II. LE PARC IMMOBILIER DE L'ADMINISTRATION TERRITORIALE DE L'ÉTAT DOIT RÉUSSIR LE DÉFI DE SA TRANSITION ÉCOLOGIQUE
A. L'ÉTAT DOIT RÉPONDRE À DES CONTRAINTES QU'IL A LUI-MÊME FIXÉES
1. Les contraintes nationales et européennes imposent une rénovation thermique des bâtiments publics ambitieuse
a) Des contraintes nationales importantes, qui découlent de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (loi ELAN)
En matière d'efficacité énergétique, le constat des différentes personnes auditionnées par la rapporteure spéciale est unanime : « nous sommes absolument en retard. » Ce retard, et l'absence de réelle planification des besoins de rénovation énergétique, interviennent pourtant dans un contexte de renforcement des obligations nationales et européennes d'amélioration de la performance énergétique des bâtiments.
L'article 175 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (loi ELAN) impose en effet « de parvenir à une réduction de la consommation d'énergie finale pour l'ensemble des bâtiments soumis à l'obligation d'au moins 40 % en 2030, 50 % en 2040 et 60 % en 2050 par rapport à 2010 ». Le décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019 relatif aux obligations d'actions de réduction de la consommation d'énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire, dit « décret tertiaire », entré en vigueur à compter du 1er octobre 2019, prévoit que tous les bâtiments à usage tertiaire de plus de 1 000 m² construits avant le 24 novembre 2018 sont concernés par cette obligation.
Obligation de
baisse des gaz à effets de serre
des bâtiments tertiaires de
plus de 1000 m² au titre de la loi ELAN
Source : commission des finances, d'après l'article 175 de la loi ELAN
Selon l'étude d'impact du décret tertiaire43(*), sa mise en oeuvre rend nécessaire 17 milliards d'euros d'investissements publics sur 30 ans pour remettre à niveau le parc immobilier de l'État, sur la base d'un coût estimé en ordre de grandeur à 180 €/m². Cette estimation, grandement irréaliste car très en deçà des coûts réels de rénovation énergétique44(*), illustre l'ambigüité de l'exécutif depuis 2017 : alors que les nouvelles normes et obligations se multiplient, celui-ci ne se donne pas réellement les moyens d'y répondre. En d'autres termes, en matière environnementale, l'exécutif se place sur le plan des principes, sans se donner les moyens concrets des objectifs qu'il s'assigne.
On peut également citer une intervention de M. Gabriel Attal, alors ministre des comptes publics, dans laquelle l'ambition affichée contraste singulièrement avec les moyens arbitrés, à savoir seulement 130 millions d'euros pour un appel à projet en faveur d'actions à gains de consommation rapides.
Il a ainsi déclaré que « la rénovation énergétique des bâtiments constitue un enjeu absolument majeur pour réduire notre empreinte carbone. Et notre conviction, c'est que l'État, qui pilote un parc immobilier de 94 millions de m2, doit être à l'avant-garde de cette transformation. C'est la raison pour laquelle, dans la continuité des projets initiés dans le cadre de France Relance, nous poursuivons notre action en faveur de la sobriété des bâtiments publics. Nous mettons 130 millions d'euros sur la table dans le cadre d'un nouvel appel à projet qui a permis de faire émerger les initiatives avec le meilleur niveau de retour sur investissement ».45(*) La contradiction entre l'idée d'un État à l'avant-garde et l'ordre de grandeur de l'appel à projet, qui se trompe d'au moins une décimale, ne manque pas d'interroger.
Pour le périmètre de l'administration territoriale de l'État, le ministère de l'intérieur estime le besoin d'investissement à 226,9 millions d'euros d'ici à 2027. Si le recours à une règle de trois doit faire l'objet de certaines réserves méthodologiques46(*), il convient de relever que ce montant, rapporté aux 3,1 millions de m² de l'administration territoriale de l'État, représente une moyenne de seulement 73 euros par m².
Besoin de financement estimé par le ministère de l'intérieur pour l'ATE
(en millions d'euros)
2023 |
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
TOTAL |
|
Travaux de mise en conformité |
34,8 |
35,3 |
44,4 |
50,9 |
61,5 |
226,9 |
Source : réponses au questionnaire de la rapporteure spéciale
D'après une étude du CEREMA de juillet 202447(*), le coût des travaux nécessaires pour répondre aux objectifs 2030 du décret tertiaire est en moyenne de 300 euros par m², de 500 euros par m² pour l'objectif 2040 et 600 euros par m² pour l'objectif 2050. Ainsi, alors qu'il va être nécessaire d'investir plus de 1,5 milliard d'euros à horizon 2050 pour assurer la transition écologique du seul immobilier de l'administration territoriale, les décaissements prévus à ce stade sont très éloignés de la cible.
