B. CLARIFIER LES RESPONSABILITES ET PRIORISER LES OBJECTIFS

1. Clarifier les responsabilités pour une meilleure coordination
a) Des actions tous azimuts ou le risque du saupoudrage et d'un pilotage insuffisant

La coopération régionale doit naviguer entre l'écueil de la centralisation, qui bride les initiatives, et celui de la dispersion. Un double reproche fréquent est celui de la complexité des dispositifs accrue par la multiplicité des acteurs et celui du saupoudrage, faute d'un pilotage insuffisant.

Ce risque est particulièrement vrai pour La Réunion qui a à sa disposition des moyens importants, en particulier Interreg. Par ailleurs, la gouvernance est éclatée entre l'État, la région, le département, voire des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) importants. Mayotte n'est pas encore dans cette dynamique foisonnante, son principal défi étant de s'extraire de son isolement régional.

À titre d'illustration, Interreg V (2014-2020) a programmé 264 opérations au 31 décembre 2022, représentant un coût total éligible de 81,8 M€. Neuf pays sont impliqués : Madagascar, Maurice, Seychelles, Comores, Mozambique, Australie, Inde, Tanzanie et Kenya. Cette coopération se réalise majoritairement à travers des projets multilatéraux : Madagascar a participé à 144 projets, Maurice à 134, les Seychelles à 112, les Comores et le Mozambique à 56, la Tanzanie à 35, le Kenya à 25, l'Australie à 22 et l'Inde à 19.

Une première réponse à ce risque est une meilleure coordination grâce à des réseaux travaillant étroitement ensemble : ceux de l'État et des collectivités dans une « Équipe France » (voir II.A. ci-dessus) avec un pilotage sous l'égide de l'ambassadeur délégué et dans le cadre de la plateforme de coordination de la France dans l'océan Indien (PCFOI).

Jean-Claude Brunet, ambassadeur délégué, a rappelé que la PCFOI a été le lieu de nombreux échanges entre partenaires pour préparer un document d'orientations stratégiques qui doit être adopté lors de la prochaine conférence de coopération régionale en novembre prochain.

Une deuxième réponse doit précisément consister à dessiner une vraie stratégie partagée et une vision pour l'espace régional du sud-ouest de l'océan Indien. Le travail de la PCFOI esquisse un premier pas encourageant, même si son élaboration demeure imprégnée de la vision de l'État. Ce document devra être ensuite décliné par chaque collectivité pour assurer la cohérence de l'ensemble. Les collectivités de Mayotte et de La Réunion ne sont pas encore parvenues à arrêter des priorités claires et des stratégies pour les décliner. Ce reproche est aussi fait à la Commission de l'océan Indien (COI) qui a multiplié les projets ces dernières années, sans qu'une communauté de destin n'émerge réellement. Wilfrid Bertile, conseiller régional de La Réunion en charge de la coopération régionale, a plaidé symboliquement pour un changement de nom de la COI qui deviendrait la Communauté de l'océan Indien. Mais cette proposition a suscité des craintes.

Enfin, la troisième réponse à ce risque est d'identifier des chefs de file par domaine. La coordination a ses limites si des chefs de file, placés en situation de responsabilité, ne sont pas désignés. L'État ne doit pas être le conducteur sur l'ensemble des thématiques, si l'ambition d'une diplomatie outre-mer (voir supra) veut se réaliser.

b) Aux collectivités, le pilotage de l'insertion économique

Le domaine de l'économie, central pour une insertion réelle des outre-mer dans leur environnement, traduit ces difficultés de gouvernance.

Certes, le CIOM du 18 juillet 2023 a marqué un progrès avec la mesure 9 prévoyant l'élaboration de stratégies par bassin pour développer les échanges commerciaux.

Un travail de concertation et de consultation des acteurs locaux, au premier rang desquels les collectivités régionales et départementales de La Réunion et de Mayotte, a été engagé. La présentation des stratégies devait avoir lieu lors de la conférence de coopération régionale de l'océan Indien prévue initialement en avril 2024 à Mayotte et reportée à novembre prochain.

Toutefois, bien qu'heureuse, cette initiative demeure partiellement satisfaisante.

Conformément à la loi du 7 août 2015 portant Nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), les régions ont perdu la clause de compétence générale et se sont vues confier la définition des orientations en matière de développement économique. Les termes de l'article L.4251-12 du code général des collectivités territoriales sont clairs : « La région est la collectivité territoriale responsable, sur son territoire, de la définition des orientations en matière de développement économique ».

À ce titre, elle élabore un « schéma régional de développement économique, d'internationalisation et d'innovation » (SRDEII). L'article L.4251-13 du même code précise que « ce schéma définit les orientations en matière d'aides aux entreprises, de soutien à l'internationalisation et d'aides à l'investissement immobilier et à l'innovation des entreprises, ainsi que les orientations relatives à l'attractivité du territoire régional. [...] Le schéma peut contenir un volet transfrontalier élaboré en concertation avec les collectivités territoriales des États limitrophes ».

Aussi bien la région Réunion que le conseil départemental de Mayotte, au titre de ses compétences régionales, ont adopté leur SRDEII. Chacun comporte des chapitres sur l'attractivité du territoire, le développement des infrastructures de transport, la conquête de marchés à l'export. Des « fiches action » détaillent les mesures retenues et les financements publics possibles (européens, nationaux ou locaux).

Le SRDEII de la région Réunion a été révisé et actualisé en 2022. Sa gouvernance a été renforcée avec la création d'un comité de pilotage ou des comités de filière pour les filières stratégiques et émergentes. Le SRDEII révisé prévoit également l'organisation chaque année d'une conférence économique régionale.

En conséquence, pour l'élaboration de stratégies commerciales par bassin, comme le prévoit la mesure 9 du CIOM, la région Réunion et le conseil départemental de Mayotte auraient dû s'imposer comme chef de file ou pilote naturel, l'État n'intervenant que pour veiller à la cohérence d'ensemble et éviter des contradictions entre les deux territoires.

De manière plus générale, dans le domaine de la coopération économique, les trois collectivités régionales et départementales de Mayotte et La Réunion doivent s'imposer comme les chefs de files, les opérateurs de l'État venant en accompagnement des stratégies territoriales. Il faut inverser l'ordre de conception des stratégies économiques : les collectivités conduisent et l'État s'associe en soutien.

Par ailleurs, certains retours laissent penser que le travail de co-construction d'une stratégie commerciale par bassin s'est parfois apparenté à une consultation. Club Export, la principale association réunionnaise réunissant les chefs d'entreprises exportateurs de l'île, confirme avoir eu des échanges avec Olivier Becht, ministre délégué chargé du commerce extérieur. Cependant, à ce jour, Club Export indique n'avoir « aucune visibilité sur les décisions prises par le Gouvernement », plus d'un an après le CIOM.

Ce changement de méthode serait conforme, d'une part, aux textes et, d'autre part, à la volonté de placer les territoires en position de s'affirmer dans leur environnement régional. La mise en oeuvre de la mesure 9 du CIOM devrait incomber à titre principal aux collectivités de Mayotte et de La Réunion. À partir du SRDEII, des feuilles de route déclineraient la mise en oeuvre du schéma pour chaque opérateur de l'État et des collectivités concernés (AFD, Business France, groupe CDC, EPL...), en identifiant le rôle et les moyens mobilisables.

Proposition : Affirmer le rôle de chef de file du département de Mayotte et de la région Réunion en matière de coopération et d'insertion économique, et faire du Schéma régional de développement économique, d'internationalisation et de développement (SRDEII) le document maître d'une stratégie économique à l'échelle du bassin.

Cette affirmation d'une diplomatie économique régionale définie et pilotée par les territoires répondrait aux critiques de la présidente de la région Réunion, Huguette Bello, exprimées lors de son audition par notre délégation le 13 octobre 2022 dans le cadre de l'étude sur l'évolution institutionnelle des outre-mer : « La diplomatie est une compétence régalienne de l'État. Toutefois, l'environnement géoéconomique mérite que l'on s'interroge sur cette question. La Réunion est en Afrique d'un point de vue géographique, mais notre histoire est française. Nous avons créé des relations profondes avec nos voisins, notamment Madagascar, ou encore le Mozambique et l'Afrique du Sud. Plutôt que d'importer des produits en provenance du Brésil, privilégions les relations avec les pays de notre zone géographique. Notre zone économique exclusive (ZEE) couvre une surface de 2,2 millions de kilomètres carrés. Toutes les grandes puissances sont présentes dans l'océan Indien. La question d'accorder des compétences diplomatiques aux collectivités comme la nôtre mérite d'être posée. Dans le domaine de la coopération régionale et internationale, des accords sont conclus sans nous. Nos capacités juridiques en la matière ne sont pas à la hauteur de nos ambitions. Nous souhaitons construire une politique de co-développement régionale. »

En qualité de chef de file, les collectivités, en particulier la région, seraient placées en position de pleine responsabilité, ce qui les inciterait à s'approprier des stratégies de développement économique et d'attractivité.

Certains opérateurs de l'État sont d'ailleurs demandeurs de cette prise en main par les collectivités. Johann Remaud, directeur outre-mer de Business France, constate « encore, sur certains territoires, une difficulté pour poser une stratégie réellement définie sur l'attractivité internationale. Par conséquent, nous ne savons pas toujours quels sont les secteurs ouverts. Je note avec intérêt qu'en début d'année, la région Réunion a lancé un appel d'offres pour définir la stratégie d'internationalisation, tant sur le volet attractivité que sur le volet export, afin de définir l'ensemble des filières d'export susceptibles d'être renforcées. C'est un préalable. Il conviendrait donc que ce travail soit mis en place par l'ensemble des régions afin qu'un argumentaire précis existe, et qu'il soit porté par l'ensemble de notre réseau ».

