DEUXIÈME PARTIE

ASSURER L'ÉQUILIBRE DU RÉGIME CATNAT

I. ASSURER L'ÉQUILIBRE ET L'ÉQUITÉ DU RÉGIME D'INDEMNISATION DES CATASTROPHES NATURELLES SUR LE LONG TERME

A. LES GRANDS ÉQUILIBRES DU RÉGIME D'INDEMNISATION DES CATASTROPHES NATURELLES DOIVENT INTÉGRER LE CHANGEMENT CLIMATIQUE

1. Il n'est pas utile, à court terme, de modifier le périmètre du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, mais une réflexion peut être engagée sur le plus long terme
a) Les risques naturels majeurs « hors régime CatNat » sont pris en charge de manière satisfaisante par le secteur privé, même s'il convient de rester vigilant au risque « grêle »

Les tempêtes Ciarán et Domingos, qui ont provoqué d'importants dégâts à l'ouest de la France à l'automne dernier, ont reposé la question du périmètre du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles.

En effet, les tempêtes ne sont pas incluses dans le régime CatNat, ce qui peut légitimement susciter des incompréhensions au regard de la violence de ces phénomènes. Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires avait ainsi déclaré que « Des dégâts dans des collectivités territoriales n'ont pas pu être pris en compte pour des raisons historiques, regrette-t-il. À partir de 145 km/h pendant 10 minutes, en Outre-mer, vous êtes indemnisé, alors qu'une tempête avec des pointes à 200 km/h sur la pointe du raz, ce n'est pas une catastrophe naturelle. Il faudra que ça change. »33(*) Des épisodes de grêle récents particulièrement importants ont suscité des questionnements similaires34(*).

Inversement, l'intégration du risque « sécheresse » dans le régime CatNat n'était pas une évidence. Les catastrophes naturelles sont en principe caractérisée par une cinétique rapide, alors que la retrait-gonflement des argiles est un risque à cinétique lente, ce qui explique d'ailleurs que les dégâts consécutifs à une sécheresse importante soient difficiles à distinguer de ceux résultant de la succession de sécheresses d'ampleur moyenne. À cet égard, la France est le seul pays de l'Union européenne à avoir intégré le risque sécheresse au sein de son système d'indemnisation des catastrophes naturelles.

L'article L. 125-1 du code des assurances définit les catastrophes naturelles, comme « les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel [...] lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises. » Deux critères sont ainsi retenus :

- la non-assurabilité des dommages matériels directs ;

l'intensité anormale d'un agent naturel qui doit en être la cause.

Pour le phénomène du retrait gonflement des argiles (RGA), outre la condition de « l'intensité anormale d'un agent naturel », il est possible de caractériser la catastrophe naturelle par « la succession anormale d'événements de sécheresse d'ampleur significative ». Cette précision a été ajoutée par l'article 1 de l'ordonnance n° 2023-78 du 8 février 202335(*), pour inclure dans le champ de l'indemnisation les dégâts provoqués par la répétition des sécheresses importantes sans être exceptionnelles.

Les dommages provoqués par le RGA peuvent en effet découler autant d'une sécheresse très importante que de la succession des sécheresses, et il était anormal que des dégâts qui, d'un point de vue matériel, sont équivalents, ne puissent pas toujours être pris en charge dans le cadre du régime CatNat. L'ordonnance du 8 février 2023 est venue remédier à ce défaut, au prix toutefois de tordre la définition de ce qu'est une « catastrophe naturelle ».

En réalité, sur les deux critères utilisés pour définir le périmètre du régime d'indemnisation, celui de la non-assurabilité des dommages prime. Dit autrement, le régime CatNat a pour principale fonction non pas d'assurer l'ensemble des « catastrophes naturelles », mais de rendre possible une assurance des risques naturels qui, à l'heure actuelle, ne sont pas entièrement pris en charge par le secteur privé, ou qui sont très inégalement répartis sur le territoire : « En effet, les périls couverts par le régime des catastrophes naturelles sont les périls qui ne seraient pas assurables (ou partiellement) sans intervention de l'État (en termes d'obligation de couverture et de tarification) par le marché de l'assurance. Par « assurable » il faut entendre couvert pour tous à un prix abordable. »36(*)

La succession de sécheresses d'ampleur moyenne n'est pas couverte aujourd'hui par le secteur privé, comme l'ensemble du risque RGA. Par conséquent, même si elle ne constitue pas une catastrophe naturelle stricto sensu, sa sortie du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles à court terme n'est pas souhaitable, au risque que des territoires se retrouvent sans solution d'assurance.

