B. 2020 : UN DÉBAT PUBLIC AUTOUR DE PROJECTIONS DE CONSOMMATION À LONG TERME REFLÉTANT DES CHOIX OUVERTS ET PLURIELS
Suite à la signature de l'Accord de Paris en 2015, la France s'est engagée, notamment au travers de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), adoptée en 2015, pour la première fois à atteindre la neutralité carbone à horizon 2050.
Afin d'éclairer les décisions à prendre sur ces sujets énergétiques, le Gouvernement a demandé en 2019 à RTE, dans le cadre de ses missions légales, de mener une large étude sur l'évolution du système électrique à l'horizon 2050 : les Futurs énergétiques 2050.
Antérieurement aux Futurs énergétiques 2050, il n'existe aucune analyse de RTE sur les besoins à long terme pour atteindre la neutralité carbone.
Le premier jalon de cette étude consiste à essayer de décrire ce qui doit être l'évolution de la consommation électrique sur cette période pour correspondre à cet objectif.
Les Futurs énergétiques 2050 : un exercice d'une ampleur sans précédent
Réalisés en réponse à une saisine Gouvernement et cadencés par plusieurs points d'étape entre 2019 et 2021, les Futurs énergétiques 2050 sont le résultat d'un travail collectif de deux années. Ce travail repose sur plusieurs piliers :
Un travail technique de grande ampleur qui s'est appuyé sur un important effort de simulation et de calcul. La phase I de cette étude a été consacrée au cadrage des objectifs, des méthodes et des hypothèses. La phase II concerne la délivrance des résultats et des analyses approfondies.
Un dispositif de concertation particulièrement poussé qualifié « d'inédit » par RTE et qui a contribué à faire évoluer le contenu de l'étude et « enrichir le dispositif en intégrant de nombreux scénarios et variantes qui n'étaient pas initialement prévus ». Cette concertation s'est principalement déroulée dans neuf groupes de travail thématiques qui se sont réunis à plus de 30 reprises entre mai 2019 et septembre 2021. Plus de 210 organisations et organismes sont cités comme partie prenante. La commission perspectives système et réseaux (CPSR) qui chapeautait ces groupes de travail s'est réunie en format plénier à sept reprises sur cette même période. Une consultation publique a également été organisée auprès des citoyens. Plus de 4000 réponses d'organismes et de particuliers ont été collectées sur le cadrage et la définition des hypothèses de l'étude.
Un conseil scientifique de sept membres a été installé auprès du président du directoire de RTE, afin d'apporter un avis indépendant sur les travaux et sa méthodologie. Il s'est réuni neuf fois.
L'étude a également mobilisé des expertises pointues dans de nombreux champs disciplinaires à travers des collaborations et des partenariats spécifiques : MétéoFrance, Agence internationale de l'énergie (AIE), bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), etc.
Source : Commission d'enquête et graphique RTE
1. Les Futurs énergétiques 2050
a) Un travail de projection fondé sur la SNBC2
Le code de l'énergie, dans son article L.100-4 dispose que la politique énergétique nationale a, notamment, pour objectifs : « 1° De réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 et d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050 en divisant les émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à six entre 1990 et 2050. (...) ; 2° De réduire la consommation énergétique finale de 50 % en 2050 par rapport à la référence 2012, en visant les objectifs intermédiaires d'environ 7 % en 2023 et de 20 % en 2030. »
Tous les scénarios de l'étude des Futurs Énergétiques 2050 sont construits pour atteindre l'objectif de la neutralité carbone en 2050 visé par la Stratégie Nationale Bas-Carbone 2 adoptée en 2020 (SNBC2).
L'étude documente et évalue plusieurs hypothèses et options pour que le système électrique évolue conformément à cet objectif.
Les prévisions de consommation s'inscrivent dans une projection finale de la consommation d'énergie en France de la SNBC à l'horizon 2050 qui vise une baisse de 40 % en 30 ans soit 930 TWh en 2050 contre près de 1600 TWh aujourd'hui.
Consommation d'énergie finale en France et projection visée par la SNBC2
Source : RTE 281(*) Les chiffres différents entre le code de l'énergie et le visuel ci-dessus sont liés à une différence de l'année de référence, respectivement 2012 et 2019.
Cette ambition très forte repose en premier lieu sur l'efficacité énergétique permise par la baisse de la demande et sur la substitution de la consommation des énergie fossiles par une électricité décarbonée qui devrait passer de 27 % de la consommation d'énergie finale à 55 % en 2050. Elle suppose en outre une mobilisation intense de la biomasse produite sur le territoire censée passer de 11 % de la consommation d'énergie finale à 24 %en 2050.
Au final, il était alors prévu que la consommation nationale d'électricité atteigne 600 TWh à l'horizon 2050.
Consommation nationale d'électricité hors pertes réseau (en TWh)
Source : ministère de la Transition écologique, SNBC282(*)
Les deux approches possibles en matière de prévision
Les modèles dits « bottom up » utilisés en matière de consommation électrique consistent à décrire très précisément tous les usages et les consommations associées et de les empiler pour reconstituer brique par brique la consommation totale. Tous les usages n'ayant pas le même profil de consommation heure par heure, ces modèles combinent donc des évolutions différenciées pour chaque usage, en fonction des tendances, des évolutions réglementaires, etc. Ils débouchent donc sur des conséquences sur les appels de puissance en chronique horaire.
Les modèles dits « top down », ou modèles d'économiste, se fondent plutôt sur des analyses économétriques multivariées dans lesquelles la consommation globale est directement reliée à de grandes variables agrégées comme le PIB ou la population.
Source : commission d'enquête
Rappelons, en conclusion, que la rapide analyse de l'histoire de la prévision énergétique effectuée précédemment laisse penser que la famille de scénarios « environnementaux », dans le cadre desquelles s'inscrit celle de la SNBC, a montré sur les trente dernières années sa plus grande capacité à saisir les évolutions réelles des consommations énergétiques.
b) Une projection qui s'écarte de la SNBC pour rehausser les projections de consommation électrique
RTE produit trois trajectoires de consommation : « sobriété », « référence », « forte industrialisation » qu'il croise ensuite avec six mix de production.
Dans les Futurs énergétiques 2050, RTE repart de l'hypothèse centrale de consommation d'électricité de la SNBC2. La prévision de consommation n'est pas réalisée en fonction des politiques publiques en vigueur à date, mais de celles qu'il faudrait mettre en oeuvre pour atteindre cet objectif spécifique. Cependant, RTE a effectué un travail spécifique de modélisation très documenté de type bottom-up.
Plus précisément, l'étude des Futurs énergétiques 2050 s'écarte de la SNBC2 à plusieurs titres :
- les hypothèses de la modélisation et ses premiers résultats ont fait l'objet d'un examen croisé des parties prenantes dans le cadre des groupes de concertation qui ont conduit à des amendements et des modifications importantes de l'étude283(*) ;
- le contexte macroéconomique de référence a été ajusté284(*) pour tenir compte de la crise sanitaire et de l'évolution des perspectives démographiques285(*) ;
- les nouvelles politiques publiques décidées entre 2018 et 2021 ont été intégrées286(*).
- l'impact croissant du changement climatique est intégré dans tous les scénarios, y compris celui de la trajectoire de référence. Ce point contribue à l'écart même si l'impact n'est pas majeur sur les projections.
Elle extrait deux éléments de la SNBC2 relativement peu sourcés pour en faire deux scénarios complémentaires au scénario de référence : des scénarios « sobriété » et « réindustrialisation profonde » qui ont leurs propres cadrages sociaux, politiques et économiques.
Sur ces bases, RTE corrige la trajectoire centrale de la projection de consommation électrique en France métropolitaine continentale de la SNBC en 2050 en la faisant évoluer de 600 TWh à 645 TWh dans le scénario de référence.
La modélisation des différents scénarios, variantes et trajectoires, fait évoluer la projection de la demande électrique à horizon 2050 dans un couloir de plus ou moins 100 TWh autour de cette trajectoire de référence : soit 555 TWh dans la combinaison des hypothèses les plus contraintes et 755 TWh dans les plus haussières287(*).
c) Les trajectoires de consommation à horizon 2050
Scénarios étudiés par RTE
Source : RTE288(*)
Le graphique suivant met en évidence qu'un cône de variation des différentes trajectoires de consommation des Futurs énergétiques 2050 d'environ 100 TWh existe autour de la trajectoire de référence.
Évolution de la consommation d'électricité dans les différents scénarios à l'horizon 2050
Source : RTE289(*)
2. D'autres organismes avancent des projections plus ou moins documentées
Des acteurs, ayant participé à la concertation ouverte lors de l'élaboration des Futurs Énergétiques 2050, avancent des projections de consommation différentes pour 2050. La commission d'enquête a analysé quelques-uns des principaux scénarios défendus par ces organismes.
a) Les Académies
L'Académie des technologies
L'Académie des technologies est un établissement public administratif national placé sous la tutelle du ministre chargé de la recherche et sous la protection du Président de la République. Elle compte plus de 300 membres élus, issus d'horizons variés qui reflètent la diversité des technologies.
