N° 629

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 mai 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) relatif à la différenciation territoriale,

Par Mme Françoise GATEL et M. Max BRISSON,

Sénateurs

(1) Cette délégation est composée de : Mme Françoise Gatel, présidente ; M. Rémy Pointereau, premier vice-président ; Mme Agnès Canayer, MM. Cédric Vial, Fabien Genet, Mme Corinne Féret, MM. Éric Kerrouche, Gérard Lahellec, Mme Guylène Pantel, MM. Didier Rambaud, Pierre Jean Rochette, Grégory Blanc, vice-présidents ; MM. Jean Pierre Vogel, Laurent Burgoa, Bernard Delcros, Hervé Gillé, secrétaires ; M. Jean-Claude Anglars, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Max Brisson, Mme Céline Brulin, MM. Bernard Buis, Cédric Chevalier, Thierry Cozic, Mme Catherine Di Folco, M. Jérôme Durain, Mme Pascale Gruny, MM. Daniel Gueret, Joshua Hochart, Patrice Joly, Mmes Muriel Jourda, Sonia de La Provôté, Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Jacques Lozach, Pascal Martin, Jean-Marie Mizzon, Franck Montaugé, Mme Sylviane Noël, MM. Olivier Paccaud, Hervé Reynaud, Jean-Yves Roux, Mmes Patricia Schillinger, Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Lucien Stanzione, Jean-Marie Vanlerenberghe.

SYNTHÈSE

DIFFÉRENCIATION
LA DIVERSITÉ DES TERRITOIRES DANS L'UNITÉ DE LA RÉPUBLIQUE

De Mme Françoise GATEL, Sénateur d'Ille-et-Vilaine (Union centriste)

et de M. Max BRISSON, Sénateur des Pyrénées-Atlantiques (Les Républicains)

Les différentes vagues décentralisatrices et la reconnaissance de l'organisation décentralisée de la République n'ont paradoxalement pas permis une réelle adaptation des normes et des compétences à la diversité des territoires. C'est pourquoi la loi « 3DS », promulguée le 21 février 2022, était motivée par la volonté d'adapter le droit aux spécificités locales et de fluidifier les relations entre l'État et les collectivités territoriales.

Le présent rapport vise, en premier lieu, à réaliser une première évaluation des possibilités de différenciation offertes par la loi « 3DS » : est-on passé du « D » de la différenciation au « E » de l'efficacité de l'action publique ?

En second lieu, la mission étudie les différentes options en présence pour territorialiser davantage l'action publique dans le respect de l'unité de la République : la différenciation peut-elle être utilement mise en oeuvre à droit constitutionnel constant, en améliorant les outils juridiques actuellement prévus ? Quels sont les blocages qu'une révision constitutionnelle pourrait permettre de lever ?

I. LA PROCÉDURE INTRODUITE DANS LA LOI « 3DS » À L'INITIATIVE DU SÉNAT

1. Le principe de différenciation introduit dans la loi « 3DS »

Ø La loi « 3DS » reconnaît au législateur la possibilité, à droit constitutionnel constant, de différencier les règles relatives à l'attribution et à l'exercice des compétences applicables au sein d'une même catégorie de collectivités territoriales, à condition que les collectivités en question se trouvent dans des « différences objectives de situation ».

Ø Cette notion consacre la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui juge, de façon constante, que « le principe constitutionnel d'égalité, applicable aux collectivités territoriales, (...) ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ». 

2. Les demandes des collectivités territoriales tendant à mettre en oeuvre le principe de différenciation territoriale

Ø L'article 2 de la loi « 3DS » ouvre aux départements et régions la possibilité de saisir le Premier ministre ainsi que les assemblées parlementaires de demandes de différenciation territoriale, par une délibération de leur organe délibérant.

Ø Il est codifié à l'article L. 3211-3 du CGCT pour les départements, et à l'article L. 4221-1 du CGCT pour les régions.

Date des saisines des collectivités

Région Occitanie

30/11/2022

Département de la Lozère

24/02/2023

Région Île-de-France

16/10/2023

II. LES TROIS RECOMMANDATIONS DE VOTRE DÉLÉGATION

1. Accompagner et faciliter les demandes de différenciation, en amont de toute délibération des collectivités

Ø L'État doit jouer un rôle de facilitateur et d'accompagnateur dans la conduite des projets de différenciation. Il doit ainsi activement participer à la réflexion préparatoire des collectivités, en amont de toute délibération sur le sujet.

2. Apporter une réponse obligatoire et motivée, dans un délai de six mois, à toutes les demandes des collectivités en matière de différenciation

Ø Si aucun texte n'impose au gouvernement un délai de réponse lorsque des collectivités formulent des demandes de différenciation, la circulaire du Premier ministre du 13 janvier 2023 précise toutefois que ce délai doit être « raisonnable ». Or, à ce stade, aucune des trois collectivités susmentionnées n'a reçu de réponse, alors même qu'elles ont présenté leurs demandes entre novembre 2022 et novembre 2023.

Ø La Délégation recommande au Gouvernement de fournir obligatoirement une réponse motivée, dans un délai de six mois, à toutes les demandes des collectivités en matière de différenciation. Cette recommandation correspond à la position exprimée par le Sénat, dans le cadre de l'examen du projet de loi « 3DS ».

3. Réviser l'article 72 de la Constitution afin d'ouvrir le champ des possibles, mais sans créer de droit d'exception ni mettre à mal le principe d'unité de la République

Ø L'interprétation du principe constitutionnel d'égalité donnée par le Conseil constitutionnel constitue aujourd'hui un frein aux démarches de différenciation. En dehors des expérimentations, dont la durée est limitée, les propositions de différenciation sont subordonnées à l'existence d'une « différence objective de situation », notion dont les contours restent par ailleurs particulièrement flous pour tous les acteurs.

Vos rapporteurs recommandent une révision constitutionnelle1(*) visant à consacrer, au sein de l'article 72 de la Constitution, le droit à la différenciation, sans pour autant mettre à mal les principes d'unité et d'indivisibilité de la République.

CONCLUSION

La présente mission a permis de préciser la frontière entre ce que doit être et ce que ne doit pas être la différenciation.

La différenciation se distingue très nettement d'un droit d'exception caractérisé par la création de « statuts particuliers » accordés à des collectivités, qui se verraient reconnaître une « autonomie ».


* 1 Vos rapporteurs soutiennent ainsi la proposition de loi constitutionnelle n° 463 (2023-2024) de MM. François-Noël BUFFET, Mathieu DARNAUD, Mme Françoise GATEL et M. Jean-François HUSSON, déposé au Sénat le 22 mars 2024.

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