cayenne a mis en place des groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD) qui associent l'ensemble des acteurs autour de la régulation des phénomènes et qui permettent d'avoir une action forte, ciblée de la part de l'autorité judiciaire.

La coopération internationale est un point clé. Nous avons affecté un magistrat au sein du parquet général de Fort-de-France qui est en charge de la dynamisation de la coopération régionale en rencontrant les autorités judiciaires locales, notamment à la Dominique et à Sainte-Lucie. La coopération c'est connaître et se connaître. Nous devons connaître les instruments qui nous permettent de mettre en oeuvre une coopération, une entraide efficace. Ces instruments peuvent être bilatéraux ou multilatéraux. Je me suis rendu au Suriname en décembre 2022 pour identifier les instruments multilatéraux sur lesquels nous pouvons nous adosser pour lutter contre le trafic de stupéfiants dans un cadre juridique de mise en oeuvre de la coopération judiciaire, tant en matière d'entraide qu'en matière d'extradition. Des commissions rogatoires internationales ont été adressées aux autorités surinamaises, qui ont également mis en place une coopération policière et douanière assez forte le long du fleuve Maroni pour identifier les trafics qui s'agrègent autour de l'orpaillage illégal et interpeller les individus avant leur traversée du fleuve.

Je vous transmettrai la liste des conventions qui nous lient aux différents États et celles qui sont en cours de négociation. Nous avons récemment signé une convention d'entraide pénale avec le Suriname et nous espérons qu'elle sera ratifiée au cours de l'année. C'est important car un certain nombre d'États comme le Suriname sont attachés à disposer d'un cadre juridique sécurisé dans la mise en oeuvre des opérations de coopération.

Le procureur général de Fort-de-France que vous rencontrerez la semaine prochaine vous décrira l'ensemble des initiatives qu'il a prises au cours des 6 derniers mois pour nouer des liens très forts avec les pays partenaires de la France.

Enfin, le garde des Sceaux a décidé de nommer un magistrat de liaison dans les Caraïbes. Il sera basé à Sainte-Lucie pour dynamiser l'action diplomatique et judiciaire avec l'ensemble de ces États. Les magistrats de liaison sont des facilitateurs de l'entraide et permettent de resserrer les liens. Un magistrat de liaison est en poste au Brésil. Il est également compétent pour le Suriname et pour la zone des États exportateurs de stupéfiants comme la Bolivie ou le Venezuela.

M. Thani Mohamed Soilihi. - J'aimerais revenir sur la coopération internationale, notamment sur les conventions de transfèrement. Vous les avez évoquées pour la zone Caraïbe mais pas pour l'océan Indien, notamment entre la France et les Comores. Les faits que vous avez décrits sont particulièrement aigus dans cette zone. J'ajoute que la peine devant être dissuasive, si elle ne l'est pas suffisamment, cela influe sur la récidive. Un enfermement reste un enfermement, c'est terrible pour un être humain, mais le caractère dissuasif de la peine mérite d'être souligné. Une convention de ce type est-elle prévue avec les Comores ?

Sur l'aspect immobilier, lorsque le garde des Sceaux est venu à Mayotte, celui-ci a fait des déclarations sur la nécessité d'une nouvelle cité judiciaire, d'une deuxième prison et d'un centre éducatif fermé. Où en sont ces projets ? Aujourd'hui, les jeunes poursuivis à Mayotte et qui sont du ressort d'un centre éducatif fermé, sont transférés à La Réunion. À l'issue de leur enfermement, ils sont relâchés dans la nature, avec les conséquences que nous avons vues. Il me paraît plus qu'urgent que le centre éducatif fermé que tous les élus réclament depuis des années soit enfin construit.

Enfin, je m'interroge sur les reconnaissances de complaisance d'enfants. Reconnaître un enfant qui n'est pas le sien ne constitue pas un délit mais une fausse reconnaissance peut faire l'objet d'une action civile du procureur. Elle se transforme en délit de faux et usage de faux si elle s'accompagne de la remise d'un titre de séjour ou du versement d'argent. Cette pratique est massivement développée à Mayotte et a pour conséquence de favoriser l'immigration clandestine. Au moment où on parle de supprimer le droit du sol, si une lutte farouche contre les reconnaissances de complaisance n'est pas menée, on passera du droit du sol au droit du sang. Quelle attention particulière portez-vous à cette situation qui dégrade encore plus la situation à Mayotte ? Les lois existantes sont-elles correctement appliquées ?

M. Julien Retailleau. - Dans l'océan Indien, la France est liée par une convention d'entraide judiciaire en matière pénale et par une convention d'extradition avec Maurice qui ont été signées le 10 novembre 2022. Elles ont été ratifiées par Maurice le 19 mai 2023 et par la France le 6 février 2024. Elles entreront en vigueur le 1er mai prochain.

Nous ne disposons pas de convention bilatérale avec les Comores mais nous nous appuyons sur des conventions multilatérales. En février 2014, une convention d'entraide judiciaire avait été signée avec Moroni mais si elle a été ratifiée par la France, les Comores n'ont pas mené les démarches permettant son entrée en vigueur. Cependant, les autorités administratives et diplomatiques se coordonnent, notamment pour empêcher des arrivées à Mayotte.

Le procureur de la République et le procureur général sont très investis sur le sujet de la fraude documentaire qui nécessite une action coordonnée avec l'ensemble des services amenés à constater des situations de fraude manifeste. C'est un point majeur et prioritaire, qui est abordé dans le cadre du comité opérationnel départemental anti-fraude (Codaf). Les reconnaissances de complaisance sont placées dans un circuit de traitement judiciaire.

Le garde des Sceaux a en effet fait des annonces sur les projets immobiliers. Je ne dispose pas d'éléments plus précis puisque ce sujet ne relève pas de ma direction. Cependant, je reconnais que l'absence de centre éducatif fermé peut constituer un frein à la réponse pénale à la délinquance des mineurs, même si ces sujets relèvent parfois des compétences législatives et réglementaires des autorités locales.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Mayotte est un département !

M. Julien Retailleau. - Je pensais à la Nouvelle-Calédonie.

M. Saïd Omar Oili. - Je vous ai écouté avec attention mais je sortirai de cette audition plus inquiet. Il est très compliqué de rendre la justice à Mayotte car il faut des interprètes parce que de nombreux Mahorais ne parlent pas français, même si Mayotte est française depuis 1841. Les interprètes doivent désormais disposer d'une licence pour exercer alors que pour parler mahorais nous n'avons pas besoin de ce niveau. Nous manquons également d'avocats, ce qui conduit le tribunal à renvoyer un grand nombre d'affaires. Nous n'avons plus de cour d'appel, les dossiers sont traités par celle de La Réunion.

Par ailleurs, nous ne pouvons pas incarcérer les mineurs puisque la prison n'offre que 278 places pour 600 détenus. Ils portent des bracelets électroniques mais ils habitent dans des quartiers où il n'y a pas de réseau. Quand j'étais maire, ils venaient souvent me demander de les aider à enlever leur bracelet alors qu'ils devaient être dans leur quartier situé à 1 ou 2 kilomètres. Ils se promènent librement et risquent de commettre de nouvelles actions violentes.

À Mayotte, la sanction pour les immigrés clandestins est l'expulsion. Or, ils reviennent souvent dès le lendemain de leur expulsion.

Vous avez parlé des violences urbaines. Combien de condamnés à Mayotte sont aujourd'hui incarcérés à La Réunion ? Par ailleurs, une fois leur peine purgée, restent-ils à La Réunion ?

M. Julien Retailleau. - La visite du directeur des affaires criminelles et des grâces à Mayotte le mois dernier a permis de poser un certain nombre de diagnostics avec les autorités judiciaires locales.

Le Code de procédure pénale, depuis novembre 2023, autorise le recours en urgence à un interprète par visioconférence ou tout autre moyen de communication. Je reconnais qu'il est difficile sur le territoire de Mayotte de trouver des interprètes mais aussi des avocats ou des médecins prêts à se déplacer en garde à vue. Ces éléments mettent en tension la capacité de traitement des affaires par la chaîne pénale mahoraise.

Je ne dispose pas des chiffres sur le nombre de détenus mahorais à La Réunion mais je m'efforcerai de les obtenir pour vous les transmettre, comme ceux portant sur les suites de l'incarcération. Nous devons mettre en place une politique dynamique d'aménagement des peines et de réinsertion, ce qui nécessite de doter l'ensemble du secteur de la probation de suffisamment de moyens. Les projets de réinsertion sont complexes à mettre en oeuvre en raison des difficultés de l'habitat, des difficultés pour trouver un travail ou pour s'inscrire à des formations sur des territoires où l'offre est limitée.

Mme Annick Petrus, présidente. - Je donne la parole à deux autres collègues mais je vous invite à leur répondre par écrit.

Mme Jocelyne Guidez. - Le trafic d'armes à la Martinique est en constante augmentation et rien n'indique une diminution. De même, les échanges de petits sachets de drogue se déroulent devant nos yeux, ce qui est nouveau, et les revendeurs font preuve d'une certaine agressivité avec les touristes. Les forces de l'ordre sont absentes des plages et ce phénomène est en augmentation.

M. Jean-Gérard Paumier. - Je reste sur ma faim car vous n'avez donné aucune statistique. J'attendais plus de détails, que j'espère obtenir par écrit, sur le type de délinquance dans les territoires ultramarins par rapport à l'Hexagone.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Il y a quelques jours le syndicat FO pénitentiaire de La Réunion a tiré la sonnette d'alarme sur la situation de surpopulation carcérale. Le centre pénitentiaire de Saint-Denis de La Réunion héberge 800 détenus pour 560 places. 86 détenus sont contraints de dormir à même le sol. Dans le même temps, le syndicat pointe une baisse d'effectifs, alors que la population carcérale n'a jamais été aussi importante. Nous ne comprenons pas cette politique. Il y a un entassement de petites peines et bon nombre de détenus ne sont même plus éligibles aux aménagements de peine. Cette surpopulation carcérale conjuguée à la baisse des moyens produit de l'insécurité dans nos prisons.

Dans quelle mesure le ministère de la Justice serait prêt à travailler avec ses services déconcentrés pour une amélioration concrète des conditions de travail des agents pénitentiaires et des conditions de vie des détenus ?

Le manque de personnel dans nos centres pénitentiaires n'est pas le résultat d'un manque de vocation. Les Réunionnais dans la pénitentiaire sont nombreux dans l'Hexagone et nombre d'entre eux attendent une mutation pour un retour dans leur département d'origine où les besoins sont importants. Comptez-vous abonder les effectifs de ces centres ? Une nouvelle politique de mutation pour le retour de nos agents au pays est-elle envisagée ?

Mme Solanges Nadille. - Je vous remercie pour votre présentation. Connaissez-vous la Guadeloupe ? Connaissez-vous la dimension archipélagique de la Guadeloupe ? Que faites-vous contre les menaces importées ?

Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Je vous remercie de vos constats qui sont très préoccupants pour nos territoires. Saint-Martin et Saint-Barthélemy sont deux petites îles et je rejoins ce que disait notre collègue Solanges Nadille sur la dimension archipélagique. Nous dépendons du tribunal judiciaire de Basse-Terre. Saint-Martin et Saint-Barthélemy disposent d'un commandement de gendarmerie, d'une préfecture. Quand comptez-vous ouvrir un tribunal judiciaire sur ces territoires ?

M. Georges Naturel. - Il existe en Nouvelle-Calédonie, depuis 1982, des assesseurs coutumiers. Il serait intéressant que nous disposions d'un bilan de ce type de fonction pour ajuster le dispositif.

Nous réclamons tous des centres fermés mais les moyens budgétaires dont dispose le ministère rendent difficile leur construction. Avec mon collègue Robert Wienie Xowie, j'ai écrit au garde des Sceaux pour lui proposer de mettre en place une réinsertion, notamment des jeunes, via le travail agricole. Nous attendons sa réponse.

M.  Philippe Bas, rapporteur. - La Présidente suggérait que vous répondiez par écrit car nous faisons attendre vos collègues de la Chancellerie depuis un quart d'heure.

M. Julien Retailleau. - Je dispose bien entendu de toutes les statistiques mais je ne voulais pas alourdir mon propos. Les violences représentent par exemple 18 % de la structure du contentieux au niveau national mais 30 % en outre-mer.

Nous nous déplaçons dans les ressorts des cours d'appel pour faire des diagnostics et voir comment les procureurs généraux et les procureurs de la République s'emparent des structures du contentieux pour développer les moyens de l'action judiciaire.

Enfin, le renforcement par les brigades a permis d'apurer les contentieux comme les violences urbaines ou le trafic de stupéfiants.

La Guadeloupe fait face à des menaces très importantes en lien avec le trafic de stupéfiants. La JIRS de Fort-de-France est très engagée sur ce sujet et l'instance de coordination qui sera mise en place par le procureur général de Fort-de-France a pour objectif de lutter contre ces trafics. Par ailleurs, une antenne de l'OFAST a été déployée en Martinique et des opérations « 100 % contrôle » sont menées sur ces territoires. Le procureur de la République est pleinement engagé dans ces opérations, d'autant plus que la délinquance qui gravite autour de ces trafics génère une forme de violence et d'insécurité qu'il est impératif de juguler.

Mme Annick Petrus, présidente. - Nous vous remercions pour vos réponses.

Jeudi 11 avril 2024

Audition Paul Huber, directeur des services judiciaires, et
Fabien Neyrat, délégué outre-mer auprès du secrétariat général du ministère de la Justice

Mme Annick Petrus, présidente. - Dans le cadre de la préparation de notre rapport sur l'adaptation des modes d'action de l'État dans les outre-mer, nous poursuivons nos auditions sur le thème de la justice outre-mer. Après l'audition de M. Julien Retailleau, qui a principalement porté sur la politique pénale outre-mer, nous recevons M. Paul Huber, directeur des services judiciaires, et M. Fabien Neyrat, délégué outre-mer auprès du secrétariat général du ministère de la Justice.

Je vous prie d'excuser l'absence de notre présidente qui a dû rentrer à Saint-Barthélemy mais qui nous suit à distance en visioconférence.

Comme je le rappelais tout à l'heure, la question de la justice outre-mer entre naturellement dans le périmètre de notre mission d'information.

La délégation aux outre-mer auprès du secrétariat général est une création de juillet 2023. Elle témoigne d'une prise de conscience assez récente du ministère de la Justice des spécificités et contraintes propres aux outre-mer. La première journée de la justice outre-mer organisée par votre ministère le 26 mars dernier en est une autre illustration.

Me Patrick Lingibé, que nous avons auditionné il y a deux mois, avait fait part de l'insuffisante prise en considération des outre-mer à l'occasion des États généraux de la Justice.

Messieurs, vous nous direz à vos différents niveaux de responsabilité ce qu'il en est désormais et quelles sont les évolutions profondes en cours ou à l'étude.

Un questionnaire indicatif vous a été transmis. Nos interrogations portent notamment sur l'attractivité des emplois outre-mer, l'adaptation des moyens, en particulier à Mayotte et en Guyane, mais aussi sur la carte judiciaire ou la manière d'exercer ses fonctions outre-mer. Le rôle, les moyens et les objectifs de cette nouvelle délégation outre-mer du ministère de la Justice sont également à préciser.

Je laisserai les rapporteurs vous interroger après votre exposé liminaire puis nos autres collègues interviendront s'ils le souhaitent.

Vous avez la parole pour une quinzaine de minutes.

M. Paul Huber, directeur des services judiciaires du ministère de la Justice. - Merci beaucoup pour votre invitation. L'invitation que vous avez adressée au ministère de la Justice était plutôt pour notre délégué ministériel aux outre-mer mais au regard des questions que vous nous avez transmises, Mme la secrétaire générale a souhaité que je participe à cette audition. En effet, un grand nombre de questions concernent l'adaptation de l'organisation judiciaire et l'accompagnement des magistrats et des fonctionnaires.

Le ministère de la Justice est très investi sur les sujets outre-mer. Vous avez évoqué la journée du 26 mars qui était une première et je remercie les parlementaires qui y ont participé. Pour la première fois, nous avons réuni l'ensemble des acteurs de la justice outre-mer.

La direction des services judiciaires s'est énormément investie ces dernières années sur l'ensemble des sujets outre-mer, avec un certain nombre d'innovations qui intéressent le reste de la fonction publique et la direction générale des outre-mer, notamment sur l'accompagnement RH renforcé ou les dispositifs mis en place pour les cours d'appel qui font face à un certain nombre de difficultés d'attractivité.

Je me suis rendu dans toutes les cours d'appel outre-mer, il me reste à visiter la juridiction de Saint-Pierre-et-Miquelon. J'ai pu mesurer les très fortes attentes et cette impression d'isolement et d'éloignement vis-à-vis de l'administration centrale. J'ai également demandé à mes équipes d'être bien plus présentes sur certains territoires, notamment en Guyane et à Mayotte. Presque tous les 6 mois, mes sous-directeurs se rendent dans ces territoires pour rencontrer les agents et les chefs de cours et suivre l'ensemble des évolutions que nous essayons de mettre en place.

Le ministère de la Justice investi énormément sur les sujets immobiliers, tous les territoires ultramarins ont des projets immobiliers importants mais je tiens surtout à revenir sur l'accompagnement RH.

Nous avons constaté que les cours d'appel outre-mer n'avaient pas les mêmes problématiques. Certaines sont très attractives, d'autres pas du tout. Il faut donc que nous ajustions notre accompagnement et notre politique au regard des différentes situations. Ma priorité a été d'accompagner les cours d'appel de Cayenne et Saint-Denis de La Réunion et le tribunal judiciaire de Mamoudzou à Mayotte au regard de leurs difficultés de recrutement. Nous avons mis en place un accompagnement RH renforcé avec des priorités d'affectation. Un agent qui accepte de partir dans ces ressorts pendant une durée minimum de 3 ans bénéficie d'une priorité d'affectation dans le ressort de son choix. C'est un dispositif innovant, qui a été mis en place pour les magistrats depuis presque 3 ans du fait de nos règles particulières. Nous commençons à avoir des résultats positifs même si la situation à Mamoudzou a pu complexifier l'arrivée de magistrats dans le cadre de cet accompagnement RH renforcé. Cependant, les auditeurs de justice sont en train de choisir leur premier poste et nous avons bon espoir que certains choisissent Mayotte grâce à notre dispositif d'accompagnement.

Nous l'avons combiné avec des nominations pour des durées courtes, de 6 mois pour la magistrature et de 3 mois pour les fonctionnaires (greffiers, directeurs des services de greffe) sur ces deux territoires qui rencontrent des difficultés d'attractivité. Elles ont été construites en lien avec le Conseil supérieur de la magistrature puisqu'elles nécessitent des décrets de nomination pour une durée de 6 mois et des retours sur le poste d'origine. Nous parlons de brigades de soutien de magistrats et de fonctionnaires. Nous les avons étendues aux juridictions de la cour d'appel de Bastia qui font face à des problématiques similaires d'attractivité.

Nous avons souhaité compléter ces mesures dans la loi organique du 20 novembre 2023 par un dispositif d'intervention immédiate en cas d'événements posant des difficultés de fonctionnement de l'institution judiciaire et de continuité du service public de la justice. Nous avons rencontré de tels événements en Martinique et en Guadeloupe il y a un ou deux ans. Si les magistrats ne peuvent pas se rendre au tribunal alors qu'il y a une vraie nécessité de continuité du service public de la justice pour faire face à des événements, il faut que nous puissions soutenir l'activité juridictionnelle. La loi organique nous permet d'envoyer des renforts depuis les cours d'appel de Paris et d'Aix-en-Provence pour soutenir rapidement les juridictions en difficulté.

Ces dispositifs très particuliers sont propres à la magistrature. Nous avons évoqué leur extension aux fonctionnaires qui dépendent de la direction générale des outre-mer et de la direction générale de la fonction publique. C'est une manière de répondre aux difficultés d'attractivité des cours d'appel et nous examinons la possibilité de l'étendre selon les situations aux différentes cours d'appel ultramarins.

