B. UNE GOUVERNANCE À CLARIFIER, POUR UN PILOTAGE OPÉRATIONNEL

1. Piloter une stratégie de santé respiratoire au sein de la SNS

La Cour rappelle une évidence : le pilotage d'une politique publique repose sur la définition d'objectifs clairs et d'indicateurs précis. Or, en matière de santé respiratoire, la SNS ne fixe ni les uns ni les autres. Ce constat est d'autant plus saillant que divers plans relatifs à la BPCO et à l'asthme ont été mis en oeuvre entre 2005 et 2011. La faiblesse des résultats obtenus à l'issue de ces plans ne suffit pas à justifier l'abandon d'une stratégie pluriannuelle organisée.

Pour remédier à ce défaut regrettable, il est donc préconisé d'intégrer des objectifs sanitaires chiffrés en santé respiratoire dans la SNS, cohérents avec ceux prévus dans le cadre du PNSE (recommandation n° 4).

En outre, une feuille de route devrait être établie pour définir une stratégie nationale d'action pour les maladies respiratoires chroniques (recommandation n° 5). L'expérience finlandaise est étudiée et citée en exemple, en raison des résultats remarquables que sa planification systématique a permis d'atteindre concernant le recul des pathologies respiratoires depuis 25 ans. Les symptômes d'asthme ont par exemple reculé de plus de 16 points entre 1996 et 2016, les journées d'hospitalisation ont chuté de près de 75 % entre 2008 et 2018 et les coûts de l'asthme et des allergies ont diminué de 30 % sur la même période.

Le succès de cette politique a reposé sur une multitude de facteurs et d'actions, notamment la création d'un réseau de professionnels responsables de l'asthme et la formation des professionnels de santé de premier recours, points d'entrée dans le parcours de soins et rouages essentiels du repérage précoce. La mise en oeuvre d'une politique de lutte contre le tabagisme s'est également révélée cruciale pour réduire la prévalence des pathologies respiratoires.

2. Une coordination nécessaire pour une politique décloisonnée de santé environnementale

Dans le rapport précité, « La santé environnement : recherche, expertises et décisions publiques »14(*), les auteurs constatent l'insuffisante identification de la santé environnementale comme enjeu majeur des politiques publiques. Ils préconisent d'inclure des objectifs de santé environnementale dans la SNS et de faire du PNSE un outil de pilotage opérationnel.

Alors qu'elle exigerait une approche décloisonnée et multidisciplinaire de type « une seule santé » (en anglais « one health ») telle que promue par l'OMS, la santé environnementale demeure mal appréhendée en France, « une politique publique aux contours mal définis » selon l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), qui relève en parallèle qu'« au moins trente-deux stratégies, plans ou programmes d'action, promus par les pouvoirs publics, peuvent être considérés en relation avec le PNSE 4 »15(*). Une telle dispersion n'est évidemment gage ni de cohérence ni de lisibilité.

Outre les lacunes de la SNS, le PNSE ne comporte pas de dimension sanitaire affirmée. La notion de « santé respiratoire » n'y figure pas et son contenu concerne essentiellement le ministère de la transition écologique. Là encore, l'absence d'indicateurs précis ne permet pas de faire du PNSE un instrument de pilotage opérationnel.

Afin de réinvestir la dimension sanitaire du PNSE et de favoriser l'implication du ministère de la santé dans sa coordination et sa mise en oeuvre, la Cour recommande de doter le PNSE d'objectifs sanitaires mesurables pour l'asthme, la BPCO et le cancer du poumon, qui seraient déclinés dans les plans régionaux santé environnement (recommandation n° 6). La définition d'un indicateur de suivi de la dépense qui serait adjoint au PNSE est également préconisée.

3. Une dynamique territoriale à soutenir

À l'échelle des territoires, les plans régionaux de santé environnement (PRSE) définissent des stratégies d'action à la confluence des domaines de compétences respectifs des collectivités territoriales, des préfectures et des agences régionales de santé. Le PRSE constitue un outil de planification dont la cohérence avec le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires devrait être assurée. Toutefois, les PRSE souffrent du même défaut que le PNSE : le volet « santé respiratoire » en est relativement absent.