Plusieurs personnes auditionnées par le rapporteur spécial ont souligné à cet égard que l'assurance des dégâts provoqués par les tempêtes était satisfaisante dans le cadre des contrats « neige, tempête, grêle », et que par conséquent, une extension du régime à ces risques n'était pas nécessaire. La direction générale du trésor a ainsi déclaré que : « Il n'est pas envisagé d'ajouter le péril tempête ou grêle au régime CatNat à ce jour. En effet, ces périls demeurent assurables dans des conditions normales de marché sans qu'une réassurance publique ne soit nécessaire (et avec des délais d'indemnisation et des franchises généralement inférieurs au régime CatNat). »37(*)

De même, la Caisse centrale de réassurance a indiqué au rapporteur spécial que : « Aujourd'hui, par exemple, il n'existe pas d'exposition significativement différente d'un point à un autre du territoire français en matière de tempête. Ainsi, le prix de l'assurance tempête est réparti sur l'ensemble des Français sans peser lourdement sur certains. Il ne semble donc pas pertinent aujourd'hui de l'ajouter aux périls couverts par le régime des catastrophes naturelles. »38(*)

Pour la grêle, de même, les acteurs interrogés ont considéré que les carences du secteur privé n'étaient pas suffisantes pour qu'une intégration au sein du régime soit nécessaire : « En 2022, la France a subi plusieurs orages avec des dégâts importants liés à la grêle pour un coût global de 4,9 milliards d'euros. Cette situation inédite n'a cependant pas engendré de carence de marché et les assureurs continuent à couvrir la grêle, même si le coût de la réassurance privée et les rétentions laissées à la charge des assureurs ont fortement augmenté. »39(*) La CCR estime néanmoins que « si la situation de 2022, considérée comme exceptionnelle, devait se reproduire, la question de l'assurabilité de la grêle à un prix abordable risque de se poser ».

Il n'est donc pas nécessaire, à court terme d'intégrer de nouveaux risques au sein du régime CatNat, mais il convient de rester particulièrement vigilant en ce qui concerne le risque « grêle ».

b) À plus long terme, il conviendra de recentrer le régime d'indemnisation sur les catastrophes naturelles au sens strict

S'il n'apparaît pas opportun, à l'heure actuelle, de modifier le périmètre du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, il est légitime de s'interroger sur sa pertinence au long terme.

Dans son rapport sur le retrait-gonflement des argiles, le rapporteur spécial soulignait déjà que : « Si, dans la situation actuelle, il apparaît clairement que le risque RGA ne pourrait pas être pris en charge par le système assurantiel privé classique, il n'est pas exclu que cela soit envisageable dans une perspective à plus long terme et ce, en raison de l'évolution prévisible de plusieurs paramètres tels qu'une connaissance plus fine du risque ainsi que le développement, la maturation et la généralisation de nouvelles techniques de prévention et de réparation. »40(*) Il était mis en avant que la prise en compte de ce risque dans la construction des habitations postérieures à la loi ELAN pourrait limiter les dégâts provoqués par le retrait-gonflement des argiles, sous réserve toutefois que les dispositions de la loi ELAN soit suffisantes (ce point sera discuté infra).

Plusieurs acteurs ont souligné ainsi qu'il est envisageable à l'avenir de rétrocéder une partie de la réassurance du RGA au secteur privé, à la condition que soit mis en place des « couvertures de type paramétrique. »41(*) Le rapport de la mission sur l'assurabilité des risques climatiques l'envisagent plus largement pour plusieurs risques de pointe42(*). Cependant, la mise en place de ces critères paramétriques, et par la suite la constitution de nouveaux marchés en réassurance privée, prendrait plusieurs années. Il est toutefois indispensable d'engager une telle réflexion dès maintenant pour assurer la pérennité à long terme du régime CatNat.

