III. ADAPTER LES MISSIONS DES ABF AUX DÉFIS DE DEMAIN
A. LA RATIONALISATION DU PÉRIMÈTRE DE CONTRÔLE DES ABF, ENCLENCHÉE PAR LA LOI LCAP DE 2016, DOIT PASSER À LA VITESSE SUPÉRIEURE
Les architectes des bâtiments de France sont dotés de pouvoirs propres dans certaines zones du territoire. De par la superficie considérable de ces territoires, d'une part, du caractère discrétionnaire de leurs pouvoirs, d'autre part, des frictions et des incompréhensions peuvent naitre entre les ABF, les élus locaux et les porteurs de projet comme on a pu le souligner.
Dès lors, le législateur a cherché des solutions pour mieux encadrer et sécuriser l'exercice par l'ABF de ce qui apparait parfois comme une forme de « droit de veto », sans remettre en cause le principe de l'accord préalable. La solution retenue a consisté à définir des périmètres géographiques précis, ce qui offre une meilleure prévisibilité tout en soulageant les ABF de travaux inutiles.
Les travaux de la mission d'information ont cependant montré que de nombreuses difficultés pouvaient subsister, aussi bien dans la mise en place de ces zones que dans l'exercice de leurs compétences par les ABF en leur sein.
1. Les zones protégées et le domaine des ABF
a) Trois types d'espace qui obéissent à trois logiques
Au titre de leurs missions de contrôle, le champ d'intervention des ABF s'étend à trois types d'espaces.
Deux de ces espaces procèdent du code du patrimoine.
Ø Les sites patrimoniaux remarquables (SPR)
Aux 844 sites patrimoniaux remarquables (SPR) correspondent des servitudes d'utilité publique instituées par une autorité publique dans un but d'intérêt général.
Mis en place par la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (loi « LCAP »), ces SPR se sont substitués aux secteurs sauvegardés, zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) et aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (AVAP).
L'article L. 631-1 du code du patrimoine les définit de la manière suivante : « Sont classés au titre des sites patrimoniaux remarquables les villes, villages ou quartiers dont la conservation, la restauration, la réhabilitation ou la mise en valeur présente, au point de vue historique, architectural, archéologique, artistique ou paysager, un intérêt public.
« Peuvent être classés, au même titre, les espaces ruraux et les paysages qui forment avec ces villes, villages ou quartiers un ensemble cohérent ou qui sont susceptibles de contribuer à leur conservation ou à leur mise en valeur. »
Dans ces sites, les projets de modification des parties extérieures des immeubles bâtis, des immeubles non bâtis (par exemple, cour ou jardin) et des éléments d'architecture ou de décoration doivent recueillir une autorisation préalable de l'ABF compétent. En fonction du document de gestion élaboré pour assurer la protection du SPR - plan de valorisation de l'architecture et du patrimoine (PVAP) ou plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) - les intérieurs peuvent également être soumis au même régime d'autorisation préalable.
Ø Les abords des monuments historiques
Les constructions situées à proximité d'un monument historique sont soumises à des mesures particulières de protection.
La protection au titre des abords peut être assurée de deux façons :
ü dans le cadre d'un périmètre délimité des abords (PDA), en application des articles L. 621-30 et L. 621-31 du code du patrimoine (voir infra) ;
ü en l'absence de PDA, la règle des 500 mètres autour du monument s'applique, à condition qu'il y ait une visibilité réciproque. La visibilité réciproque ou covisibilité signifie que le bâtiment est visible depuis le monument historique, ou que le bâtiment et le monument peuvent être vus ensemble à partir d'un lieu normalement accessible au public. L'appréciation de la visibilité réciproque est de la compétence de l'ABF lors de l'instruction des demandes de travaux.
Les travaux susceptibles de modifier l'aspect extérieur d'un immeuble, bâti ou non bâti, protégé au titre des abords sont soumis à une autorisation préalable de l'ABF. L'autorisation peut être refusée ou assortie de prescriptions lorsque les travaux sont susceptibles de porter atteinte à la conservation ou à la mise en valeur d'un monument historique ou des abords.
