II. UN PARTENAIRE IMPORTANT POUR L'UNION EUROPÉENNE DANS LE CADRE D'UNE RELATION À CLARIFIER
A. LA STABILITÉ ET LE DÉVELOPPEMENT DE LA TURQUIE DEMEURENT UNE PRIORITÉ POUR L'UNION EUROPÉENNE
1. Une démocratie turque entre un exécutif fort et une opposition puissante au niveau local
a) Un débat politique structuré par l'élection présidentielle de 2028
La vie politique turque demeure marquée par la figure du président de la République, Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre de 2003 à 2014, puis président de la République, réélu le 28 mai 2023 pour 5 ans avec 52,2 % des suffrages exprimés au second tour de l'élection présidentielle. Lors des élections législatives du 14 mai 2023, l'alliance gouvernementale rassemblant le Parti de la justice et du développement (Adalet ve Kalkýnma Partisi ou AKP) et ses alliés du MHP a conservé sa majorité absolue, remportant 323 des 600 sièges de la Grande Assemblée nationale de Turquie. Le Parti républicain du peuple (Cumhuriyet Halk Partisi ou CHP) créé par Mustafa Kemal Atatürk en 1923 a, pour sa part, remporté les élections municipales du 31 mars 2024 et dirige aujourd'hui les cinq provinces les plus peuplées (Istanbul, Ankara, Izmir, Bursa et Antalya).
La situation politique et institutionnelle de la Turquie demeure l'objet de controverses tant de la part des différents responsables politiques turcs que des organisations de défense des droits de l'Homme. Le succès de l'opposition aux élections municipales du 31 mars 2024 dans les grandes métropoles ne clôt pas, selon de nombreux observateurs, le débat sur le caractère équitable des compétitions électorales et l'indépendance de la justice. Des journalistes et des élus locaux continuent, selon ces derniers, à être poursuivis pour des motifs d'ordre politique.
b) Une opposition attachée à « une Turquie démocratique, laïque, européenne et prévisible »
Le succès du CHP kémaliste aux élections locales de mars 2014 s'expliquerait notamment par le rejet croissant par l'opinion publique de la présence de plus de 3 millions de réfugiés syriens dont la présence pèse sur le fonctionnement de certains services publics. La chute du régime de Bachar El-Assad suite à l'offensive du HTC appuyée par la Turquie pourrait ainsi accélérer le processus de retour des réfugiés, qui constitue une priorité pour le Gouvernement dans la perspective de l'élection présidentielle de 2028.
Après son succès aux élections municipales, le CHP appelle pour sa part à des élections anticipées et se prépare à exercer le pouvoir à l'issue d'une alternance qui lui semble possible. La formation kémaliste a indiqué à la délégation sénatoriale qu'elle souhaitait à l'intérieur s'inspirer de son expérience locale qui lui a permis de créer des modèles innovants et à l'extérieur « tourner le visage de la Turquie vers l'Europe ». Les responsables du CHP considèrent qu'une Turquie stable, démocratique et tournée vers l'Europe est possible et ils entendent mettre un terme à ce qu'ils estiment être « l'imprévisibilité actuelle de la Turquie ». Ils prévoient de créer un « cercle de la Paix » autour de la Turquie afin d'apporter la stabilité en Méditerranée, au Proche-Orient et dans le Caucase.
Le principal parti d'opposition considère, par ailleurs, que le cadre constitutionnel doit être revu afin de mieux assurer la séparation des pouvoirs et le respect du fonctionnement régulier des institutions. Concernant la relation franco-turque, le CHP appelle de ses voeux davantage de coopérations et moins de concurrence avec une Turquie démocratique, laïque, européenne et prévisible.
Les membres de la délégation sénatoriale ont pu constater que le pluralisme politique demeurait une réalité dans la société turque comme l'illustre le succès de l'opposition aux élections locales, même si la séparation des pouvoirs n'était sans doute pas mise en oeuvre de la même manière que dans les pays de l'Union européenne.
2. Une économie fragilisée par l'inflation et les bouleversements économiques internationaux
L'économie turque connaît une situation délicate tant sur le plan intérieur qu'extérieur. Alors qu'elle connaissait un taux de croissance compris entre 4% et 5% depuis la crise du Covid 19, suite à une politique monétaire expansionniste, l'économie turque est entrée en récession en 2024 à la suite du resserrement de la politique monétaire et budgétaire. Pour lutter contre l'inflation qui a atteint 72% en 2022, puis 54% en 2023, occasionnant notamment une dépréciation de 83% de la lire turque, la banque centrale turque a, en effet, porté son taux directeur de 8,5% à 50% et le Gouvernement a augmenté certaines taxes notamment sur l'essence.
Ce contexte économique obère le pouvoir d'achat des salariés dont la rémunération n'est pas complètement indexée et accroît les inégalités. Un an après les séismes du 6 février 2023 qui ont occasionné près de 60 000 morts, 3,3 millions de déplacés et la destruction de 650 000 logements, le Gouvernement doit, par ailleurs, faire face au coût de la reconstruction évalué à plus de 100 Mds$.
Les relations économiques franco-turques demeurent dynamiques avec 35 entreprises du CAC40 présentes dans le pays mais très inférieures à celles qui existent entre la Turquie et l'Allemagne. Les échanges commerciaux entre la France et la Turquie s'élevaient à 21,9 Mds$ en 2023 avec un déficit en baisse du côté français à hauteur de 1,3 Md$. L'aéronautique constitue le principal poste d'exportation vers la Turquie suivi des produits chimiques et de l'automobile tandis que la France importe principalement des véhicules automobiles et des produits textiles. Le développement de l'économie turque, en dépit des difficultés actuelles, constitue un argument solide pour inciter les entreprises françaises à investir ce marché.