II. UNE UTILISATION QUI RESTE ENCORE PRINCIPALEMENT EXPÉRIMENTALE

A. DE NOMBREUX DOMAINES D'APPLICATION POSSIBLES

1. L'intelligence artificielle, accélérateur de la recherche médicale

La pandémie de covid-19 a montré l'intérêt d'une mobilisation de toutes les technologies disponibles pour faire face à un besoin de recherches très rapides. Dans ce contexte, l'IA peut se révéler très précieuse. Ainsi, l'identification de la structure en trois dimensions de protéines extrêmement complexes9(*) ouvre la voie à l'élaboration accélérée de vaccins efficaces. L'IA peut également aider à prédire l'évolution de la pandémie et appuyer les équipes soignantes dans l'identification du virus chez les patients10(*).

Comme l'indique le rapport de l'Académie nationale de médecine sur les systèmes d'IA générative, « la recherche se heurte aujourd'hui aux limites de nos capacités intellectuelles à colliger, organiser et donner du sens à des données massives et hétérogènes d'origines variées ». L'IA générative vient donc à point pour permettre « une augmentation de l'efficacité, de la précision et de la vitesse à laquelle les données peuvent être générées, analysées et partagées ».

L'IA ouvre de nouvelles perspectives à l'industrie pharmaceutique à travers plusieurs leviers11(*) :

- elle permet d'accélérer l'identification des molécules candidates : le criblage des molécules cibles se fait par voie computationnelle de manière rapide, parfois en quelques heures. L'IA aide ainsi à prédire l'activité médicamenteuse d'une molécule, par exemple à travers la modélisation de sa capacité à reconnaître une cible (protéine, ARN) et à s'y insérer12(*) ;

- elle simplifie la gestion des essais cliniques : l'analyse des dossiers médicaux peut être largement automatisée, la sélection des groupes de patients pertinents pour la recherche peut s'effectuer sur une base plus large, les groupes de contrôle peuvent être réduits, voire remplacés par des groupes contrôles synthétiques. Le recours aux jumeaux numériques constitue notamment une piste féconde pour limiter le nombre de patients à inclure dans une recherche clinique ;

- elle permet aussi de mettre en relation davantage d'informations, et selon les termes du rapport de l'Académie de médecine précité « ouvre la voie aux études systémiques nécessaires à notre compréhension des maladies multigéniques et multifactorielles qui sont la conséquence d'interactions entre génotype, phénotype et environnement » ;

- elle renforce la pharmacovigilance, en permettant une analyse plus fine et plus rapide de données en vie réelle.

Pour la recherche médicale, la mobilisation de l'IA présente un double intérêt :

- elle réduit les coûts des recherches, alors que ceux-ci ont explosé depuis une vingtaine d'années ;

- elle diversifie les possibilités de recherche, en permettant de s'intéresser davantage aux maladies rares.

À rebours de la tendance à la concentration de la recherche médicale autour de quelques grands groupes, ciblant essentiellement des pathologies chroniques qui touchent un très grand nombre de malades dans le monde, afin de pouvoir amortir des coûts de recherche très importants, l'IA pourrait favoriser un foisonnement de la recherche médicale par la multiplication de ses acteurs et la diversification de ses domaines.

Des précautions importantes sont cependant nécessaires pour faire face aux inconvénients de l'IA dans la recherche en biologie et santé. La production automatique de résultats est ainsi dépendante des données disponibles. Des données falsifiées peuvent conduire à la production de résultats erronés, dont le système d'IA peut ne pas se rendre compte, faute de capacité d'analyse. Par ailleurs, la recherche scientifique passe par la revue par les pairs et la reproduction d'expériences pour valider les résultats obtenus. Or, l'IA générative ne permet pas d'expliquer les résultats, ou de produire une bibliographie.