Comme l'indiquent explicitement les réponses de la direction de la modernisation de l'administration territoriale au questionnaire de la rapporteure spéciale : « faute de mesure budgétaire dédiée, les investissements nécessaires pour atteindre ces objectifs semblent constituer un mur infranchissable tant pour le programme 354 que pour les autres programmes concourant à la mise en oeuvre de la politique immobilière de l'État. »
b) Le renforcement des exigences européennes de rénovation thermique des bâtiments impose une réaction beaucoup plus massive de l'État
Cet écart est d'autant plus important au regard de la révision de la directive sur la performance énergétique des bâtiments, adoptée en avril 2024, qui apporte de nouvelles obligations aux États membres de l'Union européenne. Ces derniers devront « rénover les 16 % de bâtiments les moins performants d'ici à 2030 et les 26 % les moins performants d'ici à 2033. »48(*) Ainsi, en application de cette directive, « tous les bâtiments neufs devraient être à émissions nulles d'ici à 2030, et les bâtiments existants devraient être transformés en bâtiments à émissions nulles d'ici à 2050. »49(*)
Pour atteindre cet objectif, des travaux de rénovation énergétique d'une ampleur inédite devront être engagés. D'après le directeur de l'immobilier de l'État, M. Alain Resplandy Bernard, auditionné par la rapporteure spéciale, ce sont de l'ordre de 3 000 euros par m² qui doivent être investis en moyenne pour atteindre cet objectif. Une simple règle de trois conduit à un coût global pour le parc de l'administration territoriale de l'État de l'ordre de 9 milliards d'euros, et pour l'ensemble de l'immobilier de l'État de l'ordre de 280 milliards d'euros d'ici à 2050. En vingt-cinq ans, une telle obligation signifierait que l'État doit investir dans des opérations immobilières dédiées à la rénovation thermique, de l'ordre 10 milliards d'euros par an.
D'après les réponses de la Direction de l'immobilier de l'État au questionnaire de la rapporteure spéciale, les besoins d'investissements identifiés avec le CEREMA se situeraient plutôt autour de 5 milliards d'euros par an d'investissements « vert » dans l'immobilier, là où il ne réalise aujourd'hui que 500 millions d'euros.
Rapporté à la part de l'ATE dans l'immobilier de l'État et des opérateurs, il faudrait que soient réalisés a minima un volume annuel équivalant à 165 millions d'euros d'investissements uniquement dans la transition énergétique des bâtiments. Sans que cette dépense ne puisse être clairement isolée dans les dépenses immobilières du périmètre ATE, il semble néanmoins qu'au cours des derniers exercices, le programme 348 « Rénovation des cités administratives et autres sites domaniaux multi-occupants » et les programmes de la mission « Plan de relance » ont contribué à rapprocher les dépenses exécutées de cette cible.
Néanmoins, comme le relève la DIE dans ses réponses au questionnaire de la rapporteure spéciale, les travaux de rénovation énergétique « n'ont pas été finement déclinés au niveau de l'administration territoriale de l'État ; quoi qu'il en soit, les crédits immobiliers consacrés à l'ATE (et singulièrement et DDI et directions régionales) sont notoirement insuffisants ne serait-ce que pour permettre l'entretien des bâtiments. Les crédits immobiliers prévus pour l'entretien et la rénovation thermique des bâtiments de l'État sont donc insuffisants dans l'immédiat, y compris en pluri-annualité. »
Or, la rénovation thermique des bâtiments relève désormais des obligations européennes de la France. La nécessité de ces investissements ne résulte non plus seulement d'arbitrages nationaux pour lutter contre le réchauffement climatique, mais bien d'une obligation juridique de la France, pouvant faire l'objet de recours en manquement si l'État ne se conformait pas à ses obligations.
Au regard de ces éléments, le ministère de l'intérieur doit, sans délai et notamment sans attendre le déploiement d'une foncière publique (cf. infra) :
- expertiser les moyens nécessaires au respect des obligations de rénovation énergétique des bâtiments ;
- quantifier les abandons de surface qui devront être consentis pour parvenir à cet objectif ;
- définir une feuille de route précise des besoins annuels d'investissement pour répondre à ces obligations.
On ne saurait se satisfaire plus longtemps d'un pilotage à l'aveugle des dépenses immobilières dans un contexte de réchauffement climatique et alors que les bâtiments représentent encore aujourd'hui 40 % des gaz à effet de serre. Les obligations qui s'imposent au ministère de l'intérieur, tant du fait du décret tertiaire que de la directive sur la performance énergétique des bâtiments doivent le conduire à définir clairement sa feuille de route sur la rénovation thermique des bâtiments de l'ATE.
