PARTIE 2
FACE AUX DONNÉES ET REMONTÉES D'INFORMATIONS, L'IMPRUDENCE ET L'INACTION DU GOUVERNEMENT

I. LE GOUVERNEMENT AURAIT DÛ ÊTRE PLUS PRUDENT DANS LA PRÉPARATION DU BUDGET ET DE LA LOI DE FIN DE GESTION 2023

A. LE CARACTÈRE HORS NORME DE L'ANNÉE 2022, DE MÊME QUE LA BAISSE DES IMPÔTS DEPUIS 2017, AURAIENT DÛ DAVANTAGE ÊTRE PRIS EN COMPTE DANS LA PRÉPARATION DU BUDGET 2023

Le niveau exceptionnellement élevé de l'élasticité des prélèvements obligatoires par rapport au PIB en 2022, ainsi que le précédent de 2013 où cette élasticité n'atteignait déjà que 0,2, aurait pu, voire aurait dû être davantage pris en compte dans la préparation du budget 2023, mais également dans la programmation pluriannuelle des finances publiques.

En effet, sans ces niveaux d'élasticité de 1,2 et 1,5 en 2021 et 2022, le « vrai déficit », c'est-à-dire celui qui aurait prévalu en l'absence de ces bonnes surprises, aurait été bien plus élevé qu'il ne l'a été. Une élasticité unitaire aurait ainsi donné lieu à des déficits supérieurs à 6,6 % et 4,7 % du PIB ces années-là.

Comme l'a résumé Mathieu Plane devant la mission d'information, « après trois années durant lesquelles les recettes fiscales ont été dynamiques, le déficit public s'élevait en 2022 à 4,8 points de PIB44(*). Si l'on retire les élasticités des recettes fiscales au PIB, très fortes au cours de ces trois années, le déficit s'élèverait en réalité à plus de 7 points de PIB. Le chiffre de 4,8 points de PIB masque le fait que nous avons accumulé beaucoup de recettes fiscales qui, à un moment donné, vont s'effacer, car à moyen terme, l'élasticité va revenir à 1. En masquant cela, on croit être proche du seuil de déficit de 3 % de PIB, mais ce n'est pas du tout le cas ».

Par ailleurs, l'accumulation des baisses des prélèvements et le développement des « niches sociales » depuis 2017 - suppression de l'ISF, création du prélèvement forfaitaire unique, baisse de 33 % à 25 % du taux de l'impôt sur les sociétés, suppression de la taxe d'habitation pour les résidences principales, transformation du CICE en baisse pérenne de cotisations sociales, exonérations de cotisations et de contributions sur la prime « Macron », suppression de la CVAE, de la contribution à l'audiovisuel public, etc. - pouvaient difficilement laisser envisager un dynamisme soutenu des recettes publiques à moyen terme. En particulier, l'exécution 2023 a montré que l'impact de la baisse du taux d'impôt sur les sociétés doit être plus nuancé que ce qu'indique le Gouvernement, tout du moins à court terme. Il est donc inexact d'affirmer, comme le ministre des finances a pu le faire au sujet de la baisse du taux de cet impôt, que « quand on augmente les impôts, on diminue les recettes, on réduit l'attractivité du pays, on amoindrit la capacité à créer des richesses. Quand, en revanche, on baisse les impôts, on crée plus de prospérité, plus d'emplois et plus de recettes fiscales pour la nation française »45(*). Les propos de l'actuel Premier ministre lors de l'examen du budget initial 2023, lorsqu'il était ministre chargé des comptes publics, sont tout aussi imprudents : « Si vous taxez moins, vous pouvez recevoir autant ou plus. À cet égard, le cas de l'impôt sur les sociétés est édifiant. Son taux est passé de 33 % à 25 %. Or les recettes issues de cet impôt sont plus importantes depuis la baisse de son taux qu'à l'époque où ce dernier s'élevait à 33 % »46(*).

Les auditions menées par la mission d'information ont permis de confirmer le caractère incertain et volatil des recettes de l'impôt sur les sociétés, et leur grande sensibilité au cycle économique.

Dans ces conditions, le respect de l'objectif de déficit de 4,9 % du PIB que s'était fixé le Gouvernement pour 2023 - initialement de 5 % dans le programme de stabilité 2022-2027 et dans le cadre de l'examen du PLF pour 2023, puis de 4,9 % dans le programme de stabilité 2023-2027 et dans le PLF pour 2024 et le PLFFG pour 2023 - aurait dû appeler, dès le PLF 2023, des mesures correctrices d'ampleur, en dépenses ou en recettes ou, du moins, compte tenu de la volatilité et de l'imprévisibilité de certains impôts, une plus grande prudence dans la prévision.

Dans ces conditions, la mission estime qu'il serait utile que des intervalles de confiance, ou encore des scénarios alternatifs de croissance et de finances publiques soient présentés au Parlement dans le cadre de l'examen du budget.

S'agissant des prévisions de croissance, les budgets des années 2000 à 2002 mettaient ainsi en avant non pas une prévision unique mais une fourchette. De même, conformément à l'article 130 de la loi de finances initiale pour 200947(*), les rapports économiques, sociaux et financiers des PLF 2010 à 2013 contenaient, outre la prévision centrale de solde public, un scénario haut et un scénario bas de finances publiques correspondant à des hypothèses de croissance différentes - l'une supérieure et l'autre inférieure - à celle retenue. La mission constate que, depuis 2014, cette obligation n'est plus respectée.

Une obligation de prudence doit pourtant s'imposer, en particulier dans la situation historiquement dégradée des finances publiques actuelle, avec la publication d'intervalles de confiance des estimations concernant les hypothèses macroéconomiques, de déficit public et de grands agrégats de recettes fiscales.

Recommandation : publier des intervalles de confiance ou des scénarios alternatifs pour les estimations (hypothèses macroéconomiques, d'élasticité, de déficit, grands agrégats de recettes fiscales) dans l'exposé des motifs des textes financiers (Gouvernement).


* 44 Le chiffre de l'Insee au 31 mai 2024 est de 4,7 points.

* 45 Intervention de Bruno Le Maire en séance publique au Sénat, le 1er août 2022, à l'occasion de l'examen du premier projet de loi de finances rectificative pour 2022.

* 46 Intervention de Gabriel Attal en séance publique au Sénat, le 18 novembre 2022, à l'occasion de l'examen du projet de finances pour 2023.

* 47 Loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 pour 2009.

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