II. LA LUTTE CONTRE LE NARCOTRAFIC DÉSARMÉE : VIDER L'OCÉAN À LA PETITE CUILLÈRE

Face à la marée montante du narcotrafic, les forces répressives - police, justice, douanes - ne sont pas suffisamment outillées. Malgré une mobilisation sans faille et de tous les instants, que la commission d'enquête a pu constater au cours de ses auditions comme de ses déplacements, des failles béantes persistent dans le dispositif répressif ; elles sont autant d'opportunités pour des narcotrafiquants qui savent en tirer le meilleur profit.

A. UNE COOPÉRATION INTERNATIONALE DÉFAILLANTE

Face à des trafiquants qui mettent en oeuvre, à leur échelle, une coopération internationale parfois très efficace, les États ont, une fois encore, un temps de retard. Il existe des instances efficaces de partage du renseignement, comme le MAOC-N5(*), qui permettent d'importantes saisies en mer ; mais il subsiste également des « trous noirs », des États non coopératifs que le droit international ne permet pas de contraindre.

La France dispose pourtant d'un réseau très efficace de magistrats de liaison, d'attachés douaniers et d'attachés de sécurité intérieure chargés de faire vivre la coopération judiciaire, douanière et policière : mais, malgré d'indéniables réussites, notamment en Colombie, des blocages persistent avec des interlocuteurs, comme le Maroc et surtout Dubaï, dont la volonté de coopération contre le trafic de drogue est à tout le moins limitée.

La coopération est mieux engagée au niveau européen, où s'est imposée la volonté de lutter contre un ennemi commun. Elle se manifeste dans l'architecture institutionnelle, avec Europol et Eurojust, deux outils efficaces de coopération policière et judiciaire : ces deux institutions ont été à la manoeuvre dans les succès EncroChat et SkyECC, où des systèmes cryptés de communication utilisés par des milliers de trafiquants ont pu être infiltrés.

Mais la coopération reste limitée par les différences de cadre juridique entre États. Le cadre législatif, au niveau européen, reste pour le moment assez contraignant, notamment sur le chapitre de l'accès aux données de connexion - un arrêt de la CJUE ayant sévèrement restreint cet accès, pourtant crucial dans les enquêtes sur le narcotrafic. Quant au paquet e-evidence, qui facilitera l'accès à la preuve électronique sur le territoire européen, il entrera en vigueur en 2026 : de quoi laisser le temps aux criminels de s'adapter... Le même constat vaut pour un ensemble de mesures très attendues, comme le règlement Prüm II, sur l'échange de données policières entre États, la proposition de directive sur le recouvrement et la confiscation d'avoirs, ou encore le train de mesures législatives sur la lutte contre le blanchiment. La temporalité des trafiquants n'est pas celle de l'Union européenne : le risque est bien de conserver au moins un train de retard sur ces derniers.


* 5 Maritime Analysis and Operations Centre (Narcotics), soit Centre opérationnel d'analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants.

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