2. L'imagerie médicale en pleine révolution

L'imagerie médicale fournit aux médecins une visualisation de parties internes du corps humain dont l'interprétation est décisive pour fournir un diagnostic et proposer des traitements aux patients. La lecture des clichés est un exercice ardu pour les radiologues, qui dépendent pour leur travail de la qualité des images fournies et doivent aussi porter leur attention sur des petits détails pas toujours faciles à identifier.

L'imagerie médicale constitue un domaine où la dimension technique est présente depuis de nombreuses années, avec des appareils qui n'ont cessé de se perfectionner. La numérisation des clichés radiologiques pris par les appareils de radiologie médicale, scanners, IRM, a ouvert la voie au traitement automatique des images par des algorithmes de plus en plus performants.

L'IA permet en effet d'améliorer la qualité des images fournies par les appareils mais aussi de les interpréter de manière automatique, ou du moins de signaler des anomalies devant faire l'objet d'une analyse approfondie.

La preuve de la performance des systèmes à base de réseaux de neurones convolutifs profonds dans la reconnaissance d'images, apportée par des chercheurs américains en 201213(*), a donné un coup d'accélérateur aux applications de technologies d'IA en imagerie médicale14(*). Désormais, de nombreuses solutions à base d'IA sont proposées aux médecins et professionnels de santé, avec comme objectifs à la fois de faire gagner du temps dans la réalisation des examens et la lecture des clichés mais aussi de mieux détecter les zones d'intérêt. Gagner en rapidité et en efficacité faisait dire en 2016 à Geoffrey Hinton, lauréat du prix Turing 2018 qu'on devrait arrêter de former des radiologues puisque le deep learning allait faire mieux qu'eux à brève échéance.

En réalité, ce remplacement des radiologues par les machines ne s'est pas produit. Certes, les logiciels d'interprétation d'images automatisée se sont multipliés : mi-2022, plus de 200 logiciels avaient été validés par la FDA aux États-Unis ou bénéficié d'un marquage CE dans l'Union européenne15(*) (au total environ 700 dispositifs médicaux intégrant l'IA ont été validés par la FDA). Mais leurs apports sont fortement questionnés. De nombreuses voix s'élèvent pour appeler à ne pas surestimer leur rôle. Les promesses sur le papier ne sont d'ailleurs suivies que d'une application clinique limitée16(*). Par ailleurs, même dans des domaines où l'IA se révèle performante, elle n'est pas forcément plus performante qu'un radiologue expérimenté.

Selon une étude britannique publiée en septembre 2023, pour des mammographies de dépistage du cancer du sein, les résultats obtenus par un oeil humain et par un algorithme sont similaires17(*).

L'IA peut donc être utilisée dans ce cadre non comme un substitut, mais comme une aide pour le praticien, capable de lui fournir un premier tri dans la masse des éléments à analyser sur un cliché. En réalité, c'est la combinaison d'un examen classique et de l'utilisation d'IA qui pourrait apporter des gains de temps et de performance significatifs.

L'usage de l'intelligence artificielle dans le dépistage organisé du cancer du sein

Depuis 2004, la France s'est dotée d'un dispositif de dépistage organisé (DO) du cancer du sein. Avec plus de 60 000 cas par an et un peu plus de 12 000 décès par an, le cancer du sein est à la fois le plus fréquent et le plus meurtrier pour les femmes. Un dépistage précoce améliore considérablement le taux de survie à 5 ans, qui s'établit désormais à 87 %.

Le DO consiste à inviter toutes les femmes de 50 à 74 ans à passer un examen de dépistage tous les deux ans, pris en charge à 100 % par l'assurance maladie. L'examen comprend une mammographie et un examen clinique. Un peu moins de 50 % des femmes concernées utilisent ce dispositif, s'ajoutant aux 11 % de femmes procédant à un dépistage dans une démarche individuelle.

Lorsqu'aucune anomalie n'est décelée, un second examen est réalisé par un radiologue expert (double lecture). Depuis 2019, les mammographies sont exclusivement numériques. Les clichés sont pris en 2 dimensions, mais devant les performances de la tomosynthèse18(*), la Haute Autorité de santé (HAS) a recommandé en 2023 l'intégration de cette nouvelle technique qui permet d'obtenir une image reconstituée en 3 dimensions grâce à des algorithmes mathématiques19(*).

