D. RENDRE EFFECTIVE L'OBLIGATION DE FORMATION CONTINUE INSCRITE DANS LA LOI DEPUIS 2019

1. Mettre fin à une tendance chronique d'absence de formation continue au sein du ministère de l'éducation nationale

Il existe depuis plus de quinze ans un consensus européen sur le fait que « la formation d'un enseignant doit être considérée comme un processus graduel comprenant une formation initiale, une phase d'accompagnement et un perfectionnement professionnel continu »4(*).

Or, la formation continue reste en France le parent pauvre de l'enseignement scolaire (1,3 jour de formation contre 8,7 jours de formation pour les agents des autres ministères). Il est paradoxal que l'un des principaux ministères en charge de la formation soit l'un de ceux qui s'occupent aussi peu de celle de ses propres agents. L'obligation de formation continue inscrite dans le code de l'éducation depuis 2019 reste un objectif purement déclaratoire sans portée réelle. Les travaux de notre ancien collègue Gérard Longuet sur la formation continue des enseignants ont montré que « l'inscription par la loi pour une école de la confiance de l'obligation de formation pour les enseignants n'a pas entraîné une hausse du taux d'accès à la formation ».

Le récent rapport de la Cour des comptes sur l'exécution des crédits pour l'année 2023 pointe la sous-consommation des crédits de formation : 62,5 % des crédits engagés à ce titre n'ont pas été consommés. Si la sous-consommation des crédits de formation est chronique et s'aggrave d'année en année, elle est en 2023 « d'envergure inédite ».

Taux de sous-consommation des crédits dédiés à la formation
inscrits dans la loi de finances initiale5(*)

Année

2018

2021

2022

2023

Taux de sous-consommation des crédits

13 %

29 %

40 %

62,5 %

Pour la Cour des comptes, les crédits alloués à la formation « ne concourent pas dans leur majorité à la formation des enseignants, mais font office de réserve consommée sur d'autres dépenses ». Au-delà des questions de sincérité budgétaire, les rapporteurs s'interrogent sur la discordance entre une volonté ministérielle affichée de renforcer la formation et la consommation réelle des crédits alloués.

Or, pour les rapporteurs, la formation continue doit prendre le relais de la formation continuée afin de garantir à l'enseignant le maintien d'un haut niveau de qualification et de maîtrise tant disciplinaire que de gestion de classe. Comme a pu l'indiquer un représentant d'un syndicat enseignant en audition, « les élèves d'aujourd'hui ne sont pas les mêmes qu'il y a dix ans ». Par ailleurs, les techniques pédagogiques ou les connaissances didactiques évoluent régulièrement.

De ce fait, ils estiment que rien ne justifie un nombre d'heures annuelles de formation continue inférieur dans le second degré par rapport au premier degré (18 heures par an) et appellent à une intégration de celles-ci dans les obligations réglementaires de service des professeurs du second degré.

Renforcer la formation continue nécessite de la part du ministère de l'éducation nationale une action volontariste afin de proposer des formations en lien direct avec les pratiques pédagogiques et les besoins des professeurs. Or, un rapport conjoint de l'IGEN et de l'IGAENR de 2018 pointait « le peu d'ancrage dans les réalités du travail enseignant dans la classe qui constitue le motif le plus récurrent de désaffection pour la formation ». Le ressenti par les enseignants de la formation continue constaté par ce rapport est sévère : « les enseignants déclarent souvent que les formations ne correspondent pas à leurs attentes personnelles, qui sont plurielles comme le sont leurs profils, ils observent que trop souvent la formation est adressée à un professeur virtuel ». Et de conclure : « Comme si à vouloir s'adresser à tous et en étant dès lors peu ancrée dans le vécu professionnel de chaque destinataire, elle ne s'adressait finalement à personne »6(*).

A contrario, le modèle de formation « en constellation » mis en place dans le premier degré pour les mathématiques et le français présente un modèle intéressant apprécié des enseignants pour trois raisons : « la possibilité d'échanger entre pairs autour d'un pair formateur ; une implication des enseignants dans la construction de la formation et enfin des observations en classe qui permettent d'aller au-delà des échanges de bonnes pratiques ».

