N° 6

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 octobre 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation,
de la communication et du sport (1) sur la
situation de la francophonie
à l'aube du
30ème anniversaire de la loi Toubon,

Par Mme Catherine BELRHITI, MM. Yan CHANTREL et Pierre-Antoine LEVI,

Sénatrice et Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; MM. Jérémy Bacchi, Max Brisson, Yan Chantrel, Mme Laure Darcos, MM. Bernard Fialaire, Jacques Grosperrin, Martin Lévrier, Mmes Monique de Marco, Marie-Pierre Monier, M. Michel Savin, vice-présidents ; Mmes Colombe Brossel, Else Joseph, M. Pierre-Antoine Levi, Mme Anne Ventalon, secrétaires ; Mmes Marie-Jeanne Bellamy, Catherine Belrhiti, Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, M. Christian Bruyen, Mmes Samantha Cazebonne, Karine Daniel, Sabine Drexler, M. Aymeric Durox, Mmes Agnès Evren, Laurence Garnier, Béatrice Gosselin, M. Jean Hingray, Mme Mireille Jouve, MM. Patrick Kanner, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Mme Sonia de La Provôté, MM. Gérard Lahellec, Ahmed Laouedj, Michel Laugier, Jean-Jacques Lozach, Mmes Pauline Martin, Catherine Morin-Desailly, Mathilde Ollivier, MM. Pierre Ouzoulias, Jean-Gérard Paumier, Stéphane Piednoir, Bruno Retailleau, Mme Sylvie Robert, MM. David Ros, Pierre-Jean Verzelen, Cédric Vial, Adel Ziane.

LISTE DES RECOMMANDATIONS
DE LA MISSION D'INFORMATION

Axe n° 1 : Promouvoir le français et le multilinguisme

Recommandation n° 1 : Mener une stratégie offensive, en lien avec les pays francophones de l'Union européenne, pour que le français, demeure, dans les faits, la langue de travail des institutions européennes.

Recommandation n° 2 : Promouvoir les langues régionales dans le cadre d'un dialogue constructif entre l'État et les collectivités territoriales.

Axe n° 2 : Garantir un enseignement du et en français de qualité
à travers le monde

Recommandation n° 3 : Faire de la revalorisation du métier d'enseignant de et en français la Grande Cause de la Francophonie, afin de garantir un apprentissage du et en français de qualité, dans l'espace francophone et au-delà.

Recommandation n° 4 : Afin de lui permettre de déployer tout son potentiel, faire évoluer le dispositif Flam vers un programme francophone co-financé par les pays francophones, en s'appuyant sur la structuration du réseau mise en oeuvre par la fédération Flam Monde.

Recommandation n° 5 : Poursuivre le soutien financier au réseau culturel français et engager une réflexion sur sa mutualisation avec d'autres pays francophones.

Axe n° 3 : Valoriser le français comme langue des études supérieures et de la recherche

Recommandation n° 6 : Créer un « Erasmus francophone », afin de susciter chez la population étudiante un sentiment d'appartenance à l'espace francophone.

Recommandation n° 7 : Faciliter l'obtention d'un visa francophone aux étudiants éligibles à ce programme de mobilité dans l'espace francophone.

Recommandation n° 8 : Mettre en place, au sein de l'espace francophone, un programme de mobilité en faveur des jeunes chercheurs.

Recommandation n° 9 : Encourager et valoriser la production scientifique en français, notamment dans le cadre de l'évaluation scientifique des chercheurs.

Recommandation n° 10 : Soutenir l'émergence d'un espace scientifique francophone.

Axe n° 4 : Renforcer la présence du français dans l'écosystème numérique

Recommandation n° 11 : Intensifier la lutte contre la fracture numérique dans l'espace francophone.

Recommandation n° 12 : Lancer une initiative, au sein de la Francophonie, en faveur de la découvrabilité en ligne des contenus culturels francophones, donnant lieu à une stratégie commune d'action, sur le modèle de celle élaborée par la France et le Québec.

Recommandation n° 13 : Amender la convention de l'Unesco de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, afin d'y introduire l'enjeu de découvrabilité des contenus culturels numériques.

Recommandation n° 14 : Élargir la coopération bilatérale franco-québécoise sur la découvrabilité en ligne des contenus scientifiques francophones à d'autres partenaires francophones.

Axe n° 5 : Réactualiser, renforcer et mieux appliquer la loi Toubon

Recommandation n° 15 : Élargir et adapter le périmètre d'application de la loi Toubon :

- intégrer de nouveaux secteurs de l'économie et de la société dans son champ d'application ;

- l'adapter aux nouveaux enjeux numériques et technologiques ;

- expertiser sa compatibilité avec le droit communautaire.

Recommandation n° 16 : Clarifier et compléter la loi Toubon :

- adapter les articles 2 (consommation, publicité, audiovisuel) et 4 (espace public) au nouveau contexte numérique ;

- clarifier la rédaction de l'article 14 consacré aux marques employées par les personnes publiques ;

- ajouter un article pour renforcer l'emploi du français dans les services publics nationaux et locaux.

Recommandation n° 17 : Mieux faire appliquer la loi Toubon :

- accroître le contrôle du respect de la loi par les administrations publiques ;

- assurer l'effectivité des poursuites pénales et administratives en cas d'infraction ;

- consolider le rôle de pilotage interministériel de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) ;

- ouvrir une réflexion sur le renforcement des missions de la DGLFLF en s'inspirant du modèle de l'Office québécois de la langue française ;

- développer des mesures pédagogiques et d'accompagnement pour mieux faire connaître la législation en vigueur ;

- sensibiliser les acteurs publics à faire preuve d'exemplarité en matière d'usage du français.

AVANT-PROPOS

L'année 2024 est ponctuée de temps forts et inédits pour la langue française : l'organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques cet été, la célébration des trente ans de la loi Toubon le 4 août dernier, la tenue du 19ème Sommet de la Francophonie les 4 et 5 octobre prochains à Villers-Cotterêts - le premier à se tenir en France depuis 33 ans.

Dans ce contexte d'« effervescence francophone », la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport a souhaité apporter sa contribution aux réflexions en cours sur l'évolution de la langue française et de son rayonnement, dans la continuité du premier rapport d'information qu'elle avait publié en 20171(*).

Cette mission d'information, confiée à Catherine Belrhiti, (LR, Moselle), Yan Chantrel (SER, Sénateur représentant les Français établis hors de France) et Pierre-Antoine Levi (UC, Tarn-et-Garonne), avait pour objectif premier de faire une saisie sur le vif de l'état de la francophonie et, ce faisant, de formuler des recommandations en vue du prochain Sommet qui réunira les représentants de près d'une centaine d'États et de gouvernements.

Son second objectif était de dresser un état des lieux de l'application de la loi Toubon et d'identifier les voies d'évolution de ce cadre fondateur. Il ne peut en effet y avoir de politique de la langue française à l'international sans politique de la langue en France ; les deux dimensions sont intimement liées.

Sur proposition de ses rapporteurs, la commission formule, dix-sept recommandations visant, d'une part, à oeuvrer en faveur d'une francophonie ouverte, attractive et volontariste, d'autre part, à réactualiser, renforcer et mieux appliquer la loi Toubon.

I. POUR UNE FRANCOPHONIE OUVERTE, ATTRACTIVE ET VOLONTARISTE

A. PANORAMA DE LA LANGUE FRANÇAISE DANS LE MONDE

Sources :  - « La langue française dans le monde », édition 2022, Organisation internationale de la francophonie (OIF)

- Rapport au Parlement sur la langue française, édition 2024, Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF)

Ce panorama chiffré de la langue française dans le monde révèle son bon état général, diagnostic partagé par la plupart des acteurs et experts de la francophonie auditionnés par les rapporteurs. La croissance du français à l'international, constatée depuis plusieurs années, se poursuit en effet à un rythme satisfaisant (+ 8 % de francophones entre 2018 et 2022), même s'il faut noter un léger ralentissement par rapport à la période d'étude précédente (2014-2018), au cours de laquelle le nombre de francophones avait crû de près de 10 %. Cet infléchissement relativise ce constat global favorable et invite, selon les rapporteurs, à porter une attention particulière aux conditions nécessaires à la progression de la francophonie, notamment dans les pays où le français n'est pas la langue première.

1. Un dynamisme de la langue française essentiellement porté par le continent africain

La vitalité de la langue française dans le monde doit beaucoup au continent africain, tendance que les statistiques et les études ont commencé à observer il y a une dizaine années.

En 2022, l'Afrique concentrait plus de 60 % des locuteurs quotidiens de français, confirmant sa place centrale dans la francophonie « du quotidien »2(*). En gagnant 2,5 points de pourcentage par rapport à la précédente enquête réalisée en 2018, le continent africain se caractérise par une dynamique qui le distingue des autres zones géographiques où le français progresse à une moindre vitesse.

Source : « La langue française dans le monde », édition 2022,
Organisation internationale de la francophonie (OIF)

Cette dynamique africaine est surtout portée par les pays de l'Afrique subsaharienne qui représentent à eux seuls plus de 80 % de la croissance francophone du continent africain. C'est en effet dans cette zone géographique que l'augmentation du nombre de francophones a été la plus forte ces dernières années (+ 14,5 %).

Source : « La langue française dans le monde », édition 2022,
Organisation internationale de la francophonie (OIF)

2. Une jeunesse africaine potentiellement déterminante pour l'avenir de la langue française

La majorité des francophones d'Afrique de l'Ouest et centrale se situant dans la classe d'âge comprise entre 15 et 24 ans, cette population constitue une potentialité de croissance forte pour la francophonie.

D'après les enquêtes sur lesquelles s'appuie l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) dans son rapport quadriennal, cette jeunesse - en particulier celle habitant dans les villes - maîtrise en outre mieux la langue française que les générations plus âgées. Elle a majoritairement suivi un minimum d'études - au moins primaires, mais surtout secondaires et supérieures -, ce qui montre l'importance de l'enjeu de l'éducation et de la formation en français sur le continent africain.

Le vivier que représente la jeunesse africaine pour l'avenir de la langue française explique en grande partie les prévisions de croissance du nombre de francophones d'ici 2050, estimé par l'OIF à 715 millions d'individus. À cet horizon, près de 90 % de la jeunesse francophone serait africaine selon l'organisation.

Pour les rapporteurs, ces projections optimistes - qui datent de 2022 - doivent cependant être tempérées par la prise en considération des évolutions géopolitiques survenues récemment en Afrique de l'Ouest, où plusieurs prises de pouvoir militaires se sont déroulées dans un climat général anti-France très marqué.

3. Des usages africains de la langue française qui s'inscrivent dans une pratique plurilingue à défendre

Les études sociolinguistiques disponibles font ressortir une autre tendance de fond concernant les usages du français en Afrique : les francophones y sont majoritairement plurilingues et leur première langue n'est que rarement le français. Si dans le monde du travail, la langue française est très présente, voire constitue la langue principale des échanges professionnels (par exemple, en Côte d'Ivoire, au Cameroun, au Congo ou au Gabon), dans la sphère familiale et dans la vie quotidienne, les langues africaines sont généralement davantage utilisées.

La langue française est d'ailleurs perçue, par ses locuteurs africains non natifs, essentiellement comme un outil fonctionnel. Cette approche pragmatique est particulièrement perceptible dans les réponses apportées concernant les atouts que ceux-ci attribuent au français. Ainsi, la langue française se trouve très appréciée pour ses capacités à obtenir un travail (entre 67 % et 97 % des avis), faire des études (entre 68 % et 98 %), s'informer (entre 49 % et 98 %), faire des recherches sur Internet (entre 53 % et 97 %), accéder à d'autres cultures (entre 55 % et 96 %)3(*).

Ces résultats montrent que la promotion de la langue française est fortement liée à la valorisation des opportunités que sa maîtrise offre, dans le respect et la défense d'une pratique plurilingue.

B. PLAIDOYER EN FAVEUR DU MULTILINGUISME

Parmi les nombreux enjeux liés au caractère mondial de la langue française et à la diversité de ses contextes d'usage, la question du plurilinguisme et du multilinguisme apparaît centrale.

Par définition, le plurilinguisme désigne la capacité d'une personne à utiliser plusieurs langues. Le multilinguisme correspond à la présence ou à la coexistence de plusieurs langues au sein d'une société ou d'un territoire donné, ou sur un support donné.

Les rapporteurs sont pleinement convaincus que la francophonie n'est pas la promotion de la langue française au détriment des autres langues, mais bien une démarche d'ouverture et d'enrichissement au contact de celles-ci, qui s'inscrit dans la tradition humaniste de la France. Francophonie et multilinguisme vont de pair : le rayonnement du français ne peut être assuré que dans le respect de la diversité linguistique, à l'international et en France.

1. Un multilinguisme menacé au sein des organisations internationales et des institutions européennes

Alors qu'elles devraient être le fer de lance de la défense du multilinguisme, les organisations internationales sont loin d'être de bonnes élèves en la matière. Les rapports émanant aussi bien des organisations elles-mêmes que des acteurs de la francophonie s'accordent tous sur un constat : les pratiques linguistiques qui y ont cours dérivent dangereusement vers un monolinguisme en faveur de l'anglais, quand bien même d'autres langues sont officiellement reconnues comme langue de travail.

Le dernier rapport du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies (ONU) sur le multilinguisme4(*) note ainsi que l'anglais reste la langue privilégiée de ses services, tant pour le recrutement (98,7 % des offres d'emploi exigent la connaissance de l'anglais, alors que le français n'est requis que pour 10,4 % d'entre elles), que pour la communication interne (98 % du contenu des sites intranet des entités du secrétariat général est disponible en anglais, contre 16 % en français). Officiellement, le français est pourtant, avec l'anglais, l'une des deux langues de travail du secrétariat.

Dans les institutions de l'Union européenne (UE), la situation n'est guère plus favorable au multilinguisme, comme l'a relaté le professeur Christian Lequesne aux rapporteurs5(*). En 2021, les documents ayant pour langue-source le français ne représentaient que 2 % des documents du Conseil de l'UE, 3,7 % de ceux de la Commission européenne (contre 40 % en 1997) et 11,7 % de ceux du Parlement européen. Selon le professeur, l'équilibre qui s'est maintenu entre l'anglais et le français jusqu'aux années 1990 a disparu au profit d'un anglais international. Bien que la France ait porté ce sujet du multilinguisme lors de sa présidence en 2022, la situation n'a pas progressé depuis.

Pour les rapporteurs, il devient urgent de mettre fin aux dérives du monolinguisme au sein des institutions européennes, d'autant que, selon les enquêtes, seuls 25 % des citoyens européens sont capables de comprendre un article de journal ou une information audiovisuelle en anglais et que, depuis la sortie du Royaume-Uni de l'UE, moins de 1 % de la population des pays membres a l'anglais pour langue maternelle. La défense du multilinguisme au sein de l'UE est un enjeu de citoyenneté et d'égalité essentiel : tous les citoyens doivent pouvoir comprendre les textes qui régissent la vie en Europe.

Aussi, les rapporteurs estiment que les 26 recommandations du groupe de travail sur la diversité linguistique en Europe, présidé par Christian Lequesne, gardent toute leur actualité, parmi lesquelles la demande que le secrétariat général de la Commission produise un rapport annuel sur la pratique du multilinguisme dans les institutions européennes - à l'instar de ce que fait l'ONU, ou que la Commission ne puisse pas rédiger plus de 50 % des documents-sources dans une même langue. Il convient aussi d'exploiter le potentiel que représentent les nouvelles technologies en matière de traduction automatique pour rendre les textes officiels accessibles dans les 24 langues de l'Union européenne.

Les constats dressés pour l'ONU et l'UE en matière de multilinguisme sont à peu près les mêmes pour les autres organisations régionales ou internationales. Seule l'OIF s'est vraiment emparée de la question en activant en 2020, sous l'impulsion de sa Secrétaire générale, un « dispositif de veille, d'alerte et d'action en faveur de la langue française et du multilinguisme dans les organisations internationales ». Un réseau de points de contact nationaux a notamment été constitué afin d'alerter sur les violations avérées au régime linguistique des organisations internationales6(*).

Recommandation n° 1 : Mener une stratégie offensive, en lien avec les pays francophones de l'Union européenne, pour que le français, demeure, dans les faits, la langue de travail des institutions européennes.

2. Un multilinguisme à promouvoir en France

Pour les rapporteurs, le multilinguisme est aussi une valeur à défendre à l'échelle nationale. Il ne peut en effet y avoir de politique de la langue à l'international sans politique de la langue en France ; les deux dimensions sont intimement liées.

Au côté du français, langue nationale, de nombreuses autres langues sont parlées dans l'Hexagone et les Outre-mer ; plus de 75 langues sont ainsi reconnues comme « langues de France » depuis 1999 par le rapport Cerquiglini7(*). Étape importante pour la reconnaissance de cette diversité linguistique, la loi du 21 mai 2021 relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, dite « loi Molac », a inscrit le patrimoine linguistique, constitué de la langue française et des langues régionales, au patrimoine culturel immatériel. Cette mesure oblige l'État et les collectivités territoriales à concourir à l'enseignement, à la diffusion et à la promotion de ces langues.

Une seconde étape a été franchie en 2022 avec l'installation du Conseil national des langues et cultures régionales (CNLCR), dont l'objectif est de développer les coopérations entre l'État et les collectivités territoriales en matière de promotion et de valorisation des langues régionales, dans les domaines de la formation continue, du numérique, des médias et de l'édition.

Les rapporteurs estiment que cette nouvelle instance peut être le lieu d'un dialogue apaisé et constructif entre l'État et les collectivités territoriales sur la question de la coexistence du français, langue de la République, et des langues régionales. Son périmètre mériterait même, selon eux, d'intégrer le champ de la formation initiale (enseignement scolaire et universitaire), car la transmission et la préservation des langues régionales passent avant tout par leur enseignement aux jeunes générations.

Recommandation n° 2 : Promouvoir les langues régionales dans le cadre d'un dialogue constructif entre l'État et les collectivités territoriales.

C. LES TROIS GRANDS DÉFIS D'AVENIR DE LA FRANCOPHONIE

1. Garantir un enseignement du et en français de qualité à travers le monde

Le français, langue d'enseignement à travers le monde

Parmi les 321 millions de francophones à travers le monde, un tiers - soit environ 120 millions d'individus - ont le français pour langue maternelle, tandis que les deux autres tiers - soit environ 200 millions d'individus - ont appris le français.