Parallèlement aux PRSE, les contrats locaux de santé se sont développés depuis plusieurs années. Ils constituent un cadre de coopération souple et de proximité entre les ARS et les intercommunalités auxquels les acteurs semblent adhérer. Ainsi que le relève la Cour, 350 contrats locaux avaient été signés au 31 décembre 2022 ; 236 contrats étaient par ailleurs en projet à la même date. Le contrat local de santé est un outil de territorialisation de la politique de santé, qui permet d'articuler les politiques portées par les collectivités - urbanisme, transports, etc. - et le projet régional de santé (PRS).

En outre, alors que la prévalence des pathologies respiratoires est marquée par d'importants contrastes révélateurs d'inégalités socio-économiques, les contrats locaux de santé peuvent permettre de travailler à la réduction de ces inégalités de santé de façon concrète, au plus près des usagers.

En conséquence, la Cour recommande d'intégrer systématiquement dans les contrats locaux de santé un volet consacré à la qualité de l'air extérieur et intérieur (recommandation n° 7).

Le rapport sénatorial précité « Santé environnementale : une nouvelle ambition » soulignait également la nécessité de renforcer l'interface entre les élus locaux et les délégations départementales des ARS, pour une meilleure prise en compte des enjeux de santé environnementale par les ARS et pour qu'elles puissent jouer un rôle d'appui de proximité aux élus locaux16(*).

EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 15 mai 2024, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission procède à l'audition de Mme Véronique Hamayon, présidente de la 6e chambre de la Cour des comptes pour donner suite à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières, concernant la santé respiratoire.

M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, nous allons entendre à présent Mme Véronique Hamayon, présidente de la 6e chambre de la Cour des comptes, qui va nous présenter l'enquête demandée par notre ancienne présidente, Mme Catherine Deroche, concernant la santé respiratoire.

Madame la présidente, je vous indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est retransmise en direct sur le site du Sénat et sera disponible en vidéo à la demande.

Je vais vous laisser sans plus attendre nous présenter les observations et les recommandations de la Cour à l'issue de ses travaux. Je vous poserai ensuite les premières questions en ma qualité de rapporteur pour la commission des affaires sociales du Sénat. Enfin, les commissaires pourront également vous interroger.

Mme Véronique Hamayon, présidente de la 6e chambre de la Cour des comptes. - Monsieur le président, madame la rapporteure générale, mesdames et messieurs les sénatrices et les sénateurs, j'ai l'honneur de vous présenter ce matin le rapport issu de l'enquête de la Cour des comptes portant sur la santé respiratoire, en réponse à votre demande en application de l'article LO. 132-3-1 du code des juridictions financières.

Le premier président aurait souhaité vous présenter lui-même ce rapport, mais ses contraintes d'agenda l'en ont empêché. Ce rapport a été réalisé par la 6e chambre, que je préside. À mes côtés, l'équipe qui a réalisé ce rapport : François de la Gueronnière, président de la 2e section, Juliette Méadel, conseillère référendaire, Catherine Rumeau-Pichon, conseillère référendaire en service extraordinaire et Alexandre Picard, vérificateur.

La notion de santé respiratoire fait référence à des pathologies du système respiratoire, dont les trois principales concernent 10 % de la population. Il s'agit des maladies chroniques que sont l'asthme (4 millions de personnes), la broncho-pneumopathie chronique obstructive ou BPCO (3,5 millions de patients) et le cancer du poumon (160 000 individus, principalement en augmentation chez les femmes).

Premier constat, et non des moindres, les facteurs de risques des pathologies respiratoires sont principalement le tabac, mais aussi la qualité de l'air intérieur et extérieur et le réchauffement climatique. Le tabac constitue la première cause des maladies respiratoires, devant les facteurs de risques de nature environnementale, la pollution atmosphérique, l'air intérieur vicié et les expositions professionnelles.

