II. L'ORGANISATION INSTITUTIONNELLE DE LA POLYNÉSIE : MIEUX DIFFÉRENCIER DANS LA PROXIMITÉ
A. DES COMMUNES QUI PEINENT À TROUVER LEUR JUSTE PLACE FACE AU PAYS
La Polynésie française compte 48 communes, créées seulement en 1971 et réparties sur cinq archipels. « Collectivités territoriales de la République », elles relèvent directement de l'article 72 de la Constitution et bénéficient à ce titre des principes constitutionnels de libre administration et de non tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre. Pour autant, contrairement aux autres communes françaises, elles ne disposent pas de la clause de compétence générale, mais de compétences spécifiques, limitativement énumérées, que leur octroie l'article 43 de la loi organique statutaire de 2004.
Ce même article permet par ailleurs aux communes d'exercer des compétences complémentaires, dont la liste a été étendue par la loi organique du 5 juillet 2019, « dans les conditions prévues par des lois du pays et la réglementation édictée par la Polynésie française ». À ce jour, néanmoins, et malgré les demandes formulées par plusieurs communes, à commencer par celles des îles Marquises, seules trois lois du Pays ont autorisé l'exercice d'une partie de ces compétences complémentaires sur des questions très limitées.
Parmi les 48 communes de Polynésie française, 30 comprennent des communes associées, formant un total de 98 communes associées sur l'ensemble du territoire. Toutefois, les dispositions du code général des collectivités territoriales applicables aux communes de Polynésie française ne définissent pas suffisamment les compétences des communes associées de Polynésie française, et le statut du maire délégué manque de précisions.
L'intercommunalité reste peu développée en Polynésie française. Le territoire compte ainsi à ce jour cinq communautés de communes, dont trois ont été créées il y a moins de cinq ans. Six syndicats de communes peuvent également être dénombrés, ainsi que deux syndicats mixtes.
B. CONFORTER LES COMMUNES POLYNÉSIENNES DANS L'EXERCICE DES COMPÉTENCES DE PROXIMITÉ
1. Favoriser les délégations d'exercice des compétences du Pays vers les communes
Au cours des échanges menés par la mission avec les maires, l'existence d'un « jacobinisme tahitien » a souvent été déplorée. Dans les archipels ou îles éloignés de Tahiti, l'exercice par le Pays de ses prérogatives est souvent jugé trop distant et décidé trop loin des élus et des populations, a fortiori compte tenu de la diversité des situations locales.
Dans ce contexte, la mission ne peut qu'encourager le dialogue entre le Pays et les communes, soulignant que la loi organique statutaire de 2004 prévoit deux mécanismes juridiques de nature à permettre la prise de décisions au plus près des administrés :
- l'article 48, qui permet au Pays de déléguer aux maires ou aux présidents d'EPCI les compétences pour prendre les mesures individuelles d'application des lois du Pays ou de la réglementation édictée par le Pays ;
- l'article 55, qui autorise le Pays, dans les conditions définies par une loi du Pays, à confier, par convention, aux communes ou aux établissements communaux ou de coopération intercommunale la réalisation d'équipements collectifs ou la gestion de services publics relevant de leurs compétences respectives. La convention doit alors prévoir la participation financière des collectivités concernées.
Toutefois, malgré les demandes formulées par certaines communes, ces délégations n'ont pas été mises en oeuvre à ce jour.
La mission appelle donc à recourir à ces mécanismes de dévolution dans une démarche de « petits pas », projet par projet, afin de créer une confiance mutuelle entre les autorités communales et celles du Pays. Pour ce faire, il est important que les conditions financières liées à la mise en oeuvre de ces mesures puissent faire l'objet d'une appréciation raisonnable et non conflictuelle des parties en présence. Dans ce cadre, la mission estime que l'expertise de la chambre territoriale des comptes dans l'évaluation des coûts pourrait utilement être mobilisée, au titre d'un « tiers de confiance ».
2. Ajuster la répartition des compétences entre le Pays et les communes
a) Envisager le retour au Pays de certaines compétences que les communes et leurs EPCI ne sont pas en mesure d'exercer
Les communes ne sont, de fait, pas toujours en capacité effective d'exercer les compétences listées par la loi organique, y compris à l'échelon intercommunal. C'est le cas des compétences en matière d'environnement.
La situation est particulièrement difficile s'agissant de l'exercice de la compétence « assainissement ». Dans ces conditions, se pose la question d'un nouveau report de ce délai de mise en oeuvre de cette compétence par les communes, voire d'envisager des aménagements particuliers pérennes - par le recours à des normes techniques spécifiques, par exemple - pour les communes d'archipels, pour lesquelles les infrastructures à mettre en place sont particulièrement lourdes en termes d'ingénierie et donc de coûts.
Des difficultés similaires de mise en oeuvre de la compétence en matière de traitement des déchets se posent. Alors qu'il s'agit d'une compétence obligatoire des communes, nombreuses sont celles qui peinent à l'assumer dans toute son ampleur, y compris dans le cadre des EPCI qu'elles ont créés.
Cet exercice est d'autant plus complexe dans les communes formées de plusieurs îles, où le coût est mécaniquement fortement renchéri. De plus, dans plusieurs communes, le volume des déchets ne rend pas viable la mise en place d'équipements de traitement effectifs, imposant alors un transfert des déchets hors de la commune. En outre, les communes manquent des moyens financiers et d'ingénierie nécessaires à la mise en place des circuits de traitement et de valorisation efficaces et efficients.