Plus de 90 millions d'élèves et étudiants suivent leur scolarité en français dans le monde. La langue française est la langue de scolarisation dans les systèmes éducatifs de 36 États et gouvernements (dont 24 se trouvent dans les zones Afrique-océan Indien et Proche-Orient), seule ou aux côtés d'autres langues ; près de 80 % des élèves scolarisés en français sont concentrés sur le continent africain.

Source : « La langue française dans le monde », édition 2022, Organisation internationale de la francophonie (OIF)

Ces chiffres témoignent du statut de langue de scolarisation du français. Cette reconnaissance du français comme « langue des écoles » doit beaucoup au réseau d'enseignement français à l'étranger, animé par l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) - l'opérateur de l'État sous la tutelle du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères (MEAE), et composé de 580 établissements qui accueillent plus de 392 000 élèves (dont deux tiers d'étrangers et un tiers de Français) dans 139 pays8(*).

Le réseau inclut aussi la Mission laïque française (MLF), association liée par convention à l'État, qui fédère 108 établissements scolarisant 61 000 élèves dans 37 pays.

Le français est aussi langue vivante étrangère (FLE - français langue étrangère) pour environ plus de 50 millions d'individus9(*). La répartition et l'évolution du nombre d'élèves apprenants de FLE sont différentes selon les régions ou les pays, et relèvent en grande partie de la volonté des autorités nationales de rendre obligatoire l'enseignement d'une deuxième langue étrangère (voire plus) dans leurs systèmes éducatifs. Ainsi, parmi les apprenants de FLE dans les systèmes scolaires, 44 % vivent en Afrique du Nord-Moyen-Orient ; 25 % en Afrique subsaharienne-océan Indien ; 19 % en Europe ; 9 % aux Amériques-Caraïbes ; 3 % en Asie-Océanie. L'apprentissage du français comme langue étrangère repose aussi historiquement sur le réseau culturel français à l'étranger qui compte notamment 96 instituts français et 829 alliances françaises, auxquels l'Institut français - l'opérateur de l'État sous la tutelle du MEAE et du ministère de la culture, apporte son appui.

Avec près de 140 millions de personnes dont c'est la langue de scolarisation (apprenants en français) ou la langue vivante étrangère (apprenants de français), le français fait l'objet d'une véritable soif d'apprentissage.

Pour répondre à cette demande de français à travers le monde, les effectifs et la formation des personnels enseignants en et de français sont un enjeu central. En effet, sans enseignants en nombre suffisant et bien formés, l'apprentissage du français via un enseignement de qualité ne peut être garanti.

Or le manque d'enseignants en et de français, toutes zones géographiques confondues, a été unanimement pointé par les acteurs de la francophonie auditionnés par les rapporteurs. Il constitue, pour nombre d'entre eux, le premier défi que la francophonie doit relever.

a) Les enseignants du réseau d'enseignement français à l'étranger : d'importants besoins de recrutement pour accompagner le plan de développement du réseau

Parmi les personnels enseignants du réseau d'enseignement français à l'étranger, environ 6 000 sont des personnels titulaires détachés de l'Éducation nationale et des milliers sont des personnels recrutés localement. À la rentrée 2023, 230 postes d'enseignants détachés étaient vacants sur l'ensemble du réseau, un nombre multiplié par deux depuis la rentrée 2022.

Le premier vivier que représentent les enseignants détachés de l'Éducation nationale est en effet fortement limité par le plafond d'emplois et les besoins propres de ce ministère - confronté depuis plusieurs années à une crise du recrutement, ce qui conduit certaines académies à refuser le détachement à l'étranger d'enseignants qui en font la demande faute de pouvoir les remplacer. À la rentrée 2024, 44 refus de détachement ont ainsi été formulés sur les 725 demandes déposées au ministère.

En conséquence, de plus en plus d'enseignants du réseau sont désormais des agents recrutés sur des contrats locaux. Pour ce second vivier, le défi réside dans l'atteinte d'un niveau de formation permettant de préserver la qualité de l'enseignement « à la française », véritable atout du réseau reconnu internationalement. C'est précisément l'une des missions des seize nouveaux instituts régionaux de formation (IRF), créés dans le cadre du plan de développement de l'enseignement français à l'étranger (cf. infra).

Pour atteindre la cible d'un doublement des effectifs scolarisés au sein du réseau d'ici 2030 - soit 700 000 élèves -, 25 000 enseignants supplémentaires sont nécessaires, ce qui représente un besoin de recrutement très conséquent.

À l'occasion de chaque exercice budgétaire, la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport, par la voix de son rapporteur pour avis des crédits de l'action culturelle extérieure, veille à l'état d'avancement du plan, dont l'ambition lui a toujours paru démesurée par rapport aux moyens consentis.

Partageant le même scepticisme sur le degré de réalisme de ce plan, les rapporteurs appellent, dans le cadre du prochain projet de loi de finances, à ne pas faire du recrutement et de la formation des personnels enseignants recrutés localement une variable d'ajustement budgétaire.

Le plan de développement de l'enseignement français à l'étranger

Le 20 mars 2018, à l'occasion de son discours sur la stratégie pour la francophonie et le plurilinguisme, le président de la République a annoncé sa volonté de consolider et dynamiser le réseau scolaire français à l'étranger pour garantir sa pérennité et répondre à la demande croissante d'éducation française à travers le monde. Cette ambition s'exprime notamment par l'intégration de nouveaux établissements partenaires dans le réseau, avec l'objectif de doubler les effectifs accueillis d'ici 2030, pour atteindre 700 000 élèves.

À la suite de cette annonce, le gouvernement français a engagé un plan de développement de l'enseignement français à l'étranger, présenté le 3 octobre 2019 au ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Ce plan poursuit plusieurs objectifs : densifier la capacité d'accueil des établissements existants, inciter des porteurs de projets à développer de nouveaux établissements, attirer de nouvelles familles dans les établissements du réseau, recruter des personnels qualifiés.

Afin de structurer et d'améliorer la formation des personnels des établissements français à l'étranger, ont été créés, le 1er janvier 2022, 16 instituts régionaux de formation (IRF), respectivement situés à Abu Dhabi, Barcelone, Beyrouth, Bogota, Bruxelles, Buenos Aires, Dakar, Hanoï, Johannesburg, Lomé, Munich, Ottawa, Rome, Tananarive, Rabat et Tunis. Ces IRF ont notamment pour mission d'élaborer et de mettre en oeuvre des plans de formation à destination des personnels nouvellement recrutés sur contrat local, sur la base des attendus pédagogiques fixés par l'Éducation nationale et à partir des besoins spécifiques identifiés localement.

b) Les enseignants exerçant dans les systèmes éducatifs des pays francophones : une pénurie doublée d'un manque de formation

La pénurie d'enseignants en français concerne aussi les systèmes éducatifs des autres pays de la francophonie, selon l'état des lieux dressé par le secrétaire général de la Conférence des ministres de l'éducation des États et gouvernements de la francophonie (Confemen) lors de son audition.

Faute de candidats à la fonction enseignante, les États et gouvernements sont parfois contraints de recruter des personnels « faisant fonction », dont le niveau de formation laisse à désirer. En Afrique subsaharienne francophone, par exemple, seulement 64 % des enseignants du primaire sont réellement formés.

En plus d'influer négativement sur la qualité de l'enseignement délivré en français, cette crise des vocations attise aussi la compétition entre pays francophones pour capter la ressource enseignante disponible. On observe ainsi une fuite des compétences des pays francophones du Sud vers ceux du Nord - le Canada notamment, dont l'offre de recrutement est plus attractive.

c) Les enseignants de français langue étrangère : un statut précaire qui compromet les vocations

Les professeurs de français, enseigné comme langue étrangère (FLE), sont en règle générale des passionnés de langue et de culture françaises, qui ont à coeur de faire rayonner l'une et l'autre. Ce sont, pour reprendre l'expression de la présidente de la Fédération internationale des professeurs de français (FIPF) auditionnée par les rapporteurs, « les ambassadeurs de terrain » du français dans le monde.

Or ces professionnels, qui exercent dans les systèmes éducatifs étrangers, dans des centres de langues ou à leur compte - ils sont de plus en plus nombreux à opter pour le statut d'auto-entrepreneur, font majoritairement face à des conditions de travail précaires : statut flou, contrats de travail à durée déterminée, employeurs multiples, niveau de rémunération faible, environnement géopolitique et administratif plus ou moins difficile selon le pays où ils exercent, manque de reconnaissance professionnelle, déficit d'accompagnement et de formation...

Aussi, selon la FIPF, 30 % des professeurs de français « décrochent » après seulement quelques années d'exercice, ce qui laisse de nombreux postes vacants un peu partout dans le monde et compromet le renouvellement des générations de professeurs appelés à partir à la retraite.

d) Faire de la revalorisation du métier d'enseignant de et en français la Grande Cause de la Francophonie

La perte d'attractivité du métier d'enseignant et le vieillissement du corps professoral placent les systèmes éducatifs français et francophones devant un double défi : celui de l'ampleur des besoins de recrutement et celui de la qualité de la formation de la nouvelle génération d'enseignants.

Consciente que ces enjeux conditionnent l'avenir de l'apprentissage du français dans le monde, l'OIF conseille et accompagne les pays francophones dans la mise en oeuvre de leurs politiques linguistiques et éducatives, déploie des actions à destination des enseignants pour renforcer leurs compétences professionnelles et développer leur mobilité, encourage l'éducation bi-plurilingue - notamment en Afrique avec le programme « École et langues nationales en Afrique » ELAN), vient en soutien de la FIPF... Ce volontarisme peut néanmoins parfois se heurter aux choix nationaux de politiques publiques.

Face à l'urgence de la question enseignante, les rapporteurs appellent les États et gouvernements francophones à passer à la vitesse supérieure :

- à l'échelle nationale, en investissant dans les politiques de recrutement et de formation initiale des enseignants, en développant leur formation continue, en revalorisant leur statut - niveau de rémunération, perspectives de carrière, encadrement administratif et pédagogique -, en accompagnant les jeunes professeurs, etc. ;

- à l'échelle de l'espace francophone, en établissant des accords de coopération en faveur de la formation et de la mobilité des enseignants.

Recommandation n° 3 : Faire de la revalorisation du métier d'enseignant de et en français la Grande Cause de la Francophonie, afin de garantir un apprentissage du et en français de qualité, dans l'espace francophone et au-delà.

Pour un dispositif Flam commun à l'espace francophone

Créé en 2001 par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères à l'initiative d'élus représentant les Français établis hors de France, le dispositif Flam (français langue maternelle) vise à soutenir des associations qui proposent des activités autour de la pratique du français en tant que langue maternelle, dans un contexte extrascolaire, à des enfants vivant hors de France et non scolarisés dans un système en français.

En 2023, le réseau associatif Flam comprenait 147 associations à but non lucratif réparties dans 37 pays accueillant près de 10 300 enfants et adolescents dont 80 % de Français. Ce réseau se concentre principalement sur trois pays qui regroupent plus de la moitié des associations à but non lucratif : le Royaume-Uni (43), les États-Unis (20) et l'Allemagne (10).

Ainsi que l'a expliqué la présidente de la fédération Flam Monde aux rapporteurs, le dispositif Flam joue un rôle majeur dans les zones où il n'y a pas d'école française, en permettant aux enfants francophones d'entretenir leurs liens avec la langue et la culture françaises. Les nouvelles associations créées chaque année, comme la structuration du réseau autour de la fédération Flam Monde, montrent le fort potentiel de ce programme, bien que celui-ci soit confronté à des difficultés de recrutement de bénévoles, de fortes contraintes administratives et un niveau de subventionnement plafonné.

Recommandation n° 4 Afin de lui permettre de déployer tout son potentiel, faire évoluer le dispositif Flam vers un programme francophone co-financé par les pays francophones, en s'appuyant sur la structuration du réseau mise en oeuvre par la fédération Flam Monde.

e) Soutenir et ouvrir le réseau culturel français à l'étranger

Le réseau culturel français à l'étranger joue un rôle essentiel dans l'attractivité de la langue française à l'international. Or celui-ci a été fortement ébranlé par les conséquences de la crise sanitaire, puis par celles liées au contexte inflationniste mondial. Parfois menacés de mettre la clef sous la porte, les instituts culturels et les alliances françaises, appuyés par leur tête de réseau - l'Institut français, ont su faire preuve de résilience, d'adaptation et de créativité pour repenser leur offre linguistique et culturelle. Le nombre d'apprenants du français, qui avait chuté pendant la crise Covid (de 500 000 à 400 000 individus pour les alliances), ré-augmente mais n'a pas encore retrouvé son niveau d'avant-crise. Le développement des potentialités offertes par le numérique (cours à distance) constitue, par ailleurs, une nouvelle donne qui bouleverse le modèle économique traditionnel des opérateurs culturels et peut engendrer des effets de bord (apparition d'une concurrence entre les structures du fait de l'abolition des barrières géographiques permise par le numérique).

Si le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a suivi de près la situation du réseau pendant ces années de crises successives, ce n'est qu'à partir de cette année qu'un « réarmement » budgétaire a été enclenché, conformément aux conclusions des États généraux de la diplomatie10(*). Celui-ci reste toutefois « timide », ainsi que l'a qualifié le rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 202411(*).

Les rapporteurs appellent donc à poursuivre le soutien financier au réseau culturel français. Toutefois conscients du contexte budgétaire très contraint, ils proposent qu'une réflexion soit menée sur l'ouverture de ce réseau aux autres pays francophones, aussi bien dans ses actions, son pilotage que dans son financement. Une telle démarche de mutualisation avait déjà été recommandée par la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport, dans son rapport d'information consacré à la francophonie du 21ème siècle12(*).

Recommandation n° 5 : Poursuivre le soutien financier au réseau culturel français et engager une réflexion sur sa mutualisation avec d'autres pays francophones.

2. Valoriser le français comme langue des études supérieures et de la recherche
a) Faire du français une langue d'opportunités

Lors de son audition, la présidente de l'Institut français a relaté aux rapporteurs un échange qu'elle a eu avec un jeune francophone du Bénin, au cours duquel celui-ci lui a demandé : « le français, pour quoi faire ? ». Cette question résume à elle seule le deuxième défi de la francophonie, celui de lier la maîtrise de la langue française aux perspectives qu'elle peut offrir en termes d'opportunités pour faire des études supérieures, notamment à l'international, de possibilités pour obtenir un stage, et d'atouts pour évoluer au sein d'une entreprise ou d'une administration.

Certes, l'apprentissage du français est toujours motivé par le souhait de mieux accéder à la culture française avec toute la charge historique et symbolique qui y est associée mais, dans certaines zones géographiques - en Afrique tout particulièrement, et chez les jeunes générations, la langue française est d'abord appréhendée sous le sceau du pragmatisme. Ainsi que l'a résumé le recteur de l'Agence universitaire de la francophonie (AUF) aux rapporteurs, « le fait d'être francophone doit être perçu comme utile ».

Cette approche très concrète oblige les promoteurs de la langue française et les acteurs de la francophonie institutionnelle à faire du français un atout pour le parcours de vie.

b) Favoriser la mobilité étudiante au sein de l'espace francophone

Source : rapport d'activité 2023 de Campus France, l'opérateur de l'État chargé de la promotion de l'enseignement supérieur français à l'étranger et de l'accueil des étudiants et des chercheurs internationaux

Sans vouloir faire le bilan exhaustif de la stratégie « Bienvenue en France », qui ne relève pas du périmètre de cette mission d'information, les rapporteurs souhaitent néanmoins faire part de plusieurs constats dressés par les représentants de la communauté universitaire française et francophone lors de leur audition.

Bien que se voulant accueillante, la stratégie n'a pas vraiment été perçue comme telle en pratique. L'annonce de la mise en place, à compter de la rentrée universitaire 2019, de frais d'inscription différenciés pour les étudiants extracommunautaires a donné le sentiment que la finalité réelle de cette stratégie n'était non pas d'attirer plus d'étudiants internationaux, indépendamment de leurs origines géographiques et sociales, mais ceux d'entre eux les plus solvables. Tout en estimant à l'époque légitime le principe de différenciation des frais d'inscription universitaires, la commission de la culture, de l'éducation, de la communication avait cependant déploré l'absence de concertation préalable à l'annonce de cette réforme et la non-évaluation de cette mesure sur les étudiants originaires de pays traditionnellement partenaires de la France, au premier rang desquels les pays francophones13(*).

En outre, la simplification de la politique de visas pour les étudiants, qui faisait partie des six axes de la stratégie « Bienvenue en France », ne s'est pas concrétisée dans les faits, beaucoup d'étudiants concernés comparant l'obtention d'un titre de séjour à un véritable parcours du combattant. Qui plus est, selon le recteur de l'AUF, les critères d'attribution des visas sont restés à la main du ministère de l'Intérieur et du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, sans que les universités y soient associées d'une quelconque façon.

Tous ces aspects ont, au final, pu donner le sentiment aux étudiants extracommunautaires, parmi lesquels les étudiants de pays francophones, qu'ils faisaient davantage l'objet d'une politique immigratoire spécifique que d'un réel programme d'accueil.

Forts de ces constats, les rapporteurs sont convaincus de la nécessité de repenser la stratégie en faveur de la mobilité étudiante, prioritairement au sein de l'espace francophone. La francophonie est en effet un puissant vecteur des mobilités étudiantes : 50 % des étudiants étrangers en France sont originaires d'un pays membre de la Francophonie14(*) et 50 % d'autres pays. Entre 2017 et 2022, la croissance du nombre d'étudiants accueillis en France et issus de pays membres de la Francophonie a été plus rapide que la croissance du nombre d'étudiants d'autres pays (+ 25 % contre + 11 %)15(*). Comme l'a affirmé le président de France Universités lors de son audition, les potentialités qu'offre l'espace francophone dans le domaine de l'enseignement supérieur mériteraient d'être davantage exploitées et la France gagnerait à faire de ses universités des fers de lance de la francophonie.