Pour renforcer la prévention des risques, il vaut mieux cibler les stratégies de prévention en ce qui concerne les plus fragiles, et les personnes exposées en raison de leur profession (10 à 20 % des cancers du poumon seraient d'origine professionnelle). S'agissant du tabac, malgré des politiques actives, la consommation ne diminue pas assez vite en comparaison avec nos voisins européens, notamment chez les femmes et les populations les plus modestes.

Sous l'effet du réchauffement climatique, les facteurs environnementaux des maladies respiratoires pourraient à l'avenir devenir plus déterminants, notamment s'agissant de l'asthme d'origine allergique.

L'efficacité de la prévention dépend aussi d'une approche individualisée, prenant en compte toutes les expositions : comportementales, environnementales et socio-économiques. C'est l'objet de l'exposome, introduit par la loi en 2016, et à la mise en oeuvre duquel pourrait contribuer l'espace numérique de santé.

Le repérage des maladies respiratoires est trop tardif, ce qui affecte l'efficacité de la prise en charge sanitaire. Par exemple, les cancers du poumon sont découverts à un stade avancé avec déjà des métastases pour près de la moitié d'entre eux, en raison de failles dans l'organisation du premier recours et de l'insuffisance de l'offre de proximité, conduisant à des hospitalisations en urgence, coûteuses et potentiellement évitables.

La BPCO est, elle aussi, insuffisamment détectée, parce qu'elle est mal connue des professionnels de santé et de la population. La BPCO est perçue avec un certain fatalisme, comme une conséquence inéluctable du tabagisme sans thérapie efficace. Seulement 20 % des patients à risque ont réalisé une spirométrie, c'est-à-dire un examen permettant de diagnostiquer la BPCO et de proposer au patient un suivi afin d'éviter les épisodes d'exacerbation conduisant à une hospitalisation coûteuse.

Au total, 185 millions d'euros pourraient être économisés si les hospitalisations trop tardives étaient évitées par une prévention et un dépistage au bon moment, notamment pour l'asthme et la BPCO.

Ainsi, la prise en charge lors du premier recours, c'est-à-dire par les médecins généralistes, est insuffisante : les maladies respiratoires sont peu prises en considération en premier recours, et rarement ciblées. Ainsi, le dispositif Asalée (infirmière de santé publique travaillant dans des cabinets généralistes et dédiées aux maladies chroniques), les infirmières de pratiques avancées ou même les communautés professionnelles de territoires de santé (CPTS) sont peu mobilisés pour détecter ces maladies.

Pourtant, la littérature scientifique a montré tout l'intérêt de modalités de prise en charge non médicamenteuses des maladies chroniques : l'éducation thérapeutique du patient qui inclut l'aide au sevrage tabagique, et l'activité physique adaptée constituent ainsi des traitements à part entière des maladies respiratoires. Bien qu'inscrites dans la loi, elles sont encore trop peu accessibles aux patients en proximité de leurs lieux de vie et demeurent insuffisamment sollicitées.

Par ailleurs, il importe de renforcer les initiatives pour favoriser l'accompagnement des patients, comme PRADO (« programme de retour à domicile » après une hospitalisation) et SOPHIA (pour l'asthme). Il faut aussi renforcer les supports numériques. Ainsi, il convient d'encourager le recours aux outils connectés, dès lors qu'ils favorisent l'autonomie et le suivi du patient. Ils ont un rôle à jouer, notamment pour les patients les plus jeunes.

Enfin, il conviendrait de repenser la gouvernance en introduisant la notion même de santé respiratoire dans la planification de la santé environnementale. Le cadre légal applicable à la prévention et à la lutte contre les pathologies respiratoires relève de la notion de « santé environnement », dont la déclinaison administrative est prévue par le code de la santé publique avec la mise en oeuvre du Plan national santé environnement (PNSE). Ce dernier s'ajoute à d'autres plans relevant de nombreux ministères, sans pour autant que soit garantie la cohérence entre tous les objectifs poursuivis. Cette juxtaposition de plans et la dualité des compétences administratives mobilisées, entre le ministère de la santé et celui de la transition écologique, affectent la lisibilité de la politique poursuivie et, par conséquent, son efficacité, son pilotage et le suivi de la dépense publique afférente.