Le déploiement d'outils d'IA pourrait augmenter l'efficacité globale du DO du cancer du sein et conduire à le réorganiser, mais la bonne manière d'utiliser ces nouvelles possibilités est discutée par la communauté scientifique.

Début 2024, la Société d'imagerie de la femme (SIFEM)20(*) a mis en avant 3 études prospectives :

- une étude suédoise (MASAI) montrait que l'utilisation de l'IA pour une première lecture augmentait le taux de détection des cancers (sans augmentation des faux positifs) et diminuait fortement la charge de travail des radiologues ;

- une autre étude suédoise (ScreenTrustCAD) montrait qu'utilisée en deuxième voire troisième lecture, l'IA augmente le nombre de cancers détectés et diminue le nombre de mammographies nécessitant un bilan complémentaire (échographie, biopsie, chirurgie) ;

- une étude hongroise, enfin, mettait en évidence une amélioration du taux de détection des cancers grâce à l'utilisation d'une IA en troisième lecture.

Si l'utilisation de l'IA en remplacement des radiologues n'est pas envisageable pour des raisons éthiques et parce que la performance des radiologues experts paraît encore supérieure à la machine aujourd'hui, la combinaison d'une lecture humaine et d'une lecture par IA des mammographies permettrait vraisemblablement de gagner en temps et en efficacité.

Dans une tribune publiée par Le Monde le 4 avril 2024, un collectif de radiologues insistait sur la nécessité de s'organiser pour pouvoir accueillir ces nouveaux instruments, dans un cadre technique et organisationnel maîtrisé21(*).

3. Vers un déploiement de l'IA « tous azimuts »

Au-delà de l'imagerie, domaine pionnier du déploiement de l'IA en santé, le potentiel de l'IA s'applique à la totalité des champs de l'activité clinique.

L'IA peut ainsi être utilisée tant dans la phase de dépistage ou de détection (diagnostic) que dans la phase de mise en oeuvre de solutions thérapeutiques.

En ophtalmologie, l'IA crée la possibilité de détection précoce de certaines pathologies, comme la rétinose diabétique, l'oedème maculaire diabétique, la dégénérescence maculaire ou encore le glaucome.

En cancérologie, l'IA peut être sollicitée dans le dépistage et la détection précoce, permettant de mettre en évidence des anomalies plus rapidement et donc d'améliorer la prise en charge ultérieure des patients. Lors de son audition, l'Institut national du cancer (INCa) a indiqué que l'IA était utilisée par exemple pour détecter des polypes ou adénomes par coloscopie, ou pour mieux détecter par scanner les cancers du poumon. On manque toutefois de certitudes sur la plus-value apportée par ces outils. L'INCa estime qu'il existe un énorme potentiel de l'IA en diagnostic de jeux de données sur les tumeurs, notamment en matière de radiomique et en génomique, dans la définition de scores en vue d'une personnalisation des approches, ou encore pour le criblage d'anomalies moléculaires.

Le large champ d'application de l'IA en cancérologie

Les domaines d'intervention de l'IA en cancérologie sont multiples et variés. Lors de son audition, l'Institut national du cancer (INCa) en a donné de nombreux exemples.

1 - Interventions de l'IA lors du diagnostic et de la détermination du stade du cancer

· Recours à l'IA pour la lecture d'images :

- diagnostic du cancer primitif : radiologie (sein, poumon, thyroïde, prostate), photos (mélanomes), lames d'anatomopathologie numérisées ;

- recherche de métastases ;

- recherche de mutations ou expression de marqueurs histologiques : attribuer les mutations à partir d'images (histologie ou imagerie), plus spécialement pour les mutations qui conditionnent le choix d'un traitement, pourrait s'avérer plus rapide et moins coûteux que le séquençage ;

- attribution de scores, par exemple attribution du score de Gleason à partir de l'IRM pour le cancer de la prostate ;

· Assistance à la détection de polypes/cancers en coloscopie ;

· Identification du cancer primitif pour des métastases de cancer primitif inconnu grâce au profil génétique des cellules métastatiques ;

· Analyse de données massives permettant l'identification de sous-groupes homogènes (clustering), par exemple pour réaliser l'intégration de données génomiques dans la stratification des cancers.