Déjà en 2017, la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport, dans son rapport d'information consacré à la francophonie du 21ème siècle16(*), s'était emparée de ce sujet en proposant la création d'un programme de mobilité étudiante francophone, sur le modèle du programme européen Erasmus. S'inscrivant dans la continuité de ce précédent travail, les rapporteurs réitèrent avec force le besoin d'un tel dispositif, qui favoriserait, auprès des jeunes francophones, le développement d'un sentiment d'appartenance à l'espace francophone.

Ils ont été très satisfaits d'apprendre, par le recteur de l'AUF, qu'un programme de mobilité, sur lequel l'agence travaille depuis de nombreuses années, et qui bénéficie du soutien de l'OIF et de la France, sera présenté à l'occasion du prochain Sommet de la Francophonie. Apportant tout leur soutien à ce projet, ils espèrent que celui-ci sera retenu à l'issue du Sommet, puis rapidement mis en oeuvre.

Le projet de programme de mobilité étudiante au sein de l'espace francophone élaboré par l'AUF et soutenu par l'OIF et la France

Ce projet a dû répondre à trois défis « techniques » : le mode de gouvernance, la reconnaissance des diplômes entre pays et les modalités de financement.

Selon les informations transmises par le recteur de l'AUF, le programme envisagé proposerait des courts séjours - de un à quatre mois, plus faciles à gérer et à financer que les longs séjours, et s'adresserait à des étudiants en master et doctorat. Trois types de mobilité seraient concernés : une mobilité d'études, une mobilité de recherche et une mobilité d'entreprise, ces deux dernières - plus novatrices - nécessitant un travail de mise en oeuvre très spécifique.

Le dispositif reposerait sur des partenariats et bourses d'échanges entre universités francophones, situées aussi bien dans l'hémisphère Nord que dans l'hémisphère Sud : chaque établissement partenaire définirait sa capacité d'accueil d'étudiants francophones ; en retour, il enverrait un nombre équivalent de ses étudiants au sein de l'espace francophone. Une plateforme numérique serait mise en place pour que les universités partenaires puissent présenter leurs capacités d'accueil et les étudiants faire part de leurs souhaits de mobilité.

Le financement serait, quant à lui, partagé entre les pays francophones partenaires, ce co-financement Nord/Sud étant, selon l'AUF, une condition indispensable à la réciprocité d'accueil.

Recommandation n° 6 : Créer un « Erasmus francophone », afin de susciter chez la population étudiante un sentiment d'appartenance à l'espace francophone.

Pour les rapporteurs, la mise en oeuvre d'un tel programme de mobilité étudiante au sein de l'espace francophone suppose corrélativement de faciliter l'obtention d'un titre de séjour francophone aux étudiants éligibles, dans un nécessaire souci de simplification.

Recommandation n° 7 : Faciliter l'obtention d'un visa francophone aux étudiants éligibles à ce programme de mobilité dans l'espace francophone.

c) Faciliter la mobilité des jeunes chercheurs dans l'espace francophone

Malgré sa place centrale dans l'histoire des idées et des sciences, la France n'est plus perçue, dans le contexte concurrentiel mondial, comme une nation de Science de premier rang. Illustration de ce constat, l'attractivité des formations doctorales françaises, portes d'entrée vers la recherche, tend à s'éroder : selon Campus France, le nombre d'étudiants étrangers en doctorat dans les universités françaises a, entre 2017 et 2022, diminué de 15 %, avec des baisses par zone géographique pouvant aller jusqu'à - 18 % (pour l'Asie-Océanie). Dans cette tendance générale à la baisse, seuls les effectifs de doctorants de certaines nationalités (Libanais, Marocains ou Togolais) continuent de progresser.

La mobilité des doctorants, et plus globalement celle des jeunes chercheurs, joue pourtant un rôle crucial à plusieurs niveaux. Sur le plan professionnel, elle permet d'enrichir la formation des intéressés, d'augmenter la visibilité de leurs travaux et de faciliter les collaborations entre équipes scientifiques. Sur le plan institutionnel, elle a d'importantes retombées positives pour les établissements d'enseignement supérieur et de recherche en termes d'attractivité à l'international et d'opportunités partenariales. Sur le plan scientifique, elle constitue un puissant levier pour favoriser la diffusion des connaissances et améliorer l'état de la recherche.

Les rapporteurs appellent donc à faire de la mobilité des jeunes chercheurs au sein de l'espace francophone un enjeu du prochain Sommet de la Francophonie. Un travail entre pays francophones du Nord et du Sud doit, selon eux, être entrepris pour lever les obstacles administratifs et financiers qui freinent aujourd'hui cette mobilité, et mettre en place des mécanismes plus flexibles et incitatifs, tels que des bourses de mobilité, un titre de séjour spécifique, des partenariats institutionnels renforcés et des programmes de recherche conjoints.

Recommandation n° 8 : Mettre en place, au sein de l'espace francophone, un programme de mobilité en faveur des jeunes chercheurs.

d) Promouvoir le savoir scientifique en français et oeuvrer en faveur d'un espace scientifique francophone

Le savoir en langue française a historiquement et philosophiquement irrigué et marqué de son empreinte le monde des sciences et de la recherche. La langue comme véhicule de la production scientifique n'est en effet pas neutre ; elle renvoie à des façons de voir le monde et à des écoles de pensées. La tradition intellectuelle en langue française a ainsi donné naissance à une recherche francophone riche et diverse, qui est à la fois une force et une spécificité de la francophonie.

Force est cependant de constater que, depuis une vingtaine d'années, la diffusion du savoir en langue française recule dans le monde, y compris dans les pays francophones. L'anglais est devenu la lingua franca des sciences naturelles et gagne de plus en plus de terrain au sein même des sciences sociales et humaines, traditionnellement plus enclines au multilinguisme. Dans les universités canadiennes francophones, le nombre de revues scientifiques bilingues et en français recule ; en Afrique francophone, qui compte de plus en plus de jeunes chercheurs, la science en français fait l'objet d'une très faible diffusion.

Cette prédominance de l'anglais scientifique est entretenue par l'incitation, voire l'injonction, faite aux chercheurs à publier en anglais pour accroître la visibilité de leur recherche et améliorer ainsi l'évaluation qui peut être faite de leur production scientifique. Non seulement cette tendance de fond, qui concerne désormais toutes les disciplines scientifiques, menace d'affaiblir la qualité de la recherche - car il est établi que certains champs de réflexion et certaines subtilités de raisonnement développées en français ne se prêtent pas forcément à la traduction, mais elle nuit aussi au rayonnement de la science en français.

Depuis plusieurs années, la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport alerte sur les dangers du monolinguisme dans les sciences et plaide pour favoriser l'usage du français comme langue de la recherche. Elle l'a notamment fait en 2020, lors de l'examen de la loi de programmation de la recherche, dont l'article 16 confie au Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) la mission de favoriser « l'usage de la langue française comme langue scientifique ».

S'inscrivant dans la continuité de cette position, les rapporteurs insistent sur la nécessité de valoriser le français comme langue de savoir et de pratique scientifique. L'un des leviers d'action consisterait à rendre la publication scientifique directement en anglais moins incitative, par exemple en prévoyant que l'évaluation des chercheurs accorde une place moins importante aux publications dans les revues anglo-saxonnes et qu'à l'inverse, elle tienne davantage compte des publications en français.

Recommandation n° 9 : Encourager et valoriser la production scientifique en français, notamment dans le cadre de l'évaluation scientifique des chercheurs.

Les rapporteurs plaident en outre pour que les réflexions et initiatives en cours sur la francophonie scientifique17(*), entendue comme un espace scientifique à développer autour de la langue française, figurent parmi les priorités de la France et de ses partenaires francophones. Ils soutiennent tout particulièrement l'initiative de l'AUF en faveur d'« une diplomatie scientifique francophone »18(*), dont l'objectif est de créer, au sein de l'espace francophone, une dynamique entre le politique et le scientifique autour de cet enjeu.

Le prochain Sommet de la Francophonie et la quatrième édition de la Semaine mondiale de la Francophonie scientifique, qui se déroulera à Toulouse du 14 au 18 octobre 2024, doivent être l'occasion de conforter cette initiative.

Recommandation n° 10 : Soutenir l'émergence d'un espace scientifique francophone.

3. Renforcer la présence du français dans l'écosystème numérique
a) Capitaliser sur la relative bonne place du français sur Internet 

Les enjeux liés à Internet et aux technologies de communication numériques comportent une dimension linguistique majeure compte tenu de la domination historique de l'anglais dans ce secteur. À ses débuts, Internet est en effet exclusivement anglophone : créé en 1969 à l'initiative du Pentagone pour sa communication militaire, il est ensuite utilisé par les administrations et les universités américaines. Après 1989, avec la création du web, suivie de celle des moteurs de recherche, Internet se développe d'abord aux États-Unis puis dans le reste du monde, devenant un puissant vecteur de diffusion anglophone.

Si l'anglais continue de dominer aujourd'hui sur la toile, sa place relative se restreint progressivement depuis une dizaine d'années, sous l'effet de l'arrivée massive d'internautes de langues asiatiques et de langue arabe. Dans ce contexte de repositionnement des langues sur Internet, le français occupe une place relativement favorable. Selon une étude mentionnée par les derniers rapports de l'OIF et de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF)19(*), il se situe en quatrième position pour les contenus (soit 3,3 % des pages), à un niveau équivalent à l'hindi, au russe, au portugais et à l'arabe, mais à un niveau en dessous du chinois (21,60 %), de l'anglais (19,60 %) et de l'espagnol (7,85 %). Une autre étude citée par la DGLFLF20(*), qui s'intéresse non pas au nombre de pages, mais au poids effectif des langues sur Internet, place le français en seconde position après l'anglais, l'espagnol, l'allemand et le russe.

Sachant que la vitalité d'une langue se mesure de plus en plus à sa capacité à être présente et utilisée dans l'espace numérique, faire du français une grande langue du numérique constitue le troisième défi de la francophonie du 21ème siècle.

b) Lutter contre la fracture numérique dans l'espace francophone

À moyen-long terme, alors que la place relative de l'anglais sur Internet devrait continuer à se restreindre, celle du français devrait mécaniquement s'étendre avec l'arrivée de nouveaux internautes francophones en provenance d'Afrique, compte tenu des prévisions de croissance démographique prévues pour ce continent. Un tel scénario suppose toutefois que les taux de connexion des pays d'Afrique francophone se rapprochent de ceux des pays asiatiques et arabes, qui tendent eux-mêmes à rattraper ceux des pays occidentaux.

Or, à ce jour, la fracture numérique est encore très prononcée en Afrique. Malgré les progrès réalisés ces dernières années, seuls 36 % de la population africaine disposaient d'un accès à Internet haut débit en 2022, selon l'Unesco. Outre la problématique des conditions d'accès aux infrastructures, se pose celle de l'appropriation des outils numériques par les populations concernées, toutes deux faisant d'ailleurs partie des cinq axes de la « Stratégie de la Francophonie numérique 2022-2026 » définie par l'OIF.

Estimant que la lutte contre la fracture numérique constitue un levier essentiel d'action pour développer l'usage du français sur Internet, les rapporteurs appellent les États et gouvernements membres de la Francophonie à dresser, lors du prochain Sommet, un état des lieux de la stratégie en cours et à l'intensifier.

Recommandation n° 11 : Intensifier la lutte contre la fracture numérique dans l'espace francophone.

c) Accroître la découvrabilité des contenus numériques francophones

Né et développé au Québec, le récent concept de découvrabilité désigne la capacité d'un contenu (culturel, scientifique, juridique, économique...) disponible en ligne à être facilement repérable ou trouvable parmi un vaste ensemble d'autres contenus, notamment par une personne qui n'en faisait pas précisément la recherche.

La découvrabilité des contenus numériques francophones est un enjeu majeur pour valoriser la langue française et la diversité des expressions francophones dans un espace numérique encore très anglophone. Deux secteurs sont particulièrement concernés par la question de la découvrabilité : la culture et la science.

(1) La découvrabilité des contenus culturels francophones

Malgré leur grande diversité, les contenus culturels et artistiques francophones sont insuffisamment présents et accessibles sur la toile. La « plateformisation » de la diffusion et de la distribution de la culture - tous domaines confondus (cinéma, musique, audiovisuel, littérature...) - a bouleversé les schémas traditionnels dans la mise en relation de l'offre et de la demande, particulièrement au profit des GAFAM21(*). Selon l'OIF, « ce cercle restreint d'acteurs mondiaux profite des avancées technologiques pour contrôler et concentrer l'offre culturelle, menaçant la garantie de la découvrabilité des contenus culturels francophones ». En effet, par l'intermédiaire des algorithmes de recherche ou de recommandation qu'elles éditent, les plateformes numériques interviennent directement dans la mise en avant de contenus et selon des objectifs n'étant pas forcément alignés avec ceux de la promotion de la diversité des expressions culturelles.

Conscients de l'ampleur du défi qui se joue pour assurer la pérennité des industries culturelles francophones, le Québec et la France collaborent activement depuis quelques années sur cette question. Après avoir mené en 2019 une mission commune sur la découvrabilité en ligne des contenus culturels francophones22(*), les deux partenaires ont décidé l'année suivante de définir une stratégie commune en douze objectifs (cf. schéma infra). Cette stratégie vient appuyer les actions déjà entreprises en France et au Québec, notamment celles visant à assurer l'appétence des citoyens envers les contenus nationaux, ainsi qu'une juste rémunération de l'ensemble des acteurs créant ou diffusant des contenus culturels.

Pour les rapporteurs, cette collaboration franco-québécoise constitue un cadre d'action particulièrement prometteur qui mériterait de faire école au sein de la Francophonie, pour décupler les forces, notamment face aux grandes plateformes numériques.

Recommandation n° 12 : Lancer une initiative, au sein de la Francophonie, en faveur de la découvrabilité en ligne des contenus culturels francophones, donnant lieu à une stratégie commune d'action, sur le modèle de celle élaborée par la France et le Québec.

Les rapporteurs appellent par ailleurs l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco), dans le cadre de sa réflexion en cours sur la diversité des expressions culturelles dans l'environnement numérique, à amender sa Convention de 200523(*), pour y introduire l'enjeu de découvrabilité des contenus culturels.

Recommandation n° 13 : Amender la convention de l'Unesco de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, afin d'y introduire l'enjeu de découvrabilité des contenus culturels numériques.

(2) La découvrabilité des contenus scientifiques francophones

La science est le deuxième secteur particulièrement concerné par la problématique de la découvrabilité, l'édition scientifique étant largement dominée par des acteurs anglo-saxons qui ne publient qu'en anglais.

Bien que menacée par le monolinguisme scientifique anglophone, l'édition scientifique francophone résiste. En audition, le directeur général adjoint de la plateforme de publication scientifique francophone Cairn.info l'a même qualifiée de « très dynamique », faisant valoir le nombre important de revues scientifiques francophones nouvellement créées et le développement de celles déjà existantes. Selon ses chiffres, environ 1 500 revues francophones sont disponibles en ligne, générant un fort « trafic ». En 2023, Cairn.info comptait ainsi plus de 150 millions de lectures, dont 75 % émanant d'internautes ayant un accès gratuit à la plateforme (les 25 % restants provenant d'institutions abonnées).

Cette appétence pour la lecture de contenus scientifiques francophones doit être encouragée et facilitée en augmentant la capacité de ces derniers à être découvrables dans l'immensité numérique. Une telle démarche suppose de travailler sur le référencement de la production scientifique en français, sur l'émergence d'espaces éditoriaux numériques francophones, sur les conditions de mise en oeuvre d'une science ouverte « équilibrée » comme l'a recommandé l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst)24(*), sur l'utilisation des outils de traduction automatique rendue possible par l'intelligence artificielle, etc.

Dans ce domaine aussi, le Québec et la France font figure de précurseurs. Le 14 mai 2024, les deux pays ont en effet signé un partenariat sur la découvrabilité des contenus scientifiques francophones. Les rapporteurs se félicitent de cette récente initiative bilatérale qui nécessiterait, selon eux, d'être élargie à l'ensemble des partenaires francophones : la politique de découvrabilité des contenus francophones sera en effet d'autant plus efficace qu'elle émanera d'une coopération intergouvernementale plus large.

Recommandation n° 14 : Élargir la coopération bilatérale franco-québécoise sur la découvrabilité en ligne des contenus scientifiques francophones à d'autres partenaires francophones.

II. RÉACTUALISER, RENFORCER ET MIEUX APPLIQUER LA LOI TOUBON

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 2 OCTOBRE 2024 

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M. Laurent Lafon, président. - Notre ordre du jour appelle à présent l'examen du rapport préparé par Catherine Belrhiti, Yan Chantrel et Pierre-Antoine Levi consacré à la francophonie, quelques semaines après le trentième anniversaire de la loi Toubon, promulguée le 4 août 1994, et à quelques jours du Sommet de la Francophonie.

Je vous propose de donner immédiatement la parole à nos rapporteurs pour nous présenter le résultat de leurs travaux et leurs recommandations.

M. Yan Chantrel, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, l'année 2024 est ponctuée de temps forts et inédits pour la langue française : l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques cet été ; la célébration des trente ans de la loi Toubon le 4 août dernier ; la tenue du XIXe Sommet de la Francophonie les 4 et 5 octobre prochains à Villers-Cotterêts - le premier à se tenir en France depuis 33 ans.

Dans ce contexte d'« effervescence francophone », pour reprendre une expression entendue lors d'une de nos auditions, il était logique que notre commission s'empare du sujet de la langue française et de son rayonnement, qu'elle n'avait pas retravaillé depuis la publication, en 2017, du rapport d'information de nos prédécesseurs Claudine Lepage et Louis Duvernois sur la francophonie du XXIe siècle.

Notre mission avait donc pour objectif premier de faire une saisie sur le vif de l'état de la francophonie et de formuler des recommandations en vue du prochain sommet, qui, précisons-le, réunira les représentants de près d'une centaine d'États.

Notre second objectif était de dresser un état des lieux de l'application de la loi Toubon et d'identifier les voies d'évolution de ce cadre fondateur. Il ne peut en effet y avoir de politique de la langue française à l'international sans politique de la langue en France ; les deux dimensions sont intimement liées.