Source : commission d'enquête notamment à partir du site internet de l'organisme.
L'Académie des technologies a publié en mars 2021 un scénario290(*) qui estime que la consommation électrique devrait monter jusqu'à une fourchette comprise entre 730 et plus de 840 TWh en 2050. Lors des échanges avec la commission d'enquête, l'Académie a fourni des éléments actualisés à février 2024 qui évaluent finalement la demande d'électricité à 598 TWh en 2035 et 816 TWh en 2050.
Évolution de la demande d'électricité a horizon 2050 dans le scénario de l'Académie des technologies
Source : Académie des technologies291(*)
Les principaux déterminants qui conduisent l'Académie des technologies à cette prévision sont schématiquement de deux ordres :
Une hypothèse de mobilité routière électrique (véhicules légers, utilitaire, poids lourds et bus) de 100 % en 2050 avec une stabilité du trafic. Une décarbonation complète du transport routier reviendrait, d'après les calculs de l'Académie des technologies à passer d'une consommation de 475 TWh en produits fossiles actuellement292(*) à une consommation de 185 TWh en 2050.
Une hypothèse de développement plus intense de la demande d'électricité pour fabriquer des carburants de synthèse, pour le secteur aérien et maritime notamment, et de l'hydrogène pour l'industrie. Les calculs de l'Académie permettent de considérer que le besoin en électricité sera alors augmenté en 2050 de 87 TWh pour les transports maritimes et aériens et de 20,5 TWh pour l'hydrogène utilisé par l'industrie.
Cet avis se base sur une référence de consommation énergétique en 2019 qui peut néanmoins sembler trop élevée (plus de 2108 TWh au lieu d'environ 1600 TWh selon le Bilan énergétique de la France293(*)). En ajustant ce point de point de départ, l'estimation serait proche des scénarios étudiés par RTE dans les Futurs énergétiques 2050.
L'Académie des sciences
Créée par Colbert en 1666, l'Académie des sciences conduit des réflexions relatives aux enjeux politiques, éthiques et sociétaux que posent les grandes questions scientifiques, actuelles et futures. Elle produit des avis et des recommandations. L'Académie des sciences soutient en outre la recherche, s'engage pour la qualité de l'enseignement des sciences et encourage la vie scientifique sur le plan international.
Source : commission d'enquête notamment à partir du site internet de l'organisme.
L'Académie des sciences est en accord avec l'analyse proposée par l'Académie des technologies294(*) qui évaluait le besoin d'électricité en 2050 à 840 TWh. Elle n'a pas mené d'analyse détaillée mais a essentiellement considéré les travaux de RTE et de l'Académie des technologies pour arriver à la conclusion que les scénarios les plus convaincants mais aussi les plus ambitieux (réindustrialisation) conduisaient à cette évaluation.
RTE estimait dans les Futurs Énergétiques, que les perspectives plus élevées exprimées par l'Académie des sciences et l'Académie des technologies ont été retenues « sans procéder à un travail de modélisation de la consommation : une fois retraitées des différents effets, les estimations en ordre de grandeur de l'Académie des technologies sont cohérentes avec les trajectoires hautes de RTE. »
b) L'Ademe
L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe)
L'Ademe est un établissement public à caractère industriel et commercial créé en 1991. Cette agence est régie par les articles L.131-3 à L.131-7 et R.131-1 à R.131-26 du code de l'environnement.
L'Ademe suscite, anime, coordonne, facilite ou réalise des opérations de transition environnementale et de maîtrise de l'énergie. Le budget 2023 de l'Ademe est de 4,2 milliards d'euros incluant les fonds alloués dans le cadre du plan France 2030, dont l'ADEME est l'un des opérateurs. L'Agence regroupe environ 1000 collaborateurs.
Source : commission d'enquête notamment à partir du site internet de l'organisme.
En 2019, l'Ademe a lancé un important travail de prospective qui décrit quatre chemins pour atteindre la neutralité carbone en France en 2050. L'étude a mobilisé pendant deux ans une centaine de ses experts et des partenaires réunis dans un comité scientifique. L'étude s'appuie sur le rapport du Giec 2018, ainsi que sur la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). L'étude a été présenté le 30 novembre 2021.
Si les Futurs énergétiques 2050 de RTE et Transition 2050 de l'Ademe peuvent se comparer dans leur temporalité (deux ans de travail pour chacune), elles utilisent des méthodologies différentes. RTE construit sa trajectoire de consommation de référence autour de la trajectoire de la SNBC, qu'elle corrige d'ailleurs comme nous l'avons vu.
L'Ademe construit ses scénarios autour d'un récit homogène assumant la représentation du monde et les dimensions sociétales et politiques de la trajectoire choisie. La vision est globale : sobriété, gouvernance, place de la technologie, etc., et ne couvre pas seulement le sujet énergétique. Puis, les récits sont déclinés par une modélisation poussée en termes technico-économique, avec des hypothèses, secteur par secteur, dans des modèles existants ou créés pour l'occasion.
Ce travail met ainsi en lumière les interdépendances entre plusieurs secteurs : le bâtiment, la mobilité et le transport, l'alimentation, l'agriculture, les forêts, l'industrie, les déchets et les services énergétiques.
Résumé des quatre scénarios de l'Ademe à horizon 2050
Source : Ademe, site internet
Fondamentalement, l'Ademe essaye de rendre cohérent le récit politique et sociétal du scénario avec le mix électrique qui lui est associé. « Ce travail va donc bien au-delà de la seule modélisation du système énergétique et décrit des transitions de société contrasté »295(*).
L'Ademe précise ses prévisions de consommation électrique pour chacun de ses scénario, reprises dans les graphiques ci-dessous.
Consommation totale d'électricité dans les 4 scénarios Ademe en 2050.
Source : Ademe, contribution écrite
Le S1 intitulé « génération frugale » retient un niveau de consommation de 408 TWh, soit 60 TWh de moins que la consommation actuelle, alors même que tous les autres exercices prospectifs convergent sur une hausse à horizon 2050.
Le S2 intitulé « coopérations territoriales » retient un niveau de consommation électrique de 537 TWh toujours inférieur à la variante sobriété de RTE (555 TWh). Là encore, ce scénario repose sur des inflexions majeures, volontaires ou imposées, sur nos modes de vie.
Le S3 « technologies vertes », qui semble être le scénario central de l'Ademe, retient un niveau de consommation de 656 TWh en 2050, à comparer à la trajectoire de consommation de référence décrite dans « Futurs énergétiques 2050 » de RTE. Cette hausse de la consommation est portée par la croissance du secteur des transports, de l'industrie et du tertiaire.
Le S4 intitulé « pari réparateur » retient un niveau de consommation de 839 TWh, à comparer aux 755 TWh de la trajectoire de « réindustrialisation forte » de RTE. Cet écart s'explique pour moitié par des hypothèses sur l'électrification du secteur des transports et pour moitié sur les autres secteurs, l'Ademe évoquant des « modes de vie sans frein ou sans limites sur leur consommation ».
L'Ademe a légèrement actualisé ces chiffres296(*) à la hausse dans ses derniers documents. Les écarts constatés portent sur + 2 TWh pour S2 et + 4 TWh pour les scénarios S3 et S4 soit des écarts inférieurs à 0,5 %.
Si la modélisation de l'Ademe est moins fine sur l'électricité, elle couvre un plus grand périmètre, explore d'autres équilibres entre les différents leviers nécessaires pour la décarbonation. Les scénarios prennent non seulement en compte l'électrification mais aussi plus de sobriété ou plus d'efficacité ou encore le changement des pratiques agricoles et forestières pour renforcer les puits naturels de carbone.
Malgré des approches, des méthodologies et des modalités de modélisation différentes, à hypothèses équivalentes les conclusions des deux études convergent en matière de consommation électrique. La modélisation de l'Ademe met en évidence que les scénarios dans lesquels la consommation d'électricité est la plus maîtrisée sont ceux qui mettent le plus en oeuvre la sobriété et l'efficacité.
Deux points de différence sont à signaler.
D'une part, les hypothèses de l'Ademe reposent sur une mobilisation des flexibilités plus importantes : 25-30 GW de demande effaçable pour l'Ademe contre seulement 17 GW pour RTE.
D'autre part, il y a une différence entre l'utilisation de l'hydrogène pour alimenter les centrales de pointe dans le cas de RTE, et l'utilisation du gaz, essentiellement décarboné, dans le cas de l'ADEME.
c) Le Cérémé
Le Cercle d'Étude Réalités Écologiques et Mix Énergétique (Cérémé)
Le Cérémé est une association qui a pour vocation de nourrir le débat avec des études comparatives sur les différentes énergies, au regard du critère principal de la réduction des émissions de CO2 et autres gaz à effet de serre. Le Cérémé est enregistré au répertoire des représentants d'intérêts auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
Source : commission d'enquête notamment à partir du site internet de l'organisme.