Nous avons étendu le dispositif d'accompagnement RH renforcé à quelques juridictions de l'Hexagone qui n'avaient aucun candidat aux postes de premier grade. C'est une nouvelle stratégie pour répondre aux problématiques d'attractivité.

Pour d'autres cours d'appel, nous sommes confrontés à une difficulté inverse. Les magistrats restent beaucoup trop longtemps sans y avoir d'attaches matérielles ou familiales. Le Sénat avait proposé, dans le cadre du débat parlementaire sur le statut de la magistrature, une disposition qui limitait à 10 ans l'exercice dans toutes les juridictions. Cette disposition n'a pas été retenue dans le projet final mais il y a toujours un sujet de durée d'affectation dans certaines juridictions outre-mer que nous devons combiner avec la nécessité pour ceux qui sont originaires de ces territoires et qui y ont des intérêts matériels et moraux de pouvoir s'y installer.

Les enjeux ne sont pas les mêmes pour les fonctionnaires et pour les magistrats. Il n'y a plus de magistrats kanaks et seulement un magistrat polynésien. Nous cherchons pourtant à recruter des magistrats qui connaissent les enjeux de ces territoires. Nous avons un travail à mener avec les universités pour attirer et accompagner des candidats.

La magistrature n'a pas bénéficié des dispositifs qui existent pour les fonctionnaires de limitation de durée d'exercice dans certaines cours d'appel, comme en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie française. Nous réfléchissons à aligner la magistrature sur ces règles car il n'y a aucune raison qu'un magistrat reste 15 ou 18 ans en Polynésie française, alors que les fonctionnaires doivent repartir plus rapidement.

Vous m'avez demandé d'être succinct, je suis à votre disposition pour répondre à vos questions mais je tenais à signaler l'engagement de la direction des services judiciaires sur les différentes cours d'appel et vous faire part des innovations que nous avons mises en place pour soutenir l'attractivité des juridictions.

M. Fabien Neyrat, délégué pour les outre-mer, secrétariat général du ministère de la Justice. - Je vous remercie de m'avoir invité. Le poste de délégué pour les outre-mer est une création récente, j'ai pris mes fonctions en avril 2023. Cette initiative souligne la volonté du ministère de se doter d'un appareil administratif en lien avec les outre-mer pour adapter les fonctions ministérielles aux spécificités et aux besoins de ces territoires. Avant mon arrivée, un certain nombre de coordinateurs territoriaux du secrétariat général avaient été déployés. Ils relaient localement les missions du secrétariat général. Nous disposons actuellement d'un coordinateur océan Indien qui couvre La Réunion et Mayotte, basé à La Réunion, d'une coordinatrice nommée en septembre 2023 pour les Antilles, basée en Guadeloupe et d'une coordinatrice en Guyane. Il y a également dans tous les territoires deux techniciens informatiques qui sont le relais de proximité du secrétariat général et un assistant des services sociaux.

En 2019, l'inspection générale de la Justice a été missionnée pour réfléchir à l'organisation du secrétariat général du ministère pour les outre-mer. En 2017, les directions interrégionales du secrétariat général ont été mises en place dans l'Hexagone. Elles regroupent, autour d'un délégué, entre 50 et 60 agents, et ont pour mission de reproduire en proximité les fonctions du secrétariat général. C'est dans ce cadre qu'une première réponse a été apportée avec la création d'une délégation qui préfigure le modèle organisationnel le plus optimal et le plus efficace pour répondre aux besoins ultramarins.

Ma première mission a été d'élaborer un plan d'actions ministériel outre-mer. J'ai travaillé avec les juridictions et l'ensemble des directions qui répondaient déjà aux besoins ultramarins. Ce plan a permis de faire un état des lieux des mesures de convergence, comme un accompagnement renforcé des magistrats. Nous nous interrogeons sur la transposabilité de ce modèle pour d'autres corps du ministère de la Justice, comme la direction générale des services, la direction de l'administration pénitentiaire et les éducateurs.

Il y a également une forte dynamique pour investir davantage le champ interministériel, notamment pour nouer un lien plus étroit avec la direction générale des outre-mer dans l'élaboration de la norme et pour rappeler les positions du ministère de la Justice. J'ai ainsi mis en place un certain nombre de réunions bilatérales annuelles entre la secrétaire générale du ministère de la Justice et le directeur général des outre-mer. Nous avons par exemple signé la charte interministérielle de la mobilité et nous en déclinerons la plupart des mesures au sein des directions et des services.

La secrétaire générale a souhaité se déplacer dans les territoires ultramarins. Elle s'est rendue en Guyane où le ministère pilote son projet immobilier le plus important dans les outre-mer avec la cité judiciaire à Saint-Laurent du Maroni. Elle est récemment allée à La Réunion et à Mayotte qui connaît actuellement une crise hydrique et sécuritaire.

Enfin, nous avons mis en place cette première journée du ministère de la Justice en outre-mer qui avait pour ambition de réunir tous les acteurs du ministère qui ne se connaissent pas forcément et ne connaissent pas les spécificités d'un territoire à un autre. C'était un moment important pour montrer l'ambition du ministère de la Justice en outre-mer. Les parlementaires et les professions du droit étaient invités le matin et l'après-midi a été consacrée aux mesures que nous mettons en place pour répondre aux besoins extrêmement divers.

Mme Annick Petrus, présidente. - Je vous remercie et passe la parole à notre rapporteur.

M.  Philippe Bas, rapporteur. - Je vous remercie Monsieur le directeur et Monsieur le délégué pour cette introduction.

La situation est préoccupante. Nous avons vu avec M. Julien Retailleau que nous avons auditionnée avant vous qu'il y avait une augmentation du nombre d'affaires criminelles, de nombre de délits, de violences intrafamiliales, de violences urbaines et de trafics de stupéfiants. Face à cela, nous constatons une difficulté, que vous ne nous cachez pas, de recrutement pour des affectations dans un certain nombre de juridictions. Nous en avons la confirmation quand nous nous déplaçons en voyant que beaucoup de nos magistrats outre-mer sont débordés par la tâche.

Vous nous signalez à la fois que sur certains postes vous n'arrivez pas à trouver des candidats et que sur d'autres postes il y a une insuffisante mobilité, ce qui ne permet pas d'apporter du sang neuf.

Nous constatons que vous déployez de nouveaux outils, avec des affectations temporaires et les fameuses brigades de soutien. Il y a également de nouvelles dispositions législatives, avec le nouvel article 27-2 de l'ordonnance de 1958.

Ces moyens sont-ils vraiment à la mesure des difficultés que le service public de la justice rencontre, peut-être pas dans tous les outre-mer mais dans certains d'entre eux qui sont particulièrement exposés à une augmentation du nombre d'affaires à traiter ? Pouvez-vous détailler l'évolution des emplois ouverts et des vacances depuis peut-être 10 ou 15 ans ? Est-ce que l'action du ministère a porté ses fruits ? Faut-il passer à la vitesse supérieure et s'interroger sur un bouleversement des règles, sans abaisser le niveau requis des magistrats qui doit être partout le même sur le territoire national ?

Je souhaite que nous partions d'un constat chiffré, même si les chiffres n'épuisent pas la représentation de la réalité, pour voir si véritablement nous apportons des réponses à la mesure du problème, si au contraire, il s'aggrave ou s'il reste en l'état.

M. Paul Huber. - Nous sommes déjà passés à la vitesse supérieure, avec les dispositifs innovants que nous avons mis en place pour la magistrature pour faire face aux problématiques de certaines cours d'appel. Les cours d'appel et les juridictions outre-mer font l'objet d'une attention toute particulière sur leurs effectifs. Au début du mois d'avril il n'y avait quasiment aucun poste vacant dans les juridictions outre-mer, à l'exception de Basse-Terre. Toutes les autres juridictions ont des postes en surnombre. Nous avons, plus que dans l'Hexagone, la volonté de ne laisser aucun poste vacant. Par ailleurs, les effectifs ont augmenté au cours des dernières années beaucoup plus rapidement que dans l'Hexagone avec une hausse de 23 % sur 10 ans. Je pourrai vous communiquer les chiffres par ressort. À Cayenne, où nous avons pourtant un problème d'attractivité, le nombre de magistrats a augmenté de 53 %, de 15 % à Saint-Denis de La Réunion ou encore de 29 % à Fort-de-France.

Le garde des Sceaux a annoncé la semaine dernière une nouvelle augmentation des effectifs dans le cadre du plan quinquennal à la suite de l'adoption par le Parlement de la loi d'orientation et de programmation pour la justice. Ce plan prévoit une augmentation d'environ 15 % des effectifs de toutes les juridictions outre-mer.

En 2022, il avait annoncé un plan d'actions spécifique pour la Guyane et pour Mayotte, avec un accompagnement RH particulier, sur le logement, l'aide au déménagement, l'accompagnement du conjoint, la recherche d'établissements scolaires, etc. Nous avons mis en place un marché public pour aider les magistrats qui arrivent en outre-mer. D'abord réservé aux chefs de juridiction, le bénéfice de cet accompagnement a été étendu à tous les magistrats. Nous avons également déployé des dispositifs de rémunération et d'action sociale que je détaillerai dans ma réponse écrite.

La magistrature a innové, c'est important de le souligner parce qu'on lui reproche parfois de ne pas le faire suffisamment. Mayotte et la Guyane bénéficient de dispositifs qu'on ne retrouve pas ailleurs pour l'instant dans le reste de la fonction publique. J'ai échangé avec le directeur général des outre-mer qui est intéressé par ces dispositifs de contrat de mobilité, de priorité d'affectation après une période de 3 ans en outre-mer car nous avons besoin d'une continuité du service public, avec les mêmes enjeux de qualité que dans l'Hexagone.

Entre 2021 et 2023, 62 magistrats ont bénéficié de cet accompagnement RH renforcé et 29 magistrats sont partis dans le cadre des brigades renforcées à Cayenne et à Mamoudzou. Cependant, envoyer des magistrats pour 6 mois ne nous satisfait pas. Le vrai sujet est l'attractivité et nous devons trouver des systèmes incitant les magistrats à s'inscrire dans la durée. Certains magistrats partis en brigade ont décidé de rester. Nous avons tout un travail de connaissance à mener, d'information préalable sur les enjeux que traversent les cours d'appel que nous essayons de renforcer. Quand nous proposons des postes aux auditeurs de justice, nous les informons très longtemps en avance pour qu'ils puissent se projeter sur une première prise de fonction en outre-mer.

Avec l'École nationale de la magistrature nous avons construit des formations spécifiques « être magistrat en outre-mer » pour mieux accompagner, mieux anticiper et attirer des candidatures. De la même manière, nous sommes extrêmement prudents sur la sélection des magistrats et des fonctionnaires vers les outre-mer. Il y a souvent beaucoup de raisons personnelles qui peuvent jouer, il y a tous ceux qui sont en rapprochement familial, qui ont des intérêts matériels et moraux, mais il y a aussi ceux qui peuvent projeter avec un départ en outre-mer la résolution de difficultés personnelles. Nous devons veiller à ce que les prises de fonction en outre-mer ne conduisent pas à des échecs. Nous en avons connu et nous avons appris de ces difficultés, avec une meilleure sélectivité des profils.

Nous faisons du sur-mesure et nous sommes donc passés à la vitesse supérieure.

M.  Philippe Bas, rapporteur. - Quand vous envoyez 29 magistrats dans les brigades de soutien, la décision d'affectation passe-t-elle par le Conseil supérieur de la magistrature ?

M. Paul Huber. - Ces départs s'inscrivent dans les règles de nomination des magistrats. Ils sont nommés sur une proposition du garde des Sceaux après avis du Conseil supérieur de la magistrature, conforme ou favorable selon qu'il s'agit de magistrats du siège ou du parquet. Ces postes répondent à un appel à candidatures spécifique. Les magistrats partent 6 mois et candidatent rapidement pour la mobilité suivante pour laquelle ils feront l'objet d'une nouvelle proposition de nomination, avec un nouvel avis et un nouveau décret comme nous en sommes convenus avec le Conseil supérieur de la magistrature. Nous avons sélectionné des magistrats qui avaient une véritable expérience d'encadrement, notamment intermédiaire, ou dans des domaines techniques particuliers. Nous lançons des appels à candidatures très profilés.

Ce dispositif a été décliné pour les fonctionnaires, pour les greffiers et les directeurs des services de greffe, sur des délégations plus courtes de 3 mois renouvelables une fois, avec un appel à candidatures annuel.

Enfin, ces magistrats et ces fonctionnaires bénéficient d'un accompagnement particulier.

Mme Solanges Nadille. - Je vous remercie pour votre présentation. Je note que les magistrats qui postulent pour la Guadeloupe et pour les territoires ultramarins sont très accompagnés.

L'augmentation des effectifs est-elle liée comme pour la police à celle de la population ?

M. Paul Huber. - L'augmentation est calculée sur plusieurs critères. Tout d'abord, il était nécessaire de procéder à un rattrapage. Nous avons également pris en compte les enjeux de criminalité et les spécificités de certaines cours d'appel, notamment celle de Fort-de-France qui accueille la JIRS et qui était saturée. Enfin, pour la construction des effectifs dans le plan quinquennal, nous avons élaboré une méthodologie qui prend en compte l'augmentation de la population et les indicateurs de l'Insee qui peuvent avoir un impact direct sur le besoin de justice dans les territoires.

Mme Solanges Nadille. - Je suis d'accord sur le rattrapage mais je ne pense pas que les effectifs augmenteront en Guadeloupe puisque la population diminue.

M. Paul Huber. - Nous ne regardons pas uniquement les critères démographiques, nous nous intéressons aux critères sociaux et économiques.

M. Saïd Omar Oili. - La loi « asile et immigration » de 2018 et plus particulièrement l'amendement de mon collègue Thani Mohamed Soilihi limitant l'accès à la nationalité française pour les étrangers résidents à Mayotte ont-ils eu des effets sur les flux migratoires à Mayotte ? Quel est le bilan de cet amendement ? Combien de personnes ont-elles été exclues du droit de naturalisation ? Quel est le nombre de contentieux en cours ?

Allez-vous construire une nouvelle prison à Mayotte ou agrandir celle qui est en service ?

Enfin, dans le cadre de la préparation de l'opération Wuambushu 2, les services du ministère de la Justice ont-ils été consultés pour renforcer les moyens en direction des mineurs dans les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ?

M. Paul Huber. - Je ne dispose des chiffres pour répondre à votre première question. Je vais regarder qui pourra vous communiquer ces éléments sur le flux migratoire. Je peux cependant vous dire que les enjeux sont majeurs et que le déplacement du garde des Sceaux a permis de débloquer un certain nombre de sujets dans les échanges avec les élus, notamment sur la cité judiciaire et sur les logements pour les magistrats et les fonctionnaires. L'impact de Wuambushu 1 et de Wuambushu 2 a été bien évidemment travaillé au niveau interministériel pour que nous adaptions les effectifs aux différentes opérations. La situation à Mayotte nous a conduit à mettre en place une cellule de crise avec les chefs de juridiction et la zone de défense et nous avons adapté nos effectifs et notre organisation à ces enjeux.

M. Fabien Neyrat. - Sur le centre éducatif fermé (CEF) de Mayotte et le second établissement pénitentiaire, la décision est passée en réunion interministérielle. L'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ) va préparer un travail de communication avec les élus sur le CEF. Je ne peux pas être plus précis mais je compléterai cette réponse par écrit après avoir interrogé le directeur de l'administration pénitentiaire.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Les questions que je voulais poser sur l'immobilier (CEF, cité judiciaire, 2e prison) ont déjà été évoquées. Ce sont des infrastructures majeures. Si elles ne voient pas le jour rapidement, la réponse judiciaire, notamment la réponse pénale n'aura pas de sens. Aujourd'hui, nous sommes obligés de composer avec La Réunion ou l'Hexagone et cette politique a des limites. Je suis preneur de précisions écrites sur l'avancement de ces chantiers.

En outre-mer, l'entretien des bâtiments coûte plus cher que dans l'Hexagone en raison du climat. Le coût de cet entretien est-il pris en compte dans la programmation budgétaire ?

M. Paul Huber. - Les chantiers immobiliers sont extrêmement nombreux sur l'ensemble des outre-mer et notamment à Mayotte. L'APIJ s'est déplacée pour rencontrer l'ensemble des acteurs locaux et échanger sur la cité judiciaire avec les chefs de cour et les chefs de juridiction. Nous pourrons vous communiquer les résultats de cette visite.

Je vérifierai que le coût d'entretien des bâtiments est bien pris en compte dans nos budgets. Nous recrutons des techniciens immobiliers qui assurent la maintenance immobilière et accompagnent les projets immobiliers. Ils font le lien avec l'APIJ et les services du secrétariat général.

M. Fabien Neyrat. - Nous avons pris des mesures importantes et fortes sur l'immobilier, qui est un sujet de préoccupation majeure. L'adaptation et la structuration de la fonction immobilière du ministère de la Justice pour les outre-mer est la priorité du secrétariat général et de la délégation.

L'APIJ gère la construction des grands projets immobiliers mais elle a aussi, contrairement à l'Hexagone, la mission de gros entretien et de réparation (GER) du patrimoine immobilier de la justice en outre-mer pour les travaux dont le montant est compris entre 150 K€ et 1 M€. Cela n'est pas sans poser de difficultés parce que l'APIJ n'est pas toujours à l'aise pour piloter des projets modestes, son ingénierie étant adaptée aux gros projets. Nous disposons d'un coordinateur de proximité dans les territoires, qui est l'interface entre les utilisateurs finaux et l'APIJ. Il remonte les difficultés, priorise certains éléments et son rôle est extrêmement précieux. Par exemple, pour la cité administrative et judiciaire de Saint-Martin dont la maîtrise d'ouvrage est assurée par l'APIJ, le coordinateur a siégé dans les différents comités techniques pour faire entendre la voix du ministère de la Justice.

Enfin, nous travaillons sur la mise en place d'un département immobilier outre-mer au sein du ministère à l'instar des délégations hexagonales. Un préfigurateur est en cours de recrutement et proposera un modèle d'organisation avant la fin de l'année.

Mme Marie-Do Aeschlimann. - Je souhaite vous interroger sur l'accès à la formation professionnelle des personnes placées sous-main de justice en outre-mer et sur les moyens que le ministère accorde à cette politique.

Le financement de ces actions de formation a été confié aux régions il y a bientôt 10 ans mais elles sont pilotées par un partenariat entre la région, les chefs d'établissement pénitentiaire et la direction des services pénitentiaires de l'insertion et de la probation. Quels moyens mettez-vous en place à travers la convention qui est signée pour organiser cette politique publique au regard de la surpopulation carcérale en outre-mer et du chômage endémique ? En effet, pour être vraiment utiles, les actions de formation professionnelle doivent être corrélées à des perspectives de débouchés professionnels. Cela implique une adaptation, un dialogue entre la confection de ces programmes de formation et la réinsertion des détenus puisque la finalité de la prison est de permettre la réinsertion et de lutter contre la récidive.

M. Paul Huber. - Je ne peux malheureusement pas répondre à votre question. Je la transmettrai à mon collègue en charge de l'administration pénitentiaire et je vous communiquerai sa réponse par écrit. Il se tient également à votre disposition comme la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse.

Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Avant de conclure et de remercier nos deux intervenants, j'observe que ce sont souvent des débutants qui sont envoyés à Mayotte. Je crains que faire débuter de jeunes magistrats dans des départements très complexes ne les démotive. Par ailleurs, envoyer des magistrats dans une juridiction dans laquelle ils n'avaient pas forcément envie d'aller en leur offrant la possibilité d'intégrer la juridiction de leur choix après 3 ans risque de conduire à l'affectation de personnes qui ne seront pas très motivées. Nous avons eu un incident à Saint-Barthélemy en mars 2023. Une altercation assez vive entre une juge et un procureur montrait de manière flagrante qu'elle n'était pas intéressée par les sujets qu'elle avait à traiter. Elle a repoussé 30 dossiers lors d'une audience foraine et n'avait manifestement pas envie de venir à Saint-Barthélemy.

