B. DES TERRITOIRES D'OUTRE-MER ABANDONNÉS PAR L'ÉTAT
Alors que les alertes sur la situation sécuritaire des territoires ultramarins, et en particulier de la Guyane et des Antilles, se sont multipliées ces dernières années, le plan national de lutte contre le phénomène des « mules » en provenance de Guyane est très loin d'avoir produit les effets escomptés.
1. Des services sous-dotés
L'augmentation des effectifs des services d'enquête, des douanes et des magistrats en poste dans les territoires ultramarins est loin d'être suffisante pour faire face à l'intensification du trafic de stupéfiants et de la violence qui en découle. Le sous-dimensionnement des moyens humains au regard de l'ampleur du narcotrafic ne permet ni d'exploiter l'ensemble des renseignements disponibles, ni d'absorber la charge d'investigation induite, ni a fortiori de lutter contre la délinquance économique et financière liée au trafic de stupéfiants.
Les moyens techniques sont notoirement insuffisants, tant pour l'enquête que pour la surveillance. À titre d'illustration, l'aéroport Félix Éboué (Guyane) n'a été que récemment doté d'équipements qui sont pourtant des outils de base du contrôle (scanner à rayons X pour les bagages et scanners à ondes millimétriques pour déceler les drogues transportées sous les vêtements), alors même qu'il était - et reste - un point majeur de départ des stupéfiants vers l'Europe. Les aéroports antillais ne disposent toujours pas de tels équipements, ce qui ne manque pas d'inquiéter dans la mesure où les trafiquants recherchent continuellement de nouveaux points d'entrée plus poreux pour exporter leurs produits.
2. Des mesures parcellaires
Ce n'est que le 27 mars 2019 que le Gouvernement a mis en place un plan national de lutte contre le phénomène des « mules », ces convoyeurs qui acceptent de transporter de la cocaïne dans leurs bagages, à corps ou in corpore, contre une rémunération pouvant aller jusqu'à 3 000 euros : jusqu'à la moitié des passagers d'un vol en provenance de la Guyane ou des Antilles peuvent être des passeurs. Un volet de ce plan concernait la simplification des procédures de traitement des passeurs, rendue inévitable par l'embolie des services répressifs et du tribunal judiciaire de Cayenne.
Des contrôles à 100 %, pourtant recommandés par le Sénat dès 20206(*), n'ont été mis en place qu'en 2022, vingt ans après les Pays-Bas pour les vols en provenance du Suriname. Or, c'est en grande partie la stratégie néerlandaise qui a conduit à un report du trafic de cocaïne vers et depuis la Guyane, une situation sur laquelle l'État a trop longtemps fermé les yeux. Ce retard est d'autant plus coupable que les résultats des contrôles « à 100 % » sont impressionnants : entre leur mise en place et le 31 janvier 2024, ils ont permis la saisie d'une tonne de cocaïne transportée par 680 « mules ».
3. Des résultats décevants, en dépit de l'implication des services
Si la mise en place des procédures simplifiées pour le traitement des « mules » est supposée avoir réduit la pression sur les services répressifs, la saturation des forces de sécurité intérieure et de la douane est devenue une réalité tout aussi quotidienne que préoccupante en Guyane, dans les Antilles et à Paris. Il est à craindre que la priorité donnée à la lutte contre l'embolisation des services via des réponses pénales rapides ne se fasse au détriment de procédures certes plus longues, mais aussi plus à même d'avoir un effet curatif à long terme, par le démantèlement des filières.
Au final, si la stratégie mise en place en Guyane a indéniablement eu des effets positifs, elle est davantage tournée vers la protection de l'Hexagone que vers celle des territoires ultramarins, justifiant le sentiment d'abandon des habitants, des élus et de la chaîne pénale. Elle a aussi immédiatement conduit à la mise en place de deux grandes stratégies de contournement : le report vers la voie maritime et le report vers les Antilles.
* 6 Mission d'information du Sénat relative au trafic de stupéfiants en provenance de Guyane.