Le Cérémé a publié en octobre 2021, une première note intitulée Un programme nucléaire pour 2050 qui évoque une consommation électrique de « 900 TWh comme objectif prudent de la consommation en 2050 ».
Le Cérémé a rendu publique en janvier 2022, une nouvelle note Notre scénario alternatif à ceux de RTE. Sur la consommation électrique, le Cérémé estime que RTE ne prend pas assez en compte les hypothèses de très forte hausse des besoins en électricité. En rappelant sa projection à 900 TWh en 2050, il précise « qu'il n'y aura aucune difficulté à gérer un éventuel « trop plein » de production électrique » alors que « en revanche, l'hypothèse inverse d'un accroissement des besoins d'électricité qui créerait une pénurie, aurait en France des conséquences dramatiques sur le mode de vie, l'activité économique, la croissance et l'emploi. ». Le Cérémé avance aussi que « RTE retient des hypothèses très discutables sur les moyens permettant de faire face aux pointes de consommation », avec un bouquet de flexibilité reposant sur « des paris », une flexibilité des usages décrites comme « des coupures acceptées par les consommateurs » ou encore la dépendance vis-à-vis d'importations électriques.
Quelques mois plus tard, en avril 2021, le Cérémé publie un rapport intitulé Scénario alternatif aux Futurs énergétiques 2050 de RTE297(*) qui présente un scénario basé sur un travail de modélisation technique réalisé avec un cabinet en stratégie (Roland Berger) concernant les projections de consommation. L'approche est bottom-up, à l'exception d'objectifs volontaristes : la souveraineté énergétique, l'accompagnement de la réindustrialisation et la réussite du plan hydrogène. Les auteurs disent présenter ainsi un « scénario complet en phase avec les objectifs stratégiques majeurs du pays ».
Le scénario retient une demande d'électricité de 616 TWh en 2035 quand la demande en électricité en 2019 était de 470 TWh, ce qui représente une croissance annuelle de 1,7 % sur la période. La demande électrique atteindrait 836 TWh en 2050.
Il peut être relevé que cette vision assez haussière de la consommation repose sur le corps d'hypothèses suivant : électrification forte, peu d'efficacité énergétique, réindustrialisation forte, peu de sobriété.
Le scénario proposé par le Cérémé serait comparable à une combinaison des hypothèses et variantes les plus haussières de RTE, à savoir la réalisation combinée du scénario réindustrialisation profonde et des variantes « efficacité moins » et « électrification plus ».
Fin juin 2024, le Cérémé s'apprête à publier un nouveau scénario 2050, toujours modélisé par le cabinet Roland Berger qui porte sur l'ensemble du mix énergétique
Sur la partie électrique, le nouveau rapport du Cérémé, après déduction des pertes du système électrique et des consommations intermédiaires destinées à la production d'hydrogène et de carburants de synthèse, prévoit pour 2050 une consommation finale nette de 487 TWh, et 723 TWh de consommation finale brute. Cette nouvelle projection à 723 TWh (contre 836 TWh dans le rapport d'avril 2022), s'explique par :
- un moindre impact de la réindustrialisation en matière d'électrification ;
- la hausse marquée des effets attendus des programmes d'efficacité énergétique dans le résidentiel et le tertiaire.
d) Électricité de France
Électricité de France (EDF) et les projections de consommation d'électricité
EDF réalise depuis sa création des projections de consommation couvrant des périodes variées (du jour pour lendemain à des horizons de plusieurs décennies). Elle les réalise indépendamment de RTE depuis la création du gestionnaire du réseau.
EDF réalise des projections de 2 natures différentes : des projections de type prospective, c'est-à-dire qu'elles visent à éclairer ce qui pourrait advenir, sans définition ex ante du point d'arrivée, et des projections de type normative, c'est-à-dire qu'elles éclairent le chemin permettant d'atteindre un objectif prédéfini, typiquement l'atteinte de la neutralité carbone en 2050.
En matière de projection, EDF mobilise environ 10 ETP pour la réalisation de ses trajectoires de demande à long terme pour la France, répartis sur une trentaine de personnes.
EDF collabore activement avec les fédérations et le monde académique. Une thèse a été soutenue l'année dernière avec les Mines de Paris sur l'évolution de la pointe liée au chauffage résidentiel français dans le cas de la pénétration massive de pompes à chaleur. Une seconde thèse, en collaboration avec l'IFPEN et l'université de Nanterre, est en cours sur les scénarios de décarbonation de l'industrie française et sera soutenue cet été. Une autre thèse est en cours de montage sur la prise en compte de la sobriété dans les scénarios prospectifs.
Source : commission d'enquête notamment à partir du site internet de l'organisme.
Les prévisions d'EDF et leurs modalités d'élaboration ne sont pas publiques.
L'entreprise a néanmoins accepté que la commission d'enquête fasse état de son scénario normatif d'atteinte de la neutralité carbone (« Net Zero »).
EDF projette à l'horizon 2035, une consommation finale nette en France de 504 TWh. Ce chiffrage correspond à une consommation finale brute de 587 TWh en lui ajoutant la consommation électrique pour production d'hydrogène (26 TWh) et les pertes & consommations du secteur énergie (57 TWh).
EDF a également partagé les tendances structurelles que le groupe anticipe sur la hausse de la demande électrique. Elle serait portée par l'électrification des usages dans l'industrie et le transport, ce qui ferait plus que compenser une éventuelle stagnation de la demande dans le bâtiment. Cette stagnation résulterait d'une compensation entre rénovation et électrification des bâtiments.
EDF a également partagé les incertitudes sur les consommations d'électricité et les émissions de CO2 des secteurs d'activités.
Ces tendances et ces incertitudes évoquées ci-dessous sont exprimées pour les horizons 2035 et 2050.
Dans le résidentiel, la vision d'EDF est une stabilité des niveaux de consommation électrique, la part de marché croissante des pompes à chaleur (PAC) dans le chauffage étant compensée par l'efficacité de ces équipements, qui viennent également se substituer à des chauffages électriques, conduisant à une maîtrise de l'évolution de la pointe électrique, et des rénovations des bâtiments. Des incertitudes sur le développement des appareils blancs (type sèche-linge, congélateur, taille des écrans, ...) ou sur la pénétration des pompes à chaleur en remplacement des équipements fossiles induisent des incertitudes autour de 20 TWh sur la consommation électrique.
Pour le tertiaire, la vision d'EDF est une stabilité des consommations à horizon 2035 et une baisse de 10 TWh par rapport à 2021 en 2050. L'incertitude est principalement portée sur l'activité économique et le développement du télétravail et dans une moindre mesure le développement des technologies de l'information et de la communication. L'incertitude se situe autour de 20 TWh sur la consommation électrique.
Dans l'industrie, hors production d'hydrogène, la projection d'EDF est une hausse de 10 TWh à l'horizon 2035 et de 15 TWh en 2050. Pour une décarbonation effective de ce secteur, la hausse pourrait être beaucoup plus forte et supérieure à 50 TWh en 2050. L'activité économique est un facteur important d'incertitude qui se traduit par des écarts de consommation de 50 TWh entre scénarios macro-économiques extrêmes.
Dans le transport, la hausse des consommations électriques, hors production d'hydrogène, est de 50 TWh en 2035 et 120 TWh en 2050, portée par l'électrification des usages. La mobilité constitue donc un secteur essentiel de la croissance de la demande électrique. L'ampleur et la rapidité de déploiement des voitures électriques induit des incertitudes autour de 40 TWh à 2050. L'électrification des poids lourds induit des incertitudes supplémentaires de 20 TWh sur les consommations d'électricité du transport.
Pour l'hydrogène, la vision des consommations d'électricité nécessaires à la production d'hydrogène est d'environ 15 TWh en 2035 et 30 TWh en 2050. L'atteinte de la neutralité carbone pousse EDF à considérer des niveaux de consommation électrique autour de 80 TWh pour la production d'hydrogène électrolytique en 2050. Les incertitudes sont grandes d'ici 2050 : plus de 70 TWh (50 TWh pour le transport notamment international et 20 TWh pour l'industrie).
Dans une vision synthétique, les plus grandes divergences entre les travaux d'EDF et de RTE reposent sur les trois sujets suivants.
La vision de RTE sur l'hydrogène et notamment la production d'e-fuels est jugée « très volontariste, notamment au regard des horizons considérés. Sur l'hydrogène, nous privilégions en effet un usage direct de l'électricité par rapport à un usage indirect (effet rendement) dans une optique de vision efficace des énergies décarbonées qui seront nécessaires dans de grands volumes. EDF considère avec prudence les volumes annoncés d'e-fuels pour les transport international (aviation et maritime) au regard des couts, de la maturité technique encore faible et de possibles carburants alternatifs ».