Au regard de la complexité des affaires à traiter en outre-mer, il serait peut-être plus judicieux d'affecter des magistrats aguerris ayant une grande expérience.

M. Paul Huber. - Le cas dont vous venez de parler n'est pas admissible mais la juge n'était pas une jeune magistrate. Elle avait une certaine expérience professionnelle. C'est pourquoi nous sommes très attentifs aux motivations des magistrats qui candidatent sur des postes outre-mer. Nous devons redoubler de vigilance. Ce n'est pas parce que nous rencontrons des difficultés d'attractivité dans certaines juridictions que nous devons y envoyer des magistrats sans vérifier les raisons pour lesquelles ils acceptent d'y aller. Nous avons mis en place un certain nombre de dispositifs d'entretiens préalables mais aussi du mentorat et du coaching pour mieux accompagner ces magistrats. Il peut y avoir des loupés mais nous redoublons d'attention et de vigilance avant de proposer un magistrat à la mobilité.

Tous les magistrats qui partent en outre-mer bénéficient d'un accompagnement RH renforcé et font l'objet d'un entretien préalable pour vérifier les raisons pour lesquelles ils partent. Parfois nous constatons qu'ils ne connaissent pas suffisamment les enjeux locaux et qu'ils veulent partir pour de mauvaises raisons. Nous sommes très vigilants et le Conseil supérieur de la magistrature réalise également des contrôles.

Je ne souhaite pas envoyer des auditeurs de justice de manière contrainte vers ces juridictions. Je suis d'accord avec vous, ce n'est pas comme cela que nous pouvons assurer un bon fonctionnement de ces juridictions. Les enjeux sont extrêmement lourds et nécessitent de l'expérience. Si nous continuons à proposer ces postes aux auditeurs de justice c'est parce que nous n'avons pas d'autre choix pour faire face à ces défauts d'attractivité.

C'est la raison pour laquelle nous avons mis en place toute une stratégie parallèle de renforcement de cette attractivité, avec des accompagnements individuels, les brigades ou l'accompagnement RH. À terme, nous espérons pouvoir éviter de proposer ces postes aux auditeurs de justice. Il est clair que nous n'enverrons pas à Mayotte, surtout en ce moment, des auditeurs de justice de manière contrainte. Nous ne voulons pas les mettre en échec et risquer des rappels.

L'enjeu est que les postes soient attractifs pour les magistrats qui ont de l'expérience. Les brigades nous permettent de constater que des collègues qui hésitent partent 6 mois et décident de rester, notamment sur l'encadrement intermédiaire pour les postes de vice-président, de vice-procureur ou de procureur adjoint.

M. Fabien Neyrat. - Je me permets d'ajouter que pour augmenter l'attractivité des juridictions des outre-mer nous allons regrouper en juin 2024 l'ensemble des partants outre-mer des trois directions et leur proposer en partenariat avec la chaire Sciences Po outre-mer et la direction générale des outre-mer un ensemble de formations sur les enjeux des territoires ultramarins, des expertises, des témoignages sur la situation sanitaire, sécuritaire ou sociale, pour qu'ils aient tous le même niveau de connaissance et surtout qu'ils puissent se connaître. Il est important qu'ils aient le sentiment d'intégrer un territoire avec d'autres collègues, ce qui permet de renforcer les réseaux informels de solidarité qui sont particulièrement utiles et appréciés dans les territoires les plus difficiles.

Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Je vous remercie. Ces deux auditions nous confortent dans l'étude menée par notre délégation et montrent l'importance de se déplacer sur le terrain, puisque d'un territoire à l'autre les aspects sont différents, les besoins sont différents et les attentes sont différentes.

Je salue le travail, le courage et la ténacité de tous ces magistrats qui sont pleins de bonne volonté, qui ont envie que les choses avancent mais qui sont parfois complètement débordés par le nombre des dossiers et par la nature des cas qu'ils ont à traiter et qui sont d'une extrême violence et d'une extrême complexité.

Nous sommes preneurs de toutes les informations complémentaires que vous pourrez nous apporter et nous aurons l'opportunité de nous déplacer bientôt en Martinique, en Guadeloupe, à Saint-Martin et même à Saint-Barthélemy pour rencontrer les services judiciaires mais aussi les douanes et tous les autres services de l'État de manière à adapter le rôle de l'État aux réalités des territoires ultramarins.

Je remercie Annick Petrus de m'avoir remplacée à Paris, notre rapporteur Philippe Bas et tous les membres de la délégation qui ont participé à cette audition.

Mardi 14 mai 2024

Table ronde consacrée à la situation en Guyane
Organisation préfectorale, pouvoirs du préfet et sécurité
Audition d'Antoine Poussier, préfet de Guyane et de Joël Sollier, procureur général près la Cour d'appel de Cayenne

Mme Micheline Jacques, président. - Monsieur le préfet, monsieur le procureur général, mes chers collègues, dans le cadre de nos travaux sur l'adaptation des modes d'action de l'État dans les outre-mer, nous organisons cet après-midi deux tables rondes consacrées à la Guyane.

La première séquence réunit M. Antoine Poussier, préfet de Guyane, et M. Joël Sollier, procureur général près la Cour d'appel de Cayenne, sur les thèmes de l'organisation préfectorale, des pouvoirs du préfet et des enjeux de sécurité.

En Guyane, l'autorité de l'État est défiée directement par l'ampleur des atteintes en matière de sécurité, de respect des frontières et de justice. C'est le coeur régalien de l'État qui est attaqué.

Lors de son audition par la délégation, Me Patrick Lingibé a clairement posé la question de l'effectivité de la souveraineté de la France en Guyane, dont la remise en cause doit pousser à une profonde réflexion sur l'adaptation de l'action de l'État sur ce territoire.

La taille de la Guyane, sa forêt, son environnement régional, des organisations criminelles de plus en plus puissantes sont autant d'éléments qui mettent en difficulté notre système juridique et administratif. Les auditions de la commission d'enquête du Sénat sur les narcotrafics, qui doit rendre ses conclusions aujourd'hui, ont apporté un éclairage terrible sur cet aspect.

Je vous remercie, Monsieur le préfet et Monsieur le procurer général, de vous être rendu disponibles pour cette audition. Lors du déplacement de la mission dans les Antilles en avril, nous avons d'ailleurs eu l'occasion d'échanger une première fois avec vous, Monsieur le procureur général. C'est un plaisir de vous retrouver ce soir.

Un questionnaire indicatif vous a été transmis pour vous aider à cerner nos principales interrogations et attentes. Nos réflexions se concentrent avant tout sur la stratégie de l'État en Guyane, sur l'adaptation de ses modes d'action, moins que sur la question des moyens quantitatifs, humains ou financiers.

L'insuffisante prise en compte de la dimension régionale et diplomatique des enjeux est souvent pointée. Notre collègue Georges Patient, sénateur de la Guyane, mais aussi co-rapporteur de notre mission d'information en cours sur la coopération régionale dans le bassin Indien, peut en témoigner.

Les questions de l'emploi de l'armée, des outils de la chaîne pénale, du recours à la police administrative, sont aussi posées.

De manière plus générale, pour reprendre une expression répandue ces temps-ci, comment réarmer l'État pour lui permettre d'assumer ses missions essentielles en Guyane ?

Je laisserai les rapporteurs vous interroger après vos exposés liminaires d'une dizaine de minutes chacun, puis nos autres collègues interviendront s'ils le souhaitent.

Monsieur le préfet, vous avez la parole.

M Antoine Poussier, préfet de Guyane. - En plus des défis habituels des outre-mer liés à l'éloignement et parfois de l'inadaptation de certaines normes, l'État en Guyane est confronté à des défis particuliers, notamment en raison de ses frontières terrestres parmi les plus longues de notre pays. Nous nous inscrivons donc dans le cadre de missions régaliennes et sommes le réceptacle de tout un environnement régional sud-américain qui a nécessairement un impact sur les politiques de sécurité en Guyane.

Vous avez écarté les sujets quantitatifs de moyens. J'en profite simplement pour rappeler que depuis un an et demi, et même depuis 2017, les moyens ont été renforcés en termes d'effectifs de police, de gendarmerie et de douanes. Sous le contrôle de M. le procureur général, je crois que c'est également le cas pour les moyens judiciaires.

Sur la question du réarmement - terme très offensif de l'État -, je m'inscris en faux sur l'image d'un État affaibli et impuissant en Guyane. J'en veux pour preuve la question des stupéfiants que vous évoquez et qui fait l'objet d'un récent rapport sénatorial. L'État a su démontrer une capacité forte d'adaptation face à un défi hors du commun. En résumé, nous étions confrontés à un trafic parfois aérien, sur des vols entre Cayenne et Paris, sur lesquels les moyens judiciaires et policiers étaient insuffisants pour contenir le volume, à la fois au départ de Cayenne et à l'arrivée à Paris, et sur lesquels une forme d'agilité administrative a permis de trouver une réponse. Toutes les personnes liées au trafic font désormais l'objet d'un arrêté préfectoral d'interdiction d'embarquement pendant cinq jours. Il s'agit d'un exemple frappant de la complémentarité administrative et judiciaire face à de tels phénomènes.

Concernant la question de l'État impuissant ou désarmé, je voulais évoquer le sujet emblématique de la lutte contre le trafic de stupéfiants pour montrer la capacité de l'État local, de façon interministérielle, à trouver les voies et les moyens d'apporter une réponse que je décris comme efficace, notamment en étant dans la possibilité de mesurer les saisies réalisées en aval, à l'arrivée à Paris, dont le volume a été divisé entre 3 et 4. La coordination administrative et judiciaire s'est révélée efficace, et même dissuasive, puisque le nombre d'arrêtés préfectoraux d'interdiction d'embarquement connaît une baisse importante, ce qui semble indiquer que les trafiquants utilisent moins le mode de transport par mules. Cette situation nous incite à être très attentifs à ce qu'il se passe par contournement, notamment par les Antilles. J'ai demandé l'extension du contrôle à 100 % à l'ensemble des vols au départ de Cayenne alors qu'il était jusqu'à présent limité à la partie transatlantique. Nous sommes par ailleurs très attentifs à ce qu'il se passe sur les autres modes de transport. Nous avons récemment découvert 300 kilogrammes par fret aérien et 1,8 tonne par fret maritime sur un conteneur à destination du Havre sur un navire de la compagnie CMA CGM. En effet, dans la mesure où nous avons réellement resserré la contrainte sur le transport par mules, les trafiquants recherchent des voies de contournement.

En outre, l'État est confronté à d'autres défis en lien avec la souveraineté. Je pense notamment à la lutte contre l'orpaillage illégal. Depuis la mise en place en 2008 de l'opération Harpie, ce phénomène a été contenu, mais reste à un niveau jugé excessif. Entre 6 000 et 7 000 garimpeiros sont présents dans la forêt guyanaise. Nous avons le sentiment que les quantités d'or extraites sont en diminution, mais il est nécessaire d'appréhender ces chiffres avec précaution. Nous parlions jusqu'à présent de 10 tonnes d'or extraits illégalement. Nous sommes probablement descendus en dessous de 7 tonnes aujourd'hui. Selon l'estimation de la gendarmerie en 2023, la quantité serait supérieure à 5 tonnes.

La lutte contre la pêche illégale est de plus en plus active, avec de réels résultats s'agissant du Brésil. L'année dernière, 13 tapouilles brésiliennes ont été détruites. Il est parfois reproché à l'État de mener une action timorée. Je pense que nous faisons le maximum, puisque les tapouilles brésiliennes interceptées en action de pêche et en situation de réitération sont détruites. Nous sommes en train de faire évoluer notre doctrine.

Après la phase de pédagogie, nous sommes désormais en discussion avec l'autorité judiciaire puisque nous agissons sous le contrôle du juge des libertés et de la détention (JLD) pour la destruction des tapouilles. Nous souhaitons supprimer la condition de réitération dans la mesure où les pêcheurs brésiliens connaissent les risques de pêcher dans les eaux françaises. Nous pensons donc pouvoir amplifier notre action à destination des pêcheurs brésiliens.

Pour le Suriname, il s'agit d'autres types de bateaux. Nous parlons plutôt de pirogues qui restent très près du littoral, mais là encore, nous sommes en train de nous déployer. Nos moyens ont été renforcés dans l'ouest. En outre, lors de son déplacement, le président de la République nous a demandé d'avoir un site de destruction à l'ouest.

Nous devrions donc, dans l'année, procéder à des destructions d'embarcations surinamaises.

Le dernier sujet est d'ordre migratoire. Nous touchons en réalité à un sujet complexe avec des phénomènes qui ne sont pas intuitifs. Nos principaux sujets ne sont pas nécessairement en lien avec les ressortissants des États frontaliers, par exemple le Brésil ou le Suriname, mais avec ceux d'États un peu plus lointains.

Nous avons notamment un afflux, depuis 2019, de réfugiés proche-et-moyen orientaux, de nationalités syrienne, afghane et dans une moindre mesure marocaine qui bénéficient de visas humanitaires brésiliens leur permettant de s'approcher de la frontière franco-brésilienne à laquelle ils demandent l'asile. Ils séjournent ainsi en Guyane le temps de leur demande qui est d'ailleurs, je l'observe, très souvent acceptée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) avec des taux de reconnaissance de la protection internationale qui, pour certaines nationalités, notamment les Afghans, dépassent 98 %.

Nous notons un autre phénomène migratoire en provenance d'Haïti qui se massifie. À peu près un tiers de la population étrangère est d'origine haïtienne avec là aussi une particularité actuelle. Compte tenu de l'évolution sécuritaire dégradée en Haïti, les conditions d'attribution de la protection internationale ont évolué. L'ensemble de la population haïtienne en situation irrégulière en Guyane est en train de demander l'asile. D'après l'expérience des trois premiers mois de 2024, nous pensons avoir une multiplication entre 6 et 10 du nombre de demandes, formées par des ressortissants haïtiens, parfois installés en Guyane depuis plusieurs années, ce qui est légal, mais crée une forte tension. Telle est la description de la situation dont je souhaitais vous faire part.

J'ai ainsi brièvement évoqué les principaux enjeux de souveraineté auxquels est confrontée la Guyane. À la différence des autres outre-mer, la Guyane est un département continental, de grande taille, ce qui rend le contrôle des flux d'entrées et de sorties infiniment plus compliqué et plus sensible que sur des territoires plus petits et insulaires

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie. La parole est donnée à M. le procureur général.

M Joël Sollier, procureur général près la Cour d'appel de Cayenne. - Je suis honoré de participer à cet échange, d'autant plus que le sujet n'est pas périphérique, mais constitue le thème central des questions soulevées en Guyane, à savoir l'action de l'État, son efficacité, son effectivité et ce qui peut éventuellement perturber son action. Je parle d'un sujet central puisque l'État a un rôle essentiel en Guyane. Il provient de l'Histoire, avec une tradition coloniale. L'État est acteur du développement du territoire. Il y joue un rôle manifeste. Il crée notamment les infrastructures et assure les services publics. Il représente en outre une part non négligeable de l'activité économique. Il s'agit, quelque part, d'une économie colbertiste. En Guyane, le poids de la dépense publique est effectivement considérable. Les dépenses sociales sont considérables. Le fonctionnariat a un poids majeur. L'État est véritablement un acteur majeur dans la vie de la Guyane. Si les Guyanais ont pu contester l'État sur certains aspects, ils lui sont dans l'ensemble favorables.

Or, nous constatons progressivement une contestation de l'action de l'État et de sa légitimité en raison d'une certaine inefficacité pointée, à tort ou à raison, par la classe politique ou la population, estimant que la Guyane endure une situation qui ne serait pas tolérée en métropole. L'exigence de sécurité, la défense des frontières et la dénonciation du laxisme migratoire sont au coeur des revendications politiques qui augmentent en fréquence comme en violence. Je prends pour exemple les événements de 2017 centrés sur les questions de sécurité.

Le coeur des revendications porte sur des problématiques régaliennes. Pourquoi ces questions de sécurité figurent parmi les premiers facteurs de contestation de l'État ? La réponse tient dans le fait que la sécurité est un enjeu majeur en Guyane car il s'agit d'un territoire en voie de développement. Sans sécurité, aucun développement n'est envisageable. Sans sécurité, il s'avère difficile d'attirer des investissements, des cadres et de maintenir le personnel formé sur le territoire. Je pense que c'est un des éléments qui souligne que la sécurité est, au-delà du confort quotidien, un élément structurant pour l'avenir du territoire.

On pourrait se demander si l'émergence de cette contestation ne serait pas due à une inactivité de l'État. Or, l'État n'est pas inactif, bien au contraire. Nous n'avons guère le temps, dans le cadre étroit de cet entretien, de mesurer les forces qui sont engagées en Guyane, mais elles sont tout à fait considérables. Des efforts financiers ont été réalisés et se sont accrus. Une vraie conscience politique est actée de la part des administrations centrales, des ministres et du président de la République qui a effectué un déplacement sur le territoire il y a environ un mois. Paris est donc informé et sensibilisé à ces questions.

Nous pourrons toujours affirmer que les moyens sont insuffisants, mais ceux-ci restent significatifs. En outre, la présence politique est tout à fait majeure. Les ministres se sont déplacés très régulièrement en Guyane. Le Premier ministre était présent il y a quelques mois. Comme je l'ai dit, le président de la République s'y est récemment déplacé. La situation reste toutefois paradoxale puisque, malgré ces efforts, des carences perdurent.

Nous n'avons effectivement pas éradiqué la délinquance du quotidien. Celle-ci est significative. C'est pourquoi la Guyane est un des premiers départements criminogènes de France. Par ailleurs, l'État, en dépit de tous ces efforts, n'arrive pas à contrer les phénomènes de criminalité organisée, puissants, qu'il parvient tout au plus à juguler. Ce sont les grands trafics : les stupéfiants, l'immigration illégale et les armes. Nous constatons une difficulté notable à délivrer la réponse que nous souhaiterions apporter.

Quelles sont les raisons de cette carence sécuritaire ? Tout d'abord, je rappelle que lorsque la Guyane n'était qu'une petite colonie pénitentiaire oubliée en Amazonie, elle n'était pas soumise aux vents puissants de l'Amérique latine en matière criminelle. Or, avec son développement, la Guyane a naturellement connu les maux de son environnement immédiat. C'est pourquoi nous constatons que les phénomènes de grande criminalité issus de l'Amérique latine gagnent ce territoire. En réalité, l'environnement géopolitique est assez hostile.

Par ailleurs, la doctrine d'emploi des forces serait aujourd'hui à repenser. Il faut sans doute réfléchir à la manière dont ces forces, assez nombreuses, sont exploitées. Nous fonctionnons comme si les phénomènes criminels qui nous atteignent étaient des phénomènes constitutifs d'une menace intérieure, alors que la plupart sont exogènes. J'ajoute que l'emploi des forces est fondé sur une doctrine purement métropolitaine alors que tout le monde convient que les outre-mer sont des extensions mondialisées de la France. Nous appliquons ainsi des schémas de pensée prévus pour l'Hexagone.

Enfin, la faiblesse de l'institution judiciaire est manifeste, non pas car celle-ci ne fait rien, mais parce qu'elle se trouve limitée à la gestion courante d'une criminalité débordante qui assèche ses capacités opérationnelles sans traiter les racines de la délinquance. Nous n'avons pas vu, actuellement, des affaires qui visent à mener des politiques de démantèlement pour arrêter les trafiquants. Nous ne démantelons pas la structure. La situation est similaire pour l'orpaillage et les armes.

S'agissant des mesures préconisées pour prendre la main sur les faiblesses constatées, l'action diplomatique apparaît essentielle compte tenu de ce phénomène exogène. Cette action diplomatique doit se distinguer de la coopération technique que nous menons en matière militaire, judiciaire et policière avec nos voisins. Celle-ci est effectivement pertinente, mais ne s'avère pas suffisante. Une action diplomatique est nécessaire si nous souhaitons que les lignes bougent en Guyane. Il faut amener diplomatiquement nos pays voisins à faire évoluer la situation dans un certain nombre de domaines. Il s'agit d'un exercice que les diplomates savent faire, mais pratiquent finalement assez peu aujourd'hui. La Guyane est un petit territoire comparé au Brésil. Pour que ce dernier s'intéresse aux problématiques de la Guyane, l'action diplomatique me semble indispensable.

