C. LA FISCALITÉ DE L'ÉLECTRICITÉ, BIEN DE PREMIÈRE NÉCESSITÉ, DOIT ÊTRE ALLÉGÉE AU PROFIT DES CONSOMMATEURS

Depuis les années 2000 et jusqu'à la crise, les prix de l'électricité ont principalement augmenté en raison de la hausse de la fiscalité qui lui est appliquée. À l'heure où l'on promeut des objectifs ambitieux et nécessaires de décarbonation de nos sociétés et alors que l'électricité n'est pas une marchandise comme une autre mais un bien de première nécessité, il n'est pas raisonnable de lui appliquer les niveaux de fiscalité pratiqués aujourd'hui.

1. Une modulation des tarifs de l'accise sur l'électricité en fonction du niveau de consommation des particuliers et une baisse pour les professionnels

La commission d'enquête note qu'alors que la directive 2003/96/CE précitée prévoit explicitement à son article 5 que des taux de taxation différenciés de l'accise peuvent être appliqués selon les volumes de consommation, cette possibilité n'a toujours pas été mise en oeuvre en France. Or, elle présente un vrai intérêt en matière d'incitation à la sobriété et aux économies d'énergie.

Dans cette perspective, la commission d'enquête considère que toutes les consommations électriques ne doivent pas se voir appliquer la même fiscalité. Certaines consommations purement contraintes et impératives, que l'on peut qualifier de consommations « de base » doivent se voir appliquer une pression fiscale réduite. Inversement, dans une logique de justice sociale et de responsabilité individuelle, des consommations qui relèvent davantage du choix de mode de vie et du confort peuvent être davantage taxées.

Relèvent notamment de cette catégorie le choix de disposer de nombreux appareils électriques énergivores ou encore des consommations électriques de pur confort et de loisir telles que le fonctionnement d'une piscine individuelle ou encore l'éclairage d'un jardin.

Au regard des estimations réalisées par les fournisseurs d'énergie, au premier rang desquels EDF, il semble raisonnable de considérer que la consommation de base contrainte moyenne d'un ménage occupant un appartement de quatre pièces de 80 mchauffé à l'électricité représente environ 6 MWh par an. En 2024, la facture électrique d'un foyer de ce type atteint 1 500 euros par an et 125 euros par mois. Pour le même type de ménage, mais ne se chauffant pas à l'électricité, ce volume de base moyen peut être estimé à environ 4,5 MWh par an.

En ce qui concerne les consommations électriques des particuliers, la commission recommande donc d'établir une différenciation des tarifs d'accise sur l'électricité en fonction de deux critères : le volume d'électricité consommé et le type de chauffage utilisé par le foyer. Le cas échéant, la composition du foyer pourrait également être prise en compte.

Les seuils tarifaires fixés devront être établis de façon à ce que la mesure soit neutre pour les finances publiques, la hausse tarifaire sur les volumes consommés au-delà d'un seuil haut venant compenser la diminution tarifaire appliquée aux volumes consommés en-deçà d'un seuil bas. Cette mesure s'inscrit ainsi dans une perspective de justice sociale en réduisant la pression fiscale sur les volumes de consommation de base contraints. Elle présente aussi une logique incitative en augmentant au contraire la pression fiscale sur les volumes de consommation résultant de choix individuels.

Quelques points de références
sur la consommation électrique des ménages en France

Selon RTE, la consommation électrique annuelle moyenne d'un ménage en France est aujourd'hui de 5,7 MWh.

Selon EDF, pour un logement « au tout électrique » (chauffage, eau chaude et cuisson), la consommation moyenne d'un appartement de 30 m2 occupé par une personne seule équivaut à 3,6 MWh par an. Pour un appartement de 80 m2 occupé par deux ou trois personnes la consommation annuelle serait légèrement supérieure à 6 MWh.

Source : commission d'enquête

Si la commission d'enquête entend alléger la pression fiscale sur les consommations de base contraintes, elle ne souhaite pas pour autant affecter les recettes perçues par les collectivités au titre des anciennes taxes locales départementale et communale sur la consommation finale d'électricité. En effet, si ces taxes ont récemment été intégrées à l'accise, elles n'en constituent pas moins des composantes à part qu'il convient de distinguer. Contrairement à certains précédents fâcheux, la commission d'enquête n'entend pas faire peser sur les collectivités territoriales une mesure de soutien au pouvoir d'achat des consommateurs décidée à l'échelle nationale. Pour cette raison, la commission d'enquête n'entend pas abaisser le tarif de l'accise à un niveau inférieur à celui qui s'applique au titre des anciennes taxes locales, à savoir 9,5 euros par MWh, qui sert de base au calcul du rendement annuel reversé aux collectivités.

