EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 9 octobre 2024, la commission des affaires économiques, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et la commission des finances ont examiné conjointement le rapport d'information de M. Jean-Baptiste Blanc sur le suivi de la mise en oeuvre de la stratégie de réduction de l'artificialisation, issu des travaux du groupe de suivi des dispositions législatives et réglementaires relatives à la stratégie de réduction de l'artificialisation des sols.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. - Mes chers collègues, les commissions des affaires économiques, de l'aménagement du territoire et du développement durable et des finances sont réunies aujourd'hui - et je remercie respectivement le président Longeot et le président Raynal de leur présence - pour examiner le rapport d'information établi par notre collègue Jean-Baptiste Blanc, avec Guislain Cambier, sur le suivi de la mise en oeuvre des objectifs de réduction du rythme de l'artificialisation des sols fixés dans la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi « Climat et résilience ».

Ce rapport est issu des travaux du groupe de suivi des dispositions législatives et réglementaires relatives à la stratégie de réduction de l'artificialisation des sols, créé en février dernier. Ce groupe de suivi, commun à nos trois commissions, est présidé par Guislain Cambier ; son rapporteur est Jean-Baptiste Blanc.

Je remercie nos deux collègues d'avoir pris à bras-le-corps ce sujet hautement inflammable. Nous n'avons de cesse de l'évoquer au sein de notre commission : que l'on aborde la crise du logement ou les freins à la réindustrialisation, la pénurie de foncier est toujours citée parmi les facteurs bloquants - même si, je dois le dire, le « ZAN » (« zéro artificialisation nette ») a parfois bon dos.

La mise en oeuvre rigide des objectifs de réduction de l'artificialisation des sols fixés par la loi « Climat et résilience » a aggravé cette situation ; les souplesses introduites, sur l'initiative du Sénat, par la loi du 20 juillet 2023, n'ont pas réglé tous les problèmes. Aussi, l'acronyme « ZAN » est aujourd'hui devenu un repoussoir pour bon nombre d'élus locaux, mais également pour les acteurs de l'aménagement et de la construction et, plus largement, pour les acteurs du monde économique. Tel est le constat dressé dans ce rapport.

De surcroît, le rapport présente un bilan raisonné des difficultés et blocages que posent le cadre législatif et réglementaire en vigueur et son application par les services de l'État.

Il liste également, sans tabou, les pistes d'évolution pour redessiner la route vers une sobriété foncière soutenable pour tous ; certaines sont techniques, d'autres sont plus structurantes. Je laisserai au président Guislain Cambier et au rapporteur Jean-Baptiste Blanc le soin de vous les présenter.

Nous avons tous accueilli avec soulagement la volonté du Premier ministre Michel Barnier, exprimée dans sa déclaration de politique générale, d'assouplir le « ZAN » - un peu de bon sens, enfin ! Il est certain que la vigilance constante du Sénat, qui n'a cessé de tirer la sonnette d'alarme, n'y est pas pour rien. Nous espérons pouvoir entamer maintenant une phase de dialogue réellement constructif avec le Gouvernement, auquel, je n'en doute pas le groupe de suivi aura toute sa part, dans la lignée de ce rapport.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - À l'été 2021, l'ambitieux édifice législatif de la loi « Climat et résilience » a fait entrer la sobriété foncière dans une nouvelle dimension. Le législateur a posé les jalons d'une trajectoire inédite de réduction du rythme de l'artificialisation des sols, en deux temps : d'abord, un effort de réduction de moitié des consommations des espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) à l'échelle nationale pour la première décennie ; ensuite, l'absence d'artificialisation nette d'ici à 2050, à un rythme et selon des modalités que le législateur aura à définir ultérieurement.

Depuis lors, le compteur a commencé à tourner et les élus locaux ont essuyé les plâtres du « ZAN », bien que l'objectif de sobriété foncière soit unanimement partagé. Les collectivités ont dû se mettre en ordre de marche pour appliquer une stratégie arithmétique, aveugle aux spécificités et aux dynamiques territoriales, aux efforts passés et à la qualité des sols. L'État ne s'est donné ni la peine ni les moyens d'en faire un laboratoire d'expérimentation de la transition écologique. Au reste, comment pouvait-on espérer que cette stratégie, mal expliquée, soit bien comprise ? Sans outils juridiques et fiscaux spécifiques, la gestion économe de l'espace « façon ZAN », si je puis dire, pénalise les finances locales et porte en elle le germe d'un aménagement du territoire déséquilibré et en décalage avec les besoins des territoires.

Le Sénat a tenté d'apporter de la souplesse et des correctifs au travers de la loi du 20 juillet 2023, dont il est à l'initiative, sans pour autant parvenir à apaiser toutes les craintes et à tracer un chemin partagé vers la sobriété foncière. En raison des incertitudes et des incompréhensions qu'il suscite, le « ZAN » est devenu le nouveau symbole du centralisme et des politiques décidées à Paris, sans écouter les territoires qui doivent les mettre en oeuvre.

Dans ce contexte plus que délicat, le groupe de suivi a échangé avec les acteurs qui « font le ZAN », pour recenser les difficultés persistantes, identifier les besoins et les attentes des élus locaux et cartographier les blocages normatifs. Les évolutions qu'ils vous présenteront ont été élaborées sans tabou ni volonté de faire table rase ; elles sont inspirées, je le sais, de la volonté d'engager les acteurs sur la voie étroite qui permettra de réussir le « ZAN ».

Je tiens à les féliciter, car la tâche est loin d'être aisée. Nous sommes en effet à un moment charnière : alors que les défis écologiques sont de plus en plus prégnants, la tentation de défaire les normes environnementales n'a jamais été aussi forte. Mme la présidente Estrosi Sassone l'a rappelé, le Premier ministre s'est dit prêt, lors de sa déclaration de politique générale, à « faire évoluer de manière pragmatique et différenciée la réglementation ZAN » : pour y parvenir, il trouvera au Sénat une boîte à idées, des bonnes volontés et surtout des solutions construites avec les territoires !

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Notre commission des finances suit la question de l'objectif de zéro artificialisation nette depuis plusieurs années, au travers de l'engagement de notre rapporteur spécial des crédits relatifs au logement et à l'urbanisme, Jean-Baptiste Blanc.