Un exemple de transformation d'un avis conforme en avis simple
L'article 56 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (loi « ELAN ») a transformé l'avis conforme de l'ABF sur tout projet situé dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable ou dans les abords des monuments historiques en avis simple pour :
- l'installation d'antennes relais de radiotéléphonie mobile et des locaux nécessaires à leur fonctionnement ;
- les opérations relatives à l'habitat dans des installations insalubres ou impropres (article L. 522-1 du code de la construction et de l'habitation) ;
- les mesures prescrites pour les immeubles à usage d'habitation déclarées insalubres à titre irrémédiable (article L. 1331-28 du code de la santé publique) ;
- les mesures prescrites pour des immeubles à usage d'habitation menaçant ruine ayant fait l'objet d'un arrêté de péril et assorti d'une ordonnance de démolition ou d'interdiction définitive d'habiter (article L. 511-2 du code de la construction et de l'habitation).
On dénombre près de 1 000 SPR98(*) et 45 000 abords de monuments historiques (dont près de 3 000 PDA), correspondant à environ 8 % du territoire français.
Le dernier des espaces protégés procède du code de l'environnement.
Ø Les sites classés et sites inscrits
Le régime des sites est issu de la loi du 2 mai 1930 ayant pour objet de réorganiser la protection des monuments naturels et des sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque.
Un site inscrit est un espace naturel ou bâti de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque qui nécessite d'être conservé.
En site inscrit, l'administration doit être informée au moins quatre mois à l'avance des projets de travaux. L'ABF émet un avis simple (article R. 341-9 du code de l'environnement), sauf pour les permis de démolir qui supposent un avis conforme (article R. 425-18 du code de l'urbanisme).
On dénombre 2 665 sites classés et 4 100 sites inscrits (données 2024), qui représentent environ 4 % du territoire français, avec de fortes superpositions de servitudes d'utilité publique entre ces espaces et ceux relevant du code du patrimoine.
b) Une approche en termes de superficie qui ne rend pas compte de l'importance des ABF
Le chiffre de 8 % du territoire a souvent été avancé durant les auditions pour mesurer les zones protégées soumises pour les travaux à un avis de l'ABF. Ainsi, lors de son audition le 28 mars, Jean-François Hébert, directeur général des patrimoines et de l'architecture, a indiqué : « Les UDAP exercent leur activité au sein d'espaces protégés qui couvrent environ 8 % du territoire, selon les dernières données disponibles », tout comme Albéric de Montgolfier, président de la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture : « Quand on cumule le périmètre de 500 mètres autour d'un monument classé ou inscrit relevant d'une autorisation pour travaux, les surfaces couvertes par les SPR et les sites naturels classés ou inscrits, 8 % du territoire français sont potentiellement concernés par un avis de l'un des 189 ABF ».
Cependant, cette approche en termes de superficie ne permet d'appréhender qu'imparfaitement le domaine d'intervention des ABF, qui représente en réalité 31,7 % si l'on prend en compte non plus la surface, mais le nombre de logements.
Part des logements inclus dans un périmètre protégé en 2023
Source :
« Les logements dans le périmètre de
protection patrimoniale »,
Ministère de la transition
écologique et de la cohésion des territoires,
février 2024
L'écart entre les 8 % du territoire et la proportion de logements s'explique par le fait que les espaces protégés, et en particulier les abords, sont majoritairement situés dans les zones urbanisées, que ce soit les grandes villes ou bien les centres des villages ruraux, fréquemment occupés par des monuments qui bénéficient d'une protection au titre des abords.
La part de logements protégés augmente ainsi avec la taille de l'unité urbaine, certaines villes étant par ailleurs presque intégralement incluses dans un périmètre de protection comme Paris (94 %), Nancy (89 %) ou Rouen (83 %).