Pour ce faire, la Guyane doit être à la table des négociations franco-brésiliennes, ce qui n'était pas le cas jusqu'à récemment. Nous nous sommes réjouis lorsque le président de la République a réalisé un voyage en Guyane et au Brésil où les problèmes rencontrés par le territoire évoqué ont été abordés. Il a notamment été question de la façon de faire évoluer la situation. Un changement de ton est ainsi à noter de la part du Quai d'Orsay. Il faut développer cette dynamique.

Cette remarque est également valable à l'égard du Suriname et du Guyana où une action diplomatique doit être engagée. Sans celle-ci, nous serons condamnés à subir ces phénomènes sans jamais traiter les causes.

En outre, la révision de la doctrine d'emploi des forces est nécessaire. Les outre-mer justifieraient sans doute que nous votions, par exemple, le recours aux forces armées.

Si l'emploi des forces armées dans l'Hexagone peut prêter à discussion, la question est différente dans les territoires ultramarins, et notamment la Guyane. Il s'agit effectivement d'un territoire qui est hors norme. Il me semble important de nous demander s'il ne pourrait pas exister de nouvelles modalités pour recourir aux forces armées. Je rappelle que ce sont les seules à pouvoir intervenir, à la fois en termes de capacités logistiques et de savoir-faire pour endiguer des phénomènes extrêmement sérieux.

La justice doit développer des structures de lutte contre la criminalité organisée. Pour autant, la police doit également être concernée. La situation évolue, mais, jusqu'à présent, nous ne disposons pas de structures en capacité de lutter contre les phénomènes de criminalité organisée. Pour démanteler des réseaux, il faut effectivement une capacité d'enquête, de renseignement, de personnels spécialisés ainsi qu'une capacité de jugement qui, à ce jour, sont presque absentes en Guyane. Une évolution tout à fait positive s'amorce, mais il faut poursuivre les efforts.

Il est également nécessaire d'avoir recours à un meilleur usage du droit. La législation nationale appliquée en Guyane pose des difficultés liées aux particularités du territoire.

Des possibilités d'adaptation de la législation nationale par le biais des habilitations sont envisageables, mais assez peu utilisées. Des adaptations ont déjà été mises en oeuvre pour les territoires ultramarins par le passé. Ces actions ont été, à mon sens, insuffisamment réalisées. Un travail collectif est à mener. Il est possible d'adapter le code de procédure pénale ou le code minier, ce qui a été récemment réalisé, pour avoir des adaptations locales.

En outre, la déconcentration constituerait un moyen tout à fait intéressant et peu utilisé et donnerait au préfet la possibilité d'adapter les réglementations à la réalité locale.

Un meilleur usage du droit est essentiel pour faire en sorte que l'État gagne en efficacité et s'adapte à une nouvelle réalité en développant des outils qui paraîtraient de nature à renforcer son efficacité.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci M. le procureur général. Je vais maintenant laisser la parole à nos rapporteurs, Philippe Bas et Victorin Lurel.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Je vous remercie pour vos exposés riches qui répondent à nos préoccupations puisque notre mission porte sur la manière dont l'État remplit ses fonctions régaliennes essentielles dans les outre-mer. Ils soulignent que nous avons sans doute besoin, au fond, d'autonomie, de compétences élargies pour les collectivités, notamment départementales, régionales ou spécifiques. Pour autant, cette perspective est loin d'épuiser le sujet, dans l'objectif d'apporter aux populations ultramarines le même niveau de protection de la part de l'État que partout ailleurs en France.

Il faut aujourd'hui se pencher, non plus sur les compétences à transférer, mais sur l'exercice par l'État de ses propres compétences.

Vous avez apporté nombre de témoignages d'expérimentations que vous mettez en oeuvre. Nous avons, comme vous, de nombreuses interrogations. Vous avez pour autant apporté des réponses à un certain nombre de nos préoccupations.

Sur l'immigration, j'entends bien l'existence de phénomènes, que vous avez qualifiés de surprenants, mais dont nous avions été informés au cours d'un déplacement de la commission des lois en 2019, à savoir l'arrivée de migrants venant du Proche-Orient, notamment de Syrie.

Vous citez l'Afghanistan, nous avons vu les effets d'une très forte migration haïtienne à l'époque sans espoir de déboucher sur l'asile. J'ignorais que l'évolution de la situation en Haïti permettait désormais aux Haïtiens présents sur le sol français en Guyane d'espérer obtenir des titres de séjour au titre de la protection spéciale.

M. le préfet, pouvez-vous préciser ces éléments pour réfléchir ensemble à la manière de lutter contre ces phénomènes ? L'immigration haïtienne porte-t-elle une responsabilité dans le climat de violence qui s'est développé, notamment autour de Cayenne ?

Je souhaiterais également vous demander si vous considérez que l'application de cette excellente pratique du « 100 % contrôle » et la publication des arrêtés préfectoraux qui permettent d'éloigner des personnes de l'aéroport ne posent pas de problèmes juridiques qui pourraient prendre de l'importance. Ne faudrait-il pas apporter par la loi une plus grande sécurité juridique ou la situation est-elle en l'état satisfaisante ?

Vous avez évoqué les problèmes de trafic de drogue dont je parlais à l'instant et vous avez montré que, dès lors que nous sommes plus efficaces sur des points de passage, le trafic se reporte sur d'autres modes d'acheminement. Vous avez évoqué la situation des porte-conteneurs qui comprennent parfois 3 000 conteneurs et dans lesquels des quantités importantes de drogue sont parfois introduites. Celles-ci sont très difficilement détectables dans les ports européens. La marine nationale est-elle suffisamment mobilisée pour effectuer des contrôles ?

Je souhaite également vous interroger sur les questions d'ordre public, de sécurité et de violence intrafamiliale ainsi que sur la question des violences urbaines. Ce phénomène vous paraît-il aujourd'hui faire l'objet d'une meilleure maîtrise de la part de l'État ? Nous parlons d'un sujet de la vie quotidienne qui préoccupe le plus nos compatriotes de Guyane.

Enfin, j'aimerais, M. le procureur général, que vous approfondissiez le point de votre intervention sur la doctrine d'emploi des forces hexagonales que vous avez qualifiée d'obsolète. Les moyens - dont vous avez admis qu'ils avaient été augmentés pour la justice, la police, la gendarmerie -, sont-ils réellement, non pas proportionnés au nombre d'habitants, mais proportionnés au nombre d'actes de délinquance et à la criminalité que vous constatez dans votre territoire ?

Certaines questions sont modestes, mais conservent tout de même leur importance, notamment l'interprétariat. Serait-il possible de simplifier la procédure ? Nous éprouvons parfois des difficultés à trouver des interprètes diplômés dans l'ensemble des langues que nous devons utiliser pour faire comprendre la loi aux prévenus. Certains locuteurs pourraient se présenter sans être titulaires d'un diplôme pour le bon fonctionnement de la justice.

Vous avez également évoqué l'emploi des forces armées. Une idée circule s'agissant des zones de défense et de sécurité en forêt amazonienne. Visez-vous ce type d'action ? En quoi consisterait-elle précisément si nous souhaitions être efficaces ?

Nous sommes preneurs de vos propositions pour adapter le code de procédure pénale, ne pas baisser la garde sur le niveau de protection des droits des délinquants et des prévenus, mais être plus efficaces dans la répression en simplifiant les règles et en les adaptant à nos territoires ultramarins et, en l'occurrence, à la Guyane.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Vous avez laissé entendre, M. le procureur général, qu'une prise de conscience de l'État central est manifeste. Un rapport sénatorial composé de 52 propositions reprend les éléments que vous venez d'évoquer en termes de déploiement de moyens d'adaptation des lois et de nécessité de repenser la doctrine d'emploi des forces. Nous avons reçu la visite de plusieurs ministres. Gérald Darmanin a affirmé, lors d'un déplacement en Guadeloupe, qu'il n'est pas tant question de moyens, mais de renforcement des moyens d'enquête, ce qui n'est pas faux dans l'absolu. Nous manquons effectivement d'officiers de police judiciaire, de greffiers, d'officiers de liaison et d'autres professions.

Une conférence internationale sur la coopération s'est tenue à Saint-Martin. Le contre-amiral des forces armées basé en de Martinique a affirmé que nous avions les moyens aéro-maritimes. Je lui ai répondu que je me permettais d'en douter. Nous ne disposons pas de bâtiments de transport léger, de bateaux amphibies, et n'avons pas suffisamment de drones, mais j'ai parfois l'impression que nous nous contentons de seulement quelques moyens déjà présents. Il semble qu'un retrait de la Grande-Bretagne, des États-Unis, de la France et de l'Europe soit manifeste dans la zone. Au-delà des moyens d'ajustement que nous pouvions ponctuellement octroyer, nous sommes en train de perdre une guerre.

Je ne suis pas excessivement pessimiste, mais j'ai l'impression que malgré ce qui a été dit, la prise de conscience n'est pas totale. Nous avons observé le démantèlement du renseignement territorial. Nous ne disposons pas encore des conventions judiciaires avec tous les pays.

La doctrine d'emploi des forces est un sujet évoqué depuis des années. Toutefois, ce sujet n'est évoqué qu'à travers les violences urbaines. Comment appliquer une nouvelle doctrine d'emploi des forces, par exemple pour l'opération administrative Harpie ? La dénomination, la nature même de cette opération administrative sont-elles une gêne ou un obstacle ? Comment le surmonter et être plus efficace à travers un nouvel emploi des forces et une nouvelle pensée plus stratégique et anticipatrice ?

Le préfet dispose de moyens renforcés par rapport à un préfet de l'Hexagone, notamment en matière de lutte contre l'immigration illégale. Personne n'évoque ce fait puisque nous, élus, sommes dans une situation délicate. Compte tenu de la pression migratoire, le préfet peut expulser et prendre des obligations de quitter le territoire français (OQTF) plus facilement qu'un préfet de l'Hexagone. En effet, il n'a pas à attendre la décision ou même la saisine du tribunal administratif. Nous parlons d'un moyen donné au préfet en Guadeloupe, en Martinique, à Saint-Martin, et également je crois à Mayotte.

Faudrait-il, selon vous, s'aligner sur la législation hexagonale ?

M Joël Sollier. - En Guyane, et peut-être dans nombre de territoires ultramarins, l'armée peut intervenir dans les territoires qui sont soit immenses, soit très complexes. Seule l'armée dispose des moyens d'intervention nécessaires.

À titre d'exemple, je souhaite évoquer la question de la protection de la frontière en Guyane. Celle-ci ne sera jamais totale, mais nous sommes aujourd'hui à un niveau minimal. Cette frontière n'est pas surveillée. Une solution intermédiaire est à trouver. L'armée dispose des moyens logistiques et de la capacité d'intervention. Or tant que ce territoire n'est pas mieux protégé qu'il ne l'est à l'heure actuelle, nous serons en permanence noyés par les vagues successives de phénomènes migratoires, criminels ou d'entrée illégale de marchandises.

Parler de régalien n'a pas de sens lorsque nous sommes dans l'incapacité d'assurer la protection du territoire sur lequel nous sommes souverains. Nous savons qu'il est possible de mener des actions en matière de surveillance de notre frontière. En effet, les migrants ne sont pas à tous les niveaux de cette frontière. Ils empruntent des zones de passage déterminées, qui sont d'ailleurs des zones traditionnelles et où la surveillance et le contrôle sont pourtant extrêmement faibles. Nous disposons aujourd'hui de moyens techniques tels que les drones.

Aujourd'hui, l'armée intervient, mais dans un cadre stratégique qui n'est pas bon.

Nous sommes considérés comme territoire national donc seule la gendarmerie peut théoriquement intervenir.

La situation est ainsi paradoxale puisque ceux qui ont les moyens n'ont pas le droit d'intervenir et inversement. Pouvons-nous trouver des mécanismes sans changer la Constitution ? Existera-t-il des moyens pour permettre à l'armée de retrouver une plus grande plénitude de ses compétences tout en agissant sur le territoire national ?

J'avais proposé des zones d'exclusion. Je précise que ce moyen est prévu par le code de la défense. Il s'agit de zones qui permettent à l'armée d'intervenir et de retrouver la plénitude de ses compétences sur le territoire national et de mettre en place des zones de blocage, que ce soit pour l'orpaillage ou pour le contrôle frontalier.

Il faut être prudent concernant la question des moyens. En effet, la question des moyens sans la question de la stratégie n'a pas de sens.

Beaucoup de drogue circule en Guyane. 2 500 tonnes de drogues sont produites par trois pays, la Colombie, le Pérou et la Bolivie. Elles viennent se déverser sur toute la zone Antilles-Guyane. Il s'agit d'une zone de rebond vers l'Europe, l'Amérique, voire l'Afrique et l'Asie. Si nous n'avons pas de stratégie pertinente, nous serons éternellement dans une logique de moyens.

Si nous n'adoptons pas de stratégie pour lutter contre l'orpaillage, nos efforts ne porteront pas leurs fruits. L'Histoire le montre, le phénomène ne régresse pas. Il a même tendance à s'accroître. Il nous sera impossible de bénéficier des moyens de façon permanente. Il ne faut pas que la question des moyens écarte celle de la stratégie.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci M. le procureur général. Nous sommes preneurs des éléments que vous pourrez apporter par écrit.

M Antoine Poussier. - Je rappelle qu'en Guyane, plus d'un tiers de la population est étrangère. Nous voyons la traduction concrète de l'évolution de la doctrine de l'OFPRA. Elle semble désormais plus facilement reconnaître la protection internationale, la protection subsidiaire pour les ressortissants haïtiens - au moins ceux résidant dans le grand Port-au-Prince. Cette évolution de la pratique de l'OFPRA s'applique aux ressortissants haïtiens, quelle que soit la durée de leurs séjours en France. Ainsi, des ressortissants haïtiens en situation illégale depuis plusieurs années se font enregistrer comme demandeur d'asile en profitant de cette possibilité juridique qui leur est offerte. Nous sommes face à la perspective d'une forme de régularisation massive via l'asile d'une partie des Haïtiens qui résident en Guyane. Je pense que la situation est similaire en Guadeloupe et en Martinique, bien que les volumes soient moindres.

S'agissant du rapport entre la population haïtienne et la criminalité, il me paraît pertinent d'observer que la moitié de la population pénale est étrangère. Toutefois, au total, près d'un tiers de la population est étrangère, ce qui n'est donc pas surprenant.

J'observe également que trois fois plus de Brésiliens que d'Haïtiens sont en prison en Guyane.

Je vous remercie, Monsieur le sénateur, de votre proposition de mettre en place un contrôle à 100 %. Je constate que 12 000 arrêtés préfectoraux ont été pris, pour mémoire, l'année dernière, ce qui révèle l'ampleur des actes exceptionnels. Nous parlons de plusieurs dizaines d'actes par jour, même si ce chiffre a aujourd'hui diminué. Ceux-ci sont fondés de manière basique sur le pouvoir de police générale du préfet. Le juge n'a jamais remis en cause la faculté du préfet de mobiliser ce pouvoir de police générale pour interdire l'embarquement. Il a simplement considéré que, dans la moitié des cas ayant fait l'objet d'un recours, le faisceau de présomption qui avait fondé cette décision était insuffisant. Il a sanctionné l'acte en considérant qu'il n'existait pas de motifs suffisants pour interdire l'embarquement. En revanche, dès lors que les motifs étaient jugés suffisants, le juge local n'a pas remis en cause la possibilité pour le préfet d'interdire l'embarquement pour des raisons de prévention des crimes et des délits et d'ordre public. En l'état, nous n'avons pas dépassé le tribunal administratif.

Il existe, à ma connaissance, un appel formé devant la Cour d'appel de Bordeaux dont l'audience devrait avoir lieu l'année prochaine. Elle permettra de considérer le raisonnement du juge de première instance.

Parmi les différentes modes de trafic que vous avez évoqués, les porte-conteneurs sont connus. Il existe à ce sujet une série d'articles récents très bien documentés dans Le Monde qui montrent que les grands ports européens sont des points d'entrée, notamment pour le trafic de stupéfiants. Je ne pense pas que la Marine nationale puisse mener des actions véritablement efficaces. Il est effectivement difficile de réaliser des contrôles en mer sur les porte-conteneurs. En l'état, l'installation de scanners à l'arrivée et au départ est pertinente avec une limite des flux, sachant qu'en Guyane, les flux sont évidemment plus limités qu'à Rotterdam par exemple et que cette condition permet ainsi d'effectuer des pré-contrôles.

L'analyse des images est compliquée. La mise en oeuvre de ces dispositifs n'est pas simple, mais elle est prévue par la douane à compter de l'année prochaine. Nous le savons, en matière de lutte contre les stupéfiants, comme souvent en matière de lutte contre la criminalité organisée, le renseignement est central.

S'agissant des sujets de délinquance générale, d'ordre public et de violences urbaines, j'interviens avec le recul d'une expérience relativement limitée puisqu'en huit mois d'exercice de mes fonctions, je n'ai pas été confronté à de grands troubles à l'ordre public.

En revanche, les vols à main armée restent un fléau qui engendre de réelles perturbations sociales. Nous observons des vols à main armée de commerces, en particulier de libre-service, des vols à main armée de voie publique - arrachage, souvent de chaînes en or ou de vols de téléphone -, et les vols à main armée à domicile. Ce type de délinquance joue considérablement sur le sentiment d'insécurité. Sur ce point, les forces de police et de gendarmerie sont mobilisées. Il s'agit d'identifier toutes les régularités, notamment sur les vols à main armée de commerces. S'agissant de la lutte contre le trafic, notamment celui lié à la circulation des armes, des contrôles réguliers sont effectués. Ils donnent heureusement des résultats, mais nous sommes confrontés à un phénomène d'une ampleur considérable. En effet, nous saisissons en Guyane plus d'une arme à feu par jour pour un département de 300 000 habitants.

Concernant l'opération Harpie, je constate également le paradoxe entre les forces disposant de la capacité juridique, mais pas matérielle, et inversement. À ma connaissance, la Guyane est le seul département où une opération de sécurité intérieure est menée par les forces armées.

Les forces armées apportent leur capacité d'aéromobilité, leur résilience et leur puissance de feu dissuasive et à ces militaires, est associé un tandem de gendarmes qui apporte le cadre juridique classique. Je rappelle que l'officier de police judiciaire (OPJ) est habilité à constater les infractions, notamment minières, et à procéder à des contrôles. Parfois, les compétences propres aux gendarmes sont données au personnel du Parc amazonien de Guyane grâce au code minier ou au code de l'environnement, voire au personnel de l'Office national des forêts (ONF) pour la réserve naturelle des Nouragues. J'espère que les agents de l'Office français de la biodiversité auront bientôt cette possibilité puisqu'ils en ont la compétence juridique.

Ce modèle, associant les capacités militaires adaptées à la forêt amazonienne aux compétences juridiques des OPJ conférées par les codes miniers et de l'environnement, est vertueux.

Les forces armées sont attachées à cette complémentarité et cet auto-contrôle. Ils ne sont pas nécessairement enthousiastes à l'idée de voir des sections d'infanterie - légion ou troupe de marine - réaliser des missions auxquelles elles ne sont pas préparées. Elles sont désireuses de la présence des OPJ qui permettent de disposer d'appréciations civilo-militaires.

Cette complémentarité est conceptualisée et mise en oeuvre depuis maintenant une quinzaine d'années. Toutefois, la stratégie Harpie doit être en évolution permanente. Nous disposons d'axes de progression et de réflexion pour essayer de rendre cette stratégie la plus performante possible.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci Monsieur le préfet. Nous retenons de cette audition que la Guyane se situe dans un environnement géopolitique hostile. L'étendue du territoire, sa couverture végétale, le fleuve et ses longues frontières posent un certain nombre de problématiques de sécurité puisque la Guyane est très attractive de par sa richesse minérale, notamment l'or. Elle est aussi une terre d'immigration, notamment haïtienne compte tenu des difficultés que connaît ce pays. Une immigration arrive aussi de la Syrie et de l'Afghanistan. Les défis à relever sont donc énormes. La sécurité reste la base du développement de la Guyane. Pour lutter contre cette insécurité, le procureur général nous a apporté quelques pistes très intéressantes, notamment l'importance de travailler de l'extérieur, à savoir collaborer, développer plus de diplomatie avec les pays frontaliers et développer des moyens internes, innover encore.