Comme tous les parlementaires, dans nos territoires, nous sommes interrogés sur le « ZAN ». Le sujet revient régulièrement dans nos débats ; pourtant, le Gouvernement n'a, jusqu'à présent, rien proposé de concret dans les projets de loi de finances successifs en matière de financement de la réduction de l'artificialisation.

C'est pourquoi nous avons demandé, dès 2022, au Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) de réaliser une enquête sur la fiscalité locale dans la perspective du « ZAN », à la suite d'un premier rapport de notre collègue Jean-Baptiste Blanc relatif aux outils financiers mobilisables pour atteindre cet objectif. Le rapport du CPO a notamment recommandé d'étendre les conditions d'application de la taxe sur les logements vacants, ce qui a été fait dans la loi de finances pour 2023.

Ce travail se poursuit cette année au travers de la mission d'information relative au financement du « zéro artificialisation nette », pilotée par Jean-Baptiste Blanc et Hervé Maurey.

Les travaux de nos différentes commissions doivent bien sûr être coordonnés, c'est pourquoi il est important que soient présentées aujourd'hui les conclusions du groupe de suivi réunissant nos trois commissions, qui précèdent nécessairement celles qui sont relatives au financement du « ZAN ».

C'est toutefois un travail au long cours, voire, si j'ose dire, une démarche itérative : le Premier ministre a annoncé un assouplissement du « ZAN » dans sa déclaration de politique générale, mais dans le même temps la situation financière de la France est particulièrement dégradée, si bien que le nouveau gouvernement prévoit d'exercer une pression forte sur les dépenses de l'État et sur celles des collectivités territoriales.

Nous en saurons plus demain soir avec la publication du projet de loi de finances, mais je ne vous cache pas que l'équation économique du « ZAN » risque d'être difficile à établir. Aussi est-il probable que nous devions, plusieurs fois encore, sur le métier, remettre l'ouvrage...

M. Guislain Cambier, président du groupe de suivi des dispositions législatives et réglementaires relatives à la stratégie de réduction de l'artificialisation des sols. - Sans revenir sur sa genèse, je rappelle, à la suite de Mme la présidente Estrosi Sassone, que le Sénat a décidé, au début de l'année 2024, d'instituer un groupe de suivi des dispositions législatives et réglementaires relatives à la stratégie de réduction de l'artificialisation des sols, sous l'égide de la commission des affaires économiques, de celle de l'aménagement du territoire et du développement durable et de celle des finances. C'est un honneur d'en être le président et de travailler aux côtés de son rapporteur Jean-Baptiste Blanc, dont je salue la constante implication sur ce sujet.

Lorsque ce groupe de suivi a commencé ses travaux en février 2024, le cadre législatif et réglementaire nous semblait stabilisé, surtout après l'adoption de la loi d'initiative sénatoriale du 20 juillet 2023 ; nous pensions qu'il nous faudrait surtout veiller à sa bonne compréhension par les collectivités et à sa mise en application pragmatique et bienveillante par les services déconcentrés de l'État.

Cependant, le rapport que nous vous présentons aujourd'hui dément cette intuition de départ et constate, au contraire, la persistance de blocages qui ne sont pas solubles dans le droit en vigueur. Au fur et à mesure que les territoires modifient les documents de planification et d'urbanisme et entament les concertations pour répartir les enveloppes foncières, la complexité de la démarche révèle de nouvelles difficultés et met au jour des particularités ou des spécificités locales qui se heurtent à une stratégie rigide, comptable et, il faut bien le dire, désespérante pour les territoires.

En effet, malgré les adaptations et assouplissements permis par la loi du 20 juillet 2023, dite « ZAN 2 », nous constatons tous, dans nos territoires, que persistent les difficultés liées à la mise en oeuvre des objectifs de réduction de l'artificialisation fixés par la loi « Climat et résilience ». La territorialisation des enveloppes foncières s'avère dans la pratique très délicate à mettre en oeuvre : tous les territoires ne font pas face aux mêmes dynamiques démographiques et économiques et n'ont pas les mêmes préférences et priorités de développement local. La logique arithmétique et descendante qui a présidé à la fixation des enveloppes menace de gripper les perspectives de certains territoires, notamment ruraux. L'inquiétude continue de sourdre chez les élus locaux, dont certains découvrent avec effarement les réelles et nombreuses implications du « ZAN » dans leur territoire.

Pour élaborer ce rapport, nous avons entendu plus de soixante-dix acteurs du « ZAN » : élus locaux, représentants de l'État et de ses opérateurs, mais aussi acteurs économiques et associatifs, urbanistes, universitaires, etc. Nous avons aussi mené, le rapporteur et moi-même, de nombreux entretiens dans un format resserré, notamment à l'occasion de nos déplacements sur le terrain. Nous avons reçu de nombreuses contributions écrites ; nous avons également adressé un questionnaire aux associations d'élus, qui l'ont relayé auprès de leurs adhérents ; nous avons enfin pu tirer profit des réponses de plus de 1 400 élus locaux à la consultation en ligne organisée sur le site du Sénat.

Au moment de ce premier point d'étape, je voudrais remercier les membres du groupe de suivi de leur esprit constructif et de leur volonté, au-delà des logiques partisanes, d'apporter des solutions pragmatiques et de l'espoir à nos élus et à nos concitoyens. Je tiens bien sûr à adresser mes remerciements aux trois présidents de commission, qui ont pris le temps d'échanger avec nous sur le sujet : leur constante vigilance nous est précieuse, car elle conforte la légitimité de nos travaux.

Je ne m'appesantirai pas sur les constats, nous les connaissons tous : nous avons veillé à les objectiver dans notre rapport sous la forme d'une « cartographie des récifs, des écueils et des bancs de sable ». Je rappellerai simplement que, depuis le début, le ver est dans le fruit : les objectifs de réduction de l'artificialisation des sols de la loi « Climat et résilience » ont été fixés de façon arithmétique et statique, sans aucune prise en compte des réalités territoriales et des dynamiques locales. D'une part, le rythme de réduction de moitié en une décennie a été fixé au doigt mouillé, sans véritable étude d'impact, ce qui est d'autant plus grave qu'aucune autre stratégie nationale à mettre en oeuvre par les territoires n'a jamais défini un effort aussi significatif en un laps de temps aussi court. D'autre part, déterminer une enveloppe globale d'artificialisation uniquement par référence aux dynamiques passées ne permet pas de répondre aux besoins objectifs de foncier induits par des changements de circonstances et de nouveaux besoins, comme le développement des infrastructures nécessaires à la transition écologique ou la réindustrialisation.

