E. À L'HORIZON 2050, LE MIX DE PRODUCTION DEVRAIT ÊTRE DYNAMISÉ PAR LA CONSTRUCTION D'UN NOUVEAU PARC NUCLÉAIRE ET CONFORTÉ PAR LA PROLONGATION AU-DELÀ DE 60 ANS D'UNE PROPORTION SUBSTANTIELLE DE RÉACTEURS HISTORIQUES
Pour couvrir la progression prévisible du niveau de consommation nationale à l'horizon 2050, la commission d'enquête retient un scénario qui s'appuie principalement sur une forte composante nucléaire.
Cette dernière serait confortée par deux facteurs :
- la prolongation d'au moins une partie des réacteurs actuels au-delà de 60 ans ;
- le déploiement d'un programme ambitieux de construction de 14 nouveaux réacteurs.
Par ailleurs, pour la commission d'enquête, au-delà de l'horizon 2050, la filière nucléaire française devrait impérativement être renforcée par le déploiement progressif d'un parc de réacteurs de quatrième génération qui sera amené à prendre le relais du parc actuel complété par les 14 nouvelles unités à construire. Comme décrit infra, ce futur parc de réacteurs à neutrons rapides (RNR) garantira à la France une souveraineté énergétique complète sur le très long terme.
Concernant la prolongation de la durée de vie des réacteurs du parc en exploitation au-delà de 60 ans, la commission d'enquête a étudié trois scénarios. Le scénario 1, très optimiste, part du principe que l'ensemble des réacteurs pourront être prolongés au-delà de leurs 60 ans. Une telle hypothèse, si elle ne semble pas totalement exclue, semble à cette heure très ambitieuse et le principe de prudence recommande de ne pas la considérer comme une perspective de référence. Le scénario 2, qui reste optimiste mais semble plus réaliste, envisage qu'un réacteur sur trois sera mis à l'arrêt après avoir atteint une durée de fonctionnement de 60 ans. Enfin, le scénario 3, plus prudent et réaliste au regard des éléments qui ont pu être communiqués à ce stade à la commission d'enquête, prévoit qu'un réacteur sur deux serait mis à l'arrêt à 60 ans.
Par ailleurs, par précaution et pour tenir compte des effets qui pourraient être induits par le vieillissement des centrales sur leur disponibilité, la commission d'enquête a retenu une hypothèse de baisse, à compter de 2040, du facteur de charge moyen des centrales du parc historique qui diminuerait progressivement de 70 % à 65 %.
Selon les différents scénarios, la puissance installés du parc historique658(*) pourrait représenter en 2050 entre 63 GW, si tous les réacteurs étaient prolongés après 60 ans, et 39 GW si seulement un réacteur sur deux était maintenu en fonctionnement après cette échéance.
Évolution de la puissance installée du parc nucléaire historique659(*) à horizon 2050 selon les différents scénarios étudiés par la commission d'enquête
(en GW)
Source : commission d'enquête
Selon les hypothèses retenues par la commission d'enquête, la production prévisionnelle en 2050 du parc nucléaire historique pourrait quant à elle représenter entre 365 TWh dans le scénario le plus optimiste et 225 TWh si un réacteur sur deux était mis à l'arrêt à 60 ans.
Évolution de la production prévisionnelle annuelle du parc nucléaire historique660(*) à horizon 2050 selon les différents scénarios étudiés par la commission d'enquête
(en TWh)
Source : commission d'enquête
Compte tenu de ces éléments, la commission d'enquête ne peut que recommander la confirmation de la réalisation d'un ambitieux programme de construction de 14 nouveaux réacteurs.
Le scénario retenu est celui de réacteurs EPR 2 d'une puissance d'environ 1 650 MW. Pour ces nouveaux réacteurs, dans ses scénarios, la commission d'enquête a retenu un facteur de charge prudent de 77 %, inférieur à ce qui est aujourd'hui l'ambition affichée par EDF. Ce facteur de charge résulte de la combinaison entre un coefficient de disponibilité de 85 % et un coefficient d'utilisation de 90 %661(*). Le premier est nettement supérieur à la disponibilité observée sur le parc existant et le second, lié au phénomène de modulation, est un peu plus bas que les taux que l'on constate aujourd'hui. Si des critères plus ambitieux étaient retenus, la production annuelle prévisionnelle moyenne du nouveau parc de réacteurs pourrait être réévaluée à la hausse.