Aussi se pose légitimement la question de la restitution au Pays de la compétence en matière de traitement des déchets. La mission estime que la spécificité des communes polynésiennes et la nécessité d'assurer un traitement des déchets de manière efficace tout en maîtrisant les coûts justifient une redéfinition des compétences actuelles entre les communes et le Pays en vue de conférer à ce dernier la compétence en la matière.
Enfin, l'ordonnance du 15 février 2006 portant actualisation et adaptation du droit applicable en matière de sécurité civile en Polynésie française a prévu la création de l'établissement public d'incendie et de secours de Polynésie française. Pourtant, celui-ci n'a toujours pas vu le jour dix-huit ans après. La mission s'interroge donc sur la pertinence du modèle retenu en 2006, qui transposait, avec quelques modifications, la solution « classique » des SDIS à la Polynésie française. Elle estime que les échanges doivent se poursuivre avec l'État, les communes et le Pays pour déterminer le modèle le plus adapté aux contraintes du territoire.
b) Reconnaître une possibilité d'intervention de plein droit des communes dans certaines matières relevant actuellement de la compétence du Pays
L'article 43 de la loi organique statutaire permet au Pays, dans le cadre d'une loi du pays, de déterminer les conditions d'intervention des communes ou de leurs EPCI dans un certain nombre de matières. Le Sénat, à l'initiative de Lana Tetuanui, avait étendu le champ des matières concernées afin de favoriser l'exercice des compétences au plus près des habitants. Cette extension ne s'est toutefois pas traduite, en pratique, par un accroissement des compétences conférées à celles-ci par le Pays, qui reste à ce jour réticent à mettre en oeuvre cette disposition.
Aussi, la mission estime-t-elle que la procédure prévue actuellement par cet article doit être dépassée afin de reconnaître de plein droit aux communes de Polynésie française l'exercice partagé avec le Pays de certaines compétences, sans que soit nécessaire l'adoption d'une loi du Pays en ce sens. Il ne s'agirait donc pas d'un transfert complet de compétences, mais d'une prérogative d'intervention dans certains domaines, dans une logique d'effectivité et de subsidiarité. Cet exercice pourrait concerner des compétences de proximité que plusieurs communes exercent déjà de facto, sans base juridique, pour pallier l'absence ou la faiblesse de certaines actions menées localement en la matière par le Pays, en particulier : la culture et le patrimoine local ; l'artisanat ; l'aide sociale ; la jeunesse et le sport.
Dans ces matières, la bonne coordination des interventions justifierait néanmoins la conclusion de conventions entre le Pays et chaque commune ou EPCI concernés, qui pourra ainsi non seulement clarifier le périmètre des actions exercées mais aussi, le cas échéant, les moyens financiers que le Pays pourrait apporter à la commune ou l'EPCI concerné pour les actions menées. Cette conclusion serait d'autant plus facile que, dans les domaines précités, le Pays ne met souvent pas concrètement en oeuvre localement les compétences.
3. Clarifier le statut des communes associées et des maires associés
Compte tenu de la configuration du territoire de certaines communes polynésiennes, qui peuvent comporter plusieurs îles distantes de plusieurs dizaines de kilomètres et parfois accessibles seulement par mer, la création de communes associées sui generis a répondu à la volonté d'assurer la présence d'une autorité communale au plus près des populations.
Toutefois, le régime juridique qui leur est applicable est source de difficultés d'organisation et d'incompréhension pour les administrés. Face à une situation complexe, la mission estime que la revalorisation de l'échelon communal implique de redéfinir avec davantage de précision le statut des communes associées, leurs conditions de fonctionnement et les prérogatives que leurs maires délégués peuvent exercer.
4. Fortifier la fonction publique communale
Donner une attractivité suffisante à la fonction publique communale et conforter les compétences de ses membres est un enjeu essentiel pour permettre aux communes de la Polynésie française d'exercer leurs compétences dans des conditions optimales.
Cette attractivité doit surtout concerner les emplois relevant des catégories A et B, que les communes n'ont souvent pas les moyens suffisants de recruter et de fidéliser, et qui, selon plusieurs maires, peuvent avoir une préférence à exercer dans le cadre de la fonction publique du Pays. C'est en effet grâce à des personnels capables de mener à bien des projets d'investissement importants que les communes pourront se développer et offrir à leurs habitants un niveau de services adéquat.
Aussi le rôle du centre de gestion et de formation (CGF) de la Polynésie française, et l'accompagnement qu'il offre pour développer les compétences des agents de la fonction publique communale, apparaissent-ils essentiels. La mission salue l'effort entrepris par le CGF pour la formation des agents des communes. Elle insiste pour poursuivre ces efforts et accompagner encore davantage les communes dans leur recrutement des agents catégorie A et B, et dans la formation professionnelle de l'ensemble de leurs personnels.
5. Favoriser l'utilisation par les communes, pour leurs projets structurants, des terrains qui sont la propriété du Pays
La question foncière est majeure dans la capacité d'action des communes de la Polynésie.
Le legs de l'histoire a conduit à conférer au Pays - héritier de l'État et préexistant aux communes - un domaine privé extrêmement important, sans que la généralisation des communes en Polynésie française en 1971 ait conduit à des transferts des biens immobiliers du domaine privé du Pays vers les communes elles-mêmes. Par ailleurs, l'État conserve à ce jour de larges emprises qui ne sont aujourd'hui plus mises en valeur.
Il en découle des situations où les communes sont totalement dépourvues de terrains d'assiette leur permettant d'exercer librement leurs compétences et de mener des projets structurants. Dans ces conditions, il convient de favoriser, par la vente ou la mise à disposition à titre gratuit par le Pays et l'État, l'utilisation du foncier par les communes et les communautés de communes pour y établir des équipements publics locaux.