Cette démarche fait également fi du volontarisme d'élus qui, même si leur territoire était, hier, peu dynamique, se démènent pour implanter une usine ou attirer de nouveaux habitants ; dit autrement, le « ZAN » prolonge pour l'avenir les trajectoires du passé, dans une logique résolument fataliste. Les collectivités vertueuses sont pénalisées et leurs perspectives de développement sont à présent bloquées - c'est un malus pour celles qui ont « fait le ZAN » avant l'heure ; nous ne pouvons pas nous y résoudre !

Pendant ce temps, l'État a choisi la facilité : il a troqué son rôle de stratège et d'aménageur - véritable abdication - contre un rôle de comptable et de courtier. Quand nous voulons parler projets de territoires à toutes les échelles, le ministre et les préfets, eux, sortent leurs calculatrices et leurs tableurs Excel et nous répondent en pourcentages. Comment s'étonner, dès lors, de l'incompréhension et des appréhensions des élus ? Du reste, nos concitoyens commencent également à se rendre compte des implications très concrètes du « ZAN » sur le prix des logements, sur l'attractivité et l'activité économiques, sur leur cadre de vie... Et ce sont les territoires de la France dite périphérique, ceux qui ont déjà - et encore récemment - manifesté le plus leur défiance à l'égard de l'action politique - lors de la crise des gilets jaunes, mais aussi dans les urnes -, qui seront les plus affectés ! Si nous voulons éviter que le « ZAN » ne devienne le ferment de nouvelles contestations, il est de notre devoir d'entendre et de prendre au sérieux ces mécontentements pour y apporter des remèdes... Il nous faut rendre possible cet objectif !

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Face aux constats étayés qui viennent d'être présentés et qui synthétisent fidèlement les auditions et les échanges que nous avons menés, nous proposons une action en deux temps.

En ce qui concerne la période avant 2031 d'abord, pour laquelle un objectif est inscrit dans la loi, le « - 50 % », nous avons identifié trois leviers d'intervention.

Le premier consiste à mettre la pression sur l'État pour une application non pas homogène, mais cohérente de la réforme dans les territoires, avec des instructions claires fixées aux services déconcentrés afin que l'on ne dise pas une chose à l'un et son contraire à l'autre, et que toutes les collectivités soient traitées avec équité. Nous demandons, en particulier, que les instructions pour davantage de souplesse qui ont été données par l'ancien ministre Béchu dans la circulaire du 31 janvier 2024 soient systématiquement appliquées, avec la marge des 20 % de dépassement autorisé, sans nécessiter de justification spécifique lors du contrôle de légalité des nouveaux documents d'urbanisme. Cela n'appelle pas de modification législative.

Le deuxième levier, ayant vocation à être actionné pendant cette première période et également pour la suite, est celui du coût de la sobriété foncière et de l'instauration de mécanismes d'incitation à la réduction de l'artificialisation. La mission d'information de la commission des finances, dont Hervé Maurey et moi-même sommes les rapporteurs, rendra ses conclusions prochainement.

Le troisième levier consiste à prévoir des modifications ciblées de la réglementation afin de donner de l'air aux collectivités et leur permettre de gérer les injonctions contradictoires auxquelles elles sont soumises.

Sur ce point, le projet de loi de simplification de la vie économique va finalement poursuivre son chemin législatif. L'amendement exemptant l'industrie du décompte du « ZAN », que nous avions fait adopter en juin, pourrait donc - je l'espère - prospérer : c'est essentiel, car réindustrialiser sans foncier est une équation impossible à résoudre.

L'avenir de la loi logement est plus incertain ; il nous faudra trouver un moyen de réintroduire l'exception « ZAN » pour les communes en déficit de logement social. Face à l'urgence de la crise du logement, il faudra d'ailleurs sans doute réfléchir à des assouplissements plus globaux. Le Gouvernement semble disposé à avancer sur le sujet, ce dont je me réjouis : nous participerons naturellement à la réflexion commune.

En ce qui concerne le long terme maintenant, pour la période après 2031, nous avons deux niveaux de réflexion.

Le premier est d'ordre technique : il s'agit, sans toucher à l'objectif final, de faciliter l'application de la stratégie de réduction de l'artificialisation à moyen terme. Pour cela, nous avons là aussi identifié trois leviers.

Il s'agit, d'abord, des outils d'aménagement et d'ingénierie en faveur de la sobriété foncière, qui devront être encore amplifiés et renforcés à mesure que le « ZAN » montera en puissance.

Il s'agit, ensuite, de l'introduction de nouveaux critères obligatoires de territorialisation, comme les différentiels de densité, les dynamiques de peuplement et d'activité, mais aussi, comme l'a proposé notre collègue Jean-Claude Anglars, la protection du bâti au titre du code du patrimoine, qui limite fortement la possibilité de recourir à la renaturation du fait des restrictions aux démolitions.

Plus structurellement, nous voulons passer d'une démarche descendante à une logique ascendante : pour mieux prendre en compte l'ensemble de ces critères de territorialisation, il faudra inverser la logique d'attribution des enveloppes foncières, cesser de vouloir faire rentrer les projets des territoires dans une enveloppe déterminée a priori mais, au contraire, partir des besoins des territoires - lesquels devront bien sûr être étayés et justifiés. Pour réussir le « ZAN », nous devons accomplir cette révolution copernicienne.

Il s'agit, enfin, d'une réforme d'aspect technique, mais dont la portée va bien au-delà : nous proposons de conserver, au-delà de 2031, la comptabilisation de l'artificialisation en consommation d'Enaf, un mode de comptabilité avec lequel les élus sont familiers et qui permet, en outre, de ne pas inclure l'artificialisation induite par les bâtiments agricoles actuels et futurs, ce qui serait en cohérence avec les objectifs de protection des activités agricoles et de souveraineté alimentaire. Dans ce cadre, nous devrons bien sûr réfléchir à des garde-fous pour ne pas voir nos campagnes bétonnées par des mégafermes industrielles.