Concernant le calendrier des mises en service du nouveau parc de réacteurs, la commission d'enquête a étudié deux scénarios qui lui paraissent raisonnables au regard des informations qui ont pu lui être communiquées.
Le premier scénario dit A, pourrait être qualifié d'ambitieux même s'il reste atteignable à condition que la maîtrise industrielle du programme de nouveau nucléaire soit parfaitement assurée. Il prévoit la mise en service du réacteur « tête de série » sur le site de Penly en 2036. Il retient ensuite la cadence de production d'environ un réacteur par an qui semble être le rythme que la filière pourrait raisonnablement tenir si sa montée en puissance récemment engagée se confirme. Dans ce scénario, les 14 nouveaux réacteurs seraient en service à l'horizon 2050 pour une puissance installée totale d'environ 23 GW.
Le second scénario dit B, plus prudent, envisage la mise en service du premier réacteur de Penly en 2038. Dans ce scénario, en retenant la cadence de production actuellement annoncée comme soutenable par la filière, seuls 12 des 14 nouveaux réacteurs seraient effectivement en fonctionnement en 2050 pour une puissance installée de 20 GW.
Évolution de la puissance installée des nouveaux réacteurs à horizon 2050 selon les différents scénarios étudiés par la commission d'enquête
(en GW)
Source : commission d'enquête
En retenant un facteur de charge moyen de 77 %, la production annuelle du nouveau parc de réacteur pourrait atteindre 155 TWh dans le scénario A et 133 TWh dans le scénario B.
Évolution de la production prévisionnelle annuelle des nouveaux réacteurs à horizon 2050 selon les différents scénarios étudiés par la commission d'enquête
(en TWh)
Source : commission d'enquête
En croisant les hypothèses étudiées par la commission d'enquête sur le parc nucléaire existant et le programme de nouveau nucléaire, six scénarios ont ainsi été étudiés pour estimer la puissance totale du parc nucléaire et sa production annuelle moyenne à l'horizon 2050.
Selon les scénarios, la puissance installée totale du parc nucléaire français pourrait se situer entre 59 GW et 87 GW. Le scénario le plus optimiste, le scénario 1A, correspond à l'hypothèse d'une prolongation systématique de tous les réacteurs actuels au-delà de 60 ans et d'un calendrier de déploiement favorable du programme de nouveau nucléaire. Il aboutit à une puissance installée en 2050 de 87 GW. Inversement, le scénario le plus prudent retient la prolongation au-delà de 60 ans d'un réacteur sur deux et un calendrier de mise en service des nouveaux réacteurs retardé. De ce scénario résulterait une puissance nucléaire de 59 GW en 2050.
Évolution de la puissance installée du parc nucléaire à horizon 2050 selon les différents scénarios étudiés par la commission d'enquête
(en GW)
Source : commission d'enquête
Selon les six scénarios étudiés, la production annuelle des moyens de production nucléaire pourrait se situer à l'horizon 2050 entre 358 TWh et 520 TWh.
Évolution de la production nucléaire à horizon 2050 selon les différents scénarios étudiés par la commission d'enquête
(en TWh)
Source : commission d'enquête
En ce qui concerne les moyens de production éoliens et photovoltaïque, comme précisé supra dans les développements relatifs aux scénarios envisagés à l'horizon 2035, la commission d'enquête propose de lisser de 2035 à 2050 les objectifs de déploiement actuellement affichés par le Gouvernement pour la période 2024-2035.
En effet, à l'horizon 2035, les perspectives de développement de parcs éoliens en mer et d'installations photovoltaïques, au-delà même de leur caractère irréaliste, ne sont pas nécessaires pour couvrir la hausse prévisionnelle de la consommation. Même s'ils pouvaient être atteints, ils induiraient pour le système dans son ensemble des coûts excessifs.
Ainsi, selon le scénario retenu par la commission d'enquête, la puissance installée de parcs éoliens en mer atteindrait 16 GW à l'horizon 2050 et celle des installations photovoltaïques 85 GW, soit, pour cette dernière, une multiplication par quatre par rapport à son niveau actuel.
Évolution des puissances installées d'installations éoliennes et photovoltaïques (2023-2050) dans les scénarios étudiés par la commission d'enquête
(en GW)
Source : commission d'enquête
Après une multiplication par deux de la capacité de production de la filière éolienne terrestre entre aujourd'hui et 2035, la commission d'enquête recommande une stabilisation de la puissance installée autour de 42 GW, ce qui signifie un renouvellement des installations en fin de vie mais pas de constructions nouvelles. En effet, d'ici 2035, le potentiel de l'éolien terrestre et les limites de son acceptabilité auront été largement atteints et il ne semble pas réaliste, compte tenu notamment de l'emprise foncière de ces projets, d'en imposer indéfiniment l'extension.