Commençons tout d'abord par un rapide panorama chiffré et illustré des usages de la langue française dans le monde : le français est parlé sur tous les continents par environ 321 millions de personnes, ce qui en fait la cinquième langue la plus parlée au monde ; le français est la deuxième langue la plus apprise à l'international, 90 millions d'élèves suivant leur scolarité en français et 50 millions de personnes apprenant le français comme langue étrangère (FLE) ; le français est aussi la deuxième langue d'information internationale et la deuxième langue de travail officielle dans les organisations internationales ; le français est enfin une langue du numérique, puisqu'elle se situe en quatrième position en matière de contenus et en deuxième position parmi les langues utilisées par les internautes.

Ces chiffres révèlent un état général de la langue française que nous qualifions de plutôt bon, diagnostic partagé par les acteurs de la francophonie que nous avons auditionnés. La croissance du français à l'international se poursuit en effet à un rythme satisfaisant, avec + 8 % de locuteurs entre 2018 et 2022. Il faut toutefois noter un léger infléchissement par rapport à la période précédente 2014-2018, au cours de laquelle le nombre de francophones avait augmenté de 10 %. Ce léger ralentissement oblige, selon nous, à être vigilant sur les conditions nécessaires à la progression du français, notamment dans les pays où il n'est pas la langue première.

Cette remarque nous conduit à nous arrêter quelques instants sur le continent africain, qui porte le dynamisme de la langue française depuis une dizaine d'années.

Aujourd'hui, 60 % des locuteurs quotidiens du français vivent en Afrique et, parmi eux, plus de 47 % en Afrique subsaharienne. C'est dans cette zone géographique que l'augmentation du nombre de francophones a été la plus importante ces dernières années. Ces francophones subsahariens sont très majoritairement des jeunes et représentent, de fait, une potentialité de croissance forte pour la francophonie. La vitalité démographique africaine explique d'ailleurs les prévisions du nombre de francophones d'ici à 2050, estimé par l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) à 715 millions d'individus. À cet horizon, près de 90 % de la jeunesse francophone serait africaine.

Nous pensons toutefois que ces projections optimistes mériteraient d'être modérées par la prise en compte de l'évolution du contexte géopolitique en Afrique de l'Ouest, où plusieurs récentes prises de pouvoir par des militaires se sont déroulées dans un climat général anti-France très marqué, qui pourrait, à terme, fragiliser l'usage de la langue française.

La pratique du français en Afrique est aussi caractérisée par le fait que les francophones sont majoritairement plurilingues et que le français est rarement leur première langue. Dans le monde du travail, la langue française continue d'être très présente, voire est la langue principale, mais dans la sphère familiale et la vie quotidienne, ce sont les langues africaines qui sont prioritairement parlées. La langue française est d'ailleurs perçue, par ses locuteurs africains non natifs, essentiellement comme un outil fonctionnel. Cette approche pragmatique du français nous montre que sa promotion est fortement liée à notre capacité à valoriser les opportunités que sa maîtrise offre, dans le respect d'une pratique plurilingue. Nous y reviendrons un peu plus loin.

Mme Catherine Belrhiti, rapporteure. - Cette réalité plurilingue nous offre l'occasion de rappeler avec conviction, mes chers collègues, que la francophonie n'est pas la promotion de la langue française au détriment des autres langues, mais bien une démarche d'ouverture et d'enrichissement au contact de celles-ci, qui s'inscrit dans la tradition humaniste de la France. Francophonie et multilinguisme vont de pair : le rayonnement du français ne peut être assuré que dans le respect de la diversité linguistique, à l'international et en France. À ce stade de notre exposé, une précision sémantique s'impose : le plurilinguisme traduit la capacité d'une personne à parler plusieurs langues, tandis que le multilinguisme caractérise la coexistence de plusieurs langues au sein d'une même société.

Dans notre rapport, nous alertons sur la dérive vers un monolinguisme anglophone dans les organisations internationales, alors que celles-ci devraient être les fers de lance du plurilinguisme linguistique. Même lorsque le français est officiellement langue de travail, l'anglais reste la langue privilégiée. Tel est le cas, par exemple, à l'Organisation des Nations Unies (ONU), où la quasi-totalité des documents du secrétariat général est disponible en anglais, contre seulement 16 % en français.

Le constat est tout aussi alarmant concernant les institutions européennes. Les documents ayant pour langue-source le français ne représentent que 2 % des documents du Conseil, 3,7 % de ceux de la Commission européenne - contre 40 % en 1997 ! -, et 11,7 % de ceux du Parlement européen. Bien que la France ait porté le sujet du multilinguisme lors de sa présidence en 2022, la situation n'a guère progressé depuis. Aussi, nous pensons qu'une stratégie plus offensive pour défendre le français comme langue de travail des institutions européennes est nécessaire, en lien avec nos partenaires francophones européens. Tel est le sens de notre première recommandation.

Le multilinguisme est aussi une valeur à défendre à l'échelon national. Avec ses 75 « langues de France », dont une majorité de langues régionales, notre pays se caractérise par une diversité linguistique, à laquelle la loi du 21 mai 2021 relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, dite loi Molac, a apporté une protection au titre du patrimoine immatériel.

Notre deuxième recommandation rappelle que cette disposition oblige l'État et les collectivités territoriales à concourir, dans le cadre d'un dialogue apaisé et constructif, à la promotion de ces langues.

Après ce rappel en forme de plaidoyer sur le multilinguisme, nous avons choisi d'identifier et d'approfondir trois grands défis de la francophonie - il y en aurait beaucoup d'autres -, qui se rapportent à des secteurs de compétence de notre commission.

Le premier est la garantie des conditions d'enseignement du et en français dans le monde, le deuxième la valorisation du français comme langue des études supérieures et de la recherche, le troisième le renforcement de la présence du français dans l'écosystème numérique.

Avec près de 140 millions de personnes dont c'est la langue de scolarisation (apprenants en français) ou la langue vivante étrangère (apprenants de français), le français fait l'objet d'une véritable soif d'apprentissage. Pour répondre à cette demande de français à travers le monde, les effectifs et la formation des personnels enseignants de et en français sont un enjeu central. En effet, sans enseignants en nombre suffisant et bien formés, l'apprentissage du français via un enseignement de qualité ne peut être garanti.

Or le manque d'enseignants en et de français, toutes zones géographiques confondues, a été unanimement pointé par les acteurs de la francophonie avec qui nous avons échangé. Remédier à cette pénurie constitue, aux yeux de tous, l'un des défis les plus urgents que la francophonie doit relever.

Les besoins de recrutement concernent d'abord notre réseau d'enseignement français à l'étranger dont, vous le savez, le Président de la République souhaite doubler les effectifs d'ici à 2030. Pour atteindre la cible des 700 000 élèves scolarisés, 25 000 enseignants supplémentaires sont nécessaires, besoin qu'il est impossible de combler par le seul recrutement de personnels détachés de l'Éducation nationale, cette dernière étant elle-même confrontée à une importante pénurie d'enseignants. L'autre levier consiste donc à recruter davantage de personnels locaux, en veillant à leur délivrer une formation permettant de préserver la qualité de l'enseignement « à la française », véritable atout du réseau reconnu internationalement. Ce point de vigilance est rappelé, depuis plusieurs exercices budgétaires, par notre rapporteur pour avis des crédits de l'action culturelle extérieure. Nous-mêmes serons attentifs à ce que, dans le prochain budget, le recrutement et la formation des personnels locaux ne fassent pas office de variable d'ajustement.

La pénurie d'enseignants concerne aussi les systèmes éducatifs de nos partenaires francophones qui sont parfois contraints, faute de candidats, de recruter des personnels « faisant fonction », dont le niveau de formation laisse à désirer. En plus de compromettre la qualité de l'enseignement en français, cette crise du recrutement attise la compétition entre pays francophones pour capter la ressource enseignante disponible.

Les vacances de postes sont particulièrement nombreuses chez les enseignants de FLE. Leurs conditions de travail globalement très précaires découragent les vocations : 30 % de ces professeurs décrochent après seulement quelques années d'exercice.

Compte tenu de ce tableau assez sombre, nous proposons que la revalorisation du métier d'enseignant de et en français soit définie comme grande cause de la francophonie. L'objectif est d'inciter les États et gouvernements francophones à passer à la vitesse supérieure : à l'échelon national, en investissant dans les politiques de recrutement et de formation initiale des enseignants, en développant leur formation continue, en revalorisant leur statut, en accompagnant davantage les jeunes professeurs ; à l'échelon de l'espace francophone, en établissant des accords de coopération en faveur de la formation et de la mobilité des enseignants.

M. Yan Chantrel, rapporteur. - Garantir l'apprentissage du français dans le monde passe aussi par le soutien à notre réseau culturel, qui joue un rôle essentiel dans l'attractivité de notre langue. Fortement ébranlés par la crise sanitaire puis la crise inflationniste, les instituts culturels et les alliances françaises ont su faire preuve de résilience et d'adaptation pour repenser leur offre linguistique et culturelle.

Leur situation financière restant globalement très fragile, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a enclenché, cette année, un réarmement budgétaire, que nous appelons à poursuivre. Toutefois, compte tenu du contexte budgétaire actuel, nous proposons qu'une réflexion soit menée sur l'ouverture de notre réseau culturel aux autres pays francophones, aussi bien dans ses actions, son pilotage que dans son financement : il s'agit, autrement dit, de mettre nos forces francophones en commun. Une telle démarche de mutualisation avait déjà été suggérée par notre commission en 2017, sans qu'il y soit donné suite.

Le deuxième grand défi de la francophonie que nous identifions est la valorisation du français comme langue des études supérieures et de la recherche.

L'apprentissage du français est, bien sûr, toujours motivé par le souhait de mieux accéder à la culture française mais, dans certains pays, africains notamment, et chez les jeunes générations, la langue française est d'abord appréhendée sous le sceau du pragmatisme. Lors de son audition, la présidente de l'Institut français nous a ainsi raconté un échange qu'elle a eu avec un jeune francophone du Bénin, au cours duquel celui-ci lui a demandé : « le français, pour quoi faire ? ». Cette question résume très bien ce qui est aujourd'hui attendu de la maîtrise de la langue française : des opportunités pour faire des études supérieures, des facilités pour obtenir un stage, des perspectives pour accéder à la sphère professionnelle, etc.

Faire du français un atout pour le parcours de vie doit donc, selon nous, être l'une des lignes directrices de la francophonie des prochaines années.

Concrètement, il nous faut collectivement mieux exploiter les potentialités qu'offre l'espace francophone dans le domaine de l'enseignement supérieur et nous doter d'une stratégie francophone en faveur de la mobilité étudiante. C'est pourquoi nous préconisons, comme l'avaient fait nos prédécesseurs en 2017, la création d'un programme de mobilité étudiante au sein de l'espace francophone, inspiré du modèle européen Erasmus, lequel a contribué à renforcer le sentiment d'appartenance à l'espace européen.

Lors de l'audition de l'Agence universitaire de la francophonie (AUF), nous avons eu la satisfaction d'apprendre que la France présenterait, à l'occasion du prochain sommet, un projet s'en rapprochant. Celui-ci s'adresserait, dans un premier temps, à des étudiants en master et doctorat pour de courts séjours d'étude ou de recherche, d'un à quatre mois. Le dispositif reposerait sur des partenariats et bourses d'échanges entre universités francophones et serait co-financé par les pays francophones.

Nous apportons tout notre soutien à cette initiative, dont nous espérons qu'elle pourra rapidement se concrétiser à l'issue du sommet. Nous pensons également que la mise en oeuvre d'un tel programme de mobilité implique de faciliter l'obtention d'un visa francophone aux étudiants éligibles, dans un nécessaire souci de simplification des démarches.

À l'échelon non plus de l'espace francophone, mais de la France, il est intéressant de noter que 50 % des étudiants étrangers accueillis sont originaires d'un pays francophone, ce qui témoigne du fort potentiel francophone de nos établissements d'enseignement supérieur. Le président de France Universités nous a d'ailleurs dit souhaiter que les universités deviennent des fers de lance de la francophonie.

Qui dit mobilité des étudiants francophones dit aussi mobilité des jeunes chercheurs francophones.

Malgré sa place centrale dans l'histoire des idées et des sciences, la France n'est plus perçue, dans le contexte concurrentiel mondial, comme une nation de science de premier rang. Illustration de ce constat, l'attractivité des formations doctorales françaises, portes d'entrée vers la recherche, est en recul : entre 2017 et 2022, le nombre d'étudiants étrangers en doctorat dans les universités françaises a diminué de 15 %.

La mobilité des doctorants, et plus globalement celle des jeunes chercheurs, joue pourtant un rôle crucial à plusieurs niveaux : sur le plan professionnel, elle permet d'enrichir la formation des intéressés et d'augmenter la visibilité de leurs travaux ; sur le plan institutionnel, elle a des retombées positives pour les établissements en termes d'attractivité à l'international ; sur le plan scientifique, elle constitue un puissant levier pour favoriser la diffusion des connaissances.

Nous appelons donc à faire de la mobilité des jeunes chercheurs au sein de l'espace francophone un enjeu du prochain sommet. Plusieurs axes d'action sont envisageables : lever les obstacles administratifs et financiers qui freinent aujourd'hui cette mobilité ; mettre en place des mécanismes plus flexibles et incitatifs, tels que des bourses, des partenariats institutionnels renforcés, des programmes de recherche conjoints.

Ces recommandations sur la recherche francophone nous conduisent inévitablement à nous poser la question de l'avenir du savoir scientifique en langue française. En effet, depuis une vingtaine d'années, la diffusion du savoir en français recule dans le monde, y compris dans les pays francophones. L'anglais est devenu la lingua franca des sciences naturelles et gagne de plus en plus de terrain au sein même des sciences sociales et humaines, traditionnellement plus portées sur le multilinguisme.

Cette prédominance de l'anglais scientifique est entretenue par l'incitation, voire l'injonction faite aux chercheurs à publier en anglais pour accroître la visibilité de leurs recherches et améliorer l'évaluation de leur production scientifique.

À plusieurs occasions ces dernières années, notre commission a pointé les dangers du monolinguisme dans les sciences et plaidé pour favoriser l'usage du français comme langue de la recherche. Nous réaffirmons avec force cette position en appelant à valoriser la production scientifique en français, notamment dans le cadre de l'évaluation des chercheurs. L'un des leviers d'action consisterait à rendre la publication scientifique directement en anglais moins incitative et à tenir davantage compte des publications en français.

Au sein de l'espace francophone, il nous faut soutenir les réflexions et initiatives en cours sur « la francophonie scientifique », comprise comme un espace scientifique à développer autour de la langue française, en nous appuyant sur la diversité et le dynamisme de la recherche francophone.

M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. - Mes chers collègues, le troisième défi de la francophonie du XXIsiècle est de faire du français une grande langue du numérique.

Certes, l'anglais continue de dominer dans ce secteur, notamment pour des raisons historiques, mais sa place se restreint progressivement depuis une dizaine d'années, sous l'effet de l'arrivée massive d'internautes pratiquant d'autres langues. Dans ce contexte de repositionnement des langues sur Internet, le français occupe une position plutôt favorable, qui devrait mécaniquement s'améliorer avec la venue de nouveaux internautes francophones en provenance d'Afrique.

Un tel scenario suppose toutefois que la fracture numérique, encore très prononcée sur ce continent, se réduise. C'est pourquoi nous appelons les pays francophones à faire de la lutte contre la fracture numérique un levier essentiel d'action pour développer l'usage du français sur internet.

Pour valoriser la langue française et la diversité des expressions francophones dans un espace numérique encore très anglophone, un autre grand enjeu consiste à améliorer la découvrabilité des contenus francophones.

De quoi s'agit-il ? Ce concept, né et développé au Québec, désigne la capacité d'un contenu - culturel, scientifique, juridique, économique... - disponible en ligne à être facilement repérable ou trouvable parmi un vaste ensemble d'autres contenus, notamment par une personne qui n'en faisait pas forcément la recherche. Deux secteurs sont particulièrement concernés par cette problématique : la culture et la science.

Malgré leur grande diversité, les contenus culturels et artistiques francophones sont insuffisamment présents et accessibles sur la toile. En effet, par l'intermédiaire des algorithmes de recherche qu'elles éditent, les grandes plateformes numériques anglo-saxonnes interviennent directement dans la mise en avant de contenus, selon des objectifs qui ne sont pas forcément ceux de la promotion de la diversité des expressions culturelles et linguistiques.

Conscients de la menace que de telles pratiques représentent pour la pérennité des industries culturelles francophones, le Québec et la France collaborent activement depuis quelques années sur cette question. Les deux pays ont ainsi défini en 2020 une stratégie commune en douze objectifs pour améliorer la découvrabilité des contenus culturels francophones. Nous estimons que cette collaboration franco-québécoise constitue un cadre d'action particulièrement prometteur qui mériterait de faire école au sein de la francophonie, pour décupler nos forces, notamment face aux Gafam.

La science est l'autre grand secteur concerné par le sujet, l'édition scientifique étant elle aussi très largement dominée par les acteurs anglo-saxons.

Favoriser la découvrabilité des contenus scientifiques francophones suppose de travailler à la fois sur le référencement de la production scientifique en français, sur l'émergence d'espaces éditoriaux numériques francophones, sur les conditions de mise en oeuvre d'une science ouverte équilibrée, comme l'a recommandé l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), ainsi que sur l'utilisation des outils de traduction automatique.

Dans ce domaine aussi, le Québec et la France font figure de précurseurs. Le 14 mai dernier, les deux pays ont en effet signé un partenariat sur la découvrabilité des contenus scientifiques francophones. Nous nous félicitons de cette initiative bilatérale, que nous pensons devoir être élargie à l'ensemble des partenaires francophones : la politique de découvrabilité des contenus francophones sera d'autant plus efficace qu'elle émanera d'une coopération intergouvernementale plus large.

Abordons, enfin, la loi du 4 août 1994, dite loi Toubon, dont il nous paraissait important de dresser un état des lieux, alors que ce texte fondateur vient tout juste de fêter son trentième anniversaire.

Posant dès son article premier le principe selon lequel le français est « la langue de l'enseignement, du travail, des échanges et des services publics » et « le lien privilégié des États constituant la communauté de la francophonie », les dispositions de ce texte ont, lors de son adoption, fait l'objet d'un large consensus qui a transcendé les sensibilités politiques.

Aujourd'hui encore, la loi Toubon touche à de multiples aspects de notre quotidien de par son champ d'application particulièrement large, qu'il s'agisse du monde du travail, de l'audiovisuel, de l'enseignement supérieur et de la recherche ou encore de la publicité.

