LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Jeudi 4 avril 2024 :

· Audition de S.E.M. Fahad M. al-Ruwaily, ambassadeur d'Arabie saoudite en France.

Mercredi 6 mars 2024 :

· Audition de MM. François Devoto, directeur des affaires internationales, et Loris Gaudin, directeur adjoint des affaires publiques de Naval Group.

Mercredi 3 avril 2024 :

· Audition de M. Jean-Noël Bonnieu, sous-directeur du Moyen-Orient au ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

Mercredi 15 mai 2024 :

· Audition de M. Louis Blin, diplomate, directeur des programmes de recherche sur le Moyen-Orient de l'Institut universitaire européen de Florence, auteur de L'Arabie saoudite, de l'or noir à la mer Rouge.

Mardi 21 mai 2024 :

· Audition de M. Stéphane Lacroix, professeur associé à l'École des affaires internationales de Sciences Po.

Mercredi 29 mai 2024 :

· Audition de MM. Vincent Pringault et Hedi Ghilas, chef et chef adjoint du bureau du Moyen-Orient, de la Turquie, de la CEI et des Balkans à la Direction générale du Trésor.

Mercredi 3 juillet 2024

· Audition de M. Jean-Yves Le Drian, président d'Afalula, accompagné de M. Jean-Claude Mallet, conseiller spécial du président, et de Mme Laura Kwiatowski, secrétaire générale d'Afalula. Étaient également présents MM. Christian Cambon et Jean-Marc Vayssouze-Faure, membres de la commission, et MM. Bruno Sido et Louis-Jean de Nicolaÿ, membres du groupe d'amitié France-Pays du Golfe.

ANNEXE : L'ARABIE SAOUDITE À L'AVÈNEMENT DE MOHAMMAD BEN SALMANE

I. L'ARABIE SAOUDITE, UN ACTEUR RÉGIONAL HISTORIQUEMENT STABLE ET MODÉRÉ...

Depuis sa création - récente, puisque le royaume d'Arabie saoudite a été officiellement proclamé le 23 septembre 1932 par Abdulaziz ibn Saoud - le pays a joui d'une remarquable stabilité dynastique et politique, dans une région dont l'histoire est jalonnée de coups d'État, de révolutions et de guerres civiles. Cette stabilité, et la recherche de sa préservation, sont le fil rouge de son quasi-siècle d'existence. Elles se sont traduites par un fort conservatisme à l'intérieur - parfois caricaturé, le tournant rigoriste ne remontant qu'à 1979, avec l'onde de choc de la Révolution islamique en Iran - et, à l'extérieur, par une attitude constante de modération.

A. L'ASSOCIATION ÉTROITE DU ROYAUME À SA DYNASTIE RÉGNANTE, FACTEUR DE STABILITÉ VOIRE DE STAGNATION

1. L'Arabie saoudite : une réalité géographique, historique, sociale plus complexe qu'il n'y paraît
a) Quelques idées reçues sur l'Arabie saoudite

Il existe, dans l'opinion publique des pays occidentaux, un grand nombre de préjugés sur l'Arabie saoudite. Ces préjugés sont résumés ainsi par l'anthropologue François Pouillon : « bloc de féodalité arabe jeté sans transition dans l'ère industrielle, l'Arabie resterait un univers anachronique de tribus, de chameaux et de femmes voilées »2(*). En d'autres termes, l'Arabie saoudite serait :

· un pays désertique,

· peuplé majoritairement de Bédouins,

· théocratique et unifié sous le drapeau d'une version particulièrement rigoriste de l'islam.

L'image d'Épinal des guerriers du désert a été nourrie, dans la conscience collective, par l'épopée de Thomas E. Lawrence - le fameux Lawrence d'Arabie, magnifié dans le film éponyme de David Lean. Elle répond à une certaine réalité, puisque les Saoud ont constitué leur royaume à l'issue d'une série de conflits contre des clans rivaux, comme les al-Rashid et surtout les Hussein, chérifs de la Mecque.

b) Une géographie loin de l'uniformité

Cependant, il faut y apporter de fortes nuances. D'abord l'Arabie saoudite recouvre un ensemble de milieux physiques assez contrasté dont le désert n'est qu'une composante : le centre (province du Nejd, où se trouve la capitale Riyad) est un vaste plateau aride, qu'une chaîne de montagnes courant du Nord au Sud sépare de la plaine côtière qui borde la mer Rouge. Les déserts proprement dits sont le Nafoud au Nord et le « Quart vide » (Rub' al-Khali) à l'Est3(*). Enfin le Sud-Ouest, aux confins du Yémen (provinces du `Asir et du Jizan), est un pays de montagnes hautes et verdoyantes, qui culminent à 3000 mètres.

c) Tous bédouins ?

