II. UNE POLITIQUE ÉTRANGÈRE PLUS AFFIRMÉE, ET UNE DIVERSIFICATION DES PARTENARIATS DONT LA FRANCE DOIT PRENDRE SA PART
A. APRÈS UNE PHASE D'AVENTURISME, UNE POLITIQUE RÉGIONALE FONDÉE SUR LA RECHERCHE DE STABILITÉ
1. Une politique étrangère d'abord plus agressive, avant un retour à une politique d'apaisement régional
L'Arabie saoudite est un acteur historiquement prudent et réticent à l'usage de la force, qui s'est appuyé sur sa considérable richesse pétrolière et sur l'alliance américaine pour assurer sa sécurité face à ses adversaires.
C'est pourquoi l'opération militaire lancée par MBS au Yémen en 2015, en collaboration avec les Émirats arabes unis, afin de mettre fin à la menace constituée par la milice houthie soutenue par l'Iran, a constitué une rupture fondamentale. Elle a été suivie par la séquestration à Riyad, en novembre 2017, du premier ministre libanais Saad Hariri, jugé pas assez ferme vis-à-vis du Hezbollah. La même année, l'Arabie saoudite entraînait Bahreïn et les Émirats arabes unis dans un blocus du Qatar, puni pour son soutien aux Frères musulmans. Ces débuts pour le moins chaotiques auguraient une phase d'aventurisme ; mais les trois initiatives ont été des échecs retentissants - l'offensive yéménite ayant, en outre, été particulièrement meurtrière.
Le tournant s'est amorcé en 2018-2019, peut-être en réaction à l'opprobre international - très temporaire - dont a souffert MBS après l'assassinat de Jamal Khashoggi. Ainsi, bien qu'elle considère toujours l'Iran comme son principal adversaire stratégique, la signature du Plan d'action global (en anglais JCPoA) le 14 juillet 2015, mais surtout l'attaque, le 24 septembre 2019, des terminaux pétroliers d'Abqaiq et de Khurais par les houthis, probablement avec l'aide de l'Iran, ont convaincu l'Arabie saoudite de changer d'approche. En effet, l'absence de réponse de l'administration Trump à cette attaque a définitivement convaincu les Saoudiens qu'ils ne pouvaient plus s'en remettre à la garantie de sécurité des États-Unis. Pragmatiquement, ils en ont tiré les conséquences en engageant des discussions directes avec l'Iran, qui aboutissent au rétablissement des relations diplomatiques en mai 2023.
L'épisode qatari a été refermé en 2021 par une réconciliation formelle, sans que les demandes saoudiennes n'aient été satisfaites. Enfin, MBS a reconnu la réalité du rapport de forces au Liban, où le Hezbollah était incontournable - même si l'offensive israélienne a sans doute modifié la donne.
L'Arabie saoudite est donc revenue à une politique d'équilibre et de recherche de la stabilité régionale et de protection du territoire national - avec toutefois des nuances importantes par rapport à la période précédente.
2. Une diversification des partenariats
La prise de distance avec les États-Unis, commencée avec le JCPoA, aggravée par l'attaque de septembre 2019, s'est accentuée sous la présidence de Joe Biden, aggravée par la réaction de l'administration américaine à l'affaire Khashoggi. Mais elle s'inscrit aussi dans un mouvement de fond qui voit l'Arabie saoudite prendre une indépendance plus marquée vis-à-vis de son ancien protecteur et approfondir les relations avec la Chine et la Russie. Avec la première, les relations commerciales se sont intensifiées, tandis que le royaume n'a aucunement rompu son partenariat avec la seconde, notamment au sein de l'Opep+.
Source : General Authority for Statistics, service économique de l'ambassade de France à Riyad
Sur la guerre en Ukraine, l'Arabie saoudite a beau jeu de se contenter d'appeler à la diplomatie, quand les craintes sur l'approvisionnement énergétique l'ont rendue à nouveau indispensable au partenaire américain.
La diversification des partenariats engagée sous MBS a ainsi renforcé la centralité saoudienne au Moyen-Orient et au-delà, en en faisant un acteur incontournable de tous les dossiers. Cette centralité s'est également affirmée dans la multiplication des sommets et négociations organisés sur le territoire saoudien.
3. La normalisation est-elle possible avec Israël ?
Le dossier israélo-palestinien est l'illustration la plus nette du rôle pivot qu'assume, plus que jamais, le royaume saoudien. Très vite après les accords dits d'Abraham, par lesquels les Émirats arabes unis et Bahreïn, suivis par le Soudan (qui n'a pas encore ratifié) et le Maroc, normalisaient leurs relations avec Israël, la question s'est posée de la participation saoudienne. Au vu du poids de ce pays dans le monde arabe, une telle décision aurait des conséquences symboliques, diplomatiques et économiques considérables. MBS est réputé moins sensible à la question palestinienne que ses prédécesseurs, en particulier son père Salmane, le souverain actuel.
Cette normalisation interviendrait, d'après les informations qui ont pu en filtrer, dans le cadre d'un grand bargain avec les États-Unis, par lequel ceux-ci apporteraient une garantie de sécurité écrite au royaume, et lui donneraient sans doute un accès privilégié à la technologie nécessaire pour le développement du nucléaire civil. Il s'agirait d'un véritable remodelage politique mais aussi économique du Moyen-Orient, l'ambition commune prêtée à MBS et à Netanyahou, ainsi qu'à certains membres de l'administration américaine, étant de créer une vaste zone de libre-échange qui s'insèrerait dans les circuits commerciaux mondiaux ; c'est aussi une condition de réussite des projets grandioses menés par MBS à Neom, qui borde le golfe d'Aqaba, débouché maritime d'Israël. Dans ce schéma, l'Arabie saoudite choisirait clairement le camp des États-Unis, de qui elle obtiendrait d'être reconnue comme un partenaire de tout premier plan.
Des discussions avancées semblaient en cours à la veille du 7 octobre et de la campagne israélienne à Gaza, qui a tout remis en cause. La diplomatie saoudienne a rappelé à plusieurs reprises, depuis cette date, que la normalisation ne saurait intervenir sans la perspective d'une reconnaissance par Israël d'un État palestinien, qui fait donc figure de ligne rouge.