LES 3 RECOMMANDATIONS DE LA MISSION

N° de la recommandation

Recommandations

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

Support/action

1

Accompagner et faciliter les demandes de différenciation, en amont de toute délibération des collectivités

Ministère de l'intérieur / Préfets

6 mois

Circulaire

2

Apporter une réponse obligatoire et motivée, dans un délai de six mois, à toutes les demandes des collectivités en matière de différenciation

Premier ministre /
Secrétariat général du Gouvernement

6 mois

Circulaire

3

Réviser l'article 72 de la Constitution afin d'ouvrir le champ des possibles, mais sans créer de droit d'exception ni mettre à mal le principe d'unité de la République

Pouvoir constituant

6 mois

Constitution

AVANT-PROPOS

« À droit constitutionnel constant et dès lors qu'une spécificité objective le justifie, le droit peut être adapté aux spécificités locales. Les transferts de compétences, qui furent l'essence des précédentes lois de décentralisation, doivent être accompagnés désormais d'outils nouveaux permettant de fluidifier les relations entre l'État et les collectivités territoriales. ».

Cette ambition gouvernementale, qui figure dans l'exposé des motifs du projet de loi dit « 3DS », déposé au Sénat le 12 mai 2021, ne s'est guère traduite dans les textes.

Non seulement une révision de l'article 72 de notre loi fondamentale n'a jamais été conduite, mais, en outre, les possibilités offertes par le cadre constitutionnel actuel pour passer du « D » de la différenciation au « E » de l'efficacité de l'action publique n'ont pas été épuisées. En effet, les différentes vagues décentralisatrices et la reconnaissance de l'organisation décentralisée de la République n'ont paradoxalement pas permis une réelle adaptation des normes et des compétences à la diversité des territoires.

Or, comme le souligne régulièrement la délégation aux collectivités territoriales, les élus locaux sont des « inventeurs de solutions ». À cet effet, il est impératif de libérer les énergies locales, de leur redonner l'agilité, de la capacité d'agir et de faire ainsi confiance à l'intelligence territoriale.

Si cette adaptation de l'action publique aux territoires est éminemment souhaitable, elle ne doit évidemment pas conduire à un « droit d'exception » qui mettrait à mal les principes d'unité et d'indivisibilité de la République.

Le présent rapport entend dresser un premier bilan des possibilités offertes par la loi « 3DS » pour engager notre pays dans une différenciation des compétences. Ce faisant, le rapport étudie les différentes options en présence : la différenciation peut-elle être utilement mise en oeuvre à droit constitutionnel constant, en améliorant les outils actuellement prévus ? Quels sont les blocages qu'une révision constitutionnelle pourrait permettre de lever ? La mission a donc inscrit son travail dans le cadre d'une étude d'options, préconisée par le rapport sur la simplification des normes, adoptée par notre délégation le 26 janvier 20232(*), en évaluant la situation à droit constant avant d'envisager une éventuelle modification du cadre constitutionnel.

I. LA PROCÉDURE INTRODUITE DANS LA LOI « 3DS » À L'INITIATIVE DU SÉNAT

1. Le principe de différenciation introduit dans la loi « 3DS »

La loi dite « 3DS » du 21 février 20223(*) reconnaît au législateur la possibilité, à droit constitutionnel constant, de différencier les règles relatives à l'attribution et à l'exercice des compétences applicables au sein d'une même catégorie de collectivités territoriales.

Art L. 1111-3-1 du CGCT sur la différenciation
(issu de l'article 1er de la loi 3DS)

« Dans le respect du principe d'égalité, les règles relatives à l'attribution et à l'exercice des compétences applicables à une catégorie de collectivités territoriales peuvent être différenciées pour tenir compte des différences objectives de situations dans lesquelles se trouvent les collectivités territoriales relevant de la même catégorie, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit proportionnée et en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ».

Si d'aucuns n'ont pas manqué de relever la faible portée normative de cette disposition, elle n'en est pas moins symboliquement importante.