2 - Interventions de l'IA lors du choix du traitement

· Réalisation de modèles prédictifs pour évaluer ex ante l'efficacité de diverses options thérapeutiques permettant de guider le choix du traitement. À partir des images de tomodensitométrie, on peut ainsi identifier parmi les personnes ayant des métastases hépatiques d'un cancer colorectal, celles qui sont susceptibles de répondre au traitement médicamenteux systémique. On peut aussi prédire la réponse thérapeutique à la combinaison atezolizumab/bevacizumab dans le carcinome hépatocellulaire à partir de l'analyse des lames histologiques digitales ;

· Prédiction de la survenue de complications après traitement (radiothérapie, immunothérapie) permettant d'adapter la surveillance.

· Les outils d'aide à la décision thérapeutique résultant de la mise en oeuvre des modèles prédictifs constituent un pas de plus vers une médecine personnalisée.

3 - Interventions de l'IA dans le traitement lui-même

· En radiothérapie : pour affiner le ciblage de la zone à irradier en assistant le détourage, pour anticiper le mouvement des organes durant la respiration et compenser ces mouvements pendant le traitement, permettant d'améliorer le ciblage vers la tumeur, pour adapter le traitement au fil des semaines en fonction des modifications subies par le corps en raison, par exemple, d'un amaigrissement ;

· En chirurgie : recours à la chirurgie assistée par ordinateur ;

· Dans le suivi du patient : détection de signaux par la pharmacovigilance, identification des seconds cancers, complications, séquelles à moyen ou long terme. Il existe désormais des applications numériques pour le suivi des patients ou la surveillance à domicile en cours de traitement, y compris pour des personnes incluses dans des essais thérapeutiques.

4 - Interventions de l'IA dans la recherche

· Appui à la recherche de nouvelles molécules ;

· Constitution de bras de contrôle synthétiques en recherche clinique ;

· Réalisation d'essais in silico c'est-à-dire création de patients virtuels et simulation d'essais cliniques sur ces cohortes virtuelles.

5 - Interventions de l'IA pour l'analyse de données en vie réelle

· Analyse de trajectoires de soins, du pré-diagnostic jusqu'à la fin de vie ;

· Vérification de l'application des recommandations de soins ;

· Possibilité de mener des études sur une population non sélectionnée (contrairement à celle des essais cliniques) pour documenter l'utilisation des médicaments en vie réelle, vérifier l'efficacité en condition réelle sur des critères mesurables par ce type de données, en tenant compte de l'absence de randomisation et apprécier la tolérance sur des populations quasi exhaustives.

En anatomopathologie, l'IA est sollicitée pour l'interprétation histologique (examen de la structure des coupes de pièces anatomiques), la prédiction d'anomalies moléculaires à partir des caractéristiques morphologiques constatées sur les lames numérisées ou encore la prédiction des réponses aux traitements.

En neurologie, l'IA peut être utilisée dans la phase diagnostique, mais intéresse aussi la phase thérapeutique. La rééducation des fonctions neuronales après un accident vasculaire cérébral (AVC) peut ainsi être aidée par des machines s'adaptant aux progrès du patient. Par ailleurs, les implants neuronaux destinés à compenser des fonctions déficientes ou à augmenter les capacités humaines sont aujourd'hui en développement.