Part des logements dans les périmètres de protection en fonction du statut de la commune
Source : « Les logements dans
le périmètre de protection
patrimoniale »,
Ministère de la transition
écologique et de la cohésion des territoires,
février 2024
La compétence des ABF s'étend donc sur près d'un tiers des logements du pays99(*).
2. Le PDA : une avancée majeure mais une procédure complexe
Les abords des monuments historiques représentent 70 % de la zone d'intervention des ABF. Ils concentrent donc l'essentiel de l'attention.
Comme on l'a vu dans la première partie du présent rapport, la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) avait prévu la création d'un zonage plus précis qui transforme la servitude automatique des 500 mètres en un périmètre délimité des abords (PDA).
La loi CAP de 2016 a eu pour objectif de simplifier et moderniser ce dispositif en unifiant des procédures jugées comme trop complexes.
Depuis 2016, il est donc possible de mettre en place un périmètre délimité des abords (PDA) autour d'un ou de plusieurs monuments historiques, à l'occasion de l'élaboration, de la révision, de la modification d'un document d'urbanisme (PLU ou PLUi), lors du classement d'un monument historique, ou bien à tout autre moment. La loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (loi ELAN) a modifié l'article L. 621-31 du code du patrimoine en permettant à l'autorité compétente de proposer la création d'un PDA, prérogative auparavant réservée à l'ABF.
Les procédures sont similaires, en imposant notamment le recours à une enquête publique. Dans une procédure via document d'urbanisme, l'enquête publique est mutualisée et porte à la fois sur ledit document et sur le projet de PDA.
L'article R. 621-92-1 du code du patrimoine impose que le préfet, préalablement à l'inscription d'un immeuble, saisisse l'ABF et informe l'autorité compétente afin qu'ils proposent, le cas échéant, un PDA. Il est toutefois possible, en cas de désaccord entre l'ABF et l'autorité compétente, de créer le PDA par arrêté du préfet de région, après examen en CRPA, lorsque le périmètre ne dépasse pas le rayon de 500 mètres.
Le PDA est souvent présenté comme une avancée majeure pour l'apaisement des tensions au niveau local, et ce pour deux raisons :
ü d'une part, son élaboration est l'occasion d'un dialogue entre toutes les parties prenantes, à commencer par les élus et l'ABF, ce qui offre à chacun l'opportunité de mieux appréhender les problématiques spécifiques aux territoires et à la protection du patrimoine paysager aux alentours d'un monument historique ;
ü d'autre part, et une fois mis en place, le PDA réduit la zone d'intervention aux emplacements où la covisibilité fait consensus.
L'exemple suivant de PDA est tiré du déplacement effectué par la mission d'information à Lyon le 11 juillet 2024. Il concerne l'îlot prototype de la Cité des États-Unis, conçu par l'architecte Tony Garnier et situé dans le 8ème arrondissement de la ville.
La protection initiale : |
Périmètre délimité des abords défini en 2024 |
La mise en place en 2024 du PDA a permis de réduire sensiblement les zones concernées par l'avis conforme, en concentrant l'action de l'ABF sur la cité des États-Unis. |
Ces arguments sont ainsi repris lors de son audition du 28 mars 2024 par Jean-François Hébert, directeur général des patrimoines et de l'architecture au ministère de la culture : « Les PDA permettent un dialogue nourri entre l'ABF et les collectivités pour délimiter des périmètres de manière très fine. C'est un travail de dentelle, qui nécessite des crédits d'études, mais c'est l'avenir ! Cette concertation permet de mieux faire accepter les décisions des ABF. J'ai en tête un PDA dans les Alpes-Maritimes qui a apaisé les tensions locales. »
3. Innovation prometteuse, le PDA souffre cependant de deux limites
S'il apparait comme une innovation essentielle et appréciée, le mécanisme des PDA souffre cependant de deux limites.
a) Première limite : une massification qui se fait attendre
L'idée principale de la loi CAP était de permettre la création d'un grand nombre de PDA, vus comme des occasions de rationnaliser l'exercice de ses pouvoirs par l'ABF. Depuis 2016, le nombre de PDA a ainsi été multiplié par trois. Cependant, si l'on note une accélération ces dernières années, avec un quasi-doublement entre 2020 et 2022, les résultats s'avèrent encore décevants, avec seulement 6,5 % des monuments historiques dotés d'un PDA fin 2022.