Pour donner corps à cette diplomatie économique régionale portée par les territoires, les outils juridiques existent : les programmes-cadres de coopération régionale, les mandats dans les organisations régionales, la participation aux délégations françaises à Bruxelles... (voir supra).

c) L'État, pourvoyeur de sécurité et de stabilité dans l'espace régional

Dans le contexte régional de l'océan Indien, l'État doit avant tout investir les domaines régaliens. Il est le garant de la souveraineté et de la sécurité des territoires ultramarins français face aux risques ou menaces régionales.

Les risques externes sont importants : trafics de drogues (drogues de synthèse, cocaïne, héroïne), traite, migrations illégales (par les Comores vers Mayotte mais aussi, dans une bien moindre mesure, de Sri Lanka vers La Réunion par exemple), le terrorisme (depuis la côte mozambicaine), la pêche illégale, les catastrophes naturelles...

La coopération régionale judiciaire, policière et militaire a un double intérêt : protéger nos territoires et sécuriser une région essentielle pour le commerce mondial. La France peut en effet jouer, avec l'Union européenne, un rôle stabilisateur.

Face à ces menaces, l'État a intensifié ses initiatives de coopération régionale avec des résultats satisfaisants.

Comme évoqué supra (voir I.A.6.), des conventions bilatérales ont été récemment signées ou sont en cours de négociation avec plusieurs États, dont Maurice et la Tanzanie. Un groupe de contacts sur les sujets de sécurité se réunit régulièrement entre La Réunion et Maurice. Pour autant, une mise à jour complète des conventions en matière de coopération policière, d'échanges d'informations, d'entraides judiciaires et d'extraditions avec tous les pays de la zone paraît indispensable.

Cette démarche systématique doit pouvoir s'appuyer sur le réseau régional d'attachés de sécurité intérieure (ASI) et de magistrats de liaison. Des ASI sont en poste à Madagascar, en Afrique du sud et aux Comores, assurant une couverture satisfaisante de la zone. L'affectation d'un ASI en Tanzanie est à l'étude, du moins à titre temporaire, du fait de la crise migratoire mahoraise et du transit par la Tanzanie de la plupart des demandeurs d'asile. En revanche, aucun magistrat de liaison n'est en poste dans la région64(*). Lors de la 1ère journée de la justice outre-mer organisée le 26 mars 2024, l'ambassadeur délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien, a relevé que le maillage des magistrats de liaison était moins bon dans cette région du monde. Il est indispensable de combler cette lacune pour étoffer la coopération judiciaire dans la région.

La constitution d'un réseau efficace de coopération judiciaire et policière se conçoit dans le temps long. Lors de la journée « Justice outre-mer » précitée, Stéphanie Djian, cheffe du bureau d'entraide pénale internationale au ministère de la Justice, relevait le paradoxe des outre-mer. Alors que 30 à 40 États étrangers sont voisins de nos outre-mer et qu'une forte criminalité transfrontalière est prégnante, la politique pénale régionale devrait être une évidence. Pourtant, a-t-elle ajouté « vu de notre bureau d'entraide, les requêtes émanant de nos juridictions outre-mer sont minimes ». Les prérequis d'une bonne coopération judiciaire sont d'abord de bonnes bases légales avec des conventions. Pour cela, il faut des partenaires de bonne foi et une stratégie de long terme. À défaut de convention, c'est la voie diplomatique qui prévaut et elle est longue et compliquée en cas d'enquête.

La création d'un poste de magistrat de liaison pour la région du sud-ouest de l'océan Indien est donc nécessaire.

En matière militaire, le constat partagé est celui d'une très bonne coopération régionale dans un contexte d'affirmation des grandes puissances.

Pour le général François-Xavier Mabin, chef de la division « emploi des forces-protection » de l'état-major des armées, la coopération régionale se décline en deux axes : d'une part, le renforcement de la coopération opérationnelle, qui vise à favoriser la montée en gamme des armées partenaires et, d'autre part, la lutte contre l'insécurité maritime, qui reste une préoccupation dans l'océan Indien.

Sur le premier axe, les Fazsoi conduisent une soixantaine de missions de partenariat militaire opérationnel et plusieurs exercices multinationaux majeurs, au nombre de deux à trois par an en moyenne, essentiellement à partir de La Réunion. Madagascar est le partenariat prioritaire, suivi des Comores, du Mozambique et de la Tanzanie. La France est par exemple partenaire du symposium naval de l'océan Indien (IONS), forum de coopération regroupant vingt-cinq autres États. Enfin, sept attachés de défense sont présents auprès des représentations diplomatiques de la France dans la région. Ce maillage est beaucoup plus dense que celui des ASI et des magistrats de liaison.

Sur le second axe, la sécurité maritime est probablement un des secteurs où les progrès de la coopération régionale au cours des dernières années ont été les plus remarquables. Par leur simple présence sur zone, les Fazsoi assurent la sécurité du trafic maritime. Pour rappel, la zone sud de l'océan Indien englobe un espace maritime immense, dont un cinquième de la surface est placé sous juridiction française. Plus précisément, les Fazsoi sont à la tête d'une zone de responsabilité permanente (ZRP) immense qui représente 24 millions de kilomètres carrés, du Kenya jusqu'à l'Antarctique.

Elles sont aussi partie intégrante du programme Maritime Security (MASE) qui a posé les bases d'une architecture régionale de sécurité maritime. Le programme MASE est financé par l'Union européenne à hauteur de 42 millions d'euros de 2013 à 2021.

Couvrant 15 États, ce programme régional est mis en oeuvre par quatre organisations régionales, à savoir l'Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), qui est le coordonnateur général du programme, de la Communauté de l'Afrique de l'Est (EAC), du Marché commun de l'Afrique orientale et australe (COMESA) et de la Commission de l'océan Indien (COI). Sur les 42 millions d'euros, 17 ont été gérés par la COI.

Cette initiative a pour principale mission de veiller au respect du droit international de la mer et de sécuriser l'espace maritime, grâce au partage d'informations et aux opérations coordonnées en mer. Sept États (Comores, Djibouti, Madagascar, Maurice, Seychelles, France, Kenya) ont signé, en 2018, les accords régionaux à l'origine de deux centres : le centre régional de coordination des opérations (CRCO), basé aux Seychelles, et le centre régional de fusion d'informations maritimes (CRFIM), basé à Madagascar65(*). Ce sont des structures opérationnelles pérennes auxquelles les Fazsoi apportent un soutien et participent66(*).

Les moyens des Fazsoi

Les moyens des Fazsoi sont d'environ 2 000 hommes et femmes, pour la plupart des militaires. Parmi ceux-ci, 75 % sont en mission de longue durée - trois ans en moyenne - et 25 % affectés à des missions de quatre à six mois. Environ 1 600 personnels sont positionnés à La Réunion et près de 400 à Mayotte.

Force interarmées, les Fazsoi comptent un régiment de parachutistes à La Réunion - il recevra bientôt deux hélicoptères Cougar - ainsi qu'un détachement de la Légion étrangère à Mayotte. Pour ce qui est de la marine, la base navale de La Réunion accueille deux frégates de surveillance, un bâtiment de soutien et d'assistance outre-mer (BSAOM), un patrouilleur polaire - L'Astrolabe, chargé du ravitaillement des terres polaires - et un patrouilleur complémentaire, Le Malin. La base navale de Mayotte ne compte pas de navire propre, à l'exception d'un chaland de transport de matériel, mais soutient les vedettes côtières de la gendarmerie maritime et de la police aux frontières. Cette base navale accueille également le poste de commandement de l'action de l'État en mer, qui surveille en permanence les accès maritimes de Mayotte. Pour ce qui est des forces aériennes, La Réunion dispose de la base aérienne « lieutenant Roland Garros », qui accueille notamment deux avions de transport et un certain nombre d'hélicoptères ; aucune base aérienne à proprement parler n'existe à Mayotte, les aéronefs de La Réunion y étant accueillis par un bureau militaire de transit.

Ce dispositif va être renforcé tout au long de la loi de programmation militaire 2024-2030 (LPM).

Les effectifs seront augmentés de 220 postes pour La Réunion et de 90 postes pour Mayotte, avec un objectif de 2 360 postes au total en 2030, soit une augmentation d'environ 13 %.

Deux patrouilleurs outre-mer (POM) équipés de drones seront affectés à La Réunion en 2025 et 2026 pour remplacer des patrouilleurs P400 retirés du service.

L'effort de la LPM se traduira aussi par une consolidation assez significative du point d'appui, notamment au travers d'un renforcement des capacités de la base aérienne et du port de La Réunion et du déploiement d'un détachement d'hélicoptères de l'armée de terre en 2028. Plus de 180 millions d'euros seront investis dans les infrastructures de La Réunion - hors logements - afin d'accroître les capacités d'accueil de ce point d'appui clé pour les forces françaises. De plus, les travaux d'aménagement de la base aérienne permettront d'accueillir ponctuellement des drones MALE (moyenne altitude longue endurance) de type Reaper, des avions de surveillance et de reconnaissance de type Falcon 2000 et des avions de transport de type A400, ou des ravitailleurs.