Elle assure ainsi la sécurité du consommateur comme du salarié en imposant un accès à l'information en français et garantit l'intelligibilité des annonces et affichages dans l'espace public, tout en permettant un accès égalitaire au savoir, à la culture et aux loisirs.

Depuis trente ans, cette loi incarne donc, à bien des égards, la volonté de préserver le riche patrimoine linguistique de notre pays et constitue un socle juridique essentiel pour la défense et la valorisation de la langue française.

Toutefois, sa mise en application présente aussi un certain nombre de limites, dans un contexte marqué notamment par la mondialisation des échanges et la multiplication des potentialités offertes par le numérique.

Au fil des auditions que nous avons menées, nous avons identifié quatre limites qui méritent d'être analysées.

La première tient au fait que la loi est insuffisamment appliquée et contrôlée. Malgré la mise en place d'un régime de sanctions et de diverses modalités de contrôle, les poursuites pénales et administratives sont bien souvent insuffisantes. Force est, par exemple, de constater que les autorités de régulation ne disposent pas toujours des leviers juridiques suffisants pour faire appliquer la loi. Les associations de défense de la langue française manquent, quant à elles, considérablement de moyens pour agir en justice. Ainsi, la plupart des actions engagées ont du mal à aboutir : les recours administratifs sont souvent infructueux et les poursuites pénales sont régulièrement classées sans suite.

Pour pallier ces manquements, nous avons formulé plusieurs recommandations : assurer l'effectivité des poursuites pénales et administratives en cas d'infraction à la loi ; consolider le rôle de pilotage interministériel de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF), et, pour aller plus loin, ouvrir une éventuelle réflexion sur le renforcement des missions de la DGLFLF en s'inspirant du modèle de l'Office québécois de la langue française (OQLF).

Par ailleurs, et alors que le nombre d'infractions relevées parmi les actions des administrations ne cesse de croître, le dispositif de veille au sein même des services de l'État nous semble encore trop limité. Là encore, les hauts fonctionnaires chargés de la langue française au sein des ministères manquent de moyens pour sensibiliser les directions centrales aux enjeux de préservation de la langue française.

Enfin, la quasi-totalité des personnalités que nous avons auditionnées ont dit leur inquiétude sur la prolifération de l'anglais et du franglais au sein même de la sphère publique. Du concept One Health du ministère de la santé au pass Navigo easy de la RATP, les exemples ne manquent pas pour illustrer le recours croissant aux slogans en termes anglais dans la communication de l'État, des collectivités territoriales et des entreprises publiques. Cette multiplication des anglicismes dans la sphère publique est d'autant plus préoccupante qu'il nous semble que les responsables publics devraient, au contraire, faire figure d'exemple dans la protection de la richesse de notre langue. Aussi, nous préconisons d'encourager davantage les acteurs publics à faire preuve d'exemplarité en matière d'usage du français. Dans cette perspective, nous recommandons également d'ajouter un article au texte afin de renforcer l'emploi du français dans les services publics nationaux et locaux.

Une deuxième limite tient à la méconnaissance des dispositions de la loi Toubon par les acteurs tant publics que privés. Cette méconnaissance étant la première cause de son non-respect, nous encourageons les pouvoirs publics à développer des mesures pédagogiques et d'accompagnement pour mieux faire connaître la législation en vigueur.

La troisième limite est liée aux lacunes juridiques et rédactionnelles de la loi, qui expliquent la mauvaise compréhension qu'elle suscite souvent. Elle comporte ainsi des dispositions qui interfèrent avec d'autres principes et corpus juridiques comme la liberté d'expression, la liberté d'entreprendre ou le droit de la propriété intellectuelle. Ces frictions conduisent bien souvent à exonérer d'obligations linguistiques les slogans, les marques, les opérations commerciales ou publicitaires comme les « French Days », des événements culturels... Ces situations, qui se multiplient, sont particulièrement inquiétantes.

La loi comprend aussi des dispositions imprécises ou ambiguës, limitant sa portée et permettant ainsi aux acteurs, notamment privés, de profiter des failles du dispositif pour communiquer en langue étrangère, et notamment en anglais. Plus encore, certains supports ne sont pas inclus dans les dispositions de la loi ; elle ne traite pas, par exemple, de la publicité en ligne, mais seulement des supports écrits, oraux ou audiovisuels.

Enfin, la loi ne couvre pas entièrement les collectivités territoriales et la fonction publique hospitalière, altérant là encore sa correcte mise en oeuvre.

Une quatrième et dernière limite renvoie à l'ancienneté de la loi. La mondialisation et la numérisation ont encore accentué la diffusion de l'anglais, notamment via les médias sociaux, les plateformes de streaming ou les jeux vidéo. Au regard de ce contexte, la loi Toubon se retrouve en quelque sorte dépassée.

Si elle parvient à encadrer l'usage du français dans les domaines classiques, elle peine à s'appliquer dans ces nouveaux espaces numériques qui, par essence, sont transnationaux et peu régulés. Il nous paraît donc plus que jamais essentiel d'actualiser la loi au regard des nouveaux enjeux numériques et technologiques. Dans cet objectif, nous avons formulé une recommandation d'adaptation des articles 2 - consommation, publicité, audiovisuel - et 4 - espace public.

De la même façon, le texte prend insuffisamment en compte les évolutions du droit communautaire, survenues en nombre depuis 1994. Il est donc aujourd'hui indispensable d'expertiser la compatibilité de la loi avec le droit communautaire, afin d'assurer sa mise en oeuvre effective dans l'ensemble des secteurs couverts.

Voilà, mes chers collègues, les différentes recommandations que nous souhaitions soumettre à votre approbation au terme de nos travaux. Nous sommes bien sûr à votre disposition pour en débattre avec vous et répondre à l'ensemble de vos interrogations.

M. Pierre Ouzoulias. - Je remercie les rapporteurs pour la qualité exceptionnelle de ce rapport, très complet et ambitieux. Nous partageons totalement leur diagnostic : c'est pour nous une nécessité absolue de modifier la loi Toubon.

Je vous sais gré d'avoir consacré beaucoup d'attention à la recherche. Il s'agit d'un enjeu fondamental. La langue n'est pas un vecteur neutre, car elle dévoile une forme de pensée. Aussi, obliger nos chercheurs à publier en anglais entraîne un appauvrissement de leur discours scientifique. Il faut savoir que 80 % des thèses en sciences économiques sont actuellement publiées en anglais. D'autres disciplines sont en train de prendre le même chemin, mais ce sont les formes de l'évaluation scientifique qui privilégient aujourd'hui les supports en anglais, les revues anglo-saxonnes ayant le meilleur facteur d'impact.

Il y a en ce domaine conflit entre le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et le ministère de la culture, lequel est systématiquement perdant. C'est déjà ce que nous avions dénoncé avec Laure Darcos. Aussi, je suis très favorable à votre recommandation visant à donner à la DGLFLF des pouvoirs supérieurs pour pouvoir imposer des normes aux différentes administrations. Je me demande si un rattachement au Premier ministre, un peu comme au Québec, ne permettrait pas de lui donner plus de poids dans l'interministériel, même si je sais que le délégué général à la francophonie n'y est pas favorable.

Pour terminer, je tiens à préciser que l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 n'excluait pas les langues maternelles régionales.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Au nom du groupe Union centriste, je me réjouis de cet excellent travail, dans le droit fil du travail fondateur réalisé par Claudine Lepage et Louis Duvernois voilà quelques années.

Pour rebondir sur le sujet du numérique, j'ai découvert que nous restions malgré tout en deuxième position des langues utilisées sur le réseau. Nous le devons aussi à la politique très volontariste impulsée par la France à l'échelon européen sur les droits d'auteur et les droits voisins, ainsi que sur la diversité culturelle. Si l'écosystème n'est pas régulé par des directives, nous ne pourrons pas maintenir un tel niveau de contenus. En tout cas, l'analyse menée par Pierre-Antoine Levi sur l'exigence que nous devons manifester à l'égard des plateformes est tout à fait pertinente.

Je me réjouis également de trouver dans vos préconisations l'écho de travaux que nous avions menés avec le groupe interparlementaire franco-canadien sur le sujet de la découvrabilité.

En parlant du Canada, avez-vous analysé le devenir de la chaîne TV5 Monde, au sein de laquelle nous sommes partenaires ?

Sur vos préconisations en matière de recherche et de mobilité étudiante, je tiens à vous faire part d'un exemple très concret. En Égypte, où j'ai fait un récent déplacement dans le cadre du groupe d'amitié, il y a 3 millions de locuteurs français. Il y a par exemple une école de droit de la Sorbonne ainsi qu'une antenne de Sciences Po à l'université du Caire. Nous y avons ressenti un fort désir de mobilité étudiante. Cette jeunesse égyptienne s'envisage en effet trilingue - langue maternelle, anglais, français. Nous devons ainsi réfléchir à une logique de « co-diplomation ». Nos régions ont un rôle à jouer dans ce domaine.

Enfin, vous pointez l'obsolescence de la loi Toubon, compte tenu notamment des évolutions du numérique. Je continue à m'offusquer du fait que nos gouvernements successifs n'aient pas été exemplaires en la matière. Je vous rappelle que les tribunaux ont proscrit l'utilisation de l'expression health data hub, mais que l'on continue malgré tout à l'employer. Je passe sur le Choose France... Nos amis québécois ne comprennent absolument pas ce laxisme.

M. Adel Ziane. - Ce rapport met à la fois en évidence les atouts et les faiblesses de la francophonie : il y a une contradiction entre les ambitions affichées et le peu de moyens mis en oeuvre par l'État.

La croissance du nombre de locuteurs d'ici à 2050 est en trompe-l'oeil. Ces 820 millions de locuteurs potentiels sont à 85 % africains. Or ces populations seront de moins en moins attirées par l'utilisation de notre langue, compte tenu du ressentiment croissant qu'inspire notre pays dans ce continent. Ce phénomène sera accentué par la baisse de qualité de l'enseignement du français dans ces systèmes éducatifs par manque de moyens.

Je regrette une absence de stratégie de notre pays. Pour preuve, il n'y a pas eu de ministre délégué à la francophonie de 2017 à 2022. Il y en a un aujourd'hui, ancien sénateur de surcroît, ce qui est de bon augure, mais pendant que d'autres pays, comme la Chine avec le réseau Confucius, investissent massivement dans le soft power éducatif et culturel, nous n'investissons pas suffisamment dans nos 98 centres culturels et 386 alliances françaises. Ce sont pourtant des outils formidables pour animer la communauté francophone partout dans le monde.

Pour rebondir sur l'exemple égyptien soulevé par Catherine Morin-Desailly, je vous livre ces souvenirs de mes premiers pas au ministère des affaires étrangères en 2007, lorsque j'étais en charge de la coopération culturelle et universitaire en Égypte : dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), nous étions passés de 7 à 2 attachés de coopération pour le français et de 5 à 2 attachés de coopération universitaire. C'est pourquoi votre recommandation n° 5 visant à approfondir le soutien financier au réseau culturel français et à envisager une mutualisation avec d'autres pays francophones me semble pertinente.

Par ailleurs, je ne peux que regretter que nous ayons multiplié par dix les frais de scolarité des étudiants non européens en 2019. C'est contradictoire avec nos ambitions de participer à la compétition internationale dans le domaine universitaire. Votre recommandation n° 6 sur un Erasmus francophone est en revanche une très bonne idée. Dans le même esprit, la recommandation n° 7 sur l'obtention d'un visa francophone est essentielle, à condition qu'il ne soit pas limité aux doctorants et aux étudiants en master.

Les recommandations nos 9 et 10 sur la production scientifique en français doivent enfin participer à l'émergence d'un véritable espace scientifique francophone.

Pour conclure, je dirai qu'il ne faut pas envisager la politique de la francophonie de manière verticale. Je pense à notre attitude, critiquée, au sein de l'OIF. Le français n'est pas le même partout, ce qui est la garantie de son universalité. Il ne faut pas nier ses évolutions et sa pratique. Travaillons de manière plus partenariale avec nos partenaires du monde de la francophonie. Le français doit littéralement être un outil de soft power, de puissance douce.

Par ailleurs, il faut passer d'une approche défensive à une approche offensive, trente ans après la loi Toubon, qui était d'inspiration défensive. Cela passe par un soutien plus important à notre réseau culturel à l'étranger.

Enfin, soyons nous-mêmes collectivement attentifs à bien utiliser le français. C'est une question d'exemplarité.

M. Max Brisson. - Ce rapport nous montre que la francophonie est un sujet rassembleur, transpartisan. Un seul bémol : la présence audiovisuelle française dans le monde aurait mérité une place plus importante. Nous en reparlerons dans le cadre de nos débats sur l'audiovisuel public.

Je suis d'accord, l'État n'est pas exemplaire, mais les élites françaises ont-elles vraiment envie de se battre pour la francophonie ? Ce combat pour la francophonie est-il compatible avec la Start-up Nation ? J'en doute ! Il y a là une part de snobisme et de prétention. C'est au Parlement de mettre un terme à certaines dérives.

J'ai beaucoup apprécié ce que vous avez dit sur l'espace francophone et la création d'un Erasmus francophone. Nous appuyons totalement votre recommandation à ce sujet.

Le réseau d'enseignement du français est développé, mais j'ai quelques craintes, renforcées d'ailleurs par le récent déplacement que nous avons fait au Bénin et en Côte d'Ivoire. Ce réseau est exclusivement réservé aux élites locales, totalement déconnectées du reste de la population. La flambée des prix d'écolage est vraiment problématique et il y a un vrai risque que ce réseau, dont nous sommes fiers, devienne le symbole d'une présence française parfois détestée.

Parallèlement, les systèmes scolaires francophones de ces pays sont totalement délabrés. Or que faisons-nous pour leur redonner de l'efficacité ?

Je terminerai sur la parenthèse ouverte par Pierre Ouzoulias, mais qu'il a immédiatement refermée. La loi Toubon a été utilisée par les fonctionnaires de l'État, les recteurs, les préfets, comme un instrument contre les langues régionales. Tel est le bilan de cette loi à mon sens. Elle n'a jamais été un outil de protection du patrimoine linguistique alsacien, corse, occitan, basque, breton, ou de nos territoires ultramarins. La loi Molac n'aura pas les effets escomptés : le Parlement a beau légiférer, quand l'administration ne veut pas, elle ne veut pas.

Je regrette que votre rapport n'ait pas insisté sur ce vieil héritage bonapartiste et jacobin. On ne peut pas proclamer l'importance du multilinguisme à la face du monde et le refuser en terre de France.

Mme Mathilde Ollivier. - J'espère que ce travail trouvera un large écho lors du Sommet de la Francophonie qui se déroulera vendredi et samedi prochains.

Le monde francophone correspond à une réalité culturelle, économique, politique et humaine, à des visions du monde qui s'expriment à travers une langue et qui nourrissent le débat d'idées.

Je trouve important de rappeler que la francophonie est avant tout multilatérale.

La promotion des langues régionales est pour moi essentielle. Trop souvent par le passé, elles ont été niées par des pouvoirs dominants, notamment à l'époque de la colonisation. Il importe aujourd'hui de changer de prisme : il n'est pas anormal de parler plusieurs langues ; c'est même le quotidien de plus de la moitié de la population mondiale.

La recommandation n° 3 tend à la revalorisation du métier d'enseignant de et en français. C'est un enjeu essentiel de notre politique culturelle extérieure, notamment vers les pays non francophones. Il manque ainsi de professeurs de français en Autriche et en Allemagne.

En ce qui concerne la recommandation n° 4, ce serait une vraie force de porter au niveau de la société civile des synergies entre pays francophones. À Vienne, où je réside, la communauté française est assez petite - environ 10 000 personnes -, mais les associations poussent à l'organisation de conférences et d'activités en français, dans une logique d'ouverture aux autres pays francophones. C'est essentiel pour faire vivre des poches de francophonie et nourrir le débat d'idées au-delà des initiatives plus institutionnelles.

L'axe 3 est important. La politique des visas est primordiale pour que la France continue de conserver une place importante dans la promotion de la francophonie - Yan Chantrel a mentionné que 50 % des étudiants venaient de pays francophones. Or cette politique est aujourd'hui assez contre-productive puisqu'elle limite la mobilité des étudiants et des chercheurs. Les annonces du Premier ministre, approuvées par la majorité sénatoriale, tendent d'ailleurs à restreindre l'obtention de visas à certains ressortissants, notamment très francophones. Cela aurait un impact délétère sur nos relations avec nos partenaires. Je suis donc contente que nos collègues du groupe Les Républicains (LR) soulignent l'importance d'un Erasmus francophone et mettent l'accent sur la mobilité étudiante.

En ce qui concerne l'évaluation scientifique des chercheurs, Pierre Ouzoulias a insisté sur l'importance des facteurs d'impact, très liés aux journaux anglophones. Aujourd'hui, les grandes revues internationales sont en anglais. C'est donc là que les chercheurs veulent publier, car c'est aussi là que se joue l'excellence de la recherche à l'échelle mondiale. La publication en français ne doit pas être un critère discriminant. Ce serait artificiel et contre-productif. L'ouvrage de Christian Lequesne, Le diplomate et les Français de l'étranger, est très intéressant à cet égard : on y voit comment l'évaluation en français peut freiner la mobilité et le retour d'un certain nombre de chercheurs français ayant fait leur carrière à l'international et n'ayant pas assez publié en français. Il faut donc faire attention. En revanche, je suis tout à fait d'accord pour faire vivre l'espace scientifique francophone, favoriser la publication de thèses en français et soutenir la tenue de congrès internationaux en français.

Le volet numérique est absolument essentiel. Vous avez parlé de l'importance des relations et des négociations avec les Gafam dans l'espace francophone, notamment en ce qui concerne la monétisation des contenus. C'est un enjeu majeur pour continuer à pousser le français comme langue du numérique. En 2050, 85 % des locuteurs de français seront en Afrique. Il faut pouvoir les soutenir dans leurs négociations face aux Gafam afin qu'ils puissent continuer à publier du contenu en français.