En cardiologie, l'IA peut aussi apporter beaucoup, d'autant plus qu'il faut souvent diagnostiquer et traiter rapidement les douleurs thoraciques ou les arythmies cardiaques, dès leur apparition. L'insuffisance cardiaque connaît un taux important d'erreurs - une étude britannique publiée en 2016 estimait qu'une crise cardiaque sur trois était mal diagnostiquée22(*).

En outre, certaines défaillances cardiaques sont difficilement repérables. L'IA peut aider à identifier une dysfonction ventriculaire gauche asymptomatique ou encore une fibrillation auriculaire silencieuse à partir d'un simple électrocardiogramme. Le traitement des données des pacemakers connectés offre aussi un instrument supplémentaire de surveillance en temps réel des patients atteints de pathologie cardiaque.

En néphrologie, l'IA a également permis de réels progrès. Lauréat du prix Innovation 2023 de l'Inserm, le professeur Alexandre Loupy, responsable de l'Institut de transplantation de Paris23(*) a développé un algorithme capable d'analyser de très nombreuses données (génétiques, anticorps, biomarqueurs) permettant de prédire les risques de rejets des greffons et ainsi d'améliorer leur appariement avec les greffés. Il en résulte un moindre gâchis des greffons, ceux-ci étant structurellement en pénurie, mais aussi une réduction des traitements immunosuppresseurs, pour le plus grand bénéfice à long terme des patients.

Neurotechnologies et IA : vers un homme augmenté ?

Les neurotechnologies (NT) étudient le cerveau et développent des technologies pour interagir avec lui, visant à améliorer son fonctionnement. Selon le Comité international de bioéthique de l'Unesco (CIB), elles englobent tous les dispositifs et procédures pour visualiser, surveiller, étudier, manipuler et reproduire la structure et le fonctionnement des systèmes neuronaux humains24(*).

Les NT se sont avérées très prometteuses dans la réparation de certains handicaps, en particulier ceux d'ordre sensoriel. Par exemple, l'utilisation de neuroprothèses, constituées de capteurs d'informations et d'un processeur les convertissant en stimuli électriques, permet de transmettre des informations sensorielles au cerveau via des électrodes lorsque l'organe normal est défaillant.

De même, l'exemple de la stimulation cérébrale profonde (Deep Brain Stimulation - DBS) illustre parfaitement comment les neurotechnologies peuvent être bénéfiques pour la médecine. Cette technique, consistant à implanter des électrodes de stimulation dans des noyaux profonds du cerveau et à les relier à deux piles électriques implantées au niveau sous-claviculaire pour délivrer un courant continu de faible intensité, est utilisée avec succès dans le traitement de la maladie de Parkinson. Elle permet de mimer des microlésions dans des structures cérébrales choisies et ainsi de réduire les tremblements de 80 %, et pourrait également être appliquée à d'autres maladies telles que la maladie d'Alzheimer, ainsi qu'à des troubles psychiques25(*).

Récemment, les chercheurs ont tenté d'associer les NT et l'IA, offrant des perspectives diverses. D'une part, les NT couplées à l'IA peuvent améliorer leur efficacité. C'est le cas par exemple de la création d'un exosquelette, ayant pour objectif de compenser une fonction absente ou défaillante chez un patient. En 2019, dans le cadre du projet Brain Computer Interface, Clinatec a développé une neuroprothèse capable de contrôler un exosquelette par la pensée. Cette neuroprothèse, testée sur un homme tétraplégique souffrant d'une lésion de la moelle épinière, capte les signaux électriques émis par le cerveau lors d'une intention de mouvement. Ces signaux sont ensuite interprétés par un ordinateur grâce à l'IA, utilisant la technique du neurofeedback, puis renvoyés à l'exosquelette pour effectuer le mouvement « pensé »26(*).

D'autre part, l'IA et les NT ouvrent de nouveaux horizons, notamment celui de l'homme augmenté. Les investissements dans le domaine des NT ont augmenté de 700 % entre 2014 et 202127(*), car l'hybridation du cerveau avec l'IA semble de plus en plus réalisable. Elon Musk, pionnier dans ce domaine, a fondé Neuralink en 2017, avec pour objectif principal d'améliorer les capacités cognitives de l'homme grâce à des implants et à l'IA, et ainsi créer un véritable homme augmenté.