À Mayotte, le renfort de 90 personnels sur la durée de la LPM s'accompagne d'un investissement dans les infrastructures à hauteur de 50 millions d'euros afin de durcir et de moderniser les capacités. Le vieux chaland de transport de matériel sera également remplacé par un engin de débarquement amphibie moderne, tandis que le détachement de Légion étrangère sera renforcé par deux sections spécialisées, dont une section du génie. Le poste de commandement de l'action de l'État en mer sera également renforcé et modernisé.

Source : Ministère des armées

La France doit développer ce rôle de pourvoyeur de sécurité dans la région en s'appuyant sur les organisations régionales.

Outre le programme MASE, d'autres projets sont à l'étude ou en cours :

- « Safe Seas Africa » (SSA) est le nom du nouveau programme de l'Union européenne en faveur de la sécurité maritime en Afrique d'un budget total de 45 millions d'euros (2024-2027). L'une des composantes de ce programme européen bénéficiera directement au renforcement de l'Architecture régionale de sécurité maritime établie par la Commission de l'océan Indien (COI). Le contrat de subvention d'un montant de 15,3 millions d'euros pour cette composante dédiée à l'océan Indien occidental a été signée le 4 juillet 2024 à Maurice. Ce programme consolidera les acquis de MASE ;

- la création de l'Institut sur la sécurité maritime de l'océan Indien (ISMOI). L'ISMOI sera un centre d'excellence et de formation régional à La Réunion sur les questions de sécurité et sûreté maritime. Il bénéficiera du réseau existant créé par le centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS) Réunion. Cet institut appuiera aussi la création d'un centre analogue au Sri Lanka, renforçant la coopération avec ce partenaire ;

- la création d'un Centre régional de formation de la Gendarmerie d'Outre-Mer ;

- fin 2024, le futur PIROI Center (le centre de la plateforme de la Croix-Rouge pour la réponse aux risques naturels)67(*) qui disposera de capacités de projection. Ce centre de 4 000 m2 sera situé à La Réunion et rassemblera un centre de formation, un entrepôt humanitaire et un centre de gestion de crises. Il a été financé par l'État, l'AFD et le programme Interreg ;

- le projet emblématique Hydromet conduit dans le cadre de la COI (budget de 71millions d'euros) vise à renforcer les systèmes météorologiques des territoires de la zone dans une perspective d'adaptation au changement climatique. Il doit notamment permettre de mieux modéliser les prévisions météorologiques et hydrologiques et structurer des systèmes d'alerte rapide. Météo France à La Réunion, par son expertise de niveau mondial, est le partenaire de référence ;

- en 2024, le MEAE a décidé de financer la mise à disposition du secrétariat général de la COI d'un Expert Technique International (le directeur du CROSS Réunion a été désigné) ;

- récemment, un forum régional des fonctions garde-côtes a été créé.

La multiplication des projets dans les domaines de la sécurité maritime, de la sécurité civile ou de la sécurité atteint désormais une masse critique.

Les synergies possibles ont fait émerger l'idée de créer une Académie de sécurité qui fédérerait notamment ces réalisations et projets. Bien que cela ne relève pas des compétences de la région, la région Réunion souhaite mobiliser des financements NDICI et Interreg pour appuyer ces structures. Un partenariat État-Région s'est mis en place pour ce projet. Dans un premier temps, la priorité serait donnée aux questions de sécurité et de sûreté maritimes. La dimension judiciaire pourrait s'y greffer dans un second temps, au service de la coopération judiciaire à construire.

La création d'une Académie de la sécurité de l'océan Indien permettrait de faire faire un saut qualitatif important au rayonnement régional de la France et de La Réunion sur l'ensemble des sujets régaliens, tout en apportant une plus-value majeure pour la stabilité de la zone et en contribuant à la montée en compétences des autres pays.

Ce projet recevrait à ce stade le soutien de la Commission européenne ainsi que du Service européen d'action extérieure (SEAE), avec un double financement NDICI et Interreg.

Le soutien au projet d'Académie de la sécurité de l'océan Indien est une priorité.

Enfin, la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) est un autre domaine, lié à celui de la sécurité maritime, dans lequel des bons résultats ont été obtenus.

Ils sont dus à la fois à l'action de l'État qui a adapté ses moyens dans nos eaux et à des projets de coopération régionale promus par la France et l'Union européenne au sein de la COI notamment.

Florence Jeanblanc-Risler, préfète, administratrice des TAAF, se félicite d'une forte baisse des pêches INN dans les eaux australes sous souveraineté française depuis les années 200068(*). Ce constat est partagé par les Fazsoi. Le renforcement de la présence en mer (les navires de pêche autorisés participent au dispositif en plus des navires des TAAF et des Fazsoi), la surveillance satellitaire et la coopération avec les autres marines de la région ont permis ces résultats. Dans le cadre de France 2030, des projets innovants ont été retenus pour concevoir d'autres technologies de détection des navires à partir des radiofréquences.

La pêche illégale demeure plus importante dans les îles Éparses, notamment du fait de pêcheurs comoriens dans les Glorieuses ou de la pêche du concombre de mer à Bassas da India. Beaucoup de navires asiatiques se livrent à la pêche INN.

Ces moyens français se déploient de plus en plus dans un cadre régional. En particulier, la COI a mis en oeuvre deux programmes sur financement européen et de la Banque mondiale :

- les programmes SWIOFISH 1 et 2 pour améliorer la gouvernance des pêches dans le sud-ouest de l'océan Indien (11 millions d'euros au total) ;

- le programme ECOFISH dont les objectifs sont de promouvoir la gestion durable des pêches dans les îles de l'océan Indien (pêche maritime) mais aussi en Afrique orientale et australe (pêche continentale), d'appuyer le plan régional de surveillance des pêches (PRSP) pour lutter contre la pêche INN. Au titre du PRSP, plusieurs missions de surveillance dans la zone australe des TAAF sont financées grâce à ce programme, en particulier les missions du navire Osiris II. Ce programme a bénéficié à la fois de fonds NDICI et Feder/Interreg, dont 11,7 millions d'euros pour la partie gérée par la COI.

Les résultats rejoignent l'appréciation des autorités françaises. Les dernières missions régionales de surveillance des pêches en mer ont montré que la quasi-totalité des bateaux opérant dans la région respectent désormais la réglementation, quand en 2007, lors des premières patrouilles régionales, 25 % des navires inspectés étaient en infraction.

Cette politique régionale, avec de nets résultats, a vocation à s'étendre. Dans le cadre de l'IORA, la France a pris l'initiative avec l'Indonésie d'engager des travaux pour élaborer une directive commune aux 23 pays de l'IORA contre la pêche illégale. Un premier atelier s'est tenu à Djakarta et un deuxième a eu lieu à La Réunion en mai 2024, dans l'optique d'une adoption de la directive par la ministérielle de l'IORA en octobre 2024. Ainsi, tous les pays de la zone se fixeront des objectifs ambitieux et rappelleront les règles applicables.

Proposition : Conforter le rôle de pourvoyeur de sécurité et de stabilité de la France dans la région :

- en faisant du projet d'Académie de la sécurité de l'océan Indien une priorité ;

- en concluant avec tous les États de la région des accords de coopération judiciaire et policière et des accords de réadmission ;

- en créant un poste de magistrat de liaison pour la région du sud-ouest de l'océan Indien.

2. Une reconnaissance de Mayotte française qui passe par l'insertion économique
a) Le face-à-face ou le mouvement enveloppant ?

Au cours des déplacements de la mission et lors des nombreuses auditions, la question de la reconnaissance de la souveraineté française à Mayotte a préempté de nombreux débats. Elle ferme l'horizon de ce territoire, notamment toute perspective d'adhésion de la France à la COI au titre de Mayotte.

Face au mur comorien, deux stratégies opposées sont possibles. Soit le bras de fer avec l'Union des Comores, c'est-à-dire un durcissement des relations, voire des pressions. Soit une stratégie des petits pas et des actions indirectes pour acclimater l'ensemble des partenaires régionaux à la participation de Mayotte à des projets régionaux.

Deux facteurs poussent plutôt à privilégier la seconde, bien qu'elle puisse paraître frustrante et parfois inefficace aux yeux de la plupart des acteurs mahorais face à l'ampleur des défis de ce territoire et des opportunités manquées par la position comorienne.

Le premier est l'irrédentisme intrinsèque qui fonde l'Union des Comores. Le second est l'aversion des États de la région à se positionner en faveur de Mayotte ou à se voir reprocher de s'immiscer dans la relation entre les Comores et la France (voir supra I.B.2). Par ailleurs, l'image dégradée de la France en Afrique depuis plusieurs années est en cours de reconstruction. Une diplomatie perçue comme trop offensive pourrait être contreproductive, alors même que des signaux positifs en faveur d'une acceptation de Mayotte dans le concert régional existent.

Bien que lente et encore insuffisante, la politique des petits pas a permis des progrès dont certains ont été rappelés supra :

- programme Interreg VI Canal du Mozambique géré par le conseil départemental de Mayotte et auquel les Comores ont consenti à participer ;

- obtention de l'organisation des Jeux des îles en 2035 et participation aux Jeux des Jeunes ;

- rapprochement avec Madagascar et plus récemment avec la Tanzanie, via des échanges économiques prometteurs et la perspective d'une prochaine liaison aérienne directe ;

- accord de partenariat avec le MEAE en vue notamment d'installer des représentants de Mayotte au sein des représentations diplomatiques de la zone ;

- adhésion des chambres consulaires de Mayotte à Cap Business océan Indien, projets en faveur de la coopération en agroécologie menés par le Lycée agricole de Coconi, organisation du Forum économique de Mayotte, déplacement de délégations de chefs d'entreprise...

