C. MIEUX PROTÉGER LE RECOURS AUX INFORMATEURS ET ÉTENDRE LE STATUT DES « REPENTIS »

Au cours de ses travaux, la commission d'enquête a perçu l'impérieuse nécessité de sécuriser deux statuts aujourd'hui fragiles du fait soit des failles de la législation, soit de son insuffisance : celui des informateurs et de leurs traitants, et celui des « repentis ».

1. Apporter enfin une réponse aux craintes quant au statut des traitants d'informateurs

Les informateurs apportent un concours indispensable à l'activité des services d'enquête sur le narcotrafic ; ils sont actuellement inscrits au bureau central des sources du Siat, qui est chargé de leur immatriculation (voir supra).

Rappelons que, en dépit de cette apparente officialité, le statut des informateurs n'a été que tardivement reconnu est reste aujourd'hui incomplet.

Le statut des informateurs : l'éclairage du Siat

Si la protection de leur anonymat est reconnue par une jurisprudence constante de la Cour de cassation, les « informateurs » ne peuvent disposer d'aucune exonération de leur responsabilité pénale à l'occasion de leur « activité de renseignement » et ne peuvent donc en aucun cas se rendre complices de l'infraction qu'ils dénoncent.

Deux textes reconnaissent néanmoins implicitement la plus-value qu'ils sont susceptibles d'apporter dans le cadre d'une procédure pénale :

· l'article [27] de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 donne un cadre légal à leur rétribution ;

· l'article 721-3 du code de procédure pénale prévoit qu'une « réduction de peine exceptionnelle, dont le quantum peut aller jusqu'au tiers de la peine prononcée, peut être accordée aux condamnés dont les déclarations, faites à l'autorité administrative ou judiciaire antérieurement ou postérieurement à leur condamnation, ont permis de faire cesser ou d'éviter la commission d'une information aux articles 706-73, 706-73-1 et 706-74 ».

Au cours des vingt-cinq dernières années, le traitement des sources s'est néanmoins considérablement professionnalisé dans la police nationale avec :

· la création en 2000 d'un bureau central des sources (BCS) qui est rattaché au Siat,

· l'élaboration d'une « charte du traitement des informateurs » assortie d'instructions de plus en plus précises des directeurs généraux de la police nationale (DGPN) à partir de 2012.

Le bureau central des sources (BCS) du Siat est aujourd'hui la clef de voûte du contrôle interne de la police nationale dans le domaine du traitement des sources humaines.

Il lui revient de :

· procéder à l'immatriculation des sources « judiciaires » de la police nationale (périmètre DGPN et PP hors RT), d'instruire les demandes de rémunérations, d'assurer la coordination avec les services partenaires (DGGN, douanes) ;

· dispenser des formations aux différents niveaux intervenants dans la chaîne du traitement du renseignement humain (autorité hiérarchique, superviseur, traitant) ;

· être le point de contact en matière de coopération internationale et de jouer un rôle de conseil auprès des services d'enquête en cas de difficulté.

En l'absence de cadrage procédural, la gestion des sources humaines par les services d'investigation demeure néanmoins une activité qui comporte des risques de fragilité juridique pour les enquêtes et conduit parfois à la mise en cause de traitants.

Source : réponse écrite du Siat au questionnaire du rapporteur

Nombreux ont été ceux qui, au cours des travaux de la commission d'enquête, ont :

· d'une part, pointé l'hypocrisie d'un système qui interdit aux informateurs de contribuer à la réalisation de l'infraction qu'ils documentent, alors même qu'ils sont systématiquement des délinquants et qu'il leur serait impossible de disposer d'informations sur un trafic s'ils restaient extérieurs à celui-ci et s'ils gardaient « les mains propres » ;

· d'autre part, mis en lumière les fragilités créées par cette absence de reconnaissance officielle du rôle des informateurs pour leurs « traitants », donc pour les officiers de police judiciaire appelés à être en contact avec des « tontons ».

La commission d'enquête est ainsi convaincue que le législateur doit se saisir du sujet sans fausse pudeur et mettre fin dans la loi à ce paradoxe en encadrant la possibilité donnée aux policiers et gendarmes de s'appuyer sur des sources, tout en reconnaissant avec franchise qu'un bon informateur n'est pas celui qui est innocent de toute infraction. Il est plus encore nécessaire que, cette réalité étant désormais assumée, le Parlement apporte un cadre légal à l'intervention des « traitants », qui exercent aujourd'hui leurs missions dans l'angoisse d'être mis en cause au plan pénal, mais aussi d'être victimes d'informateurs qui tentent parfois d'instrumentaliser leur statut.