De même, la notion de « Bédouins », bien souvent confondue avec celle de tribus, est trompeuse. Les Bédouins sont des populations à l'origine nomade, organisées en petites unités, menant une vie pastorale. Or les Saoud ne sont pas une famille bédouine, et surtout l'État saoudien s'est en grande partie construit contre les Bédouins, imposant un projet national et encourageant, voire forçant les familles nomades à se sédentariser. Comme le résume l'anthropologue François Pouillon, « s'il y a un pouvoir en Arabie, il n'est pas bédouin ; et s'il reste des Bédouins sur le territoire, ils sont exclus d'un pouvoir qui a toujours agi pour les encadrer et les neutraliser »4(*). En effet, le mode de vie bédouin, notamment caractérisé par le morcellement géographique et social et des guerres fréquentes, est difficilement compatible avec la construction d'un État. Comme ailleurs au Moyen-Orient (dans l'Iran de Reza Chah ou l'Irak de Saddam Hussein notamment), la construction d'un État moderne s'est accompagnée de politiques de sédentarisation des nomades. Aujourd'hui, la grande majorité des Bédouins de la péninsule arabique ont été sédentarisés, même s'ils conservent une forte conscience de leur identité, notamment à travers leur généalogie.

d) Un wahhabisme limité dans le temps et l'espace

Enfin, l'Arabie saoudite est souvent envisagée en Occident sous le prisme de l'emprise wahhabite. Là encore, il s'agit d'une simplification : si le wahhabisme a un statut privilégié, lié à l'alliance historique entre les Al-Saoud et le réformateur religieux Mohammad ben Abd al-wahhab, scellée en 1744, si les oulémas les plus prééminents du royaume se rattachent à cette école, elle n'est pas la seule. Dans la région du Hedjaz à l'Ouest, plus ouverte aux influences étrangères, en particulier dans les villes de La Mecque et Médine qui sont très internationalisées, ce sont d'autres écoles qui prévalent. Diplomate et historien, très bon connaisseur de l'Arabie saoudite, Louis Blin explique ainsi : « Originaire de la province du Nejd où se trouve Riyad, le wahhabisme ne se sent guère chez lui à La Mecque, dont les traditions cosmopolites et tolérantes ne lui siéent guère : le Hedjaz est, en effet, de tradition chafiite avec une forte empreinte confrérique »5(*).

La simplification est également historique : contrairement à ce que l'on croit généralement, le rigorisme religieux associé au wahhabisme n'a été véritablement imposé à la société qu'à partir de 1979. L'onde de choc de la Révolution islamique en Iran alarme alors le pouvoir saoudien, qui craint d'être emporté par une vague de fondamentalisme religieux. La même année, la prise de la grande mosquée de la Mecque par des fanatiques accusant la dynastie des Saoud de trahir l'islam en s'alliant à des infidèles, reprise à l'issue d'un assaut extrêmement sanglant, achève de convaincre le roi.

De plus, il existe une importante minorité chiite dans les gouvernorats d'al-Ahsa et de Qatif, le long des côtes du golfe Persique. Celle-ci a historiquement été en butte aux discriminations du pouvoir saoudien, avec deux épisodes particulièrement intenses en 2011, dans le contexte des printemps arabes, puis en 2017 après l'exécution d'un religieux chiite très populaire, Nimr al-Nimr. Le sort de la communauté chiite est également une pomme de discorde récurrente entre l'Arabie saoudite et l'Iran.

2. Une dynastie régnante associant légitimité et stabilité

L'Arabie saoudite est le seul pays au monde qui porte le nom de sa famille régnante. Fondée le 21 septembre 1932, elle est en réalité la troisième itération de l'État saoudien. Le premier, fondé en 1727 et reposant sur une alliance avec le réformiste religieux Muhammad ibn Abd al-Wahhab, est détruit en 1818 par les Ottomans ; le deuxième, inauguré par la prise de Riyad en 1824, est victime d'une famille rivale, les al-Rashid, en 1891. Enfin, à partir de 1902, Abdulaziz ibn Saoud entreprend l'unification de la péninsule arabique par une série de conquêtes, réussissant là où les al-Rashid et les Hachémites de La Mecque6(*) ont échoué : la création d'un royaume stable et internationalement reconnu. Cette création précède de quelques années la découverte, en 1938, d'immenses champs pétrolifères qui assureront la prospérité du royaume7(*).

a) Une famille très nombreuse, un fonctionnement collégial

L'histoire des Al-Saoud se confond donc avec celle de l'État saoudien, ce qui explique sa très forte légitimité au sein de la population. Jamais réellement contesté de l'extérieur, si l'on fait exception de l'assaut de la Grande mosquée de La Mecque en 1979 par des fanatiques millénaristes, le pouvoir des Saoud a également été épargné par les secousses internes.