Notre deuxième niveau de réflexion est sans doute plus disruptif. Jusque-là, le Sénat s'est efforcé d'assouplir le « ZAN » en restant dans le cadre posé par la loi « Climat et résilience ». Nous pensons qu'il faut se demander, sans tabou, si nous avons légiféré, comme le préconisait Portalis, avec « sagesse, justice et raison », si ces mesures, pour utiles qu'elles aient été, n'ont pas été élaborées dans un moment où le législateur s'est « livré à des idées absolues de perfection » et si le cadre élaboré à l'été 2021 n'est pas en train de muer en carcan.

Puisque je viens de convoquer Portalis, je médite sur une maxime qu'il a rédigée : « Les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois ; elles doivent être adaptées au caractère, aux habitudes, à la situation du peuple pour lequel elles sont faites. [...] S'il est possible, dans une institution nouvelle, de calculer les avantages que la théorie nous offre, il ne l'est pas de connaître tous les inconvénients que la pratique seule peut découvrir. » On croirait ces préceptes inspirés par une critique raisonnée du « ZAN », plus de deux siècles avant sa mise en oeuvre...

Nous avions déjà envisagé, dans la loi « ZAN 2 », de nous extraire - de manière ponctuelle - du cadre rigoureux de la loi « Climat et résilience », en sortant complètement les grands projets de l'enveloppe nationale, mais la mutualisation entre régions avait été le prix à payer pour une commission mixte paritaire conclusive. Les concessions étant le lot des régimes bicaméraux, nous nous sommes rangés à cette solution...

À l'usage, les régions nous disent que ce n'est pas satisfaisant ; cela nourrit un sentiment d'injustice. En outre, cela ne vaut, pour l'instant, que jusqu'en 2031. Or ces grands projets ont besoin de visibilité à plus long terme. Ne faudrait-il pas réinterroger l'idée d'une exclusion totale et définitive de ces projets, en particulier les projets d'envergure nationale ou européenne (PENE), du décompte « ZAN » ? Est-il souhaitable de continuer avec un État ne disposant pas de compte foncier et dont les projets sont portés par les enveloppes des territoires ? Question rhétorique, mais lourde de sens...

Plus largement, faut-il sortir de l'enveloppe certains projets ou conserver le cap et la trajectoire de la sobriété foncière, mais en ne fixant plus ces enveloppes limitatives qui font le désespoir de certains élus locaux, ce qui constituerait un fort témoignage de confiance aux territoires pour déterminer les projets qui justifient vraiment d'artificialiser ? Nous n'avons pas la réponse, mais la question mérite d'être posée.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le nombre de sénatrices et de sénateurs présents ce matin montre clairement le niveau de préoccupation que ce sujet provoque dans les territoires et chez les élus. Nous ne pouvons que rappeler notre incompréhension devant l'absence de réelle étude d'impact au moment de la présentation du projet de loi « Climat et résilience » : il est essentiel que les choix du législateur soient éclairés par toute l'information dont dispose l'État. D'autres missions et études sont en cours pour compléter le rapport qui vient de nous être présenté ; c'est essentiel tant ce sujet est complexe et ses implications multiples. En fait, aujourd'hui, personne ne s'y retrouve !

M. Christian Redon-Sarrazy. - Ce rapport rejoint le constat que le Sénat fait depuis plusieurs mois : le « ZAN » a été défini comme un objectif arithmétique qui ne prend pas en compte les contextes territoriaux. Nous avons essayé d'assouplir le dispositif avec la loi « ZAN 2 », mais d'autres textes, plus sectoriels - industrie verte, logement... -, ont percuté nos propositions.

Il n'y a aucun dialogue entre l'État et les collectivités : les élus locaux se plaignent d'un État qui n'utilise que sa calculatrice et ne fournit pas un accompagnement suffisant.

Nous ne souhaitons pas remettre en cause l'objectif de lutte contre l'artificialisation, mais il nous faut proposer des avancées, y compris en termes de fiscalité. La mise en oeuvre de cet objectif doit se faire avec les habitants et les élus, et en cohérence avec les priorités du pays : la réindustrialisation, le logement, la souveraineté agricole... Nous devons avoir en tête la santé des sols, mais nous ne devons pas accentuer les fractures territoriales ou sociales.

Ce rapport doit nous permettre d'ouvrir un dialogue, ce qui est nécessaire. C'est un sujet au long cours pour lequel nous avons besoin d'ingénierie et d'un accompagnement des territoires.

M. Ronan Dantec. - Nous avons finalement deux rapports pour le prix d'un ! Notre mission, au sein du groupe de suivi, était de prendre en compte les réelles difficultés d'application du « ZAN », même après la loi « ZAN 2 », pour mettre cette mesure au service de l'aménagement et du rééquilibrage du territoire et de l'agriculture - la première victime de la consommation de foncier.

Certaines propositions du rapport sont intéressantes, par exemple celle relative à la comptabilisation en Enaf, pour simplifier l'application - je porte cette proposition depuis le début -, mais on sent une sorte de « chapeau général » de remise en cause de l'objectif...

Or le « ZAN » est un progrès très important pour préserver l'agriculture. On ne peut pas parler de souveraineté alimentaire et en même temps supprimer des hectares de terre agricole - plus de 20 000 hectares de surface agricole utilisée (SAU) ont été supprimés par an entre 2015 et 2022 et cela ne diminue pas. Nous avons donc besoin du « ZAN » et du plafond du - 50 % à l'horizon 2031. Remettre en cause le « ZAN » revient à mettre en cause notre agriculture.

La semaine dernière, Nantes Métropole a délibéré en faveur de 30 hectares d'urbanisation supplémentaire pour une zone artisanale, contre l'avis de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) et du monde agricole. Supprimer le « ZAN » constituerait en réalité un cadeau fait aux métropoles qui continueront de grignoter les zones maraîchères ou les grandes zones céréalières du bassin parisien. Il y a là une contradiction majeure !

Ma question est donc simple : est-ce que vous entendez garder le plafond de 125 000 hectares en 2031, quitte à être beaucoup plus volontaristes en matière d'aménagement du territoire, pour que ces hectares bénéficient d'abord aux villes moyennes désindustrialisées et au monde rural ?

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Le débat est vif !