Comme cela a été évoqué, la commission est également favorable à ce qu'un informateur puisse devenir un infiltré, ce qui implique qu'il bénéficie à partir du moment où il change de statut d'une complète immunité pénale, celle-ci étant toutefois étroitement conditionnée au fait que l'infiltré « civil » se borne à respecter strictement les consignes qui lui sont données par le magistrat en charge du dossier. Elle propose, pour mémoire, que le futur parquet national antistupéfiants (Pnast) ait le monopole de la gestion de ces informateurs « civils ».

Certes, cette proposition constitue en apparence une véritable « révolution copernicienne » ; cependant, dans les faits, elle ne vise qu'à inscrire dans la loi une pratique déjà mise en oeuvre par certains services spécialisés sur le « haut du spectre » qui n'hésitent pas, pour mener à bien des investigations complexes, à donner des directives claires à leurs « sources » pour orienter l'enquête.

Dans ce cadre nouveau, la redéfinition de la « provocation » dans un sens plus libéral sera non plus seulement utile, mais indispensable à la cohérence du système juridique : il ne serait en effet pas imaginable que l'outil nouveau que constitueraient les « infiltrés civils » soit condamné à rester lettre morte faute d'un cadre suffisamment protecteur pour les officiers de police judiciaire et les magistrats chargés de le mettre en oeuvre.

2. Les « repentis » : un dispositif sous-exploité

Un autre dispositif à rénover est celui des « repentis », dont les contours sont détaillés avec précision par Marc Sommerer, président de la commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR), dans son audition du 12 février 2024.

Le bilan chiffré du dispositif, tel qu'exposé par Marc Sommerer lors de l'audition précitée, est le suivant : « au 1er janvier 2024, le Siat protégeait 42 personnes dans le cadre de 18 programmes actifs. Depuis sa création, il a protégé 60 personnes dans le cadre de 22 programmes, dont 17 concernant des groupes criminels impliqués dans le trafic de stupéfiants. Cela représente donc les trois quarts de notre activité. Sept programmes relèvent du trafic de stupéfiants stricto sensu, neuf programmes concernent des homicides en bande organisée liés à un trafic de stupéfiants, et un programme est relatif à un blanchiment de fonds issus du trafic de stupéfiants ».

Ces chiffres attestent, s'il en était besoin, de l'utilité du dispositif des « repentis » pour lutter contre le narcotrafic.

Le régime des « repentis » vu par le Siat : théorie et réalité

Extraits de la réponse écrite du commissaire Trannoy au questionnaire du rapporteur

Prévu par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 dite « loi Perben II » qui est à l'origine des articles 132-78 du code pénal (CP), 706-73-1 du code de procédure pénale (CPP) et 706-62-2 du CPP, le dispositif de protection et de réinsertion n'est réellement entré en vigueur qu'avec le décret d'application du 17 mars 2014.

Initialement conçu pour les « collaborateurs de Justice » au sens strict, il a ensuite été élargi aux « victimes de la traite des êtres humains » en 2015 et aux « témoins menacés » en 2016.

Doté d'un bureau de protection et de réinsertion (BPR), le Siat s'est vu confier le monopole en matière d'évaluation des demandes émanant des autorités judiciaires et de mise en oeuvre des programmes décidés par la commission nationale de protection et de réinsertion (BPR).

Partie réglementaire du CPP issue du décret 2004-1026 du 29 septembre 2004

Décret 2014 modifié - article 1

« La Commission nationale de protection et de réinsertion prévue à l'article 706-63-1 du code de procédure pénale est placée auprès du ministre de l'intérieur.

« Elle est composée :

« • d'un magistrat hors hiérarchie, en activité ou honoraire, président, désigné par le ministre de la justice ;

« • de deux magistrats exerçant ou ayant exercé au sein d'une juridiction interrégionale spécialisée, désignés par le garde des sceaux, ministre de la justice ;

« • [...].