L'opération Harpie est une forme d'innovation entre l'armée et les forces de gendarmerie, mais il faudrait peut-être entrevoir d'autres dispositifs qui seraient plus efficaces, notamment des zones d'exclusion. Ces innovations pourraient peut-être faire l'objet d'expérimentations dans d'autres territoires qui sont aussi confrontés à des phénomènes migratoires. Je pense notamment à Mayotte.

Mardi 14 mai 2024

Table ronde consacrée à la situation en Guyane
Adaptation des administrations et attractivité des emplois outre-mer
Audition de Béatrice Bugeon-Almendros, première présidente de
la Cour d'appel de Cayenne et de Philippe Dulbecco, recteur de l'académie de la Guyane

Mme Micheline Jacques, président. - À la suite de la première séquence consacrée principalement aux questions de sécurité, la seconde séquence portera plutôt sur les capacités d'adaptation des administrations et sur l'attractivité de certains emplois publics.

À cette fin, nous auditionnons Béatrice Bugeon-Almendros, première présidente de la Cour d'appel de Cayenne, et Philippe Dulbecco, recteur de l'académie de la Guyane. Je vous remercie pour votre disponibilité.

En Guyane, l'autorité et l'efficacité de l'État sont directement remises en cause. La justice et l'éducation nationale sont naturellement deux piliers indispensables et la réussite de leur action est déterminante pour que l'État reconquière le terrain perdu.

Un questionnaire vous a été transmis pour vous aider à cerner nos principales interrogations et attentes. Nos réflexions se concentrent avant tout sur la stratégie de l'État en Guyane, sur l'adaptation de ses modes d'action, moins que sur la question des moyens quantitatifs, humains ou financiers.

Dans le fonctionnement quotidien de vos administrations respectives, nous cherchons à savoir si vous disposez des marges de manoeuvre et de l'appui nécessaire de vos administrations centrales pour adapter les politiques publiques dont vous avez la charge aux réalités et défis de la Guyane.

Pour prendre l'exemple de la justice, une délégation outre-mer a été récemment créée auprès du secrétariat général. Quel bilan en tirez-vous de votre point de vue d'utilisateur de ce service ? Qu'en est-il du côté de l'Éducation nationale ? Une structure analogue existe-t-elle ?

La question de l'attractivité des emplois est aussi fondamentale en Guyane, comme à Mayotte d'ailleurs. Quels sont les outils à votre disposition pour pourvoir les emplois ouverts avec des agents compétents ? Comment faire mieux ?

Voici quelques exemples de nos nombreuses interrogations.

Je laisserai les rapporteurs vous interroger après vos exposés liminaires d'une dizaine de minutes chacun, puis nos autres collègues interviendront s'ils le souhaitent.

Mme Béatrice Bugeon-Almendros, première présidente de la Cour d'appel de Cayenne. - Je suis en poste en Guyane depuis mars 2023. Je dispose d'à peine plus d'une année de retours d'expérience sur les difficultés auxquelles est confronté ce territoire et qui, sur certains aspects, ne diffèrent pas de celles rencontrées dans l'Hexagone.

S'agissant des moyens, le ministère a réalisé les actions nécessaires. Nous disposons de moyens suffisants pour exercer. Nous sommes en nombre suffisant, bien que nous soyons une petite structure puisque la Cour d'appel, entre le siège et le parquet, compte 14 magistrats. Le tribunal judiciaire est quant à lui de taille moyenne avec 27 magistrats au siège et 15 au parquet, ce qui permet, dans le prolongement des échanges précédents, d'apprécier la pression de l'activité pénale sur le département puisque, si en métropole le ratio des magistrats du parquet et du siège est plutôt de un magistrat du parquet pour trois magistrats du siège, il se situe en Guyane à plus de un pour deux. Ainsi, l'activité pénale de la Guyane se situe environ entre 75 et 80 % de l'activité judiciaire globale sur ce territoire.

Nous disposons des marges de manoeuvre suffisantes pour adapter nos actions. Nous avons effectivement une marge de manoeuvre pour organiser nos services en les adaptant aux besoins du ressort, en ayant la possibilité de renforcer les effectifs en fonction de la pression judiciaire sur tel ou tel contentieux.

Nous dégageons les priorités en concertation avec le tribunal judiciaire s'agissant des modes d'action et des priorités. En termes de particularité territoriale, le contentieux pénal est très prégnant, accompagné d'une nécessité de répondre dans d'excellents délais aux différents points de contentieux auxquels nous sommes confrontés avec une proportion d'affaires criminelles particulièrement importante.

Les relations avec le ministère de la Justice sont régulières. Nous n'éprouvons aucune difficulté pour communiquer les besoins qui sont entendus. Nous bénéficions d'une écoute attentive de la part du ministère, des directions des services judiciaires, au même titre que Mayotte.

En termes d'accès au droit, nous bénéficions en Guyane d'un Conseil départemental de l'accès au droit, particulièrement novateur, depuis maintenant plus d'une dizaine d'années, avec le développement d'actions comme les « pirogues du droit » à destination des populations les plus isolées et les plus reculées du territoire - elles sont nombreuses.

La réforme de la carte judiciaire ne s'impose pas. Nous observons une montée en puissance de la présence judiciaire sur l'ouest de la Guyane, à Saint-Laurent-du-Maroni. L'objectif est effectivement d'ouvrir dans ce secteur un tribunal judiciaire, annoncé pour 2027.

Aujourd'hui, des démarches ont été faites pour rapprocher la juridiction des populations sous forme d'audiences foraines - audience du juge des enfants, audience du juge aux affaires familiales notamment.

Saint-Laurent-du-Maroni enregistre un manque d'attractivité manifeste. Effectivement, la question de l'insécurité est grandissante sur l'ouest guyanais. Ce secteur rencontre également un problème d'isolement géographique avec peu d'offres d'emplois et de logements.

Nous espérons que le tribunal judiciaire ouvre dans les cinq années à venir. Les conjoints des collègues rencontreront de grandes difficultés pour trouver un emploi. La question du logement est également complexe. La juridiction située à Saint-Laurent-du-Maroni sera très éloignée de celle de Cayenne avec un véritable problème d'attractivité. En effet, seuls deux avocats sont installés à Saint-Laurent-du-Maroni sur 84 avocats au total à l'échelle du Barreau. La présence n'est donc pas assurée sur ce secteur, notamment s'agissant du contentieux des mineurs. Ainsi, des enfants comparaissent au civil comme au pénal sans avocat. Nous devons donc faire face à un déficit et rendre justice en étant dans l'impossibilité de respecter les dispositions légales en termes de représentation par avocat.

J'ajoute que les brigades de soutien sont très bien perçues. S'agissant des greffiers, ce dispositif est venu pallier un absentéisme très important, proche des 50 %. Aujourd'hui, un greffier sur deux n'est pas présent à son poste de travail, ce qui impacte gravement le fonctionnement de l'institution judiciaire. Pour autant, un brigadiste est nommé ici pour six mois. Un greffier arrive pour trois mois renouvelables. Cette situation ne résout pas ce problème d'instabilité et ne permet pas de se projeter à long terme avec le dispositif des brigades. Pour autant, celui-ci a été bénéfique et nous nous félicitions du renouvellement de ce dispositif.

Les contrats de mobilité sont un dispositif dont bénéficient les magistrats qui n'est pas sans incidence sur le fait que certaines collègues acceptent de travailler trois ans en Guyane avec la possibilité d'être ensuite nommé sur les trois ou quatre postes souhaitées. Or, ce système de contrat de mobilité n'est pas valable pour les greffiers. Ce point est évoqué par les syndicats de greffiers. Pour augmenter l'attractivité du ressort, les greffiers devraient eux aussi bénéficier de contrat de mobilité.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci. M. le recteur, vous avez la parole.

M. Philippe Dulbecco, recteur de l'académie de la Guyane. - Je vous remercie de m'avoir donné l'opportunité de parler devant vous de l'académie de Guyane. Le fait que vous vous intéressiez aux difficultés que nous pouvons connaître montre que nous ne sommes pas seuls pour conduire des politiques publiques.

Je voulais partager avec vous des éléments plus positifs au sujet de propos souvent négatifs sur la Guyane et son académie.

Il est normal que l'école focalise l'attention en Guyane puisqu'elle concerne environ 92 000 élèves et 9 000 professeurs. Près d'un tiers de la population est ainsi directement concerné par l'école. À peu près 700 millions d'euros de budget sont consacrés à l'école. 235 établissements sont répartis au total sur le territoire. Les attentes sont importantes. L'académie est singulière, notamment par sa géographie. Je vous mets au défi de trouver dans le monde une académie, un territoire, avec une telle densité d'écoles, notamment parmi les territoires les plus éloignés. Il s'agit d'une fierté que nous devons partager ensemble. L'école est présente partout sur le territoire guyanais avec une intensité exceptionnelle que je n'ai jamais rencontrée nulle part ailleurs.

Je crois que ce point mérite d'être souligné puisque, s'il est facile d'exercer sur le littoral, il est plus difficile de pratiquer sa profession au coeur du territoire. Nous parlons d'un réel défi que nous devons chaque jour relever.

En outre, le caractère multilingue et multiculturel est à souligner. En effet, 80 % des élèves qui rentrent à l'école n'ont pas le français pour langue maternelle. Ils utilisent les langues amérindiennes qui n'ont pas nécessairement de racines communes. Ainsi, lorsque vous allez dans une classe, vous constatez fréquemment l'existence de plusieurs langues maternelles. Il s'agit d'une richesse concernant l'enseignement. Pour autant, cette spécificité constitue une particularité que nous devons intégrer, en plus de la géographie, dans le déploiement de nos politiques éducatives.

Par ailleurs, les dimensions géographique, multiculturelle et socio-économique sont à prendre en compte. Près de 50 % de la population se situe sous le seuil de pauvreté et 30 % sous le seuil de grande pauvreté. Sur les bords de fleuve, 10 % de taux d'activité est enregistré. Si nous retirons l'Éducation nationale et les emplois de la commune, le taux d'activité est proche de zéro. Il faut faire l'école dans ces conditions, et il faut la réaliser de manière adaptée. En réalité, plusieurs secteurs sont à considérer au sein de l'académie de Guyane.

L'est de la Guyane comprend la frontière avec le Brésil. Nous accueillons nécessairement des élèves qui viennent de l'autre côté de fleuve. En effet, 80 % des élèves ont le portugais brésilien comme langue maternelle à Saint-Georges-de-l'Oyapock dans l'élémentaire. Dans ce secteur, la dynamique démographique n'est pas très forte. Les conditions de sécurité ne sont pas si dégradées. L'école doit pouvoir se développer dans de bonnes conditions. L'île de Cayenne est le lieu où tous les enseignants souhaitent travailler. Toutes les conditions sont réunies pour assurer une école de qualité honorable. Infirmières, psychologues et assistantes sociales sont présents sur le territoire. Cette académie est proche d'une académie de l'Hexagone qui connaît des difficultés sociales, mais qui reste armée.

À l'ouest, nous connaissons une véritable vague démographique. Nous créons des écoles, des classes. Nous sommes submergés par la demande. Madame le maire de Saint-Laurent-du-Maroni construit au moins une école par an, mais ce n'est pas suffisant au regard de la forte démographie. Les conditions de sécurité sont très dégradées. Nous connaissons dans ce secteur une succession d'évènements graves chaque jour de la semaine. Il s'agit d'un territoire peuplé de Bushinengués à la frontière avec le Brésil. Le personnel éducatif ne souhaite pas travailler là-bas. Des solutions doivent être trouvées pour que le personnel se rende dans cette zone, qui comprend le fleuve à partir de Saint-Laurent-du-Maroni - je pense à Maripasoula, Grand-Santi, Papaichton -, et les écarts. Il s'agit de zones habitées par les Bushinengués, à l'exception de Saint-Laurent-du-Maroni qui compte aussi des populations amérindiennes. L'enjeu est de rapprocher l'école de la population. Nous notons effectivement 20 fois plus de suicides chez les jeunes issus des écarts. Le passage de l'école au collège, avec l'enjeu de l'autonomie, est tout particulièrement difficile pour ces jeunes.

En outre, le secteur du fleuve Oyapock est essentiellement peuplé d'Amérindiens. Ce secteur est plus calme, mais connaît un contexte qui impacte indirectement l'école, notamment l'orpaillage illégal.

En réalité, la principale difficulté à laquelle nous sommes confrontés est le capital humain. Nous souffrons d'un double problème d'attractivité. Le premier est l'attractivité pour ceux qui souhaitent exercer en Guyane - enseignants et personnels académiques. Le second touche au fait qu'au sein du territoire, les Guyanais préfèrent travailler sur l'île de Cayenne. Devant ce phénomène, il est difficile d'inciter le personnel à travailler dans l'est, encore plus dans l'ouest et sur le fleuve.

Il s'agit de notre principale bataille.

S'agissant des titulaires, toutes les mesures pouvant rendre plus incitatif le travail sur les sites éloignés ou isolés seront bonnes. Une bonification d'ancienneté pourrait être envisagée aussi bien pour les jeunes diplômés que pour le personnel en cours de carrière. La possibilité de bénéficier d'une forme de garantie de retour à l'académie d'origine serait positive. Toute mesure qui pourrait favoriser l'activité en Guyane sera pertinente.

Il est également nécessaire de s'intéresser aux conditions de vie liées à l'exercice du métier - logement, transport et fret - afin de rendre plus attractive leur activité sur le fleuve.

Nous avons besoin d'innover pour ne pas travailler en mode dégradé sur ce territoire. Il faut innover sur la forme scolaire. Il faut trouver les modes de coordination adaptés avec les acteurs, de manière à garantir des conditions de sécurité optimales pour les élèves et les enseignants partout sur le territoire, et innover pour s'intéresser à des sujets qui ont trait aux conditions de vie et d'exercice du métier.

Je le répète, nous sommes condamnés à innover pour ne pas travailler en mode dégradé.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Deux domaines différents inhérents à l'action publique ont été évoqués, mais il est intéressant d'entendre que vous avez rencontré des problématiques communes, notamment celles qui tiennent à l'attractivité des emplois de fonctionnaires - magistrats ou greffiers -, ou de fonctionnaires de l'éducation nationale, notamment dans la région du fleuve. Il s'agit d'un sujet que nous avons déjà rencontré au sujet de la Guyane dans d'autres missions.

Il est intéressant pour la représentation nationale de constater la motivation de responsables de service public - de la justice et de l'Éducation nationale en l'occurrence.

J'ai noté l'existence d'un projet de création de cité judiciaire, bien avancé, et qui est tout à fait original puisqu'il comprend à la fois un tribunal et un centre pénitentiaire. J'ai également entendu que certains mineurs comparaissent sans avocat dans le cadre de contentieux. Des solutions doivent être trouvées.

Que faites-vous actuellement lorsque vous vous trouvez dans cette situation pour rendre justice ? M. le recteur évoquait le fait d'innover, mais peut-être pourriez-vous partager quelques suggestions ?

En Guyane, il y a près de cinq ans, une institutrice du fleuve avait accompagné un ancien élève, de l'école primaire jusqu'au baccalauréat qu'il avait obtenu avec succès. J'ai pensé qu'on avait dû lui donner une prime et la féliciter pour ce qu'elle avait fait et transposer cette expérience pour que d'autres élèves puissent disposer d'un tel accompagnement. Pourtant, il lui a été interdit de recommencer car elle n'avait pas les qualifications nécessaires pour préparer au baccalauréat. J'aimerais savoir quels types d'innovation on pourrait imaginer.

Il y a celles que vous pouvez mener avec votre liberté d'action qui permet d'explorer jusqu'aux limites du possible. Vous dites que vous êtes dans un cadre légal qui s'impose à tous. Toutefois, nous pourrions aussi éventuellement le faire évoluer. Ce serait notre rôle de le proposer, le débattre et le voter.

Pour cela, il est absolument nécessaire que vous soyez force de propositions pour inspirer les nôtres.

Mme Béatrice Bugeon-Almendros. - Le Bureau est informé des dates d'audience et de la nécessité pour un avocat d'assister les mineurs. Je précise que la question se pose également pour les audiences civiles avec représentation obligatoire. Le Barreau doit assurer ses missions dans le cadre d'une permanence. Quelques avocats ont exercé à Saint-Laurent-du-Maroni, mais ces derniers sont partis pour regagner la métropole ou se sont associés avec leurs confrères à Cayenne. Ainsi, les magistrats doivent tenir leur audience avec un sentiment d'insatisfaction. Ils font effectivement leur office, mais ces familles et ces jeunes sont privés de l'assistance d'un avocat. Le recours aux interprètes à Saint-Laurent-du-Maroni est compliqué puisque plus de 50 langues du fleuve existent. Les familles viennent avec un ami ou un voisin qui assure les fonctions d'interprète. Je vous laisse imaginer la tenue des audiences. Dans ce cadre, nous essayons d'obtenir l'adhésion des familles en leur expliquant le sens de la décision qui est prise. La population est très respectueuse de l'autorité judiciaire, mais cet exercice reste difficile.

Il faut envisager l'installation des avocats, des magistrats et plus largement du personnel pénitentiaire à Saint-Laurent-du-Maroni. 450 personnels devront être accompagnés et logés, mais rien n'est fait en raison du caractère aléatoire de l'effectivité du projet d'ouverture de la cité judiciaire et du centre pénitentiaire.

Sans aucune aide financière, je ne vois pas ce qui motiverait un avocat à s'installer à Saint-Laurent-du-Maroni alors qu'une demande existe déjà à Cayenne. J'ajoute que le Barreau de Cayenne est en nombre insuffisant.

M. Philippe Dulbecco. - Nous déployons l'école dans des conditions véritablement innovantes. Nous parvenons à réaliser des actions dans ces territoires que nous ne menons pas dans l'Hexagone avec la même qualité et le même niveau d'exigence.

Il est absolument essentiel d'innover sur le capital humain. Il faut, d'une manière ou d'une autre, mobiliser par tous les moyens possibles les viviers locaux. Il faut innover et peut-être créer des statuts comme cela a déjà pu être réalisé par le passé. Je pense par exemple aux intervenants en langue maternelle.

Les intervenants en langue maternelle n'ont pas les qualifications requises pour être professeur, mais on innove en leur donnant des équivalences qui leur permettent de se présenter au métier de professeur des écoles. Nous essayons d'aller aussi loin que possible dans un cadre légal.

Cette année, pour déployer l'école à Saint-Laurent-du-Maroni, nous avons créé un statut nouveau d'« accompagnateur pédagogique » pour de jeunes Wayanas qui ont à peine le baccalauréat. Par ailleurs, nous essayons également de valoriser au mieux l'alternance. Nous lançons une campagne pour expérimenter, dans les écarts, le passage du concours de professeur des écoles, avec 20 jeunes qui auraient juste le baccalauréat, à travers une formation très lourde sous forme de compagnonnage. S'ils ne passent pas le concours, mais qu'ils disposent manifestement des compétences adéquates, nous les recrutons comme contractuels. Nous ne dégradons pas, nous innovons.

Nous avons mis en place des partenariats, je l'espère très prometteurs, avec trois grandes universités de l'Hexagone, à savoir Aix-Marseille Université, l'Université Côte d'Azur et l'Université Clermont Auvergne. Les jeunes diplômés qui souhaitent une expérimentation professionnelle marquante peuvent être envoyés dès le mois de juin dans les outre-mer. L'objectif est de les former. À la suite de cette formation, ils sont libres de rester sur le territoire ou de rentrer en métropole. Nous les accompagnons en matière de santé et de logement.