Recommandation n° 6 : lancer un réel chantier d'objectivation des besoins financiers pour atteindre les objectifs du décret tertiaire et de la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments (direction du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur et direction de l'évaluation de la performance, de l'achat, des finances et de l'immobilier).
2. Pour atteindre les objectifs énergétiques, la nécessaire adaptation des surfaces par agent
a) L'administration territoriale de l'État est très loin de la cible en termes de surface par agent
Comme le relève la Cour des comptes dans son rapport sur la politique immobilière de l'État, « deux grands objectifs sont assignés à la politique immobilière de l'État depuis une quinzaine d'année : la rationalisation du parc et la prise en compte du changement climatique. » 50(*) Ces deux objectifs sont néanmoins intimement liés : les objectifs très ambitieux de rénovation énergétique mentionnés plus haut ne peuvent être atteints sans une réduction du parc immobilier de l'administration territoriale de l'État.
Comme le relève Cécile Thévenin, adjointe à la sous-directrice Stratégie et Expertises de l'immobilier de l'État, « la transition ne pourra pas se faire à parc immobilier constant. »51(*) Pour être atteints, les objectifs européens imposent une rationalisation des surfaces utilisées et donc des cessions d'emprises, sans lesquelles les objectifs énergétiques seraient intenables.
Les réductions du parc immobilier de l'ATE doivent non seulement refléter la diminution du nombre d'agents dans ces services depuis une dizaine d'année, mais également tenir compte des nouveaux modes d'organisation du travail. Dans son rapport sur les effectifs de l'État territorial52(*), la Cour des comptes évalue qu'au cours des dix dernières années, la réduction des effectifs a représenté 11 000 ETPT, soit 14 % de l'effectif initial (passant de 83 027 ETPT en 2012 à 70 608 ETPT en 2020).
Par ailleurs, les objectifs de densification des bureaux sont loin d'être atteints au sein de l'ATE. La surface utile brute des bureaux se situe autour d'une quarantaine de m² par agents, soit bien au-delà de la nouvelle doctrine, fixée au niveau national par la circulaire du 8 février 2023.
En effet, d'après cette circulaire « un nouveau ratio unique d'optimisation immobilière, exprimé en surface utile brute (SUB) rapporté au nombre de résident, aura pour objectif de s'assurer de cette optimisation. Celui-ci doit se situer autour de la cible pivot de 16 m² SUB / résident, notamment dans les zones où le marché est tendu, en raison du coût du m², et/ou pour tenir compte du télétravail, sans excéder, quelle que soit la zone, un plafond de 18 m² par résident. Dans un souci de simplification, il s'agit désormais du seul ratio normatif. » Ces ratios ne s'appliquent néanmoins de façon immédiate qu'aux nouveaux projets immobiliers de construction ou rénovation, aux acquisitions et aux prises à bail. Elle n'en demeure pas moins la nouvelle valeur de référence pour les opérations de densification.
Détermination de la surface utile brute par résident
La surface utile brute (S.U.B.) correspond à la surface horizontale située à l'intérieur des locaux, de laquelle sont déduits les éléments structuraux (poteaux, murs extérieurs, refends gaines techniques, circulations verticales...), les locaux techniques hors combles et sous-sols (chauffage, ventilation, poste EDF, commutateur téléphonique) à l'exclusion de ceux exclusivement réservés à l'usage d'un locataire (salles informatiques par exemple). Elle est valorisée sur le périmètre soutenu au titre de l'immobilier occupant, comprenant les préfectures, DDI et DR de l'ATE. Les surfaces de travail valorisées sont issues des seuls bâtiments de bureau.
Le nombre de résidents correspond au nombre d'ETP (effectifs notifiés) additionné au nombre de personnes extérieures à l'administration mais utilisatrices régulières et pérennes des locaux. Pour la première année d'application et en l'absence de recensement ad hoc, il est choisi de retenir le nombre d'ETPT (équivalent temps plein travaillé), en reprenant les données fournies par les ministères dans le cadre de l'enquête annuelle sur les effectifs de l'ATE. Les prochaines enquêtes devraient recenser le nombre de résidents.
