III. LE RETOUR BRUTAL DE LA CONTRAINTE BUDGÉTAIRE NE DOIT PAS EMPÊCHER LE FNE-FORMATION D'ACHEVER SA MUE

A. CONCERNÉ PAR LES MESURES D'ÉCONOMIES DÉCIDÉES DÉBUT 2024, LE FNE-FORMATION CONSERVE NÉANMOINS SA PERTINENCE

En 2024, les crédits initialement budgétés dans la loi de finances initiale s'élevaient à 273 millions d'euros en AE. Toutefois, le décret du 21 février 202437(*) ayant procédé à une annulation de 1,1 milliard d'euros sur la mission « Travail et emploi », ce montant a immédiatement été voué à diminuer. Ainsi, la direction du budget a indiqué lors de son audition que « la reprogrammation [était] en cours et devrait aboutir à une enveloppe légèrement inférieure à 100 millions d'euros. »

La DGEFP, sollicitée à cette fin par les rapporteurs spéciaux, a confirmé courant mai que les crédits qui serait alloués aux différents Opco au titre du FNE-Formation s'établiraient à 96 millions d'euros en AE, soit une diminution de 63 % par rapport aux montants conventionnés en 2023. À l'échelle des Opco, les principaux « perdants » sont ceux qui bénéficiaient le plus du FNE-Formation durant les exercices précédents : ainsi, l'AFDAS, ATLAS et l'Opco 2i verraient le montant qui leur est alloué diminuer de près de trois quarts.

Impact du décret du 21 février 2024 sur le niveau des crédits
alloués au FNE-Formation

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par la DGEFP

Il est vrai que, si la mobilisation de fonds publics au soutien des entreprises se justifie en période de crise, où ce soutien est souvent crucial pour éviter que les dépenses constituent la variable d'ajustement pour des entreprises en difficulté38(*), une telle justification trouve a priori moins à s'appliquer, en période de stabilisation du cycle économique, où il pourrait être attendu des entreprises qu'elles investissent elles-mêmes dans les compétences de leurs salariés, accumulant le capital humain comme elles accumulent le capital productif ou financier.

Les rapporteurs spéciaux prennent acte de cette importante diminution de l'enveloppe dédiée au FNE-Formation - qu'il serait de toute façon illusoire d'espérer rétablir pour l'exercice en cours en l'absence de projet de loi de finances rectificative - mais relèvent qu'elle aura pour conséquence le retour brutal d'une forte contrainte budgétaire pour les Opco et pour les entreprises qui souhaitent porter un projet de formation.

Ainsi, l'Opco OCAPIAT, qui représente les entreprises du secteur agricole, a indiqué qu'il engageait 1,5 million d'euros par mois durant les exercices précédents, et qu'à ce rythme, l'enveloppe allouée pour 2024 ne lui laisserait que trois mois de couverture.

Répartition entre Opco de l'enveloppe FNE-Formation pour 2024

(en millions d'euros et en pourcentage)

Opco

Répartition FNE 2023 (AE)

Répartition FNE 2024 (AE)

Évolution

AFDAS

20,0

5,0

- 75 %

AKTO

49,0

18,0

- 63 %

ATLAS

32,0

9,0

- 72 %

CONSTRUCTYS

20,0

12,0

- 40 %

L'OPCOMMERCE

9,0

6,0

- 33 %

OCAPIAT

15,0

5,0

- 67 %

OPCO EP

14,0

5,0

- 64 %

OPCO MOBILITES

18,0

11,0

- 39 %

OPCO SANTE

1,0

1,0

+ 0 %

OPCO2I

75,0

21,0

- 72 %

UNIFORMATION

3,0

3,0

+ 0 %

TOTAL

256,0

96,0

- 63 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par la DGEFP

Surtout, les rapporteurs spéciaux soulignent que, comme il a déjà été dit, le FNE-Formation permettait d'atténuer les effets de la décision prise en 2018 de priver les entreprises de 50 à 250 salariés du mécanisme de mutualisation des financements de la formation professionnelle dont elles bénéficiaient jusqu'alors, pour le cibler sur les entreprises de moins de 50 salariés. Dès lors, le FNE-Formation a été particulièrement apprécié par les entreprises employant entre 50 et 250 salariés, pour lesquels il n'existait désormais plus de dispositif de soutien sur fonds publics.

Diminuer aujourd'hui les crédits alloués à ce dispositif aura pour conséquence de pénaliser particulièrement ces entreprises, trop grandes pour bénéficier du mécanisme public de mutualisation via la contribution légale, mais trop petites pour financer entièrement par elles-mêmes des actions de formation, et surtout qui ne peuvent pas se tourner vers d'autres dispositifs.

Les rapporteurs spéciaux notent également que l'Opco 2i, et ainsi le secteur industriel, sont parmi les principaux « perdants » de la diminution de l'enveloppe allouée au FNE-Formation. Ils s'interrogent sur le signal envoyé à ce secteur à l'heure de la réindustrialisation, et constatent que les recommandations du rapport de l'IGAS39(*) risquent de rester lettre morte.

Enfin, les rapporteurs spéciaux s'interrogent sur la décision de faire porter les économies demandées sur la mission « Travail et emploi » sur un dispositif dont le coût moyen est plus sensiblement faible que le coût moyen d'autres dispositifs, décision qui paraît plus dictée par l'urgence de réduire les dépenses que par l'efficience de la dépense publique. À l'unisson de la direction du budget, qui suggérait « d'être prudent sur des recommandations qui viseraient à substituer d'autres dispositifs » au FNE-Formation, les rapporteurs spéciaux estiment que le FNE-Formation ne saurait constituer à l'avenir un gisement viable d'économies.


* 37 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.

* 38 Guergoat-Larivière, M., Perez, C. (2017), « Formation continue des salariés en temps de crise : quels liens avec les ajustements pratiqués par leurs entreprises ? »? Formation emploi, 137, 51-71.??????????????????????????????????????

* 39 Rapport portant sur les tensions sur les effectifs et compétences dans l'industrie et dispositifs de formation associés - Juillet 2023 - IGF, IGAS, IGESR. Les inspections recommandaient en effet de « stabiliser le FNE-Formation pour l'industrie et donner une visibilité sur ses orientations ».

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