Cette hypothèse de développement raisonnable des capacités de production éoliennes et photovoltaïques présente un intérêt économique certain. En raison des coûts systèmes résultant du caractère intermittent de ces filières, elle permettra en effet de réduire sensiblement les coûts complets moyen du mix de production dans son ensemble.
À ce stade, compte tenu notamment des incertitudes liées à la résolution du contentieux avec la Commission européenne et par prudence, la commission d'enquête retient une hypothèse d'augmentation modérée de 2 GW662(*) de la puissance installée du parc de production hydroélectrique à l'horizon 2050. La commission d'enquête estime et espère cependant que cette hypothèse pourra être révisée à la hausse même si le potentiel disponible ne semble pas pouvoir excéder quelques GW.
Ainsi, selon les différentes hypothèses retenues par la commission et en considérant une trajectoire d'augmentation de la consommation qui pourrait la conduire à un niveau de 700 TWh en 2050, tous les scénarios permettraient de couvrir les besoins de consommation sur la période considérée tout en conservant un niveau de marge permettant à la France de rester exportatrice nette d'électricité.
Seul le scénario 3B, le moins favorable663(*), pourrait présenter une certaine sensibilité en toute fin de période. Selon les hypothèses retenues par la commission d'enquête, dans ce scénario, la production annuelle moyenne pourrait se situer légèrement en dessous des prévisions de consommation à compter de 2047. Cependant, ce constat mérite d'être relativisé pour plusieurs raisons.
Il apparaît tout d'abord que cet horizon est très lointain et soumis à beaucoup d'incertitudes. Par ailleurs, la commission d'enquête a volontairement retenu plusieurs hypothèses conservatrices, notamment en termes de facteurs de charge sur le parc nucléaire existant ainsi que sur les nouveaux réacteurs mais aussi concernant le développement des capacités hydroélectriques. Si ces hypothèses prudentes étaient réévaluées, le scénario 3B suffirait également à couvrir les besoins annuels de consommation, y compris sur la fin de la période.
Enfin, l'horizon concerné étant lointain, les pouvoirs publics auront le temps d'ici là, notamment au cours de la décennie 2030-2040, d'ajuster si nécessaire certains paramètres de la composition du mix électrique.
Comparaison de la production et de la consommation annuelles à horizon 2050 selon les différents scénarios étudiés par la commission d'enquête
(en TWh)
Source : commission d'enquête
Selon les différents scénarios étudiés par la commission d'enquête, la filière nucléaire pourrait représenter de 52 % à 61 % du total de la production annuelle du parc électrique en 2050.
Composition en production du mix en 2050 selon les différents scénarios étudiés
(en TWh)
Source : commission d'enquête
La commission d'enquête constate qu'une part de production nucléaire nettement supérieure à 60 % en 2050 ne pourrait reposer que sur deux hypothèses à ce jour très incertaines et qu'elle n'a pas souhaité retenir dans ses scénarios de référence.
La première hypothèse consisterait à accélérer très sensiblement la cadence de mises en services prévisionnelles des nouvelles centrales de troisième génération et à augmenter substantiellement, au-delà de 14, le nombre de réacteurs à construire. Pour la commission d'enquête, ces perspectives présentent de vraies difficultés.
D'une part, la filière ne semble pas en mesure aujourd'hui, compte-tenu des décennies d'affaiblissement qu'elle a subies, de tenir une cadence susceptible de mettre en service plus de 14 nouveaux réacteurs d'ici à 2050.
Par ailleurs, d'autre part, et comme les développements infra le précisent, la commission d'enquête considère que, compte tenu des tensions qui pourraient survenir sur l'approvisionnement en uranium d'ici à la fin du siècle, il ne serait pas raisonnable de se lancer aujourd'hui dans un programme de construction de réacteurs de troisième génération qui excèderait 14 unités. En effet, à l'horizon post-2050, il est pour elle indispensable de programmer dès à présent la construction d'un nouveau parc de réacteurs de quatrième génération, seule stratégie de long terme à même de garantir une souveraineté énergétique totale pour le pays.