On observe par ailleurs de très fortes différences entre départements. Seuls un tiers d'entre eux a mis en place plus de 25 PDA, avec des écarts importants.
Il ressort des retours des DRAC et des UDAP qu'il est rarement créé de PDA simultanément à la protection d'un immeuble au titre des monuments historiques. Le recours à la procédure portée par l'ABF est rare et semble réservé à des monuments emblématiques, lorsque le document d'urbanisme a déjà fait l'objet d'une révision ou d'une modification.
La procédure la plus utilisée est donc celle via document d'urbanisme, qui permet de mutualiser l'enquête publique. Les résultats de l'enquête mise en ligne par la mission d'information à destination des élus locaux confirment largement la rareté de la mise en place d'un PDA de manière isolée. Ainsi, parmi les répondants, 65 % des PDA ont été institués à l'occasion de la création ou de la révision du PLU, 28 % lors du classement d'un monument historique, seuls 7,6 % de manière isolée.
Les modalités de mise en place d'un PDA sont cependant largement décriées pour leur complexité et leur lourdeur, comme de nombreux témoignages ont pu le souligner devant la mission d'information. Ainsi, pour Albéric de Montgolfier le 3 avril : « Je vous confirme que la création des PDA est un processus assez lourd, qui mobilise beaucoup les communes. »
Le président de l'Association nationale des ABF, Fabien Sénéchal, entendu le 14 mai, abonde en ce sens : « S'agissant de la complexité de l'élaboration des PDA, le problème ne vient pas tant de la complexité de concevoir un PDA, car sauf à quelques exceptions près, créer un PDA demande une analyse historique et patrimoniale abordable par nos services ou par n'importe quel bureau d'étude. La difficulté porte plutôt sur la procédure administrative. Par exemple, en 2012, en Bretagne, nous avions commandé une étude pour concevoir 70 périmètres de protection modifiée (PPM, procédure antérieure aux PDA), que nous avons en réalité réalisés à 10 % en raison d'un achoppement sur les procédures administratives. Nous ne pouvons plus nous appuyer sur les préfectures ou sur les directions départementales des territoires (DDT), car elles nous renvoient à nos propres responsabilités. » De même Hilaire Multon, directeur régional des affaires culturelles des Hauts-de-France et membre du bureau de l'association des DRAC, indiquait le 14 mai : « Les PDA sont particulièrement lourds, car ils nécessitent une enquête publique et la sollicitation des élus à travers les assemblées délibérantes, ce qui se fait sur un temps long. »
Alors que la loi de 2016 avait pour objectif de « massifier » les PDA, force est de constater qu'elle n'y est que partiellement parvenue. Lors de son audition le 7 mai, Michel Bouvard, conseiller maitre à la Cour des comptes, indiquait : « [...] les PDA ont été créés par la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP), sans qu'on en tire les conséquences pour qu'ils s'appliquent dans un délai raisonnable. [...] Le passage au PDA permettrait d'améliorer la sécurité juridique et de traiter prioritairement les secteurs aux plus forts enjeux patrimoniaux. Cela justifierait, temporairement, une procédure déconnectée du lien avec la révision ordinaire des documents d'urbanisme. Lors de la publication du rapport, sur 45 000 monuments historiques, il n'y avait que 1 500 PDA actifs. »
Le fait que le PDA soit la plupart du temps créé en même temps que la révision des PLU et PLUi, mais beaucoup plus rarement de manière isolée, montre que la complexité de la procédure et son coût, essentiellement celui de l'enquête publique évalué entre 10 000 et 15 000 euros, pèsent au regard de nombreux élus d'un poids supérieur aux bénéfices attendus.
b) Seconde limite : un contenu encore incomplet
Si le PDA apparait comme un élément essentiel et un outil éprouvé dans la simplification de la gestion des documents d'urbanisme et des autorisations, il n'en demeure pas moins en l'état incomplet.