À l'instar du modèle finlandais, dont les résultats en termes de diminution de la prévalence de la BPCO, de l'asthme et du cancer du poumon sont bons, il est préconisé de prévoir une planification plus ciblée sur les pathologies respiratoires. Il convient donc de doter le PNSE de grands objectifs mesurables en termes de prévalence de ces trois pathologies.

Pour assurer la cohérence de l'ensemble, il est nécessaire d'insérer la santé respiratoire dans la stratégie nationale de santé et de veiller à sa cohérence avec le PNSE. Ce dernier doit également s'inscrire dans le cadre des objectifs définis par le ministère de la santé en ce qui concerne spécifiquement la feuille de route consacrée à la BPCO et à l'asthme, telle qu'issue des recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS).

Enfin, la dépense publique est globalement en augmentation mais son impact sanitaire n'est pas mesuré. Les dépenses de santé en 2021 sont de 150 millions pour la prévention de la consommation de tabac, et de 6,7 milliards pour les soins relatifs aux pathologies respiratoires. Pour le ministère de la transition écologique, ces dépenses recouvrent des mesures d'amélioration de la qualité de l'air, évaluées à 2,3 milliards d'euros en 2022.

Enfin, l'essentiel de l'augmentation de la dépense publique de soins s'explique par la croissance des médicaments anticancéreux innovants. S'agissant de la dépense du ministère de la transition écologique pour la qualité de l'air, elle doit faire l'objet d'un suivi à partir d'un indicateur de type sanitaire. Nous ne sommes pas capables de dire si l'amélioration de la qualité de l'air a permis d'améliorer, de diminuer ou de stabiliser la situation des patients atteints de pathologies respiratoires en l'absence de tels indicateurs.

Nos recommandations sont de deux types : un volet sur la prévention et le soin, un volet sur la stratégie et le pilotage.

La plupart de nos recommandations ne se traduisent pas par un coût. Revoir la gouvernance et le pilotage n'est qu'une question de volonté. Sur la prévention et le soin, un certain nombre d'outils n'induisent pas non plus de coûts supplémentaires.

Nos recommandations relatives à la prévention et au soin sont les suivantes :  mettre en place une stratégie de prévention individualisée au moyen de l'espace numérique de santé en adressant aux patients à risque des messages de prévention individualisés (ministère de la santé, Cnam) ; sous réserve des résultats de l'expérimentation menée dans les Hauts-de-France, inclure dans « le bilan prévention » à 45 ans un auto-questionnaire en cinq questions en vue d'orienter les patients le nécessitant vers un test de dépistage respiratoire (ministère de la santé, Cnam) ; promouvoir les dispositifs numériques favorisant l'autonomie des patients, notamment des jeunes asthmatiques, et en proposer le référencement (Cnam).

Quant à la stratégie et au pilotage, nous recommandons : d'intégrer dans la Stratégie nationale de santé des objectifs sanitaires chiffrés en santé respiratoire et les mettre en cohérence avec ceux du PNSE (ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités) ; d'adopter une feuille de route « maladies respiratoires chroniques » et la mettre en cohérence avec le PNSE et la Stratégie nationale de santé, et fixer des objectifs quantitatifs (ministère de la santé) ; de doter le PNSE d'objectifs sanitaires mesurables pour l'asthme, la BPCO et le cancer du poumon ; en confier le suivi au Groupe santé environnement, et en assurer la déclinaison dans les Plans régionaux santé environnement. Ajouter au PNSE un indicateur de suivi de la dépense (ministère de la santé) ; intégrer systématiquement dans les contrats locaux de santé un volet consacré à la qualité de l'air extérieur et intérieur (ministère du travail, de la santé et des solidarités).

M. Philippe Mouiller, président. - Merci, Madame la présidente. Je vous poserai trois questions pour commencer.

Première question : Le rapport de la Cour souligne l'importance des déterminants socio-économiques dans le développement des pathologies respiratoires dont la prévalence est plus forte chez les individus appartenant à une catégorie socioprofessionnelle dite défavorisée ou vulnérable.