C'est pourquoi la commission des lois du Sénat n'avait pas souhaité la supprimer. Dans son rapport, elle a d'ailleurs indiqué que la différenciation, parce qu'elle permet de définir des politiques publiques mieux adaptées aux réalités territoriales, constituait « un objectif à part entière du législateur et du pouvoir réglementaire »4(*).

Le législateur a ainsi consacré à l'initiative du gouvernement la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, de façon constante, juge que « le principe constitutionnel d'égalité, applicable aux collectivités territoriales (...) ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit »5(*).

Se fondant sur cette interprétation, dans son avis n° 393651 du 7 décembre 2017, le Conseil d'État a ainsi considéré que si « les règles d'attribution des compétences et les règles d'exercice des compétences sont, en principe, les mêmes au sein de chaque catégorie de collectivités territoriales de droit commun, communes, départements, régions », il n'en résulte pas pour autant que « les règles applicables aux compétences des collectivités territoriales doivent être identiques pour toutes les collectivités relevant de la même catégorie ». Dans un autre avis, le Conseil d'État estime que « les critères de distinction peuvent être démographiques ou tirés du type d'urbanisation de la commune » et que « des critères démographiques, ou sociaux peuvent se combiner avec un critère géographique pour imposer, dans l'exercice de leurs compétences, des obligations particulières à certaines communes et non à d'autres6(*)»

En conséquence, les règles et principes constitutionnels n'imposent pas un cadre légal uniforme aux compétences des collectivités territoriales de droit commun.

C'est sur ce fondement que notre pays a ainsi adopté la loi n° 86- 2 du 3 janvier 1986 (loi « littoral ») ou la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne (loi « montagne »).

Citons également la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (loi dite « SRU »), qui prévoit que les communes non urbanisées, les communes isolées et les petites communes sont dispensées de l'obligation de disposer d'au moins 20 % de logements sociaux, sur la base de critères géographiques et démographiques et en raison de leur situation différente des autres communes au regard de l'objet de cette obligation.

2. Les demandes des collectivités territoriales tendant à mettre en oeuvre le principe de différenciation territoriale

Dans le cadre de l'examen du projet de loi « 3DS », le Sénat a souhaité adosser l'application du principe de différenciation, défini supra, à une procédure spécifique afin de donner un contenu concret aux dispositions précitées de l'article premier du texte, à caractère particulièrement général.

Introduit par la commission des Lois du Sénat à l'initiative de ses deux rapporteurs7(*), M. Matthieu DARNAUD et Mme Françoise GATEL, l'article 2 de la loi « 3DS » du 21 février 20228(*) ouvre ainsi aux départements et régions la possibilité de saisir le Premier ministre ainsi que les assemblées parlementaires de demandes de différenciation territoriale.

Ce faisant, la commission des lois a repris l'article 49 de la proposition de loi pour le plein exercice des libertés locales, texte qui visait à traduire les 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales, présentées le 2 juillet 2020 à la suite du rapport de MM. Philippe BAS et Jean-Marie BOCKEL, co-rapporteurs du groupe de travail présidé par le Président du Sénat9(*). Ces dispositions ont trouvé place au sein du CGCT (voir l'encadré suivant).

Art L. 3211-3 du CGCT applicable aux départements

« Un conseil départemental ou, par délibérations concordantes, plusieurs conseils départementaux peuvent présenter des propositions tendant à modifier ou à adapter des dispositions législatives ou réglementaires, en vigueur ou en cours d'élaboration, concernant les compétences, l'organisation et le fonctionnement d'un, de plusieurs ou de l'ensemble des départements. Ces propositions peuvent porter sur la différenciation, mentionnée à l'article L. 1111-3-1, des règles relatives à l'attribution et à l'exercice des compétences applicables aux départements, afin de tenir compte des différences de situations.

