B. FACE À LA CRISE DE DISPONIBILITÉ DU DÉBUT DES ANNÉES 2000, LA STRUCTURE ÉTATIQUE DU MCO A ÉTÉ RÉFORMÉE, TANDIS QU'A ÉTÉ DÉPLOYÉE UNE STRATÉGIE DE « VERTICALISATION » ET DE « GLOBALISATION » DES CONTRATS DE MAINTENANCE
1. Face à une crise de disponibilité des matériels au début des années 2000...
Le début des années 2000 a été marqué par ce qu'on a qualifié de « crise de disponibilité » des matériels militaires, dans les trois milieux. Entre 1997 et 2000, le taux de disponibilité des matériels majeurs de l'armée de l'air a par exemple perdu 9 points, celui des sous-marins nucléaires d'attaque 27 points et celui des véhicules de l'avant-blindés 10 points.
Une telle évolution s'explique en particulier par une réduction des moyens budgétaires du MCO mise en oeuvre à la fin des années 1990, une nature du parc de matériels peu favorable à la performance du MCO et une organisation inefficiente des services étatiques en charge du MCO, comme le soulignait un rapport de la Cour des comptes de 201419(*).
Dégradation de la disponibilité
technique des matériels militaires
entre 1997 et 2000
(en %)
Source : commission des finances, d'après les données de la Cour des comptes20(*)
Face à cette dégradation rapide, des réformes ont été mis en place dès le début des années 2000. Elles ont été approfondies et adaptées depuis, notamment à l'occasion de l'exécution de la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 202521(*). Elles comportent deux volets : d'une part, la réforme de l'organisation des services étatiques en charge du MCO ; d'autre part, une adaptation de la politique d'externalisation du MCO auprès des industriels privés.
2. ...le fonctionnement du MCO a fait l'objet de réformes successives, tenant à son organisation étatique...
Le premier chantier de réforme du MCO a porté, dès le début des années 2000, sur l'organisation du MCO interne au ministère des armées.
Cette réforme s'est traduite par la mise en place d'un pilotage davantage centré sur la performance - décliné en objectifs en termes de disponibilité -, d'une nouvelle gouvernance et d'une modification de la répartition des compétences et des responsabilités. En outre, la configuration antérieure impliquant la responsabilité de chaque armée dans le MCO de ses matériels, a été abandonnée en 2012 au profit d'une répartition des compétences par « milieu » (terrestre, aérien et naval) destinée à permettre une gestion « interarmées » des équipements. Ainsi, les aéronefs relèvent par exemple par principe du milieu aéronautique, qu'ils soient utilisés par l'armée de l'air et de l'espace, la marine ou l'armée de terre.
Ont ainsi été créés, en 2000, la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques de la défense (SIMMAD22(*)) et le SSF, puis la SIMMT en 2010. En outre, le soutien dit « initial » a été confié à la DGA. Parallèlement, les maitres d'oeuvre industriels étatiques, à la structure éclatée, ont été regroupés en trois services : le SIAé (en 2008), le SLM et le SMITer (en 2010).
Cette réforme organisationnelle a été approfondie plus récemment, à l'occasion de l'exécution de la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 202523(*), qui a fait de la modernisation du MCO un « chantier majeur », selon le bilan de l'exécution de la programmation militaire pour la période 2019-2023 transmis par le Gouvernement au Parlement en janvier 202424(*). La poursuite de la réforme visait trois objectifs : améliorer la disponibilité des équipements, accroître l'activité des forces et maîtriser les coûts d'utilisation des équipements. Composé d'un volet organisationnel et d'un volet contractuel, elle a principalement porté sur le MCO aéronautique s'agissant du pan organisationnel.
Le MCO aéronautique a ainsi vu la création de la DMAé, en remplacement de la SIMMAD. Si le rapporteur spécial a déjà eu l'occasion de constater que les faiblesses organisationnelles du MCO étaient davantage imputables à un défaut de coordination entre les structures existantes qu'à ces structures elles-mêmes, il n'y a pas vu d'inconvénient particulier25(*).
Le rapporteur spécial constate, en tout état de cause, que les structures du MCO ont fait l'objet d'importantes évolutions durant les deux dernières décennies. À l'issue de ces réformes, la structure étatique n'est pas toujours harmonisée. C'est notamment le cas s'agissant du rattachement de la DMAé directement à l'état-major des armées depuis la création de cette direction, alors que la SIMMT et le SSF sont rattachés respectivement à l'état-major de l'armée de terre et l'état-major de la marine26(*).
3. ... et aux modalités d'externalisation d'une partie de la fonction, via une « verticalisation » ou « globalisation » des contrats
a) La « verticalisation » ou « globalisation » des contrats
Le second volet des réformes du MCO, et sans doute le plus significatif, a consisté à modifier les modalités d'externalisation d'une partie du MCO aux industriels privés. Formalisée sous la forme de l'annonce par Florence Parly, alors ministre des armées, de la « verticalisation » des contrats en 2017 dans le cadre du plan de modernisation du MCO aéronautique, cette évolution de certains contrats de maintenance est en réalité amorcée depuis le début des années 2000, en particulier dans la marine.
