B. L'ÉTAT oeUVRE À L'ADOPTION DE L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE GÉNÉRATIVE PAR LES PROFESSIONNELS DU DROIT

Les politiques de soutien public à l'offre de solutions d'intelligence artificielle générative doivent s'accompagner d'actions de sensibilisation de la demande, car cette dernière se saisit encore insuffisamment de cette technologie. Il apparaît en effet que les solutions d'intelligence artificielle générative sont encore peu assimilées par les entreprises françaises, tous secteurs confondus.

La DGE a réalisé une étude avec les directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) auprès de 80 petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI) françaises. Il en ressort que les sociétés françaises méconnaissent les bénéfices qui découlent de l'usage de cette technologie.

En conséquence, seules 13 % des très petites entreprises (TPE) et PME recourent à l'intelligence artificielle, générative ou non, selon le baromètre France Num de septembre 2024. Si cette proportion ne s'élevait qu'à 5 % en 2023, France Num précise toutefois qu'une partie de l'augmentation est due à la reformulation de la question au sein du sondage.

En matière d'intelligence artificielle générative, plus spécifiquement, Clara Chappaz, alors secrétaire d'État chargée de l'intelligence artificielle et au numérique, a souligné que seules 10 % des entreprises françaises ont intégré au moins un logiciel fondé sur cette technologie à leurs procédures. Des disparités significatives apparaissent toutefois entre les secteurs ; le taux d'adoption de l'intelligence artificielle générative s'élève ainsi à 24 % dans le secteur des services, contre 12 % dans l'industrie et 5 % dans les transports137(*).

Plusieurs études attestent en outre du fait que les entreprises françaises apparaissent moins engagées dans l'adoption et le développement de l'intelligence artificielle générative que celles des autres pays européens - et ce, même dans le domaine juridique. Selon une étude de l'European legal technology association, 35 % des entreprises du secteur ne prévoient pas d'engager des dépenses propres à l'intelligence artificielle générative et seules 4 % envisagent d'investir plus de 100 000 euros dans cette technologie, contre 21 % à l'échelle européenne.

La DGE estime donc, à raison selon les rapporteurs, que l'enjeu fondamental au sujet de l'intelligence artificielle générative réside désormais moins dans le nombre et la taille des entreprises du secteur de la legaltech, que dans l'adoption, par les professionnels du droit, des technologies que ces dernières développent138(*).

L'un des volets essentiels de la stratégie nationale pour l'intelligence artificielle consiste donc en l'incitation à l'adoption de cette technologie par les entreprises. L'État poursuit cet objectif par plusieurs moyens, généralistes ou spécifiques au secteur juridique. Le dispositif « IA Booster » de Bpifrance fournit par exemple un accompagnement aux entreprises de tout secteur dans leur adoption de l'intelligence artificielle.

La DGE conçoit par ailleurs plusieurs actions propres à la matière juridique. Elle oeuvre ainsi au développement des échanges avec les professionnels du droit, au premier rang desquels la Chancellerie ou le conseil national des barreaux, qui organise des colloques propices à l'avancée des réflexions à ce sujet. France Digitale figure, aussi, parmi les interlocuteurs privilégiés de la DGE. Cette dernière s'attache enfin à faciliter les échanges entre les développeurs de produits fondés sur l'intelligence artificielle générative et les professionnels du droit.

La DGE envisage au surplus de conduire des campagnes de communication au sujet de l'intelligence artificielle générative aux niveaux national et régional pour sensibiliser les entreprises à ces enjeux, aux côtés, par exemple, de France Num, des Dreets, des chambres de commerce et d'industrie (CCI), des régions, de la French Fab et de l'union nationale des professions libérales (Unapl).

La DGE devrait enfin recenser les solutions d'intelligence artificielle générative développées dans le domaine juridique au regard des retours d'expérience de certains professionnels, pour offrir aux entreprises du secteur une vision claire sur l'offre actuelle et les bénéfices potentiels qu'elles pourraient en tirer139(*).