Par ailleurs, la France a cherché à mieux associer Mayotte aux travaux de la COI, en dépit du véto des Comores à une adhésion de la France au titre de Mayotte.

Les Comores ont ainsi accepté en décembre 2019, par note verbale, le principe de l'association de services mahorais à certains projets régionaux au cas par cas, notamment sur la surveillance épidémiologique, la prévention des catastrophes naturelles et sur la sécurité alimentaire et animale. Cette position a été acceptée par tous les autres États membres de la COI lors de la retraite ministérielle de Moroni en août 2019 et est régulièrement rappelée depuis. Cela a récemment mené à l'association à bas bruit d'experts de l'ARS de Mayotte à des travaux de la COI sur la surveillance épidémiologique et le risque vectoriel, le 21 juin 2022, premier et seul exemple réussi d'association de Mayotte à des projets de la COI. Mayotte a aussi été inclus dans le périmètre géographique du programme MASE sur la sécurité maritime. Par ailleurs, plusieurs VSI mahorais ont été affectés auprès de la COI.

b) Afficher l'objectif de la pleine reconnaissance de l'appartenance de Mayotte à la France

Les résultats obtenus peuvent sembler modestes mais n'en sont pas moins importants. Par ailleurs, la revendication irrédentiste comorienne devant l'ONU demeure essentiellement déclaratoire. Emmanuelle Blatmann, directrice Afrique au MEAE, a rappelé que « depuis 1994, aucune résolution des Nations unies n'a remis en cause la souveraineté française sur Mayotte, et nous avons obtenu des Comoriens qu'ils cessent tout activisme officiel en la matière, à l'ONU comme au sein de l'Union africaine ». Elle suffit néanmoins à entraver Mayotte dans sa géographie.

Sans franchir la ligne rouge - la France doit pouvoir compter sur une coopération continue des Comores dans la lutte contre l'immigration clandestine en provenance d'Anjouan, ou du moins sur son acceptation des reconduites de clandestins -, l'attente forte de nos concitoyens de Mayotte oblige à afficher clairement l'objectif d'une pleine reconnaissance de l'appartenance de Mayotte à la France.

Cette affirmation plus directe, qui semble être la nouvelle inclination portée par le MEAE (voir supra I.A.2.d), ne doit pas néanmoins se transformer en bras de fer avec les autorités comoriennes.

Elle doit en revanche se traduire par une stratégie globale, concertée et dynamique avec l'ensemble des partenaires de la région. Cette stratégie doit surtout associer systématiquement les autorités mahoraises qui seront les meilleurs promoteurs de leur appartenance incontestable à la citoyenneté française. L'ambiguïté coloniale, agitée par les Comores, ne sera jamais aussi bien combattue que par les Mahorais eux-mêmes, en particulier vis-à-vis de nos partenaires africains.

Pour le président du conseil départemental Ben Issa Ousseni, « nous avons effectivement à mener un travail de communication sur la reconnaissance de Mayotte à l'échelle internationale, et nous comptons sur le Quai d'Orsay pour nous ouvrir les portes de différentes instances, notamment l'Organisation de l'unité africaine (OUA) ou l'ONU, afin d'expliquer et défendre le point de vue mahorais. [...] Notre objectif est d'être associé à la diplomatie française pour porter la parole de Mayotte ».

Mayotte doit être associée à toutes les initiatives régionales, y compris sur la relation bilatérale avec les Comores. Il importe que les responsables mahorais aient connaissance des évolutions de cette relation, en amont, pour faire valoir leur point de vue, mais aussi pour mieux l'accepter et la comprendre. La découverte dans la presse du nouveau partenariat avec les Comores en 2019 reste un traumatisme. À cet égard, l'animation du Comité pour l'insertion régionale de Mayotte (CIRM) prévu par l'accord de mars 2024 entre le MEAE et le département de Mayotte sera déterminante pour faire vivre cette concertation au jour le jour.

Les programmes concrets de coopération régionale, une fois menés à terme, sont la meilleure assurance de voir un jour Mayotte pleinement associée à l'Indianocéanie et la souveraineté française sur l'île également reconnue, au moins de facto.

La multiplication des partenariats ponctuels, avec l'appui du MEAE, doit faire de l'appartenance à la France une évidence impossible à remettre en cause.

Cette stratégie d'ensemble doit associer l'ensemble du réseau français dans la région pour normaliser les relations bilatérales entre les États et Mayotte. Ce travail a commencé à être fait avec la Tanzanie. Il doit se poursuivre avec méthode. Le développement de projets économiques, en particulier dans l'agroalimentaire, est le secteur le plus prometteur pour enraciner l'évidence mahoraise dans la région. La récente convention signée le 23 avril 2024 entre le conseil départemental de Mayotte et le gouverneur de la région de Boeny Majunga à Madagascar pour créer une filière de fourrage agricole entre les deux îles en est une illustration. Ce partenariat transfrontalier, qui pourra bénéficier de financement Interreg VI Canal du Mozambique, doit permettre la production à Madagascar de fourrages déshydratés (à base de luzerne) pour les besoins du bétail mahorais.

Dans la perspective des Jeux des îles qui seraient organisés à Mayotte en 2035, il faudra aussi vite lever les incertitudes sur le port des couleurs tricolores et le défilé au son de la Marseillaise pour les athlètes mahorais.

c) Réussir le « rideau de fer »

À côté de cette stratégie d'ouverture de Mayotte sur son environnement régional, il est impératif de réussir le « rideau de fer » annoncé par le ministre de l'Intérieur et des outre-mer en février dernier à l'occasion de l'opération Wuambushu 2 pour limiter au maximum l'immigration irrégulière vers Mayotte au départ de l'île d'Anjouan.

En effet, si les autorités comoriennes acceptent très facilement le retour de leurs ressortissants à Anjouan - aucun laissez-passer consulaire n'est exigé -, leur collaboration pour empêcher les départs depuis Anjouan est faible. Pour certains, les autorités comoriennes encourageraient même ces filières d'immigration ou les faciliteraient. L'arrivée de demandeurs d'asile en provenance d'Afrique continentale, transitant par les Comores depuis la Tanzanie, en serait la dernière preuve.

Il est en revanche certain qu'en perfectionnant considérablement notre capacité à dissuader et intercepter les départs depuis les Comores, l'arme migratoire entre les mains du Gouvernement comorien perdrait de sa force. Notre voix diplomatique pourrait alors s'exprimer plus fermement pour asseoir la souveraineté française à Mayotte.

La priorité, pour desserrer l'étau comorien sur l'action extérieure de Mayotte et son insertion régionale, doit donc être à la maîtrise de l'immigration clandestine vers Mayotte.

En complément, notre aide bilatérale pour le développement des Comores doit se concentrer sur Anjouan, qui bénéficie moins des transferts financiers en provenance de la diaspora comorienne (300 à 400 000 personnes en France hexagonale) principalement originaire de l'île de Grande Comore69(*).

Proposition : Affirmer l'objectif de pleine reconnaissance de l'appartenance de Mayotte à la France et déployer une stratégie pérenne :

- associant systématiquement les responsables mahorais ;

- faisant de l'insertion économique régionale de Mayotte son principal levier ;

- s'appuyant sur le projet de « rideau de fer » autour de Mayotte pour éteindre le « chantage » migratoire en provenance des Comores.

3. Prioriser des projets « endurants » et catalyseurs

La coopération régionale recouvre une grande diversité d'acteurs et de projets dans tous les domaines. Le risque d'un saupoudrage ou d'un éparpillement des efforts est d'autant plus grand que les moyens financiers à la disposition des politiques de coopération régionale sont désormais importants et en hausse tendancielle.

L'objet de ce rapport n'est pas de se substituer aux collectivités ultramarines françaises pour identifier les filières à protéger ou à ouvrir aux marchés extérieurs, les opportunités de marché ou les partenaires à privilégier.

Toutefois, les travaux de la délégation font ressortir quelques secteurs ou projets très prometteurs qui mériteraient de concentrer les moyens de la coopération régionale. Ces projets doivent être endurants et créateurs de richesses avec un effet d'entraînement important.

Enfin, il faut éviter de confondre aide au développement et coopération régionale. Les projets de coopération régionale doivent être gagnant-gagnant à court ou moyen terme, afin que leurs effets catalyseurs et d'entraînement se perçoivent rapidement. L'aide au développement, si elle contribue naturellement à une stabilité et une cohésion régionale, répond à d'autres enjeux.

a) Systématiser le chantier de l'adaptation des normes européennes : pour un « paquet législatif RUP »

La question des normes européennes comme frein à l'insertion régionale des outre-mer a été soulignée par tous les interlocuteurs. Si elles protègent souvent les consommateurs en matière sanitaire et environnementale, elles isolent les acteurs économiques et entretiennent la relation commerciale et économique prédominante avec l'Union européenne. L'impact sur la vie chère est indéniable, en particulier sur les produits alimentaires ou les matériaux de construction.