Globalement, la « verticalisation » ou la « globalisation » des contrats consiste à confier à un maître d'oeuvre principal (ou à un nombre très réduit), par des contrats de longue durée, un périmètre d'action couvrant l'intégralité du soutien d'un parc donné (chaîne logistique, chaîne technique et chaîne de maintenance), à charge pour lui de gérer les interfaces entre ses sous-traitants. Ces contrats verticalisés ont pour finalités principales :
• de réduire le nombre de contrats pour une même flotte afin de minimiser les interfaces entre les différents industriels mainteneurs, génératrices de complexité pour les structures de soutien (SIMMT, SSF, DMAé) ;
• de responsabiliser davantage les maîtrises d'oeuvre industrielles privées en leur fixant des objectifs précis, en leur donnant les moyens requis et en les rémunérant en fonction des résultats atteints. Les objectifs fixés peuvent varier dans leur définition, notamment en fonction de la nature des flottes : taux de disponibilité des matériels sur la base du nombre d'heures d'utilisation, qualité et délais pour les différents cas de maintenance, nombre et délais pour la fourniture de pièces de rechange, etc. Chaque contrat prévoit une phase de montée en puissance (typiquement de 24 à 36 mois).
À titre d'exemple, le marché de MCO verticalisé des chars Leclerc, notifié à Nexter - devenu KNDS en 2024 - en 2021, prévoit un objectif de disponibilité des pièces de rechange du parc de 80 % pour le parc régimentaire et de 95 % pour le parc dédié aux opérations extérieures ;
• d'allonger la durée des contrats afin de donner de la visibilité aux industriels, pour leur permettre d'investir dans un outil industriel et d'optimiser leurs prestations à moindres coûts. À titre d'exemple, le marché de MCO verticalisé des chars Leclerc s'étale sur une durée de dix ans.
Les contrats « verticalisés » ou « globalisés » s'accompagnent le plus souvent du transfert de la stratégie de constitution et de gestion des stocks à l'industriel privé. Celui-ci est alors chargé de fournir les pièces nécessaires dans un délai donné mais est libre des moyens d'y parvenir. Une logique de flux tendu est le plus souvent mis en place par l'industriel pour réduire ses coûts, avec une production retardée au maximum pour constituer un minimum de stock.
Schéma classique de « verticalisation » des contrats
Source : commission des finances du Sénat
Des contrats répondant à cette logique sont en réalité déjà conclus depuis les années 2000, notamment au sein de la marine. En effet, la stratégie de contractualisation du SSF repose notamment sur la mise en place de marchés pluriannuels « pièces et main-d'oeuvre » par famille de bâtiments (porte-avions, sous-marins, frégates, bâtiments de soutien, etc.) qui répondent à la logique des contrats verticalisés.
Néanmoins, la stratégie de verticalisation des contrats a été fortement développée à compter de 2018, selon une acuité toutefois très variable dans les trois milieux. Selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, une quarantaine de contrats verticalisés ont été conclus depuis 2018, dont trente environ dans le milieu aéronautique, témoignant d'une dynamique propre dans ce milieu.
Cette accélération s'est également accompagnée d'évolutions dans la conception des contrats. Ainsi, de plus en plus de contrats verticalisés ont prévu une rémunération du titulaire du contrat à l'heure de vol (Rafale) ou de fonctionnement (Char Leclerc) pour la maintenance de l'ensemble du parc, dans le cadre du respect par les armées d'une fourchette d'activité globale. Dans le cas où le niveau maximal d'activité serait dépassé, une rémunération supplémentaire du mainteneur devrait être prévue, par le biais de l'affermissement d'une tranche supplémentaire du contrat ou de sa modification, selon les cas.
Pour le Rafale, le contrat RAVEL27(*) prévoit ainsi une rémunération du mainteneur (DASSAULT) à l'heure de vol pour une activité globale prévue entre 285 000 et 450 000 heures de vol par an en moyenne sur la durée du contrat (soit une fourchette de - 25 % à + 20 % par rapport à l'activité habituelle).
b) La verticalisation des contrats a récemment été la plus forte dans le milieu aéronautique, sans qu'une doctrine générale d'utilisation des contrats verticalisés ne soit utilisée par les armées
Dans le milieu aéronautique, la verticalisation des contrats concerne aussi bien les aéronefs (Rafale, Mirage 2000, A400M, C135, Casa, MRTT, Atlantique 2, Falcon 50/200, AWACS, Alphajet et prochainement ALSR), que les hélicoptères (Fennec, Tigre, Cougar, Caracal, NH90, Gazelle et Dauphin Pedro-Panther), le système de commandement et de conduite des opérations aérospatiales et les systèmes optroniques aéroportés. Les contrats verticalisés du milieu sont d'une durée variant de quatre à dix-huit ans.
Selon les informations fournies au rapporteur spécial, le coût des contrats verticalisés en termes d'engagements cumulées dans le domaine aéronautique atteindrait aujourd'hui 21,4 milliards d'euros, dont près de 42 % pour la chasse aérienne.