La vision sur la sobriété de RTE jugée est « optimiste ». EDF signale rester « en attente des détails des hypothèses prises dans leurs scénarios car les différents éléments disponibles dans le rapport ne sont pas concluants, typiquement sur les modes de sobriété dans le tertiaire. Par ailleurs, les niveaux de sobriété affichés dans le rapport ne sont pas cohérents avec les leviers évoqués, par exemple dans les transports, en contradiction avec les effets mesurés ».
L'hypothèse de rénovation énergétique des bâtiments dans le rapport est estimée « difficilement réaliste ». EDF précise que « les rythmes actuels montrent toute la difficulté d'avoir une politique de rénovation efficace dans le bâtiment. Par ailleurs, nos propres estimations, sur la base des données ADEME, supposent un gisement de rénovation moindre en 2035. EDF pense que l'électrification du chauffage, via le meilleur rendement des pompes à chaleur, est un élément essentiel dans la baisse de consommation en énergie des bâtiments. Le manque d'information détaillées dans le tertiaire ne nous permet pas de juger du réalisme de la mise en oeuvre effective du décret tertiaire dans les scénarios RTE ».
e) ENGIE
Le Groupe Engie
Engie, groupe industriel énergétique français né en 2008 est issu de la fusion entre Gaz de France (GDF) et Suez.
Engie intervient dans 31 pays, compte près de 100 000 employés dans le monde, et son chiffre d'affaires est de proche de 94 Milliards d'euros.
Engie est amené à faire ses propres prévisions depuis plus de 20 ans, pour trois raisons principales :
- maitriser l'ensemble des hypothèses utilisées, celles-ci étant débattues et validées au sein du Groupe et pouvant différer de celles de RTE ;
- développer une vision de la projection de consommation pour les autres vecteurs énergétiques, notamment pour le méthane et la biomasse (ce que ne fait pas RTE) ;
- intégrer l'ensemble des pays où le groupe est implanté.
Source : commission d'enquête notamment à partir du site internet de l'organisme.
ENGIE utilise les scénarios énergétiques non seulement à des fins de prospectives et d'analyses de marché long terme mais également pour estimer les prix des différentes commodités énergétiques. Ces courbes de prix, utilisées pour évaluer les projets d'investissement du Groupe, sont donc stratégiques et non publiques. Environ 5 équivalents temps plein travaillent sur ces prévisions chez Engie pour le périmètre européen. La modélisation actuelle d'Engie est basée sur un modèle « bottom-up ».
Au cours de l'année 2022, soit l'année la plus proche de la publication des Futurs énergétiques 2050, les projections d'Engie reposaient sur une consommation électrique de 559 TWh en 2030, 616 TWh en 2035 et 664 TWh en 2050, correspondant à un taux de croissance annuel moyen de 1.3 %par an sur la période 2022-2050. Le détail de cette évolution s'apprécie par secteur dans le graphique ci-dessous.
Évolution de la consommation électrique à horizon 2050 selon Engie
Source : Engie, réponse aux questionnaires de la commission d'enquête
Les points de différence principaux avec les analyses de RTE sont les suivants :
Engie privilégie un nombre de rénovations plus limité (250 000 rénovations complètes par an contre près de 700 000 pour RTE sur la période 2023-2035) et un ciblage sur des rénovations globales visant essentiellement les passoires thermiques.
Engie est plus prudent sur le nombre de pompes à chaleur installées en 2035 (environ 9 millions contre 11 millions pour RTE). L'entreprise insiste sur l'importance des PAC hybrides (1 million contre 400 000 pour RTE) car cette solution de chauffage permet une meilleure maîtrise de la pointe électrique et des possibles surcoûts associés à son évolution.
Engie est aussi plus prudent sur la vitesse de développement des véhicules électriques, particulièrement pour les poids lourds (qui passe de 8 % du stock électrique en 2035 dans les Futurs énergétiques 2050 à 26 % dans le Bilan prévisionnel 2023).
Engie projette une électrification massive de l'industrie dans les branches à faible et moyenne température (<150°C). Mais estime une électrification modérée des industries hautes températures, comme l'industrie du verre, en raison de contraintes techniques plus importantes. Le niveau visé par RTE, à savoir 50 % de la demande totale de l'industrie électrique en 2035 « parait improbable au vu du contexte géopolitique et des contraintes techniques inhérentes à ce secteur » selon Engie.
Les prévisions de consommation réalisées par Engie ont légèrement été revues à la baisse depuis la période de publication des Futurs énergétiques 2050. Engie projette un reflux d'environ 20TWh en 2030 par rapport aux prévisions évoquées ci-dessus et maintient ses chiffres pour 2050.
Cette contraction s'explique par trois facteurs :
La consommation électrique des datacenters a été revue fortement à la hausse au vu des derniers développements d'usages digitaux liés à l'intelligence artificielle générative ;
En sens inverse, la consommation électrique dans les transports tient compte d'une moindre pénétration des véhicules électriques ;
Certaines industries, suite à la crise énergétique de 2022-2023 se sont délocalisées aboutissant à une perte de demande permanente d'électricité.
f) La Fabrique de l'industrie
La Fabrique de l'industrie
La Fabrique de l'industrie est une plateforme de réflexion consacrée aux perspectives de l'industrie en France et à l'international. Cette association créée en 2011, se donne pour mission d'apporter une vision sur les enjeux industriels et les défis économiques auxquels la France est confrontée, d'organiser des débats et de rendre accessible la diversité des points de vue. La Fabrique produit des ouvrages, des synthèses et des documents de travail multimédias pour nourrir le débat public. Son conseil d'administration rassemble les représentants de ses financeurs : l'UIMM, France Industrie et le GIM et certains experts.
Source : commission d'enquête notamment à partir du site internet de l'organisme.
Dans un rapport intitulé Couvrir nos besoins énergétiques : 2050 se prépare aujourd'hui298(*), la Fabrique de l'industrie réalise ses propres hypothèses de consommation électrique. Le modèle est essentiellement bottom up, soit par ses propres modélisations soit indirectement par la reprise des modélisations de RTE.
La modélisation du système électrique dans les différents scénarios de production et de consommation est une optimisation (linéaire) du coût complet du système électrique sous contrainte d'équilibrer consommation et production à chaque heure d'une année météo de référence (2019 dans cette étude299(*)).
Sur la consommation, cette optimisation a été réalisée aux horizons 2030, 2040, 2050 et 2060 dans trois scénarios : maintien de l'industrie, réindustrialisation selon les hypothèses RTE, et réindustrialisation plus ambitieuse calée sur les hypothèses de l'Uniden.
La projection de la demande électrique s'étalonne, pour 2050, de 671 TWh (maintien de l'industrie) à 779 TWh (réindustrialisation RTE) et jusqu'à 846 TWh (réindustrialisation Uniden). Comme le concluent les auteurs : « nos hypothèses se situent donc dans le haut des estimations déjà publies et s'approche des estimations de l'Académie des sciences, de l'Académie des technologies et d'EDF ».
La spécificité de ces travaux vis-à-vis des Futurs énergétiques 2050 est triple.
D'une part, en matière de réindustrialisation, les auteurs se calent sur une hypothèse plus ambitieuse en reprenant les projections réalisées par une étude du cabinet Yggdrasil pour l'Uniden. Sur la base d'une note300(*) intitulée « Projection à 2050 de la consommation électrique de l'industrie manufacturière française » de l'Uniden, les auteurs construisent un scénario de réindustrialisation équilibrant la balance commerciale dans la plupart des secteurs et avec un solde global positif de 69 milliards d'euros en 2050, sans augmentation de la part de l'industrie dans le PIB mais avec une électrification très forte des procédés. Ce scénario conduit donc à une consommation industrielle de 271 TWh d'électricité et de 77 TWh d'hydrogène en 2050. Ces projections s'expliquent car l'étude prend pour hypothèse qu'un volume important d'hydrogène sera consacré à la chimie organique (23 TWh d'hydrogène, soit 34 TWh d'électricité) pour produire une partie des plastiques autrement que par de la pétrochimie classique (environ 1/3 du plastique actuel).
D'autre part, les auteurs estiment qu'il est nécessaire de développer, dès maintenant, le stockage de l'électricité car leurs simulations identifient des besoins en 2030 pour minimiser le coût du système électrique, dans un contexte de prix du carbone élevé (120 €/tCO2). Disposer de capacités de stockage permet alors de réduire le recours aux sources carbonées en période de pointe. Outre des capacités supplémentaires en STEP, ils ajoutent que seules les batteries répondront aux besoins.
De plus, les auteurs avancent un scénario de référence un peu plus prudent en matière d'efficacité énergétique. Si la Fabrique se cale sur le rythme de rénovation retenu par RTE, elle considère cependant que ces rénovations seront moins efficaces avec 30 % de gains pour une rénovation ce qui correspond aux standards actuels au lieu des 55 % visés en 2035 par RTE et l'Ademe.
