B. AFALULA, FRUIT D'UN PROJET COMMUN
1. Un objet au statut singulier
L'agence française pour le développement d'alUla (Afalula) a été créé par un accord intergouvernemental signé le 10 avril 2018 et pour une durée de dix ans, par le ministre des affaires étrangères d'alors, Jean-Yves Le Drian, désormais président d'Afalula. C'est le fruit de la volonté du prince héritier de mettre en avant, dans la relation franco-saoudienne, l'expertise française en matière de développement culturel - ce qui peut être vu à la fois comme une opportunité et une limite. Dotée à l'origine d'un budget annuel de 30 millions d'euros, l'Agence est financée intégralement par la partie saoudienne, tout en relevant du droit français et en employant exclusivement des salariés français.
Son rôle consiste principalement à identifier et mobiliser l'expertise française pour les projets lancés par la RCU dans un très grand nombre de domaines identifiés par l'accord :
· Planification, mobilité et infrastructures urbaines ;
· Préservation du patrimoine archéologique et architectural ;
· Offre culturelle et artistique et ingénierie culturelle ;
· Concepts et équipements pour une gestion touristique et hôtelière durable ;
· Artisanat et économie locale ;
· Renforcement des capacités et des compétences, transfert de technologie et apport de savoir-faire.
En décembre 2021, un nouvel accord a été signé pour la création de la « villa Hegra », présentée comme un pendant saoudien de la villa Médicis. La villa, qui devrait ouvrir ses portes en 2026, comportera un centre culturel et une résidence d'artistes.
2. Des coopérations réussies dans plusieurs domaines...
Depuis la création d'Afalula en 2018, 346 contrats ont été signés par 203 entreprises privées et acteurs publics français, dont 194 contrats par des PME, pour une valeur totale de 2,32 Mds€ environ. Parmi les projets emblématiques, on trouve notamment :
- le tramway conçu par Alstom, pour un montant total de plus de 500 millions d'euros,
- le projet d'hôtel conçu par Jean Nouvel au coeur de la réserve naturelle de Shaaran,
- les bâtiments de la villa Hegra, par l'agence Lacaton & Vassal.
Des marques de prestige comme Cartier, des restaurateurs comme Alain Ducasse ou l'école Ferrandi ont également engagé des partenariats avec alUla. Au total, la présence française est très visible à alUla, et sera bientôt inscrite dans le paysage avec les projets architecturaux de Villa Hegra ou l'hôtel de Jean Nouvel.
3. ... mais également des déconvenues, dans un contexte de concurrence exacerbée
Cependant, la relation entre Afalula et son interlocuteur exclusif, la RCU, n'a pas été de tout repos. Des frictions ont émaillé les discussions entre le PDG de la première, Amr al-Madani, et Afalula, qu'il avait tendance à considérer comme un partenaire parmi d'autres. En effet, la RCU travaille également avec de nombreux consultants internationaux qui, dans certains dossiers, voient la concurrence française d'un mauvais oeil. La RCU se montre donc un partenaire particulièrement exigeant, ce qui a occasionné quelques déconvenues et critiques, notamment sur la participation du centre Pompidou à la conception du futur musée d'art contemporain, moins importante qu'espéré, ou encore la création d'un fonds de dotation pour le patrimoine français, prévu dans l'accord de 2018 mais qui n'a toujours pas vu le jour - et dont le montant putatif a été considérablement réduit, de 800 millions dans les premières estimations à 50 millions dans les réponses adressées par Afalula à un questionnaire écrit de la délégation.
À la suite d'un audit interne commandé par le président Jean-Yves Le Drian à son arrivée en 2023, Afalula a fait l'objet d'une réorganisation visant notamment à rationaliser son organigramme ; par ailleurs, son budget de fonctionnement a été multiplié par deux, passant de 30 à 60 millions d'euros annuels. Les années qui nous séparent de l'échéance de l'accord intergouvernemental, en 2028, détermineront si cette réorganisation a produit les résultats attendus.
Au vu de ces éléments, la délégation a formulé une proposition consistant à rendre plus transparent le fonctionnement de l'agence.