Mme Nathalie Goulet. - La question de l'insuffisance de l'étude d'impact me fait m'interroger sur la raison pour laquelle nous avons été si peu nombreux à ne pas voter ce texte ! Finalement, on veut aujourd'hui mettre une rustine sur un mauvais texte ; on pourrait aussi imaginer une refonte complète de l'objectif et de la méthode.

Il y a des incohérences profondes, de principe, pour le monde rural : sans logements ni habitants, il ne peut pas y avoir de ruralité ! Il y a aussi des incohérences concrètes : je pense, par exemple, au fait que les méthaniseurs ne sont pas comptabilisés dans le « ZAN » alors que d'autres infrastructures le sont. Nous devons apporter davantage de cohérence, car ce sont toutes ces incompréhensions qui provoquent un rejet viscéral de cette stratégie dans les territoires les plus ruraux.

M. Guislain Cambier, président du groupe de suivi. - Ce que nous vous avons présenté est un rapport d'information, pas une proposition de loi, monsieur Dantec. Le rapport dit clairement - et je le répéterai autant de fois qu'il faudra - que l'ensemble des remontées de terrain montre que l'objectif instauré par le « ZAN » est partagé et a été intégré par les élus et acteurs locaux, qui ne remettent pas en cause l'objectif, mais la méthode et le rythme de mise en oeuvre, voire l'acronyme lui-même qui fait maintenant office de repoussoir... Mais il faut en garder l'esprit !

Pour paraphraser Marc Aurèle, on est souvent injuste par omission : c'est ce qui se passe pour les méthaniseurs. Cela montre que nous manquons de définitions.

Il faudra donc bien faire évoluer le texte de la loi « Climat et résilience » - sans tout réécrire, car cette loi a produit des effets positifs, les élus locaux ont déjà changé leur manière d'aménager le territoire et diminué leur consommation foncière - pour être plus précis, afin d'en permettre une application plus réaliste, avec les territoires.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Nos travaux ont permis d'identifier deux défauts majeurs du « ZAN » : il n'est pas territorialisé ; il n'est pas financé. Une lettre - sidérante ! - du précédent ministre de l'économie et des finances montre bien que l'État n'a pas intégré ce problème du coût du « ZAN ».

Nous avons tout fait pour rendre la territorialisation effective - avec la garantie rurale, les « PENE », la prise en compte des spécificités des territoires de montagne et littoraux, une nouvelle gouvernance, mis en place par la loi « ZAN 2 » - mais le fait est que cela ne marche pas, parce que c'est imposé à marche forcée, de manière arithmétique et descendante.

Nous nous interrogeons effectivement, monsieur Dantec, sur le - 50 %, mais nous ne proposons pas de l'abroger en l'état de nos réflexions. Les élus locaux ont intégré depuis longtemps la nécessité de sobriété, mais ils ne supportent plus le caractère descendant des politiques publiques, en particulier celle-là. Il faut adapter la règle au contexte territorial. Il nous faut concilier la sobriété foncière et les priorités des politiques publiques - le logement, la réindustrialisation, etc. Pour cela, nous devons faire sauter ces verrous intelligemment.

Nous n'en pouvons plus de ces trois lettres - « ZAN » - et de la manière dont les choses se mettent en place. Nous avons besoin d'outils et de financement pour accompagner les élus pour mieux aménager, densifier, construire la ville sur la ville, requalifier les friches, renaturer, protéger les terres agricoles. Je rappelle que le groupe de suivi a reçu 1 400 réponses dans le cadre de la consultation en ligne qu'il a initiée et elles vont très largement dans ce sens : une inquiétude des élus qui partagent l'objectif mais se le voient imposer par l'État sans l'accompagnement ni l'ingénierie adéquats.

Heureusement que la commission des finances a pris l'initiative de travailler sur le coût de la sobriété foncière !

M. Philippe Grosvalet. - Ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain ! L'idée de sobriété foncière est aujourd'hui entendue... Mais elle est assez relative.

J'ai convaincu les maires de mon territoire de tendre vers l'objectif zéro artificialisation bien avant la loi « Climat et résilience », car le foncier disponible, dans mon territoire, en Loire-Atlantique, n'est pas infini, comme dans les autres territoires soumis à forte pression démographique.

Je soutiens donc, à terme, l'objectif « zéro », mais j'estime que le chemin pour y parvenir est compliqué et doit être différencié. Or le principe de subsidiarité n'a pas vraiment cours dans notre pays...

Si l'on est d'accord sur un objectif, reste à en définir la temporalité et la manière de le mutualiser dans un même territoire.

En Loire-Atlantique, par exemple, nous avons une métropole, un littoral, une sensibilité environnementale extrême, une agriculture dynamique et 17 000 habitants supplémentaires à loger chaque année.

En conséquence, quelle est l'échelle la plus pertinente pour appréhender le « ZAN », en tenant compte du principe de subsidiarité ? La loi actuelle n'est pas satisfaisante à cet égard. Il nous reste encore à définir l'espace géographique et politique le plus adapté pour atteindre cet objectif partagé, du territoire le plus petit - la commune - au plus grand.

M. Hervé Gillé. - Sur ce sujet complexe, il y a un risque d'instrumentalisation politique et de dérive populiste. Soyons responsables, mes chers collègues.

À mon sens, l'essentiel du sujet repose sur la différenciation territoriale, tous les territoires étant différents. C'est particulièrement vrai pour les outre-mer.

Par ailleurs, où devons-nous placer les arbitrages ? On ne peut s'arrêter à l'échelon communal. C'est a minima le niveau intercommunal qui doit être retenu, voire des schémas de cohérence territoriale (Scot), qui couvrent 60 % du territoire. Cela permettrait un dialogue et des arbitrages collectifs. Il faut de surcroît une bonne articulation aux niveaux départemental et régional, qui doit trouver sa traduction dans les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), selon le principe de subsidiarité : c'est bien en partant des territoires qu'il faut appréhender la mise en oeuvre du « ZAN », dont l'objectif est réaffirmé aujourd'hui. Or je ne trouve pas vraiment cela dans les conclusions du groupe de suivi.

Nous sommes néanmoins favorables à ce stade à vos conclusions, tout en réservant notre position sur le texte à venir.

M. Michel Canévet. - À mon sens, l'objectif du « ZAN » est contre-productif pour le développement et l'aménagement du territoire. Ne vaudrait-il pas mieux parler de réduction de l'artificialisation nette, le « RAN » ?