Enfin, en matière de transport, la Fabrique va plus loin que les hypothèses RTE puisqu'elle considère que tous les véhicules lourds neufs vendus seraient bas Carbone à partir de 2040. L'impact sur la consommation électrique serait en 2050 de 103,6 TWh et 15,3 d'hydrogène.
g) La Fondation Concorde
La Fondation Concorde
La Fondation Concorde est un think tank économique indépendant crée en 1997. Elle se qualifie elle-même « l'un des premiers think tank généraliste de la droite modérée dans notre pays ». Elle produit des rapports couvrant différentes thématiques à l'attention du débat et des pouvoirs publics. Il a la particularité de faire travailler ensemble universitaires, experts, hommes et femmes d'entreprise. Il regroupe environ 2500 membres. Il se dit être « tourné vers TPE/PME et la petite industrie (...). La Fondation Concorde a pour préoccupation permanente la compétitivité des entreprises, la création d'emplois, tout en exigeant un État allégé ».
Source : commission d'enquête notamment à partir du site internet de l'organisme.
La Fondation Concorde, dans son rapport Stratégie pour une électricité décarbonée et bon marché pour le XXème siècle301(*), estime les besoins en électricité' a` 900 TWh en 2050.
La méthode bottom up utilisée propose un cadrage très simple des besoins en électricité décarbonée à partir de 3 hypothèses de coefficient de substitution des consommations d'énergies fossiles actuelles par de l'électricité décarbonée sans même les rehausser avec les traditionnelles évolutions à la hausse de la population ou de la croissance économique. En effet, la décarbonation se réalisera principalement par la substitution d'électricité décarbonée aux énergies fossiles dans les usages énergétiques.
Cette substitution repose sur un facteur de conversion généralement admis qui va de 1 KWh électrique pour une fourchette de 2 KWh fossiles pour les substitutions difficiles ou une vision pessimiste, à 2,5 ou 3 KWH pour les substitutions les plus performantes ou une vision optimiste.
La France consommant actuellement 1242 TWh d'énergie fossile (gaz 430 et pétrole 812 en 2021), le transfert de cette consommation en électricité conduirait à une demande complémentaire de 414 TWh d'électricité' par an (hypothèse optimiste) à 621 TWh par an (hypothèse pessimiste), à comparer au 468TWh de consommation actuelle en 2021.
Il convient de souligner que ce calcul, très théorique, suppose ici implicitement que la demande d'énergie en 2050 resterait au même niveau à mix énergétique inchangé, et que le principal déterminant de baisse de la consommation d'énergie serait le gain énergétique obtenu lors de l'électrification.
Le calcul ne prend donc pas en compte les gains d'efficacité énergétique hors électrification, tels que ceux permis par la rénovation des bâtiments ou plus simplement l'amélioration de la performance des équipements au fil du temps, ni les effets de la sobriété, ni les impacts des réglementations tels que ceux portant sur les exigences d'amélioration de la performance énergétique des équipements, procédés ou des bâtiments.
Il ne tient pas non plus compte de la contribution de la biomasse à la décarbonation du mix énergétique quand bien même son potentiel est limité.
L'analyse ne prend pas non plus en considération le développement des besoins d'électricité pour produire de l'hydrogène électrolytique ou des électro carburants, ou d'autres facteurs de premier ordre comme l'évolution de la population, du nombre de ménages ou du PIB.
h) L'association négaWatt
L'association négaWatt
L'association négaWatt est une organisation sans but lucratif fondée en 2001. Elle porte « le développement du concept et de la pratique négawatt (unité théorique mesurant une puissance économisée) dans la société française ».
La vision de négaWatt repose sur trois piliers : la réduction des besoins par la sobriété dans les usages individuels et collectifs de l'énergie, en prônant des changements de mode de vie et d'organisation de la société ; l'efficacité énergétique pour diminuer la quantité d'énergie nécessaire à la satisfaction de ces besoins et la priorité donnée aux énergies renouvelables au détriment des énergies fossiles et du nucléaire.
Fondée en 2001, l'association appuie sa démarche sur la sobriété énergétique, l'efficacité énergétique et le recours aux énergies renouvelables. Elle publie, tous les cinq ans, un « scénario négaWatt » qui détaille une transition énergétique visant à se passer de l'énergie nucléaire et presque totalement des énergies fossiles à l'horizon 2050.
Source : Commission d'enquête notamment à partir du site internet de l'organisme.
NégaWatt propose une vision énergétique globale qui dépasse les seuls sujets électriques. Elle inclut le rôle de l'agriculture avec le scénario Afterres 2050, réalisé par l'association Solagro, qui propose une vision de la transition agricole, sylvicole et alimentaire et un travail sur l'aspect matériaux et notamment la question de leur disponibilité.
Comme le rappelle l'association, « le but d'un scénario prospectif n'est pas de prédire l'avenir ; à ce titre, la trajectoire qu'il dessine n'est ni vraie, ni fausse, et on peut même être certain que l'avenir ne sera pas celui décrit dans un exercice prospectif. L'enjeu est d'éclairer, avec autant de justesse et de précision que possible, la manière dont les actions que nous choisirons collectivement peuvent permettre d'atteindre un certain nombre d'objectifs, à quel horizon de temps et avec quelles implications. »
L'approche de négaWatt est systémique et utilise une méthode bottom-up. Elle retient une seule trajectoire et non plusieurs variantes. Le scénario négaWatt vise l'objectif d'une division par deux de la consommation d'énergie finale d'ici 2050 (contre -40 % pour RTE).
Entendu par la commission d'enquête, Yves Marignac, expert énergie à l'association négaWatt, précise que la particularité du scénario de négaWatt était d'envisager une forte augmentation des services rendus par l'électricité « qui ne va cependant pas forcément de pair avec une augmentation de la consommation d'électricité, dans la mesure où l'efficacité, d'une part, et la sobriété, d'autre part, qui permet d'éliminer des usages électriques ne rendant pas véritablement de service, permettent un certain découplage entre les deux facteurs. Cela se traduit dans le scénario de négaWatt, par exemple, par une forte augmentation de l'électricité dans le chauffage avec 60 % de logements chauffés, notamment avec des pompes à chaleur installées dans des bâtiments rénovés. Il y a là un énorme enjeu d'efficacité. Par ailleurs, selon notre analyse, ne pas rénover les bâtiments dans lesquels on installe les pompes à chaleur conduit à un risque d'augmentation de la pointe électrique associée au passage hivernal, de l'ordre de 7 %, 8 %, à 10 %. Toujours selon notre scénario, on projette évidemment une électrification de la mobilité, un doublement à peu près des procédés s'appuyant sur l'électricité dans l'industrie. Tout cela contribue à une part de l'électricité qui approche 50 % de nos besoins énergétiques mais avec une baisse de la demande électrique de 10 % hors augmentation pour les besoins en hydrogène, qui situe notre scénario autour de 550 TWh au total en 2050. Cette évolution se traduit pour nous par un scénario compatible avec le maintien d'un haut niveau de service, une réindustrialisation, la création d'emplois et avec de multiples co-bénéfices. »302(*)
« La condition nécessaire de la réussite des objectifs d'électrification et de réindustrialisation, qui sont au coeur de la neutralité carbone, de la compétitivité et de la souveraineté, passent par une accélération de la sobriété et de l'efficacité » résumait Yves Marignac.
Le scénario vise donc avant tout à identifier et actionner les leviers pour maîtriser la demande. Pour négaWatt, la demande doit être traitée en premier car elle permet plus facilement et à moindre coût d'atteindre l'objectif environnemental et social. Le scénario repose donc sur un fort volontarisme en matière d'efficacité et de sobriété.
Le scénario de négaWatt est construit sur la généralisation massive des meilleures pratiques actuelles déjà éprouvée, sans pari technologique, déjà en matière d'efficacité et de sobriété.
Le scénario repose sur une consommation finale brute de 513 TWh d'électricité en 2035 et 546 TWh en 2050.
i) TotalEnergies
TotalEnergies
TotalEnergies, entreprise française de production et de fourniture d'hydrocarbures et d'autres sources d'énergies, est présente dans plus de 130 pays et compte plus de 100 000 salariés dont presque 25 % en France.
TotalEnergies a publié son scénario, TotalEnergies Energy Outlook (TEO) en novembre 2023. Le TEO modélise l'évolution du système énergétique en considérant l'offre et/ou la demande en énergie de l'ensemble de la planète. Il utilise donc une méthode top-down. Pour certains secteurs lorsque les données sont disponibles, elle mène des études pour mieux comprendre les enjeux secteur par secteur.
Source : Commission d'enquête notamment à partir du site internet de l'organisme.
Le tableau ci-dessous met en regard les éléments des scénarios du TotalEnergies Energy Outlook (TEO) avec les scénarios de RTE.