S'agissant des contractuels, le système de rémunération s'avère très attractif. Notre principale difficulté consiste à ce que ce dernier ne devienne pas trop attractif pour éviter que l'écart entre les titulaires et les contractuels ne se creuse. Il sera bientôt plus facile d'assurer les enseignements grâce à des contractuels puisque, dans les académies très déficitaires comme les nôtres, les contractuels choisissent où et quand ils travaillent.

Nous avons des réunions avec les recteurs ultramarins toutes les six semaines ainsi qu'avec la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO), le secrétariat général du ministère de l'Éducation nationale et de la jeunesse et le ministère de l'enseignement supérieur. J'ai le sentiment que nous sommes plutôt bien traités, écoutés et entendus, mais nous rencontrons des difficultés à faire accepter des mesures dérogatoires, s'agissant par exemple de l'accélération de carrière pour un jeune titulaire qui vient en Guyane ou de la possibilité de retourner ensuite dans son académie d'origine...

Nous avons mené des innovations institutionnelles. Je pense notamment à la mise en place d'un comité de pilotage qui rassemble l'Éducation nationale, les communes, les collectivités territoriales de Guyane, EDF et l'ensemble des parties prenantes qui concourent à faire que les conditions d'exercice du métier soient meilleures. On met en place ce que j'appelle des mesurettes : mise en place par la mairie de Grand-Santi d'une navette entre Grand-Santi et Mofina qui change la vie des enseignants, installation de dispositifs pour chasser les chauve-souris dans les écarts de Maripasoula, rénovation des logements pour les enseignants à Camopi, faciliter les procédures pour l'attribution des logements aux enseignants...

Ce sont des « mesurettes » qui vont améliorer les choses. Sur la sécurité, il existe une coordination très efficace entre l'Éducation nationale, les services de police et de gendarmerie, et les communes.

Ainsi, de petites innovations institutionnelles font que, malgré les difficultés, il est possible de faire avancer l'Éducation nationale en Guyane.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci. Je pense à la prise en charge des enfants en situation de handicap. S'agissant des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH), avez-vous pensé à un dispositif en collaboration avec la commune pour permettre à un AESH de pouvoir aussi assurer la pause méridienne de manière à permettre à cette personne de bénéficier d'un salaire plus conséquent ? En outre, l'Université de Guyane a été créée il y a 10 ans. Quel bilan faites-vous de la création de cette université spécifique à la Guyane ?

M. Philippe Dulbecco. - Les AESH sont l'un des sujets qui me posent le plus de difficultés avec la prévention des grossesses précoces. S'agissant de ce dernier point, nous savons ce qu'il faut faire. Des opérations lourdes seront lancées à partir de la rentrée prochaine.

En Guyane, une vraie difficulté consiste à identifier les jeunes en situation de handicap.

L'absence de compétences nous freine. Les psychologues de l'Éducation nationale sont devenus rares. Le titre de psychologue s'obtient après la validation d'un master en psychologie. Or nous n'avons pas de formation en psychologie à l'Université de Guyane.

J'ai une vision positive de l'université telle qu'elle se développe aujourd'hui, et qui est issue de la scission de l'Université Antilles-Guyane. Il a fallu démontrer que celle-ci faisait sens.

La logique quantitative qui prévalait jusque-là avait des effets pervers. Nous prenions tous les candidats. Nous incitions même les jeunes à s'inscrire. Ainsi, l'université pâtit d'une mauvaise image, loin de l'excellence. Les étudiants réussissent peu. Les bons élèves, qui avaient sans doute le choix d'aller dans l'Hexagone, se posent des questions. Je crois que cette période est révolue et que l'Université de Guyane a accepté une baisse de ses effectifs. Il s'agit d'un facteur important. La gouvernance de l'université est devenue plus exigeante. Nous avons également réussi à intégrer les organismes de recherche à l'université - notamment l'Institut Pasteur, l'institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE). L'offre de masters de l'université est donc en train de se densifier.

Nous avons également créé un Institut de préparation à l'administration générale (IPAG) à mon arrivée. Une filière « sciences et techniques des activités physiques et sportives » (STAPS) a également été ouverte. Je rappelle que chaque année 260 élèves de Guyane postulent pour une formation en STAPS sur Parcoursup.

Je crois que cette université est née dans le contexte que nous connaissons et qui a sans doute connu un démarrage marqué par une logique davantage quantitative. Pour autant, je crois qu'aujourd'hui, l'université a entamé une démarche plus exigeante. Je suis confiant. L'université a été lauréate d'un appel à projets d'excellence. La ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Sylvie Retailleau, a sélectionné un groupe restreint d'universités pour entrer dans un nouveau dialogue de gestion, ce qu'elle nomme les contrats d'objectifs de moyens et de performances pluriannuelles. Parmi elles, l'Université de Guyane a été sélectionnée de manière expérimentale dans ce groupe d'universités qui a fait l'expérience d'une forme de régulation - qui se généralise d'ailleurs à l'ensemble des universités.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie. Nous disons souvent que nous manquons d'ingénierie dans les territoires ultramarins, notamment en Guyane sur le sujet du logement social. Il est plutôt encourageant de voir que nous avons une université qui se développe et s'avère de plus en plus performante. La Guyane présente des richesses extraordinaires avec sa végétation et sa faune qui peuvent être des sources de recherche et de solutions pour le futur, pour notre pays et toute la zone.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Vous avez fait allusion à un problème qui nous intéresse vivement puisque vous avez entrepris une démarche réfléchie sur la prévention de la grossesse des adolescentes en Guyane, grossesses qui sont, pour une grande partie d'entre elles, volontaires. Nous souhaiterions que vous nous communiquiez les éléments du dispositif que vous allez élaborer et mettre en place. Il s'agit d'un sujet majeur et très sensible. Le fait de vous être intéressé à ce problème relève d'une initiative excellente.

Mme Micheline Jacques, président. - Nous avons retenu de cette audition que l'attractivité fait particulièrement défaut, tant pour la justice que pour l'éducation nationale. En outre, cette situation est liée à un certain nombre de conditions d'accueil et à la réputation. Les problématiques de sécurité et de violence sont loin d'attirer le personnel. Vous nous avez proposé des pistes d'innovation et je vous en remercie.

Je plaide pour la différenciation territoriale et pour l'adaptation. L'exemple de la Guyane montre à quel point une adaptation est parfois nécessaire. Vous avez en effet souligné la spécificité des problèmes propres à chacun des espaces guyanais que vous nous avez présentés. J'espère que les pistes que nous trouverons pourront être dupliquées pour d'autres territoires. Je pense notamment à Saint-Barthélemy qui rencontre également un problème d'attractivité lié à d'autres facteurs.

Nous sommes à l'écoute des éléments que vous pourrez nous communiquer afin d'avancer sur ce sujet.

Mercredi 29 mai 2024

Audition du contre-amiral Nicolas Lambropoulos, commandant supérieur des forces armées aux Antilles (Comsup FAA)

Mme Micheline Jacques, président. - Mes chers collègues, dans le cadre de la préparation de notre rapport sur l'adaptation des modes d'action de l'État dans les outre-mer, nous auditionnons cet après-midi le contre-amiral Nicolas Lambropoulos, commandant supérieur des forces armées aux Antilles.

Nous vous remercions, Amiral, d'avoir bien voulu accepter notre invitation et de participer à cette visioconférence exceptionnelle à plus d'un titre.

Vous avez été nommé le 1e août 2023 commandant supérieur des forces armées aux Antilles (FAA), mais aussi commandant de la zone maritime Antilles et commandant de la base de défense des Antilles. Après une carrière déjà prestigieuse, vous dirigez donc les forces armées qui assurent la protection de cette vaste zone et animent la coopération régionale dans ce domaine depuis la Martinique jusqu'à la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Vous pourrez nous dire si votre champ de compétence géographique n'est pas trop large au regard de l'ampleur des missions qui vous incombent et des moyens dont vous disposez !

Par ailleurs, les FAA sont particulièrement engagées dans la lutte contre le narcotrafic au travers de l'action de l'État en mer. Or, la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France a rendu le 14 mai son rapport qui pointe notamment une coopération internationale défaillante et des territoires ultramarins qui ont le sentiment d'être abandonnés par l'État. Le rapport mentionne en effet des services sous-dotés et des mesures parcellaires.

Au final, le constat est sévère. Je cite : « si la stratégie mise en place en Guyane a indéniablement eu des effets positifs, elle est davantage tournée vers la protection de l'Hexagone que vers celle des territoires ultramarins, justifiant le sentiment d'abandon des habitants, des élus et de la chaîne pénale. Elle a aussi immédiatement conduit à la mise en place de deux grandes stratégies de contournement : le report vers la voie maritime et le report vers les Antilles ».

Vous nous direz si vous partagez ce constat. Nous nous sommes rendus en avril dans cette région où d'importantes prises de drogue ont récemment été réalisées par les services français. Ces prises correspondent-elles selon vous à un renforcement de l'efficacité de l'action de l'État ou plutôt à une intensification du narcotrafic dans la zone ?

Enfin, compte tenu de l'objet de notre rapport, nous avons beaucoup de questions concernant vos relations avec la préfecture et les autres services de l'État. Quelles sont vos recommandations pour une meilleure organisation et coordination des services de l'État en général, et avec les forces armées en particulier, au niveau territorial ? Quelle appréciation portez-vous sur la surveillance et la protection de l'espace maritime français ?

Voici quelques-unes des interrogations que nous vous avons transmises pour préparer cette audition. Après votre exposé liminaire, je laisserai nos collègues vous interroger.

Contre-amiral Nicolas Lambropoulos, commandant supérieur des forces armées aux Antilles (Comsup FAA). - Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, je suis très heureux de m'exprimer devant vous. Vous avez brossé un agenda extrêmement ambitieux pour le temps imparti.

J'occupe en effet les trois fonctions que vous avez rappelées. Les FAA regroupent 1 100 personnes, civils et militaires. Elles disposent, pour leur composante maritime, de 5 navires, 2 frégates de surveillance, 1 patrouilleur de la gendarmerie maritime, 1 bâtiment de soutien et de surveillance multi-missions et 1 remorqueur. La composante terrestre est composée du 33e régiment d'infanterie de marine. Enfin, tous les grands services du ministère des Armées sont représentés : communication, infrastructures, commissariat, etc.

Les FAA ont pour mission le maintien de la souveraineté française dans la région, la préservation des ressources françaises, la lutte contre les trafics en mer, notamment le trafic de stupéfiants. Elles doivent aussi être en mesure de participer à une opération de secours d'urgence sur le territoire national. Dans quelques jours nous rentrerons dans la période cyclonique et les forces armées sont un pion important de réponse en cas de catastrophe naturelle, comme elles l'ont fait en 2017 quand la zone a été frappée par le cyclone Irma. Enfin, elles doivent être en mesure de répondre à une opération militaire limitée, comme l'évacuation en hélicoptère de 250 ressortissants français à Haïti au mois de mars par des manoeuvres d'hélicoptères.

Après cette introduction, je vous propose de focaliser sur mon rôle de commandant de zone maritime.

Je coordonne pour le préfet de la Martinique, délégué du Gouvernement, le fonctionnement des administrations qui oeuvrent en mer et qui concourent aux 45 missions de l'action de l'État en mer dont la lutte contre le narcotrafic. C'est sur cette mission que je vais me focaliser pour essayer de répondre à vos questions.

Ma zone d'action est la zone maritime Antilles, en bleu sur la diapositive projetée. Cette zone assez vaste englobe le golfe du Mexique, la zone Caraïbe et une partie de l'Atlantique. Au bout de la zone à l'est, nous sommes à mi-distance du golfe de Guinée, donc au milieu de l'Atlantique. Cette zone s'étend jusqu'au nord du Brésil et englobe la Guyane. Dans cette zone, nous oeuvrons, avec le préfet, pour l'action de l'État en mer.

J'ai indiqué sur la carte ma perception des routes maritimes du narcotrafic. Depuis 2020, la production de cocaïne a augmenté d'environ 15 %. En 2022, 2 300 à 2 500 tonnes de cocaïne pure ont été produites essentiellement en Colombie, au Pérou, en Bolivie. Elle croît parce que la demande croît en Afrique, en Moyen-Orient, en Asie, mais aussi en Europe, avec un trafic qui est toujours aussi rentable et lucratif. En France et en Europe, le gramme de cocaïne est vendu entre 70 et 75 euros, alors qu'il ne coûte que 1 euro à 1,50 euro en Colombie. Le trafic est donc extrêmement rentable et pour le casser il faut intercepter la plus grande partie de la production.

Pour acheminer cette drogue, les narcotrafiquants utilisent de nombreuses routes et de nombreux moyens. Ils utilisent les voies commerciales maritimes et aériennes, en utilisant pour chacun de ces modes des techniques particulières, « les mules », le colis postal, la dissimulation avec, au coeur d'un conteneur de bananes, dans des sacs de café ou dans le fourrage, quelques pains de cocaïne.

Ils utilisent également des voies maritimes plus rustiques, plus irrégulières. Ils font appel à des go fast surmotorisés, à des navires de pêche ou à des voiliers. Ils peuvent également laisser des ballots à la dérive pour qu'ils gagnent leur destination au gré des courants. Enfin, ils ont recours à des semi-submersibles.

Côté Caraïbes, dans notre zone de responsabilité, il y a une sorte d'autoroute de go fast qui part de Colombie et du Venezuela et se dirige vers la République dominicaine et vers Porto Rico. C'est la porte d'entrée la plus aisée pour les narcotrafiquants vers l'Amérique du Nord. Une autre route maritime, plus empruntée, longe le Venezuela, et remonte l'arc Antillais, à partir de Trinité et Tobago, en passant par les petites Antilles jusqu'à Anguilla, avant de rejoindre ensuite Porto Rico de la même façon. Ils utilisent différents types de vecteurs comme des petites tapouilles et les bateaux qui font le service inter-îles. Entre les îles, les distances sont très courtes et sont franchies très rapidement par des bateaux surmotorisés. Il ne faut par exemple que 40 minutes pour aller de Sainte-Lucie à la Martinique quand la mer est agitée. Une troisième route, plus au sud, part du Plateau des Guyanes et rejoint l'Afrique, l'Amérique et l'Europe.

J'observe quatre grandes tendances. Tout d'abord, le trafic s'est déplacé du Pacifique vers l'Atlantique et la Caraïbe, alors qu'il avait historiquement lieu du côté du Pacifique. C'est la pression des États-Unis sur les narcotrafiquants dans le Pacifique qui les a incités à se rabattre dans la Caraïbe et dans l'Atlantique. Par ailleurs, il y a un fort trafic de go fast vers la République dominicaine et Porto Rico, qui sont des portes d'entrée très importantes pour les narcotrafiquants. Les prises sur le Plateau des Guyanes sont en forte augmentation. Cette zone devient une plaque tournante parce qu'il y a une pression très forte sur la Colombie notamment. Les narcotrafiquants utilisent la forêt du Brésil, de la Guyane, du Suriname et du Guyana comme un refuge pour transporter la drogue vers des côtes d'où ils peuvent partir plus facilement vers l'Europe et l'Afrique. Enfin, les quantités saisies par prise sont en forte augmentation. Alors que nous saisissions il y a trois ou quatre ans 500 kg de cocaïne par prise, cette quantité est passée à 1 tonne au minimum. Nos dernières saisies se sont élevées à 2,4 tonnes, 1,5 tonne, 2 tonnes, etc. Nous suspections un bateau de transporter 3 tonnes de drogue mais il était finalement vide. Récemment, la Marine a intercepté 10 tonnes de cocaïne sur un bateau qui rejoignait l'Afrique.

Mme Annick Girardin. - Quels sont les pays partenaires de la France et quelle confiance accordez-vous à ces partenariats ?

Contre-amiral Nicolas Lambropoulos. - Nous travaillons étroitement avec les États-Unis. Ils ont monté une sorte de centre inter-agences, le Joint InterAgency Task Force-South (JIATF) Sud, basée à Key West en Floride. Elle réunit quinze pays et toutes les agences qui, de près ou de loin, luttent contre la criminalité, le crime organisé, le narcotrafic, et essaie de coordonner les moyens des différents pays (République dominicaine, Colombie, France, Pays Bas, etc.). C'est une organisation militaire, qui travaille sous les ordres du commandement militaire américain pour le Sud. Nous disposons d'un officier de liaison et la JIATF-S nous fournit des renseignements.

Nous travaillons beaucoup avec les Pays-Bas qui sont implantés à Curaçao et déploient en permanence un navire pour lutter contre le trafic dans leur zone de responsabilité. Ils sont essentiellement confrontés à des go fast, puisque les îles ABC, Aruba, Bonaire et Curaçao, au nord du Venezuela, sont sur les routes des go fast.

Nous avons, en outre, de très bonnes relations avec la marine colombienne, qui est très impliquée dans la lutte contre le narcotrafic, au péril de la vie de nombreux militaires. Chaque semaine, des soldats tombent dans les combats contre les narcotrafiquants. La Colombie nous fournit régulièrement des renseignements et nous demande d'intervenir sur des navires suspectés de transporter de la drogue. Nous menons aussi des opérations conjointes d'interception.

Nous travaillons aussi avec la République dominicaine, qui est soumise à un fort flux de cocaïne. J'essaie de nouer des partenariats entre Marines pour favoriser l'échange de renseignements, la connaissance de la zone, pour essayer d'utiliser le mieux possible nos moyens. Nous n'avons pas de coopération avec le Venezuela, mais des accords nous permettent de leur remettre la drogue interceptée sur les bateaux battant pavillon vénézuélien.

Je précise qu'en mer nous n'avons pas le droit d'intervenir sur un bateau sans l'accord de l'État du pavillon. Quand nous avons un renseignement sur un navire, nous montons à bord et nous réalisons une enquête de pavillon. Une fois que nous l'avons identifié, nous contactons les services diplomatiques de ce pays pour leur demander l'autorisation de fouiller le navire. Si nous trouvons de la cocaïne, nous leur demandons s'ils veulent conserver ou non leurs compétences juridictionnelles, c'est-à-dire s'ils veulent judiciariser le cas chez eux ou s'ils le cèdent à la France. Le Venezuela conserve ses compétences juridictionnelles et nous demande de lui remettre la drogue saisie. J'observe que les militaires vénézuéliens sont très impliqués dans la lutte contre le narcotrafic.

Je suis également en relation avec la Barbade et avec Trinité-et-Tobago. Je m'efforce de favoriser les liens pour que nous puissions agir ensemble contre les narcotrafiquants.

Enfin, nous travaillons avec le Centre opérationnel d'analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants (Maritime Analysis and Operations Centre-Narcotics - MAOC-N), basé à Lisbonne, qui regroupe sept pays européens, à l'initiative de la France. Il permet l'échange de renseignements entre services policiers et services de renseignement militaires. Ce centre nous donne beaucoup d'informations, notamment sur le trafic au départ du Plateau des Guyanes.

Mme Micheline Jacques, président. - Quelles sont vos relations avec la CMA-CGM ? En effet, lors d'une visite au siège de Marseille, cette entreprise nous a informés de sa stratégie de protection et de lutte contre le narcotrafic.

Contre-amiral Nicolas Lambropoulos. - Je sais que la CMA-CGM a mis en place une structure particulière de lutte contre le narcotrafic sur ces bateaux. C'est un sujet qui relève de la compétence du service de renseignement des douanes et de la douane terrestre, plus que de la mienne. Je m'occupe de la lutte en mer contre les trafics illicites. La Marine ne peut pas monter à bord d'un navire qui transporte plusieurs milliers de conteneurs en mer pour chercher de la drogue, ce serait illusoire. Ce sont des opérations qui sont menées essentiellement par la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), en lien étroit avec la CMA-CGM.

M. Frédéric Buval. - Nous savons que le transport de drogue est corrélé avec l'arrivée massive d'armes en Martinique. Nous sommes devenus un territoire où règne l'insécurité, où tous les jeunes ont des « guns » en leur possession. Comment pouvez-vous stopper ce flot d'armes ?