M. Guislain Cambier, président du groupe de suivi. - Ce travail se traduira par des propositions législatives concrètes. Nous avons déjà pu faire avancer nos idées par amendements sur des textes concernant la simplification de la vie économique, le logement ou l'agriculture.

Parmi ces propositions, il y a des choses qui feront sans doute consensus sur la manière de comptabiliser ou d'établir des modalités de contractualisation avec les territoires. Mais il faudra préciser certains points. Qui met-on autour de la table ? Comment contrôle-t-on les efforts faits ? Chacune des strates de notre République doit être responsabilisée, y compris l'État.

Concernant le rythme, la borne de 2031 suscite beaucoup d'interrogations. En effet, les Sraddet vont être adoptés fin 2024 pour être déclinés ensuite dans tous les documents d'urbanisme en cascade. Vu les délais qui sont nécessaires, environ quatre ans, ils seront assez rapidement obsolètes, nonobstant les dynamiques qui auront pu se manifester. Aussi, nous allons rapidement mettre sur la table d'autres façons de comptabiliser et une proposition de rythme plus adapté.

Par ailleurs, dans la loi « Climat et résilience », nous avons mis en avant la biodiversité et la santé des sols, mais tous les sols ne se valent pas au regard de leurs potentiels agronomiques ou de leurs fonctionnalités écologiques. Or les textes actuels n'en tiennent pas compte.

Enfin, comment l'État accompagne-t-il les territoires pour reconquérir les friches ?

Vous le voyez, cette réglementation « ZAN » est beaucoup plus transversale qu'il n'y paraît. Il n'est pas question de refaire une nouvelle loi, mais nous devons nous attacher à éviter l'effet « tuyaux d'orgue ».

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Même notre collègue Dantec le dit, il faut revenir à la notion d'Enaf, qui me paraît moins complexe que l'artificialisation, mieux acceptée et comprise par les élus locaux. Cela permettrait de surcroît de lever les incertitudes concernant les bâtiments agricoles.

La définition de l'artificialisation est beaucoup trop idéologique. Ainsi, dans le décret « nomenclature », il est spécifié que les jardins des pavillons sont considérés comme artificialisés, pour inciter les élus à faire de la subdivision parcellaire.

Revenir aux Enaf nous permettrait peut-être d'avoir une approche plus ascendante pour réussir à relever le défi de la sobriété avec la pleine collaboration des élus locaux.

Il y a selon moi trois sujets sur la table : les bâtiments agricoles ; les « PENE » ; les énergies renouvelables, notamment avec le problème des méthaniseurs, mais pas seulement.

M. Jean-Marc Boyer. - Après avoir participé aux travaux du groupe de suivi et vous avoir entendu, j'ai envie de dire : tout ça pour ça !

Les élus locaux sont favorables à la sobriété foncière - ils l'appliquent d'ailleurs déjà -, mais ils ne veulent pas du « ZAN » tel qu'il leur est proposé. Pour moi, le « ZAN » est mort !

Or les services de l'État mettent aujourd'hui beaucoup de pression sur les élus locaux et font le « ZAN » par anticipation. Au lieu d'accompagner les collectivités dans leurs projets d'urbanisme, ils les contraignent en s'appuyant sur des avis de cabinets d'études qui se contentent de faire du copier-coller d'un territoire à l'autre.

Il y a urgence, car les communes et les intercommunalités préparent actuellement leurs documents d'urbanisme et les services de l'État font comme si la loi « ZAN » était pleinement appliquée. Je pense que mes collègues font la même expérience dans leur département. Si l'on temporise trop pour adopter des mesures, le rouleau compresseur des services de l'État va continuer son oeuvre et nous arriverons après la bataille.

Au nom de la libre administration des collectivités locales, ne faut-il pas que nous envoyions dès aujourd'hui un signal pour dire que le « ZAN » est suspendu dans l'attente d'un nouveau texte ? Le Sénat ne peut-il pas envoyer une motion aux ministres concernés pour qu'ils enjoignent aux préfets de surseoir à l'application de la loi ?

M. Sébastien Fagnen. - À l'issue des six mois de travaux du groupe de suivi sur la mise en oeuvre du « ZAN », le constat est clair : de grandes difficultés se font jour sur tous nos territoires. Comme le président du groupe de suivi l'a rappelé, on n'aménage pas le territoire avec un tableau Excel. La prise en compte de la géographie fait ainsi cruellement défaut. C'est là le péché originel de la loi.

Il s'agit non pas de faire passer le « ZAN » par pertes et profits, mais de le remettre à l'endroit avec une logique différente : nous devons partir des besoins des territoires, tout en respectant l'objectif originel.

Pour rassurer Ronan Dantec, je dirai que le garde-fou est à Matignon, puisque Michel Barnier, dans sa déclaration de politique générale, a précisé qu'il n'y aurait de remise en cause ni de la philosophie ni de l'objectif. Nous jugerons sur pièces lors de l'examen de la proposition de loi qui naîtra de nos travaux. J'en profite pour saluer le travail de notre collègue Nicole Bonnefoy sur la qualité des sols, qui nous aura été d'une grande utilité.

J'insiste sur l'ingénierie, indispensable pour accompagner les élus des communes rurales. Sur la décennie 2011-2021, il faut savoir que la consommation foncière a porté avant tout sur l'habitat dit dispersé, selon la nomenclature du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Les élus ruraux se battent pour développer leur territoire, mais il ne faut pas les laisser seuls face aux acteurs économiques privés. Aussi, nous devons réarmer les services déconcentrés de l'État, pour qu'ils puissent aider les élus locaux à bâtir un modèle d'aménagement plus vertueux.

M. Grégory Blanc. - Je tiens à remercier Guislain Cambier et Jean-Baptiste Blanc pour leur travail : ce rapport permettra en effet de lever un certain nombre d'incompréhensions.

Chacun d'entre nous est favorable à une réforme, dans la mesure où nous sommes tous conscients de la nécessité de nous préparer à une augmentation des températures de l'ordre de 4 degrés en France. Avec la mise en oeuvre du « ZAN » se pose dès aujourd'hui la question d'un changement des pratiques que ce soit en termes d'aménagement du territoire ou de construction. S'il faut reconnaître que la stratégie de réduction de l'artificialisation des sols est une source de contraintes, convenons aussi - personne ne l'a fait ce matin - que le « ZAN » est une opportunité, et qu'il donne des perspectives en matière de développement économique.