Consommation d'énergie finale pour les postes différenciant entre les scénarios TotalEnergies et la trajectoire de référence RTE (en TWh)
|
2035 |
2050 |
||
TotalEnergies Outlook 2023 (scénario Momentum) |
RTE Scénario A-REF 2023 |
TotalEnergies Outlook 2023 (scénario Momentum) |
RTE* scénario de référence |
|
Résidentiel |
162 |
150 |
165 |
134 |
Tertiaire |
138 |
139 |
138 |
113 |
Transports |
64 |
55 |
142 |
99 |
Industrie |
123 |
135 |
131 |
180 |
Production d'H2 |
42 |
65 |
128 |
50 |
Autres (yc énergie) |
64 |
71 |
102 |
69 |
Total |
592 |
615 |
807 |
645 |
Source : TotalEnergies, contribution écrite
Dans le scénario de référence TEO, qui suppose que la France et l'Europe atteignent la neutralité carbone en 2050, la France voit sa consommation d'électricité augmenter de l'ordre de + 1,5 % par an entre 2019 et 2050.
Cette hausse provient de l'électrification des usages dans l'industrie et le transport, et de la production d'hydrogène par électrolyse. L'industrie voit ainsi sa demande d'électricité augmenter de 13 % (+ 15 TWh) entre 2019 et 2050, les transports, portés par l'essor des véhicules électriques, atteindre 142 TWh en 2050 (contre 8 TWh en 2019), et l'électrolyse 128 TWh. Quant au résidentiel et aux services, leur demande d'électricité reste constante sur la période.
Il est cependant délicat d'effectuer la comparaison des projections de consommation électrique entre TotalEnergies et RTE à l'horizon 2050 pour plusieurs raisons.
Le scénario de référence de TotalEnergies et les scénarios des Futurs énergétiques 2050 utilisent des hypothèses différentes relatives au contexte macroéconomique de la France. Par exemple, le TEO formalise ses hypothèses en tenant compte d'un niveau de PIB d'environ + 1,5 % sur la période 2022-2035, alors que RTE fait varier cette métrique selon ses scénarios (la valeur oscillant entre + 0,6 et + 1,1 % sur la même période).
Par ailleurs, selon le rapport RTE Futurs énergétiques 2050, « dans une trajectoire de neutralité carbone, l'utilisation du gaz fossile pour la production d'électricité est amenée à disparaître. Au cours des dix prochaines années, la stratégie définie par l'État dans la PPE, consistant à développer les énergies renouvelables en maintenant une base nucléaire importante, aura pour effet de réduire les durées de fonctionnement des centrales au gaz. Celles-ci devraient fonctionner selon les prix sur le marché européen, mais n'être appelées qu'épisodiquement. » En conséquence, RTE ne communique pas publiquement sur la proportion de production de gaz contribuant au mix électrique français, contrairement à TotalEnergies qui modélise la production prévisionnelle des centrales à gaz à horizon 2050.
Enfin, les prévisions de TotalEnergies sont bien plus récentes (2023) que celles des Futurs énergétiques 2050 (2021).
La comparaison est plus pertinente à l'horizon 2035.
Le scénario de référence 2023 du TEO estime que c'est entre 2025 et 2035 que devrait s'opérer la majeure partie de la transformation du mix électrique.
À court terme, la demande d'électricité continue en effet de suivre la tendance historique baissière. La demande d'électricité totale de la France en 2025, à 486 TWh est environ égale à celle de 2019 et 2021.
En revanche, en 2035, elle atteint 592 TWh, soit une hausse de + 22 % surtout attribuable aux transports (+ 56 TWh) et à l'électrolyse (+ 42 TWh), l'industrie n'augmentant sa consommation que de + 7 TWh sur la période.
D'une façon générale, les prévisions de TotalEnergies relatives à la consommation d'électricité en 2035 dans le scénario de référence du TEO sont cohérentes avec celles du Bilan prévisionnel 2023 de RTE : 592 TWh à comparer aux scénarios A-bas (580 TWh) et A-référence (615 TWh), et scénarios B-bas (550 TWh) et B-haut (600 TWh) du bilan RTE 2023.
Par rapport au scénario A référence de RTE, TotalEnergies voit en 2035 des besoins d'électricité inférieurs dans l'industrie et la production d'hydrogène par électrolyse (respectivement 123 TWh et 42 TWh en 2035, versus 135 TWh et 65 TWh dans le scénario A référence de RTE). L'électrification des transports y est légèrement plus rapide, et la consommation dans le résidentiel, en légère augmentation nette par rapport à 2021 (+ 5 TWh), portée par l'essor des pompes à chaleur, tandis que le scénario A référence de RTE prévoit plutôt une baisse (-7 TWh) engendrée par l'efficacité énergétique.
j) Les Voix du nucléaire
Les Voix du nucléaire
Les Voix Du Nucléaire est « une association citoyenne de bénévoles, indépendante de toute attache économique, institutionnelle, syndicale ou politique ». Créée en mars 2018, elle vise à mettre en lumière la contribution de l'énergie nucléaire aux enjeux humains et environnementaux actuels. « Nous ne demandons pas qu'un traitement d'exception lui soit accordé, mais nous ne voulons pas non plus qu'il soit victime de fake news ou d'instrumentalisation politique ou idéologique ». Elle est inscrite au répertoire des représentants d'intérêts auprès de la HATVP.
L'association a développé un outil de visualisation des scénarios existants : https://metawatt.fr/.
Source : Commission d'enquête notamment à partir du site internet de l'organisme.
Les Voix du nucléaire ont réalisé le scénario TerraWater303(*) a peu près au même moment que les Futurs énergétiques 2050.
Le scénario, reposant sur une approche top-down, prend le parti d'une électrification extrêmement poussée des usages : « Le but du scénario énergétique des Voix est de supprimer le maximum d'énergies fossiles le plus vite possible, et si possible également de biomasse, par l'électrification » résume l'orientation retenue.
Sur cette base, l'association estime que la consommation d'électricité devrait passer de 480 TWh/an (dont 30 de pertes) en 2021, à un peu moins de 800 TWh/an (dont 50 de pertes) en 2050.
Le tableau ci-dessous renseigne sur la comparaison entre les hypothèses retenues par RTE lors de sa première édition d'octobre 2021 des Futurs Énergétiques 2050, et celles retenues dans le scénario TerraWater.
Consommation d'énergie finale pour les postes différenciant entre les scénarios TerraWater et la trajectoire de référence RTE (en TWh)
Poste de consommation |
Industrie |
Transport routier |
Chauffage |
Sous-total |
||
Dont VL*304(*) |
Dont camions**305(*) |
Résidentiel + tertiaire |
||||
Référence 2019 |
Énergie finale |
317 |
262 |
148 |
~400 |
~1220 |
Dont électricité |
115 |
~0 |
~0 |
60 |
~175 |
|
RTE (scénario référence) |
Énergie finale 2050 |
280~290 |
80 |
120 |
150 (pour produire 210 de chaleur) |
~635 |
Dont électricité |
180 (+ 25 pour l'hydrogène) |
65 |
15 (+ 10 pour H2) |
45 |
~340 |
|
Dont biomasse |
80 |
15 |
95 |
105 |
~295 |
|
TerraWater |
Énergie finale 2050 |
280~290 |
65 |
50 |
125 (pour produire 280 de chaleur) |
~525 |
Dont électricité |
280 (dont hydrogène) |
65 |
50 |
85 |
~480 |
|
Dont biomasse |
0 |
0 |
0 |
40 |
~40 |
Source : Les Voix du nucléaire, réponse aux questionnaires de la commission d'enquête
Si la demande électrique est très différente entre les deux scénarios comparés dans ce tableau, c'est parce que le scénario RTE, dans la droite ligne des hypothèses de la SNBC, recourt davantage à la biomasse et aux nouveaux gaz.
L'évolution de la consommation dans le scénario TerraWater est essentiellement influencée par 3 usages :
La consommation industrielle devrait subir une augmentation d'un facteur au moins 2.5, passant de 115 TWh/an aujourd'hui à près de 300 TWh/an afin d'évincer un maximum de biomasse de ces usages stationnaires qui s'accommodent d'une électrification. La production d'hydrogène pour l'industrie est intégrée à ce chiffre.
Pour les transports routiers, le scénario fait l'hypothèse d'une électrification de la quasi-totalité du parc de véhicules : léger, mais aussi camions et bus. Cette future consommation se répartirait en 75 TWh pour la mobilité légère et 35 TWh pour la mobilité lourde. Les écarts avec RTE s'expliquent aussi parque ce que le périmètre retenu n'est pas exactement le même puisque les « soutes internationales », sont incluses dans ce scénario et exclues des Futurs énergétiques 2050.
Dans le secteur résidentiel/tertiaire, l'éviction des combustibles fossiles et d'une partie de la biomasse (actuellement, 80 TWh de bois sont utilisés chaque année pour chauffer des habitations) nécessite le passage quasi-exclusif des systèmes de chauffage aux pompes à chaleur en unités individuelles ou collectives via des réseaux de chaleur. Le scénario est ici plus conservateur que l'hypothèse SNBC et suppose un simple prolongement de la tendance actuelle observée depuis 3 décennies qui est d'1 % de gain par an (ce qui nous donne environ -30 % d'ici à 2050, à comparer avec les -40 % visés par RTE).
