B. PLAIDOYER EN FAVEUR DU MULTILINGUISME

Parmi les nombreux enjeux liés au caractère mondial de la langue française et à la diversité de ses contextes d'usage, la question du plurilinguisme et du multilinguisme apparaît centrale.

Par définition, le plurilinguisme désigne la capacité d'une personne à utiliser plusieurs langues. Le multilinguisme correspond à la présence ou à la coexistence de plusieurs langues au sein d'une société ou d'un territoire donné, ou sur un support donné.

Les rapporteurs sont pleinement convaincus que la francophonie n'est pas la promotion de la langue française au détriment des autres langues, mais bien une démarche d'ouverture et d'enrichissement au contact de celles-ci, qui s'inscrit dans la tradition humaniste de la France. Francophonie et multilinguisme vont de pair : le rayonnement du français ne peut être assuré que dans le respect de la diversité linguistique, à l'international et en France.

1. Un multilinguisme menacé au sein des organisations internationales et des institutions européennes

Alors qu'elles devraient être le fer de lance de la défense du multilinguisme, les organisations internationales sont loin d'être de bonnes élèves en la matière. Les rapports émanant aussi bien des organisations elles-mêmes que des acteurs de la francophonie s'accordent tous sur un constat : les pratiques linguistiques qui y ont cours dérivent dangereusement vers un monolinguisme en faveur de l'anglais, quand bien même d'autres langues sont officiellement reconnues comme langue de travail.

Le dernier rapport du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies (ONU) sur le multilinguisme4(*) note ainsi que l'anglais reste la langue privilégiée de ses services, tant pour le recrutement (98,7 % des offres d'emploi exigent la connaissance de l'anglais, alors que le français n'est requis que pour 10,4 % d'entre elles), que pour la communication interne (98 % du contenu des sites intranet des entités du secrétariat général est disponible en anglais, contre 16 % en français). Officiellement, le français est pourtant, avec l'anglais, l'une des deux langues de travail du secrétariat.

Dans les institutions de l'Union européenne (UE), la situation n'est guère plus favorable au multilinguisme, comme l'a relaté le professeur Christian Lequesne aux rapporteurs5(*). En 2021, les documents ayant pour langue-source le français ne représentaient que 2 % des documents du Conseil de l'UE, 3,7 % de ceux de la Commission européenne (contre 40 % en 1997) et 11,7 % de ceux du Parlement européen. Selon le professeur, l'équilibre qui s'est maintenu entre l'anglais et le français jusqu'aux années 1990 a disparu au profit d'un anglais international. Bien que la France ait porté ce sujet du multilinguisme lors de sa présidence en 2022, la situation n'a pas progressé depuis.

Pour les rapporteurs, il devient urgent de mettre fin aux dérives du monolinguisme au sein des institutions européennes, d'autant que, selon les enquêtes, seuls 25 % des citoyens européens sont capables de comprendre un article de journal ou une information audiovisuelle en anglais et que, depuis la sortie du Royaume-Uni de l'UE, moins de 1 % de la population des pays membres a l'anglais pour langue maternelle. La défense du multilinguisme au sein de l'UE est un enjeu de citoyenneté et d'égalité essentiel : tous les citoyens doivent pouvoir comprendre les textes qui régissent la vie en Europe.

Aussi, les rapporteurs estiment que les 26 recommandations du groupe de travail sur la diversité linguistique en Europe, présidé par Christian Lequesne, gardent toute leur actualité, parmi lesquelles la demande que le secrétariat général de la Commission produise un rapport annuel sur la pratique du multilinguisme dans les institutions européennes - à l'instar de ce que fait l'ONU, ou que la Commission ne puisse pas rédiger plus de 50 % des documents-sources dans une même langue. Il convient aussi d'exploiter le potentiel que représentent les nouvelles technologies en matière de traduction automatique pour rendre les textes officiels accessibles dans les 24 langues de l'Union européenne.

Les constats dressés pour l'ONU et l'UE en matière de multilinguisme sont à peu près les mêmes pour les autres organisations régionales ou internationales. Seule l'OIF s'est vraiment emparée de la question en activant en 2020, sous l'impulsion de sa Secrétaire générale, un « dispositif de veille, d'alerte et d'action en faveur de la langue française et du multilinguisme dans les organisations internationales ». Un réseau de points de contact nationaux a notamment été constitué afin d'alerter sur les violations avérées au régime linguistique des organisations internationales6(*).

Recommandation n° 1 : Mener une stratégie offensive, en lien avec les pays francophones de l'Union européenne, pour que le français, demeure, dans les faits, la langue de travail des institutions européennes.

2. Un multilinguisme à promouvoir en France

Pour les rapporteurs, le multilinguisme est aussi une valeur à défendre à l'échelle nationale. Il ne peut en effet y avoir de politique de la langue à l'international sans politique de la langue en France ; les deux dimensions sont intimement liées.

Au côté du français, langue nationale, de nombreuses autres langues sont parlées dans l'Hexagone et les Outre-mer ; plus de 75 langues sont ainsi reconnues comme « langues de France » depuis 1999 par le rapport Cerquiglini7(*). Étape importante pour la reconnaissance de cette diversité linguistique, la loi du 21 mai 2021 relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, dite « loi Molac », a inscrit le patrimoine linguistique, constitué de la langue française et des langues régionales, au patrimoine culturel immatériel. Cette mesure oblige l'État et les collectivités territoriales à concourir à l'enseignement, à la diffusion et à la promotion de ces langues.

Une seconde étape a été franchie en 2022 avec l'installation du Conseil national des langues et cultures régionales (CNLCR), dont l'objectif est de développer les coopérations entre l'État et les collectivités territoriales en matière de promotion et de valorisation des langues régionales, dans les domaines de la formation continue, du numérique, des médias et de l'édition.

Les rapporteurs estiment que cette nouvelle instance peut être le lieu d'un dialogue apaisé et constructif entre l'État et les collectivités territoriales sur la question de la coexistence du français, langue de la République, et des langues régionales. Son périmètre mériterait même, selon eux, d'intégrer le champ de la formation initiale (enseignement scolaire et universitaire), car la transmission et la préservation des langues régionales passent avant tout par leur enseignement aux jeunes générations.

Recommandation n° 2 : Promouvoir les langues régionales dans le cadre d'un dialogue constructif entre l'État et les collectivités territoriales.


* 4 « Multilinguisme : rapport du Secrétaire général », Organisation des Nations Unies, 4 mars 2024.

* 5 Christian Lequesne, professeur de sciences politiques à Sciences Po Paris, président du groupe de travail sur le multilinguisme et la place du français dans les institutions européennes, dont le rapport « Diversité linguistique et langue française en Europe », remis en octobre 2021, identifie 26 recommandations opérationnelles en vue de la présidence française de l'Union européenne de 2022.

* 6 Pour l'exhaustivité des actions menées par l'OIF en la matière, se référer à l'édition 2022 de son rapport quadriennal sur la langue française dans le monde.

* 7 Ce rapport, élaboré par le linguiste Bernard Cerquiglini en vue de la signature de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, liste 75 langues parlées par les ressortissants français sur le territoire de la République. Celles-ci sont classées en trois grands groupes : les langues régionales (basque, corse, alsacien, breton...), les langues territoriales (issues de l'immigration comme l'arabe, l'arménien...), la langue des signes française.

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