B. UNE UTILISATION EN ROUTINE POUR LE SOIN ENCORE LIMITÉE
Il existe donc un grand nombre de domaines d'application de l'IA en santé. Pour autant, hors imagerie, l'IA n'est pas encore utilisée en routine. La pratique clinique n'a pas encore totalement intégré ce progrès technique récent. Nous connaissons donc un foisonnement d'expérimentations, mais pas encore une banalisation des nouveaux outils.
Plusieurs obstacles retardent en effet le déploiement de l'IA en santé : l'un d'entre eux est le manque de recul et la méfiance que l'IA peut susciter à la fois chez les professionnels de santé et chez les patients. Certes, selon une étude publiée début 202429(*), 58,7 % d'entre eux affirment avoir confiance en l'IA pour l'aide au diagnostic et à la prise en charge et 66,6 % estiment qu'elle ne constitue pas une menace pour leur profession ou leurs compétences. Si 53 % des professionnels interrogés affirment utiliser l'IA dans leur pratique quotidienne, il s'agit surtout d'aller chercher de l'information médicale ou de se former. Nous sommes donc encore loin d'une délégation quasi complète de certaines tâches à l'IA.
Du côté des patients, seulement 44 % d'entre eux estiment possible de se faire soigner par leur médecin à l'aide d'une IA, selon un sondage Opinionway réalisé en 2023 pour le Healthcare Data Institute30(*). Il reste donc du chemin pour faire entrer le recours à l'IA dans les pratiques habituelles de soin.
Un autre obstacle réside dans les incertitudes réglementaires et l'absence de modèle économique pour nombre de dispositifs médicaux numériques (DMN). Les dispositifs individuels peuvent bénéficier d'un remboursement et, de fait, des mécanismes d'accès rapide au remboursement ont été mis en place à titre expérimental. Pour les logiciels et équipements intégrant des solutions d'IA et utilisés en cabinet médical ou en établissement de santé, ils doivent trouver d'autres sources de financement : soit sur fonds propres soit en mobilisant des outils d'aide à l'innovation, tel le fonds pour l'innovation du système de santé (Fiss) créé par la LFSS de 2018.
Lorsque les gains de productivité apportés par la solution à base d'IA sont évidents, l'investissement peut s'autofinancer, mais lorsque les gains sont incertains, il faut financer les nouveaux outils sur ressources propres. Les appels à projets permettent un amorçage, mais n'apportent pas des ressources pérennes de fonctionnement. Les coûts du déploiement de l'IA peuvent ainsi constituer un frein à une utilisation en routine sans gain de productivité apparent net. La Fédération hospitalière de France (FHF) ajoute que « beaucoup de services IA sont basés sur un modèle de financement à l'usage, ce qui pèse sur le budget d'exploitation et ce qui est très difficile à maîtriser sur le plan budgétaire ».
Le cadre juridique et tarifaire des dispositifs médicaux numériques (DMN)
La mise sur le marché des dispositifs médicaux numériques (DMN) comme par exemple des logiciels d'aide au diagnostic ou de surveillance, est soumise à une procédure de marquage CE obtenu suite à une certification délivrée par un organisme indépendant appelé « organisme notifié ». Les conditions du marquage varient selon la classe de risque du dispositif. C'est l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) qui est chargée de la surveillance de l'ensemble des dispositifs médicaux.
Après l'étape du marquage CE, les DMN sont soumis à la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS), dépendant de la Haute Autorité de santé (HAS), qui formule un avis avant inscription du dispositif sur la liste des produits et prestations remboursables (LPPR) ou sur la liste des activités de télésurveillance médicale (LATM), au vu notamment de l'amélioration du service attendu.
Le processus d'inscription pérenne sur la LPPR ou la LATM étant long, il existe une procédure de prise en charge anticipée des DMN innovants et une procédure de prise en charge transitoire pour des produits de santé présumés innovants.
Pour les dispositifs médicaux à usage individuel, l'admission au remboursement est suivie de la fixation d'un tarif de remboursement par le Comité économique des produits de santé (CEPS).
Afin de garantir que les DMN effectuant un traitement de données à caractère personnel au sens du règlement général sur la protection des données (RGPD) assurent un degré suffisant de protection des données personnelles, ils doivent par ailleurs obtenir un certificat de conformité au référentiel d'interopérabilité et de sécurité des dispositifs médicaux numériques délivré par l'Agence du numérique en santé (ANS).
Au final, l'IA est en train de s'installer comme une réalité nouvelle dans le domaine de la santé, mais sans généralisation ni banalisation complète. Le degré de maturité des cas d'usage de l'IA en santé est en outre disparate selon les domaines, comme le montre la dernière analyse du Healthcare Data Institute :
* 29 Baromètre national réalisé par PulseLife et Interaction Healthcare sur l'impact de l'intelligence artificielle (IA) dans la pratique médicale, réalisé à partir de l'interrogation de 1 700 professionnels de santé, 1er février 2024 : https://pulselife.com/fr-fr/blog/post/barometre-ia-en-sante-alliee-ou-menace.
* 30 Healthcare Data Institute, HDI Day, Les Français, les professionnels de santé et l'intelligence artificielle, 29 novembre 2023 ; https://healthcaredatainstitute.com/2024/01/14/ia-en-sante-des-ecarts-de-perception-et-dusage-entre-francais-et-medecins-reveles-par-deux-etudes-du-healthcare-data-institute/.