Source : projet annuel de performances de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » pour 2024
Comme le relève la Cour des comptes dans son rapport sur l'immobilier de l'État53(*) de décembre 2023 au sujet de ce nouveau ratio : « outre la complexité du dispositif et le flou autour de la prise en compte du télétravail, aucune disposition coercitive n'est prévue pour que ce ratio soit mieux respecté que le précédent. »
Il est en tout état de cause indispensable qu'une politique beaucoup plus volontariste soit menée pour déterminer les emprises qui ont vocation ou non à demeurer dans le champ de l'ATE et, partant, d'identifier les opportunités de densification. Si l'objectif d'une réduction de 25 % des surfaces du parc tertiaire d'ici à 2030 a été affichée par l'exécutif54(*) en novembre 2023, il est désormais urgent d'entamer une politique de densification beaucoup plus ambitieuse au sein de l'administration territoriale de l'État.
En effet, la cible de surface utile brute par résident pour 2024, d'après le projet annuel de performances annexé à la loi de finances initiale pour 2024, a été fixée à 39,21 m² pour l'ensemble de l'ATE. Des marges importantes de densification des sites existent55(*).
Comme évoqué plus haut, ces densifications peuvent également constituer l'occasion d'abandonner des baux privés, opération génératrice d'économies pour l'État.
Recommandation n° 7 : engager une politique beaucoup plus volontariste en matière de densification des locaux de l'ATE (direction du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur et direction de l'évaluation de la performance, de l'achat, des finances et de l'immobilier).
b) Les ratios de surface par agent doivent néanmoins être adaptés pour tenir compte des spécificités du réseau préfectoral
La rapporteure spéciale considère toutefois qu'il doit être tenu compte de spécificités architecturales et des usages propres aux préfectures, qui ne constituent pas un immobilier de bureaux « classique ». Ainsi, certaines surfaces doivent pouvoir être exclues des ratios. En effet, les espaces de réunion et de réception des préfectures permettent de recevoir les élus et des publics extérieurs : le ratio calculé en fonction du nombre de résidents n'est donc pas toujours pertinent.
Par ailleurs, certains espaces de réception présentent un intérêt patrimonial et il serait dommageable de les traiter comme des espaces de bureaux modulables. Par conséquent, il semble nécessaire d'adapter les ratios actuels pour permettre de déterminer une cible ambitieuse, mais qui demeure réaliste.
Recommandation n° 8 : redéfinir les modalités de calcul des ratios de surface par agent pour exclure les espaces de réception et de réunion des préfectures, afin de garantir le réalisme de ces cibles (direction de l'immobilier de l'État).
* 43 Fiche d'impact générale, Décret relatif aux obligations d'actions de réduction des consommations d'énergie dans les bâtiments à usage tertiaire, 10 avril 2019.
* 44 L'étude du CEREMA publiée en juillet 2024 estime que le coût moyen pour les objectifs 2050 (soit trente ans), seraient plutôt de l'ordre de 600 euros par m² - Rénovation BBC et exigences du dispositif éco énergie tertiaire, repères technico-économiques pour passer à l'action, Les références, CEREMA, juillet 2024.
* 45 Communiqué de presse du 14 mars 2023 - Immobilier de l'État et sobriété énergétique : l'État se mobiliser en sélectionnant 1 000 projets de réduction rapide de la consommation d'énergie fossile pour 130 millions d'euros.
* 46 Certaines emprises sont inférieures à 1 000 m² et n'entrent pas dans le champ du décret tertiaire mais les données transmises par le ministère de l'intérieur ne permettent pas d'isoler ces bâtiments. De plus, elles devront également faire l'objet de travaux de rénovation énergétique, même si elles n'entrent pas directement dans le champ du décret.
* 47 Rénovation BBC et exigences du dispositif éco énergie tertiaire, repères technico-économiques pour passer à l'action, Les références, CEREMA, juillet 2024.
* 48 Adoption d'une directive sur la performance énergétique des bâtiments pour réduire les factures énergétiques et réduire les émissions, Représentation en France de la commission européenne, 12 avril 2024.
* 49 Directive (UE) 2024/1275 du Parlement européen et du Conseil du 24 avril 2024 sur la performance énergétique des bâtiments (refonte).
* 50 La politique immobilière de l'État, une réforme nécessaire pour aborder les enjeux à venir, décembre 2023, Cour des comptes, communication au comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale, p. 7.
* 51 Rapport annuel de la direction de l'immobilier de l'État, 2023, p. 24.
* 52 Les effectifs de l'État territorial, Cour des comptes, mai 2022.
* 53 Cour des comptes, La politique immobilière de l'État, une réforme nécessaire pour aborder les enjeux à venir, communication au comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale, décembre 2023.
* 54 Interview donnée par Bruno Le Maire et Thomas Cazenave à La Tribune, publiée le 19 novembre 2023.
* 55 Une réduction de 25 % de ces surfaces conduirait à maintenir le ratio de SUB par résident à près de 30 m², soit 12 m² au-dessus du plafond de la circulaire « surface ».