Le concept d'homme augmenté présente des limites et soulève des défis éthiques majeurs. L'utilisation de l'IA dans les NT peut entraîner des risques d'efficacité inégale, de complications liées à l'implantation des électrodes (telles que des hémorragies, des dysfonctionnements ou des crises d'épilepsie), voire altérer la personnalité du patient et accentuer les inégalités sociales, puisque l'accès aux NT est souvent réservé aux plus fortunés. L'ensemble de ces risques s'accompagne de préoccupations éthiques, comme la protection des données personnelles, la sauvegarde de l'intégrité de la personne et le respect du libre arbitre.

Face à ces enjeux, l'évolution des « neurodroits » est essentielle. Le groupe d'experts ad hoc de l'Unesco recommande notamment la création d'un concept d'intimité mentale. En France, le cadre juridique reste encore peu développé : il interdit simplement la modification de l'activité cérébrale si cela présente un danger, et limite l'utilisation de l'imagerie cérébrale à des fins médicales ou de recherche.

L'évolution rapide des NT et de l'IA soulève une question fondamentale : devons-nous les utiliser uniquement dans un cadre médical strict, ou devrions-nous explorer les frontières de l'humain et tenter de créer un être augmenté ?

Auditionné par la délégation à la prospective, le Pr Raphaël Gaillard, chef du pôle hospitalo-universitaire de psychiatrie de l'hôpital Sainte-Anne, indique ne pas croire à la possibilité d'augmenter l'ensemble des fonctions de l'homme de manière homogène, tant les zones du cerveau sont nombreuses et variées et les implants neuronaux spécialisés dans leurs fonctions et localisation. Il plaide en faveur de la première option et met en garde contre les dangers d'une utilisation excessive des NT : « Au-delà de la question de la réparation, l'augmentation de l'homme ne peut se faire que de façon non harmonieuse, je dirais même, c'est un terme de psychiatrie, dysharmonique, c'est-à-dire ne respectant pas l'harmonie initiale que nous confère la biologie de notre cerveau. En augmentant l'homme suivant ce Silicon syndrome, nous renonçons à l'harmonie de l'homme, et ce n'est pas rien comme changement anthropologique »28(*).


* 9 Le logiciel AlphaFold2, développé par DeepMind, filiale de Google.

* 10 Pour une revue de l'utilisation de technologies d'IA dans la crise du covid-19, voir l'article sur le site du Conseil de l'Europe, « IA et lutte contre le coronavirus Covid-19 » ; https://www.coe.int/fr/web/artificial-intelligence/ai-and-control-of-covid-19-coronavirus (consulté le 02/04/2024).

* 11 Pour en savoir plus, voir une analyse succincte du cabinet KPMG, « Intelligence artificielle et recherche clinique, la grande accélération » ; https://kpmg.com/fr/fr/home/kpmg-innovation-lab/exploration/intelligence-artificielle-et-recherche-clinique-la-grande-acceleration.html (consulté le 02/04/2024).

* 12 Un exemple : https://www.inc.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/ia-et-candidats-medicaments-une-nouvelle-methode-de-conception-par-traitement-numerique.

* 13 Alex Krizhevsky, Ilya Sutskever, Geoffrey E. Hinton, « ImageNet Classification with Deep Convolutional Neural Networks », Advances in Neural Information Processing Systems 25 (NIPS 2012) ; https://papers.nips.cc/paper_files/paper/2012/hash/c399862d3b9d6b76c8436e924a68c45b-Abstract.html (consulté le 02/04/2024).

* 14 Léo Mignot, Émilien Schultz, « Les innovations d'intelligence artificielle en radiologie à l'épreuve des régulations du système de santé », Réseaux, 2022/2-3 (N° 232-233), p. 65-97. DOI : 10.3917/res.232.0065 ; URL : https://www.cairn.info/revue-reseaux-2022-2-page-65.htm (consulté le 02/04/2024).