Les rapporteurs jugent cette démarche bienvenue, compte tenu du fait que la faible adoption des outils d'intelligence artificielle générative résulte en grande partie du manque d'information des professionnels du droit quant aux qualités actuelles et aux potentialités futures de ces logiciels. Les rapporteurs encouragent la DGE à engager au plus tôt ce travail de recension, car l'offre des éditeurs juridiques et des entreprises de la legaltech se développe à un rythme rapide. Des produits élaborés par plusieurs entreprises auditionnées, encore inaboutis au début des travaux de la mission d'information, ont par exemple pu être présentés aux rapporteurs quelques mois après.

Aussi, les rapporteurs recommandent de prolonger cette démarche par la création d'une certification ou d'un label public, qui permettrait de distinguer les éditeurs juridiques et les entreprises du secteur de la legaltech dont les produits se conforment à un certain nombre de principes, tels que la confidentialité des données, et de bonnes pratiques, comme le fait d'informer l'utilisateur des limites inévitables de l'algorithme.

Proposition n° 17 : développer une certification ou un label public à la destination des éditeurs juridiques et des jeunes entreprises innovantes du secteur qui s'engagent à respecter certaines bonnes pratiques, relatives tant au traitement des données qu'au fonctionnement du logiciel d'intelligence artificiel générative.

Les rapporteurs estiment en outre qu'il serait souhaitable de favoriser l'équipement des administrations en solutions d'intelligence artificielle françaises et européennes, en respectant bien entendu le code de la commande publique et la réglementation européenne. Une telle démarche permettrait tant d'améliorer la qualité des services publics concernés, que de soutenir un secteur économique d'avenir et hautement stratégique.

Proposition n° 18 : inciter les administrations souhaitant se doter d'outils d'intelligence artificielle juridique à privilégier ceux développés en France ou au sein de l'Union européenne, dans le respect du code de la commande publique et de la réglementation européenne.

La DGE participe enfin aux réflexions relatives à la formation des ordres professionnels du secteur juridique. Il est en effet nécessaire que l'État investisse non seulement le champ de la formation technique, dispensée aux ingénieurs qui développent les algorithmes d'intelligence artificielle générative, mais aussi celui de la formation initiale et continue, comme ce fut évoqué supra. Cette démarche apparaît même impérieuse dans certains cas ; l'INCJ a ainsi signalé aux rapporteurs qu'un arrêté ministériel est nécessaire pour modifier les programmes de sa formation initiale140(*).

Il apparaît donc primordial aux rapporteurs que l'État continue de sensibiliser les professionnels du droit aux enjeux de l'intelligence artificielle générative, voire les incitent à recourir à des logiciels qui reposent sur cette technologie. La faible adoption de l'intelligence artificielle générative par les acteurs du secteur juridique limiterait en effet les effets vertueux de cette évolution technologique et en aggraverait vraisemblablement
les potentiels effets néfastes
, dans la mesure où elle ne bénéficierait qu'à un nombre restreint de professionnels du droit, qui s'en saisissent d'eux-mêmes pour améliorer leur productivité.

Le développement de l'intelligence artificielle générative, en général, et son application au secteur juridique, en particulier, exigent donc une action publique originale, qui s'adapte aux enjeux que soulève cette technologie nouvelle - de la nécessité de disposer de certaines infrastructures stratégiques, au besoin de sensibiliser les acteurs économiques à l'opportunité d'une évolution de leurs procédures internes.

Proposition n° 19 : poursuivre, améliorer et canaliser l'accompagnement que l'État apporte aux entreprises innovantes et aux éditeurs juridiques.

Les rapporteurs ont toutefois constaté que les professionnels du droit et les entreprises de la legaltech ne sollicitent pas de nouvelle réglementation, voire expriment explicitement un besoin de stabilité normative.


* 137 Bpifrance, « IA génératives : opportunités et usages dans les TPE et PME », 14 mars 2024.

* 138 Contribution écrite de la DGE.

* 139 Ibid.

* 140 Contribution écrite de l'INCJ.

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