Quant au respect de la loi Toubon par les administrations, il y a encore beaucoup à faire, notamment dans le secteur économique où tous les sigles et labels regorgent d'anglicismes ! Tout cela me rappelle une visite dans le service économique d'une ambassade française où des tas de petits panneaux dans les couloirs indiquaient les différents programmes : Taste France, la French Fab, le programme Booster, la Team France Export, etc. Les administrations françaises doivent se saisir de la problématique : il n'est pas has been de défendre le français dans sphère économique et dans la Start-up Nation ! (Sourires.)

Quoi qu'il en soit, je vous remercie pour ce rapport. J'espère que vos propositions concrètes seront relayées et feront l'objet d'engagements de la France après le Sommet de la Francophonie à Villers-Cotterêts.

Mme Laure Darcos. - Je salue ce rapport très complet. J'espère que le groupe d'études sur la francophonie sera associé à nos travaux. Notre collègue Mickaël Vallet a fait beaucoup pour réformer la loi Toubon. Il serait intéressant de pouvoir travailler de concert. Je souligne d'ailleurs la très belle initiative de Yan Chantrel et de Mickaël Vallet en matière de francophonie dans les territoires. Tout cela fera l'objet d'une émission bientôt diffusée sur TV5 Monde.

Je suis à 300 % d'accord avec Pierre Ouzoulias en ce qui concerne les sciences. Dans la loi de programmation de la recherche, nous avions d'ailleurs ajouté un article sur le sujet. Il faudrait donc bien insister sur ce point. Au-delà des institutions traditionnelles, il serait important également de parler en français au sein de la Commission européenne. Le français est une des langues officielles des institutions de l'Union européenne. Pourquoi tout le monde s'exprime-t-il en anglais ?

Vous n'avez pas du tout évoqué l'enseignement dispensé aux élèves allophones. Le Président de la République, lors de son discours sous la Coupole de l'Académie française sur la francophonie, avait beaucoup insisté sur ce point. En 2021-2022, 77 435 enfants allophones nouvellement arrivés ont été scolarisés en France. Il serait utile de prendre en compte également cette grande francophonie de l'intérieur, en prévoyant un bon budget et de bons professeurs pour que tous ces enfants apprennent vite notre langue !

Mme Sophie Briante Guillemont. - Ce travail très complet mérite d'être largement diffusé. Vous êtes revenus sur l'objectif du Président de la République de doubler le nombre d'élèves dans le réseau de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). Vous évaluez à 25 000 le nombre d'enseignants nécessaires. Sachant qu'il y a une différence entre enseigner en français et enseigner à la française, s'agit-il de 25 000 enseignants dans les lycées français ou intégrez-vous dans ces chiffres les professeurs de FLE, ce qui n'est pas la même chose ? Savez-vous pourquoi l'annonce qui va être faite sur le programme de mobilité étudiante laisse de côté les étudiants en licence ? Par ailleurs, j'ai récemment été informée du fait que plusieurs demandes de visas étaient bloquées alors que les dossiers étaient prêts et qu'il s'agissait d'étudiants souhaitant intégrer l'enseignement supérieur français à la rentrée. Je rejoins donc Mathilde Ollivier : avant même de parler des visas francophones, il existe un énorme problème à résoudre sur les visas ordinaires.

Mme Catherine Belrhiti, rapporteure. - Le Président de la République a effectivement souhaité doubler le nombre d'élèves scolarisés dans notre réseau d'enseignement français à l'étranger d'ici 2030. À cette fin, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a fixé plusieurs objectifs : densifier la capacité d'accueil des établissements du réseau, inciter les porteurs de projets, attirer de nouvelles familles dans les établissements et recruter des personnels qualifiés. Aujourd'hui, le réseau compte environ 6 000 personnels titulaires détachés de l'Éducation nationale. Les autres enseignants sont recrutés sur place. Certaines académies refusent de détacher du personnel à l'étranger faute de pouvoir le remplacer. En 2024, 44 refus de détachement ont ainsi été enregistrés sur les 725 demandes formulées. Cette difficulté a nécessairement des répercussions sur notre capacité à atteindre les 25 000 recrutements supplémentaires que le plan de développement du réseau implique.

M. Yan Chantrel, rapporteur. - En ce qui concerne les visas et la création d'un Erasmus francophone, nous avons auditionné l'AUF. Celle-ci nous a répondu que l'annonce en serait faite lors du Sommet de la Francophonie. Le dispositif sera réservé dans un premier temps aux étudiants de master et de doctorat, quitte à l'élargir ensuite. Il sera limité à un certain nombre d'étudiants. C'est tout l'intérêt de ce type de mission transpartisane : chacun peut faire un bout de chemin et il est possible d'établir un diagnostic partagé pour savoir comment opérer. La question qui irrigue tout notre rapport est de savoir quel est l'intérêt d'être francophone par rapport aux autres. Si l'on veut favoriser la francophonie, il faut bien faire émerger un avantage ! La réponse est un programme de type Erasmus. Mais l'Erasmus francophone ne va pas que dans un sens : il faut aussi inciter des Français à s'ouvrir sur la francophonie, car il existe également de très bonnes universités au Maroc et dans d'autres pays francophones. Il importe donc de corréler notre politique de visas avec un cap et une vision si l'on veut développer un sentiment d'appartenance.

J'ai bien noté le souhait de notre collègue Laure Darcos d'associer le groupe d'études sur la francophonie à notre réflexion.

La pénurie d'enseignants de et en français concerne tous les pays. Nous sommes d'ailleurs en situation de concurrence avec le Canada, par exemple, qui offre de meilleures conditions pour enseigner que nous. Le développement de l'AEFE se fait actuellement grâce aux recrutés locaux. Nous devons donc leur garantir une formation de bonne qualité si nous voulons développer le réseau.

Nous n'avons évidemment pas pu aborder tous les sujets liés à la francophonie, qui est une problématique très vaste. Vous avez été plusieurs à évoquer la question de TV5 Monde et, plus globalement, de l'audiovisuel extérieur. Nous avons auditionné Mme Saragosse, présidente-directrice générale de France Médias Monde, qui nous a alertés sur la situation de l'audiovisuel public extérieur. Cela dépasse bien sûr le cadre de notre mission, mais nous aurons l'occasion ici même, à l'occasion d'autres textes, de pouvoir parler du sujet. Nous pourrons éventuellement faire des propositions spécifiques à ce moment-là.

Je précise que les alliances françaises, auxquelles nous sommes tous attachés, n'ont pas toujours été soutenues de la même manière par tous les gouvernements.

Notre collègue Adel Ziane a évoqué le contexte africain où les évolutions en termes de population ne sont pas à prendre au comptant. Le contexte géopolitique peut en effet avoir une incidence importante, notamment au Sahel, où l'on enregistre un déclin du français. Nous avons donc un intérêt diplomatique à ce que notre action extérieure ne s'inscrive pas uniquement sous l'égide de la France, mais sous celle de la francophonie. Nous pourrions, par exemple, envisager des alliances de la francophonie. Nous aurions en tout cas tout intérêt à montrer que cette politique n'est pas une initiative uniquement de la France, mais de plusieurs partenaires francophones. Cela nous permettrait peut-être de reprendre pied sur le terrain pour renforcer la langue française.

La recherche scientifique constitue, à nos yeux, un point important. Une langue est effectivement liée à une manière de voir le monde. Il est donc utile de défendre la recherche dans notre langue. Le recours à l'intelligence artificielle (IA), que nous n'avons pas pu approfondir, ouvre des possibilités à nos chercheurs. Ils pourraient en effet publier en français tout en étant directement traduits. C'est une évolution défendue notamment par le Québec.

Les recommandations sont adoptées.

La mission d'information adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

M. Laurent Lafon, président. - Merci à nos trois rapporteurs pour la qualité de leur travail sur un sujet qui n'est pas si facile à aborder. Vous avez répondu clairement à la question du devenir de la loi Toubon, qui constituait un point d'interrogation. J'ai noté que vous préconisez une actualisation de cette loi ; nous avons donc un travail législatif à faire en ce sens.

ANNEXES

Audition de M. Paul de Sinety, délégué général à la langue française
et aux langues de France

MERCREDI 20 MARS 2024

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M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Paul de Sinety, délégué général à la langue française et aux langues de France.

Monsieur le délégué général, vous m'avez proposé voilà quelques semaines de présenter devant notre commission la nouvelle édition de votre rapport au Parlement sur la langue française. Votre initiative m'a semblé tout à fait opportune, alors que notre commission vient de lancer une mission d'information sur la situation de la francophonie - dont les rapporteurs sont Catherine Belrhiti, Yan Chantrel et Pierre-Antoine Levi -, à l'aube du trentième anniversaire de l'adoption de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, dite loi Toubon.

Cet anniversaire interviendra au moment où notre pays accueillera les jeux Olympiques et Paralympiques, événement qui constitue une belle opportunité de faire vivre notre langue sur le plan international, mais qui n'est pas non plus sans risque pour celle-ci - j'en veux pour preuve l'usage croissant du « franglais » dans le domaine sportif par les médias et par certains responsables politiques.

Cette audition est l'occasion de connaître l'état des lieux que vous dressez de la situation de la langue française en France et dans le monde.

Notre cadre légal est-il encore adapté aux grands enjeux actuels, qu'ils soient internationaux ou technologiques ? Comment sensibiliser et mobiliser davantage nos concitoyens autour de la langue ? Quels devraient être, selon vous, les contours d'une politique publique linguistique ambitieuse ?

Avant de vous céder la parole, je me permets de vous rappeler, monsieur le délégué général, que cette audition est captée et diffusée en direct sur le site internet du Sénat.

M. Paul de Sinety, délégué général à la langue française et aux langues de France. - C'est un très grand plaisir de me trouver devant vous pour présenter cette nouvelle édition du rapport au Parlement sur la langue française, paru aujourd'hui même, le 20 mars, journée mondiale de la francophonie.

Ce rapport présente les grands axes de notre politique linguistique, dont la délégation générale à la langue française et aux langues de France a la responsabilité, sous l'autorité énergique et active de notre ministre de la culture.

Comme vous l'avez souligné, monsieur le président, nous allons célébrer cette année les trente ans de l'adoption de la loi Toubon, ce qui nous amène à dresser un état des lieux de ce cadre légal et à nous interroger sur ses perspectives d'évolution.

Ce rapport vise trois objectifs : sensibiliser le grand public au patrimoine commun qu'est notre langue ; susciter une prise de conscience générale sur le rôle majeur que joue le français dans notre société ; encourager de nouvelles dynamiques pour une mobilisation renforcée en faveur de la langue française et du plurilinguisme.

En nous appuyant sur de nouvelles données et analyses et en donnant la parole aux acteurs concernés, dont les élus - je remercie à cet égard le président Laurent Lafon et le sénateur Pierre Ouzoulias de leurs contributions -, ce rapport apporte des éclairages sur les grands enjeux de notre époque et fait état des avancées déjà réalisées, au premier rang desquelles figure l'inauguration de la Cité internationale de la langue française, à Villers-Cotterêts.

Il s'agit d'un établissement unique au monde, qui incarne une politique renouvelée de la langue. Preuve du succès de cette réalisation formidable, nous avons enregistré plus de 70 000 visiteurs depuis le 30 octobre dernier, date de l'inauguration de la Cité par le Président de la République.

L'un des premiers enjeux que se doit d'incarner cette Cité est celui de l'innovation et de l'intelligence artificielle. Nous allons donc installer en son coeur un centre de référence des technologies de la langue, qui permettra à l'ensemble des acteurs du monde industriel, du monde académique et du monde scientifique de travailler ensemble pour la promotion de la langue française et des langues de l'Union européenne au travers de l'innovation, et notamment de l'intelligence artificielle. Ce centre de référence disposera d'un budget de 50 millions d'euros, dont la moitié sera financée par la Commission européenne.

Il comportera également un espace consacré à la langue française et à la francophonie, qui sera inauguré par le Président de la République lors du sommet de la francophonie des 4 et 5 octobre prochains.

Les enjeux du numérique sont essentiels ; ils conditionnent fortement l'avenir de la langue française et de notre souveraineté. Si le français est aujourd'hui la seconde langue la plus utilisée sur internet, c'est la quatrième en termes de contenu. Il n'en demeure pas moins qu'une part croissante desdits contenus sont produits par des machines. L'avenir des langues se joue donc en grande partie sur les investissements dans ces technologies.

La France entend jouer un rôle moteur dans cette stratégie. La délégation générale à la langue française et aux langues de France en assure le pilotage en s'appuyant sur un certain nombre d'acteurs, en lien constant avec la direction générale des entreprises (DGE) et le secrétariat d'État chargé du numérique.

Les travaux lancés pour une découvrabilité des contenus culturels et francophones en ligne sont une illustration de ce sursaut nécessaire que nous devons entreprendre, aux côtés de partenaires internationaux - européens et francophones. Une mission sur la découvrabilité des contenus scientifiques en français devrait être lancée lors des prochaines rencontres alternées des deux Premiers ministres français et québécois du 11 au 13 avril prochains, à Québec.

À ce défi, s'ajoute celui de la mise en oeuvre effective de la loi Toubon. Je tiens à rappeler l'importance de ce texte, véritable loi sociale qui traduit la volonté du législateur d'appliquer concrètement l'article 2 de la Constitution, selon lequel la langue de la République est le français, à tous les secteurs de notre société, de notre quotidien. N'oublions pas que cet article suit directement l'article 1er, qui dispose que la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Il s'agit en quelque sorte d'une traduction linguistique de cette vision de la République française, de cette vision nationale.

La loi Toubon a démontré son efficacité. Sans elle, nous n'aurions pas d'informations en français pour nos achats de consommation courante, nous ne pourrions pas non plus accéder nécessairement, dans notre langue, à l'éducation non plus qu'aux soins ou aux services de santé.

Comme le souligne Jean-Marc Sauvé dans sa contribution : « La langue française est une composante de notre cohésion sociale. [...] Une nation, c'est la capacité à se projeter ensemble dans un avenir commun. Or nous ne pouvons construire celui-ci qu'avec une langue que nous partageons ».

Les obstacles que nous constatons çà et là ne nous empêchent pas d'agir en faveur du cadre légal. Tout d'abord, au travers d'une action interministérielle et institutionnelle renforcée, en nous appuyant sur un réseau de hauts fonctionnaires à la langue française, mobilisés dans chaque ministère, pour mieux faire connaître ce dispositif, favoriser l'intelligibilité et un langage simple à l'intention de nos concitoyens.

Ensuite, par un effort de sensibilisation au respect des principes de la loi Toubon, notamment à l'occasion des grands événements que vous avez évoqués, monsieur le président, dont les jeux Olympiques et Paralympiques.

Il y a certainement des lacunes. Nous avons commencé à identifier les points de difficulté, probablement liés à la rédaction du cadre légal et à l'ancienneté de ce texte : en 1994, le numérique et internet n'existaient pas... Si la représentation nationale le souhaite, nous pouvons accompagner les parlementaires dans ce travail de réflexion.

Autre enjeu, celui de l'enrichissement de la langue française pour lui permettre d'exprimer les réalités du monde le plus contemporain. Grâce à nos efforts de terminologie, d'enrichissement de la langue, les services de l'État peuvent faire preuve de cette nécessaire exemplarité. Si tel n'est pas le cas, c'est qu'ils n'ont pas forcément conscience de cette exigence ou qu'ils ne la désirent pas...

Nous développons d'autres axes importants de réflexion dans ce rapport.

La langue française doit faire l'objet d'une politique ancrée dans les territoires pour en favoriser la maîtrise, condition indispensable pour l'inclusion de chaque individu au sein de notre société et l'exercice de sa pleine citoyenneté. Nous avons mis en place des pactes linguistiques avec un certain nombre de territoires, qui permettent d'accompagner les acteurs engagés pour mieux maîtriser la langue et lutter contre l'illettrisme.

Autre axe important, celui de la promotion des langues régionales. Cette question est essentielle aux yeux de la ministre de la culture. La France est dotée d'un patrimoine unique au monde avec plus de soixante-quinze langues régionales encore employées dans les territoires, dont plus des deux tiers dans les outre-mer.

Nous constatons des réalités contrastées quant à la promotion et l'emploi de ces langues. C'est la raison pour laquelle le Conseil national des langues et cultures régionales (CNLCR), présidé par la ministre de la culture, a été installé en 2022. Très concrètement, il s'agit d'accompagner les acteurs qui oeuvrent à la promotion des langues régionales à travers la réalisation d'outils numériques de promotion et de sensibilisation, mais aussi de guides pour informer sur les aides publiques en faveur desdites langues. Nous allons lancer prochainement une plateforme, Langues de France, consacrée à leur promotion.

Tout cela contribuera, je l'espère, à faire en sorte que notre politique linguistique soit perçue comme une politique apaisée, réparatrice, qui prenne en compte les réalités des territoires et de leurs habitants. La loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, dite loi Molac, a constitué une étape importante en faveur d'une plus grande reconnaissance de ces langues. Il y va du respect des identités et de la diversité des habitants de notre pays.

Il ne peut y avoir de politique de la langue en France sans politique de la langue sur le plan international. Ces deux dimensions sont intimement liées. J'ai évoqué les très grands défis que constituent le numérique et l'innovation pour l'avenir de notre langue. Ils ne pourront être relevés sans l'aide des autres pays francophones ni sans l'instauration d'un dialogue avec les pays membres de l'Union européenne. Ce combat pour la langue française est aussi un combat pour la diversité linguistique, pour le plurilinguisme.

Depuis le discours du Président de la République du 20 mars 2018 sous la coupole de l'Institut de France, ces nouveaux paradigmes ont été pleinement assimilés par les pouvoirs publics. Cette politique renouvelée de la promotion de la francophonie sera mise à l'honneur à l'occasion du dix-neuvième sommet de la francophonie, qui ancrera celle-ci dans la modernité au travers du thème « Créer, innover et entreprendre en français ». Le numérique, champ sur lequel la délégation et le ministère de la culture sont particulièrement investis, en sera naturellement une priorité forte.

M. Yan Chantrel, président du groupe d'études sur la francophonie. - Comme vous l'avez souligné, monsieur le délégué général, il s'agit d'une année particulière, riche en événements.

Avec 321 millions de locuteurs dans le monde, dont un quart qui l'ont pour langue première, le français reste la cinquième langue la plus utilisée dans le monde. Elle est aussi apprise comme seconde langue par 132 millions de personnes.

