N° 698

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 juin 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le financement du volet « écoles » du plan Marseille en grand,

Par M. Stéphane SAUTAREL et Mme Isabelle BRIQUET,

Sénateur et Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

LA RÉNOVATION DES ÉCOLES MARSEILLAISES :
UNE NÉCESSITÉ QUI VA COÛTER CHER
ET DES EFFORTS À POURSUIVRE

Mme Isabelle Briquet, rapporteure spéciale, et M. Stéphane Sautarel, rapporteur spécial, des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », ont présenté le 19 juin 2024 les conclusions de leur contrôle budgétaire relatif au financement du volet « écoles » du plan Marseille en grand.

I. LA RÉNOVATION DES ÉCOLES MARSEILLAISES S'INSCRIT DANS L'AMBITIEUX PLAN MARSEILLE EN GRAND

A. LE PLAN MARSEILLE EN GRAND : UNE AMBITION GLOBALE QUI MANQUE DE CADRE STRUCTURANT

Le 2 septembre 2021, le Président de la République a annoncé le lancement du plan Marseille en grand avec pour objectif principal le rattrapage des retards accumulés par la commune dans le développement des services majeurs pour la population.

Le Président de la République a justifié ainsi cette volonté d'intervention de l'État au côté de la collectivité : « le devoir de la Nation est d'être aux côtés des Marseillaises et des Marseillais, parce que décider que ce serait une ville comme les autres, ce serait acter qu'elle va continuer à vivre au milieu de ces difficultés, les subir, et ne pas réussir pour elle-même, pour tout le territoire et pour tout le pays ».

Ce plan inédit d'un montant annoncé de 5 milliards d'euros s'articule autour de 7 axes : les écoles et l'éducation, la sécurité, les mobilités, le logement, l'emploi et l'insertion, la santé et la culture.

Les rapporteurs spéciaux soulignent que ce plan n'a fait l'objet d'aucune contractualisation entre la ville et l'État et n'est matérialisé par aucune feuille de route susceptible de le décliner par domaines, par objectifs et par actions et d'établir un calendrier de réalisation précis pour chacun des volets. Le seul document servant de référence est le discours du Président de la République.

Or, si ce discours contient de nombreux engagements précis dont certains sont chiffrés, il ne permet pas à lui seul de dresser la liste exhaustive des actions envisagées et à déployer. Il existe donc des possibilités d'interprétation divergentes et des transpositions volontairement ou involontairement différentes du prononcé et il est difficile, voire impossible de dresser un état exhaustif des actions à mener et à suivre.

Plus problématique encore, les crédits alloués par l'État au plan Marseille en grand ne sont pas suivis de manière consolidée de sorte que le montant total de l'effort financier de l'État est non seulement très peu fiable mais également évolutif dans le temps.

Ainsi, si le montant fréquemment évoqué est celui de 5 milliards d'euros, l'analyse des réponses permet d'aboutir à des montants compris entre 2,9 et 5,1 milliards d'euros. Le montant total du plan relève donc largement d'effets d'annonce avec une impossibilité de les reconstituer ex-ante.

B. LE VOLET « ÉCOLES / ÉDUCATION » : UNE COMPOSANTE ESSENTIELLE DU PLAN MARSEILLE EN GRAND POUR RÉNOVER ET MODERNISER LES ÉCOLES MARSEILLAISES

1. Une dégradation générale et ancienne des écoles marseillaises à l'origine du volet « écoles » du plan

Le patrimoine municipal scolaire de Marseille compte près de 470 écoles recevant les 76 300 enfants scolarisés sur son territoire.

Ce parc scolaire a accumulé dans le temps une dette d'entretien et de maintenance de plus en plus importante rendant le bâti des écoles vétuste, parfois dangereux pour ses usagers, peu adapté au changement climatique, sensible aux variations de température, ne résistant plus aux intempéries et n'ayant pas été adapté et positionné en fonction de l'évolution urbaine de la Ville.

Consciente de cet état des lieux, la ville de Marseille a donc décidé de mettre en place un important plan de rénovation dès 2017.