En effet, au sens strict du terme, il ne règle que la question, certes centrale, de la covisibilité. Le PDA permet de répondre une bonne fois pour toutes, sur un territoire, à la problématique toujours source de conflits de savoir si l'accord de l'ABF est nécessaire dans tel ou tel endroit, au regard de ce critère. Avec un PDA, la question ne se pose plus : en dehors du PDA, l'avis de l'ABF n'est pas requis, dans le PDA, il est obligatoire, la covisibilité étant acquise.
Cependant, au sein d'un PDA, l'ABF exerce sa compétence en appréciant au cas par cas la compatibilité des travaux proposés avec la préservation du cadre patrimonial. Privé de lignes directrices, l'ABF peut ainsi être exposé, comme on a pu le souligner, à des accusations sur le sens de ses décisions qu'il n'a pas nécessairement le temps, compte tenu de leur nombre, d'expliquer avec précision, d'où des tensions dans les territoires. Le PDA constitue donc un début de solution, mais ne s'avère à l'usage pas toujours suffisant, faute de précisions quant à son contenu.
Le modèle souvent évoqué lors des auditions tenues par la mission d'information a été celui des documents d'accompagnement des sites patrimoniaux remarquables (SPR).
Innovation de la loi CAP de 2016, le SPR est en effet, à la différence du PDA, assorti de règlements qui permettent de préciser les attendus des travaux dans le site. Le SPR doit en effet être accompagné :
Ø pour tout ou partie par un plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV). Il doit comporter une commission locale du site patrimonial remarquable (CLSPR), composée de représentants locaux, de l'État et d'associations. La commission est consultée au moment de l'élaboration, de la révision ou de la modification du PSMV et assure le suivi de sa mise en oeuvre après son adoption ;
Ø pour les zones non couvertes par le PSMV, par un plan de valorisation de l'architecture et du patrimoine (PVAP), qui correspond aux anciennes zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) et aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (AVAP), qui ont été intégrés au sein de la catégorie des SPR par la loi CAP de 2016.
Les règlements des PSMV et des PVAP diffèrent sur trois points :
ü tout d'abord, dans leurs modalités d'adoption.
· La procédure d'adoption du règlement du PSMV, définie à l'article R. 313-7 du code de l'urbanisme, associe les collectivités, l'État et l'ABF qui, en application de l'article L. 631-3 du code du patrimoine, « veille à la cohérence du projet de plan avec l'objectif de conservation, de restauration, de réhabilitation et de mise en valeur du site patrimonial remarquable ». Les délais peuvent donc s'avérer extrêmement longs. Lors de l'audition de la Cour des comptes le 7 mai 2024, Anne Le Lagadec, conseillère référendaire en service extraordinaire, mentionne ainsi un exemple particulièrement frappant : « Il serait également important de faire aboutir la réforme des sites patrimoniaux remarquables (SPR), qui est l'un des éléments de la loi LCAP. Tous les sites relevant des anciens dispositifs de protection et de valorisation des espaces urbains et paysagers devraient être transformés en SPR, mais comme il faut repasser par la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture (CNPA) pour redélimiter les périmètres, cela se fait à un rythme d'escargot. Dans beaucoup de secteurs, le plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) est très long à aboutir. Celui de Tréguier a été mis en chantier en 1964 et n'est toujours pas adopté, à ma connaissance100(*) ».
· Le règlement du PVAP, pour sa part, est adopté en application de l'article L. 631-4 du code du patrimoine par la collectivité, ce qui lui donne plus de souplesse.
Dans les deux cas, une enquête publique est requise.
ü Ensuite, dans leur nature. Le PSMV se substitue au PLU sur la zone concernée. Simple annexe au PLU, le PVAP ne possède pas de portée en termes de planification urbaine.
