B. UNE RELATION UNIQUE À CONSOLIDER ENTRE LA TURQUIE ET L'UNION EUROPÉENNE
1. Une demande d'adhésion à l'Union européenne toujours difficile à satisfaire
Associée depuis 1963 à la CEE et entrée en 1996 dans une union douanière avec l'UE, la Turquie s'est vue reconnaître le statut de « pays candidat » en 1999. Les négociations d'adhésion entre l'UE et la Turquie ont été ouvertes en octobre 2005 sur la base d'un cadre précisant qu'elles « sont un processus ouvert dont l'issue ne peut être garantie à l'avance ». Ces négociations dépendent de la capacité de la Turquie à assumer les obligations liées à l'adhésion (plein respect des critères de Copenhague, dont les critères politiques - droits de l'Homme, État de droit, démocratie) ainsi que de la capacité d'assimilation de l'Union. À l'heure actuelle, 16 chapitres de négociation sur 35 ont été ouverts et un seul provisoirement clos. Cependant les négociations d'adhésion avec la Turquie sont aujourd'hui à l'arrêt, en raison d'une part de la situation de l'État de droit et de l'évolution des opinions publiques tant en Europe qu'en Turquie qui sont moins favorables à cette perspective.
Les autorités turques ont réaffirmé lors des échanges avec la délégation sénatoriale leur souhait de voir aboutir le processus d'adhésion alors même que le projet politique qu'elles poursuivent peut sembler contradictoire sur plusieurs aspects avec cet objectif. Par ailleurs, comme l'ont reconnu plusieurs responsables turcs, l'évolution des opinions publiques dans un nombre croissant d'États européens rend moins envisageable dans un avenir proche la perspective d'une adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Les membres de la délégation ont ajouté que les opinions publiques européennes étaient devenues réticentes vis-à-vis de l'idée même d'accueillir de nouveaux membres de l'UE. Ce décalage croissant entre un processus d'adhésion reposant sur des critères techniques et une absence de soutien politique de la part des opinions publiques génère une forme d'attentisme de la part des Européens que regrettent les responsables turcs, le président de la commission des affaires étrangères, Fuat Oktay, ayant par exemple déploré que « l'Union européenne n'a pas de vision stratégique sur la Turquie ».
L'Union européenne et la Turquie coopèrent cependant de manière efficace sur la question des migrations. L'Union européenne a, en effet, accepté de contribuer à l'accueil des réfugiés en Turquie et un accord de réadmission a été conclu concernant les migrants en situation irrégulière partis du territoire turc. Cette coopération s'est accompagnée d'une aide européenne de 6 Mds€ depuis 2016 au titre de la facilité en faveur des réfugiés en Turquie (FRiT) à laquelle s'est ajoutée une enveloppe additionnelle de 3 Mds€ pour la période 2021-2023 entièrement financée par le budget européen, pour permettre la poursuite de projets dans les domaines de l'assistance humanitaire, de la santé, de l'éducation, et du soutien socio-économique.
Le Conseil européen des 17 et 18 avril 2024 a tenu par ailleurs un débat stratégique sur les relations entre l'Union européenne et la Turquie qui a permis de réaffirmer qu'« un environnement stable et sûr en Méditerranée orientale et l'instauration de relations avec la Turquie fondées sur la coopération et mutuellement avantageuses relèvent de l'intérêt stratégique de l'Union européenne ». Le Conseil européen a également appelé à la reprise des pourparlers visant à régler la question chypriote conformément aux résolutions du Conseil de sécurité. Les autorités turques contestent le lien ainsi fait entre la situation à Chypre et l'avenir de la relation entre la Turquie et l'UE et ont affirmé qu'elles aborderaient le dialogue avec l'UE « dans le cadre de la réciprocité, en fonction de la rapidité, du niveau et de la portée des initiatives que l'UE prendra à l'égard de la Turquie dans la période à venir ».
Les échanges conduits par la délégation sénatoriale avec les autorités turques ont confirmé les déclarations ministérielles de juin dernier. Les interlocuteurs rencontrés ont ainsi rappelé le souhait de la Turquie de rejoindre l'Union européenne sans toutefois laisser penser que cette demande avait de réelles chances d'aboutir dans un futur proche. Les membres de la délégation ont pu mesurer combien cette situation constituait une source de frustration pour les autorités turques qui n'ont toutefois pas esquissé de stratégie alternative à cette demande d'adhésion pour le cas où elle ne pourrait aboutir. Tout au plus ont-elles évoqué leur souhait de moderniser l'union douanière et de faciliter l'octroi des visas. Le vice-ministre des affaires étrangères, Melmet Kemal Bozay a estimé que la négociation sur la modernisation de l'union douanière prendrait au moins trois ans et qu'il était donc possible de l'engager indépendamment des échanges sur l'avenir de Chypre. Plusieurs interlocuteurs turcs ont également insisté sur la nécessité que l'Union européenne continue à soutenir financièrement la Turquie sur la gestion des flux migratoires.
Concernant les coopérations sur les questions de défense, le vice-ministre des affaires étrangères, Mehmet Kemal Bozay, a déploré que la Turquie ne bénéficie pas de la facilité européenne pour la paix tandis que le président de la commission des affaires étrangères, Fuat Oktay, a regretté que la Turquie soit « le seul pays candidat pour lequel une libéralisation des visas n'a pas été mise en place ».
Les membres de la délégation sénatoriale considèrent que des nouveaux partenariats pourraient être recherchés entre l'Union européenne et la Turquie à la fois sur la politique de visas pour encourager les échanges d'étudiants et de professionnels qualifiés, la gestion des flux migratoires avec une reconduction des aides européennes et le développement de grands programmes de coopération notamment dans les domaines des infrastructures locales (assainissement, transports collectifs), de la défense et du spatial.
2. Des attentes fortes de la part de la Turquie sur un soutien plus important de l'UE
Les échanges conduits entre la délégation sénatoriale et les représentants turcs ont également mis en évidence les attentes de la Turquie vis-à-vis de l'Union européenne au Proche et Moyen-Orient. Le vice-ministre des affaires étrangères, Mehmet Kemal Bozay, a ainsi considéré que « si l'Union européenne n'était pas plus active, elle perdrait de son influence ». Il a également insisté sur les conséquences des conflits en cours, rappelant qu'au Liban 50% de la population était constituée de réfugiés dont beaucoup envisageaient une expatriation en Europe ou en Amérique du Nord.
L'avenir de la guerre en Ukraine a constitué une partie importante des échanges toujours francs conduits entre les sénateurs et les autorités turques. Le président de la commission de la défense, Hulusi Akar, a ainsi déclaré que « si l'Union européenne avait réagi à l'occupation de la Crimée et de l'Ossétie, on n'en serait peut-être pas là ».
Les membres de la délégation sénatoriale n'ont pu que partager le constat des autorités turques, qu'il était urgent que les pays européens se mobilisent pour peser davantage sur les conflits en cours aux frontières du continent européen.