La nouvelle majorité municipale, en place à compter de 2020, a souhaité relancer un programme, plus vaste que le premier envisagé, de rénovation et de construction de ses écoles afin de couvrir ses besoins en bâtiments scolaires.

La ville de Marseille s'est donc engagée à rénover, réhabiliter et construire des écoles mieux adaptées au changement climatique, à la configuration de la ville et conformes aux normes de sécurité.

Face à l'importance des besoins, notamment financiers, pour mener à bien ces rénovations sur l'ensemble des écoles marseillaises, le maire de la ville a demandé le soutien de l'État.

Les annonces du Président de la République, le 2 septembre 2021, constituent ainsi l'aboutissement d'un travail mené en amont par la commune et appuyé sur de nombreuses études portant sur l'état des écoles.

2. Les objectifs d'un plan scindé en deux parties

Les objectifs de ce plan initialement communal sont la mise en sécurité et la mise aux normes des établissements, l'amélioration de la performance énergétique et la réduction des inégalités sociales.

Face aux enjeux et à l'ampleur des travaux et des investissements à réaliser le plan « écoles » de la ville de Marseille a été scindé en deux avec les annonces du Président de la République :

- une partie ciblant 188 écoles (réparties sur 109 sites) : les opérations concernant ces écoles sont financées par la Ville et l'État via la société publique des écoles marseillaises (SPEM) qui assure la maîtrise d'ouvrage dans le cadre d'un accord cadre de marché de partenariat passé entre la ville, l'État et la SPEM. Elles portent sur des restructurations lourdes d'écoles déjà bâties mais également sur la création de nouveaux établissements. Cette partie correspond au périmètre du volet « écoles » du plan Marseille en grand ;

- une partie ciblant 304 écoles : ces opérations sont principalement supportées financièrement par la ville et réalisées par ses services. Elles portent sur des restructurations et des rénovations plus légères d'écoles. Ces opérations sont hors champ de l'accord cadre de marché de partenariat.

Répartition générale des sites à enjeux

Source : étude Menighetti sur les sites à enjeux - cahier 1 synthèse de l'analyse

En sus des actions de rénovation, le volet « écoles » du plan Marseille en grand comporte un aspect pédagogique dit « école du futur » visant à donner plus de libertés et d'autonomie aux équipes pédagogiques et à développer des projets d'enseignement innovants.

3. Un montage budgétaire complexe qui s'appuie sur un partenariat public-public innovant et une société créée ad hoc

Afin de rénover et réhabiliter les 188 écoles retenues dans le volet « écoles » du plan Marseille en grand, une enveloppe de 254 millions d'euros en AE a été ouverte sur les crédits de la mission « Relations avec les collectivités » en loi de finances initiale pour 2022. Le 14 décembre 2021, le Premier ministre a validé une augmentation de 150 millions d'euros, aboutissant dès lors à une enveloppe globale réévaluée à 400 millions d'euros.

Ainsi, en complément de la subvention exceptionnelle de 254 millions d'euros, la rénovation des 188 écoles bénéficiera également de 11,7 millions d'euros de dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), de 3,15 millions d'euros de dotation politique de la ville (DPV) ainsi que de 66 millions d'euros de l'agence nationale de rénovation urbaine (ANRU).

Or, à ce stade, le total des subventions de l'État pour la partie rénovation bâtimentaire du volet « écoles » du plan Marseille en grand s'élève à 334,85 millions d'euros soit un delta de plus de 65 millions d'euros par rapport à l'enveloppe majorée sans aucune précision quant à leur provenance.

Par ailleurs, cette enveloppe budgétaire a été complétée par une garantie de 650 millions d'euros d'emprunts.

Au vu de l'ampleur et des caractéristiques du volet « écoles » du plan Marseille en grand, la ville et l'État ont décidé de créer une structure dédiée sous la forme d'une société publique locale d'aménagement d'intérêt national (SPAL-IN), la société publique des écoles marseillaises (SPEM).

Schéma de financement de la partie rénovation du volet « écoles »
du plan Marseille en grand

Source : commission des finances du Sénat

La création de la SPEM a été actée par le décret n° 2022-60 du 25 janvier 2022 et sa durée est fixée, dans les statuts, à 40 ans.

