C. UN « PILOTAGE » TOUT RELATIF DE LA DÉPENSE, VISANT À UN RESPECT FORMEL DE LA NORME DE DÉPENSES MAIS SANS RÉELLE ÉCONOMIE

Le Gouvernement affirme avoir réagi immédiatement aux premières alertes, notamment provenant de la note du 7 décembre, avec la mise en oeuvre de mesures de « pilotage » de la dépense publique : « le 12 décembre, [explique le ministre de l'économie et des finances] j'ai donc réuni les directeurs généraux des finances publiques, du Trésor et du budget. Je leur ai indiqué que, sur le fondement de la note qu'ils m'avaient transmise, il était nécessaire de prendre des décisions de gestion pour réduire la dépense de l'État et parer à toute éventualité ».49(*) Il n'a été guère explicite sur la nature de ces mesures, décrites comme « toutes les mesures de précaution nécessaires en gestion ».

L'exposé général du projet de loi relatif aux résultats de la gestion (PLRG) 2023 précise que « la dépense de l'État a été maîtrisée et la nouvelle norme de dépenses50(*) respectée, grâce à la mise en oeuvre de mesures de pilotage qui ont porté leurs fruits. Concrètement, ce pilotage s'est traduit par un surgel à hauteur de 1 % des crédits ouverts en LFI 2023 (soit une majoration de 20 % des crédits mis en réserve initiale), par la publication d'un décret d'annulation de 5 milliards d'euros en crédits de paiement, par une loi de finances de fin de gestion portant des annulations nettes sur le périmètre des dépenses de l'État, ainsi que par un suivi et un pilotage renforcés de l'exécution des dépenses en fin de gestion. L'absence de projet de loi de finances rectificative (LFR) ou de décret d'avance, contrairement à ce qui avait été fait depuis 2019, confirme le retour à des conditions de gestion normalisées et a conforté la capacité à assurer la bonne tenue de la dépense en gestion 2023. Au total, ces mesures de pilotage ont eu pour résultat de limiter l'exécution à 489,1 milliards d'euros sur le périmètre des dépenses de l'État (PDE), soit un niveau inférieur de - 7,0 milliards d'euros par rapport à la LFI (496,1 milliards d'euros) ».

Certaines de ces mesures (surgel et décret d'annulation du 18 septembre 2023 d'un montant de 5 milliards d'euros, loi de finances de fin de gestion) sont antérieures à la note du 7 décembre et ne relèvent donc pas du suivi de fin de gestion. Elles ne relèvent pas non plus véritablement du pilotage, car le décret d'annulation a porté sur des sous-consommations de crédits. Si le ministre de l'économie et des finances, lors de son audition devant la mission d'information le 30 mai 2024, a dit, en référence à une estimation du déficit à 5,2 % du PIB donnée par une note des services du 11 juillet 2023 : « j'ai pris les décisions de correction nécessaires en septembre 2023 sous la forme d'un décret d'annulation de crédits à hauteur de 5 milliards d'euros », en réalité la dépense correspondant à ces crédits n'aurait pas eu lieu, même si le décret n'avait pas été pris, car il s'agissait d'économies de constatation. Il ressort des documents des services de Bercy que ce décret a tout au plus permis d'éviter tout risque que les crédits non consommés en 2023 soient reportés à 2024.

Les mesures faisant partie du suivi et du pilotage renforcés de l'exécution des dépenses en fin de gestion ne sont pas précisées dans l'exposé général du projet de loi de résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2023.

Selon les éléments obtenus par la mission, les mesures effectivement mises en oeuvre au mois de décembre sont de deux natures.

D'une part, le suivi quotidien de fin de gestion a compris en particulier une « gestion fine et au jour le jour » des demandes de dérogation à la date de fin de gestion pour des demandes de paiements, conformément à une circulaire budgétaire du 25 octobre 202351(*). Ces mesures ne semblent avoir porté que sur des mesures à faible impact financier (jusqu'à quelques millions d'euros).

D'autre part et surtout, des dépenses importantes ont été reportés à l'exercice 2024, comme déjà indiqué supra. C'est le cas sur la mission « Défense » (1,6 milliard d'euros) ou sur la mission « Économie » (2,4 milliards d'euros).

Ces mesures qui entraînent des augmentations de dépenses en 2024, ainsi décidées par le Gouvernement, n'ont fait l'objet à ce moment d'aucune communication au Parlement et leurs conséquences n'ont pas été prises en compte dans la loi de finances pour 2024, alors que cela était encore possible, au moins pour le report de dépenses sur la mission « Défense ».

Les articles liminaire et d'équilibre ont en effet été modifiés par des amendements présentés par le Gouvernement, mais ne prévoyant pas cette mise à jour, à deux reprises après le 7 décembre : le 11 décembre lors de l'examen du texte au Sénat en première lecture et le 14 décembre lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.

De véritables mesures de pilotage auraient pourtant pu être prises.

Ainsi, dès le 6 octobre 2023, c'est-à-dire bien avant de remonter au ministre des alertes sur le niveau des recettes de TVA et d'impôt sur les sociétés, la direction du budget formul ait des premières propositions de pilotage des dépenses. Ces propositions sont traditionnelles, cette administration ayant vocation à proposer des mesures de maîtrise de la dépense qui ne sont ensuite que partiellement retenues à l'issue des arbitrages interministériels.

Il s'agissait alors de préparer le « schéma de fin de gestion », c'est-à-dire les derniers ajustements de crédits pouvant être réalisés dans le cadre du projet de loi de fin de gestion (PLFFG). La direction du budget propose des mesures qui permettraient de limiter la dépense à 492,2 milliards d'euros et d'annuler au total 3,9 milliards d'euros (soit 8,2 milliards d'euros d'annulations pour 4,3 milliards d'euros d'ouvertures de crédit).

Le Gouvernement ne retiendra pas les propositions de son administration et le projet de loi de fin de gestion présentera un montant de dépenses de 495,3 milliards d'euros, quasiment identique à celui prévu en début d'année malgré les sous-consommations constatées sur de nombreux dispositif tels que les aides aux entreprises énergo-intensives et le « filet de sécurité » à destination des collectivités territoriales.


* 49 Bruno Le Maire, audition par la mission d'information, 30 mai 2024.

* 50 L'agrégat « Périmètre des dépenses de l'État » (PDE) est défini à l'article 10 de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

* 51 Circulaire interministérielle n° NOR ECOB2327550C du 25 octobre 2023.

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