Parmi les outils à mobiliser pour favoriser le repérage précoce de ces pathologies, la Cour évoque l'espace numérique de santé, pour diffuser la culture de la prévention à l'aide de messages personnalisés, mais aussi les nouveaux rendez-vous de prévention.

Selon vous, une politique de prévention efficace ne doit-elle pas prévoir des actions « d'aller vers » pour cibler ces populations spécifiques, qui sont aussi les plus éloignées du soin ?

De ce point de vue, l'espace numérique de santé et les rendez-vous de prévention vous paraissent-ils des outils suffisants ? Quelles politiques complémentaires pourraient être mises en oeuvre au plus près des usagers ?

Deuxième question : En janvier 2024, Santé publique France a publié le résultat de travaux qui soulignent les risques associés à l'exposition des enfants de 6 à 11 ans dans les salles de classe à certains polluants. Environ 30 000 cas d'asthme évitables seraient imputables à ces composés organiques volatils et aux moisissures.

La question de la rénovation des bâtiments scolaires devrait donc constituer une priorité de la politique de santé respiratoire, impliquant les collectivités territoriales et le ministère de l'éducation nationale. Santé publique France avait même indiqué qu'une surveillance réglementaire de la qualité de l'air serait nécessaire au sein des établissements scolaires.

La Cour a-t-elle eu l'occasion d'explorer ce sujet particulier dans le cadre de la présente enquête ?

Enfin, troisième question : Le financement d'actions de prévention portées par l'Assurance maladie est en augmentation. Ces dépenses, estimées à 150 millions d'euros, restent principalement concentrées sur la lutte contre le tabagisme et le remboursement des substituts nicotiniques (à hauteur de 128 millions d'euros). En revanche, les dépenses consacrées aux actions de prévention de la qualité de l'air intérieur et extérieur, principalement à l'initiative de l'ARS, restent limitées, de l'ordre de 10 millions d'euros.

La Cour peut-elle éclairer la commission sur la façon dont se positionne la France en termes de financement de la prévention en santé respiratoire par rapport à d'autres pays européens ?

Mme Véronique Hamayon. - L'efficacité des politiques de prévention repose sur une double approche, l'approche globale et populationnelle, par exemple avec les campagnes de sensibilisation à la lutte contre le tabac, et des actions individualisées et ciblées, notamment pour favoriser l'individualisation de la prise en charge, et le ciblage social et géographique des publics.

Pour ce qui concerne la BPCO, pathologie la plus importante en nombre de personnes touchées, elle est aussi celle qui recèle les plus importantes inégalités socio-économiques. Elle est aujourd'hui insuffisamment détectée tant par méconnaissance de ses symptômes par les fumeurs eux-mêmes, que par les professionnels de santé de première ligne, qui ne sont pas toujours outillés pour la repérer. La BPCO a l'image d'une maladie inéluctable sans traitement adapté. La toux d'une personne fumeuse de plus de 50 ans est considérée comme presque « normale ». C'est notamment pour cette raison qu'ont été mis en place les rendez-vous prévention, pour permettre un repérage précoce en population générale.

Il importe aussi de sensibiliser autant les professionnels de santé que les patients à la nécessité d'avoir recours à des méthodes thérapeutiques non médicamenteuses, dont l'efficacité a été démontrée. Les rendez-vous de prévention sont destinés à favoriser la logique de l'« aller vers », tout comme la formation des médecins généralistes qui peuvent, en étant mieux formés, conseiller à leur patient de réaliser un examen pour diagnostiquer la BPCO, avec le recours à la spirométrie.

S'agissant de l'espace numérique de santé, il en est à ses débuts. Il ne peut pas, en l'état, suffire mais il est un progrès indéniable. Les évolutions en cours prévoient la diffusion de messages de prévention personnalisés sur la base des informations fournies par l'usager, qui serviront également de base de renseignement pour personnaliser les rendez-vous prévention. Il faut aussi penser aux générations à venir puisque 80 % de la population est susceptible d'utiliser cet outil.