3. Une mise en perspective de ces travaux est possible à condition d'en mesurer les limites
De nombreux acteurs conduisent des démarches prospectives et ont communiqué à la commission d'enquête leurs propres prévisions. Ces prévisions sont parfois évoquées de telle façon qu'elles peuvent apparaître comme concurrentes ou alternatives à celles du gestionnaire du réseau. Il appartient à la commission d'enquête de mettre en évidence les points de convergence mais de mettre en garde contre toute comparaison trop rapide.
a) Des points de convergence à relever
En synthèse, la commission d'enquête souhaite souligner les points de convergences qui existent dans la quasi-totalité de ces analyses :
- les projections visent des baisses importantes de consommation d'énergie (45 % - 60 %) en 2050 ;
- les vecteurs de réduction de la consommation d'énergie sont dus aux effets combinés des politiques d'efficacité, de sobriété et d'électrification ;
- le rôle du vecteur électrique s'accroit substantiellement (entre 40 et 60 % du total de la consommation d'énergie). L'électricité est le vecteur énergétique principal d'un pays décarboné ;
- des efforts importants d'électrification sont à réaliser dans tous les secteurs ;
- les hausses prévues sont des projections qui marquent une inversion de la tendance observée depuis 15 ans.
- La probable tendance à surestimer la croissance de la demande électrique n'a pas disparu d'une bonne partie de ces projections. Comme le rappelait en effet Tanguy de Bienassis, analyste investissement énergie et climat à l'Agence internationale de l'énergie lors de son audition « les projections tendent à être légèrement surestimées, et ce, pour plusieurs raisons. La première obéit à la sécurité d'approvisionnement. Tous les énergéticiens et bureaux d'études, comme l'Agence, ayant pour rôle d'informer sur le bon dimensionnement des moyens de production et de distribution, vont donc naturellement fournir des « estimations un tout petit peu plus hautes ». En effet, les investissements devant être réalisés très en amont, toute erreur ou sous-estimation peut être très préjudiciable, en conduisant notamment à un sous-dimensionnement du système et à l'incapacité de répondre à la demande »306(*).
Malgré ces convergences, ce qui fait débat c'est l'ampleur et le rythme de cette hausse de consommation électrique.
D'un scénario à l'autre, d'une prévision à l'autre, les niveaux de consommation électrique peuvent varier très largement : du S1 de l'Ademe projetant 408 TWh à l'horizon 2035 à plusieurs scénarii qui avoisinent les 750 / 800 TWh.
Ces hausses parfois spectaculaires sont à rapporter avec la stagnation voire la baisse de consommation électrique depuis 15 ans.
b) Des travaux instructifs
(1) Plusieurs comparaisons peuvent être réalisées.
RTE se livre à une comparaison de ses hypothèses avec d'autres scénarios307(*) issus de l'Ademe, la Commission européenne et la DGEC à horizon 2030. Cette comparaison n'existe pas pour 2050 puisque les Futurs énergétiques 2050 furent une des premières études sorties à cet horizon temporel.
Taux de croissance annuel moyen de la consommation d'électricité en France à l'horizon 2030 dans différentes études
Source : RTE308(*)
Ce graphique délivre trois enseignements. Les projections avant 2020 prévoient une continuation de la tendance observée, soit le déclin de la croissance électrique. Les projections réalisées depuis sont plus nuancées avec des hausses modérées. Les dernières projections de la croissance de la demande électrique réalisées dans le bilan prévisionnel 2023 sont de l'ordre de 1 et 1,5 % pour les trajectoires de référence et haute.
Le tableau suivant récapitule les prévisions des acteurs consultés par la commission d'enquête.
Tableau de comparaison des différentes projections de consommation électrique à horizon 2035 et 2050
Organisme |
Source |
Année de publication des prévisions |
Consommation observée en 2019 (TWh) |
Projection de Consommation en 2035 (TWh) |
Projection de consommation en 2050 (TWh) principaux scénarios |
Méthode : bottom-up ou top-down ? |
Consommation (voir * ) |
Intégration des soutes internationales ? |
Consommation d'énergie à usages non énergétiques (comme le plastique...) |
Modélisation au pas horaire ? |
Intégration des références météo ? Si oui nombre de références |
Prise en compte du changement climatique ? |
modélisation des aléas ? |
Prise en compte des interconnexions |
Modélisation production et consommation des pays européens |
Académie des Technologies |
Avis Perspective de la demande française d'électricité d'ici 2050 et contribution écrite |
2021 |
473 |
598 |
816 |
BU |
CFB |
oui |
partielle |
partielle |
partielle |
non |
partielle |
non |
non |
Ademe |
Transition(s) 2050et contribution écrite |
2021 |
408 - 537 - 656 - 839 |
BU |
CFB |
oui |
oui |
oui |
9 |
oui |
oui |
oui |
oui |
||
Cérémé |
Un programme nucléaire pour 2050 et contribution écrite |
2021 puis 2022 |
616 |
836 |
BU |
CFB |
non |
non |
oui |
- |
partielle |
partielle |
partielle |
non |
|
EdF |
Contribution écrite |
2024 |
587 |
BU |
CFB |
oui |
oui |
oui |
93 |
oui |
oui |
oui |
oui |
||
Engie |
Contribution écrite |
2022 |
616 |
664 |
BU |
CFB |
oui |
oui |
oui |
1 |
oui |
non |
oui |
oui |
|
Fabrique de l'industrie |
Rapport Couvrir nos besoins énergétiques : 2050 se prépare aujourd'hui et contribution écrite |
2022 |
671 - 779 |
BU |
CFB |
non |
oui |
oui |
1 |
non |
partielle |
oui |
oui |
||
Fabrique de l'industrie scénario UNIDEN |
Idem |
2022 |
846 |
TD |
CFB |
non |
oui |
non |
non |
non |
non |
non |
non |
||
Fondation concorde |
Rapport Stratégie pour une électricité décarbonée et bon marché pour le XXème siècle et contribution écrite |
2022 |
900 |
BU |
CFB |
non |
oui |
non |
1 |
non |
non |
non |
non |
||
Negawatt |
Scénario négaWatt 2022 et contribution écrite |
2021 |
513 |
546 |
BU |
CFB |
oui |
oui |
oui |
1 |
partielle |
oui |
non |
non |
|
TotalEnergies |
TotalEnergies Outlook 2023 (scénario Momentum) |
2023 |
592 |
807 |
TD |
CFB |
oui |
oui |
oui |
1 |
non |
non |
oui |
oui |
|
Voix du nucléaire |
Rapport Scénario énergétique pour la neutralité carbone de la France en 2050 et au-delà et contribution écrite |
2022 |
800 |
TD |
CFB |
partielle |
partielle |
oui |
7 |
non |
non |
non |
non |
||
RTE |
Les Futurs énergétiques 2050, publication des principaux résultats à l'automne 2021 et de leur analyse complète en février 2022. |
2021 |
Les trajectoires de consommation s'échelonnent de 555 à 752 Le scénario référence est de 645 La variante électrification + est de 700 |
BU |
CFB ** |
oui |
oui (aux conditions de l'époque) |
oui |
200 |
oui |
oui |
oui |
oui |
||
RTE |
Bilan prévisionnel 2023, 19 septembre 2023 |
2021 |
La famille des scénario A s'échelonne de 580 (bas), à 615 (référence) et à 640 (haut) |
BU |
CFB ** |
oui |
oui |
oui |
200 |
oui |
oui |
oui |
oui |
* CFN : La consommation finale nette correspond à la consommation délivrée au consommateur final dans les différents secteurs de consommation (bâtiment, transport, industrie, agriculture).
* CFB : La consommation finale brute englobe les consommations d'électricité intermédiaires, notamment celles destinées au secteur énergétique pour la production d'hydrogène par exemple.
** RTE calcule la consommation intérieure d'électricité de la France métropolitaine continentale qui correspond à la consommation à couvrir avec les moyens de production d'électricité français ou en recourant éventuellement à des imports. Cette notion de rapproche de la CFB.
Source : Commission d'enquête sur la base de rapports et questionnaires (voir colonne dédiée pour le détail)
(2) Le travail réalisé par RTE reste sans équivalent
Comme le déclarait Thomas Veyrenc, directeur général économie, stratégie et finances de RTE, lors de son audition : « les projections de consommation constituent un produit technique. Il peut arriver, dans le débat, qu'elles soient un peu déformées, voire caricaturées, notamment en fonction de l'agenda de certains groupes de pression qui les utilisent. Avec mes équipes d'ingénieurs et de spécialistes, nous essayons de résister à ces détournements, en livrant une expertise documentée et donc nécessairement nuancée. C'est un combat constant de documenter précisément les scénarios et de présenter les différentes options.