Ce chantier immense a commencé à être ouvert avec la création du marquage RUP pour les matériaux de construction qui reste à mettre en oeuvre avec la parution des décrets. À cet égard, des moyens devront être alloués rapidement pour définir les référentiels d'équivalence garantissant la sécurité des consommateurs ultramarins tout en s'exonérant du marquage CE. La demande du Conseil européen faite à la Commission européenne de réaliser des études d'impact RUP sur chaque projet de norme européenne est aussi bienvenu si elle se concrétise (voir supra).

Mais il faut aller plus loin et vite.

Ce qui a été fait pour les matériaux de construction, doit l'être aussi pour toute une série de secteurs : produits agroalimentaires végétaux ou non végétaux, règles d'utilisation des pesticides en milieu tropical, cahier des charges de l'agriculture biologique, autorisation des nouvelles techniques génomiques, énergie et transition climatique, traitement des déchets...

De manière constante, l'article 349 du TFUE demeure sous-appliqué.

Pour rompre avec cet écueil structurel, l'objectif de l'insertion économique des RUP pourrait être un profond moteur qui justifierait la mise en chantier d'un texte européen portant adaptation du droit européen aux RUP en vue de leur meilleure insertion régionale.

Cette approche serait inédite, les adaptations du droit de l'Union européenne aux RUP étant généralement débattues à l'occasion de textes intéressant l'ensemble de l'Union européenne. Les dispositions spécifiques au RUP sont entrevues à la marge, mais ne sont pas au coeur des textes européens. Bien souvent, elles sont encore négligées ou a minima.

Le lancement d'un « paquet RUP » permettrait de couvrir plusieurs champs législatifs en même temps et surtout de valoriser une vue d'ensemble des obstacles à lever pour déclencher une dynamique économique régionale vertueuse.

Le renouvellement de la Commission européenne et du Parlement européen ouvre une fenêtre d'opportunité pour initier cette revue générale de la législation européenne à l'aune de l'insertion régionale des économies ultrapériphériques.

Proposition : Faire inscrire dans le prochain programme de travail de la Commission européenne l'adoption d'un « paquet RUP » pour lever les obstacles législatifs à leur insertion régionale et lutter contre la vie chère, notamment dans les secteurs de l'agroalimentaire, du traitement des déchets et de l'énergie.

S'agissant des accords commerciaux européens, les études d'impact sur les RUP qui sont désormais réalisées demeurent insatisfaisantes et n'associent pas assez les RUP eux-mêmes à leur réalisation. Par ailleurs, les RUP sont étrangers au processus de négociation.

Pourtant, les outils pour limiter les effets négatifs sur l'économie des RUP existent : traitement différencié (quotas limités), exclusion des codes douaniers relatifs aux produits considérés comme sensibles, protection adéquate des indications géographiques, respect des normes européennes concernant la définition et les conditions de mise sur le marché des produits (appellation, étiquetage notamment) ...

Proposition : Pour que les RUP cessent de subir les accords commerciaux de l'Union européenne avec des pays tiers :

- Rendre obligatoire les études d'impact des projets d'accords commerciaux sur les RUP, en les y associant dès l'ouverture des négociations ;

- Organiser au moins deux fois par an une réunion de suivi entre les autorités des RUP, des représentants des filières économiques, l'État et la Commission européenne à haut-niveau.

Ces critiques à l'encontre de la réglementation européenne n'exonèrent pas d'un examen attentif de la réglementation nationale. À Mayotte en particulier, il est urgent de revoir l'arrêté préfectoral n° 06/DAF du 10 avril 1995 relatif au contrôle sanitaire des végétaux et produits végétaux à l'importation à Mayotte. Cet arrêté est considéré unanimement comme excessivement restrictif et interdit pratiquement toutes les importations en provenance de la zone océan Indien. La conséquence directe est la quasi-absence de produits frais dans les supermarchés, sauf à des prix exorbitants dans le département français le plus pauvre. Demandée depuis plusieurs années, sa mise à jour serait en cours par les services de la préfecture.

b) Créer des pôles économiques connectés

Si aujourd'hui le statut de RUP est un obstacle à l'insertion économique régionale de La Réunion et Mayotte, il peut devenir demain un accélérateur.

Outre l'adaptation des normes européennes (voir ci-dessus), plusieurs mesures seraient de nature à faire des RUP des bases de rebond vers l'Union européenne pour les pays de la région, et inversement.

L'adaptation des normes européennes doit faciliter une stratégie de sourcing ciblé pour baisser les coûts des intrants, sécuriser des chaînes d'approvisionnement (circuits courts et diversification) et réduire les frais de surstockage. Si Business France n'a pas actuellement dans sa feuille de route l'accompagnement des entreprises pour le sourcing, la spécificité ultramarine justifierait qu'en partenariat avec les chambres consulaires, Business France développe cet aspect stratégique pour les économies ultramarines. La Réunion et Mayotte pourraient notamment importer des produits pas ou peu transformés, en particulier des produits agricoles, et les transformer en vue de leur exportation vers le marché européen. Ce sourcing ciblé par filières ou secteurs d'activités doit se concevoir en lien avec le SRDEII de La Réunion et Mayotte, à partir d'une stratégie économique définie par les territoires, conformément au principe du chef de file (voir supra). Pour Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom, « l'approche sectorielle semble naturelle. Elle a pour avantage d'aborder les sujets de la manière la plus concrète possible. Elle permet en outre de mobiliser des entreprises d'un secteur déterminé autour de projets concrets, d'embarquer ensemble acteurs publics et privés dans une même direction pour régler un problème bien précis ».

La mesure 2 du CIOM s'inscrit dans ces orientations. Elle prévoit un « Soutien renforcé élargi à toute l'activité industrielle et la possibilité de créer des zones franches portuaires ». Cette mesure s'est notamment traduite dans la loi de finances pour 2024 par l'extension aux PME relevant de l'industrie, de la réparation navale et de l'édition de jeux vidéo du bénéfice de l'abattement majoré d'impôt sur les sociétés et d'impôts locaux au titre du dispositif des zones franches d'activité nouvelle génération (ZFANG). L'objectif affiché à terme est de renforcer les ZFANG et les dispositifs douaniers existants afin de créer des zones franches favorables à la création d'activités manufacturières destinées à l'exportation. Une concertation avec les collectivités sera nécessaire, notamment à propos de l'application de l'octroi de mer.

Atteindre ces objectifs ne peut se faire sans des infrastructures portuaires performantes. Une ZFANG doit s'appuyer sur une activité portuaire soutenue. Or, le port de Longoni à Mayotte et, dans une bien moindre mesure, le Grand port La Réunion, souffrent de lacunes importantes (voir supra I.B.1.c). La modernisation des infrastructures portuaires doit être une priorité.

Cette modernisation doit inclure celle des installations douanières.

À La Réunion, les infrastructures sont satisfaisantes. Seul le poste d'inspection frontalier (PIF)70(*) mériterait un agrandissement selon les autorités du Grand port maritime et une meilleure digitalisation des process.

En revanche, les installations à Mayotte sont dans une situation alarmante. Les infrastructures de contrôle douanier sont très dégradées et ne répondent plus aux normes depuis de nombreuses années, malgré des dérogations de 10 ans déjà accordées.

Le PIF en particulier verra sa dérogation arriver à son terme en 2025. Une seconde épée de Damoclès concerne l'absence d'un poste de contrôle frontalier (PCF) habilité pour faire des contrôles sanitaires renforcés exigés par la réglementation européenne71(*). Cette exigence porte notamment sur des produits en provenance de certains pays pour lesquels des suspicions fortes de non-respect des normes européennes (en particulier sur les taux de pesticides). Cette liste évolue en permanence. Le PCF doit offrir de bonnes conditions de stockage pour faire les prélèvements aux fins d'analyse et conserver les marchandises le temps des résultats (les échantillons sont envoyés au laboratoire dépendant de Bercy qui transmet les résultats sous 5 jours en moyenne).

En l'absence d'habilitation d'un PCF à Mayotte et compte-tenu de l'expiration de la dérogation depuis 2023, deux expédients étaient possibles :

- présenter la marchandise au PCF de La Réunion, avant sa réexpédition vers Mayotte ;

- agréer des installations de stockage temporaire chez l'opérateur ou l'importateur, qui conservent sa marchandise le temps des résultats. La réglementation de l'UE le permet.

C'est la seconde solution qui a été retenue. Outre sa précarité, ce bricolage a un inconvénient majeur : il favorise les gros importateurs qui disposent de solutions de stockage plus importantes, à l'inverse de nombreux petits opérateurs qui ne peuvent proposer cette solution. Le PCF, qui est un service public, n'est donc pas rendu dans des conditions équitables.

Il apparaît donc urgent d'engager les investissements nécessaires, sans lesquels il est inenvisageable de concevoir une stratégie économique crédible vis-à-vis des partenaires régionaux.

Récemment, l'AFD a financé la construction au Grand port maritime de Guyane (Dégrad des Cannes) d'un poste frontalier communautaire moderne intégrant un PIF ainsi qu'un PCF pour un budget de 2,7 millions d'euros. Ce poste, opérationnel depuis début 2024, a permis de transférer les activités de contrôle du PCF du Havre à celui de Dégrad des Cannes. Il contribuera à supprimer le triangle de desserte maritime entre le Brésil, Le Havre et les Antilles/Guyane grâce à des liaisons directes.