Le système élaboré prend ainsi la forme d'un partenariat public-public dans lequel la ville confie à la SPEM la réalisation des opérations de rénovation et de construction des écoles au moyen de plusieurs contrats conclus entre la ville et la société (marchés subséquents).

L'objectif d'un recours à une SPAL-IN est, en premier lieu, financier puisqu'il permet de faire porter la dette des investissements à une structure autre que la ville de Marseille.

II. QUEL BILAN TROIS ANS APRÈS LE LANCEMENT DU PLAN ?

A. UN BUDGET GLOBAL NETTEMENT SUPÉRIEUR AU MONTANT DES TRAVAUX

Alors que le montant total des travaux est estimé à environ 850 millions d'euros, le coût de l'accord-cadre est fixé à 1,8 milliard d'euros. Ce montant inclus en sus des travaux et études, la rémunération de la SPEM, l'indexation, les frais financiers intercalaires, l'indemnisation des perdants, les taux d'intérêts dus et les dépenses de maintenance et gros entretien.

De surcroit, en dehors de l'accord-cadre, des dépenses de maintenance, de nettoyage et de fluides, supportées directement par la ville, sont à ajouter et porte le montant total des opérations à 2,4 milliards d'euros soit trois fois le montant des travaux.

À compter de la date effective de mise à disposition de chaque école la ville de Marseille devra verser à la SPEM une redevance étalée sur 25 ans. En moyenne, cette dernière serait de 50 millions d'euros par an pendant 25 ans. Cette estimation lissée doit cependant être affinée dans la mesure où le financement total des travaux, déduction faite des subventions de l'État, augmenté des intérêts d'emprunts s'établit à 1,52 milliard d'euros soit l'équivalent, sur 25 ans, d'une redevance annuelle de 60,7 millions d'euros. À ce montant de redevance annuelle, devront être ajoutées les dépenses de maintenance et gros entretien prévues dans l'accord cadre et estimées à 325,5 millions d'euros (soit 13 millions par an pendant 25 ans) et des dépenses de fonctionnement directement à la charge de la ville estimées à 523,3 millions d'euros (soit 21 millions d'euros par an pendant 25 ans).

Enfin, pour la rénovation des 304 écoles pour lesquelles la ville conserve la maitrise d'ouvrage, les investissements prévisionnels s'établissent environ à 40 millions d'euros pendant 10 ans.

Au total, les dépenses d'investissement de la ville de Marseille pour la rénovation des écoles pourraient atteindre 103 à 113 millions d'euros par an soit 30 % de l'investissement annuel moyen de la ville. Dans un contexte où la commune affiche d'importantes ambitions d'investissement dans d'autres domaines comme le verdissement, l'accès au logement, à la santé et à la culture, se pose la question de la soutenabilité à long terme de cet investissement au profit des écoles.

B. UN RÉEL AVANCEMENT DES TRAVAUX MAIS DES INTERROGATIONS POUR L'AVENIR

14 écoles sur 7 sites sont en cours de travaux. 10 d'entre elles (sur 5 sites) devraient être livrées d'ici la fin de l'année 2024 et les 4 autres en 2025. Ce bon avancement résulte en grande partie du fait que les travaux de 7 sites avaient déjà été initiés par la ville de Marseille et ont été transférés à la SPEM dans le cadre du premier marché subséquent.

Dès lors, si la livraison de 10 écoles d'ici la fin de l'année 2024 représente des travaux sans précédent pour la ville de Marseille, elle doit être mise en perspective des enjeux et d'un lancement des marchés et des travaux, finalement, bien antérieur à la création de la SPEM.

Si la première vague se déroule jusqu'à présent selon le calendrier annoncé certains doutes demeurent sur la capacité à tenir les échéances fixées pour les prochaines vagues.

Seule une montée en puissance rapide de la SPEM et l'élaboration de bilans intermédiaires permettant de capitaliser l'expérience acquise lors des deux premiers marchés subséquents seront de nature à favoriser la poursuite du projet dans le calendrier initial.