Contre-amiral Nicolas Lambropoulos. - Pour répondre à votre question, je vais essayer de vous expliquer très rapidement la typologie de nos actions. Nous pouvons les classer selon qu'elles se passent au large ou près des côtes, si elles concernent un bateau plutôt rapide, un go fast surmotorisé, ou des bateaux plus lents, voiliers, petits caboteurs ou navires de pêche.

Pour les deux dernières catégories, ce sont des opérations que nous menons soit sur la base du renseignement fourni par nos partenaires dans la région ou les services de renseignement français, soit sur opportunité. Par exemple, nous volons en hélicoptère pour faire une liaison entre la Guadeloupe et la Martinique et nous tombons par hasard sur un bateau suspect et nous décidons de mener une opération. La marine nationale a plutôt vocation à travailler au large. Nous menons des opérations sur le Plateau des Guyanes à presque 2 000 kilomètres de la Martinique. Nous avons intercepté des bateaux à 2 400 kilomètres de Fort-de-France. Ces opérations ont une cinétique particulière, il faut plusieurs jours pour aller sur la cible, nous avons besoin de renseignements très solides pour envoyer un bateau à 2 000 kilomètres.

Les opérations côtières sont normalement du ressort des garde-côtes des douanes, qui disposent de petits patrouilleurs côtiers. Ce trafic côtier nécessite beaucoup de réactivité car pour aller d'une île à l'autre les narcotrafiquants mettent très peu de temps. Les bateaux peuvent rapidement se diriger vers les eaux territoriales d'un pays étranger, ce qui empêche toute intervention.

Les navires côtiers inter-îles transportent tout et n'importe quoi, de la drogue, du lambi, des armes, des motos, des matériels volés et même des migrants. Comme la drogue, les armes passent par ces trafics inter-îles. Il est très difficile de les détecter et de les contrer mais notre action contre les trafics illicites concerne aussi bien la drogue que les armes.

Pour agir en mer, il faut des bateaux, du renseignement mais également des moyens de surveillance aériens. Les moyens aériens à ma disposition sont à mon sens trop peu nombreux, je ne peux pas assurer de permanence. Si j'obtiens un renseignement sur un bateau qui est à 1 000 km de nos côtes, il faut pouvoir le localiser précisément grâce à un avion à long rayon d'action qui communiquera sa position au navire chargé de l'arraisonner. Nous avons besoin d'un tel avion tous les jours. Nous avons malheureusement perdu il y a quelques jours un bateau que nous savions chargé.

De la même façon, pour travailler près des côtes, il faut des bateaux, des intercepteurs côtiers, des personnes qui connaissent bien les côtes et des moyens aériens de surveillance. En effet, quand un navire vient de Sainte-Lucie pour débarquer de la cocaïne dans une baie en Martinique ou en Guadeloupe, la phase terrestre succède à la phase nautique. Sans moyen de surveillance aérienne, comme un drone, qui observe les mouvements du bateau et qui dirige les forces à terre vers la bonne baie, l'opération est irréalisable.

Nous manquons donc de moyens de surveillance aérienne. Nous avons en Martinique un Beechcraft, un avion de surveillance qui appartient au service de garde-côtes des douanes et un hélicoptère H160 tout neuf qui est en train d'être admis au service opérationnel, également mis en oeuvre par les douanes. Cependant, ces deux appareils ont un rayon d'action assez faible et ne peuvent faire que du côtier. La Marine met à ma disposition, trois mois par an, un avion de patrouille maritime, le Falcon 50, qui vient de l'Hexagone, qui dispose de moyens radars et optroniques et d'une autonomie suffisamment longue pour aller voir loin et longtemps ce qui se passe en mer.

J'essaie d'acquérir pour 200 000 euros un drone disposant de 6 à 7 heures d'autonomie en vol grâce aux crédits de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca). Il sera basé en Martinique et nous permettra de surveiller les canaux et de coordonner l'action des services qui oeuvrent en mer et ceux qui oeuvrent à terre (gendarmerie, douane, etc.). Si tout fonctionne correctement, je souhaite en acquérir un ou deux pour la Guadeloupe et un ou deux pour Saint-Martin, où les trafics sont tout aussi importants.

Des radars seront installés au nord et au sud de la Martinique. À partir de l'été 2025, ils surveilleront les canaux et nous permettrons d'augmenter notre capacité de détection. En effet, pour l'instant, il n'y a pas de radar, ni de sémaphores et très peu de moyens aériens en Martinique, en Guadeloupe et à Saint-Martin. Ces territoires sont aveugles, ils ne voient pas ce qui se passe en mer. C'est assez singulier. À terme, comme les autres pays dans la région (Jamaïque, République dominicaine ou Barbade), il faudrait que nous disposions de radars en Guadeloupe et à Saint-Martin.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Vous nous avez dit que les moyens aériens dont vous disposez étaient insuffisants. Qu'en est-il de vos moyens maritimes ? Vous n'avez pas de bâtiment de transport léger ni de bâtiment amphibie. La fourniture de ces bâtiments est-elle inscrite dans la loi de programmation militaire ? Que prévoit-elle pour les outre-mer ? En matière aérienne ou plutôt spatiale, les satellites peuvent-ils être utiles ? Je crois que des tests ont été réalisés dans l'océan Indien et dans le Pacifique. Sont-ils transposables dans l'Atlantique-Caraïbes ?

Que pensez-vous de la création d'une préfecture maritime Antilles-Guyane ? Est-ce qu'elle entrerait en conflit avec vos compétences, vos missions et peut-être demain vos moyens ?

Sur la carte que vous avez projetée, je vois que le Venezuela n'est pas producteur. Quels sont les principaux pays producteurs de cocaïne ?

Contre-amiral Nicolas Lambropoulos. - Ce sont la Colombie, le Pérou et la Bolivie.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Les 38 pays de la Caraïbe et d'Amérique centrale, dans lesquels la France ne dispose que de six ambassades et où la Chine est très présente, tolèrent-ils le narcotrafic et le trafic d'armes ?

Contre-amiral Nicolas Lambropoulos. - Il y a de la corruption dans plusieurs pays. Notamment dans les petits États insulaires qui ont des problèmes de financement et qui sont, comme vous l'avez dit, soumis à l'influence chinoise, il y a des affaires de corruption, en particulier avec des services de garde-côtes.

Nous sommes très attentifs aux forces militaires avec lesquelles nous travaillons. Quand nous remettons deux tonnes de cocaïne aux militaires vénézuéliens, c'est en présence de l'attaché de sécurité intérieure de l'ambassade de France à Caracas qui assiste à la destruction de la drogue.

Une expérimentation est en cours sur l'utilisation de satellites qui détectent les ondes électromagnétiques, donc les radars des bateaux. Les Américains expérimentent des systèmes de satellites défilants, avec des constellations importantes fondées sur l'imagerie. Le taux de répétition de passage d'un satellite dans la zone est tel que, compte tenu de la vitesse des bateaux auxquels nous sommes confrontés, de l'extrême petite taille de ces bateaux et du sillage extrêmement faible qu'ils laissent, ils sont très peu utiles. L'expérimentation n'est pas du tout satisfaisante. Il serait plus utile d'investir dans des systèmes de drones à long rayon d'action qui sont beaucoup plus efficaces comme l'ont montré les Américains.

Je dispose de moyens maritimes importants, avec cinq navires qui sont capables d'aller loin, de rester longtemps en mer et qui soutiennent des vitesses importantes. Les deux frégates de surveillance doivent être remplacées par des corvettes hauturières à l'horizon 2035-2038. Elles seront plus armées. Un petit bâtiment amphibie devrait arriver dans l'année à venir. Il nous manquait pour les opérations de secours en cas de catastrophe naturelle. Avec ces moyens, je peux faire beaucoup de choses.

Votre question sur la création d'une préfecture maritime est délicate. Il y a trois préfectures maritimes en France : Cherbourg, Brest et Toulon. Elles couvrent des territoires qui comportent plusieurs préfectures terrestres. C'est sans doute la raison pour laquelle elles ont été créées, avec à leur tête des préfets de la mer, qui est un domaine singulier, qui nécessite une culture particulière, une culture maritime forte. Nous travaillons avec tous les services de l'État mais il faut expliquer ce qu'est un mille nautique, un noeud, etc.

Qu'est-ce qu'une telle préfecture apporterait de plus par rapport à l'organisation actuelle ? J'entretiens d'excellentes relations avec le préfet de la Martinique, délégué du Gouvernement. Il me fait une confiance totale et je l'en remercie. Notre fonctionnement est fondé sur nos bonnes relations et sur la grande intelligence du préfet mais cela pourrait être différent.

Je pense cependant qu'un préfet, même s'il a des fonctions de préfet de zone, est avant tout préoccupé par son territoire, par la sécurité de la Martinique, plus que par la sécurité de la Guadeloupe ou de Saint-Martin. Un préfet maritime pourrait s'affranchir de cette préoccupation. C'est un reproche qu'on nous fait souvent, d'être martiniquo-centré. Je trouve que c'est une organisation qui fonctionne et qui aurait du sens ici. Par exemple, je ne commande pas les services de l'État qui oeuvrent en mer, je ne dirige ni le service de garde-côtes des douanes, ni les brigades nautiques de la gendarmerie, ni les affaires maritimes. Je ne les note pas, je ne les évalue pas, je tente de les coordonner. Il est certain qu'un préfet maritime n'a pas la même autorité que moi, qu'il n'a pas le même pouvoir pour inciter les uns et les autres à aller dans le sens qu'il souhaite. Par conséquent, une préfecture maritime pour un territoire qui a plusieurs préfectures, morcelé, insulaire, aurait du sens.

M. Philippe Folliot. - Votre devoir de réserve vous fait dire que les moyens qui vous sont octroyés, notamment maritimes, sont suffisants. Pour aller dans le sens de la question de notre rapporteur Victorin Lurel sur la loi de programmation militaire, je constate que, même s'il y a eu une très légère inflexion, depuis une trentaine d'années les forces de souveraineté sont les grandes sacrifiées, pour ne pas dire oubliées, des lois de programmation militaire.

Les moyens qui sont à votre disposition sont tout juste suffisants. Les frégates de surveillance Ventôse et le Germinal ont été mises en service au début des années 90. Vous annoncez qu'elles ne seront remplacées qu'en 2035, après 45 ans de bons et loyaux services. C'est comme si nous avions une R16 qui circule au milieu des Ferrari flambant neuves utilisées par les narcotrafiquants ! Vous ne disposez pas encore de drones à moyenne altitude et longue endurance (Medium-Altitude Long-Endurance - MALE) - qui accroîtraient vos moyens de surveillance et d'action. Je crois que vous avez deux hélicoptères à votre disposition qui ont un nombre d'heures de vol relativement significatif. Les Dauphins ont été mis en service le siècle dernier.

Que pouvons-nous faire en tant que parlementaires pour vous aider à faire face aux différentes menaces et aux trafics qui ont des conséquences, y compris sanitaires, sur la population ? Nous savons que dans les territoires ultramarins, à l'image de ce qui se passe dans l'Hexagone, la consommation de drogue explose, avec tout ce que cela implique en termes de santé publique et d'ordre public.

De quels matériels avez-vous besoin le plus urgemment pour compléter vos faibles moyens, afin d'assurer vos missions avec plus d'efficacité et plus de réussite, même si nous ne pouvons que louer l'engagement qui est le vôtre et celui de vos hommes ?

Contre-amiral Nicolas Lambropoulos. - Merci, monsieur le sénateur. Je sais que vous avez embarqué sur une frégate de surveillance pour aller jusqu'à Clipperton. Vous connaissez donc bien ces bateaux.

Le Germinal a effectivement 30 ans, il aura une quarantaine d'années quand il sera désarmé. Cependant, ces frégates ont encore de belles capacités, une belle endurance à la mer. Depuis mon arrivée, je me suis efforcé de maximiser l'efficacité des moyens mis à ma disposition dans la lutte contre le narcotrafic. Je me suis fixé des objectifs très ambitieux. Au cours des six premiers mois de l'année, nous avons saisi environ 15 tonnes de drogue. C'est plus qu'au cours de toutes les années précédentes. Si nous continuons sur ce rythme, à la fin de l'année, nous en aurons saisi trois fois plus que l'an dernier, avec les mêmes moyens.

Nous avons essayé de « sauter sur tout ce qui bougeait », de nouer des relations de confiance avec des partenaires, avec les agences de renseignement américaines, colombiennes, etc. J'essaie aussi d'améliorer la coordination des services de l'État, parce que nous ne manquons pas de moyens si nous regardons l'ensemble des moyens de l'État. La gendarmerie, le Raid, la douane disposent de magnifiques intercepteurs, des bateaux dont la vitesse peut atteindre 50 noeuds. Cependant, les effectifs sont insuffisants pour une réactivité maximum. Dans certains cas, nous avions une information sur un bateau qui quittait la Dominique pour se rendre en Guadeloupe mais personne n'était en mesure d'aller en mer pour aller l'intercepter.

En termes de capacité, il me manque des moyens de détection dans les canaux. Nous sommes aveugles la nuit. Des radars doivent être installés en Martinique mais il en faut aussi dans les autres îles. Le coût est conséquent mais ne doit pas être supporté uniquement par le ministère des Armées. Il me manque aussi des moyens de surveillance aériens, des drones et un Falcon 50 plus que trois mois par an. Si je disposais d'un tel appareil huit mois par an, je serais plus performant. Je le serais encore davantage si cet appareil disposait de moyens optroniques rénovés. Le drone financé par la Mildeca ne coûte que 200 000 euros. Ce sont les moyens dont j'ai besoin, plus que d'une frégate nouvelle.

J'ai aussi besoin de souplesse organisationnelle et réglementaire. Les narcotrafiquants connaissent nos modes d'action et aujourd'hui, ils savent très bien comment nous essayons d'intercepter les go fast. Nous tirons sur leurs moteurs. Cependant, avant de tirer sur les moteurs, la loi, qui n'a pas été écrite pour des go fast mais pour des bateaux de plus grande taille, nous oblige à faire des sommations, puis à procéder à des tirs d'avertissement à l'avant du navire. Pendant que le tireur d'élite embarqué à bord de l'hélicoptère fait ses sommations, l'équipage du go fast jette la drogue à l'eau, en la lestant pour qu'elle coule et nous avons perdu l'initiative. J'aimerais que nous puissions trouver les voies et moyens pour s'affranchir des sommations, de sorte que l'hélicoptère arrive directement en position de tir sur les moteurs, qu'il allume son projecteur à un moment où le bateau est surpris et qu'il tire. C'est de cette manière que nous pourrons faire tomber des réseaux. Dans le cas que je vous ai décrit, le go fast, qui était très lourd, a coulé et nous avons récupéré les quatre narcotrafiquants qui sont devenus des naufragés et que nous avons déposés libres à Fort-de-France !

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Dans quel code se trouvent ces dispositions ?

Contre-amiral Nicolas Lambropoulos. - Elles figurent dans le code de la Défense.

M. Saïd Omar Oili. - On nous a parlé à Mayotte de la mise en place d'un rideau de fer par la marine nationale. Que signifie cette expression dans votre jargon ?

Contre-amiral Nicolas Lambropoulos. - Pour moi, le « rideau de fer » renvoie à une notion historique plus ancienne. Dans les Antilles, nous parlons de la « stratégie du bouclier » qui consiste à frapper le plus loin possible des côtes françaises, qu'elles soient outre-mer ou dans l'Hexagone, pour pouvoir éviter que les trafiquants déposent leur butin sur nos îles ou sur le continent européen. Saisir 1,5 tonne de cocaïne en mer permet d'éviter que 1,5 millions de doses de 1 g n'arrivent dans les villes françaises.

M. Saïd Omar Oili. - Le ministre de l'Intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, nous a présenté ce concept à Mayotte pour lutter contre l'immigration clandestine. Or, pour l'instant, nous ne voyons rien.

Mme Micheline Jacques, président. - Nous avons noté que vous aviez des moyens humains, beaucoup de volonté, mais qu'il vous manquait des moyens de surveillance, comme nous l'avons observé à Mayotte. Notre collègue a fait un parallèle entre l'immigration clandestine et le narcotrafic, tant il est vrai que Mayotte manque aussi cruellement de moyens techniques.

Nous avons aussi noté votre demande de souplesse réglementaire et que vous êtes plutôt favorable à la création d'une préfecture maritime en raison du morcellement de la zone couverte.

Vous avez également développé la coopération avec certains pays de la zone. Notre délégation mène parallèlement une étude sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer par bassin océanique. L'année prochaine, elle portera sur justement le bassin océan Atlantique et toute la zone Caraïbe. Ce sera pour nous l'occasion d'examiner les coopérations mises en place avec d'autres pays, notamment avec le Brésil, pour lutter contre le fléau du narcotrafic.

Je vous remercie pour votre disponibilité et nous essaierons de voir dans quelle mesure un vecteur législatif nous permettra de lever les freins qui entravent votre action. Je sais que nous pourrons notamment compter sur notre collègue Philippe Folliot, qui est membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, afin de lever ces freins qui vous empêchent d'avoir une action encore plus efficace.

Merci pour tout ce que vous faites pour protéger nos concitoyens !

Contre-amiral Nicolas Lambropoulos. - Je vous remercie pour votre attention et pour votre soutien.


* 1 Les travaux ont été conduits avant le passage dévastateur du cyclone Chido à Mayotte le 14 décembre 2024. Si ce cataclysme a décuplé les difficultés préexistantes du territoire, il ne change pas les termes du diagnostic.

* 2 Source : « Les victimes de violences physiques hors cadre familial enregistrées par les services de sécurité en 2023 » SSMSI (juillet 2024).

* 3 Voir annexes : indicateurs de délinquance par département

* 4 Source : Géographie départementale de la délinquance en 2023. SSMSI (janvier 2024).

* 5 Audition du jeudi 14 mars 2024.

* 6 Audition du jeudi 11 avril 2024.

* 7 Rapport d'information n° 878 (2022-2023) sur la situation institutionnelle, la justice et la sécurité en Guadeloupe, en Martinique, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin, fait au nom de la commission des lois par MM. François-Noël Buffet, Philippe Bonnecarrère, Mmes Marie-Pierre de La Gontrie, Cécile Cukierman et M. Henri Leroy.

* 8 Table ronde consacrée à la situation en Guyane du mardi 14 mai 2024.

* 9 Voir annexes : indicateurs de délinquance par collectivité.

* 10 Rapport d'information de la commission des lois n° 17 (2024-2025).

* 11https://www.huffingtonpost.fr/politique/video/vie-chere-en-martinique-15-ans-apres-ce-qu-enseigne-le-precedent-de-2009_241064.html

* 12Accord comportant de nombreuses dispositions : la baisse de 20 % sur les prix de 7 000 produits parmi les plus consommés, l'objectif de 5 à 25 % maximum d'écart entre les prix de l'hexagone et ceux de l'île, la suppression de l'octroi de mer sur certains produits et le contrôle mensuel des marges et des écarts de prix...

* 13Collectif Rassemblement pour la Protection des Peuples et des Ressources Afro Caribéennes (RPPRAC)

* 14 Mouvements indépendantistes à dimension raciste.

* 15  https://la1ere.francetvinfo.fr/martinique/ce-comportement-est-inacceptable-inimaginable-intolerable-la-prefecture-de-la-martinique-reagit-sur-l-intrusion-a-la-residence-prefectorale-1536082.html

* 16 Voir le récent rapport du CESE « Amplifions la lutte contre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer », novembre 2024.

* 17 Cf. Conseil économique, social et environnemental (CESE) « 7 ans après l'avis du CESE : amplifions la lutte contre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer ».

* 18 Voir comptes rendus en annexe.

* 19  https://www.ccomptes.fr/fr/documents/69451

* 20 Audition du jeudi 25 janvier 2024.

* 21 Audition de Julien Retailleau, sous-directeur de la justice pénale spécialisée de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice du jeudi 11 avril 2024.

* 22 Rapport d'information n° 588 (2023-2024) du 7 mai 2024 « Un nécessaire sursaut : sortir du piège du narcotrafic », tome I, fait au nom de la commission d'enquête l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier par MM. Jérôme Durain et Étienne Blanc.