Un projet similaire devrait donc être engagé prioritairement au port de Longoni. Malheureusement, la gouvernance y est plus compliquée entre le département et son délégataire et, en l'absence du statut de Grand port maritime, les bonnes décisions ne sont pas encore prises. L'insertion régionale de Mayotte est impossible sans un port performant et aux normes.

La question de la connexion des économies de La Réunion et de Mayotte amène celle de l'opportunité de créer une compagnie régionale maritime pour le transport de marchandises.

Comme vu supra (I.B.1.c), les analyses demeurent partagées et prudentes sur la viabilité du modèle économique. Des études complémentaires et actualisées sont encore nécessaires. Une étude COI/COMESA72(*) à laquelle La Réunion va être appelée à participer devrait d'ailleurs être lancée.

Dans l'océan Indien, CMA-CGM serait intéressée de développer à La Réunion une zone de transbordement plus importante et des capacités de cabotage accrues vers Mayotte et les pays de la zone, ce qui donnerait tout son sens à un projet de hub régional dont il est question depuis plusieurs années.

Dans ce contexte encore fluctuant, une démarche par étapes paraît la meilleure. La création d'une compagnie maritime peut être très consommatrice de capitaux et de fonds. Pour Michel Labourdère, dirigeant de la société SGTM qui effectue du transport de passagers et de marchandises entre Mayotte, les Comores et ponctuellement Madagascar, il existe un marché pour des petites lignes régionales en cabotage. SGTM a essayé d'ouvrir une ligne reliant Madagascar-Mayotte-Comores-Dar Es Salam. Mais les volumes sont restés trop faibles. L'offre de transport créerait probablement à terme une demande, mais une entreprise privée seule ne peut supporter longtemps les coûts d'une ligne régulière. Des affrètements ponctuels sont en revanche rentables. Selon lui, la solution d'une DSP sur quelques lignes à titre d'essai et pour amorcer un trafic plus régulier pourrait être envisagée, avec un coût maîtrisé et limité pour la collectivité en cas d'échec.

Toutefois, comme cela a été détaillé supra, les connexions maritimes de Mayotte et de La Réunion avec leur région sont déjà développées et des lignes régulières sont largement sous-utilisées (par exemple entre Mayotte et Mombasa). Un travail important d'informations des entreprises sur les possibilités existantes de transport maritime devrait être initié avant d'engager des fonds publics importants dans une compagnie régionale. Les acteurs logistiques en particulier ne se sont pas appropriés tous les instruments douaniers et les liaisons maritimes à leur disposition.

Proposition : Renforcer la connectivité maritime de Mayotte :

- en modernisant les infrastructures portuaires de Mayotte et en engageant prioritairement la construction d'un poste frontalier communautaire (PCF) ;

- en expérimentant, en cas de carence de l'offre privée de transport maritime de marchandises, des lignes régionales de cabotage sous DSP, notamment entre Mayotte, Madagascar et l'Afrique de l'Est.

c) Faciliter la mobilité régionale

Comme pour le transport maritime, la qualité des infrastructures aéroportuaires est une clef pour le développement du trafic aérien. L'aéroport de Mayotte devra faire l'objet de travaux majeurs, quelle que soit l'option retenue : déménagement ou non de l'aéroport actuel de Dzaoudzi (voir supra I.B.1.b).

D'autres leviers sont mobilisables pour améliorer la mobilité régionale et créer une demande qui rendra viable de nouvelles liaisons.

Le principal est celui des visas. Le risque migratoire a durci les conditions d'obtention des visas vers Mayotte ou La Réunion en provenance de la zone océan Indien. S'il est facile pour un Français de Mayotte de se rendre à Madagascar ou en Tanzanie, l'inverse n'est pas vrai. Cette doctrine restrictive est compréhensible, mais a aussi pour effet de dissuader des mobilités et des opportunités d'affaires. Un réexamen de la politique de visas, pays par pays en fonction du risque avéré, permettrait d'assouplir les conditions de leur délivrance, sans ouvrir les portes à des filières organisées.

Un autre levier, qui suppose une stratégie de long terme, est la diversification des pays de provenance des touristes. L'exemple de Maurice démontre que le tourisme permet de transformer en hub un petit territoire insulaire. À Mayotte, les prérequis pour une activité touristique dynamique ne sont pas remplis. En revanche, La Réunion doit réduire sa dépendance au tourisme hexagonal et aller chercher une autre clientèle qui justifiera l'ouverture de nouvelles lignes.

Le concept marketing « Les Îles Vanille » y participe. Il a été défini en 2010 par les professionnels du tourisme qui avaient conscience que l'essor touristique de La Réunion, de Maurice, de Madagascar, des Seychelles, des Comores et de Mayotte devait passer par la mise en commun de moyens et de savoir-faire spécifiques. Cela permettait non seulement de créer de nouveaux produits (combinés et croisières) complémentaires de ceux existants mais aussi de répondre aux attentes d'une nouvelle clientèle (notamment celle des BRICS73(*)). Depuis 2015, la COI, l'Association « Îles Vanille » et des entités du secteur privé ont adopté une stratégie régionale de coopération touristique, grâce au soutien de l'Union européenne. La stratégie permet notamment l'harmonisation de la formation professionnelle dans les métiers du tourisme et l'identification de produits touristiques régionaux compétitifs pour faire face à la concurrence du marché du tourisme. La délivrance de visas peut aussi être facilitée pour les touristes de certaines nationalités en provenance d'une des Îles Vanille. Par ailleurs, les Chinois, les Indiens et les Sud-Africains sont dispensés de visas en cas de séjour de moins de 15 jours.

Un dernier levier est celui de la mobilité étudiante dans une région où l'offre de formations universitaires a considérablement augmenté. À La Réunion d'une part, mais aussi à Maurice qui déploie une stratégie agressive pour attirer des antennes d'universités de renom - y compris françaises comme la Sorbonne -, en Afrique du Sud ou en Inde.

L'université de La Réunion, labellisée Bienvenue en France et Erasmus +, accueille environ 1 000 étudiants étrangers par an, dont les deux tiers en provenance des pays voisins de l'océan Indien. Ce nombre a quasiment triplé en vingt ans.

En 2021, a été lancé le programme Regional Exchange UNiversity Indian OceaN (REUNION), sorte d'Erasmus pour l'océan Indien, soutenu par la Commission de l'océan Indien (COI), l'Université de La Réunion et l'Union européenne. Le programme REUNION lancé sur les fonds Interreg V n'a pas été actif au cours de l'année universitaire 2023/2024, mais devrait reprendre en 2024 sur fonds Interreg VI.

Il faut aussi souligner le projet de campus franco-indien dans le domaine des sciences de la vie pour la santé qui vise à structurer la coopération bilatérale (France-Inde) dans ce secteur.

Les mobilités étudiantes sont une clef importante, afin de créer des solidarités et des liens régionaux pour les prochaines décennies.

Proposition : Stimuler la mobilité régionale :

- en réexaminant la politique des visas avec chaque pays de la région ;

- en diversifiant les pays de provenance des touristes ;

- en soutenant un programme « Erasmus » régional.

d) Doper l'accompagnement des entreprises

La perception de la coopération régionale par les entreprises est mitigée, voire critique (voir supra I.B.4.d). Pour Club Export, la stratégie d'internationalisation n'est pas lisible. Beaucoup d'acteurs, beaucoup d'initiatives, mais une coordination insuffisante et un manque d'impact. L'action de la COI en faveur du secteur privé n'est pas perçue.

Indépendamment des dispositifs déployés pour accompagner les entreprises dans leur développement international, notamment dans l'océan Indien, l'impératif d'un guichet unique s'impose pour faciliter les initiatives des entreprises et rendre de la lisibilité à la stratégie territoriale.

À ce jour, le guichet unique Team France Export s'impose, d'autant qu'il se place sous le pilotage stratégique des collectivités territoriales. La marque Team France Export, ainsi que celle de Team France Invest, sont de plus en plus identifiés. Il faut consolider cet acquis, même si beaucoup reste à faire.

Pour rappel, la Team France Export et la Team France Invest ne sont pas des structures supplémentaires à proprement parler, mais sont davantage des méthodes de travail. Les acteurs publics et les acteurs privés - notamment l'ADIM, la CCI, le département, BPIFrance à Mayotte et Nexa (agence régionale de développement), Club Export, CCI, Région, Département, Business France, Maison de l'export74(*) à La Réunion - peuvent travailler ensemble, sans se faire concurrence, dans l'intérêt même des entreprises. Il ne s'agit pas d'ajouter une strate supplémentaire mais de naviguer entre les structures existantes au moyen d'un guichet unique, pour simplifier les choses.

Une rationalisation du nombre d'acteurs paraît nécessaire, parallèlement à une meilleure structuration du guichet unique Team France Export. L'AFD devrait renforcer son soutien en direction du secteur privé, notamment à travers sa filiale Proparco.

e) Continuer à investir sur la francophonie

La francophonie est le principal dénominateur commun du sud-ouest de l'océan Indien. Très ancré au sein des membres de la COI, la francophonie est le ciment de cet ensemble régional.

Pourcentage de la population francophone - évolution 2010-2022

Source : Observatoire de la langue française

La tendance demeure relativement positive. Des points d'alerte doivent néanmoins conduire à réinvestir le champ de la francophonie par des politiques actives.

La délégation a pu constater la vitalité du français à Maurice dans la vie quotidienne de la majorité de la population. L'institut français est très bien implanté et identifié par la population, avec des moyens importants et une politique dynamique.