C. UN SUIVI DE L'AVANCEMENT DU PLAN PERFECTIBLE ET UNE NÉCESSAIRE PRÉPARATION DE LA SUITE

Si le suivi effectué par la ville, la SPEM et la préfecture est très régulier et précis, il mérite cependant d'être formalisé et de faire l'objet d'indicateurs et d'outils de reporting partagé par l'ensemble des acteurs.

En revanche, le suivi réalisé par les cabinets de la secrétaire d'État à la ville et à la citoyenneté, du Premier ministre et du Président de la République parait peu approfondi. Malgré leurs demandes répétées, les rapporteurs spéciaux n'ont d'ailleurs pas pu avoir accès aux documents relatifs à ce suivi.

Le suivi assuré par l'État est d'autant plus nécessaire que, dans le cas présent, par le biais d'une subvention exceptionnelle de 254 millions d'euros, il se substitue en partie à l'exercice d'une compétence communale en engageant des crédits ce qui l'oblige à une certaine rigueur dans le suivi de l'utilisation qui en est faite.

Enfin, l'accord cadre prévoit que la SPEM se voit confier, en sus des opérations de construction, rénovation, des missions liées à la durabilité et à la conservation des écoles et de gros entretien prévues pour une période de 25 ans après chaque livraison. Il en résulte qu'à compter de 2049 pour les premières écoles livrées et de 2056 pour la dernière vague, la ville de Marseille reprendra à sa seule charge la maintenance et le gros entretien et renouvellement pour l'ensemble des 188 écoles rénovées et construites par la SPEM. Il est donc indispensable de prévoir dès à présent les conditions de reprise de la maintenance par les services de la ville de Marseille et de s'assurer que la ville disposera, en amont de cette reprise, de l'ensemble des moyens humains et techniques pour y faire face.

LES RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

Recommandation n° 1 : garantir les 400 millions d'euros annoncés pour le volet « écoles » du plan Marseille en grand, en ouvrant ou fléchant les 65 millions d'euros manquants l'équilibre du projet ayant été construit sur ce montant (Gouvernement).

Recommandation n° 2 : réaliser un bilan des avantages et inconvénients d'un recours à un partenariat public-public afin d'analyser l'efficacité de ce montage et sa transposabilité à d'autres investissements d'ampleur des collectivités (Gouvernement, société publique des écoles marseillaises -SPEM -, ville de Marseille).

Recommandation n° 3 : élaborer un plan de financement stabilisé incluant l'ensemble des dépenses de travaux, de maintenance et les frais annexes ainsi que l'ensemble des ressources en précisant leur origine (SPEM et ville de Marseille).

Recommandation n° 4 : préciser et sécuriser les flux financiers entre la ville et la société publique des écoles marseillaises (SPEM) afférents au paiement de la TVA (SPEM et ville de Marseille).

Recommandation n° 5 : finaliser rapidement les recrutements nécessaires à la pleine activité de la SPEM pour assurer le lancement des travaux de la vague 2 et des suivantes (SPEM).

Recommandation n° 6 : élaborer un document consolidé et partagé entre les acteurs, précisant les sites, les écoles et la nature des travaux envisagés pour chacune des 7 vagues (SPEM et ville de Marseille).

Recommandation n° 7 : mettre à jour régulièrement les documents listant les écoles à rénover par vague pour tenir compte des aléas ou des nouvelles données démographiques (SPEM et ville de Marseille).

Recommandation n° 8 : renforcer le dialogue et la coordination entre la ville et la métropole pour poursuivre le volet « écoles » du plan Marseille en grand de manière coordonnée (ville de Marseille et métropole Aix-Marseille-Provence).

Recommandation n° 9 : formaliser les documents de suivi du volet « écoles » du plan Marseille en grand et élaborer des indicateurs et outils de reporting partagés entre l'ensemble des acteurs (préfecture et cabinet du secrétariat d'État à la ville et à la citoyenneté).

Recommandation n° 10 : élaborer des bilans intermédiaires pour chaque vague de travaux achevée (SPEM et ville de Marseille).

Recommandation n° 11 : élaborer un plan de reprise progressive de la maintenance des 188 écoles rénovées et construites par la SPEM, prévoyant les coûts y afférents et les moyens humains et techniques nécessaires (ville de Marseille).

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