Le roi Abdelaziz a mis en place un mode de succession adelphique (ou horizontal : à compter de sa mort en 1953, ses fils se sont succédé sur le trône jusqu'à Salman, le roi actuel) rendu possible par le très grand nombre d'enfants : plusieurs dizaines de garçons et de filles. Dans une famille royale qui a très vite compté des centaines puis des milliers de membres, un mode de fonctionnement collégial a été adopté, visant la recherche d'équilibre à travers les nominations aux postes de ministres, de gouverneurs et de dirigeants d'entreprises d'État.

Ce choix a évité les rivalités potentiellement destructrices. Même les princes contestataires comme Talal, l'un des fils d'Abdelaziz surnommé « le prince rouge », un temps exilé en Égypte nassérienne car trop favorable aux idées progressistes et nationalistes arabes, put retrouver le giron de la famille royale. Quant aux rivalités entre frères, inévitables, elles n'ont pas été jusqu'à mettre en péril la stabilité du régime. Ainsi Saud, de santé fragile et dont le pouvoir était de plus en plus contesté par son frère Fayçal, finit-il par abdiquer en faveur de ce dernier en 1964. Ce même Fayçal fut assassiné en 1975 par l'un de ses neveux, mais pour des motifs probablement personnels.

b) Des institutions politiques presque inexistantes

La prééminence de la famille royale et l'absence de contre-pouvoirs réels - les clercs wahhabites remplissant plutôt un rôle « d'admonestation » s'inscrivant dans le cadre d'un soutien général au pouvoir, dans l'esprit du pacte originel entre les Saoud et Abd al-Wahhab - expliquent que l'Arabie saoudite ne se soit dotée que très tardivement d'institutions politiques au sens moderne du terme. À la naissance du royaume, un conseil consultatif (madjlis al-choura) est créé, mais rapidement mis en sommeil jusqu'à sa réactivation par le roi Fahd en 2000. Ses membres sont désignés, et ses pouvoirs très limités puisqu'ils se limitent à soumettre des propositions de loi au roi. Ils ont toutefois été élargis en 2004 pour inclure notamment l'amendement des lois existantes et un droit d'audition des ministres et d'examen du budget. En 2013, le roi Abdallah établit un quota de 20 % de femmes au sein de l'assemblée, qui compte 150 membres. Si le Madjlis al-Choura fait partie depuis 2003 de l'Union interparlementaire, il reste principalement un espace de discussion.

En 2004, les premières élections municipales se sont tenues dans le pays ; elles visaient à élire la moitié des conseils municipaux dans certaines villes, l'autre moitié restant désignée. Même si les élections ont été ouvertes aux femmes (comme votantes et candidates) à partir de 2015 et que la proportion de conseillers municipaux élus a été portée aux deux tiers, elles restent, en l'absence de véritables partis, un embryon de vie politique dans un système largement verrouillé.

La dynastie saoudienne fait donc figure de modèle de stabilité dans une région qui en offre très peu d'exemples. Les Saoudiens n'ont ainsi jamais connu d'autre régime que celui-ci, autoritaire, qui succédait à un mode d'organisation tribal. Les échos des grands mouvements politiques du XXe siècle, à commencer par le nationalisme arabe, n'y sont parvenus que relativement étouffés.

Le prix à payer de cette stabilité a été, longtemps, une stagnation liée au conservatisme religieux au fondement du pouvoir des Saoud.