* 15 Source : « Radiologie : pourquoi l'IA n'a (toujours) pas remplacé le médecin », theconversation.com, 28 juin 2022 https://theconversation.com/radiologie-pourquoi-lia-na-toujours-pas-remplace-le-medecin-185319 (consulté le 02/04/2024).

* 16 Voir notamment l'article sur le site de l'INRIA : « Imagerie médicale : l'intelligence artificielle peut-elle tenir ses promesses ? », www.inria.fr, 11 mai 2022 ; https://www.inria.fr/fr/imagerie-medicale-intelligence-artificielle-apprentissage-automatique (consulté le 02/04/2024).

* 17 Yan Chen, Adnan G. Taib, Iain T. Darker, Jonathan J. James, « Performance of a Breast Cancer Detection AI Algorithm Using the Personal Performance in Mammographic Screening Scheme », RSNA, 5 septembre 2023 ; https://pubs.rsna.org/doi/10.1148/radiol.223299.

* 18 Paolo Giorgi Rossi et al., « Comparing accuracy of tomosynthesis plus digital mammography or synthetic 2D mammography in breast cancer screening: baseline results of the MAITA RCT consortium », Eur J Cancer, mars 2024 ; https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/38262307/.

* 19 HAS, Évaluation de la performance et de la place de la mammographie par tomosynthèse dans le programme national de dépistage organisé du cancer du sein - Volet 2, validé par le Collège le 9 février 2023, mis à jour en avril 2023 ; https://www.has-sante.fr/jcms/p_3148278/fr/evaluation-de-la-performance-et-de-la-place-de-la-mammographie-par-tomosynthese-dans-le-programme-national-de-depistage-organise-du-cancer-du-sein-volet-2.

* 20 Sifem, « Apport de l'intelligence artificielle dans le dépistage du cancer du sein », www.imageriedelafemme.org, 12 février 2024 ; https://www.imageriedelafemme.org/apport-de-lintelligence-artificielle-dans-le-depistage-du-cancer-du-sein/ (consulté le 02/04/2024).

* 21 « Dépistage du cancer du sein : l'intelligence artificielle doit trouver sa juste place », Le Monde, 4 avril 2024 ; https://www.lemonde.fr/sciences/article/2024/04/04/depistage-du-cancer-du-sein-l-intelligence-artificielle-doit-trouver-sa-juste-place_6225918_1650684.html.

* 22 Wu J, Gale CP, Hall M, et al., « Editor's Choice - Impact of initial hospital diagnosis on mortality for acute myocardial infarction: A national cohort study », European Heart Journal: Acute Cardiovascular Care, 2018;7(2):139-148 ; https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/2048872616661693?journalCode=acca.

* 23 Paris Institute for Transplantation & Organ Regeneration (PITOR).

* 24 Rapport du Comité international de bioéthique de l'Unesco (CIB) sur les aspects éthiques des neurotechnologies, 2023, Rev. Paris, 56p. [En ligne]. https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000378724_fre.

* 25 Mayo Clinic, Deep Brain Stimulation, 19 septembre 2023.

* 26 Sur cette question, consulter notamment la note scientifique de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) : Patrick Hetzel, Les neurotechnologies : défis scientifiques et éthiques, 22 janvier 2022.
https://www.senat.fr/fileadmin/Office_et_delegations/OPECST/Notes_scientifiques/OPECST_note32.pdf.

* 27 Éthique des neurotechnologies, UNESCO, 2024. https://www.unesco.org/fr/ethics-neurotech.

* 28 Audition du Pr Raphaël Gaillard, chef du pôle hospitalo-universitaire de psychiatrie de l'hôpital Sainte-Anne, par la délégation à la prospective, le 21 mars 2024 ; https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20240318/pro_2024_03_21.html.

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