En tant que sénateur représentant nos compatriotes établis hors de France, je me dois de saluer le rôle de nos 96 instituts français et de nos 829 alliances françaises, mais aussi celui du dispositif Flam (français langue maternelle) qui permet aux enfants scolarisés dans un système éducatif à l'étranger de garder un contact avec la langue française.

Votre délégation réalise un travail remarquable pour promouvoir la langue française et valoriser les langues de France, pour enrichir notre langue, pour défendre le plurilinguisme et sensibiliser à la diversité du français. Comment mieux faire connaître votre institution et vos analyses, qui s'appuient sur les travaux de sociolinguistes, d'anthropologues, de lexicographes et d'autres chercheurs, dont on a besoin qu'ils pèsent davantage dans le débat public ?

Catherine Belrhiti, Pierre-Antoine Levi et moi-même sommes corapporteurs d'une mission d'information sur la francophonie, qui traitera de sujets aussi divers que la place de la langue française dans la recherche internationale ou la question de l'intelligence artificielle et des algorithmes. En cette année particulière, nous souhaiterions aussi pouvoir dresser le bilan de la loi Toubon.

Nous accueillons cette année les jeux Olympiques et Paralympiques, dont la langue officielle est le français. Votre délégation a-t-elle été associée à l'organisation des Jeux ? Aurez-vous un rôle à jouer pour vous assurer que la langue française reste en usage permanent et qu'elle ne soit pas noyée dans l'anglo-américain ?

Pouvez-vous nous faire un premier retour sur la fréquentation de la Cité internationale de la langue française ? Comment éviter qu'elle ne devienne un musée ? Vous en êtes l'opérateur, quel rôle souhaitez-vous lui confier ?

Parmi les activités proposées par la Cité, le parcours L'Aventure du français retrace l'histoire de notre langue. Ne pensez-vous pas que l'histoire de la langue est une dimension qui manque à l'enseignement de la langue française dans le primaire et le secondaire ?

M. Paul de Sinety. - Comment mieux faire connaître la délégation ? Cette audition est un premier pas et je suis très sensible à cet accueil. La chambre haute a parfaitement conscience que la langue est un objet politique.

Pour répondre à votre dernière question, je pense en effet que l'histoire de la langue n'est pas assez étudiée. À cette fin, il convient de mobiliser l'Académie française, dont la mission première est de défendre la langue française.

Une première réflexion pourrait être menée dans le cadre d'un colloque que nous allons organiser à la fin de l'année pour célébrer les trente ans de la loi Toubon. Il s'agira de nous interroger sur une histoire politique de la langue de 1539 à nos jours.

Pour ne pas faire de notre langue un objet de musée, il faut s'ouvrir à la francophonie. Celle-ci est l'incarnation, la manifestation de la diversité linguistique. La France est le seul pays francophone monolingue ; tous les autres pays de la francophonie sont plurilingues, notamment les pays africains. Il est donc très important de promouvoir aussi l'ensemble des langues employées sur les territoires de la francophonie. Mais ne nous empêchons pas non plus de mener un travail actif sur le territoire de la République pour promouvoir les langues employées par les populations issues de l'immigration et des diasporas.

Le président du comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques (Cojo) de Paris 2024 et la secrétaire générale de la francophonie ont signé une convention sur l'usage et la promotion de la langue française et de la francophonie durant les jeux Olympiques et Paralympiques. Nous sommes également vigilants ; nous avons d'ailleurs exprimé notre préoccupation en constatant que certains termes employés n'étaient pas français ou que certaines communications n'étaient pas faites en langue française, notamment au sein du Cojo. Avec le préfet de région, Marc Guillaume, nous sommes très attentifs à ce que le cadre légal soit pleinement respecté.

Enfin, nous avons mobilisé des groupes thématiques de travail depuis plus d'un an avec le délégué à la francophonie du ministère des sports, Daniel Zielinski, pour proposer des termes français adaptés aux nouvelles disciplines comme le surf, le break ou d'autres sports urbains. Nous avons aussi fortement mobilisé les élus, les maires, la société civile pour promouvoir l'Olympiade culturelle.

Vous le voyez, monsieur Chantrel, nous sommes très mobilisés sur la question des jeux Olympiques, notamment au travers d'applications numériques plurilingues, qui illustrent que la politique de la langue est une politique d'hospitalité, y compris à l'égard des non francophones et non anglophones.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Nous sommes très sensibles à la question de la diversité linguistique et culturelle. Dresser le bilan de la loi Toubon en cette année particulière fait sens.

Bien souvent, je pense notamment à nos amis canadiens, les autres pays de la francophonie défendent ce patrimoine commun beaucoup plus fortement que nous ne le faisons. Leur législation est plus stricte et comporte davantage de sanctions en cas de manquement à l'usage de la langue française.

Pensez-vous, monsieur le délégué général, que nous pourrions utilement compléter la loi Toubon ? C'est un combat permanent. J'ai été très sensible à la brochure que vous avez publiée sur les 100 termes utiles aux collectivités locales, parce que tout commence par l'application de la loi dans nos collectivités. Partout dans les villes et les villages, les anglicismes fleurissent. C'est le cas dans ma ville de Rouen. Avez-vous pris contact avec les associations d'élus pour les sensibiliser à ce sujet ?

Nous sommes nombreux, depuis le Brexit, à militer pour que le français redevienne réellement langue officielle de l'Europe. Louis-Jean de Nicolay et moi-même avons rédigé un rapport intitulé Nouveaux défis, nouveaux enjeux : une stratégie européenne ambitieuse pour le patrimoine, dans le cadre des travaux de la commission des affaires européennes. Nous nous étions alors aperçus que la plupart des sites d'information et des guides pour bénéficier des subventions et autres fonds européens étaient exclusivement rédigés en anglais. Comment la France peut-elle pousser Bruxelles à appliquer ce qui devrait être la règle et à promouvoir l'usage du français ?

M. Jacques Grosperrin. - À mon tour, monsieur le délégué général, je voudrais vous remercier de votre présence parmi nous, en cette journée de la francophonie.

Lors de la parution du classement Pisa, le 5 décembre dernier, le Premier ministre avait évoqué les difficultés de la France, classée à la vingt-neuvième position de l'OCDE, pour ce qui concerne la compréhension écrite de ses jeunes élèves. Il avait alors proposé un choc des savoirs et la mise en place de groupes de niveaux afin de rééquilibrer ces différences. Pensez-vous que cette mesure puisse permettre de réduire les écarts de niveau constatés ?

Vous avez évoqué l'importante dimension linguistique du français dans le numérique. Or les modèles d'intelligence artificielle sont plus entraînés en anglais qu'en français. Certes, de jeunes entreprises à forte croissance comme Mistral AI, par exemple, permettent d'avoir accès à un système d'intelligence artificielle franco-français, mais la langue de référence reste l'anglais. Comment pouvez-vous, en tant que délégué général à la langue française et aux langues de France, contribuer à ce que ces systèmes d'intelligence artificielle puissent atteindre le même degré d'apprentissage en français qu'en anglais ?

M. Pierre Ouzoulias. - Merci, monsieur le délégué général, d'avoir tenu un discours aussi fort.

Il nous faut toujours garder en tête votre analyse juridique : l'usage du français est ce qui rend possible l'égalité des droits sur tout le territoire national. C'est l'un des fondements de notre République. Notre langue française est le socle de l'indivisibilité de la Nation.

D'un point de vue plus philosophique, le français n'est pas qu'un vecteur de communication, c'est aussi un mode de pensée. On pense dans une langue, et c'est un aspect fondamental de l'expression : une traduction presque automatique des propos ne rendra jamais la finesse de l'expression en ce que celle-ci renvoie à un mode de pensée.

Je veux bien évidemment en venir, et c'est d'ailleurs le sujet de ma contribution à votre rapport, sur la difficulté du français comme mode d'expression de la pensée scientifique. En tant que chercheur, j'ai vécu des moments où l'obligation de publier en anglais faisait partie de l'évaluation scientifique. Lors des débats sur la loi de programmation de la recherche (LPR), Laure Darcos et moi-même avions demandé au Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) de défendre l'utilisation du français - on ne peut pas dire qu'il ait beaucoup oeuvré en ce sens...

Au contraire, l'évaluation scientifique se fonde toujours davantage sur des revues anglo-saxonnes qui ne publient qu'en anglais, ce qui pose un problème majeur. Il ne s'agit pas d'une question de compréhension linguistique : un article rédigé en anglais sur les mathématiques conserverait rigoureusement le même sens s'il était publié en français. Cette situation résulte tout simplement de la captation de l'édition scientifique par des entreprises monopolisatrices, qui considèrent que la seule langue d'expression doit être l'anglais.

Comme vous, je suis intimement persuadé qu'une langue reste vivante tant qu'elle est utilisée dans toutes les activités humaines. Dès lors, il est essentiel que l'activité scientifique ne sorte pas du champ d'expression du français.

Vous avez raison de souligner que l'utilisation de l'intelligence artificielle nous pose des problèmes considérables.

J'ai grand plaisir à souligner que le Bureau du Sénat s'est emparé du sujet et va utiliser l'intelligence artificielle pour faciliter la prise de notes des fonctionnaires des comptes rendus. Pour autant, la direction des comptes rendus - dont je salue les personnels de façon particulièrement appuyée - va faire en sorte de maintenir le niveau de langue. Si vous consultez les débats de la loi de 1905, au Sénat, et les débats actuels, vous avez l'impression qu'il s'agit du même français, ce qui n'est pourtant pas le cas. C'est le fruit du travail des rédacteurs, qui assurent ainsi une grande intelligibilité de la langue sur la très longue durée. Un siècle plus tard, la qualité du français employé permet de parfaitement comprendre les intentions du législateur.

Je nourris quelques inquiétudes pour la période à venir. La réforme du collège risque en effet d'entraîner la disparition de l'enseignement des langues anciennes - latin et grec. Or l'on ne peut parler correctement français sans avoir au moins quelques notions de latin. L'enseignement des langues anciennes est fondamental pour la réappropriation du français.

Monsieur le délégué général, dans ma contribution à votre rapport, j'ai proposé que votre organisme soit directement rattaché au Premier ministre pour mieux coordonner l'action interministérielle, à l'image de l'Office québécois de la langue française, qui chapeaute l'intégralité des administrations. Que pensez-vous de cette proposition ? Ce nouveau statut serait-il susceptible de vous apporter des moyens supplémentaires ?

Mme Mathilde Ollivier. - Je voudrais également revenir sur la promotion du français à l'étranger.

La politique de promotion de la francophonie passe avant tout par les instituts français, les alliances françaises, les conseils culturels, mais aussi par les nombreuses initiatives citoyennes dans les pays d'accueil. À côté du dispositif Flam, de nombreux festivals et événements sont organisés par les communautés françaises à l'étranger. Toutefois, ces dernières années, on note un recul de l'apprentissage du français dans les écoles, au profit d'autres langues dont l'apprentissage est considéré comme plus facile.

Que pensez-vous de ces évolutions et de quels leviers disposez-vous pour continuer à faire du français une langue attractive à l'étranger ? Que pensez-vous de l'annulation de plus de 28 millions d'euros de crédits du programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » ? Quelles seront les conséquences ce ces coupes budgétaires sur la francophonie ?

Il est aujourd'hui démontré que la protection des langues régionales et de la diversité linguistique est intimement liée à la compréhension de nos environnements naturels et contribue à leur protection. Menez-vous des analyses spécifiques associant langue et protection de l'environnement ?

Voilà quelques semaines, j'ai rencontré à l'université de Vienne, en Autriche, des linguistes spécialisés en sciences de l'éducation. Ils ont évoqué des programmes d'apprentissage très développés dans les écoles de langue maternelle des enfants allophones qui permettent de renforcer la maîtrise de l'allemand. Quel regard portez-vous sur ce type de politique ?

M. Bernard Fialaire. - Monsieur le délégué général, page 28 de votre rapport, je lis que « La plupart des établissements d'enseignement supérieur ont déjà élargi leur offre de masters en anglais dans de nombreuses disciplines. » Il me semble que nous avons déjà perdu la maîtrise de la dénomination des différents niveaux universitaires...

L'intelligence artificielle devrait permettre, demain, de réaliser une traduction instantanée. Quelles actions menez-vous pour que le français qui sera utilisé dans le cadre de ces traductions soit celui du dictionnaire de l'Académie française plutôt que celui du langage courant ?

M. Jean-Gérard Paumier. - Je regrette la perte d'influence de la France en Afrique, qui affectera inévitablement la langue française, laquelle n'est en effet pas seulement un mode de communication, mais aussi un mode de pensée.

Une autre de mes préoccupations porte sur la montée de la culture de l'effacement, qui se manifeste par des appels à la réécriture des plus grands chefs-d'oeuvre de notre littérature, jugés obsolètes par les tenants de cette idéologie, au mépris de l'histoire et des modes de pensée distincts qui l'ont marquée. Ne devrions-nous pas envisager un cadre juridique renforcé pour garantir la pérennité de ces oeuvres contre toute tentative de réécriture ?

M. Gérard Lahellec. - Je suis sénateur des Côtes-d'Armor et je dois à l'école et à la langue française ce que je suis aujourd'hui. Le français est en effet un bien commun, qui a notamment permis aux Bretons de se comprendre entre eux.

Toutefois, bien que le français soit un facteur d'intégration, la République a souvent forcé son enseignement au détriment de nos cultures minoritaires, une problématique qui dépasse les frontières régionales et concerne toute la France. La diversité culturelle, incluant en effet la toponymie, est une part intégrante de notre grande culture. J'ai à l'esprit le discours de Jean-Marie Gustave Le Clézio lors de la réception de son prix Nobel, dédiant son discours à Elvira, artiste ivrognesse de la forêt amazonienne, qu'il tient pour la forme la plus élaborée de l'art, tout en la célébrant en français.

L'article 2 de notre Constitution, bien qu'important, peut parfois apparaître comme un obstacle : la loi Molac prône ainsi l'enseignement immersif des langues régionales, lequel est actuellement jugé inconstitutionnel. Si cette pratique n'a pas fait l'objet de recours, la situation est source de précarité pour l'enseignement desdites langues régionales.

En outre, la question de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires reste en suspens. Nous ne devons pas permettre que l'article 2 ou le sort de cette Charte conduise à ne pas avancer dans ce domaine. Rappelons que la Bretagne est devenue française avant même l'ordonnance de Villers-Cotterêts. Dès lors, comment avancer, malgré l'article 2 de la Constitution et le destin de la Charte ?

Mme Annick Billon. - Je souhaite obtenir quelques précisions sur la Cité internationale de la langue française et ses 70 000 visiteurs. Qui sont ces visiteurs et quels sont leurs centres d'intérêt ? Le site parvient-il à attirer un public diversifié ?

Concernant les 50 millions d'euros alloués à l'innovation et à l'intelligence artificielle, sur quelle ligne budgétaire sont-ils imputés ? Une partie de cette somme sera-t-elle consacrée à combattre l'illettrisme, qui reste un défi majeur pour notre pays ?

Quelles évolutions souhaitez-vous pour combler les lacunes de la loi Toubon et dans quels délais ?

Vous évoquez l'irrigation des territoires par les politiques publiques. Pourriez-vous décliner les budgets dont vous disposez à cette fin et les interlocuteurs que vous avez identifiés ? En outre, qu'en est-il des pactes linguistiques que vous avez établis avec certaines entités ?

Pour terminer, j'aborderai le sujet du livret sur les termes clefs utiles aux collectivités locales dans la perspective des jeux Olympiques. En tant qu'élue de Vendée, l'utilisation de termes comme « surf » ou « skate park » ne me pose pas de problème, car ils font partie de l'histoire des sports concernés. Cela n'a rien à voir à mon sens avec un arbitrage entre « aire de jeu » et « playground ». Il semble anecdotique de se concentrer sur ces aspects au regard de problèmes plus pressants comme le niveau de français des jeunes et l'illettrisme dans notre pays.

Mme Béatrice Gosselin. - Notre influence culturelle ne se limite pas à nos frontières. La fermeture d'instituts français, comme ceux de Valence et de Vienne, ainsi que de la maison Descartes aux Pays-Bas, interroge, tant ces institutions étaient des piliers de notre rayonnement international.

Il me semble essentiel de ne pas négliger notre présence à l'étranger, laquelle contribue à l'ancrage de notre Nation et à la diffusion de la langue française. Notre politique intérieure est certes remarquable, mais elle doit s'accompagner d'une stratégie d'influence extérieure tout aussi vigoureuse.

M. Paul de Sinety. - Je suis impressionné de la qualité de vos questions. Cela fait chaud au coeur de voir que les parlementaires sont attachés à la langue française. Sachez que j'y suis très sensible.

Concernant l'application du cadre légal de la loi Toubon et son érosion, ce texte a été voté en 1994 et réaménagé en 2013, concernant l'enseignement supérieur et l'introduction de l'anglais. Il me semble très important de prendre en compte l'attente de nos concitoyens. Des enquêtes que nous avons confiées au Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc) montrent que deux Français sur trois considèrent qu'une loi garantissant l'emploi de la langue commune est très importante, que le recours systématique au français par les services publics est une évidence pour neuf personnes sur dix et que l'utilisation du français est jugée centrale dans d'autres domaines de la vie sociale : santé, éducation, consommation, sécurité au travail ou cohésion sociale. Plus de la moitié des personnes interrogées se sentent gênées, voire rejetées, lorsque l'on s'adresse à elles dans une autre langue que le français dans la communication institutionnelle et dans la sphère publique. La loi Toubon est donc une loi de cohésion sociale.

Concernant la terminologie dans les disciplines sportives, notamment le surf, vous avez parfaitement raison, madame la sénatrice, d'employer ce terme, car il appartient en effet à l'histoire de ce sport. Nos travaux de terminologie visent à trouver des termes français pour les nouveaux sports et les disciplines urbaines, afin que les commentateurs sportifs puissent les décrire de manière intelligible à la télévision, en s'adressant à toutes les générations. C'est pourquoi ce travail est mené avec les fédérations sportives.

Revenons au cadre légal. Un pan entier y échappe, car il n'était pas d'actualité en 1994 : la communication sur internet et dans les espaces numériques, où il n'y a pas d'obligation d'employer le français.