Le dispositif proposé, dont les seuils et les tarifs seront susceptibles d'être ajustés pour garantir sa neutralité budgétaire tout en reflétant les profils de consommation des ménages concernés, est le suivant :

- le tarif d'accise serait réduit de 21 euros par MWh aujourd'hui à 9,5 euros par MWh pour les volumes de consommation de base, calculés sur une base annuelle, inférieurs à 4,5 MWh pour un foyer qui n'est pas chauffé à l'électricité et à 6 MWh pour un foyer chauffé à l'électricité ;

- le tarif d'accise serait maintenu à 21 euros par MWh pour les volumes de consommation situés entre les seuils bas ci-dessus et 7, 5 MWh pour les ménages non chauffés à l'électricité et 9 MWh pour les autres ;

- pour les volumes de consommation supérieurs à 7,5 MWh ou 9 MWh qui excèdent significativement le socle de consommation de base, le tarif d'accise serait porté à 32 euros par MWh, c'est-à-dire le tarif de droit commun appliqué jusqu'en 2021.

Pour un foyer chauffé à l'électricité consommant 6 MWh d'électricité par an, cette mesure réduira structurellement sa facture annuelle (de 1 500 euros aujourd'hui) à hauteur de 69 euros, soit de 4,6 %. Sur une base mensuelle, pour une facture moyenne qui s'établit aujourd'hui à 125 euros, la réduction atteindrait 6 euros pour ce type de foyer.

S'agissant des consommations professionnelles, la commission d'enquête recommande de réduire le tarif de l'accise sur l'électricité, aujourd'hui fixé à 20,5 euros par MWh, au niveau de la part que représente les anciennes taxes locales sur l'électricité, soit 9,5 euros par MWh.

Pour un boulanger qui consomme en moyenne 99 MWh par an, la baisse pérenne du prix de sa facture annuelle résultant de cette mesure atteindrait 1 089 euros.

Cette baisse du tarif d'accise sur les consommations professionnelles entraînerait une perte de recettes pour l'État estimée à environ 1,5 milliard d'euros.

2. Une baisse ciblée des taux de TVA pour les particuliers

Tout en conservant la même logique de justice sociale et d'incitation qui préside à sa proposition relative aux tarifs d'accise sur l'électricité pour les particuliers, la commission recommande également de réduire de façon ciblée, pour les particuliers, le taux de TVA appliqué à une consommation électrique de base variant là encore en fonction du critère relatif au mode de chauffage utilisé par le foyer761(*). Le taux de TVA serait ainsi réduit à 5,5 % pour les volumes de consommation annuels situés sous les seuils de :

- 4,5 MWh pour un foyer qui n'est pas chauffé à l'électricité ;

- 6 MWh pour un foyer chauffé à l'électricité.

Sur ces volumes de consommation de base contraints, le taux de TVA appliqué à la fourniture d'énergie serait ainsi aligné sur celui qui prévaut aujourd'hui pour la part fixe de la facture correspondant à l'abonnement.

Les effets de cette diminution des taux de TVA sur la facture des consommateurs, comme sur les pertes de recettes qu'elle occasionnera pour l'État, sont dépendants de l'évolution du prix de la fourniture en électricité en général sur lequel le taux de TVA s'applique. Dans les conditions actuelles, en prenant pour référence le TRVe en vigueur en 2024, la baisse de sa facture annuelle qui résulterait de cette mesure pour un foyer chauffé à l'électricité consommant 6 MWh d'électricité par an atteindrait environ 175 euros.

La perte de recette pour l'État occasionnée par cette réduction du taux de TVA, très dépendante de l'évolution des prix de la fourniture d'électricité, d'après les valeurs moyennes historiques du rendement de la TVA sur la consommation d'électricité des ménages, pourrait avoisiner en moyenne le milliard d'euros selon les scénarios.

Une baisse générale du taux de TVA sur l'ensemble des consommations électriques n'apparaît pas souhaitable à la commission d'enquête, et ce pour plusieurs raisons.

Premièrement, elle serait injuste, générerait des effets d'aubaine massifs et serait contraire aux nécessaires efforts de sobriété et d'économies d'énergie. En effet, une baisse généralisée bénéficierait principalement à des consommations électriques de confort et de loisirs.

Deuxièmement, elle n'aurait aucune incidence sur la compétitivité de notre tissu économique dans la mesure où la TVA sur l'électricité est déductible par les entreprises.