Ventilation par type de flottes du coût
engagé pour les contrats verticalisés
de MCO dans le milieu
aéronautique
(en milliard d'euros et en %)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial
Il convient de noter que si l'essentiel des contrats verticalisés sont conclus avec des industriels privés, la maintenance des flottes Pedro-Panther a été confiée au SIAé (à l'exception du moteur). En 2024 et 2025, les principaux renouvellements de contrats verticalisés concerneront les flottes A400M, Tigre et AWACS.
La verticalisation des contrats de maintenance du Rafale
Le Rafale de la marine nationale et de l'armée de l'Air et de l'Espace a fait l'objet d'une verticalisation et d'une globalisation des contrats de sa maintenance.
Cette verticalisation s'appuie essentiellement sur deux contrats :
- d'une part, le contrat dit « RAVEL » (contraction de « Rafale verticalisé »), conclu en avril 2019 avec Dassault Aviation pour 10 ans, qui porte l'essentiel des activités de soutien de la cellule et des équipements associés, hors moteur ;
- d'autre part, le contrat dit « BOLERO » (« brique optimale pour la logistique et l'entretien des réacteurs opérationnels ») conclu durant l'été 2021 avec Safran Aircraft Engines pour 10 ans, qui porte sur le moteur.
Par ailleurs, le MCO du Rafale est complété par un troisième contrat dit « OPERA », confié au SIAé pour ce qui concerne la mise en place de guichets technico-logistiques sur les bases de l'armée de l'air et de l'espace.
Source : réponse de la DGA au questionnaire du rapporteur spécial et commission des finances
Dans le milieu naval, des marchés pluriannuels « pièces et main-d'oeuvre » par famille de bâtiments continuent d'être conclus, en plus de ceux déjà signés depuis les années 2000. Ont ainsi été signés en 2023 quatre marchés de ce type (bâtiment Monge, navires, vedettes et engins portuaires basés à Cherbourg, patrouilleurs Antilles-Guyane et système de surveillance des approches maritimes). Ont en outre été récemment renouvelés les contrats de maintenance de différents types de frégates, des porte-hélicoptères amphibies, du bâtiment Somme et des bâtiments de soutien et d'assistance outre-mer. Le SSF privilégie des marchés d'une durée de cinq à sept ans mais la durée peut toutefois être modulée.
Selon les informations fournies au rapporteur spécial, le coût des contrats verticalisés en termes d'engagements cumulées dans le domaine naval atteindrait aujourd'hui, pour ce qui concerne les contrats notifiés en 2022 et 202328(*), plus de 2 milliards d'euros. Les coûts les plus significatifs concernent le MCO des frégates multi-missions (FREMM).
Enfin, dans le milieu terrestre, une poignée de contrats verticalisés ont été conclus, s'agissant des chars Leclerc, des véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI), des véhicules militaires blindés de reconnaissance-feu AMX-10RC, des canons automoteurs CAESAR, des camions porteurs polyvalents terrestres (PPT) et des véhicules articulés et blindés dits à haute mobilité (VHM). En termes de coûts, le MCO verticalisé représenterait, en ordre de grandeur, 250 millions d'euros par an pour les chars Leclerc, 25 millions d'euros pour les canons automoteurs CAESAR et 15 millions d'euros pour les PPT.
Au total, il apparait qu'il n'existe pas de doctrine générale commune pour l'utilisation des contrats verticalisés dans les trois milieux. La verticalisation des contrats a été fortement et rapidement développée dans le milieu aéronautique, et constitue une pièce centrale de la stratégie de contractualisation. Pour le MCO naval, les marchés pluriannuels verticalisés par famille de bâtiments continuent d'être développés, mais sont complétés par des contrats transverses29(*) pour certains équipements et pièces spécifiques ou certaines prestations. Enfin, pour le MCO terrestre, la verticalisation est ciblée, même si elle porte sur des équipements cruciaux. Les contrats non verticalisés restent ainsi majoritaires.
De telles différences s'expliquent en particulier par de fortes disparités de la nature des parcs et du paysage industriel dans les différents milieux, avec notamment, en moyenne, une hétérogénéité d'équipement bien plus grande dans l'armée de terre que dans les deux autres armées et un niveau de complexité technologique encore plus élevé dans les milieux naval et aéronautique.
* 19 Le maintien en condition opérationnelle des matériels militaires : des efforts à poursuivre, rapport public thématique, septembre 2014, Cour des comptes.
* 20 Le maintien en condition opérationnelle des matériels militaires : des efforts à poursuivre, rapport public thématique, septembre 2014, Cour des comptes.
* 21 Loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.
* 22 Devenue la DMAé ultérieurement, voir infra.
* 23 Loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.
* 24 Bilan de l'exécution de la programmation militaire pour la période 2019-2023 transmis par le Gouvernement en application de l'article 9 de la loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.
* 25 Rapport d'information fait au nom de la commission des finances sur la disponibilité des hélicoptères du ministère des armées, M. Dominique de Legge, 11 juillet 2018.
* 26 Voir infra.
* 27 Voir infra.
* 28 Le rapporteur spécial n'a pas à sa disposition d'informations plus étendues dans le temps.
* 29 Voir infra.