* 23 Voir supra.

* 24 Les Forces armées aux Antilles (FAA) constituent un dispositif interarmées dans la Caraïbe. Basés en Martinique et Guadeloupe, près de 1 000 militaires garantissent la protection du territoire national. Leur présence dote la France de capacités opérationnelles, projetables sous court préavis, pour répondre à une crise sécuritaire ou mener des opérations d'assistance aux populations affectées par une catastrophe naturelle. La composante aéromaritime des FAA participe régulièrement aux missions relevant de l'action de l'État en mer, notamment la lutte contre les trafics illicites et la protection de l'environnement marin.

* 25 Analyse « La traite et l'exploitation des êtres humains : un état des lieux en 2024 à partir des données administratives », n° 70, octobre 2024, Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) et Service de la statistique, des études et de la recherche du ministère de la Justice (SSER).

* 26 Rapport d'information n° 17 (2024-2025) du 9 octobre 2024 sur la situation institutionnelle et administrative et la justice en Polynésie française, fait au nom de la commission des lois par Mme Nadine Bellurot, MM. Jérôme Durain et Guy Benarroche.

* 27 Audition du jeudi 14 mars 2024.

* 28 Audition du jeudi 8 février 2024.

* 29 Voir notamment l'audition de Paul Huber, directeur des services judiciaires, et Fabien Neyrat, délégué outre-mer auprès du secrétariat général du ministère de la Justice, du jeudi 11 avril 2024.

* 30 Patrick Lingibé - Une justice ultramarine en état de grande fragilité : que faire après le rapport Sauvé ? (III).

* 31 Voir supra.

* 32  https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/01/03/a-tahiti-une-guerre-sourde-entre-les-magistrats-du-siege-et-du-parquet_6156388_3224.html

* 33 En 2022, la prison de Matâ'utu affichait une densité carcérale de 233,3 %, un chiffre trompe l'oeil puisque s'expliquant par l'accueil de 7 détenus dans un établissement prévu pour 3.

* 34  https://www.ght-guyane.fr/chc/article/88

* 35 « Les chiffres clés de l'immigration 2022 », Direction générale des étrangers en France, Ministère de l'Intérieur et des outre-mer, 18 janvier 2024, https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Actualites/L-actu-immigration/Les-chiffres-cles-de-l-immigration-2022

* 36  https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvelle-caledonie-vie-chere-immigration-les-grands-dossiers-qui-attendent-francois-noel-buffet-au-ministere-des-outre-mer-1523606.html

* 37  https://www.ofpra.gouv.fr/actualites/premieres-donnees-de-lasile-2023-chiffres-provisoires

* 38 Chiffres audition Antoine Poussier, table ronde Guyane, du mardi 14 mai 2024.

* 39  https://la1ere.francetvinfo.fr/guyane/peche-illegale-un-rapport-scientifique-inedit-confirme-l-augmentation-du-phenomene-en-guyane-1522133.html

* 40 Voir supra.

* 41  https://la1ere.francetvinfo.fr/orpaillage-illegal-quarante-deux-sites-demanteles-dans-le-sud-est-de-la-guyane-1542154.html

* 42 Le 4 juillet 2023, le préfet de la Martinique, délégué du gouvernement pour l'action de l'État en mer, a adopté un arrêté dit « arrêté clearance » relatif aux formalités déclaratives pour le mouillage et le stationnement dans les eaux territoriales des départements et collectivités de la Martinique, de la Guadeloupe, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, pour les navires de plaisance en provenance ou à destination de l'étranger.

* 43 Rapport d'information n° 739 (2023-2024) du 23 juillet 2024, sur la lutte contre les influences étrangères malveillantes - pour une mobilisation de toute la Nation face à la néo-guerre froide, tome I, fait au nom de la commission d'enquête par MM. Dominique de Legge et Rachid Temal.

* 44 Avant son entrée au Gouvernement

* 45 Le 3 décembre dernier, Antony Géros a demandé aux représentants de l'assemblée de lui accorder le pouvoir de déposer des recours devant les tribunaux français et internationaux contre l'État et son attitude de refus d'ouverture de dialogue sur la question de l'autodétermination.

* 46 Rapport d'information n° 546 (2021-2022) du 24 février 2022, « Les outre-mer au coeur de la stratégie maritime nationale », fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer par M. Philippe Folliot, Mmes Annick Petrus et Marie-Laure Phinéra-Horth.

* 47 La Chine s'attache plutôt à coopérer avec les institutions régionales et à développer ses relations économiques. En 2016, un document politique chinois sur l'Amérique latine et les Caraïbes est réalisé. En 2018 puis 2021, un deuxième puis troisième forum Chine-CELAC a eu lieu (Communauté d'États latino-américains et Caraïbes) dans le cadre du projet des nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative).

* 48 Rapport d'information n° 285 (2022-2023) du 25 janvier 2023 sur La stratégie française pour l'Indopacifique : des ambitions à la réalité, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées par M. Cédric Perrin.

* 49 La loi de programmation militaire.

* 50 Jean-Marc Giraud, « Une nouvelle stratégie française en matière de forces de souveraineté et de présence » 2020 : chocs stratégiques - Regards du CHEM - 69e session, https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article-cahier.php?carticle=232&cidcahier=1210#(41)

* 51 Rapport d'information n° 12 (2022-2023) du 5 octobre 2022, « La présence militaire dans les outre-mer : un enjeu de souveraineté et de protection des populations », fait au nom de la commission des finances par M. Dominique de Legge.

* 52 Rapport d'information n° 763 (2023-2024) du 17 septembre 2024, sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer - volet 1 : bassin océan Indien fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer par MM. Stéphane Demilly et Georges Patient.

* 53 Audition, en commun avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, du général de division François-Xavier Mabin, chef de la division « emploi des forces-protection » de l'état-major des armées, le mardi 18 juin 2024.

* 54 Rapport d'information n° 546 (2021-2022) du 24 février 2022, « Les outre-mer au coeur de la stratégie maritime nationale », fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer par M. Philippe Folliot, Mmes Annick Petrus et Marie-Laure Phinéra-Horth.

* 55 La préfecture de plein exercice est effective depuis le décret n° 2025-38 du 9 janvier 2025.

* 56 Les brigades mobiles ont vocation à travailler sur une thématique particulière.

* 57 Chiffres d'après l'audition du général Lionel Lavergne, commandant de la gendarmerie d'outre-mer sous la présidence de Mme Micheline Jacques le 24 janvier 2024, disponible en ligne sur le site du Sénat : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20240122/otm_25_01_24.html

* 58 Elle a été généralisée à l'Hexagone en deux phases : le 1er décembre 2023 puis le 1er janvier 2024. Selon le ministère de la Justice, il est trop tôt pour tirer des conclusions générales sur l'évolution des relations entre le parquet et la police judiciaire. Il est d'ores et déjà relevé toutefois, dans un certain nombre de ressorts, une clarification des relations entre les procureurs et l'échelon correspondant à la hiérarchie policière intermédiaire. Par ailleurs, cette réforme a, de manière notable, abouti à la création d'un pouvoir d'évaluation annuelle des directeurs de la police nationale par l'autorité judiciaire.

* 59 Christian Nussbaum était le chef de la mission depuis sa création. Il a quitté ses fonctions à l'été 2024. Le Commissaire général Jean-Baptiste Dulion lui a succédé.

* 60 Loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027.

* 61 En 2017, les directions interrégionales du secrétariat général ont été mises en place dans l'Hexagone. Elles regroupent, autour d'un délégué, entre 50 et 60 agents, et ont pour mission de reproduire en proximité les fonctions du secrétariat général. Étonnamment, les outre-mer avaient été laissés à l'écart de cette réforme. C'est dans ce cadre que la délégation aux outre-mer a été officiellement créée en 2021 seulement.

* 62 Ce quartier compte 6 000 habitants officiellement, mais 8 000 estimés, et 1 047 logements sociaux.

* 63 En Guyane, l'opération interministérielle Harpie vise, depuis 2008, à lutter contre l'orpaillage illégal. Elle se décline en quatre volets : la sécurité, le volet social, le volet diplomatique et le volet économique.

* 64 Rapport d'information fait au nom de la mission d'information sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane sur « Mettre fin au trafic de cocaïne en Guyane : l'urgence d'une réponse plus ambitieuse », par Antoine Karam, n° 707 (2019-2020).

* 65 Rapport de la commission d'enquête du Sénat du 7 mai 2024 sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, n° 588 (2023-2024).

* 66 Le fonctionnement des systèmes LAPI repose sur l'utilisation de caméras haute définition capturant les images des plaques d'immatriculation de véhicules.

* 67 Rapport narco trafic.

* 68 Passagers disposant d'un billet, mais ne se présentant pas à l'aéroport.

* 69 Le décret n° 2023-579 du 7 juillet 2023 relatif aux groupes locaux de traitement de la délinquance est venu préciser le fonctionnement des GLTD créé et piloté par le procureur de la République.

* 70 Ces Brigades Territoriales Mobiles (BTM) devraient voir le jour dans chacune des 3 compagnies de gendarmerie de La Réunion : celle de l'Ouest (Cie de Saint-Paul) en 2026, celle de l'Est (Cie de Saint-Benoît) et celle du Sud (Cie de Saint-Louis) en 2027.

* 71 Les Maisons de protection des familles consistent à améliorer l'accueil et l'accompagnement des victimes de violences intra-familiales, après signalement ou dépôt de plainte. Située près des gendarmeries, elles accueillent aussi des travailleurs sociaux.

* 72 Rapport n° 362 (2019-2020) du 3 mars 2020 par Annick Billon et Michel Magras au nom de la délégation aux droits des femmes et de la délégation aux outre-mer du Sénat.

* 73 Le « violentomètre » est un outil pour aider les femmes à mesurer si la relation amoureuse est basée sur le consentement et ne comporte pas de violences.

* 74 Néanmoins, durant l'intervalle, la personne n'étant pas encore placée en garde à vue, la Cour de cassation a précisé qu'aucune déclaration sur les faits ne peut être recueillie de sa part et qu'elle bénéficie, dès sa mise à disposition auprès des enquêteurs, de l'ensemble des droits lui garantissant une procédure respectueuse des droits de la défense (Cass. Crim. 8 décembre 2015 - décision précitée).

* 75 Article L. 132-7 du code de la sécurité intérieure (CSI).

* 76 Les détenus écroués dans le centre de détention de Nouméa font de manière quasi-systématique des recours afin d'obtenir des indemnisations pour leurs conditions indignes selon un barème fixé par la loi (200 euros par mois la première année, 300 la deuxième, 450 la troisième...). Le tribunal administratif enregistre des dizaines de recours chaque année. Afin de réduire la pression contentieuse, des médiations sont mises en place pour indemniser les détenus en évitant la saisine du juge. Depuis le 1er janvier 2023, les condamnations ne sont plus systématiques, quelques travaux ayant été réalisés dans l'établissement.

* 77 En Hexagone, les ESP ne sont pas en charge de la seule protection des établissements (surveillance des abords, lutte contre les introductions d'objets...). Certaines équipes sont en charge des transfèrements et extractions.

* 78 La date initialement avancée de 2027 est hors de portée.

* 79 On rappellera que la cour d'appel de Cayenne a été créée en 2012 seulement. La Guyane relevait auparavant de la cour d'appel de Fort-de-France.

* 80 Rapport d'information n° 114 (2021-2022) au nom de la commission des lois du Sénat.

* 81 La Nouvelle-Calédonie était le dernier territoire ultramarin sans CAD. Il couvre également Wallis-et-Futuna qui est situé aussi dans le ressort de la cour d'appel de Nouméa.

* 82 Rapport n° 17 (2024-2025) du 9 octobre 2024 sur la situation institutionnelle et administrative et la justice en Polynésie française, au nom de la commission des lois du Sénat.

* 83 Rapport de la commission d'enquête du Sénat du 7 mai 2024 sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, n° 588 (2023-2024).

* 84 Selon ce rapport, Tracfin compte 191 agents. Les autorités d'enquêtes et de poursuites spécialisées, la police judiciaire de la police nationale compte 1037 enquêteurs financiers, la gendarmerie 230 et les douanes 310.

* 85 Pour 2024, l'OFAST a annoncé la saisie de plus de 30 tonnes de cocaïne.

* 86 Outre-mer, les 11 tribunaux judiciaires et leurs équivalents sont classés en 3 groupes de juridictions (la classification nationale compte 4 groupes, les juridictions de niveau 1 étant les plus importantes, notamment en raison du critère de la population située dans leur ressort) :

• 4 juridictions sont rattachées au groupe 4 (Basse-Terre, Mata-Utu, Mamoudzou et TSA Saint-Pierre-et-Miquelon) ;

• 3 au groupe 3 (Cayenne, Papeete et St Pierre de La Réunion) ;

• 4 au groupe 2 (Pointe à Pitre, Fort-de-France, Nouméa et Saint-Denis de La Réunion).

* 87 La présidente du tribunal judiciaire de Saint-Denis de La Réunion a indiqué qu'au sein du cabinet de l'instruction, deux tiers des affaires étaient des affaires criminelles, voire 82 % à Saint-Pierre, contre 45 % dans l'Hexagone.

* 88 Article 16 de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.

* 89 Articles 21-7 et 21-11 du code civil.

* 90 La construction d'un ponton sur l'ilot de Mtsamboro au nord de Mayotte a été actée à l'automne 2024, avant le passage du cyclone Chido.

* 91 Rapport n° 763 (2023-2024) du 17 septembre 2024 par MM. Christian Cambon, Stéphane Demilly et Georges Patient.

* 92 En 2023, 17 magistrats de liaison étaient en poste dans le monde couvrant 52 États, dont six en Afrique et Moyen-Orient. Aucun en Afrique de l'Est, australe ou l'ouest de l'océan Indien. Un poste a été créé en 2024 à Sainte-Lucie pour lutter contre les narcotrafics.

* 93 L'orpaillage illégal permettrait l'extraction d'environ 10 fois plus d'or que l'exploitation légale, soit une tonne d'or légal pour dix tonnes illégales.

* 94 Les articles L. 512-9 et L. 621-8-2 du code minier dispose que les OPJ et APJ peuvent procéder à la destruction du matériel sur ordre du procureur de la République pour empêcher le renouvellement de l'infraction.

* 95 Rapport d'information n° 546 (2021-2022) du 24 février 2022 sur les outre-mer au coeur de la stratégie maritime nationale par M. Philippe Folliot, Mmes Annick Petrus et Marie-Laure Phinera-Horth.

* 96 Pour Mayotte, un chiffrage de 110 millions d'euros a été avancé.

* 97 Rapport n° 739 (2023-2024) du 24 juillet 2024 fait au nom de la commission d'enquête du Sénat sur les politiques publiques face aux opérations d'influences étrangères (président : M. Dominique de Legge, rapporteur : Rachid Temal). L'Essentiel du rapport disponible sur ce lien : https://www.senat.fr/rap/r23-739-1/r23-739-1-syn.pdf

* 98 Décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 relatif au droit de dérogation reconnu au préfet.

* 99 Selon le rapport de l'IGA, ces chiffres sont sans doute en deçà de la réalité, certains arrêtés pris n'étant pas transmis à l'administration centrale en dépit de la saisine obligatoire pour avis en amont. Le rapport constate par exemple qu'un département ayant transmis 12 arrêtés en avaient en réalité pris 17 depuis 2020, soit un écart de 42%.

* 100 La circulaire du 6 août 2020 relative à la dévolution au préfet d'un droit de dérogation aux normes réglementaires imposait une saisine obligatoire pour avis simple : « Afin d'informer systématiquement les secrétariats généraux des ministères intéressés en amont de la prise d'un arrêté préfectoral de dérogation, il vous est demandé d'adresser ce projet d'arrêté, accompagné de votre analyse justifiant le recours à la dérogation, à la DMAT (sous-direction de l'administration territoriale - bureau de l'organisation et des missions de l'administration territoriale - sdatbomat@interieur.gouv.fr}, laquelle procédera à une communication sans délai auprès du ou des secrétariats généraux concernés. Ces derniers disposeront d'un délai de 15 jours à réception du projet d'arrêté pour faire part de toute observation sur le document. Au terme de ce délai, la DMAT aura pour mission de vous faire parvenir le ou les avis (avis simple) qui lui auront été communiqués ou de vous informer de l'absence de toute réponse ».

* 101 Une liste non exhaustive est annexée au rapport de l'IGA (annexe 2).

* 102 Créé le 13 janvier 2020, le groupe de travail était présidé par Gérard Larcher, président du Sénat, et rassemblait les présidents des groupes politiques, le président de la commission des finances, le président de la commission des affaires sociales et le président de la délégation aux outre-mer. Le président de la commission des lois, Philippe Bas, en était le rapporteur général et le président de la délégation aux collectivités territoriales, Jean-Marie Bockel, le co-rapporteur.

* 103 On notera que le préfet outre-mer est déjà par exemple le délégué territorial de l'Agence nationale de la cohésion des territoires. En Guyane, le préfet gère les dotations et subventions de l'ANCT qui concourent à l'appui aux collectivités territoriales et à l'ingénierie territoriale.

* 104 « L'éloignement, aussi bien que le contexte politique et l'ampleur des défis économiques à relever imposent, outre-mer, un degré de déconcentration poussé et le strict respect de l'autorité de l'État à travers ses représentants.

Le représentant de l'État est, quel que soit son titre, le seul représentant du Premier ministre et des ministres. Les services déconcentrés de l'État sont, sauf exception, sous son autorité. Il est seul habilité à négocier et signer des conventions avec les autorités locales. Le respect de ses prérogatives vaut également pour les établissements publics nationaux implantés outre-mer. Tout projet de convention le concernant doit ainsi lui être soumis. »

* 105 Cette direction regroupe les services déconcentrés de l'État relevant des ministres chargés de l'environnement, de l'énergie, du développement durable, des transports, de la mer, de l'équipement, du logement, de l'urbanisme, de l'agriculture et de la forêt.

* 106 Cette direction regroupe les services déconcentrés de l'État relevant des ministres chargés de l'économie, de l'industrie, du travail, de l'emploi, des affaires sociales, de la jeunesse, de la santé, de la vie associative, de la culture, de la ville, des droits des femmes et des sports.

* 107 Sur les politiques académiques il s'agit d'une politique territorialisée notamment pour lutter contre l'illettrisme (entre 18 et 24 ans estimée à 30 %). Il y a deux ans une concertation de six mois a eu lieu avec les élus pour faire remonter les problèmes en vue d'une co-construction. Lors de la rentrée 2023- 2024 le plan 100 % lecteur monté avec des chercheurs allant du CM1 jusqu'au lycée professionnel a été mis en place avec un ciblage fin et une analyse des établissements. On estime que 20 % des élèves entreront dans ce dispositif avec un soutien pédagogique dans le 1er et le second degré.

Le plan créole prévoit plus d'options et de spécialités : des parcours bilingues du primaire au collège, avec l'idée de remettre « chaque langue dans son couloir », faire monter les professeurs en compétence (plan de formation), multiplier par deux des classes bilingues, augmenter les recrutements locaux, travailler sur le contenu et les ressources pédagogiques, etc.

* 108 Le Monde du 10 janvier 2025.

* 109 Voir Rapport «  22 propositions pour conforter l'autonomie et la proximité de l'action publique en Polynésie française » - Sénat.

* 110 Rapport d'information n° 123 (2023-2024), déposé le 16 novembre 2023 pour encourager l'intercommunalité en Polynésie française.

* 111 Chiffres fournis par la DGOM pendant son audition du 18 janvier 2024 par la délégation sénatoriale aux outre-mer et par le rapport 2011 de la Cour des Comptes https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/RPA-2011-Tome2.pdf

* 112 Rapport d'information n° 361 (2022-2023), déposé le 16 février 2023, sur l'évolution institutionnelle des outre-mer par Stéphane Artano et Micheline Jacques, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer.

* 113 En Guyane, seuls sept originaires étaient en poste au jour de l'audition du général Lionel Lavergne.

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