II. LA PROCRASTINATION COUPABLE D'UN GOUVERNEMENT QUI NE TIENT PAS COMPTE DES ALERTES DE SON ADMINISTRATION

A. LA TEMPORALITÉ DU PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2024 PERMETTAIT DIFFICILEMENT DE TENIR COMPTE DU DÉRAPAGE EN COURS AU MOMENT DU DÉPÔT DU TEXTE

Si des alertes sur certains impôts étaient déjà parvenues au ministre au cours de l'été 2023, ces seules données ne pouvaient pas permettre de tirer des conclusions définitives sur l'année et, partant, d'en tenir compte dans les prévisions de déficit public au moment du dépôt du projet de loi de finances, tant pour 2023 que pour 2024.

Ainsi, si une note de la DGFiP du 31 août 2023 fait état pour le mois de juillet d'une moins-value de 1,4 milliard d'euros sur la TVA nette budgétaire et de 1,6 milliard d'euros sur la TVA nette en comptabilité nationale par rapport au programme de stabilité, il était normal de ne pas en tenir compte immédiatement et de ne pas surréagir du fait d'évolutions ultérieures possible. Une note du 9 octobre 2023 sur la situation au 31 août 2023 fait ainsi état de plus-values de 500 millions d'euros sur la TVA nette budgétaire et de 600 millions d'euros sur la TVA nette en comptabilité nationale par rapport à la prévision révisée pour 2023 du PLF 2024, le directeur général des finances publiques annotant le document en soulignant « des nouvelles plutôt rassurantes sur la TVA ».

De même, la note du 7 septembre 2023 sur l'impôt sur le revenu à la fin juillet 2023 est relativement optimiste puisqu'elle indique une plus-value cumulée fin juillet de 200 millions d'euros par rapport au programme de stabilité, tandis que concernant l'impôt sur les sociétés, même si la prévision paraît optimiste dans le cadrage du PLF pour 2024 et du PLFFG pour 2023, il faut noter qu'elle est en fort retrait par rapport à la prévision retenue au moment du programme de stabilité 2023-2027 - certes anormalement élevée.

À la fin de l'été, le 22 août 2023, l'exercice de prévision macroéconomique encadrant le projet de loi de finances pour 2024 s'achevait, et envisageait une croissance de 1 % pour 2023 et de 1,4 % pour 2024, tandis que l'Insee, dans une note de conjoncture du 12 octobre 2023 prévoyait une croissance pour 2023 de 0,9 %. Finalement, le scénario du Gouvernement s'est trouvé en ligne avec ce qu'il s'est réellement passé, avec une croissance effective de 0,9 % contre une prévision à 1 %.

Le calendrier de prévision macroéconomique
de la direction générale du Trésor

Le calendrier annuel des prévisions économiques gouvernementales s'articule autour des deux exercices principaux que sont le programme de stabilité (avril) et le PLF (octobre). Ces deux productions donnent lieu à des exercices détaillés de prévision, désignés sous le terme de « budgets économiques d'hiver », pour le PStab, et « budgets économiques d'été » pour le PLF. Ces exercices sont organisés en plusieurs « tours » de prévision au cours desquels sont intégrées les variables exogènes actualisées (notamment le scénario international, les derniers comptes nationaux trimestriels de l'Insee et le scénario de croissance à court terme) et sont réalisées les itérations avec les prévisions de finances publiques, les prévisions de croissance et de finances publiques étant interdépendantes.

Pour les budgets économiques d'hiver 2024, des prévisions de croissance intermédiaires ont ainsi été arrêtées et transmises aux équipes en charge de la prévision de finances publiques début janvier et mi-février.

À ces exercices peuvent s'ajouter d'autres prévisions, plus ponctuelles et faisant l'objet d'exercices moins détaillés, notamment en cas de projet de loi de finances rectificative.

Les prévisions trimestrielles réalisées par la DG Trésor (qui ne sont pas publiées) concernent dans la grande majorité des cas le trimestre en cours, plus rarement le trimestre passé (avant la première estimation des comptes nationaux qui est publiée 30 jours après la fin du trimestre) ou le trimestre à venir (les premières données exploitables pour t + 1 n'arrivant qu'en fin de trimestre t). En temps normal, le cadencement du calendrier de prévision fait que chaque trimestre fait l'objet d'au moins une prévision, qui peut être mise à jour notamment dans l'hypothèse d'une surprise conjoncturelle ou pour les besoins liés aux exercices budgétaires.

Source : réponses du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique au questionnaire du rapporteur

Dans ces prévisions pour l'année 2023, la mission retient donc que, jusqu'au mois d'octobre, le Gouvernement a péché par un certain manque de prudence concernant tout particulièrement les recettes de la contribution sur la rente inframarginale et de l'impôt sur les sociétés et, dans une moindre mesure, celles de la TVA et celles liées à la masse salariale, qu'il s'agisse des cotisations sociales ou de l'impôt sur le revenu.

Elle note cependant une certaine persévérance dans l'optimisme gouvernemental dans le projet de loi de finances pour 2024, tant au niveau des hypothèses de croissance pour 2024 - ce que la commission des finances avait déjà noté lors de l'examen du budget60(*) - que des hypothèses d'élasticité - ce que la mission constate rétrospectivement. Ainsi, au moment de l'examen du PLF pour 2024, l'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB était attendue à 1,1 pour 2024, alors qu'elle avait toutes les chances d'être infra-unitaire encore cette année. Comme rappelé précédemment, le programme de stabilité 2024-2027 estime cette élasticité à 0,8 pour 2024.

La combinaison, pour l'exercice 2024, d'un taux de croissance excessivement optimiste et d'un niveau d'élasticité des prélèvements obligatoires supérieur à 1 a abouti à anticiper des recettes publiques trop élevées et, conséquemment, un déficit public plus faible. La révision en très forte hausse du déficit 2024 par le PStab 2024-2027 présenté en avril 2024, passé de 4,4 % à 5,1 % de PIB, est la conséquence de cet optimisme excessif.


* 60 Tome 1 du rapport général sur le projet de loi de finances 2024 n° 128 (2023-2024) de M. Jean-François HUSSON, déposé le 23 novembre 2024 : le budget de 2024 et son contexte économique et financier.

Partager cette page