Dans l'autre sens, il est possible de s'interroger sur l'intégration de nouveaux risques dans le régime d'assurance public-privé, qui iraient au-delà de la catégorie des catastrophes naturelles elles-mêmes. Les risques industriels et technologiques présentent des caractéristiques similaires aux catastrophes naturelles, et la chercheuse Myriam Mérad, membre de la mission sur l'assurabilité des risques, soutenait ainsi devant le rapporteur spécial que l'exclusion des catastrophes technologiques du régime CatNat n'est pas cohérente avec la visée du régime.

Cependant, une telle ouverture serait uniquement réservée aux catastrophes industrielles d'une ampleur exceptionnelle. La majorité des accidents industriels, y compris ceux qui sont considérés comme majeurs, entraînent des coûts bien moins élevés que les catastrophes naturelles : « Selon les classifications des assureurs, les accidents industriels considérés comme « majeurs » sont ceux qui représentent des sommes de l'ordre de 20 à 30 millions d'euros. Par comparaison, les événements naturels peuvent atteindre des montants unitaires cent fois plus élevés, qui vont jusqu'à deux, trois ou quatre milliards d'euros par événement. »43(*) L'intégration de nouveaux risques implique également que l'équilibre du régime CatNat sur les prochaines décennies soit garantie.

2. Un mécanisme d'indexation automatique du taux de surprime est essentiel au maintien de l'équilibre du régime

Le rehaussement à 20 % du taux de la surprime était nécessaire, mais il ne sera pas suffisant pour garantir l'équilibre du régime CatNat dans la durée. Il serait bien entendu possible, dès l'année prochaine, de le relever une nouvelle fois, mais des relèvements ponctuels ne peuvent toutefois pas constituer une réponse structurelle au déséquilibre du régime CatNat.

Un mécanisme de revalorisation automatique de la surprime est souhaitable. En effet, le décalage entre la décision de relever la surprime et son application effective fragilise le régime CatNat, comme l'indique la Caisse centrale de réassurance : « Le rehaussement du taux de surprime de 12 à 20 % n'entrera en vigueur qu'au 1er janvier 2025 avec un effet à 100 % en 2026. Entre temps, le risque d'intervention de l'État restera très élevé le temps que CCR reconstitue ses réserves. »44(*) De plus, un tel mécanisme de revalorisation permettrait aux acteurs de l'assurance ainsi qu'aux entreprises de pouvoir réaliser des projections pluriannuelles. Ce mécanisme devrait être doublé d'une clause de revoyure, pour tenir compte de l'évolution des prévisions relatives au changement climatique.

Le rapport de la mission sur l'assurabilité des risques climatiques soutient une telle solution. La deuxième recommandation du rapport prévoit de : « Instaurer un mécanisme d'indexation automatique du taux de surprime CatNat afin de prendre en compte les effets du changement climatique, en fixant la réévaluation annuelle initiale à 1 % des taux de surprime (soit 0,2 point de %) par an à compter de 2023. »45(*) À cette proposition, on pourrait ajouter une clause de revoyure quinquennale.

À partir des travaux de la Caisse centrale de réassurance, la mission a estimé que la hausse de la sinistralité attribuable aux effets du changement climatique se situeraient entre 0,8 % et 1,62 % par an jusqu'en 2050, selon le scénario retenu.

Évolution de la sinistralité à l'horizon 2050, telle qu'estimée par la mission sur l'assurabilité des risques climatiques ainsi que la Caisse centrale de réassurance

 

Sinistralité

Évolution de la sinistralité

Nature de l'aléa

En 2000

En 2020

En 2020 par rapport à 2000

En 2050 par rapport à 2020

(Scénario 2°)

En 2050 par rapport à 2020 

(Scénario 2,5°)