Ces modèles peuvent servir d'exemples pour le développement de plan de formation similaires y compris dans le secondaire, au-delà des seules disciplines de mathématiques et de français. Ils permettraient également de répondre à la demande de plusieurs syndicats d'enseignants de renforcer la dimension du travail collectif au sein du travail d'enseignant.

2. Faire de la formation continue un passage obligé pour l'évolution de carrière

Si un contenu répondant mieux aux besoins des enseignants est de nature à augmenter le recours à la formation continue, il ne suffira sans doute pas à convaincre l'ensemble des professeurs à se former régulièrement : à ce jour, plus d'un enseignant français sur deux estime qu'il n'a aucune incitation à se former. Seuls 6 % des enseignants français au collège estiment que leur participation à la formation continue peut avoir une incidence positive sur leur déroulement de carrière. Les rapporteurs constatent que l'article L. 912-2-3 du code de l'éducation prévoyant que « la formation continue des enseignants est prise en compte dans la gestion de leur carrière » n'est pas appliqué dans les faits.

Afin de rendre effective l'obligation de formation continue prévue dans la loi, elle doit devenir un point de passage obligé dans le cadre de l'évolution de carrière, par exemple par une plus forte prise en compte dans le passage de classe du suivi de modules de formation continue. Une priorité pourrait être accordée pour les postes à profil ou spécifiques aux professeurs ayant suivi une formation continue correspondant à ceux-ci.

Une telle mesure implique de la part du ministère de l'éducation et de ses services déconcentrés une mobilisation forte en termes des contenus des formations proposées pour répondre aux attentes des enseignants et de remplacement de ceux-ci devant leurs élèves. Elle pose la question de la reconnaissance par le ministère des formations réalisées en dehors de celles qu'il propose : aujourd'hui, la moitié des enseignants se forment en dehors du ministère (via des associations d'enseignants disciplinaires, des sociétés savantes, des syndicats, des associations, ...). L'étude du Cnesco de 2021 précitée souligne ainsi qu' « au fil des décennies, un écosystème de la formation continue informelle s'est constitué en parallèle de celui du ministère de l'éducation nationale ».

Se pose toutefois la question de la vérification de la formation suivie tant dans son contenu que dans son effectivité. Sans aller jusqu'à la mise en place d'un système de certification de formateur agréé à l'image de ce qui existe via le label Qualiopi pour les organismes de formation souhaitant proposer des formations faisant intervenir des fonds publics, un système simplifié de labellisation ou de catalogue annuel élargi de formation pourrait être mis en place.

Enfin, les rapporteurs estiment nécessaire d'associer les chefs d'établissements à la formation continue des enseignants de leurs établissements. Ceux-ci sont peu associés à la construction des formations et disposent souvent de peu de retours sur les formations suivies par les professeurs de leurs établissements. Le rapport d'inspection sur la formation continue des enseignants du second degré se fait ainsi l'écho des propos d'un chef d'établissement : « la formation est très silencieuse. Pas de retour, pas d'essaimage, pas de réinvestissement » et souligne « aucune capitalisation ne peut être faite dans ces conditions au sein de l'EPLE pour partager les formations suivies et s'en nourrir pour construire des projets et faire évoluer les pratiques »7(*).

Recommandation (10) : Afin de garantir l'effectivité de l'obligation de formation continue inscrite dans la loi depuis 2019 :

- intégrer dans les obligations réglementaires de service des professeurs du second degré une obligation horaire annuelle de formation continue alignée sur celle de leurs collègues du premier degré ;

- prendre obligatoirement en compte celle-ci dans le déroulement de carrière pour le passage de classe et dans la mobilité pour les postes spécifiques ou à profil lorsque le professeur a suivi une formation correspondant à ceux-ci.


* 4 « La profession enseignante en Europe : pratiques, perceptions et politiques », Eurydice, 2015.

* 5 Source : analyse de l'exécution budgétaire 2023, mission interministérielle « enseignement scolaire », Cour des comptes, avril 2024.

* 6 La formation continue des enseignants du second degré : de la formation continue au développement professionnel et personnel des enseignants du second degré ? IGEN-IGAENR, rapport n° 2018-068, septembre 2018.

* 7 La formation continue des enseignants du second degré : de la formation continue au développement professionnel et personnel des enseignants du second degré ?, rapport n° 2018-068, septembre 2018.

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