Outre l'amélioration de l'existant (rendez-vous prévention, espace numérique de santé), le rapport propose de durcir les conditions de mise en oeuvre du PNSE afin de mieux évaluer l'efficacité des politiques conduites par les pouvoirs publics.

Nous n'avons pas regardé spécifiquement ce qui se passait dans les écoles car cela sortait du champ de notre enquête. La loi Grenelle II a rendu obligatoire la surveillance de la qualité de l'air intérieur dans les établissements recevant du public, notamment les enfants. Le PNSE a renforcé ces mesures. Depuis 2022, l'évaluation devient annuelle et doit être réalisée d'ici fin 2024. Des progrès ont donc été réalisés. C'est d'ailleurs nécessaire, car 96 % des écoles primaires ont des taux de particules fines dépassant les valeurs de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Les ARS interviennent, en complément de la DREAL, pour contrôler ces actions. Les pratiques sont très hétérogènes selon les territoires.

La lutte contre le tabagisme donne des résultats tangibles, bien qu'insuffisants. La conjugaison de l'augmentation du prix du paquet, du remboursement des substituts nicotiniques, le Mois sans tabac et l'extension des lieux sans tabac ont porté leurs fruits. La baisse du nombre de fumeurs est assez sensible, mais moindre que ce à quoi nous aspirions. Le taux de consommation est passé de 42 % à 24,5 % entre 1974 et 2022. Cette politique doit continuer, notamment en faveur des femmes et des catégories socioprofessionnelles défavorisées, qui sont les plus touchées.

La Cour travaille actuellement à un chapitre du prochain rapport public annuel portant sur les addictions des jeunes aux drogues et à l'alcool. En effet, si les résultats pour le tabac sont bons sur cette génération, ce n'est pas le cas en matière de drogues ou d'alcoolisme.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Avec ma collègue Cathy Apourceau-Poly, nous travaillons à un rapport sur la fiscalité comportementale. Les politiques de lutte contre le tabagisme ont porté leurs fruits mais ce n'est pas suffisant. Nous avons observé une baisse du tabagisme en France mais le niveau de prévalence reste très élevé par rapport à nos voisins. Le tabagisme a stagné dans les populations âgées et baissé chez les jeunes, mais peut-être ces derniers se tournent-ils vers d'autres produits.

Les mesures avancées dans le nouveau Plan national de lutte contre le tabac vous paraissent-elles suffisantes pour obtenir une génération sans tabac ?

Concernant la santé environnement, vous dites qu'il faut une collaboration entre les ministères, et une cohérence des plans de lutte. J'observe que certaines ARS sont sensibles à ce sujet et ont recruté des médecins chargés de l'expertiser dans les contrats territoriaux de santé. Il faudrait capitaliser sur les territoires qui effectuent ce genre de démarches et les développer au niveau national. Avez-vous une méthode pour rendre efficace cette coordination ?

Mme Véronique Hamayon. - Le dernier plan de lutte contre le tabac est ambitieux, puisqu'il a fixé à 20 % l'objectif de prévalence générale du tabagisme, et à 10 % chez les jeunes. Nous regrettons cependant l'insuffisant ciblage des femmes, notamment des femmes enceintes, et la difficulté à faire baisser la consommation de tabac au sein des catégories socioprofessionnelles les plus fragiles. La différence avec les autres pays européens est patente. Il y a une certaine tolérance envers le tabagisme des femmes enceintes, contrairement à l'alcoolisme. Il faut produire un effort envers cette population particulière.

Nous appelons à développer une vision d'ensemble coordonnant la stratégie nationale de santé et le PNSE. Il faut ensuite que des feuilles de route soient établies pour les pathologies chroniques (BPCO, asthme) et le cancer du poumon. Il faut impérativement des indicateurs chiffrés à chaque niveau.