Elle comprend, en outre, avec voix consultative, un représentant du service interministériel d'assistance technique au ministère de l'intérieur. [...] »

? Le financement vertueux du dispositif de protection et de réinsertion - coût moyen d'un programme

Depuis son lancement effectif en 2014, le dispositif (fonctionnement BPR/Siat et CNPR, évaluations, programmes) est financé par l'agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis (Agrasc).

Il est à souligner que le coût des programmes est très variable et est fonction de la composition de la famille de la personne protégée, de la durée du programme (qui se compte généralement en années) et de la capacité des bénéficiaires à retrouver le chemin de l'autonomie financière.

Ce coût est par principe dégressif conformément à l'objectif de réinsertion qui a vocation à progressivement l'emporter sur l'objectif de protection au fur et à mesure que s'amenuise la menace initiale.

? Les résultats du dispositif de protection et de réinsertion dans le domaine de la lutte contre les trafics de stupéfiants

Le président de la CNPR est seul habilité à communiquer sur le nombre de programmes actifs et le nombre de personnes protégées.

Il peut néanmoins être indiqué que plus de 75 % des programmes validés par la CNPR procèdent d'enquêtes visant des groupes criminels impliqués dans le trafic de stupéfiants.

Il convient d'ajouter que ces enquêtes peuvent :

· porter aussi bien sur des faits de trafic de stupéfiants stricto sensu que sur des faits d'homicides en bande organisée (« règlements de compte ») ou de blanchiment ;

· viser des groupes de trafiquants exerçant une emprise localisée (par exemple sur un ou plusieurs points de deal sis dans des quartiers dits « sensibles ») comme des organisations criminelles d'envergure internationale (dirigées par des trafiquants susceptibles de figurer parmi les cibles d'intérêt prioritaires de l'Ofast ou de pays partenaires).

En pratique, avant la saisine de la CNPR qui est formellement décisionnaire de l'attribution du statut de « repenti », la procédure - telle qu'exposée par le commissaire divisionnaire Frédéric Trannoy lors de son audition par le rapporteur - est la suivante :

· un magistrat, ou plus occasionnellement un service de police ou de gendarmerie, ayant repéré un individu qui semble vouloir faire des révélations, contacte le Siat en vue d'une évaluation ;

· cette évaluation est faite par le Siat selon trois critères : l'importance des informations que la personne concernée veut communiquer et leur intérêt judiciaire ; la réalité de la menace à l'encontre de la personne concernée ; sa capacité à changer de vie sous l'effet du programme de protection qui accompagne l'octroi du statut de « repenti » ;

· si le Siat valide la candidature, le dossier est soumis à la CNPR pour arbitrage.

Le régime des repentis souffre aujourd'hui d'imperfections qui semblent faire consensus. En particulier, trois failles majeures ont été évoquées auprès de la commission d'enquête :

· la première touche à l'insuffisance du périmètre d'acceptation des « repentis » qui, en l'état, ne peuvent pas avoir été des personnes mises en cause pour association de malfaiteurs, pour assassinat ou pour meurtre, ce qui limite objectivement la possibilité de toucher des profils du « haut du spectre » qui auraient pourtant beaucoup à apporter à un dossier s'ils avaient intérêt à donner les informations dont ils disposent ;

· la deuxième concerne l'impossibilité, pour les services qui « recrutent » un repenti, de lui garantir qu'il bénéficiera d'une exemption ou d'une réduction de peine : en effet, non seulement l'article 132-78 du code pénal qui fixe le statut des repentis distingue, de manière peut-être trop manichéenne, ceux qui ont permis d'éviter la commission d'un crime ou d'un délit (et qui peuvent bénéficier d'une exemption de peine) de ceux qui ont permis de faire cesser l'infraction (et qui ne peuvent prétendre qu'à une réduction), alors que la ligne entre ces deux notions est parfois floue, mais surtout le « recrutement » du repenti est distinct dans le temps comme dans la procédure de la mise en oeuvre effective de ce dispositif : en d'autres termes, une personne reconnue comme « repentie » peut ne se voir accorder ni exemption ni réduction de peine dès lors que le magistrat en charge de l'enquête ou de l'instruction n'invoque pas l'article 132-78 précité lors du renvoi à la juridiction de jugement. Il va sans dire, dans ce contexte, que le dispositif est peu incitatif et ne rassure pas les éventuels prétendants, notamment dans un contexte où on a vu des « repentis » être condamnés plus lourdement que les autres accusés à l'issue de l'audience ;

· la troisième touche aux compétences du Siat, trop larges aux yeux de certains observateurs : ce service effectue en effet un examen de faisabilité qui, pour utile qu'il soit, conditionne la saisine de la CNPR - ce qui est en soi une difficulté de principe, comme l'a relevé l'ancien président de la commission, Bruno Sturlèse, lors de son audition par le rapporteur.