J'aurai trois questions.

La première est d'ordre financier : il est nécessaire de se pencher sur une meilleure articulation entre les collectivités territoriales, en particulier entre les régions et les intercommunalités - je pense en particulier aux aménagements d'infrastructures d'intérêt général. Il faut repenser les modalités d'aménagement du territoire, alors qu'aujourd'hui, certains freinent manifestement toute réflexion à ce sujet : comment faire, selon vous, pour assurer davantage d'horizontalité à l'échelle des territoires ?

La deuxième part du constat d'une défaillance totale de l'État dans l'accompagnement des acteurs locaux : rien n'est prévu pour définir une stratégie à l'horizon 2050. Quel chemin emprunter pour engager cette transition ? C'est une problématique que vous ne semblez pas avoir esquissée dans votre rapport.

Ma dernière question est budgétaire : si l'on veut vraiment atteindre les objectifs fixés dans la loi, que ce soit en 2031 ou en 2050, il est nécessaire de dégager des moyens plus significatifs qu'aujourd'hui. Comment faire pour concrétiser cette ambition ?

M. Guislain Cambier, président du groupe de suivi. - Je suis d'accord avec Grégory Blanc : je déplore que l'État n'ait pas développé de vision à long terme en matière d'aménagement du territoire. Le Gouvernement n'a effectivement dessiné aucune perspective claire depuis que nous l'y avons invité en février dernier.

Pour ce qui est de la mise en place du « ZAN », ce sont les régions qui sont aujourd'hui en première ligne, puisqu'elles doivent décliner cet objectif dans leurs Sraddet. Le ruissellement vers les échelons infrarégionaux que sont les intercommunalités et les communes est, quant à lui, en marche.

À l'évidence, la question de l'organisation du dialogue dans les territoires se pose. Ainsi, la commission régionale de conciliation sur l'artificialisation des sols est régulièrement critiquée pour son fonctionnement et sa composition ; de surcroît, la faiblesse des enveloppes régionales suscite de nombreuses réserves sur le terrain.

En réalité, le fond du problème tient à la lenteur de l'État pour fixer les règles, définir les nomenclatures et établir une doctrine quant aux objectifs assignés aux uns et aux autres. Ce que montre notre rapport, c'est que la méthode retenue ne fonctionne pas.

Dernière remarque, il manque à cette stratégie de réduction de l'artificialisation tout un volet financier et fiscal. La mise en concurrence des collectivités les unes avec les autres - ces dernières ont des projets de territoire plus ou moins aboutis - freine la création d'une sorte de « bourse des territoires », à toutes les échelles, qui permettrait de renaturer les espaces à un endroit, de construire à un autre endroit pour saisir les opportunités qui se présentent.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Je tiens à rassurer Grégory Blanc : nous pointons bel et bien les défaillances de l'État dans notre rapport - il s'agit même d'un fil rouge, de même que nous déplorons l'impensé fiscal du « ZAN ».

Notre collègue a raison de souligner qu'il est indispensable d'avoir une vision prospective. Si nous décidons d'en finir avec cette démarche planificatrice, comme certains le souhaitent, il faudra définir une logique plus ascendante dans une perspective peut-être davantage contractuelle. Tout reste à imaginer, notamment les articulations entre les différents niveaux de collectivités. C'est même à mes yeux le principal travail que nous aurons à mener.

M. Yannick Jadot. - La question éminemment politique du « ZAN » est évidemment révélatrice de nos difficultés - crise du logement, désindustrialisation, inégalité entre territoires, etc. Mais, à mesure que nous y réfléchissons, le « ZAN » est aussi devenu un bouc émissaire.

Certes, de nombreux élus ont d'ores et déjà intégré la sobriété dans leur politique d'aménagement du territoire, mais il faut reconnaître que l'artificialisation des sols n'a pas baissé. Malgré l'effondrement du logement social, la crise de l'industrie, l'affaissement des services publics dans les territoires, elle se maintient à un niveau élevé.

Puisqu'il en est question, je partage l'avis de ceux qui déplorent le choix de l'appellation « zéro artificialisation nette » : celle-ci laissait effectivement entendre que l'objectif devait être atteint dès 2021. L'engagement du Premier ministre à maintenir cette ambition ne lève pas pour autant de bien légitimes inquiétudes, tant on sait que ce gouvernement n'aura vraisemblablement pas une espérance de vie telle qu'il sera toujours en place en 2050...

M. Laurent Duplomb. - On ne sait jamais !

M. Yannick Jadot. - Même si les écologistes sont de culture girondine, je suis en désaccord avec ceux qui pensent qu'il faut en finir avec la planification. Il faut certes partir des territoires, mais les mesures de mutualisation proposées dans le rapport sont bien trop faibles. Il faut cesser de prévoir des dérogations pour tout, c'est le plus sûr moyen de rendre le dispositif totalement inopérant.

M. Laurent Duplomb. - Il a raison : autant abroger la loi !

M. Yannick Jadot. - La lutte contre l'artificialisation des sols est indispensable. Inutile de rappeler que des inondations impressionnantes ont lieu partout dans notre pays. Personne ne peut plus prétendre aujourd'hui que c'est la faute des écologistes qui ne veulent pas que l'on cure les rivières !

De nombreux sénateurs sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP. - Si !

M. Yannick Jadot. - La vigueur de votre réaction prouve que vous avez fait de cette loi le bouc émissaire de tous nos maux. Une telle démagogie accentue la défiance vis-à-vis du monde politique et accroît le vote en faveur du Rassemblement national.

M. Cédric Chevalier. - Le « ZAN » peut effectivement être une opportunité pour nos territoires : les efforts qui sont demandés aux élus en termes de sobriété appellent une réflexion sur l'optimisation de la consommation foncière, autrement dit une analyse de bon sens.

Cela étant, le « ZAN », dans sa mise en oeuvre, est facteur d'injustice. En raison de son mode de calcul, les collectivités les plus vertueuses sont pénalisées.