Mme Corinne Imbert. - Votre rapport souligne qu'une politique de prévention doit pouvoir s'appuyer sur une offre de soins de premier recours étoffée et structurée dans l'ensemble des territoires. Cela nous renvoie à notre audition récente sur la démographie médicale. Vous avez évoqué la question de la formation des professionnels. Cela passe aussi par l'organisation de modèles innovants entre professionnels de santé et, pourquoi pas, en s'appuyant sur de la télésurveillance. Compte tenu des difficultés actuelles de la démographie médicale, à quel horizon cette recommandation est-elle atteignable ?

Vous recommandez un auto-questionnaire à 45 ans. Pourquoi pas plus tôt ?

Concernant les modèles de prise en charge à promouvoir, comment la Cour explique-t-elle la faible diffusion de l'éducation thérapeutique du patient en dehors du champ hospitalier ? Vous êtes-vous rapproché de la Cnam pour savoir combien d'accompagnements pharmaceutiques de patients asthmatiques étaient réalisés ?

Enfin, vous avez dit que stratégie et pilotage étaient une question de volonté et non de coût. Toutefois, une stratégie peut se décliner en plusieurs actions qui peuvent avoir un coût. Avez-vous une approche sur ce point ?

M. Olivier Henno. - Cela fait effectivement le lien avec la précédente audition et la nécessité d'aller vers plus de prévention. Je suis toujours surpris de constater à quel point on est plus efficace en intervenant très tôt, dès l'école. Ne serait-il pas opportun d'inclure plus systématiquement le ministère de l'éducation nationale dans ces travaux ?

Mme Véronique Hamayon. - Nous ne parlons pas forcément de formation initiale des professionnels de santé. Il peut s'agir d'enrichissement des connaissances par la formation continue. C'est surtout une question de sensibilisation aux approches non médicamenteuses, qui ne sont pas encore bien connues des médecins généralistes. Cette sensibilisation peut être effectuée rapidement et à faible coût, pour des résultats tangibles à court terme.

Nous ne préconisons pas l'auto-questionnaire avant 45 ans car, hormis l'asthme, ces pathologies apparaissent avec l'âge parce qu'elles sont liées à un tabagisme à long terme. L'asthme, en revanche, touche majoritairement les enfants.

Votre question rejoint celle sur l'accompagnement des patients asthmatiques par les pharmaciens. Aujourd'hui, environ 1 000 d'entre eux effectuent cet accompagnement en France. C'est une piste intéressante. Lorsque ce dispositif sera plus développé, nous pourrons avoir une vision de son efficience.

Concernant les coûts induits par la stratégie, nous pouvons chiffrer les économies liées aux hospitalisations en urgence qui pourraient être évitées (185 millions d'euros). La mise en place d'un meilleur dépistage, d'une sensibilisation des médecins, d'une spirométrie à l'issue du questionnaire, représentent des coûts assez modestes. Aucune de nos recommandations n'induit de coûts importants.

Vous avez raison sur le fait que le ministère de l'éducation nationale devrait travailler de concert avec le ministère de la santé pour sensibiliser à l'asthme et le repérer dans les écoles. Plus les enfants grandissent, plus l'asthme est important.

Mme Juliette Meadel, conseillère référendaire. - Il faut aussi mobiliser les communes. Nous avons investigué un cas de moisissures dans une école en Finlande. Ils ont constaté qu'une quinzaine d'enfants et d'enseignants étaient tombés malades (asthmes, maux de tête). Ils adoptent une approche intégrée de la santé respiratoire mêlant les collectivités locales et l'État dans une prise en compte de tout l'environnement. Lorsque des maladies sont détectées, ils enquêtent immédiatement sur la qualité de l'air. Ils ont engagé des travaux intriquant la commune et l'État de manière très réactive.

M. Khalifé Khalifé. - Jusqu'à il y a quelques années, des radiographies du poumon étaient systématiquement effectuées par la médecine du travail au titre du dépistage. Les données issues de cette enquête incitent-elles à revenir sur cette décision ?

Les écoles et les communes ont été fortement sensibilisées au problème de la qualité de l'air pendant la crise du covid-19. Cependant, dans les logements collectifs, les communes sont fréquemment sollicitées au sujet de problèmes d'asthme mais sont impuissantes.