ü Enfin, dans leur contenu. Il est pour partie identique et défini à l'article L. 631-4 du code du patrimoine. Il doit en particulier comprendre des prescriptions relatives à la qualité architecturale des constructions neuves ou existantes, notamment aux matériaux ainsi qu'à leur implantation, leur volumétrie et leurs abords, et des règles relatives à la conservation ou à la mise en valeur du patrimoine bâti et des espaces naturels ou urbains. L'article R. 313-5 du code de l'urbanisme complète cependant le règlement du PSMV, qui peut également comprendre des prescriptions sur la protection des intérieurs et sur les démolitions.
Le PVAP s'avère donc moins prescriptif que le PSMV.
En réponse à une interrogation du rapporteur, Julien Lacaze, président de Sites & Monuments (SPPEF), établissait ainsi devant la mission d'information le 21 mai 2024 une forme de « gradation » de la protection patrimoniale : « ... on observe une gradation des instruments de protection à disposition : le simple concept d'abords, le PDA, le plan de valorisation de l'architecture et du patrimoine, qui protège les façades, et le plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV), créé par Malraux, qui permet de protéger aussi les intérieurs et de reconquérir la pleine terre, en éliminant des bâtiments parasites. »
Ces règlements constituent un « guide » pour l'ABF lors de l'élaboration de ses avis, et améliorent leurs prévisibilités. Lors de son audition devant la mission d'information le 10 avril 2024, David Nicolas, référent patrimoine de l'Association des maires de France (AMF), maire d'Avranches et président de l'agglomération du Mont-Saint-Michel Normandie indique ainsi : « J'insiste sur le SPR. Le règlement est difficile à construire, mais, au même titre qu'un plan local d'urbanisme, c'est un bel objet. L'approche est très locale. Le règlement prend en compte toutes les composantes du patrimoine, quasiment à l'échelle de la parcelle. Une fois le diagnostic posé, le règlement emporte le consensus ».
En leur absence, l'ABF est mobilisé pour l'intégralité du SPR.
La différence entre un PDA qui ne règle « que » la question de la covisibilité et le SPR assorti d'un PSMV a été soulignée à de nombreuses reprises. Martin Malvy, président de Sites & Cités remarquables de France notait ainsi devant la mission d'information le 15 mai 2024 : « Le PDA me semble être une formule relativement risquée dans sa conception actuelle. En effet, aucun règlement ne lui est pour l'instant rattaché, au contraire du SPR, ce qui fait sa force. Un règlement permet un arbitrage, dont l'absence peut être une occasion supplémentaire de conflit, d'opposition ou d'incompréhension. »
Il existe donc un consensus sur le fait qu'un règlement adossé à une zone protégée, SPR ou PDA, facilite la gestion de l'instruction par l'ABF de ses avis, et améliore leur prévisibilité. L'Association nationale des ABF propose ainsi dans sa contribution écrite à la mission d'information d'« adosser les PDA à une démarche règlementaire portée par le PLU ou, à défaut, à un « guide indicatif » pouvant servir à la fois au demandeur et à l'ABF pour analyser les projets ». Cette position est également défendue par la Cour des comptes à travers l'intervention de Michel Bouvard : « L'ensemble des autorisations évoquées - fenêtres, velux, huisseries, etc. - nous ramène à la question des PDA. [...] comme le met en avant le rapport, on pourrait prévoir un document d'accompagnement, comme cela se fait déjà pour les secteurs sauvegardés. Le maire serait alors automatiquement en mesure de se prononcer sur la conformité ou non de certains projets. »
4. L'an II des PDA
Les PDA sont donc confrontés à un double défi : celui de leur massification, attendue depuis 2016, d'une part, et celui de leur contenu à élargir à d'autres problématiques que la covisibilité, d'autre part. La mission d'information a cherché à concilier ces deux exigences, sans imposer de nouvelles contraintes aux élus locaux, mais plutôt avec le souci d'alléger les procédures et de redonner aux collectivités une capacité d'initiative et de dialogue. Huit ans après l'adoption de la loi CAP, il est en effet temps d'en tirer les enseignements pour parfaire la politique française de protection des abords.
a) Faciliter l'adoption des PDA
Il parait essentiel de susciter les conditions permettant aux promesses de massification de la loi CAP de 2016 de voir le jour.