Dans le cadre de notre étude de 2021, nous avons démontré que nous étions en capacité de dépolitiser une partie des débats et de mobiliser pendant deux années, de manière technique, un grand nombre d'acteurs travaillant sur un produit technique. Quant aux grandes options, elles appartiennent à la discussion publique. C'est notre objectif. Je suis persuadé qu'au-delà des postures, notre travail a permis de disposer d'un socle de convictions techniques. »309(*).
Bien que la commission d'enquête se soit intéressée à des projections réalisées par des acteurs très différents, propositions synthétisées dans le tableau ci-dessus, elle ne considère pas pour autant que toutes ces sources sont équivalentes.
Les prévisions de RTE occupent une place à part, pour quatre raisons principales :
Comme l'on souligné de nombreux experts du secteur, RTE a réalisé l'exercice de modélisation le plus complet d'Europe. Dans le cadre des Futurs énergétiques 2050, RTE a étudié 18 configurations différentes combinant six scénarios de production et trois configurations principales de consommation. De nombreuses variantes et stress tests ont été réalisés avec une modélisation des scénarios climatiques intégrant différents niveaux de réchauffement climatique, correspondant à plusieurs trajectoires du GIEC et basés sur 200 chroniques météorologiques.
La plupart des travaux alternatifs évoqués ci-avant reposent sur une approche économétrique « top-down » qui ne permet pas de représenter finement l'évolution de la consommation d'électricité pour chacun des usages. En ce sens ils ne peuvent aboutir à une modélisation aussi fine que celle du gestionnaire de réseau qui utilise une modélisation de type « bottom up ». RTE est par ailleurs le seul à élaborer une modélisation du fonctionnement de l'équilibre offre / demande du système électrique au pas horaire dans une grande variété de scénarios.
De plus, l'analyse fine réalisée par la commission d'enquête de plus d'une dizaine de scénarios permet de mettre en évidence les effets de modélisations plus frustres. Une différence qui peut sembler légère dans un paramétrage, ou un choix de tendance un peu trop linéaire, peut sembler presque anodin. Mais lorsque la projection s'étire sur 30 ans, ces paramètres peuvent aboutir à des résultats nettement différents.
L'expertise de RTE en termes de prévisions électriques
« Au total, les analyses sur l'évolution de la consommation électrique et l'élaboration des trajectoires mobilisent l'équivalent d'une quinzaine de personnes à temps plein, sachant que cela ne représente qu'une partie des personnes réalisant des études prospectives ».
Source : RTE, réponse aux questionnaires de la commission d'enquête
Ce qui fait la différence avec certains autres travaux poussés d'expertise, c'est le fait que RTE a largement confronté ce travail à des analyses externes de tous les acteurs du système. « Aucune autre institution à l'échelle internationale (AIE), européenne (Commission européenne, ENTSO-E) ou nationale (ADEME) ne soumet ses analyses à un tel travail minutieux de concertation » souligne le gestionnaire du réseau dans sa réponse aux questionnaire de la commission d'enquête. À l'inverse, de nombreux scénarios d'autres organismes sont des productions qui reposent sur des hypothèses orientées dans le même sens qui n'ont pas été concertées et ne font pas consensus, par exemple sur des effets haussiers cumulés, ou des choix ayant des conséquences lourdes sur les modes de vies ou d'organisation de la société par exemple.
Par ailleurs, il faut rappeler que parmi tous les acteurs émettant des prévisions de consommation, RTE est celui qui est le plus directement intéressé à leur qualité ainsi qu'à leur précision, puisqu'elles servent à l'exploitation en temps réel du système électrique et au dimensionnement de l'infrastructure. Le coeur de métier du gestionnaire de réseau est de maîtriser cet exercice de prévision indispensable à la planification long terme.
La plupart des projections réalisées par les divers organismes évoquées précédemment raisonnent en couverture du volume annuel d'électricité. Elles ne reposent pas toutes sur une modélisation détaillée et probabiliste de l'équilibre offre-demande c'est-à-dire sur une simulation au pas horaire des appels de puissance et de la production, dans de nombreux scénarios météorologiques.
Enfin, le travail de modélisation mené par RTE relatif aux projections de consommation permet de simuler l'ensemble du système électrique européen et de réaliser des études d'équilibre offre-demande sur un grand nombre de configurations climatiques et de disponibilité des moyens de production et des interconnexions. Ceci est un élément-clé de l'analyse qui permet de s'assurer que les scénarios énergétiques projetés permettent de répondre aux exigences françaises en termes de sécurité d'approvisionnement en électricité.
* 281 Futurs énergétiques 2050, p. 47
* 282 SNBC, p. 31
* 283 Deux modifications : le rythme de rénovation thermique des bâtiments, très ambitieux au regard de l'historique ou de l'expérience internationale, a été revu en légère baisse, de même que la part du chauffage par radiateurs électriques (effet Joule). Un développement significatif des pompes à chaleur hybrides a également été introduit dans la trajectoire. De plus, les éléments de sobriété relevant de ruptures comportementales par rapport aux tendances observées n'ont pas été repris dans la trajectoire de référence mais développés dans des proportions plus importantes dans un scénario dédié.
* 284 L'hypothèse de croissance du PIB entre 2030 et 2050 retenue par la SNBC a été jugée trop élevée au regard de l'historique des années passées et des perspectives existantes : elle a été revue à la baisse (rythme de croissance annuelle de + 1,3 % par an en moyenne contre + 1,7 % dans la SNBC entre 2030 et 2050).
* 285 L'évolution démographique a été recalée sur la projection « fécondité basse » de l'INSEE, qui apparait aujourd'hui plus réaliste et plus cohérente avec les observations récentes.
* 286 Il s'agit notamment des grandes politiques publiques de type France Relance, France 2030, ou la stratégie hydrogène. Il s'agit aussi de la réglementation environnementale 2020 (RE2020) et la réforme du diagnostic de performance énergétique (DPE) dans le secteur du bâtiment, qui va renforcer le poids relatif du chauffage électrique dans la construction neuve, ainsi que la stratégie hydrogène de la France. Enfin, des ajustements sur la consommation d'électricité de certains usages (sidérurgie, data centers, climatisation) ont été intégrés pour affiner le réalisme de la projection (toutes choses étant égales par ailleurs, ces réajustements ont un impact haussier).
* 287 Précisément, les variantes autour de la trajectoire de référence s'échelonnent ainsi : variante « Sobriété » (555 TWh), variante « Moindre électrification » (578 TWh), variante « Électrification rapide » (700 TWh), variante « Efficacité énergétique réduite » (714 TWh), variante « Réindustrialisation profonde » (752 TWh) et variante « Hydrogène + » (754 TWh).
* 288 Futurs énergétiques 2050, p. 145.
* 289 Futurs énergétiques 2050, p. 86.
* 290 Perspective de la demande française d'électricité d'ici 2050. Avis de l'Académie des technologies, 10 mars 2021.
* 291 Réponse au questionnaire de la commission d'enquête.
* 292 https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-transports-2023/19-consommation-denergie-des-transports-
* 293 <la consommation finale énergétique de la France en 2019 serait de l'ordre de 1600 à 1700 TWh selon le bilan énergétique de la France publié par le SDES et non 2100 TWh. Dans ces données, la consommation de gaz inclut le gaz utilisé pour la production d'électricité et ne représente donc pas seulement la consommation finale, la consommation de pétrole correspond à une consommation primaire (incluant les pertes) et non une consommation finale.
* 294 Académie des sciences, avis publié le 10 mars 2021.
* 295 Transition 2050, page 8.
* 296 Tableau de synthèse, page 6 dans le rapport final du « Feuilleton Mix électrique : Quelles alternatives et quels points communs ? » publié en février 2022, https://librairie.ademe.fr/cadic/6843/feuilleton_mix_electrique_transitions2050_ademe.pdf
* 297 https://cereme.fr/wp-content/uploads/2022/04/Rapport-Roland-Berger-scenario-du-Cereme.pdf
* 298 https://www.la-fabrique.fr/fr/publication/couvrir-nos-besoins-energetiques-2050-se-prepare-aujourdhui/
* 299 Pour mémoire, RTE a modélisé davantage d'années météo (200 au lieu d'une seule) et a tenu compte des effets du réchauffement climatique. Cependant, les résultats sont globalement, à hypothèses comparables, globalement concordants.
* 300 https://www.uniden.fr/projection-a-2050-de-la-consommation-electrique-de-lindustrie-manufacturiere-francaise/
* 301 https://www.fondationconcorde.com/etudes/strategie-pour-electricite-decarbonee-et-bon-marche/
* 302 Table ronde du 1er février 2024.
* 303 https://www.voix-du-nucleaire.org/non-classe-fr/terrawater-telechargements/
* 304 Véhicules légers.
* 305 Inclut les bus et cars.
* 306 Table ronde du 29 janvier 2024.
* 307 Bilan prévisionnel 2023
* 308 Bilan prévisionnel 2023, chapitre consommation, p. 17.
* 309 Table ronde du 29 janvier 2024.