Enfin, ne pensez-vous pas qu'il faudrait être encore plus sévère en matière de lutte contre le tabac ? À quand l'hôpital sans tabac ?

M. Bernard Jomier. - Vous constatez que la santé respiratoire relève surtout de la prévention mais les choses ne bougent pas beaucoup. Vous avez notamment évoqué les questions de gouvernance. Il y a deux ans, nous avions présenté à la commission un rapport sur la santé environnementale mais rien n'est fait. Le ministère de la santé est malheureusement beaucoup moins impliqué que le ministère de la transition écologique. Il existe une vingtaine de plans en santé environnementale mais il n'y a pas de priorités identifiables. L'air des crèches, par exemple, dépend de deux choses : l'air extérieur et les matériaux utilisés à l'intérieur. C'est donc une question de réglementation. Il suffirait donc de légiférer pour interdire les meubles en bois pressé et éviter ainsi les composés organiques volatils (COV). Qu'est-ce qui coince, au niveau de l'État, pour que ces rapports, pourtant bien documentés, ne débouchent pas sur des changements ?

Mme Marie-Do Aeschlimann. - Vous avez évoqué le coût de la prise en charge d'urgence des patients, notamment atteints d'asthme. J'ai le sentiment qu'il y a une sorte de résignation des patients, qui apprennent à vivre avec leur maladie. Comment éviter le renoncement aux soins ou l'abandon d'un traitement ? Comment faire en sorte que les protocoles de soins soient plus coordonnés, par exemple lorsque des traitements pour l'asthme sont incompatibles avec des molécules utilisées en cardiologie ?

Nous avons vu durant la crise du covid-19 comment les collectivités locales ont été obligées d'installer des capteurs dans les écoles et les crèches. Cela coûte beaucoup d'argent. Elles n'en ont pas toujours les moyens. Ne faut-il pas, en amont, s'interroger sur le bâti, la politique patrimoniale des collectivités locales et sur les matériaux ?

Mme Véronique Hamayon. - Nous n'avons pas étudié la question du dépistage du cancer du poumon par radiologie, mais un travail est en cours par l'Institut national du cancer (INCa) et la Haute Autorité de santé (HAS) sur un dépistage par scanner à faible dose.

Effectivement, les collectivités locales peuvent intervenir dans les bâtiments collectifs, mais c'est plus difficile dans les habitats collectifs.

La population qui fume n'est pas du tout sensibilisée à la BPCO, alors que cela concerne 3,5 millions de personnes. Plus le dépistage est précoce, plus l'accompagnement thérapeutique est efficace. C'est pourquoi nous insistons sur la nécessité d'un dépistage à 45 ans.

Je ne peux être que d'accord avec le constat de M. Jomier. Les résultats de la prévention restent insuffisants. Il existe non pas 20, mais 37 plans, sans priorités clairement affichées. Il faut fixer des objectifs sanitaires au PNSE et que son pilotage soit transféré au ministère de la santé.

La prise de conscience des patients passe par la prévention, la formation et la sensibilisation des médecins. C'est un travail de longue haleine. Au-delà de la question des pathologies respiratoires, il existe un problème de coordination des professionnels de santé. D'où l'espoir mis dans l'espace numérique en santé.

Concernant le bâti scolaire, la réponse est aux mains des collectivités locales.

M. Philippe Mouiller, président. - Merci, Madame la présidente. Merci à toutes les personnes qui ont travaillé sur ce rapport, qui alimentera les travaux de la commission.

La commission autorise la publication de l'enquête sous la forme d'un rapport d'information.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES

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Consultable uniquement en version pdf.


* 14 Conseil général de l'environnement et du développement durable, Inspection générale des affaires sociales, Inspection générale des finances, Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche, conseil général de l'alimentation, de l'agriculture, et des espaces ruraux, La santé environnement : recherche, expertises et décisions publiques, décembre 2020.

* 15 Inspection générale des affaires sociales, La santé-environnement dans les travaux de l'Igas, Rapport de capitalisation 2013-2022, octobre 2023.

* 16 Il s'agit de la recommandation n° 16 du rapport.

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