Cela passe en priorité par un allègement des procédures et des coûts, afin de faciliter la création de PDA en dehors de la révision des documents d'urbanisme.
Le premier verrou semble être l'enquête publique, actuellement obligatoire. Albéric de Montgolfier, président de la CNPA, notait ainsi devant la mission d'information : « Il reste que l'établissement d'un PDA requiert un investissement de la commune, et l'on comprend que la réalisation d'une enquête publique implique un coût administratif lourd pour les petites communes ». Sur le même sujet, la vice-présidente du Conseil national de l'Ordre des architectes et architecte-conseil de l'État auprès de la DRAC des Hauts-de-France, Marjan Hessamfar, indiquait également : « Je ne vois pas en quoi une enquête publique aiderait à délimiter le périmètre, la question est très pointue, il faut de l'expertise. L'avis de la population, qui est une somme d'intérêts particuliers, va, me semble-t-il, comme parasiter une réflexion construite sur le périmètre. »
Ce sujet a été très discuté durant les auditions, certains l'estimant nécessaire au regard de la garantie démocratique qu'elle représente. Il pourrait par ailleurs poser des difficultés juridiques. Pour autant, et tant que le PDA demeure limité au rayon des 500 mètres, on peut remarquer qu'il ne crée pas de nouvelles servitudes, mais au contraire les réduit par rapport au périmètre par défaut.
La suppression de l'enquête publique est ainsi notamment soutenue par les associations nationales des ABF et des DRAC, comme l'indiquait devant la mission d'information son président Laurent Roturier : « Nous croyons fortement que les PDA constituent une très bonne solution pour supprimer les différents conflits survenant autour de la notion de périmètre de 500 mètres. Nous avons d'ailleurs une proposition très simple à mettre en oeuvre et qui aura immédiatement un effet, à savoir la suppression de l'obligation d'enquête publique lorsque le PDA est inférieur au périmètre des 500 mètres. »
Recommandation n° 6 : Quand la création d'un périmètre délimité des abords (PDA) n'est pas réalisée simultanément à l'élaboration, à la modification ou à la révision du PLU, supprimer l'obligation de conduire une enquête publique figurant à l'article L. 621-31 du code du patrimoine.
Un autre axe de simplification pourrait être de supprimer la consultation obligatoire des propriétaires de monuments historiques.
En effet, si l'enquête publique existe, le propriétaire a déjà un espace pour s'exprimer. De plus, il n'est en réalité pas concerné par le PDA, qui s'intéresse non pas au monument en lui-même, mais à ses abords. Donner au propriétaire du monument une voix particulière par rapport aux riverains soumis, eux, à la servitude d'abords, apparait dès lors inéquitable et source de lourdeurs. Ainsi Fabien Sénéchal, président de l'ANABF, indique : « La procédure administrative de PDA demande que le propriétaire du monument historique soit consulté, indépendamment de l'enquête publique dans le cadre de laquelle il peut s'exprimer. La plupart du temps, cela ne pose pas de problème, mais des difficultés apparaissent en cas de copropriété, ce qui conduit à de réelles fragilités juridiques. »
Recommandation n° 7 : Supprimer, dans la procédure de création d'un PDA, la consultation obligatoire du propriétaire ou de l'affectataire domanial du monument historique concerné.
Il n'en reste pas moins que le coeur du problème demeure la volonté des élus locaux de s'emparer de cette question et d'y consacrer du temps, ce qui n'est pas toujours possible au regard de la complexité de leurs missions, en particulier dans les plus petites communes faiblement pourvues en services techniques spécialisés.
b) Faire du PDA un outil plus adapté et complet
Dès lors, et sans que cela ne puisse constituer une obligation, il convient d'inciter les collectivités à mettre en place un règlement attaché à chaque PDA, élaboré en concertation avec l'ABF et qui aurait vocation à définir une forme de « règle du jeu » dans la zone considérée. De telles initiatives ont par ailleurs déjà été prises, mais sans cadre d'ensemble.