En revanche, à Madagascar, si la tendance générale reste bien orientée, l'usage du français dans certains cercles serait en recul. Le commandant des Fazsoi a notamment fait part qu'au sein de la hiérarchie militaire malgache, de plus en plus de rencontres se déroulaient en anglais.

Aux Comores, le bilan est négatif, le pourcentage de francophones diminuant de six points. Selon Sylvain Riquier, ambassadeur de France aux Comores, ce recul net est la conséquence d'un désinvestissement de la promotion de la langue française jusqu'en 2020, au motif que l'ancrage de la langue française semblait être un acquis. Le niveau des professeurs de français avait notamment dramatiquement chuté (80 % avec un niveau inférieur à B2). Depuis, un nouveau programme de formation des professeurs a été lancé avec l'AFD.

Un réinvestissement du soutien à la francophonie est donc impératif.

On notera aussi l'investissement des collectivités en soutien à la francophonie. Le département de La Réunion est très actif. En juillet 2020, un accord a été signé entre la France et l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) relative à un partenariat cadre entre le département de La Réunion et cette organisation. Cet accord a été signé par Cyrille Melchior, président du département, au nom de la République française.

Proposition : Maintenir et renforcer le soutien à la francophonie dans l'espace francophone singulier du sud-ouest de l'océan Indien.

f) Mettre l'accent sur quelques secteurs prometteurs : agriculture, déchets, énergie, formation, numérique.

Quelques secteurs d'activité présentent des opportunités remarquables pour des projets de coopération régionale ou d'investissement transfrontalier à l'échelle du bassin. Les perspectives de mutualisation ou de complémentarité régionale sont élevées. Les aides publiques, l'accompagnement des entreprises et l'adaptation des normes devraient se concentrer sur ces secteurs porteurs de création de richesses et/ou de lutte contre la vie chère. En concentrant les moyens sur un nombre limité de secteurs porteurs, l'objectif est de créer un effet d'entrainement et de construire des modèles économiques viables à partir d'une masse critique. 5 secteurs ont retenu l'attention

(1) S'approvisionner localement en produits alimentaires

Le président Ben Issa Ousseni a dressé un constat net : « Nous ne sommes pas en capacité de développer sur le territoire de Mayotte ce que vous appelez une agriculture intensive sur de grandes superficies. Notre activité agricole se déroule sur de petites exploitations à taille humaine, et c'est ce que nous nous efforçons de développer. Cependant, force est de constater qu'en matière alimentaire, nous manquons de tout. À Mayotte, le prix d'un kilo de tomates peut atteindre 12 à 15 euros. Le prix d'un kilo d'oignons est monté jusqu'à 15 euros récemment, alors qu'habituellement il se négocie autour de 3 euros ».

Mayotte est particulièrement en pointe pour renforcer sa souveraineté alimentaire, sachant que l'étroitesse de son territoire ne lui permettra pas d'atteindre l'autosuffisance, à la différence de La Réunion qui peut couvrir la majorité de ses besoins sur un nombre important de produits. Les initiatives citées supra montrent que la dynamique est enclenchée : projet d'exploitation de terres en Tanzanie, accord avec Madagascar pour produire et importer du fourrage pour le bétail mahorais...

L'AFD finance un projet consistant à produire certains produits agricoles à Anjouan (que Mayotte ne peut produire en raison des conditions climatiques) qui pourraient être commercialisés à Mayotte à des prix inférieurs à certains produits actuellement importés de l'UE. Les principales difficultés sont la structuration de filières pérennes dans le respect de normes équivalentes aux normes européennes en matière sanitaire et environnementale.

À La Réunion, des projets sont à l'étude. Le conseil régional préconise le développement de circuits courts avec les pays voisins mais n'a pas encore mis en place d'initiatives concrètes à ce sujet qui dépend essentiellement de l'engagement du secteur privé. La Réunion doit surtout bien cibler sa stratégie sur certains produits pour ne pas créer une concurrence intenable avec ses propres productions.

L'enjeu des normes est majeur. La création d'un marquage RUP sur les produits agroalimentaires inspiré du marquage RUP sur les matériaux de construction est nécessaire. La modernisation des installations douanières également (voir supra).

Enfin, pour aller plus loin, une activité de transformation des produits primaires agricoles importés à destination du marché européen ou régional pourrait être développée à La Réunion ou à Mayotte. Nos territoires se positionneraient sur ce segment à plus forte valeur-ajoutée.

Les programmes-cadres permis par loi du 5 décembre 2016 dite « Letchimy » pourraient notamment inclure la négociation et la conclusion d'accords régionaux ou bilatéraux de libre-échange sur une série de produits bien spécifiés dans une logique gagnant-gagnant. De tels accords seraient sans doute soumis à l'habilitation préalable de l'Union européenne75(*). Le « paquet RUP » appelé de nos voeux pourrait le prévoir.

(2) Créer des filières de traitement des déchets à la taille critique

Le récent rapport de la délégation sur la gestion des déchets dans les outre-mer76(*) avait souligné les avantages multiples de la coopération régionale pour apporter des réponses concrètes aux difficultés ou impossibilités de traiter localement certains déchets

- massification des gisements permettant de mettre en oeuvre des solutions industrielles plus efficaces et rentables ;

- moindre dépendance aux exportations transocéaniennes et développement du trafic maritime régional ;

- maintien de la valeur ajoutée dans l'environnement régional ;

- bilan carbone amélioré ;

- dynamique régionale.

Toutefois, malgré l'intérêt évident d'une gestion régionale des déchets, pas ou peu de projets se sont concrétisés dans l'océan Indien. Les obstacles sont au nombre de trois : coût du fret, une gouvernance forcément complexe, une réglementation européenne inadaptée.

Près de deux années se sont écoulées et les constats restent identiques. Pire, la réglementation européenne sur les transferts des déchets s'est encore durcie77(*) et complique l'exportation des déchets non dangereux hors pays OCDE ou hors UE (notamment les déchets plastiques), ce qui est manifestement inadapté à des RUP entourées de pays en développement ou parmi les moins avancés. Les demandes d'adaptation du texte, formalisées par une résolution européenne du Sénat notamment, sont restées lettre morte.

Pourtant, le secteur du traitement des déchets continue à être considéré par les acteurs économiques et de la coopération régionale comme un des plus prometteurs.

Cela implique de remettre en débat la réglementation européenne. Un portage politique fort est indispensable. La proposition d'un « paquet RUP » (voir supra) comporterait inévitablement des dispositions sur les transfèrements des déchets pour faciliter, dans le contexte très particulier des RUP, des transfèrements (importation ou exportation) vers des États non membres de l'OCDE, sous réserve du respect de normes équivalentes à celles de l'Union européenne. Des équivalences seraient à définir, selon une approche analogue à celle du marquage RUP.

La COI a commencé à investir ce thème. Un plan d'action régional sur la gestion et la valorisation des déchets a été adopté. On peut aussi citer le projet Expédition Plastique Océan Indien (EXPLOI)78(*), qui a été signé en juillet 2021 et qui vise à lutter contre la pollution plastique en suscitant un changement des mentalités auprès des entreprises et des populations.

Néanmoins, les résultats opérationnels sont encore maigres.

La mise en place de filières mutualisées doit être explorée pour massifier les flux. Un rapprochement Maurice-La Réunion est sans doute la plus prometteuse. Les frais de transport sont limités, les problématiques insulaires similaires et les économies ont des points de convergence. La maturité technologique des îles est aussi proche. Un plan bilatéral de gestion de certains types de déchets serait envisageable. La Réunion a développé une filière de valorisation du verre. Les gisements de Maurice pourraient abonder cette filière. Inversement, Maurice pourrait capter des gisements de La Réunion sur d'autres catégories de déchets (plastique, pneu...).

Mayotte pourrait se tourner plus naturellement vers Madagascar pour là encore proposer des solutions mutualisées avec des coûts de transport maîtrisés

(3) Mutualiser les achats pour conduire la transition énergétique

La Réunion et Mayotte ont engagé leur transition énergétique. La Réunion s'est notamment fixée pour objectif 100 % d'énergie renouvelable en 2030.

Un des principaux volets de cette transition est la conversion des centrales électriques au charbon et au diesel à la biomasse. Les centrales EDF79(*) et d'EDM80(*) au diesel sont ou vont passer au biocarburant. La centrale électrique d'Albioma à La Réunion a elle aussi abandonné le charbon pour le remplacer par des pellets de bois (biomasse), lorsque la bagasse provenant de la coupe de la canne est épuisée.

Si cette transition permet de réduire les émissions de CO2, elle échoue à développer l'insertion régionale ou à réduire la dépendance extérieure de nos territoires.

En effet, les biocarburants aux normes européennes sont importés d'Europe et doivent faire le tour de l'Afrique par le cap de Bonne Espérance depuis la crise des Houthis. Auparavant, l'approvisionnement en diesel se faisait depuis Singapour pour La Réunion. Mayotte s'approvisionne aux Émirats arabes unis. Demain, elle devra aussi faire venir le biocarburant d'Europe, ce qui va augmenter les coûts.

S'agissant des pellets de bois, Albioma se fournit aux États-Unis, au Canada, mais diversifie son approvisionnement dans la région, notamment depuis l'Afrique du Sud.

