PARTIE 1
DÉFICIT 2023 : LES RAISONS D'UN NIVEAU AUSSI HISTORIQUE QU'INATTENDU

I. LE DÉFICIT PUBLIC POUR 2023, QUI A ATTEINT UN NIVEAU INÉDIT HORS PÉRIODE DE CRISE SOUS LA VÈME RÉPUBLIQUE, INTERROGE SUR LA CRÉDIBILITÉ DE LA PRÉVISION GOUVERNEMENTALE

A. UN DÉFICIT PUBLIC HISTORIQUEMENT ÉLEVÉ, DONT LE BUDGET DE L'ÉTAT EST RESPONSABLE

1. Un niveau de déficit public jamais atteint hors période de crise

Le déficit public en 2023 a atteint le niveau le plus élevé jamais enregistré au cours de la Vème République hors période de crise.

Avec un niveau de 5,5 % du PIB, il se situe en effet juste en-deçà des niveaux atteints lors de la récession de 1993 (6,4 %), consécutive à la réunification allemande et lors de la crise du système monétaire européen, lors de la crise financière de 2008 (7,4 % en 2009 et 7,2 % en 2010) et lors de la crise sanitaire due à la covid-19 (8,9 % en 2020 et 6,6 % en 2021)2(*). À peine promulguée, la loi de programmation des finances publiques pour 2023-20273(*) est donc caduque, non seulement pour 2023 - elle prévoyait un déficit de 4,9 % - mais aussi pour les années suivantes - le déficit prévu par la LPFP pour 2024 s'élevait à 4,4 % et les prévisions du programme de stabilité 2024-2027 l'établissent à 5,1 %.

Après une modeste amélioration en 2022 (4,7 %), au moment de la sortie de la crise sanitaire, la forte dégradation de 2023 ne peut qu'étonner.

En effet, dans les trois épisodes de forts déficits évoqués ci-dessus, l'État a dû faire face à la fois aux conséquences de la dégradation de l'activité économique et à la nécessité de soutenir l'économie. Le déficit étant exprimé en pourcentage du produit intérieur brut (PIB), cette situation a contribué à augmenter fortement le déficit public, du fait d'un double effet au numérateur et au dénominateur.

L'année 2023 est en revanche très singulière de ce point de vue, en ce qu'elle affiche un niveau historiquement élevé de déficit, traditionnellement réservé aux périodes de crise, alors même que le pays en était sorti, la croissance du PIB affichant 0,9 %.

Pour la première fois, en 2023, le niveau d'activité économique de l'année n'explique en rien celui, historique, du déficit public.

Évolution du solde public de la France depuis 1959

(en pourcentage du PIB)

Source : commission des finances, d'après les données de l'INSEE en date du 31 mai 2024

2. Le doublement du déficit public depuis 2017 incombe à l'État et non aux collectivités territoriales ou à la sécurité sociale

Si l'évolution du déficit public depuis 2017, soit le début du premier quinquennat d'Emmanuel Macron, a connu des évolutions contrastées, un constat sévère s'impose sept ans après.

Certes, dans le sillage des politiques de consolidation budgétaire menées dans la décennie 2010, le déficit public était passé de 3,4 % du PIB en 2017 à 2,3 % en 2018, la France sortant alors de la procédure pour déficit excessif.

Après une stabilisation en 2019 (2,4 % du PIB), le déficit a explosé dans le cadre de la crise sanitaire, et sa décrue est visiblement contrariée, au point qu'après avoir atteint 4,7 % du PIB en 2022, il a atteint 5,5 % du PIB l'an dernier.

La spécificité française depuis 2017 ne réside toutefois pas dans l'augmentation du déficit et de la dette au moment de la crise sanitaire, communs à l'ensemble des pays européens, elle provient de l'absence de retour à la normale des finances publiques au moment de la sortie de crise.

Le ministre de l'économie et des finances depuis 2017 a posé son propre diagnostic lors de son audition par la commission des finances le 6 mars 2024, en indiquant que notre pays a « augmenté la dépense publique pour faire face aux crises, comme sa voisine et d'autres États européens, mais, une fois celles-ci terminées, il a considéré la dépense comme un acquis et n'est jamais revenu en arrière. C'est bien là que réside le problème français ».

Exprimé en milliards d'euros, le niveau du déficit a doublé entre 2017 et 2023, passant de 77,1 milliards d'euros à 154 milliards d'euros.

La responsabilité de l'accroissement du déficit public incombe en premier lieu à l'administration publique centrale, comprenant l'État et ses opérateurs. En effet, si le solde des administrations publiques locales est passé entre 2017 et 2023 de 0,1 % à - 0,4 % de PIB, notamment sous l'effet des dépenses d'investissements engagées par la Société du Grand Paris, celui de l'administration publique centrale a diminué de - 3,6 % à - 5,6 % de PIB sur cette même période.

Certes, et cela fera l'objet de développements ultérieurs, la dépense locale a été plus élevée qu'anticipé en 2023, conduisant à une augmentation du déficit des collectivités par rapport à la prévision.

Toutefois, au regard des niveaux atteints par le déficit de l'État, la communication présidentielle et gouvernementale qui consiste ces dernières semaines à rendre les collectivités responsables de la dégradation des comptes publics et à leur demander des efforts supplémentaires pour les redresser est éminemment contestable.

Évolution du déficit par catégorie d'administrations publiques
et toutes administrations publiques confondues entre 2017 et 2023

(en pourcentage du PIB)

Source : commission des finances, d'après les chiffres de l'Insee

Sur la période 2017-2023, les recettes de l'administration publique centrale n'ont ainsi pas crû au même rythme que ses dépenses, les premières passant de 483,2 milliards d'euros (dont 427,2 milliards pour l'État) à 508,5 milliards d'euros (dont 442,4 milliards pour l'État), tandis que les secondes progressaient plus rapidement, passant de 565,1 milliards d'euros (dont 505,5 milliards pour l'État) à 665,7 milliards d'euros (dont 598,1 milliards pour l'État).


* 2 Les chiffres sont ceux publiés par l'Insee le 31 mai 2024. En raison du passage de la base 2014 à la base 2020 des comptes nationaux, ils peuvent différer de chiffres antérieurs.

* 3 Loi n° 2023-1195 du 18 décembre 2023 de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

Partager cette page