Troisièmement, cette mesure serait extrêmement coûteuse pour les finances publiques. Ce qui signifie que la communauté nationale viendrait massivement subventionner les consommations électriques de confort et de loisirs des ménages les plus aisés.

3. Une prise en charge par le budget de l'État de l'équilibre financier du régime spécial des industries électriques et gazières

La commission d'enquête recommande enfin de substituer à la contribution tarifaire d'acheminement (CTA) une dotation budgétaire dans la mesure où elle considère que l'équilibre financier du Régime spécial des industries électriques et gazières (RSIEG), actuellement adossé à cette contribution, n'a pas à reposer sur les consommateurs d'électricité mais devrait être pris en charge par l'État. Au préalable, la commission estime nécessaire que les services de l'État établissent un rapport d'évaluation des conséquences potentielles de cette substitution.

À court terme, en raison de la disparition programmée de la soulte versée par la Caisse nationale des industries électriques et gazières (CNIEG) à la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) et des réserves accumulées par la CNIEG, le coût budgétaire de cette mesure pour l'État représenterait environ un milliard d'euros. Ce coût aura par ailleurs vocation à se réduire progressivement au fil des années en raison de la diminution progressive des dépenses d'un régime qui est désormais en phase d'extinction. Cette mesure se traduirait en moyenne par une baisse de 30 euros de la facture annuelle d'un consommateur particulier.

4. Une baisse des factures jusqu'à 40 %

L'effet cumulé de ces trois mesures fiscales ciblées sur les consommations de base représente une baisse structurelle d'environ 275 euros par an de la facture d'un foyer chauffé à l'électricité consommant 6 MWh d'électricité par an, soit 18 % de la facture de 1 500 euros qu'il paye aujourd'hui. Sur une base mensuelle, la baisse représente 23 euros sur une facture moyenne de 125 euros.

Ces mesures fiscales s'articulent par ailleurs avec la recommandation visant à mettre en oeuvre une véritable régulation des prix de la production décarbonée via un dispositif de CfD. La combinaison de l'ensemble de ces dispositifs conduit à une réduction structurelle d'environ 40 % la facture d'un ménage chauffé à l'électricité consommant 6 MWh d'électricité par an.

En effet, en prenant comme référence les tarifs d'électricité moyens observés en 2024 la conjonction de ces deux ensembles de dispositifs permettrait des baisses de prix structurelles équivalentes à :

- 6 500 euros sur la facture annuelle d'un boulanger (dont au moins 5 400 euros au titre de la régulation sous forme de CfD) qui consomme en moyenne 99 MWh par an762(*) ;

- plus de 600 euros sur la facture annuelle d'un ménage qui consomme en moyenne 6 MWh par an et 50 euros par mois.

Effet des mesures recommandées par la commission d'enquête sur la facture annuelle d'un ménage consommant 6 MWh d'électricité par an

(en euros)

Source : commission d'enquête

Ces mesures conduiraient à une perte de recette pour l'État estimée à environ 3,5 milliards d'euros. Afin de n'aggraver ni le déficit, ni la dette, la commission d'enquête propose de financer ces mesures de façon prioritaire par des réductions de dépenses en application des propositions formulées avec constance par le Sénat en la matière. Par exemple, les montants du chèque énergie pourraient, après étude d'impact, être revus pour tenir compte de la baisse des factures.

Recommandation n° 31

Destinataire

Échéance

Support/Action

Moduler les tarifs d'accise sur l'électricité en fonction des volumes de consommation.

Parlement et Gouvernement (ministère de l'économie et des finances)

2024

Législatif et règlementaire

Recommandation n° 32

Destinataire

Échéance

Support/Action

Réduire à 5,5 % le taux de TVA sur la consommation d'électricité des particuliers jusqu'à un seuil différencié selon le mode de chauffage utilisé.

Parlement et Gouvernement (ministère de l'économie et des finances)

2024

Législatif et règlementaire

Recommandation n° 33

Destinataire

Échéance

Support/Action

Assurer l'équilibre financier du régime des industries électriques et gazières par une dotation du budget de l'État à la place de la contribution tarifaire d'acheminement (CTA).

Parlement et Gouvernement (ministère de l'économie et des finances)

2024

Législatif et règlementaire


* 761 Des modalités de prise en considération de la composition du foyer pourrait également être prises en considération dans les seuils retenus.

* 762 Ce chiffre correspond à la consommation électrique moyenne annuelle d'une boulangerie d'après une étude de 2008 de l'Agence régionale de l'environnement et des nouvelles énergies (Arene) et de l'Ademe.

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