Certaines îles voisines ont des objectifs voisins et des contraintes identiques. Faible émetteur de gaz à effet de serre et particulièrement vulnérable aux impacts du changement climatique, Maurice attache de l'importance aux questions d'atténuation et d'adaptation et milite en ce sens au sein de l'Alliance des petits États insulaires en développement (AOSIS). Le Gouvernement mauricien s'est par ailleurs fixé pour objectif de passer à 60 % d'énergies renouvelables dans le mix énergétique d'ici à 2030 (contre 23 % en 2020). Comme à La Réunion, une partie de la transition repose sur la biomasse, en particulier l'importation de pellets de bois pour les centrales électriques.

Un projet de coopération régionale, compte tenu de la proximité des deux îles, pourrait être de mutualiser certains achats, en particulier l'importation de pellets de bois en provenance de la région. Les deux îles pourraient obtenir des prix plus favorables.

Ce rapprochement pourrait ouvrir la voie à d'autres coopérations, notamment dans l'hydrogène ou le traitement des batteries.

(4) Former les talents de demain

Le sud-est de l'océan Indien est un espace francophone qui se prête plus facilement à des coopérations en matière de formation. C'est aussi un espace avec de fortes ambitions en matière universitaire, en particulier Maurice qui a une politique offensive dans ce domaine, et qui se trouve à proximité de puissances universitaires et scientifiques majeurs. L'Inde est la première d'entre elles.

L'Université de La Réunion déploie une activité internationale ambitieuse, s'appuyant sur Erasmus + mais aussi le programme régional EXPLOI (voir supra).

La France pousse au sein de la COI le sujet des mobilités universitaires, et de manière plus large celui de la formation professionnelle.

Des Assises de la formation professionnelle se sont réunies les 10 et 11 février 2022 afin de faire un état des lieux des formations existantes et proposer des pistes pour, d'une part, développer les échanges entres les centres de formations des pays membres et, d'autre part, élaborer un programme régional de mobilité. Les conclusions des Assises ont été présentées au Conseil des ministres du 23 février 2022 (Paris). Les principaux secteurs d'activités identifiés, en concertation étroite avec le secteur privé, sont l'économie bleue (dont les métiers de la mer), le tourisme, l'agriculture et les métiers du bâtiment et des travaux publics.

Dans le domaine du tourisme, l'idée n'est pas nouvelle. Depuis 2015, la COI, l'Association Îles Vanille et des entités du secteur privé ont adopté une stratégie régionale de coopération touristique, grâce au soutien de l'UE. La stratégie permet notamment l'harmonisation de la formation professionnelle aux métiers du tourisme. L'objectif est de tendre à fournir une qualité de services homogène dans l'ensemble des îles Vanille.

Le projet FORMA'TERRA de la COI favorise les échanges dans la formation agricole entre La Réunion, Maurice, Madagascar, les Seychelles.

Dans le domaine de la santé et de la recherche de haut niveau, le projet de Campus franco-indien de la santé figurant dans la feuille de route franco indienne pour l'Indopacifique est désormais lancé, l'université de La Réunion en étant un des principaux partenaires.

Le projet « Innovation par les plantes et l'IA pour l'Inde et la France » (ILIADE) fait suite à l'appel à projets lancé par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et le ministère de l'Enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, remporté par l'Université de La Réunion en 2022.

Au-delà de l'objectif premier du renfort de coopération universitaire et scientifique avec l'Inde dans la thématique stratégique de la santé, il s'agit également d'appuyer une volonté de structuration de la coopération bilatérale France-Inde dans ce secteur.

Parmi les avancées permises par ce campus franco-indien : les étudiants français, indiens et de la zone pourront désormais bénéficier d'un cursus complet et structuré Licence-Master-Doctorat (LMD) et un Master en biotechnologie sera créé.

Le projet ILIADE permettra ainsi d'offrir aux étudiants français, indiens et, plus largement de la zone de l'association des États riverains de l'océan Indien (IORA), la possibilité de suivre un cursus structuré et complet LMD franco-indien dans le domaine des biosciences et santé.

La Réunion peut devenir un pôle majeur universitaire et scientifique de niveau régional, voire mondial, en multipliant les coopérations régionales dans ses domaines d'excellence : la santé, le numérique (La Réunion est entrée dans le cercle des capitales French Tech en 2023), les sciences de la terre (Météo France, Observatoire volcanologique) et du vivant (Cirad, IRD...).

* *

En dépit des obstacles structurels et conjoncturels à une insertion régionale des outre-mer français de l'océan Indien, une dynamique nouvelle semble donc enclenchée, même si elle tarde à produire des résultats significatifs dans le domaine économique.

Les transformations à l'oeuvre dans cette partie du monde, notamment un développement économique extraordinaire, offrent des opportunités de développement à La Réunion et Mayotte à la condition de concevoir des stratégies ciblées et concertées entre tous les acteurs.

La montée des menaces oblige aussi l'État, en s'appuyant sur les forces des outre-mer, à jouer un rôle stabilisateur.

La coopération régionale économique doit s'affirmer comme un des instruments de l'indispensable changement de modèle économique de La Réunion ainsi que de Mayotte, reposant moins sur l'investissement public et la consommation et davantage sur le secteur privé et la production de biens et de services.


* 64 En 2023, 17 magistrats de liaison étaient en poste dans le monde couvrant 52 États, dont six en Afrique et Moyen-Orient. Aucun en Afrique de l'Est, australe ou l'ouest de l'océan Indien. Un poste a été créé en 2024 à Sainte-Lucie pour lutter contre les narcotrafics.

* 65 Le CRFIM assure quotidiennement une surveillance et un suivi des navires qui croisent dans la zone afin de prévenir les risques, crimes et trafics en mer, à partir d'informations en provenance de multiples sources afin d'établir la situation maritime sur une zone allant du cap de Bonne-Espérance au détroit d'Ormuz. Il diffuse ensuite ses alertes via le Maritime Awareness System (MAS), système de connaissance de la situation maritime axé sur l'échange d'informations et la coordination des actions conjointes en mer. Cette surveillance a permis d'identifier en 2023 plus de 200 navires d'intérêt, autrement dit des navires ayant des comportements suspects. Avec l'appui du CRFIM, le CRCO, bras opérationnel de l'architecture, facilite et coordonne des missions de surveillance et inspections en mer en mobilisant les moyens navals et aériens des États signataires ainsi que des partenaires. La première mission s'est déroulée en 2020 avec la participation du BSAOM Champlain. Les missions impulsées ou coordonnées par l'architecture régionale de sécurité maritime, plus d'une vingtaine à ce jour, ont ainsi permis, entre autres, de saisir des cargaisons de drogues dont 900 kg lors de l'opération « Persian Express » le 4 juin 2024 et d'inspecter puis intercepter un navire suspecté de pêche illégale lors de l'opération « Black Tip » le 9 juin 2024.

* 66 Les accords MASE sont entrés en vigueur dès leur signature pour Djibouti, Madagascar, Maurice, les Comores et les Seychelles. Le Kenya a procédé à leur ratification en janvier 2022. Pour la France, le projet de loi de ratification a été promulgué en février 2023.

* 67 La PIROI est un outil régional d'intervention rattaché à la direction des opérations internationales de la Croix-Rouge française. La PIROI est composée de différents membres du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge : Comores, France, Madagascar, Maurice, Mozambique, Seychelles, Tanzanie, Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et Croissant-Rouge. Elle intervient sur toute la zone sud-ouest de l'océan Indien.

* 68 Le dernier arraisonnement d'un navire non autorisé à pêcher la légine remonte à 2013.

* 69 La part des transferts financiers de la diaspora en direction de Grande Comore est estimée à 85 % du total.

* 70 Un poste d'inspection frontalier (PIF) est une installation où les autorités compétentes procèdent à des contrôles sanitaires des produits animaux et des denrées alimentaires d'origine animale importés. Ces inspections visent à garantir que les produits importés répondent aux normes sanitaires et de sécurité de l'Union européenne (UE) ou du pays de destination, afin de protéger la santé publique, animale et végétale.

Un point d'entrée communautaire (PEC) est un point de contrôle officiel situé aux frontières extérieures de l'Union européenne (UE) où sont effectuées des inspections sanitaires et phytosanitaires des marchandises entrant sur le territoire de l'UE, hormis les produits animaux qui relèvent d'un PIF. Ces points sont essentiels pour garantir que les produits importés respectent les normes sanitaires et de sécurité de l'UE. Les produits alimentaires ou agricoles non animaux doivent passer par un PEC.

* 71 Règlement européen 2017/625, 178/2002 et 2019/1793.

* 72 Marché commun de l'Afrique orientale et australe (COMESA)

* 73 Les BRICS + sont un groupe de neuf pays qui se réunissent en sommets annuels : Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, Égypte, Émirats arabes unis, Éthiopie et Iran.

* 74 Un projet d'agence de l'internationalisation est à l'étude.

* 75 La politique commerciale extérieure est une compétence exclusive de l'Union européenne.

* 76 Rapport d'information n° 195 (2022-2023) de Gisèle Jourda et Viviane Malet, sur « la gestion des déchets dans les outre-mer », fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer

* 77 Règlement (UE) 2024/1157 du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024 relatif aux transferts de déchets, modifiant les règlements (UE) n° 1257/2013 et (UE) 2020/1056 et abrogeant le règlement (CE) n° 1013/2006Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE.

* 78 6,7 millions d'euros dont 5 millions d'euros par l'AFD.

* 79À La Réunion, la centrale EDF fonctionne au biocarburant depuis fin 2023.

* 80 Électricité de Mayotte

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