Il ne parait à ce stade pas opportun, comme dans les PSMV et PVAP, de donner une liste exhaustive des éléments qui doivent y figurer, mais plutôt de laisser cette question ouverte au dialogue entre les élus et l'ABF.
Cette démarche est complémentaire de celle portée par Françoise Gatel, qui indiquait le 15 mai devant la mission d'information : « Sur la base du volontariat des communes, nous proposons que soit annexé au plan local d'urbanisme (PLU) un document « d'urbanisme patrimonial ». Ce document serait élaboré en amont avec les habitants, les ABF et les artisans afin de déterminer, au sein de la commune, le périmètre et les actions à engager sur le patrimoine, rue par rue. »
Des leçons doivent cependant être tirées des délais observés dans l'élaboration des PSMV dans les SPR. La procédure d'élaboration de l'adoption du règlement d'un PDA ne doit ni constituer un frein susceptible de retarder encore leur massification ni s'imposer comme un carcan dont il serait difficile de s'extraire. Ainsi Vincent Joineau, maire de Rions, pour l'Association des maires ruraux de France (AMRF), notait devant la mission d'information le 10 avril : « La capacité des règlements à intégrer les nouveaux besoins de construction pose également une difficulté [...] Pour ne prendre que l'exemple de ma commune, le règlement date de 2009. La société a fortement évolué depuis. Or, la modification de la ZPPAUP représenterait une dépense de 100 000 euros pour ma commune. Nous ne pouvons donc pas la faire évoluer tous les trois ans. Comment dépasser le règlement ? Comment l'actualiser plus régulièrement tout en préservant la qualité paysagère de notre territoire ? Je ne connais aucun maire qui souhaite altérer la qualité paysagère de sa commune, mais nous avons besoin d'outils pour répondre à des situations auxquelles nous ne pensions pas lorsque le règlement a été construit. Se pose ensuite la question du règlement, très lourd à produire et à faire évoluer. Une souplesse ne pourrait-elle pas être trouvée pour le modifier sans passer par des processus complexes ? [...] Nous devons y apporter de la plasticité ».
Pour autant, il parait difficile de faire l'économie, pour la réalisation de ce règlement du PDA, de l'enquête publique que la mission propose de supprimer pour la création du PDA. Le séquençage serait donc laissé à l'initiative des élus :
Ø le PDA au sens strict pourrait être pris sans enquête publique, donc plus rapidement et à moindre coût, ce qui permettrait de le massifier pour régler a minima la question de la covisibilité ;
Ø il pourrait être complété d'un « règlement du PDA », pris après enquête publique, cette dernière pouvant être confondue avec celles déjà prévues par le code de l'urbanisme pour l'élaboration, la révision ou la modification du PLU ou PLUi, ce qui est d'ores et déjà très largement le cas pour l'adoption d'un PDA. Le contenu de ce document devrait faire l'objet d'un accord entre l'ABF et la collectivité.
La présence d'un règlement du PDA devrait permettre de répondre aux principaux reproches adressés aux ABF, en complément des éventuels guides ou circulaires nationaux, comme sur les panneaux photovoltaïques.
Recommandation n° 8 : Encourager les élus locaux à adopter un règlement du PDA, en lien avec l'ABF et après consultation de la population dans le cadre d'une enquête publique réalisée de préférence à l'occasion de l'élaboration, de la révision ou de la modification des PLU et PLUi.
* 98 993 en juin 2024.
* 99 Sans compter les sites inscrits et classés, pour lesquels leur accord est nécessaire avant une destruction, et pour lesquels aucune estimation n'a été réalisée. Ils ont cependant été peu évoqués devant la mission d'information.
* 100 Ce cas semble cependant constituer une exception.