Les propositions adoptées par les conseils départementaux en application du premier alinéa du présent article sont transmises par les présidents de conseil départemental au Premier ministre, au représentant de l'État dans les départements concernés et, lorsqu'elles portent sur des dispositions législatives, aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Le Premier ministre accuse réception des propositions qui lui sont transmises. Un rapport annuel indique les suites qui ont été données à ces propositions. Ce rapport est rendu public ».

Des dispositions identiques sont prévues pour les régions (art L. 4221-1 du CGCT). Celles-ci disposaient déjà, depuis la loi NOTRe10(*), d'une compétence similaire mais elle était insuffisamment précise : la nouvelle procédure, issue largement des travaux du Sénat, facilite l'expression des demandes de différenciation, émanant tant des départements que des régions.

Cette procédure de remontée de terrain a fait l'objet d'une circulaire du Premier ministre du 13 janvier 2023 qui a précisé la procédure applicable au suivi des propositions de différenciation et d'adaptation par les départements et régions (voir le schéma suivant explicitant cette procédure).

Le tableau suivant recense les demandes de différenciation soumises au Premier ministre au début du mois d'avril 2024.

Tableau des demandes de différenciation, à la date du 3 avril 2024

Collectivité à l'origine de la proposition

Date de réception de la proposition par le Premier ministre

Modalités de la saisine (boîte mail propositions.collectivites@pm.gouv.fr ; courrier...)

Modalités d'instruction (ministères concernés /ministère chef de file...)

Sujets de la demande

Région Occitanie

30/11/2022

Courrier à la Première ministre

Ministère de la santé et de la prévention

Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse

1/ Réaliser l'aménagement sanitaire du territoire à travers l'élaboration d'un plan régional de santé

2/ Mettre les compétences régionales en matière de maîtrise d'ouvrage complexe au service
des centres hospitaliers

3/ Expérimenter le chef de filât de la région Occitanie dans l'orientation des jeunes et du plein emploi

Département de la Lozère

24/02/2023

Boîte mail propositions.collectivites@pm.gouv.fr

Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion

1/ Transfert au département la compétence de la maîtrise d'ouvrage des retenues de stockage d'eau inter-saisonnières

2/ Amélioration de la couverture de téléphonie mobile en zone de montagne en contraignant les opérateurs dans certains cas à mettre en oeuvre
un partage de réseaux

3/ Versement du RSA directement aux employeurs embauchant des bénéficiaires

Région Île-de-France

16/10/2023

Courrier à la Première ministre

En cours d'instruction

Propositions d'adaptation ou de différenciation
dans les champs :

- de l'économie,

- de l'éducation et la formation professionnelle,

- des transports,

- du logement et de l'aménagement,

- de la santé

- de l'environnement,

- de la sécurité,


Et sur l'organisation et le fonctionnement de la région

2nd semestre 2024

Source : réponse du Secrétariat général du Gouvernement au questionnaire de vos rapporteurs


* 2 Rapport d'information n° 289 (2022-2023), déposé le 26 janvier 2023.

* 3 Loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale ; loi n° 2022-217 du 21 février 2022.

* 4 Voir le rapport n° 723 (2020-2021) de M. Mathieu DARNAUD et Mme Françoise GATEL, déposé le 30 juin 2021 : https://www.senat.fr/rap/l20-723/l20-723.html

* 5 Conseil constitutionnel, décision n° 91-291 DC du 6 mai 1991 sur la loi instituant une dotation de solidarité urbaine et un fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France.

* 6 Conseil d'État, Assemblée générale et commission permanente, avis n° 391883 des 8 et 13 septembre 2016 sur un projet de loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne, à propos d'obligations imposées à des communes touristiques situées en zone de montagne.

* 7 Voir l'amendement sur  https://www.senat.fr/amendements/commissions/2020-2021/588/Amdt_COM-1077.html

* 8 Article 1er bis du projet de loi : art  L. 3211-3 du CGCT pour les départements ; dispositions identiques pour les régions : art  L. 4221-1 du CGCT.

* 9 Voir le dossier législatif : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl19-684.html

* 10 Article premier de la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République, du 7 août 2015.

Partager cette page