La commission d'enquête est persuadée que les « repentis » peuvent être un outil puissant de lutte contre le narcotrafic et qu'il convient, en conséquence, d'apporter sans délai une réponse à ces imperfections et pour mettre fin au déficit d'attractivité du dispositif.

C'est pourquoi elle propose, outre sa recommandation tendant à ce que les « repentis » soient gérés exclusivement par le futur Pnast (voir supra), trois modifications d'ampleur au régime des « repentis » :

· en premier lieu, la suppression des « verrous » tenant à la nature des infractions commises, la gravité de celles-ci devant être mise en regard avec l'apport à l'enquête des informations détenues par la personne concernée sans regard moral voire moralisateur ;

· ensuite, la mise en place d'une véritable contractualisation entre le « repenti » et le Pnast, garantissant pleinement - sous réserve du respect de conditions clairement énumérées, notamment celle d'avoir dit la vérité et de n'avoir rien caché au cours de l'enquête - à la personne concernée de bénéficier d'une exemption ou d'une réduction de peine, quitte à ce que cette possibilité s'incarne dans un nouveau type de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité avec obligation de témoigner au cours du futur procès visant à réprimer l'infraction dénoncée ;

· enfin, et comme le proposent au demeurant le Siat comme la CNPR, la distinction des missions confiées, au cours de la procédure de sélection des « repentis », à deux piliers qui devront être à l'avenir clairement séparés : d'une part, un pilier judiciaire (qui serait, dans l'esprit de la commission d'enquête, confié au Pnast en matière de narcotrafic et maintenu dans le giron de la CNPR pour les autres infractions) concernant l'appréciation de l'intérêt judiciaire des révélations, l'octroi du statut de repenti et ses conséquences judiciaires et, d'autre part, un pilier administratif assuré par le Siat et concernant la protection et la réinsertion, la définition et la mise en oeuvre des mesures requises et leur évolution dans le temps.

Il va de soi que certaines des difficultés déjà commentées, et notamment celles qui concernent la répartition des rôles entre la CNPR et le Siat, valent tout autant pour l'autre versant de l'activité de la commission - à savoir la protection des témoins menacés. Au vu des pressions que les réseaux de narcotrafic font peser sur les témoins et de l'intensité des violences qu'ils sont capables d'appliquer en représailles d'une dénonciation, il est absolument nécessaire que la CNPR joue pleinement son rôle auprès des témoins et qu'elle intensifie son action auprès d'eux, y compris lorsque cela implique le relogement de familles entières : de ce point de vue, la commission observe qu'un simple déménagement serait, dans bien des cas, une mesure suffisante pour assurer la protection de témoins qui, loin d'aspirer à un changement complet d'état civil, souhaitent simplement voir leurs proches mis à l'abri des menaces que les narcotrafiquants locaux font peser sur eux en obtenant une relocalisation dans une ville - voire dans un quartier - où le réseau n'a pas de prise.

Recommandation n° 26 de la commission d'enquête : mieux utiliser les informateurs et les « repentis »

· mettre fin à l'idée selon laquelle un informateur ne peut pas participer à la commission de l'infraction sur laquelle il renseigne les services d'enquête ;

· donner un véritable statut aux traitants d'informateurs ;

· envisager la création d'une « infiltration civile » dans laquelle un informateur deviendrait un infiltré, dans le respect d'une convention passée avec le futur parquet national antistupéfiants ;

· libéraliser le recours aux « repentis » et garantir aux personnes concernées une réduction ou une exemption de peine ;

· distinguer clairement le pilier judiciaire du pilier administratif dans la sélection des « repentis » ;

· confier le monopole de la gestion des « repentis » et des infiltrés « civils » en matière de stupéfiants au futur Pnast ;

· donner à la CNPR tout son rôle dans la gestion des témoins menacés.

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