Recommandation : renforcer la transparence du fonctionnement d'Afalula, notamment par la publication d'un rapport d'activité présentant les grandes masses du budget de l'agence
4. L'archéologie, outil d'influence et de rayonnement
L'archéologie tient une place à part au sein d'Afalula. Historiquement, c'est l'origine et le coeur de la présence française à alUla, grâce à la mission lancée en 2002. La France a donc été le premier acteur étranger présent sur le site. Cette antériorité explique également l'importance de l'archéologie au sein d'Afalula : c'est le seul domaine dans lequel l'agence assume une maîtrise d'ouvrage intégrale.
Depuis l'époque de Hegra, de nouveaux chantiers ont été ouverts par des équipes françaises, en particulier celui de Dadan, tout proche de la ville d'alUla, témoignage d'une civilisation plus ancienne que les Nabatéens et surtout « autochtone », si le mot a un sens dans une perspective historique - la civilisation nabatéenne étant née hors du territoire saoudien actuel. Plusieurs autres sites d'époques différentes ont été explorés : Khaybar au Sud, où un rempart remontant au IIe millénaire avant notre ère a été découvert, mais aussi, au coeur de la ville, l'oasis, occupée pendant plusieurs siècles. Dans ce dernier cas, c'est la partie française qui a fait prendre conscience aux autorités saoudiennes du caractère patrimonial du lieu.
L'action d'Afalula en matière d'archéologie met en valeur le rôle quasi-maïeutique que peut avoir cette discipline. Elle sert un objectif dont la portée dépasse la science : il s'agit de mettre en valeur la profondeur historique d'un pays, mais sans sacrifier la rigueur scientifique aux enjeux et aux récupérations politiques. Dans ce domaine comme dans les autres, Afalula est confrontée à une concurrence internationale très vive, qui a parfois des moyens bien supérieurs ; l'agence a ainsi dû se battre pour conserver la direction des fouilles sur le site d'Hegra.
Les échanges de la délégation avec les équipes présentes sur le terrain ont montré que les lourdeurs administratives pouvaient parfois gripper le bon déroulement des projets. Le rôle des instituts français de recherche à l'étranger (Umifre) est à cet égard crucial ; sous la double tutelle du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et du CNRS, ils ont une véritable action de diplomatie culturelle et de rayonnement.
L'Umifre du Centre français de recherche de la péninsule arabique (Cefrepa) mérite en particulier d'être renforcée, à travers la pérennisation de l'antenne créée, temporairement, par Afalula, voire le transfert du siège du Koweït en Arabie saoudite, plus pertinent d'un point de vue scientifique.
Recommandation : renforcer l'Umifre du Cefrepa et en déplacer le centre de gravité vers l'Arabie saoudite
Le Cefrepa pourrait assumer de manière plus proche du terrain le financement des projets de recherche, alors que la gestion centralisée par le CNRS s'avère parfois inadaptée aux besoins concrets des équipes.
Recommandation : fluidifier le financement des projets archéologiques, en décentralisant la gestion des fonds au niveau des Cefrepa
La gestion de l'archéologie en Arabie saoudite, et plus généralement à l'étranger, souffre également d'un morcellement institutionnel entre les ministères de l'Europe et des affaires étrangères (via la commission consultative des recherches archéologiques françaises à l'étranger), de la culture (via la sous-direction des affaires européennes et internationales) et de l'enseignement supérieur et de la recherche (via le CNRS). C'est pourquoi il pourrait être opportun d'étudier une convergence, voire la création d'une entité unique chargée de piloter l'archéologie française à l'étranger. Cela permettrait notamment de centraliser l'expertise française et de la mobiliser plus facilement, mais aussi d'établir une relation plus équilibrée avec le partenaire local, en particulier quand celui-ci a des exigences importantes - c'est le cas pour l'Arabie saoudite.
Recommandation : renforcer le caractère interministériel de la gestion de l'archéologie à l'étranger, afin d'en faire un véritable outil de rayonnement
La délégation est convaincue que l'archéologie constitue un véritable outil de diplomatie culturelle, un domaine dans la France pourrait exceller encore davantage qu'elle ne le fait. Ayant elle-même mobilisé l'archéologie dans la construction de son récit national (la fouille du site putatif d'Alésia a été lancée par Napoléon III), elle est en mesure d'apporter son expérience à des pays plus neufs qui s'engagent dans la même voie, en leur évitant les écueils associés à une telle entreprise. Ces enjeux ne sont nulle part plus apparents qu'en Arabie saoudite, un pays qui a tourné le dos à un conservatisme figé, uniformisateur et anhistorique pour se projeter à la fois dans le passé et dans l'avenir.