La deuxième hypothèse nécessiterait de déployer des capacités de production d'électricité fondées sur les technologies des petits réacteurs modulaires (SMR) dont plusieurs acteurs interrogés par la commission d'enquête ont présenté les avantages et les inconvénients. Dans le cadre d'une stratégie nationale de développement et d'exploitation, les SMR pourraient constituer une voie de production d'électricité complémentaire et, plus encore, de chaleur décarbonées. En effet, ils peuvent permettre de répondre à un besoin local, de manière plus rapide et moins coûteuse, notamment via un raccordement aisé sur faible distance. Développés dans de nombreux pays, ils constituent, par ailleurs, un concept séduisant pour des projets de commercialisation à l'export et sont ainsi de nature à contribuer au renforcement de la filière nucléaire. Pour autant, d'ici 2050, il semble encore improbable que des capacités massives de SMR puissent être mises en service et leur permette de se substituer aux réacteurs électronucléaires existants ou aux EPR2 en projet.
En effet, sur le territoire français, ces solutions seraient très vraisemblablement bien davantage consacrées à la décarbonation de la production de chaleur des processus industriels. Par ailleurs, ces réacteurs sont principalement conçus pour l'export. Leur vocation essentielle serait de se substituer à des centrales à charbon. Ces réacteurs permettraient ainsi à des pays dont la taille et les réseaux ne nécessitent ou ne permettent pas la construction de réacteurs de grande puissance de mettre un pied dans le nucléaire civil en décarbonant leur mix électrique.
Les besoins de la France et de son réseau électrique justifient bien davantage la construction de réacteurs de grande puissance et, après 2050, une véritable vision stratégique et souveraine implique qu'ils relèvent de la quatrième génération.
À la demande de la commission d'enquête, RTE a réalisé un travail de pré-instruction des conditions qui seraient nécessaires à un maintien durable d'une part de la production nucléaire au-delà de 60 % dans le mix électrique. Compte-tenu des dynamiques engagées, de l'augmentation attendue de la consommation ainsi que de l'impossibilité de construire de nouveaux réacteurs avant 2035, l'étude préliminaire de RTE constate que le maintien de cette proportion du nucléaire dans le mix n'est pas envisageable à l'horizon 2035. Par ailleurs, à l'horizon 2050, cette même étude confirme les constats issus des modélisations réalisées par la commission : retrouver une part de 70 % d'électricité nucléaire dans le mix de production supposerait d'accélérer et d'accroître substantiellement le programme de construction de nouveaux réacteurs de troisième génération mais également de développer et de mettre en production de nombreux SMR.
En effet, dans son étude préliminaire, RTE souligne, à l'instar de la commission d'enquête, que « la prolongation des réacteurs existants semble le levier le plus accessible » pour maintenir une part significative de production nucléaire dans le mix électrique à l'horizon 2050. Il souligne néanmoins qu'une production nucléaire atteignant 70 % du mix en 2050 « implique d'avoir réussi la prolongation de la totalité du parc actuel au-delà de 60 ans ». Cependant, cette hypothèse qui n'est pas garantie « serait une condition nécessaire mais pas suffisante. Il faudrait en complément augmenter le rythme de mise en service de nouveaux EPR2 de sorte à disposer d'un parc d'une vingtaine d'EPR2 en 2050, et construire par ailleurs environ 5 GW de SMR (soit environ 15 paires de type Nuward) ».
Cette étude préliminaire, qui mériterait d'être approfondie, confirme la validité des hypothèses de mix électrique de la commission d'enquête.
Recommandation n° 27 |
Destinataire |
Échéance |
Support/Action |
Approfondir l'étude des conditions et impacts d'un maintien d'une part de nucléaire de 60 % dans le mix électrique français à l'horizon 2050. |
RTE |
Avant fin 2024 |
Étude |
* 658 Y compris Flamanville 3.
* 659 Y compris Flamanville 3.
* 660 Y compris Flamanville 3.
* 661 Rappel : le coefficient de disponibilité Kd intègre les périodes d'arrêt des réacteurs (avaries, maintenance des centrales...) alors que le coefficient d'utilisation Ku concerne les circonstances où, la centrale étant disponible, la totalité de l'énergie pouvant être produite ne l'a pas été, par exemple en cas de modulation de puissance.
* 662 Par rapport à aujourd'hui.
* 663 Qui suppose la fermeture de la moitié des réacteurs du parc nucléaire historique après 60 ans et un retard dans les chantiers du programme de nouveau nucléaire.