3. Une stagnation nourrie et aggravée par le wahhabisme
a) Le wahhabisme : un réformisme rigoriste...

Le wahhabisme est un mouvement qui tire son nom de Muhammad ben Abd al-Wahhab (1703-1792)8(*), un religieux saoudien de l'école hanbalite, prônant le retour aux pratiques des compagnons du Prophète (les salaf) et, par voie de conséquence, réprouvant toute évolution ultérieure dans la pratique et la doctrine de l'islam, perçue comme une « innovation » (bid'a) blâmable. Cela se traduit notamment par la proscription du culte des saints, très répandu en islam et qualifié « d'associationnisme » (chirk) en contradiction avec l'unité divine9(*), de toute représentation humaine, et de manière générale de tout ce qu'ont produit les théologiens et penseurs de l'islam depuis le Prophète, en faveur d'un retour à la pureté originelle de l'islam et de la charia. C'est ainsi, paradoxalement, un mouvement dont les débuts sont révolutionnaires puisqu'il s'attaque violemment aux autorités constituées du temps.

b) ... hostile à la notion même de patrimoine...

Le « pacte » passé en 1744 avec Mohammad ibn Saoud, fondateur de la dynastie, qui règne alors sur le plateau central du Nejd, donne au wahhabisme un bras armé pour la propagation de sa réforme. Abd al-Wahhab et Ibn Saoud ont un ennemi commun : le pouvoir ottoman, vu par le premier comme le promoteur d'un islam corrompu, par le second comme une tutelle dont il faut se dégager. Les campagnes saoudiennes ont laissé des traces dans les mémoires musulmanes : au début du XIXe siècle, ils saccagent les lieux sacrés des chiites à Kerbala et Nadjaf en Irak (le mausolée de Hussein, fils de Ali et petit-fils du Prophète notamment), puis les sites mêmes de La Mecque et Médine, qui se trouvent dans le Hedjaz.

L'acharnement wahhabite contre les lieux de culte, y compris sunnites, s'est prolongé jusqu'à une période récente. Le tombeau d'Eve, à Djeddah, fut ainsi détruit en 1928. Jusque dans les années 1990, on a démoli des sites d'une valeur patrimoniale et archéologique inestimables, en particulier les mausolées de membres de la famille du Prophète10(*).

Tout cela n'en rend que plus spectaculaire le revirement que l'on observe depuis quelques années dans le rapport de l'Arabie saoudite à son patrimoine, que la délégation a pu constater lors de son séjour et qui nulle part n'est plus apparent qu'à al-Ula.

c) ... et facteur de stagnation politique

La référence obsessionnelle au temps du Prophète, où se seraient fixés les principes supposément immuables de l'islam, a complètement étouffé toute évolution dans le domaine politique. Les Al-Saoud étant les seuls maîtres à bord, avec le soutien des oulémas wahhabites, il n'a jamais été question de pluralisme politique ou de parlementarisme (contrairement, par exemple, au Koweït, même de manière très mesurée). L'opposition s'est ainsi exclusivement exprimée dans le champ religieux, seule arène où des divergences doctrinales pouvaient s'exprimer : la Sahwa (« éveil »), mouvement lié aux Frères musulmans, a ainsi gagné une certaine audience dans les années 1990 s'opposant à la politique de conciliation du régime avec les États-Unis et Israël.

Le roi Abdallah, dans la foulée des attentats du 11-septembre dont les instigateurs étaient en majorité saoudiens, a entrepris une ouverture très limitée avec l'élection d'une partie seulement des conseils municipaux des grandes villes. Les premières élections ont eu lieu en 2005, les secondes en 2009. En 2015, elles étaient ouvertes aux femmes après une intense campagne d'activistes. Ce sont les dernières élections en date : preuve que l'ouverture opérée par Mohammed ben Salmane s'est faite exclusivement « par le haut ». Dans ce domaine, contrairement au champ culturel, économique ou social, l'arrivée au pouvoir de ce dernier n'a pas marqué une rupture.

L'Arabie saoudite est ainsi un pays qui n'a connu que le pouvoir autoritaire d'une famille royale, dont les oulémas wahhabites formaient l'appui idéologique. L'impossibilité d'un débat politique public a confiné les discussions dans l'arène religieuse, avec le spectre toujours redouté d'une dissidence pouvant s'exprimer dans le djihadisme.

4. Un profond décalage entre l'image du pays et sa réalité

Le wahhabisme a encouragé, en particulier avec le tournant rigoriste de 1979, la perception, en Occident, d'une société figée car enserrée dans des carcans d'un autre âge, symbolisées par la police religieuse. Cette façade a été rendue d'autant plus visible par les aspects les plus choquants de ce carcan : les multiples interdictions pesant sur les femmes, la ségrégation sexuelle jusqu'à l'absurde, les décapitations publiques notamment. Pour autant, comme on l'a déjà noté, le wahhabisme n'a jamais été l'alpha et l'oméga de l'Arabie saoudite.