Sécheresses géotechniques

466

726

56 %

59 %

190 %

Inondations

943

979

4 %

43 %

27 %

Submersions marines

61

68

11 %

113 %

109 %

Tous périls CatNat

1757

2078

18 %

47 %

85 %

Taux annuel de hausse

-

-

-

1,29 %

2,07 %

Taux annuel de hausse lié à l'aléa seul

-

-

-

0,80 %

1,62 %

Source : rapport de la mission sur l'assurabilité des risques climatiques, page 35, d'après les travaux menés par la Caisse centrale de réassurance

La Caisse centrale de réassurance s'est également déclarée favorable à la mise en place d'une revalorisation automatique : « la CCR est donc favorable à un mécanisme d'indexation et à une clause de revoyure (tous les 3 ou 5 ans) qui est nécessaire compte tenu des incertitudes importantes en matière de projection climatique afin d'éviter la situation récente avec un taux de surprime inchangé pendant une période de près de 25 ans. »46(*)

La revalorisation annuelle proposée par la mission sur l'assurabilité des risques climatiques aboutirait à un taux de 26 % à l'horizon 2050. Une telle progression est justifiée par les fortes incertitudes qui pèsent sur la progression du risque inondation et du risque submersion marine.

Une telle progression du taux de surprime pèserait d'abord sur les entreprises et les ménages (entre 20 et 30 euros par an pour les particuliers). Le rapporteur estime que l'augmentation pourrait être mieux acceptée si elle était doublée d'une réorientation du prélèvement sur la garantie CatNat vers les dépenses de prévention des risques (la question du financement de la prévention des risques naturels majeurs sera abordée dans la dernière partie de ce rapport).

Recommandation : mettre en place un mécanisme de revalorisation automatique du taux de surprime CatNat.


* 33 Christophe Béchu, 16 novembre 2023, cité dans « Tempêtes exceptionnelles : vers une inclusion dans le régime cat'nat' ? », Géraldine Dauvergne, L'argus de l'assurance, 17 novembre 2023.

* 34 Par exemple, « Les orages de grêle, impensés climatique », Enzo Dubesset, 18 mars 2024, Alternatives économiques.

* 35 Ordonnance n° 2023-78 du 8 février 2023 relative à la prise en charge des conséquences des désordres causés par le phénomène naturel de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols

* 36 Réponses de la Caisse centrale de réassurance au questionnaire du rapporteur spécial

* 37 Réponses de la Direction générale du Trésor au questionnaire du rapporteur spécial

* 38 Réponses de la Caisse centrale de réassurance au questionnaire du rapporteur spécial

* 39 Réponses de la Caisse centrale de réassurance au questionnaire du rapporteur spécial

* 40 Rapport d'information n° 354 (2022-2023) de Mme Christine Lavarde fait au nom de la commission des finances sur le financement du risque de retrait gonflement des argiles et de ses conséquences sur le bâti, page 20.

* 41 Réponses de la Caisse centrale de réassurance au questionnaire du rapporteur spécial.

* 42 « Adapter le système assurantiel français face à l'évolution des risques climatiques », Thierry Langreney, Gonéri Le Cozannet, Myriam Mérad, décembre 2023 page 61 : « 4.1 Envisager la rétrocession auprès de réassureurs privés d'une partie des risques de pointe (inondations, cyclones, séismes, voire RGA avec des mécanismes paramétriques) dans le respect de la gouvernance relative à la convention entre la CCR et l'État. »

* 43 Rapport de la commission d'enquête chargée d'évaluer l'intervention des services de l'État dans la gestion des conséquences environnementales, sanitaires et économiques de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen, de recueillir des éléments d'information sur les conditions dans lesquelles les services de l'État contrôlent l'application des règles applicables aux installations classées et prennent en charge les accidents qui y surviennent ainsi que leurs conséquences et de tirer les enseignements sur la prévention des risques technologiques, Mmes Christine Bonfanti-Dossat et Nicole Bonnefoy, Hervé Maurey (Président), juin 2020, page 124.

* 44 Réponses de la Caisse centrale de réassurance au questionnaire du rapporteur spécial.

* 45 « Adapter le système assurantiel français face à l'évolution des risques climatiques », Thierry Langreney, Gonéri Le Cozannet, Myriam Mérad, décembre 2023 page 10.

* 46 Réponses de la Caisse centrale de réassurance au questionnaire du rapporteur spécial.

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