M. Laurent Duplomb. - C'est vrai !

M. Cédric Chevalier. - Beaucoup d'élus n'ont pas attendu le « ZAN » pour s'engager dans la sobriété foncière, tout simplement parce qu'ils sont conscients des enjeux et connaissent bien leur territoire. Demain, ceux-là, s'ils ont de nouveaux projets, seront pénalisés... Le rapport tient-il compte de cette injustice ?

Un certain nombre de clarifications sont par ailleurs nécessaires. Ainsi, une partie des décrets d'application de la loi « Climat et résilience » ont paru fin 2023, alors que le compteur était lancé depuis deux ans... Tout cela manque de cohérence.

Autre remarque : les échéances fixées pour l'approbation des documents d'urbanisme que sont les Scot et les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi) - respectivement en août 2026 et août 2007 - sont ubuesques. Le calendrier devrait vraiment être revu, car en résultera l'acceptabilité du « ZAN » par l'ensemble des élus locaux.

M. Christian Bilhac. - Je remercie le rapporteur et le président du groupe de suivi pour ce travail. Le « ZAN » est un sujet de préoccupation pour les élus.

On ne peut pas bâtir l'avenir sur des contre-vérités : on ne sauvera pas l'agriculture avec le « ZAN » - il ne faut pas rêver ! La consommation de surfaces agricoles augmente, non pas parce que l'on construit, mais parce que l'agriculture ne permet pas de faire vivre nos agriculteurs ! Ce n'est pas en stoppant l'urbanisation qu'on sauvera l'agriculture !

M. Laurent Duplomb. - Tout à fait !

M. Christian Bilhac. - Haro aux fausses bonnes idées !

Deuxième observation, la loi « ZAN » est censée s'appliquer à Paris comme dans le village de Saint-Michel-d'Alajou sur le plateau du Larzac. Cela ne peut pas fonctionner ! Comment voulez-vous que le maire d'une commune hyperrurale, qui n'a pas délivré de permis de construire depuis plus d'un an ou qui a près de 95 % de son territoire en zone naturelle ou agricole, réagisse lorsqu'on lui dit qu'il ne faut pas artificialiser ? Il vous regarde éberlué, parce qu'il ne peut pas le comprendre !

J'ai deux questions très simples : pourquoi ne pas exclure ces petites communes rurales du « ZAN » ? Comment faire pour dialoguer avec un État qui préfère l'oukase et l'injonction à la discussion ?

M. Daniel Salmon. - Dans certains territoires, les choses se passent plutôt bien. Ainsi, en Bretagne, les conférences des Scot ont permis d'aboutir à des compromis, lesquels ont conduit à l'élaboration d'une trajectoire régionale de mise en oeuvre de la stratégie de réduction d'artificialisation des sols.

Regardons les choses en face : la véritable problématique est celle du financement du « ZAN ». D'après vous, mes chers collègues, sera-t-il plus facile de financer notre dette écologique dans quelques années que le « ZAN » aujourd'hui ? Personnellement, je connais la réponse à cette question.

Enfin, l'acronyme « ZAN » n'est peut-être pas le bon, mais il est préférable au « zéro ambition nette », ce vers quoi nous nous orientons.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Je vous remercie de toutes ces précisions qui permettent d'apporter des réponses aux interrogations multiples qui émergent des territoires.

Permettez-moi cependant de revenir sur quelques points.

D'abord, la maîtrise de l'artificialisation des sols existait bien avant le « ZAN ». Les nombreux élus locaux présents ici ce matin peuvent en témoigner : la plupart, si ce n'est la totalité, des Sraddet comportaient déjà un objectif en la matière.

La loi « ZAN » a fixé des objectifs plus ambitieux sans pour autant prévoir les financements y afférents. Comment accompagner les territoires dans une démarche vertueuse de meilleure maîtrise de l'artificialisation des sols, et ce de façon réaliste ? Si l'on tient compte de la situation actuelle, je crains que la plupart des acteurs des territoires soient incapables, à l'avenir, de financer la mise en oeuvre de cet objectif. Il est urgent que le Sénat, qui assure la représentation des collectivités territoriales, se montre à l'écoute et aide les élus locaux à avancer sur ce sujet.

Monsieur le rapporteur, plusieurs de vos recommandations me semblent particulièrement judicieuses. Je pense à la comptabilisation en Enaf qui, de mon point de vue, doit continuer de s'appliquer après 2031. Il était également utile de rappeler la nécessité des aménagements prévus dans les textes, notamment les dispositifs d'assouplissement mis en place par l'ancien ministre de la transition écologique, Christophe Béchu. Le report de la mise en oeuvre de la mutualisation de la garantie de développement communal, qui suscite beaucoup de questions, est en outre essentiel. Enfin, l'État doit assumer sa politique : une première étape consisterait à extraire le compte foncier de l'État de l'enveloppe nationale dédiée à la consommation d'espaces.

Compte tenu de l'importance de ce sujet, il me semble indispensable que nous votions sur les recommandations du rapport d'information.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Monsieur Jadot, il est faux de dire que l'artificialisation n'a pas diminué : 21 000 hectares aujourd'hui contre 31 000 en 2011 !

M. Ronan Dantec. - Les chiffres ne bougent plus depuis 2015 !

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Nous sommes sur un plateau, après une forte diminution entre 2009 et 2015.

En ce qui concerne la planification, elle aurait pu fonctionner si nous y avions été associés. Je me permets de vous recommander la lecture de l'ouvrage Un nouveau contrat écologique : les auteurs insistent sur la nécessité d'associer toutes les parties prenantes pour atteindre l'objectif de sobriété foncière.

Monsieur Salmon, vous parlez de « zéro ambition nette », mais il faut aussi éviter le « zéro assouplissement net » !

M. Guislain Cambier, président du groupe de suivi. - Il y avait urgence à engager ce travail du groupe de suivi, car l'horloge tourne. Nous vous avons présenté aujourd'hui le rapport, mais nous allons continuer à travailler sur le sujet. Il est nécessaire de faire preuve d'une vision plus « girondine », comme l'a dit M. Jadot, c'est-à-dire différente selon les territoires. Il faut faire confiance aux élus et fixer clairement les règles afin d'éviter les effets de bord, mais nous devons aussi rester fermes avec l'État.

La commission des affaires économiques, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et la commission des finances adoptent le rapport d'information et en autorisent la publication.

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