D'abord, le wahhabisme n'est pas « natif » à certaines communautés (les chiites) et à certaines régions (le Hedjaz principalement). Ensuite, les lourds interdits pesant sur la jeunesse saoudienne ont nourri des réactions en retour. Ainsi le « tufush », sorte de mal-être nourri par le désoeuvrement et l'aliénation politique, a-t-il engendré une forme de contre-culture propre à l'Arabie saoudite, autour de la pratique du tafhit - sorte de rodéo motorisé extrêmement dangereux pratiqué sur de puissantes berlines11(*).

Ensuite, bien avant les réformes engagées sous le roi Salmane par MBS, les femmes se sont mobilisées pour leurs droits, réclamant notamment le droit de conduire, de voter et de se présenter aux élections municipales. L'une des plus célèbres d'entre elles, Loujain al-Hathloul, a effectué de multiples séjours en prison, notamment pour avoir bravé l'interdiction faite aux femmes de conduire (levée en 2018). Cette mobilisation est nourrie par la hausse progressive du niveau d'éducation, ainsi que par le fait que beaucoup de Saoudiens voyagent à l'étranger ou y font leurs études. Par voie de conséquence, la population saoudienne a longtemps été plus en avance sur ce chapitre que ses autorités ne voulaient le laisser croire.

Ce décalage trouve également sa source dans le fait que le royaume saoudien, qui s'est constitué à partir d'un noyau situé dans le Nejd, le plateau central, a très longtemps été tourné vers lui-même et peu ouvert sur le monde extérieur. Pendant très longtemps, les ambassades ont ainsi été localisées à Djeddah, dans le Hedjaz, et non dans la capitale Riyad comme c'est l'usage. Ainsi ce royaume n'a longtemps projeté de lui-même que la propagande wahhabite diffusée dans les pays musulmans et accusée de nourrir l'extrémisme, ainsi que les aspects les plus choquants du rigorisme religieux. Cela explique sans doute que cette image persiste auprès du public occidental alors même que la plupart de ces restrictions ont été levées. Le carcan qui pesait sur la société a entretenu l'image d'un pays figé, empêchant de voir les évolutions souterraines, notamment dans le domaine culturel : « Auparavant dissimulée sous divers artifices plus ou moins ingénieux, la culture est devenue à la mode et les jeunes n'ont même plus l'impression de tourner la page du wahhabisme : elle est derrière eux et sera bientôt oubliée », écrit encore Louis Blin12(*).


* 2 François Pouillon, « Un État contre les Bédouins, l'Arabie saoudite », Maghreb-Machrek, 1er trimestre 1995.

* 3 Dans Le Désert des déserts, l'explorateur anglais Wilfred Thesiger a fait un récit célèbre de ses deux années passées à partager la vie des Bédouins du Rub' al-Khali. Ce récit a nourri un certain romantisme de l'Arabie d'avant le pétrole.

* 4 F. Pouillon, ibid.

* 5 L'Arabie saoudite, de l'or noir à la mer rouge, Eyrolles, 2021.

* 6 Chronologiquement, le royaume du Hedjaz, proclamé en 1916 par Hussein, chérif de La Mecque, avec le soutien des Anglais, est le premier Etat arabe indépendant, reconnu en 1920 par le traité de Sèvres. Finalement abandonné par les Anglais, Hussein doit abdiquer et son royaume est absorbé par l'Etat saoudien naissant en 1925. Deux de ses fils, Abdallah et Faysal, seront respectivement rois de Jordanie et d'Irak.

* 7 Il a été observé avec ironie que si la découverte de pétrole était survenue avant la reconnaissance internationale du royaume, l'indépendance serait probablement survenue beaucoup plus tard.

* 8 Voir cette synthèse sur le sujet.

* 9 Les parallèles avec le protestantisme, notamment calviniste, sont évidents.

* 10 Si le prétexte de ces destructions était la prohibition de toute forme de vénération qui ne serait pas adressée directement à Dieu, les arrière-pensées commerciales n'en étaient pas absentes : à La Mecque, de nombreuses constructions très anciennes ont été détruites pour faire place à des hôtels de luxe.

* 11 L'historien et anthropologue Pascal Ménoret a consacré un ouvrage au tafhit : Royaume d'asphalte, jeunesse saoudienne en révolte. On en trouve de multiples compilations en ligne.

* 12 Op.cit.

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