Le sujet des associations d'élus est très important. Nous poursuivons notre travail de diffusion et de sensibilisation, notamment grâce à la brochure que vous avez évoquée ainsi que les pactes linguistiques visant à faire travailler ensemble les acteurs engagés pour la langue française et les langues régionales en fonction des réalités de chaque territoire.

Pour ce qui est de la Cité internationale de la langue française, nous travaillons depuis 2018, en particulier par le biais d'un pacte linguistique signé entre le ministère de la culture, la région Hauts-de-France et les territoires, afin qu'elle soit pleinement admise par les habitants. Nous avons ainsi renforcé nos actions de lutte contre l'illettrisme, qui touche particulièrement ces territoires, notamment l'Aisne. Le pacte linguistique vise ainsi à faire travailler ensemble les différents acteurs des champs social et culturel, qui n'ont pas l'habitude de collaborer, en nous appuyant sur les directions régionales des affaires culturelles (Drac) et les préfets de région.

Nous avons poursuivi ce dialogue avec les territoires au travers des pactes linguistiques que nous avons signés avec les Hauts-de-France, La Réunion, la Seine-Saint-Denis et la région Grand Est. De tels outils contribuent à faire de la maîtrise de la langue française une cause pleinement partagée.

La première difficulté scolaire tient à la maîtrise de la langue. L'engagement de l'ensemble des acteurs publics en faveur de cette grande cause permettrait notamment de concevoir des programmes d'accompagnement pour les publics en situation d'insécurité linguistique.

J'ai volontairement fait de l'intelligence artificielle et des technologies de la langue le premier objectif de la feuille de route qu'esquisse le rapport. Une langue qui n'est plus capable d'exprimer les réalités, même les plus pointues, même les plus scientifiques, est menacée de disparition. Aux Pays-Bas et dans les pays d'Europe du Nord, qui ont sacrifié leur langue nationale au profit d'un anglais systématisé, on observe une « folklorisation » de la langue vernaculaire.

Dans le cadre du dialogue franco-québécois que nous menons en lien avec l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) et l'Agence universitaire de la francophonie (AUF), nous oeuvrons à la découvrabilité des contenus culturels et scientifiques en français sur internet. Une mission sur le thème de la découvrabilité des contenus scientifiques devrait prochainement être lancée, avec comme chefs de file le scientifique Rémi Quirion pour le Québec, et le mathématicien et secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences Étienne Ghys pour la France.

Les scientifiques prennent notamment conscience de l'importance de proposer des plateformes rédactionnelles, des outils conversationnels et des outils de traduction automatique pour les communautés scientifiques francophones. La traduction automatique, sous réserve que les données soient gérées de manière souveraine, est une chance pour la diversité de nos langues.

Le centre de référence des technologies de la langue et l'innovation ne coûtera pas un centime au contribuable. Il sera financé à parité par les vingt pays membres de l'Union européenne qui ont souhaité y participer, en sus des revenus tirés de la valorisation, par exemple, du supercalculateur Jean Zay, qui a déjà été utilisé durant des centaines de milliers d'heures de calcul, et des financements de Bruxelles. Quelque 25 millions d'euros seront apportés par Bruxelles au consortium européen que constitue l'Alliance des technologies des langues.

Cette dimension européenne est fondamentale, car la France ne pourra relever ces défis seule. Elle doit le faire avec d'autres pays européens et avec ses partenaires francophones.

Comme Pierre Judet de la Combe l'indique dans le rapport, j'estime qu'on ne pense bien que dans sa langue. Le français est un vecteur d'intégration, mais il nous faut changer de paradigme en matière d'ouverture au plurilinguisme. Nous avons trop souvent opposé langue française et langues régionales et, sur le plan international, langue française et langue vernaculaire des pays francophones. C'est non pas seulement inutile, mais contre-productif ; cela crée de la division.

J'estime donc qu'il serait très utile d'introduire des références, un peu à la manière de béquilles, aux langues vernaculaires des personnes allophones dans les méthodes d'apprentissage de la langue nationale.

Sur l'île de La Réunion, dont les deux tiers de la population parlent créole à la maison, des progrès notables ont été réalisés, notamment auprès des publics les plus fragiles, depuis que l'on propose un enseignement du français comprenant des références au créole. Il existe à mes yeux une corrélation évidente entre échec scolaire, taux de chômage, difficultés d'accès à la citoyenneté et de participation au débat public et non reconnaissance de la langue créole, notamment à l'école.

Il faut cesser de considérer que les langues parlées à la maison par les personnes allophones sont des obstacles à l'apprentissage de la langue française. Elles constituent au contraire un véritable enrichissement, et leur partage, notamment au sein du système scolaire, est une grande chance.

Le prix Nobel de littérature Le Clézio, qui est l'un des plus grands génies de la littérature d'expression française, est un Mauricien qui revendique sa nationalité mauricienne. J'estime qu'il devrait parrainer toute notre politique de la langue, qui se veut ouverte au plurilinguisme et à la pluralité des langues.

Si notre politique de rayonnement sur le plan international relève du ministère des affaires étrangères, je crois, comme Richelieu, qu'il ne peut y avoir de politique internationale sans politique nationale ni de politique nationale sans politique internationale. Il me paraît donc judicieux, dans le cadre de la mission d'information que vous avez lancée, que vous interrogiez nos politiques, non pas seulement en France, mais aussi à l'étranger.

Je me satisfais enfin pleinement du rattachement de la délégation générale à la langue française et aux langues de France au ministère de la culture. S'il vous plaît, ne nous laissez pas aller ailleurs ! Au sein de ce ministère, qui est par définition transversal, nous touchons toutes les générations, tous les publics et tous les territoires. Tel est du reste le voeu de Jacques Toubon, ancien ministre de la culture et de la francophonie, que vous avez reçu voilà quelques mois.

Il me paraît en revanche très important de veiller au renforcement de l'interministérialité des missions de la délégation, ce qui n'est pas forcément complètement compris ni entendu par l'ensemble des ministères.

M. Laurent Lafon, président- Votre message est bien reçu !

Je note qu'il est tout de même paradoxal que le ministre chargé de la francophonie soit, lui, rattaché aux affaires étrangères et qu'il s'occupe du commerce extérieur...

Je vous remercie pour vos réponses à nos questions, monsieur le délégué général.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
ET DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Auditions des rapporteurs

Mardi 26 mars 2024

- Fédération internationale des professeurs de français (FIPF) : Mme Cynthia EID, présidente, M. Diego FONSECA, secrétaire général.

- Sciences Po Paris : M. Christian LEQUESNE, professeur de science politique.

Mercredi 27 mars 2024

Francophonie sans frontières : M. Benjamin BOUTIN, président d'honneur.

Mardi 2 avril 2024

Ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) : M. Matthieu PEYRAUD, directeur de la diplomatie d'influence.

Mardi 9 avril 2024

- Académie française : Mme Barbara CASSIN, philosophe, académicienne.

- M. Marc ELLUL, directeur d'établissements culturels et d'enseignements français à l'étranger à la retraite.

Mardi 21 mai 2024

Table ronde sur la situation des écoles FLAM :

Mmes Anne HENRY-WERNER, présidente de la Fédération FLAM Monde, Clarisse GÉRARDIN, sous-directrice langue française et éducation du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, et Linda NAIT BOUDA, cheffe du bureau de la coopération éducative de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE).

Mercredi 22 mai 2024

Table ronde :

M. Bernard CERQUIGLINI, professeur émérite de linguistique française, et du Collectif Les linguistes attérées : M. Gilles SIOUFFI, professeur en langue française, Mme Anne ABEILLÉ, professeure en linguistique française.

Mardi 28 mai 2024

MM. Guillaume GELLÉ, président de France Universités, Noureddine MANAMANNI, directeur des relations extérieures et institutionnelles de Campus France, et Slim KHALBOUS, recteur de l'Agence universitaire de la Francophonie.

Mardi 11 juin 2024

Organisation internationale de la Francophonie (OIF) : Mme Nivine KHALED, conseillère langue française et rédaction de la secrétaire générale, M. Hervé BARRAQUAND, directeur de cabinet de la secrétaire générale.

Mercredi 12 juin 2024

France Médias Monde (FMM) : Mme Marie-Christine SARAGOSSE, présidente-directrice générale.

Mardi 18 juin 2024

- Association francophone d'amitié et de liaison (AFAL) : MM. Emmanuel MAURY, vice-président, et Jacques KRABAL, conseiller du président.

- Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) : MM. Paul DE SINETY, délégué général à la langue française et aux langues de France, et Vincent LORENZINI, chef de la mission langues de France et outre-mer, et Mmes Mélissa FORT, cheffe de la mission emploi de la mission et diffusion de la langue française, et Laure GONNET, chargée de mission pour l'emploi du français dans le secteur français.

Mercredi 19 juin 2024

Fondation des alliances françaises : M. Yves BIGOT, président.

Lundi 2 septembre 2024

CAIRN : M. Thomas PARISOT, directeur général adjoint.

Jeudi 5 septembre 2024

Mme Louise BEAUDOIN, femme politique québécoise, diplomate fonctionnaire.

Vendredi 13 septembre 2024

Conférence des ministres de l'éducation des États et gouvernements de la francophonie (Confemen) : Professeur Abdel Rahamane BABA-MOUSSA, secrétaire général.

Audition plénière

Mercredi 20 mars 2024

M. Paul DE SINETY, délégué général à la langue française et aux langues de France.

Contribution écrite

Ø Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE)

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE
ET DE SUIVI DES RECOMMANDATIONS

N° de la recommandation

Recommandations

Acteurs concernés

Support

Axe n° 1
Promouvoir le français et le multilinguisme

1

Mener une stratégie offensive, en lien avec les pays francophones de l'Union européenne, pour que le français, demeure, dans les faits, la langue de travail des institutions européennes.

Pays membres
de la Francophonie

Résolution, programmes

2

Promouvoir les langues régionales dans le cadre d'un dialogue constructif entre l'État et les collectivités territoriales.

Ministères, collectivités territoriales

Textes réglementaires

Axe n° 2
Garantir un enseignement du et en français de qualité à travers le monde

3

Faire de la revalorisation du métier d'enseignant de et en français la Grande Cause de la Francophonie, afin de garantir un apprentissage du et en français de qualité, dans l'espace francophone et au-delà.

Pays membres
de la Francophonie

Résolution, programmes

4

Afin de lui permettre de déployer tout son potentiel, faire évoluer le dispositif Flam vers un programme francophone co financé par les pays francophones, en s'appuyant sur la structuration du réseau mise en oeuvre par la fédération Flam Monde

Ministère de l'Europe et des affaires étrangères, pays membres de la Francophonie

Textes réglementaires

5

Poursuivre le soutien financier au réseau culturel français et engager une réflexion sur sa mutualisation avec d'autres pays francophones.

Ministère de l'Europe et des affaires étrangères, pays membres
de la Francophonie

Projet de loi
de finances, résolution

Axe n° 3
Valoriser le français comme langue des études supérieures et de la recherche

6

Créer un « Erasmus francophone », afin de susciter chez la population étudiante un sentiment d'appartenance à l'espace francophone.

Pays membres
de la Francophonie

Résolution

7

Faciliter l'obtention d'un visa francophone aux étudiants éligibles à ce programme de mobilité dans l'espace francophone

Pays membres
de la Francophonie

Résolution

8

Mettre en place, au sein de l'espace francophone, un programme de mobilité en faveur des jeunes chercheurs.

Pays membres
de la Francophonie

Résolution

9

Encourager et valoriser la production scientifique en français, notamment dans le cadre de l'évaluation scientifique des chercheurs.

Ministère de l'Enseignement supérieur
et de la Recherche

Textes réglementaires

10

Soutenir l'émergence d'un espace scientifique francophone.

Pays membres
de la Francophonie

Résolution

Axe n° 4
Renforcer la présence du français dans l'écosystème numérique

11

Intensifier la lutte contre la fracture numérique dans l'espace francophone

Pays membres
de la Francophonie

Résolution

12

Lancer une initiative, au sein de la Francophonie, en faveur de la découvrabilité en ligne des contenus culturels francophones, donnant lieu à une stratégie commune d'action, sur le modèle de celle élaborée par la France et le Québec

Pays membres
de la Francophonie

Résolution

13

Amender la convention de l'Unesco de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, afin d'y introduire l'enjeu de découvrabilité des contenus culturels numériques

Unesco

Convention
de l'Unesco
de 2005

14

Élargir la coopération bilatérale franco québécoise sur la découvrabilité en ligne des contenus scientifiques francophones à d'autres partenaires francophones

Pays membres
de la Francophonie

Résolution

Axe n° 5
Réactualiser, renforcer et mieux appliquer la loi Toubon

15

Élargir et adapter le périmètre d'application de la loi Toubon :

- intégrer de nouveaux secteurs de l'économie et de la société dans son champ d'application ;

- l'adapter aux nouveaux enjeux numériques et technologiques ;

- expertiser sa compatibilité avec le droit communautaire.

Gouvernement, Parlement

Projet de loi, proposition
de loi

16

Clarifier et compléter la loi Toubon :

- adapter les articles 2 (consommation, publicité, audiovisuel) et 4 (espace public) au nouveau contexte numérique ;

- clarifier la rédaction de l'article 14 consacré aux marques employées par les personnes publiques ;

- ajouter un article pour renforcer l'emploi du français dans les services publics nationaux et locaux.

Gouvernement, Parlement

Projet de loi, proposition
de loi

17

Mieux faire appliquer la loi Toubon :

- accroître le contrôle du respect de la loi par les administrations publiques ;

- assurer l'effectivité des poursuites pénales et administratives en cas d'infraction ;

- consolider le rôle de pilotage interministériel de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) ;

- ouvrir une réflexion sur le renforcement des missions de la DGLFLF en s'inspirant du modèle de l'Office québécois de la langue française ;

- développer des mesures pédagogiques et d'accompagnement pour mieux faire connaître la législation en vigueur ;

- sensibiliser les acteurs publics à faire preuve d'exemplarité en matière d'usage du français.

Ministères

Textes réglementaires


* 1 Rapport d'information n° 436 (2016-2017) de M. Louis Duvernois et Mme Claudine Lepage, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.

* 2 Notion qui renvoie à une francophonie où le français est utilisé au quotidien, par opposition à une francophonie où le français est exclusivement une langue étrangère.

* 3 Chiffres cités par l'Observatoire de la langue française dans l'édition 2022 de son étude « La langue française dans le monde ».

* 4 « Multilinguisme : rapport du Secrétaire général », Organisation des Nations Unies, 4 mars 2024.

* 5 Christian Lequesne, professeur de sciences politiques à Sciences Po Paris, président du groupe de travail sur le multilinguisme et la place du français dans les institutions européennes, dont le rapport « Diversité linguistique et langue française en Europe », remis en octobre 2021, identifie 26 recommandations opérationnelles en vue de la présidence française de l'Union européenne de 2022.

* 6 Pour l'exhaustivité des actions menées par l'OIF en la matière, se référer à l'édition 2022 de son rapport quadriennal sur la langue française dans le monde.

* 7 Ce rapport, élaboré par le linguiste Bernard Cerquiglini en vue de la signature de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, liste 75 langues parlées par les ressortissants français sur le territoire de la République. Celles-ci sont classées en trois grands groupes : les langues régionales (basque, corse, alsacien, breton...), les langues territoriales (issues de l'immigration comme l'arabe, l'arménien...), la langue des signes française.

* 8 Chiffres de la rentrée 2023.

* 9 Ce chiffre comprend les apprenants des écoles, collèges, lycées, établissements d'enseignement supérieur public et privés, ainsi que les effectifs des établissements hors système scolaire (instituts, alliances, centres de langues étrangères...).

* 10 Pour 2024, les crédits du programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence », corrigés de l'inflation, progressent de 5,7 % aussi bien en autorisations d'engagement qu'en crédits de paiement, soit une augmentation de 62,2 millions d'euros.

* 11 Avis n° 133 (2023-2024), Tome I, Action extérieure de l'État, Action culturelle extérieure, présenté par M. Claude Kern au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur le projet de loi de finances pour 2024.

* 12 Rapport d'information n° 436 (2016-2017) de M. Louis Duvernois et Mme Claudine Lepage, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.

* 13  Frais différenciés d'inscription à l'université pour les étrangers extra-communautaires - Communication de MM. Stéphane Piednoir et Claude Kern, mercredi 13 mars 2019.

* 14 Le terme est doté d'une majuscule lorsqu'il renvoie aux organisations et relations institutionnelles entre pays francophones.

* 15 Chiffres clefs 2024 - Campus France.

* 16 Voir infra.

* 17 Concept né au début des années 90 et aujourd'hui promu sur le plan institutionnel par l'AUF qui en a fait l'une des priorités de sa stratégie d'action 2021-2025.

* 18 Après en avoir initié l'idée à Bucarest, en octobre 2021 lors de la 5ème conférence des ministres de l'enseignement supérieur francophones, l'AUF a entrepris un travail de concertation et de synthèse pour aboutir à un projet de « Manifeste pour une diplomatie scientifique francophone ». Celui-ci a été validé par près de 40 pays représentés à la 6ème Conférence ministérielle du Caire, en octobre 2022. Ce manifeste inédit est un document de référence centré sur l'apport des systèmes éducatifs et universitaires aux décideurs politiques. Son originalité est de proposer une méthodologie et des thématiques prioritaires de coopération internationale et de partenariats dans l'espace francophone, qui soient portées par les gouvernements et soutenues par un réseau mondial d'experts et de scientifiques francophones.

* 19 Étude réalisée au moyen de 140 indicateurs par l'Observatoire de FUNREDES sur 329 langues, comptant un million de locuteurs.

* 20 Édition 2022 du « Baromètre des langues dans le monde » réalisé sur 634 langues à partir de 13 facteurs.

* 21 Acronyme construit à partir des initiales des grands groupes du net tels que Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, etc., auquel on peut ajouter Spotify, Deezer, etc.

* 22 Rapport de la mission franco-québécoise sur la découvrabilité en ligne des contenus culturels francophones, ministère de la culture et des communications du Québec et ministère de la culture de la France, 2020.

* 23 Convention de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.

* 24 Rapport n° 573 (2021-2022) de Mme Laure Darcos, sénatrice, MM. Pierre Ouzoulias, sénateur et Pierre Henriet, député, fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

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